L’Afrique à Rio+20 : un manque manifeste de vision et d’engagements Jean-Philippe Thomas - ENDA Tiers Monde - [email protected] Les Ministres représentants les États africains ont, dans la Conférence préparatoire régionale africaine de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable (Rio+20) Addis-Abeba (Éthiopie) 20-25 octobre 2011, constaté « la pertinence des deux thèmes de la Conférence de Rio, à savoir : L'économie verte dans le contexte du développement durable et de l'élimination de la pauvreté, et Le cadre institutionnel du développement durable, pour faire progresser l'action mondiale menée en faveur du développement durable ». Cette prise de position et les éléments de la déclaration consensuelle créent une véritable ambiguïté entre les avancées incontestées du développement durable dans un certain nombre de pays africains et le recours, à l’aveuglette, à la notion d’économie verte. 1. Le préambule s’appuie sur trois constats : i) Le rappel des engagements de Rio 1992, du plan de mise en oeuvre de Johannesburg reconnaissant le Nouveau Partenariat pour le Développement de l'Afrique (NEPAD) comme cadre du développement durable sur le continent, des progrès constants vers la réalisation d’engagements, convenus au niveau international, notamment des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). ii) La reconnaissance que le développement durable a pour fondements essentiels la bonne gouvernance, des institutions fortes et caractérisées par le dynamisme de leurs réactions, la création de richesse, l’équité et l’égalité sociales, l’élimination de la pauvreté et la préservation de l’environnement. iii) La reconnaissance que l’Afrique a progressé de manière notable pour ce qui est de satisfaire aux exigences du développement durable. 2. Les nouveaux défis mis en exergue concernent les effets néfastes des changements climatiques, la rareté croissante de l'eau, l'épuisement de la biodiversité et des écosystèmes, la désertification, les déchets dangereux, notamment électroniques, la faible capacité de résistance aux catastrophes naturelles, la crise énergétique, la crise alimentaire, la hausse des prix, l’urbanisation rapide et non planifiée résultant de l’exode rural, la piraterie, la traite des êtres humains, les migrations et la crise financière et économique mondiale. Ces crises ont entraîné la recrudescence de nouvelles maladies, ainsi que l'aggravation de la pauvreté et du chômage, en particulier chez les jeunes. Ce descriptif, sous forme d’inventaire, occulte toute réflexion sur une vision globale du développement durable de l’Afrique d’autant que le frein le plus souvent mis en avant face à ces défis concerne le manque de mobilisation financière de la communauté internationale, c'est-à-dire qu’à l’absence de vision globale s’adjoint une vision du développement uniquement poussée par des financements extérieurs. On est loin d’une vision de développement endogène basé sur la participation active des populations. On aurait préféré, de la part des représentants des Etats africains pour Rio+20, « des engagements pour la reconnaissance de modèles de développement durables orientés vers la construction d’un monde solidaire et en paix, respectueux des droits économiques et sociaux, de la dignité humaine et de la diversité culturelle, où les ressources sont réparties équitablement entre les peuples, dans le cadre d’une gouvernance mondiale ouverte et inclusive, respectueuse des dynamiques sociales et populaires et œuvrant dans l’intérêt des générations actuelles et futures. » (Déclaration de la société civile d’Afrique de l’ouest et du centre - Douala, avril 2012). Rien de tout cela, le consensus des Ministres représentant les États africains s’est porté sur l’économie verte comme panacée pour résoudre les problèmes de développement durable en Afrique et relever les nouveaux défis. 3. Le « green washing » : la panacée pour relever les défis ! Point de définitions, excepté celle reprise du PNUE1, le consensus considère que l’économie verte est un outil qui doit permettre… «d’effectuer une transition harmonieuse vers l’économie verte dans nos pays ». L’outil est en même temps l’objectif ! A partir le là, la déclaration reprend toutes les activités déjà réalisées, en Afrique, dans le cadre du développement durable : l’utilisation durable des terres dans les domaines de l’agriculture, de la sécurité alimentaire, de l’énergie et de la sylviculture, les politiques et pratiques innovantes concernant les formes de production agricole durables, le développement des énergies renouvelables, l’adaptation basée sur les écosystèmes, la production économe en ressources, le renforcement du capital nature, tout cela maintenant sous couvert « d’une économie plus productive, ouverte et durable » ; Le social et l’environnemental deviennent ainsi relégués au second plan du développement durable. On est loin, là encore, des trois piliers (environnement, économie, social) qui définissent, à part égal depuis Rio, le développement durable et le seul « verdissement » des bonnes pratiques africaines n’est pas constitutif de politiques de développement durable. 1 « Une économie qui entraîne une amélioration du bien être humain et de l’équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources » - PNUE - 2011. Un point positif, malgré tout. La déclaration reconnaît la nécessité d’utiliser et soutenir le Cadre décennal des programmes pour une consommation et une production durables en Afrique (point 26). Souhaitons que les représentants des Etats Africains se saisissent de ce cadre pour s’engager sur une vision globale du développement durable pour l’Afrique. 4. Une vision compartimentée du développement durable et de sa gouvernance Depuis plus de nombreuses années, il est apparu qu’on ne peut séparer le développement durable de ses cadres institutionnels et qu’il est impératif d’avoir une vision intégrée, à savoir introduite la gouvernance comme quatrième pilier du développement durable. Or, le consensus des Etats Africains pour Rio+ 20 continue à se construire sur cette séparation entre développement durable et gouvernance (cadres institutionnels et stratégiques) et même pire entre « économie verte » et gouvernance. En rappelant, le principe de responsabilités communes mais différenciées et la nécessité de réaliser les objectifs de développement convenus au plan international, notamment les OMD, en tenant compte du Consensus de Monterrey et des besoins des pays en développement, on pouvait penser que le consensus africain pour Rio+20 allait s’organiser autour des outils et des mécanismes permettant une véritable régulation mondiale aussi bien sur la plan environnemental qu’économique et social. On s’attendait à avoir des préconisations sur la manière d’assurer cette régulation, des réponses à la question : Peut-on laisser les G8, G20 et autres G continuer à gouverner le monde de manière quasi-informelle ? Une préoccupation seulement… et pas de préconisations « Nous sommes vivement préoccupés de ce que la voix de l’Afrique, malgré la taille du continent, ne compte guère dans les institutions internationales, telles que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l'Organisation mondiale du commerce, et au G-20. Les besoins spécifiques du continent ne sont pas suffisamment pris en compte dans le débat en cours sur la refonte de l'architecture financière internationale. Nous soulignons par conséquent qu'il est impératif que les circonstances et les intérêts particuliers de l'Afrique soient pleinement pris en compte dans la gouvernance internationale » (Point 59. m) Rien de tout cela si ce n’est un rappel sur l’exigence d’avoir une « intégration équilibrée des trois piliers (économique, social et environnemental) par les institutions et les stratégies favorisant des approches globales et intégrées ». Il est difficile d’y croire quand précédemment on a mis l’économie verte en exergue. L’adresse des recommandations vaut surtout pour les Régions et les Etats afin qu’ils fassent mieux fonctionner les cadres institutionnels du développement durable (et leurs démembrements). Enfin, en privilégiant le débat sur la gouvernance environnementale et ses institutions, les recommandations s’orientent vers la réforme des instances onusiennes, en particulier la transformation du PNUE en une institution internationale spécialisée pour l’environnement. On peut alors se poser la question de savoir si la multiplication des agences spécialisées est un atout pour une meilleure gouvernance mondiale ? Nous ne le pensons pas. La séparation entre l’économie verte et la gouvernance du développement durable introduit un biais systémique qu’on ne pourra corriger qu’à partir du moment où on intègre la gouvernance comme pilier du développement durable, et ce, à tous les niveaux de l’international au local… C’est à ce moment là une autre vision du fonctionnement des sociétés auquel on fera référence avec « une gouvernance mondiale ouverte et inclusive, respectueuse des dynamiques sociales et populaires et œuvrant dans l’intérêt des générations actuelles et futures ». Pour conclure, les préconisations pour les moyens à mettre en œuvre reprennent principalement les engagements que doit renouveler et tenir la communauté internationale en matière de financement. Sans entrer dans le détail de la liste de tous les financements réclamés, le consensus, sous forme de conditionnalité autoproclamée, « s’engage à améliorer l'environnement de la gouvernance à l'échelon national, en veillant à tenir les institutions entièrement responsables, en faisant en sorte que les processus de planification et d’élaboration du budget soient transparents et ouverts ». C’est, pour le moins, le minimum qu’on puisse attendre ! Dakar, mai 2012