L’ÉDD, pour quoi ? pour qui ? Contribution des disciplines à l’éducation en vue du développement durable HEP-VS, St-Maurice, 5 septembre 2007 Titre L’histoire est-elle utile à l’ÉDD ? A-t-elle une méthode, des contenus, pur une telle éducation ? « Qu’est-ce qu’on a ? ». Dans “Les Experts”, c’est ce que demande Horatio quand il arrive sur la scène d’un accident, d’un crime présumé ! Donc, enquête… on part de ce qu’on a. Regardons d’abord de quoi il en retourne… Après une inondation, Brienz, Suisse, août 2005 Briens 2005 (Gore, A., 2006, 103) : s a p ts n o it- ciden » ? d Ne s ac oire « le l’hist de Histoire et accident L’histoire démarre souvent sur un événement, comme par exemple un “accident” de la circulation. Pour savoir ce qui s’est passé, qui est responsable… on ne se contentera pas de l’opinion de témoins. La police va mener “enquête” (istoria, en grec)… Intro 3 accident Prenons deux voitures qui sont entrées en collision … aucun des conducteurs ne pense qu’il est responsable. Des témoins disent : “ c’est lui… non c’est lui ! ”… La police arrive, recueille les témoignages (début de l’enquête), mais ne s’en contente pas. Elle fait un croquis de l’accident, note l’heure, observe les traces de pneus, les impacts… remonte le temps : est-ce qu’un conducteur avait bu de l’alcool, était fatigué… Ont-ils leurs permis de conduire… depuis quand ? Dans quel état sont les pneus, à quelle vitesse roulaient les véhicules (en mesurant les traces de freinage)… Qui avait la priorité, quelle était la visibilité… Tout cela est consigné dans un rapport transmis à un juge qui statuera sur les responsabilités… Histoire et accident L’historien, lorsqu’il a repéré un phénomène, un “accident” (événement fortuit, indice… avant de signifier événement malheureux), recueille les témoignages (s’il y en a), relève les traces laissées… rédige un rapport où tout est consigné et ensuite seulement, écrit l’histoire en s’efforçant de préciser quand ça s’est passé, comment, pendant combien de temps, ce qui a déclenché le phénomène, ce qui l’a arrêté… bref de dégager des causes, des responsabilités (ou alors, la question reste controversée, d’en confier la charge à d’autres… ). Son travail peut se révéler difficile selon les traces dont il dispose : ruines, objet, bâtiment, monument, parchemin, texte, témoignage écrit ou oral… En tous cas, il va examiner, comparer, douter… confronter les sources, les traces, avant de faire le récit de son enquête et donner ses conclusions. En grec ancien, ce travail se dit «istoria», ce qui signifie : mener enquête, rédiger un rapport… Bien sûr l’historien ne s’intéresse pas seulement aux “accidents”. Il s’intéresse aussi à ce qui semble immuable, change peu… On désigne par “histoire immobile” le rythme lent des campagnes par exemple, par rapport à celui des villes où la vie est trépidante, les changements rapides. Il en va de même des ères climatiques dont le rythme paisible peut être soudain bouleversé… On le sait grâce à l’histoire du climat. L’accident de Brienz, ici, est-il lié à celui de la Nouvelle-Orléans, là-bas, à l’autre bout du monde ? Y a-t-il d’autres accidents, d’autres “catastrophes” (en grec : dénouement d’une tragédie, bouleversement… ) ? Généraliser dans l’espace-temps constitue l’étape incontournable d’une enquête historienne. Nouvelle-Orléans Non 2005 seulement, analyser Gore, A. (2006, 96) l’accident d’ici, mais le relier à l’ensemble d’un système de référence et voir s’il n’y a pas une “crise” générale sur laquelle, les causes une fois établies, il serait possible d’agir de façon à ce qu’elle ne dure pas, ne se reproduise plus… … de façon à installer un “développement durable” ! On voit immédiatement comment ce qui se passe sous nos yeux, actuellement, peut concerner l’histoire (qui a pourtant la réputation d’être plutôt une discipline relative au passé)… Que signifie donc “histoire” (rappel) ? Au Ve s. av. J.-C., Hérodote lance une enquête (historia) sur les circonstances et les causes des conflits auxquels il assiste pour que le temps n’en efface pas le souvenir. Comment ? Non plus en racontant des histoires de héros, des mythes (muthoi), mais par une recherche faite de récits (logoi) reposant sur une observation visuelle (autopsia), doublée d’une information de bouche à oreille (akoê), auprès de témoins… Hérodote Thucydide D’après Hartog, F. Hérodote ; Thucydide in Dictionnaire historique des sciences historiques (Burguière, A. dir.). Paris : PUF 1986, 328-329; 663-664) Peu après, Thucydide fait de l’histoire une “recherche de la vérité” pour une décision (crisis), par observation visuelle surtout (l’œil est plus fiable que l’oreille) et une enquête de type rationnelle (“positiviste” comme la qualifie la critique historique d’aujourd’hui). Ainsi, pour Thucydide, le récit “véridique” d’une crise vécue permettra d’éviter qu’elle ne se reproduise. L’histoire est un présent devenu passé servant à améliorer l’avenir ! Ce que Hérodote et Thucydide tentaient pour les Guerres médiques, nous pouvons le faire pour la crise climatique actuelle : sur les enseignements du passé, agir sur le présent de façon à garantir un avenir à l’humanité. Telle est la méthode de l’histoire ! Oui, ce que l’avenir nous réserve, le passé nous le dira ! À l’origine, l’histoire est donc le récit d’une enquête visant à l’interprétation d’un phénomène contemporain de l’historien, un accident (2e sens de crisis) pour une décision (1er sens de crisis). Puis, en particulier à cause des sources dont les formes se sont diversifiées et la masse accrue, l’étude de phénomène révolus, passés (en relation ou non avec le présent) s’est considérablement développée. “Crise” L’histoire a donc peu à peu abandonné à d’autres sciences sociales l’étude de “crises” (phase grave dans une évolution, 3e sens de crisis), de phénomènes contemporains, pour se concentrer sur l’interprétation de ceux du passé, de leurs relations avec d’autres époques. Cela toutefois en fonction d’un questionnement tributaire des modes de pensée “présents”, propres aux historiens de l’époque même de l’enquête, en fonction de l’adage bien connu que « Toute histoire est contemporaine ! » (Benedetto Croce, historien et homme politique italien mort en 1952). Et si nous sommes là à ergoter sur ce qui se passe ou s’est passé et sur ce qui nous attend, c’est que nous avons bénéficié jusque là d’un sacré DD ! Ca dure depuis 12 ou 15 milliards d’années au moins (dont 4 à 5 pour la vie sur Terre) et nous sommes encore bien là ! Toute enquête sur ce qu’il y a de crucial, de sacré, doit donc aussi commencer par une sainte colère : on ne va quand même pas foutre en l’air Colère ! l’infinitésimale chance qu’on a d’exister et de vivre pour un peu trop de gaz à effet de serre ! Il y a déjà eu des centaines de réchauffements climatiques et d’ères glaciaires. L’homme en a affronté plusieurs dizaines depuis l’époque où il s’est hasardé sous des latitudes moins hospitalières. On peut penser que certains de ces phénomènes climatiques ont même été sans commune mesure avec celui que nous commençons à affronter… mais nous sommes 6 à 7 milliards, partout… L’histoire du climat nous enseigne que la pollution thermique pourrait se révéler plus nocive encore que le danger nucléaire. Pourtant, la problématique “thermodynamique-écologieéconomie”, posée dès les années 1920, est restée un impensé de notre culture jusque vers 1970 ! (Grinevald, J., L’effet de serre de la biosphère. De la révolution thermo-industrielle à l’écologie globale, SEBES 1990, 15). Les géo-sciences nous démontrent l’accélération des choses à court terme. Et il est assez aisé d’aller pêcher une information fiable pour savoir que … 1) nous vivons un réchauffement dont DD ? l’inertie du mouvement va de toute manière nous emmener vers des changements climatiques importants ; 2) ce réchauffement, pour la première fois dans l’histoire (encore faudra-t-il examiner ça de près), est en (grande ?) partie, anthropogène. Les changements climatiques et la Suisse en 2050. Synthèse MetéoSuisse 1860-2006 Scénarios gaz à effet de serre 1990-2050 Voilà les scénarios possibles… Les changements climatiques et la suisse en 2050. Synthèse On a déjà réussi, en une petite douzaine d’années, à éliminer les CFC : notre réfrigérateur ne nous tuera donc pas si le fameux “trou dans la couche d’ozone” se résorbe à temps ! Et les gaz à effet de serre, c’est encore une autre histoire ! Combat contre le CFC Gore, A. (2006, 294) Petite parenthèse, à partir de là, comme pour les CFC (mais sans doute avec un plus gros effort à fournir), l’ÉDD, nous l’avons : il suffirait que les gouvernements souscrivent aux conclusions du 4e Rapport du GIEC (2007) et que chacun applique chez soi les « 51 choses que l’on peut faire » listées par le magazine américain Time (2007). Tout ce que Al Gore recommande depuis une douzaine d’années et qu’il a repris dans An Inconvenient Truth (2006). DD nous l’avons ! (Time 51 choses… ) Pas besoin d’en faire toute une histoire ! In Clément, V. (2004), Le développement durable : un concept géographique. Géoconfluences 26/07/2004. Le développement durable, approches géographiques. In geoconfluences.ens-lsh.fr/ “Développement durable” (rappel) « Un développement permettant de satisfaire les besoins du présent, sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs. » DD ? Le DD, est-ce du domaine de l’histoire, de l’histoire enseignée ? Première définition du concept contemporain de “Développement durable”, attribuée à Gro Harlem Brundtland, Premier ministre de la Norvège, présidente de la Commission Mondiale pour l’Environnement et le Développement de l’ONU (CMED, 1989). Dans DD, il y a “développement”, ce qui implique une idée de progression temporelle. Et il y a “durable”, ce qui implique l’idée d’une persistance dans le temps. Or “le temps”, c’est du domaine de l’histoire ! Le DD est-il pour autant enseignable par l’histoire ? Alors, un recours à l’histoire, à l’histoire enseignée pour ça ? C’est loin d’être évident ! D’ailleurs, comment voulez-vous éduquer une génération au DD, concept tout de même assez complexe, quand les enquêtes montrent que les adultes qui ont suivi une formation en histoire durant leur scolarité parviennent tout au plus à associer “39-45” à une “Guerre mondiale”, la “Prise de la Bastille” à la “Révolution” (et encore !)… On oublie bien vite ce qu’on a “su ” pour une bonne note ! DH ringarde Alors que près de 50% des adultes affirment que “le soleil tourne autour de la Terre”… On croit dur comme fer ce qu’on voit : le soleil “se lève” et “se couche”, non ? Alors que tous, quasiment, affirment que la république étant un système politique avec un président élu, la séparation des pouvoirs… et la monarchie son contraire, celle-ci ne peut pas être une démocratie… Un raisonnement formel spontané est bien plus fort que la vérité… Et bien allez dire à un anglais qu’il n’est pas en démocratie ! Daumier et l’université. Professeurs et moutards (Picard, R., coll. par.). Trinckvel 1969, 17. Daumier la leçon d’histoire Les résultats auxquels parvient l’enseignement de l’histoire, on hésite à les diffuser : peut-être les politiques auraient-ils l’idée, en ces temps d’économies (libérales), de le supprimer aussitôt ! Mais que la didactique de l’histoire passe pour ringarde est une chose. La renouveler en est une autre, et c’est en cours… Nous n’avons plus guère le choix. La crise est là, incontestable, avec des effets vécus partout, s'amplifiant (en tous cas, c’est à vérifier). Il faut en faire l’analyse de manière à ce que les décisions pour tenter d’en enrayer les effets soient les bonnes, car la dimension de cette crise est énorme, cruciale pour la Terre ! H outils de pensée Et c’est là que l’histoire intervient. Elle a les outils de pensée pour sérier ce qui est de l’ordre du temps long (structurel, inconscient), des temps moyen (conjoncturel) et court (immédiat). Pour pouvoir agir, il faut estimer l’impact de ces différentes durées sur la crise présente et ainsi, peut-être, moyennant la bonne décision, la résorber, faire en sorte qu’elle ne se reproduise pas… ce qui est le but de toute ÉDD ! Le problème, c’est que le temps long nous place dans une perspective structurale qui ne permet pas de nous faire une idée exacte de notre avenir immédiat. La conscience du temps long peut même conduire au fatalisme, au sentiment que la nature est la plus forte et que nous ne pouvons avoir prise sur elle. Comment réagira une classe à une représentation historienne des choses, en longue durée ? Par exemple ainsi : Résumé histoire ères « Le climat de la Terre a oscillé entre des ères glaciaires, glaciaires (Hansen) froides avec des calottes glaciaires très étendues, et des ères interglaciaires, plus chaudes durant lesquelles les glaciers sont inexistants; elles ont duré entre 10 et 30 millions d'années.!! Dans les ères glaciaires, périodes glaciaires et interglaciaires alternent sur des durées de 10'000 à 15'000 ans. Nous vivons actuellement une période interglaciaire, l'Holocène, depuis environ 12'000 ans, ce qui signifie que nous arrivons à la fin de la période, nous sommes donc à l'aube d'une nouvelle période glaciaire. » Hansen, J. (2004). Réchauffement global : une bombe à retardement ? Pour la science, n° 318/avril. La Suisse et ses glaciers. De l’époque glaciaire à nos jours. Lausanne Payot 1980, p. 13. Frise 60 millions d’années Une échelle bien trop grande pour programmer un DD… L’époque glaciaire, un phénomène “récent” dans l’histoire de la terre ! La période de froid que la terre vieille de quatre à cinq milliards d’années subit depuis deux à trois millions d’années, et qui se manifeste encore actuellement, est tout à fait exceptionnelle. Très schématisée, la courbe des températures moyennes en Europe centrale n’englobe sur ce graphique “que” les 60 derniers millions d’années. L’échelle de temps du dernier million d’années a été agrandie quatre fois par rapport aux époques précédentes. Les fluctuations de température qui apparaissent déjà il y a 25 millions d’années annoncent des refroidissements imminents. Cette variabilité climatique provoque des “tendances glaciaires” il y a plus de 3 millions d’années déjà. La Suisse et ses glaciers. De l’époque glaciaire à nos jours (1990). Lausanne : Payot, 13. Frise 10’000 ans La variation des glaciers présente ici une image homogène : après le brutal changement de climat de la fin du dernier âge glaciaire (Würm) et la subite élévation correspondante des températures estivales, les 10 derniers millénaires sont relativement stables. Depuis 10’000 ans, la taille des glaciers a été plus ou moins la même que durant les derniers siècles. Ainsi, recul jusqu’au dessus de 3000 m au Moyen Âge / avancée jusqu’au dessous de 1500 m aux XVIIIe et XIXe s. / nouveau recul depuis … Comment donc interpréter la “crise” climatique actuelle ? Effet d’un grand cycle naturel (impossible à juguler) ou effet de l'industrialisation (modulable ) ou cumul des deux types d’effet (selon quel ratio ?). L’histoire peut aider à clarifier la problématique. Le Roy Ladurie Histoire du Il y a une nouvelle histoire climat du climat comme il y a une nouvelle histoire tout court : «humaine et comparée». Une histoire qui, finalement, pour la crise actuelle, sera peut-être déterminante… La périodisation, qu’elle propose en dit beaucoup plus qu’il n’y paraît ! 2004 1983 Entrons-y par le biais d’un objet familier, le recul des glaciers alpins, sans oublier notre didactique ringarde qu’il faut renouveler… La première photo connue du glacier du Rhône (vers 1850) montre la dernière grande avancée de la “Petite ère glaciaire”, similaire à celles des XVIIe et XVIIIe siècles (d’après l’étude des moraines et une gravure de 1777). Le Roy Ladurie, E, Histoire du climat depuis l’An Mil. Paris Flammarion 1/1983, 136-137. En une quinzaine d’années, l’amorce du recul est fulgurante ! Glacier Rhône 1850 / 1863 Le glacier du Rhône vers 1850 unifr.ch/geoscience Photo F. Von Martens, transmise par le Prof. J.-P. Portmann Le glacier du Rhône en 1863 Pro Fribourg 149 / 2005 – IV, p. 45. Photo de William England La route de la Furka est construite En dépit de quelques répits (notamment dans les années 1970-1980), le recul a continué et continue… Glacier du Rhône 1910 / 2003 Le glacier du Rhône en 2003 Le glacier du Rhône vers 1910 Carte postale mikeaz.free.fr (Michel Azema, Association de la Ligne sommitale de la Furka) Un glacier qui fond, qu’est-ce que ça signifie ? Il fond pourquoi, depuis quand… jusqu’à quand va-t-il fondre ? geol.unine.ch Glacier du Rhône Würm Voilà ce que donne une échelle de 20’000 ans ! Glacier du Rhône -20’000 ans Le glacier du Rhône il y a 20’000 ans Atlas mondial suisse pour l’enseignement primaire et secondaire (CDIP 1981, p. 6) Glacier du Rhône au stade maximum de la dernière glaciation (Würm) Glacier du Rhône vers 1850 au stade maximum de la dernière petite glaciation Glacier Rhône 20’000 ans Réaction : « Si ça fait 20’000 ans que les glaciers fondent, ce n’est donc pas l’homme qui est responsable ! » C’est à partir de là, qu’un peu de didactique de l’histoire s’impose ! 2006 En regardant cette frise, de quoi allez-vous être informé ? Allez-vous être spontanément convaincus des raisons du réchauffement climatique, cause de la crise actuelle ? 2006 (2007) Sur 1000 ans, perspective sans doute suffisante pour un DD, on voit que le réchauffement actuel est beaucoup plus marqué que lors du dernier optimum climatique… alors ? Optimum climatique médiéval Petite ère glaciaire Gore climat sur 1000 ans Gore, A. (2006, 63) Perceptions historiennes du temps et histoire du climat Nos élèves ont à faire un récit, un récit construit sur les schèmes de la pensée historienne, en particulier sur ceux qui permettent d’aborder les rapports présent-passé-avenir dans le cadre d’une périodisation structurale, d’une échelle du temps ouvrant à une prise de conscience de ce qui change et de ce qui reste immuable, immobile selon le mot célèbre de Le Roy Ladurie, en terme de résultats probants pour une prospective. Perceptions historiennes et histoire du climat (1) Cette conceptualisation du temps a été clarifiée par la deuxième et la troisième générations des nouveaux historiens, sur les bases d’une nouvelle histoire projetée avant la guerre et dont les socles interprétatifs n’ont pas connu de révolution depuis leur établissement, ce qui ne veut pas dire qu’ils n’aient pas été renouvelés, affinés, dépoussiérés… : « (…) Les historiens s’intéressent aujourd’hui non pas aux périodes, mais aux structures. Pour les mettre en évidence, ils étudient ce qui se répète, ce qui se maintient pendant des siècles, en ne changeant que d’une manière extrêmement lente. » (Pomian, 1978, 455-457). D’après : Bugnard, P.-Ph (2008), Au secours ! Nos glaciers sublimes fondent ! Peut-on agir sur le climat en apprenant à distinguer les effets de la nature et de l’homme sur son réchauffement ? Examen d’une compétence éco-sociale au développement durable par l’histoire du climat débattue en classe. In Actes du Colloque REF 2007, Université de Sherbrooke (à paraître). Certaines des perceptions que les historiens ont élaboré sur le temps ont été l’objet de transpositions didactiques dont une dernière mouture correspond aux programmes américains de World History pour l’école secondaire, repris en Europe notamment dans les projets de Luigi Cajani pour une histoire mondiale à l’école italienne (Cajani 2002). Pour l’échelle propre au RC, on doit sans doute penser en priorité aux outils permettant de modéliser le temps sur la très longue durée. Il y aurait, toute proportion gardée et pour introduire la notion de périodisation dans le domaine des durées variables, le classique Schéma d’un exercice sur la durée proposé par André Ségal au début des années 1980 (Ségal, 1984, 93-112). À partir d’une situation événementielle actuelle et locale, cas sans doute transposable dans l’environnement spatio-temporel propre à chaque classe, on peut comprendre ce qui se passe ici et maintenant, non seulement en mobilisant une explication immédiate, mais en utilisant les niveaux de durée conjoncturel et structurel, repris des modélisations braudéliennes, transposés au scolaire. Des durées absentes des mémoires, “inconscientes”, et qui pourtant influent sur l’environnement et les décisions que les communautés humaines sont appelées à prendre pour le présent ou un avenir relativement proche. 2 Les manuels des années 1980 transposaient les données de l’histoire savante sur les ordres du temps. Ainsi, en donnant l’explication des fluctuations cycliques établies par les historiens de l’économie entre trend, cycle long et cycle court. Une périodisation distinguant “crise de type ancien” – quand, en vertu des découvertes de l’historiographie labroussienne notamment, les aléas du climat font figure de causes possibles de révolutions politiques moyennant flambée des prix, disette, chômage… jusqu’à l’émeute) et “crise cyclique capitaliste” – quand le climat disparaît de la cascade de causes entraînant faillites et chômage – (Grehg seconde 1981). Situation-problème et débat argumentatif Les convictions immédiates cernées, posées, l’idée est qu’un recours aux outils de pensée historiens incitent les élèves à confronter leurs certitudes aux résultats auxquels parviennent les scientifiques dans un cadre épistémologique, rationnel, permettant de placer la preuve au-delà de la conviction. L’échelle de pensée classique sur le temps proposée par Braudel par exemple, déjà expérimentée au sein de dispositifs scolaires sous des formes euristiques n’impliquant d’ailleurs pas forcément une mise en débat, est une occasion de dissocier conscience (partielle donc trompeuse) de l’événementiel voire du conjoncturel, à l’inconscient de la longue durée (voire de la très longue durée, dans le cas des processus climatiques). Discerner ce qui relève du contingent des cycles naturels de ce qui relève de la responsabilité humaine. C’est un premier pas. Le débat, préparé par la construction d’un objet dans un contexte problématique – tel celui de la situation-problème –, offre une plate-forme idéale pour un tel examen. Chercher l’erreur… Pour rappel, il y a situation-problème lorsque, pétri de certitudes sur une notion, la représentation spontanée qu’on s’en fait paraissant évidente, on s’aperçoit dans une situation nouvelle, mettant en scène la même notion, qu’on a un problème : ce qu’on croyait vrai, juste, exact… s’avère erroné ! 1. 2. Le problème à résoudre réside bien dans la détection d’une erreur mise en contexte, en situation, afin de la corriger : en recourant à une euristique, en mobilisant des savoirs de référence. Chercher l’erreur (1) Pourquoi s’astreindre à un tel travail (au demeurant passionnant) ? Parce qu’on sait bien qu’une information brute n’est pas spontanément nantie des conditions d’un examen critique. Elle ne sera donc pas forcément comprise parce qu’elle est là, et elle ne le sera pas forcément mieux, d’ailleurs, quand bien même elle serait donnée dans le cadre de la classe, simultanément. Pour porter un regard critique sur une information, un travail effectué par celui qui apprend, seul ou en coopération, est rendu nécessaire de manière à ce que la représentation alternative qui vient spontanément à l’esprit (peut-être éloignée d’une conception que la science ou la discipline qu’on étudie propose) soit amenée au niveau le plus proche possible des aspects agréés par cette science ou cette discipline. La situation-problème ne sert donc pas à saisir de l’inconnu, du mystérieux, de l’énigmatique… (pour cela on peut traiter une question, satisfaire une interrogation… ) mais à corriger du faux, à examiner ce qu’on croit (dur comme fer) vrai, juste, exact… et qu’elle peut donc révéler autre, afin de le rectifier. Maints ouvrages décrivent le processus de situation-problème en histoire enseignée, mais les exemplifications proposées remplissent-elles vraiment toujours les conditions des définitions proposées? Voir par exemple: Dalongeville, A. (2000/1989); Dalongeville, A.; Huber, M., (2000); Le Roux, A. (2004). Les critères d’obstacle et de rupture sont donc déterminants pour une situation-problème (De Vecchi / Carmona-Magnaldi, 2002, 14). Une rupture (épistémologique), c’est accepter l’erreur, c’est envisager de la détecter pour la corriger sans miser sur un décompte de points sanctionnant une faute. C’est pourquoi on dit en sciences humaines qu’il y a problème, véritablement, lorsque les élèves sont rivés sur une représentation erronée (non scientifique) d’une notion du programme. Ils ne pourront guère s’en émanciper sans passer par une sorte de (contre-) enquête, ce qui est d’ailleurs précisément le sens étymologique de histoire, en interpellant leur conception. Mais telle situation qui constitue un problème pour tel élève, n’en constituera pas forcément un pour tel autre, d’où le rôle de débats plaçant les élèves en situation de confrontations et d’interactions. Exemples Un syllogisme spontané (sur “RC et glaciers alpins”) . Le RC contemporain accélère la fonte des glaciers et du pergélisol provoquant pénuries d’eau, éboulements etc… ; or le RC découle d’un cycle climatique naturel ; donc l’homme ne peut enrayer le phénomène (il ne peut que s’y adapter). Un questionnement par hypothèse à valider . Il y a eu des périodes chaudes avant l’industrialisation. Leurs impacts ont été supportables. . D’abord distinguer ères (époques) et périodes glaciaires ou de réchauffement … Estimer ensuite l’amplitude du réchauffement entre périodes chaudes depuis 1000 ans, par exemple … . Voir: Meyer, W. (1995) : données sur les conditions de vie dans les Alpes avant le Petit âge glaciaire , ClimateFacts : fonds d’informations sur “glaciers et changement climatique”. Confrontation savoirs de manuel/savoirs savant. Vérifier que tel article “scientifique” n’est pas commandité par un lobby. Comparer écarts de températures entre périodes chaudes du Moyen Âge par exemple et ères climatiques (Gore 2006 ; Schönwiese 1995). . On constate que le réchauffement actuel est sans commune mesure avec ceux du Moyen Âge. L’erreur a été de focaliser sur une échelle de l’histoire inappropriée, celle du passé structurel (temps long), et de confondre les périodes de réchauffement du dernier millénaire sans faire intervenir le facteur de l’industrialisation … Un syllogisme raisonné (sur industrialisation et cycles climatiques) Dans cet exemple, la réflexion ouvre plus directement au mode de pensée historien de la complémentarité des échelles de durée (structurelle, conjoncturelle, événementielle) : . l’industrialisation, depuis le XIXe siècle, a un effet sur le RC (conjoncture) ; or les cycles climatiques naturels agissent sur le climat depuis des millions d’années (structure) ; donc cycles climatiques et effets de l’industrialisation concourent au RC avec un effet d’accélération (événement). Un tel syllogisme peut être donné à examiner à la classe qui en proposera l’invalidation ou la validation lors du débat, en référence à des sources dont la scientificité est établie (critique interne/externe). La construction de l’objet du débat sous la forme syllogismes, hypothèses, validation, retour réflexif peut donc être dévolue à la classe, à divers degrés, au cours d’un travail préliminaire de problématisation et en vue d’une institutionnalisation lors du débat proprement dit. Il faut insister, même si cela coule d’évidence : la mise en situation ne se fait donc pas sous la forme de questions inférant des réponses directes, mais d’une mise en situation forçant, par un recours aux outils et aux connaissances disciplinaires, une remise en question des logiques qui scellent les opinions préconçues. Et c’est dans le cadre de l’espace d’échange et de confrontation du débat que la classe est appelée à élaborer un savoir tendant au mieux qu’il est possible, dans le cadre des moyens à disposition, vers une scientificité d’un RC comme facteur négatif ou positif d’un DD. Tel est, grossièrement décrit, un dispositif euristique susceptible de développer une compétence éco-sociale à l’ÉDD, un débat type citoyen pouvant tout aussi bien, sinon mieux, parvenir à un résultat probant. . Aux XVIIe et XVIIIe siècle, on pensait que les fossiles marins de nos Alpes étaient une preuve du Déluge. Pour enrayer l’avance des glaciers, les curés les aspergeaient d’eau bénite et on brûlait vives des “sorcières” pour se déculpabiliser des grands froids de la Petite ère glaciaire… L’histoire du climat nous apprend à ne plus chercher les causes des phénomènes climatiques passés et actuels dans notre imaginaire…. . Elle nous apprend à départager cycles naturels du climat et facteurs anthropogènes… nature et culture… à dégager la responsabilité de l’homme… à infirmer ou confirmer le rôle de l’industrialisation, phénomène relativement récent, sur le réchauffement climatique… bref à Approches par l’histoire du sérier les raisons de la crise afin de la résorber et de tout tenter pour qu’elle ne se reproduise plus ! climat . Elle nous apprend à interpréter la conscience écologique comme porteuse d’un déjà long passé, par un contact avec les travaux des naturalistes du XIXe siècle inquiets des transformations de «La face de la Terre» (Suess, E. 1883 ss.) provoquées par les activités des hommes. Un alarmisme étouffé par le vacarme de l’idéologie militaro-industrielle, aboutissant à une Guerre de Trente Ans et un pétroléocentrisme dévastateurs, débouchant sur une culture contemporaine ne donnant plus ni le sens du temps, ni le sens du monde. Un retour à de telles significations sacrées (que peut susciter une ÉDD par l’histoire) serait infiniment plus nécessaire que tous ceux dont nous bassinent politiciens et philosophistes antepathes avec leurs retours au Pacte de 1291, au Hornus et à la note “fiable” à deux décimales chargée d’expier nos fautes… d’orthographe !