Université de Lyon Université lumière Lyon 2 Institut d'Études Politiques de Lyon La Martinique et l’Union européenne : une alliance impossible ? Mégane JEAN-ALPHONSE Master Affaires Publiques Séminaire : La construction européenne et l'Euro à la croisée des chemins : évaporation, dislocation, approfondissement, fédéralisme ? Sous la direction de : Laurent GUIHÉRY Jury : Laurent GUIHÉRY et Nicolas OVTRACHT SOMMAIRE INTRODUCTION ..................................................................................................... 3 I- La relation entre Martinique et Union européenne : contraste entre « proximité » et insularité ................................................................................... 5 1-Le rôle de l’Union européenne en Martinique : un apport indispensable ...... 5 2-La Martinique, une île à l’organisation singulière au sein de l’Union européenne .................................................................................................................... 13 3-Être européen à 8000 kilomètres du Vieux Continent .................................... 18 II- La particularité martiniquaise face à l’organisation de marché : difficulté d’intégration ou incompatibilité ? ................................................................... 25 1-La Martinique, une île lointaine : entre la difficulté à représenter ses intérêts et un marché local restreint, dépendant d’une Union de plus en plus ouverte à ses concurrents.................................................................................................................... 25 2-Le manque de concurrence du marché local : l’incompatibilité avec les règles du marché commun ........................................................................................... 34 3- Le facteur culturel : une approche pouvant expliquer l’incapacité de la Martinique à s’adapter et s’intégrer au marché commun ....................................... 42 III- Quelle solutions pour l’avenir de la Martinique au sein l’Union européenne ?....................................................................................................... 48 1- Lutter contre les monopoles et améliorer la gestion financière : maîtriser les prix, relancer la concurrence, et dynamiser l’économie locale ................................ 48 2-Une perspective d’avenir prometteuse : se tourner vers son environnement régional .......................................................................................................................... 66 3-Dans le contexte actuel, que font les autres RUP de l’Union européenne ? 77 CONCLUSION ........................................................................................................ 84 BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................. 86 ANNEXES .................................................................................................................. 91 Carte de la Martinique ......................................................................................... 91 L’environnement de la Martinique : carte du bassin caribéen ........................ 92 2 INTRODUCTION En 1987, le Président des Açores, Mota Maral, cherche à définir l’extrême périphéricité caractérisant les régions insulaires des États membres. Il emploie alors le terme « ultrapériphéricité »1, pour désigner ces collectivités lointaines, outre-mer, liées au centre : les régions ultrapériphériques (RUP). Au sein de l’Union européenne, la Martinique a un statut de région ultrapériphérique, tel que mentionné dans l’article 299§2 du Traité d’Amsterdam. Les RUP rassemblent les départements-régions d’outre-mer français (DOM), les Canaries et les îles portugaises des Açores et de Madère. La France a la particularité d’être le seul pays membre à avoir, selon le droit communautaire, des RUP et des Pays et Territoires d’outre-mer (PTOM). Les RUP sont intégrées au marché intérieur européen, et ont un cadre juridique semblable à la France dite métropolitaine. Les PTOM (NouvelleCalédonie, Groenland, Aruba, Anilles Néerlandaises) sont associés à la Communauté, jouissant de plus d’autonomie, mais n’ont pas les avantages liés au statut membre de l’Union.2 En Martinique, les problématiques sur l’Union européenne restent trop peu abordées, et beaucoup de locaux disent « n’avoir de l’Europe que l’euro ». La distance a fait son travail… Par manque d’informations ou par défaut de précisions, les actions de l’Union sur l’île sont moins connues par la population. Les acteurs politiques ou économiques sont plus au fait des questions européennes. Dans l’Union européenne, la Martinique est un petit bout de territoire insulaire considéré comme spécifique, mais également bien lointain. Cette analyse permet d’apporter un regard extérieur à ce sujet : c’est se centrer sur l’île en sortant du cadre français où elle est traditionnellement évoquée. Il s’agit de se pencher sur une île européenne, tout à fait unique, qui gagne à être mieux reconnue. Pour cela, il faut essayer de la comprendre, d’en saisir les richesses et les difficultés, pour ensuite réfléchir sur son avenir à partir d’un contexte actuel particulier. En effet, dans la conjoncture économique actuelle, si l’Union européenne reste une zone de stabilité, certains États membres sont en proie à des difficultés économiques, tandis que d’autres, comme la France, doivent faire face à une 1 Jacques ZILLER, « L’Union européenne et l’outre-mer », Pouvoirs, n° 113, no 2, 1 Septembre 2005, p. 125-136. 2 Ibid. 3 croissance morose. Les besoins des pays sont de plus en plus importants, alors que les institutions européennes leurs demandent de la rigueur. Ce mémoire s’appuie sur des réflexions menées sur les RUP, et sur des analyses portant sur la relation entre les DOM et/ou la Martinique avec la France et/ou l’Union européenne. Ces réflexions ont notamment été vives lors de la crise sociale de l’île en 2009. Ainsi, il s’agit d’aborder ces sources dans un contexte plus récent, et les recouper avec les arguments et les objectifs établis par les institutions. En effet, les documents nécessaires utilisés pour se replacer dans un cadre plus actuel sont des textes, des rapports, des plans d’action, extraits de sites de nature institutionnelle ou spécialisés. L’ensemble de ces études ont permis de nourrir ma réflexion, marquée également par des éléments plus personnels. Ce travail vise ainsi à réfléchir, dans le contexte évoqué, sur l’avenir de la Martinique au sein de l’Union européenne. Au-delà de la question d’intégration, il s’agit de voir si le modèle économique de l’île, avec ses spécificités et ses problématiques, peut véritablement se fondre dans l’organisation du marché commun. Face à ses difficultés d’insertion et d’adaptation aux règles du marché unique, c’est aussi méditer sur des solutions afin d’améliorer l’insertion de la Martinique dans la Communauté, sur des propositions et des alternatives. Au final, cette étude examine de quelles manières l’île, à la fois membre de l’Union européenne et territoire présent dans un environnement régional distant, peut maximiser ses atouts pour dynamiser son économie. Ainsi, ce mémoire cherche à répondre à la problématique suivante : comment la Martinique, en tant que région ultrapériphérique, peut-elle concilier sa spécificité avec l’organisation économique et sociale de l’Union européenne ? Tout d’abord, une analyse de la spécificité de l’île au sein de l’Union est effectuée (I). Au regard des difficultés économiques rencontrées par l’île, il s’agit ensuite de comprendre les problématiques rencontrées localement, et de saisir les décalages existant avec l’organisation de marché de la Communauté (II). Enfin, après avoir abordé, la situation particulière de la Martinique et ses limites au sein du marché unique, nous évoquerons des solutions, des propositions, voire d’éventuelles alternatives qui s’offrent à l’île pour une meilleure insertion au sein du marché commun grâce à une économie plus dynamique et mieux adaptée (III). 4 I- La relation entre Martinique et Union européenne : contraste entre « proximité » et insularité En tant que membre de l’Union européenne, la Martinique bénéficie d’un soutien non négligeable. Ces aides, présentes dans différents secteurs économiques et sociaux de l’île, sont telles que l’on peut se demander si, malgré le maintien d’un appui indispensable et important de l’Hexagone, l’Europe n’apparaît pas comme un substitut au travers les aides accrues attribuées. Aussi, la Martinique, en tant que RUP, est caractérisée par une situation spécifique, ce qui a entrainé la mise en place d’une organisation particulière faite de dérogations. Elle a aussi ses atouts, et, outre les exceptions économiques, sa spécificité est aussi plus sociale, culturelle, avec la question de « se sentir européen » à des milliers de kilomètres de l’Union. 1- Le rôle de l’Union européenne en Martinique : un apport indispensable En tant que membre de l’Union aux caractéristiques particulières, la Martinique bénéficie d’un régime spécifique. Selon l’article 299 du Traité instituant la Communauté européenne (TCE), des adaptations sont justifiées pour les raisons suivantes : « Leur éloignement, l’insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique visà-vis d’un petit nombre de produits, facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent gravement à leur développement».3 Du fait de sa particularité, la Communauté européenne offre un soutien majeur à l’île, en particulier pour l’économie locale. Mais, au-delà de cette aide qui paraît indispensable, il est important d’aborder ce que l’Union européenne apporte à l’île au travers les relations économiques qu’elle a développé avec la Martinique, et quelle place occupe cette dernière au sein de ces relations. 3 Ibid. 5 Les aides de l’Union Européenne en Martinique, qui ne cessent de s’accroitre, constituent un véritable soutien pour l’île. Elle peut utiliser cet appui pour le développement de projets, ou pour pallier les éventuelles difficultés présentes dans différents secteur. Tout d’abord, il apparait important d’expliquer la nature de ces fonds, leurs bases et les sommes qu’ils représentent, avant d’analyser plus spécifiquement leur portée en Martinique. Depuis 1988, les fonds structurels de l’Union européenne « permettent d’apporter aux régions défavorisées des aides non remboursables en complément des fonds nationaux et locaux » [JORDA, 2008]. Ils se basent sur une programmation, une concentration, des partenariats, et des objectifs de développement de projets. À ces fonds communautaires s’ajoutent d’autres financements publics ou privés : il faut noter que le secteur privé a assuré 20% du total des dépenses pour les aides accordées entre 2000 et 2006. Il y a des particularités dans certains secteurs également. Dans les transports ou l’environnement par exemple, des prêts de la Banque européenne d’investissement complètent ces fonds.4 Depuis janvier 2014, c’est la collectivité régionale qui gère les fonds européens : en 2015, les collectivités régionale et départementale actuelles fusionneront, ce qui devrait, selon la Région Martinique, renforcer les compétences administratives de l’île, pour une gestion plus performante, en réponse aux défis à venir.5 L’attribution des subventions européennes se base sur le niveau de développement. Les données statistiques du PIB par habitant des trois dernières années déterminent l’éligibilité. Les régions qui ont un PIB inférieur à la moyenne de l’Union Européenne des 25 (75%) ont le droit de recevoir cette aide. Les DOM français et les Açores sont concernés. Les régions non bénéficiaires, les Canaries et Madères, peuvent toutefois être éligibles à l’objectif « compétitivité régionale et emploi ». 6 Cela montre 4 Jacques ZILLER, Laurent TESOKA et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mer unis dans leurs diversités: actes du colloque organisé à Florence les 12 et 13 avril 2007, Aix-enProvence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2008, p. 325-356. 5 REGION MARTINIQUE, Programme opérationnel Martinique: Fonds Européen de Développement Régional et Fonds Social Européen (période 2014-2020), 2013. 6 Jacques ZILLER, Laurent TESOKA et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mer unis dans leurs diversités, p. 325-356 op. cit. 6 une disparité de développement entre le RUP. L’effort européen est ainsi devenu d’autant plus important en vue de compenser ces différences entre États membres. Sur les aides reçues par les RUP français, entre 2000 et 2006, 3,8 milliards viennent de Bruxelles, qui accorde environ 30 milliards d’euros par an aux régions de l’Union. Le Portugal et l’Espagne étaient en 2007 les principaux bénéficiaires avec respectivement environ 36% et 15%.7 Au mois d’août 2014, environ un total de 45,2 milliards d’euros de fonds européens sont investis dans des projets en France8. La France offre aussi une aide non négligeable. En 2009, les aides de la France à l’OutreMer représentent 12,7 milliards d’euros, soit une hausse de 3,4% par rapport à 2008 : la Martinique perçoit alors 1,9 milliards d’euros.9 Si cette somme est non négligeable, elle reste bien inférieur à ce que reçoit la Réunion par exemple (4,4 milliards). De manière globale, avec une moyenne d’environ 283 euros par habitant en 2006, les aides accordées aux DOM par l’Union dépassent largement la moyenne métropolitaine établie à environ 71 euros par habitant10. Depuis ces dernières années, elles connaissent une hausse considérable. Le soutien européen sur l’île n’a cessé d’augmenter, dans un contexte de crise sociale et économique. Il constitue un solide apport pour mener à bien certains projets conséquents. D’un point de vue général, pour les régions dites en retard de développement, la dépense annuelle a augmenté de 20% en moyenne11. Pour 1994-1999, l’aide s’élevait à 390 millions d’euros pour la Martinique 12. En 2012, en Martinique, le FEDER (Fonds européen de développement régional) représente 384,90 millions d’euros pour 896 projets, et le FSE (Fond social européen) se chiffre à 108,58 millions d’euros pour 654 projets. Les aides FEDER et FSE représentent donc au total 493,48 millions euros en 2012.13 En 2014, environ 448 millions d’euros sont prévus pour le FEDER, et 69,9 7 Ibid. L’EUROPE S’ENGAGE EN FRANCE, « Les bénéficiaires de Fonds européens », 18 août 2014. 9 Jacques ZILLER, Laurent TESOKA et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mer unis dans leurs diversités, p. 325-356 op. cit. 10 Ibid. 11 Ibid. 12 Ibid. 13 EUROPACT, Bilan thématique 2007-2013 de la programmation FEDER-FSE, 2014. 8 7 millions d’euros pour le FSE : il y a une hausse de presque 25 millions d’euros, avec un total d’environ 518 millions d’euros pour la période 2014-202014. Ces fonds permettent de soutenir des projets innovants, sources d’avancées pour l’île. Les aides interviennent à hauteur de 75% au maximum15 du cout total du projet. En France, ces aides européennes viennent compléter les aides versées par le gouvernement à la Martinique. Les dotations de l’État français restent beaucoup plus importantes que les aides apportées par l’Union. Mais, aujourd’hui, dans une conjoncture difficile, les élus locaux s’inquiètent de plus en plus des baisses des dotations fixées à 50 milliards d’euros16. Déjà, en 2012, ils évoquaient le gel des dotations à 50,5 milliards17. À l’avenir, face à ces diminutions, on peut donc se demander si l’Europe ne sera pas de plus en plus amenée à jouer, dans un contexte économique morose, un rôle de compensateur palliant le soutien étatique en baisse. Toutefois, avec un consolidement des liens européens, mais aussi les incertitudes du marché commun, on peut s’interroger sur l’avenir à la hausse ou à la baisse de ces fonds. Cependant, comme on va le voir, la participation des fonds européens dans la mise en place de projets en Martinique est importante. Elle est telle, que l’intervention européenne peut être assimilée à une substitution de l’aide l’État envers des secteurs particuliers ou des projets très spécifiques. En effet, dans différents secteurs, le soutien européen permet de faire avancer de projets forts, qui s’avéraient beaucoup plus difficilement réalisables, voire dans l’impasse sans ces aides. La Martinique est le RUP français dont le FEDER représente la part du soutien la plus importante, avec 81% des aides totales18. Porteur de renouvellement, le FEDER a ainsi permis une modernisation en accord avec les règles environnementales de l’aéroport de Fort de France créé 1949 : grâce à une participation européenne de plus de 321 000 euros, soit 33% du coût total (963 000 euros de coût total), il est devenu à la 14 RÉGION MARTINIQUE, Programme opérationnel Martinique: Fonds Européen de Développement Régional et Fonds Social Européen (période 2014-2020), op. cit. 15 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, Sénat, 7 juillet 2009. 16 FRANCE-ANTILLES, « Les élus inquiets de la baisse des dotations de l’État », 13 août 2014. 17 CONSEIL MUNICIPAL DE LA MAIRIE DE SCHŒLCHER, Extrait de registre: des délibérations du Conseil municipal de la commune de Schœlcher, Martinique, 2012. 18 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 8 fin des années 90 un acteur majeur dans le trafic gros porteur.19 Des investissements ont été faits dans des zones portuaires également, pour la construction d’une infrastructure de gestion de conteneurs pour le port de Fort-de-France par exemple : le FEDER a apporté 43 millions d’euros, sur un coût total de 113 millions d’euros. Dans le domaine de la santé, l’Union européenne a participé à hauteur de 46 millions d’euros à la construction de la cité hospitalière de Mangot-Vulcin (sur 127 millions d’euros de coût total), ou à la création d’un pôle Mère-Enfant au CHU de Fort-de-France pour 16 millions d’euros (sur 55 millions d’euros de coût total)20. Des progrès ont également été engagés dans le domaine de l’énergie, un des domaines clés de la politique communautaire : outre l’équipement en énergies propres d’une centaine de foyers, des panneaux photovoltaïques cofinancés par le FEDER installés sur le toit du Palais des Sports de Rivière Salée ont aussi permis de limiter l’émission de gaz à effet de serre. Un laboratoire de recherche a également été créé, lançant pour la première fois des études novatrices sur l’énergie solaire sous climat tropical. Il faut tout de même nuancer ces progrès dans ce domaine : seul 5% des fonds du FEDER de l’île ont été consacrés à l’énergie, la Martinique se trouve à la traîne avec environ 51 millions consacrés à des projets environnementaux, soit la moitié des sommes investies par la Réunion et la Guadeloupe.21 De plus, le FSE a aussi un rôle prépondérant sur l’île. La Martinique a choisi de consacrer environ 52% de cette somme à l’emploi, tandis que la Guadeloupe a investi 8% de son FSE dans ce domaine. C’est un appui nécessaire pour faire face aux problèmes de chômage sur l’île, mais aussi de défaut de formation : le taux de chômage est de 21% en 2012, alors que la moyenne métropolitaine est en dessous de 10%22 ; 64% du chômage touchent les jeunes ; le taux d’illettrisme est de 18%contre 9% dans l’hexagone23. 26% du FSE sont également consacrés à l’inclusion sociale.24 Le plan 2014-2020 évoque la nécessité de promouvoir l’accès à l’emploi et d’améliorer le niveau général de compétences, surtout chez les jeunes.25 Le FSE a un réel rôle de 19 EUROPACT, Bilan thématique 2007-2013 de la programmation FEDER-FSE, op. cit. MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 21 EUROPACT, Bilan thématique 2007-2013 de la programmation FEDER-FSE, op. cit. 22 RÉGION MARTINIQUE, Programme opérationnel Martinique: Fonds Européen de Développement Régional et Fonds Social Européen (période 2014-2020), op. cit. 23 Ibid. 24 EUROPACT, Bilan thématique 2007-2013 de la programmation FEDER-FSE, op. cit. 25 RÉGION MARTINIQUE, Programme opérationnel Martinique: Fonds Européen de Développement Régional et Fonds Social Européen (période 2014-2020), op. cit. 20 9 soutien social sur l’île, et apparaît comme une source non négligeable d’aide pour la société locale. Aussi, la pêche constitue un secteur d’activité important sur l’île : avec la Guadeloupe, elle compte 2400 pêcheurs26. En Martinique, deuxième région française pour la pêche27, le secteur est caractérisé par une prédominance de la petite pêche à caractère artisanale,28 plus sensible aux évolutions actuelles. Pour faire face à des difficultés financières, beaucoup de marins pêcheurs de l’île ont été contraints de se reconvertir ou de se tourner vers une activité professionnelle complémentaire. Jusque 2013, les RUP bénéficiaient du fonds européen pour la pêche (FEP) : pour la période 2007-2013, il représentait de 34,25 millions d’euros.29 Avec d’autres dispositifs comme «POSEI Pêche », il est désormais remplacé par le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) 30, qui accorde un intérêt tout particulier aux DOM. Deuxième pays bénéficiaire, la France a obtenu une enveloppe 588 millions d’euros, soit une hausse de 70%31. Par exemple, il prévoit environ 192 millions d’aides de compensation des surcoûts pour tous les RUP32. Il y a notamment une volonté de préserver l’environnement, de soutenir une pratique durable des activités de pêche et d’aquaculture33 : 269 millions d’euros sont octroyés pour le développement durable de la pêche, l’aquaculture et des zones côtières dépendantes de ces activités, soit 153 millions de plus par rapport à l’enveloppe de la FEP pour 2007-201334. Une attention est aussi attachée à favoriser la compétitivité, l’innovation et la cohésion. 35 En Martinique, l’agriculture occupe également une place importante. La PAC verse le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). Ce dernier représente 104 millions d’euros pour la période 2007- 2013. Outre des objectifs de 26 MINISTÈRE DE L’ÉCOLOGIE, DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’ÉNERGIE, Le Fonds européen pour la pêche: programme opérationnel (période 2007-2013). 27 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 28 Ibid. 29 EUROPACT, Bilan thématique 2007-2013 de la programmation FEDER-FSE, op. cit. 30 MINISTERE DE L’ÉCOLOGIE, DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’ÉNERGIE, « Le FEAMP : l’enveloppe financière attribuée à la France en hausse », 19 juin 2014. 31 MINISTERE DE L’ECOLOGIE, DU DEVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’ENERGIE, « Pêche : vers la mise en place du FEAMP », 22 juillet 2014. 32 LE COMITÉ NATIONAL DES PÊCHES MARITIMES ET DES ÉLEVAGES MARINS, « Le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) », 2 avril 2014. 33 Ibid. 34 MINISTÈRE DE L’ÉCOLOGIE, DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’ÉNERGIE, « Le FEAMP : l’enveloppe financière attribuée à la France en hausse », op. cit. 35 LE COMITÉ NATIONAL DES PECHES MARITIMES ET DES ELEVAGES MARINS, « Le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) », op.cit. 10 développement durable, il s’agit d’améliorer de la compétitivité et la valorisation des produits agricoles et forestiers, tout en gérant les questions de pression foncière et les risques environnementaux36. Il y a un programme de soutien à certains secteurs de l’agriculture, prévu spécialement pour les RUP : pour l’agriculture, le POSEI est un instrument en révision depuis 201337, mais a été conservé. Par exemple, 98,2 millions d’euros ont été versés en 2008-2009 pour la filière de la banane martiniquaise38. Pour l’ensemble des DOM, celui-ci représente 318 millions d’euros39. Ces aides sont majeures pour l’agriculture martiniquaise dont les filières sont en proie à des difficultés croissantes. Si être membre de l’Union offre à l’île la possibilité de s’appuyer sur des soutiens majeurs, on peut s’intéresser aux autres avantages que peut retirer la Martinique de cette situation. Outre la question des subventions, la qualité de membre de l’Union génère d’autres bénéfices pour la Martinique. La question est de savoir quelle place l’île occupe dans les relations économiques avec la Communauté européenne. En effet, être membre n’inclut pas uniquement des soutiens divers qui confèrent une place importante aux aides extérieures. C’est également participer à des projets prometteurs de politique commune, conformément aux objectifs et critères de ces derniers. Par exemple, pour la période 2014-2020, la Martinique sera insérée dans le nouveau mécanisme de financement de projets d'infrastructures d'intérêt commun, dans le domaine des réseaux transeuropéens de transports, d'énergie et de télécommunications. D’ailleurs, l’Union européenne prévoit également des accords avec les pays voisins de l’ile afin de libéraliser ce secteur et accroitre ses connexions. Aussi, la Martinique peut s’appuyer les technologies et les avancées effectuées par l’Union dans certains domaines. Cette dernière possède notamment un laboratoire en eau profonde développé, investi au service de la recherche dans des domaines variés, 36 L’EUROPE S’ENGAGE EN FRANCE, « Le FEADER en Martinique », 2014. Sandra HAKOUN, « L’avenir du programme POSEI », EURODOM, 25 juin 2013. 38 ODEADOM « Gestion de l’aide POSEI et des certificats d’importation », 2014. 39 MINISTERE DE L’AGRICULTURE, POSEI France : Programme portant mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en faveur des régions Ultrapériphériques, 2013. 37 11 comme la lutte contre le changement climatique, l’énergie et la biotechnologie40. En tant que région maritime l’île peut compter sur ces acquis pour progresser. La Martinique a des atouts non négligeables sur lesquels elle peut s’appuyer pour en tirer des avantages économiques, voire jouer un rôle plus important au sein du marché européen. La région a une position idéale : au carrefour de trois océans, elle contribue à faire de la France une puissance maritime mondiale.41 Elle marque aussi la présence de l’Union européenne dans la région. L’île a pu développer des relations commerciales solides avec l’Union européenne. Le marché commun constitue un espace d’intégration plus large pour la France, et, en tant que départements d’Outre-Mer, pour la Martinique. Avec ses territoires outre-mer, la France représente la deuxième zone économique mondiale avec 11 millions de kilomètres carrés42. Les flux de marchandises, de capitaux, d’informations, de services et de personnes qui sont créés avec la métropole, les Outre-mer, et l’Union européenne sont intenses, malgré l’éloignement. Dans le milieu des années 90, avec la mondialisation des économies et les aires commerciales régionales qui se développent, la Martinique a continué d’approfondir ses partenariats commerciaux : elle s’est plus tournée vers les pays développés éloignés et proches de l’Europe que vers les pays voisins. Elle a notamment bénéficié de ressources technologiques et financières grâce à son intégration nationale et européenne, ce qui a fait défaut à leurs voisins.43 C’est également un lieu exceptionnel rassemblant des éléments majeurs pour des progrès européens dans certains domaines. C’est le cas dans le développement durable. Les ressources naturelles et la biodiversité de l’île sont reconnues pour être remarquables. Elle possède « une réserve unique d’espèces et d’écosystèmes divers » 44 [COMMISSION EUROPEENNE, 2012], dont l’importance est primordiale pour la conservation de la nature. La biodiversité a aussi un impact dans les secteurs divers 40 COMMISSION EUROPÉENNE, « La Politique régionale et les régions ultrapériphériques », INFOREGIO 2014. 41 Rémy Louis BUDOC, « Coopération internationale et développement productif local des Outre-mer », Les Cahiers d’Outre-Mer. Revue de géographie de Bordeaux, vol. 66, no 261, 1 Janvier 2013, pp. 123127. 42 EURODOM, « L’INFORUP de la semaine du 2 au 6 décembre 2013 », Décembre 2013. 43 Didier BENJAMIN, « Intégrations et dépendances », Mappemonde 54, no 54, 1999. 44 COMMUNICATION DE LA COMMISSON EUROPEENNE, Les régions ultrapériphériques de l’Union européenne: vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive, Bruxelles, 2012. 12 comme la santé ou la médecine. Ainsi, la Martinique est ainsi une terre avec un potentiel majeur pour l’Europe en termes de recherche : avoir accès à de telles ressources peut nourrir les explorations et études menées par l‘Union. Ces subventions témoignent de la particularité de la Martinique. Aussi, cela ne passe pas uniquement par un soutien spécifique. Les caractéristiques de l’île lui confèrent une organisation singulière et exceptionnelle accordée par l’Union, mais de plus en plus débattue. 2- La Martinique, une île à l’organisation singulière au sein de l’Union européenne La Martinique, située à 8000 km de l’Europe, a un petit territoire, avec un marché et un poids économique limités et exigus. Elle est caractérisée par une discontinuité territoriale, un éloignement de l’Europe qui lui accorde un statut particulier au sein de l’Union. Cette distance a justifié depuis longtemps la mise en place de dérogations au niveau national, exceptions permises par l’Union. Ainsi, outre les subventions liées à sa situation dite complexe, des dérogations sont accordées par l’Union. Du fait de la situation de l’île, si l’harmonisation est une base, des dérogations exceptionnelles dans le temps et dans l’espace sont tout de même possibles. Le Programme d’Options Spécifiques à l’éloignement et l’insularité POSEIDOM créé à l’initiative de Jacques Delors avait pour objectif d’insérer les départements d’outre-mer dans la communauté, tout en diminuant les handicaps structurels de leurs économies. Il se plaçait sur une base d’harmonisation.45 Cette dernière est, au final, mise entre parenthèse pour des spécificités. D’ailleurs, pour designer la particularité de 45 Fabien BRIAL, GOHIN Olivier, Décentralisation territoriale et coopération internationale: Le cas de l’outre-mer français, Paris, Editions L’Harmattan, 2000, 352 p. 13 l’organisation administrative et de l’application du droit dans les collectivités d’outremer, Laurent Blériot parle d’un « statut à la carte » [BLERIOT, 2005].46 Néanmoins, il y a aussi l’isolement, une distance économique par rapport aux grands axes maritimes internationaux qui est apparue comme un élément gênant pour une performance économique. Avec toutes ces contraintes, les perspectives de diversification semblent bien minces. La Commission européenne mentionne ces barrières naturelles aux échanges commerciaux, évoquant un marché exigu, limité, fractionné et distant. Toutefois, selon des économistes, la petite taille d’un territoire n’est pas forcément vecteur de mauvaise performance économique. 47 L’octroi de mer est un exemple évocateur de cette situation. Il s’agit de donner la possibilité à la Martinique d’être plus compétitive, en lui offrant les armes égales pour faire face à la concurrence de firmes continentales qui introduisent leurs marchandises sur le territoire. L’octroi de mer est une vieille taxe datant de 1670, pouvant atteindre au maximum 2,5%.48 Peu à peu, cette vieille taxe s’est liée à la juridiction européenne. En 1989, une décision du Conseil des ministres pour les Communautés européennes oblige la France à étendre aux produits locaux la taxation de l’octroi de mer, jusque-là réservée aux produits importés. La loi du 12 juillet 1992 est alors applicable pour dix ans : le Conseil de l’Union européenne accorde à la France un moratoire d’un an, puis accepte une prorogation du régime pour dix nouvelles années avec des contraintes qui conduisent la France à réformer le dispositif. La loi du 2 juillet 2004 a transposé dans le droit français le nouveau dispositif du Conseil, remplaçant le plafonnement des taux mis en place en 1992 par une liste de produits consentie par la décision du Conseil.49 La Conseil de l’Union européenne a accordé un nouveau délai de dix ans à l’octroi de mer, sous condition de modernisation : le 10 février 2004, il a autorisé sa reconduction jusqu’en 2014, moyennant certains aménagements prévus par la loi du 2 juillet 2004.50 46 Laurent BLÉRIOT, « Les départements et régions d’outre-mer : un statut à la carte », Pouvoirs, n° 113, no 2, 1 Septembre 2005, pp. 59-72. 47 Jacques ZILLER, Laurent TESOKA et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mer unis dans leurs diversités, p.305-324, op. cit. 48 Agnès VERDIER-MOLINIÉ et Samuel-Frédéric SERVIÈRE, « Martinique et Guadeloupe : le manque de concurrence comme origine de la crise », Fondation IFRAP, 24 février 2009. 49 Didier MIGAUD et Franc-Gilbert BANQUEY, La situation financière des communes des départements d’outre-mer, 2011. 50 OBSERVATOIRE DES FINANCES LOCALES, Les finances des collectivités locales en 2007, 3 juillet 2007. 14 Ainsi, l’octroi de mer est une ressource essentielle des communes, qui permet de compenser le manque de rendement fiscal direct et l’existence de charges spécifiques. Il constitue 15 à 55% des recettes des communes en Martinique.51 C’est la région qui fixe les taux qu’elle a la possibilité de moduler par produit, afin de soutenir certaines productions locales. La liberté des Conseils régionaux est toutefois encadrée pour interdire les écarts de taxation abusifs, et vérifier qu’ils soient adaptés aux besoins économiques. Le même taux d’octroi de mer est appliqué aux biens importés et biens similaires produits sur place, mais, à titre dérogatoire, le Conseil régional peut appliquer un régime de taxation différencié en faveur des productions locales, dans le respect d’un écart de taxation52. Mais il reste une autorisation et une exception accordées par l’Union européenne à l’île. L’octroi de mer est considéré comme une exonération partielle ou totale pour compenser un handicap précisément évalué : elle ne peut pas être une mesure protectionniste, préservant les situations existantes.53 Toutefois, cette taxe est source d’ambiguïté. Elle passe par une autorisation de l’Union européenne, qui voit pourtant cette exception comme un droit de douane entravant la liberté de marché. La région Martinique doit donc le justifier, et l’adapter, notamment pour être reconduit en 2014. Si ce régime semble contradictoire, il est toléré par l’Union dans le cadre de ce moratoire, devant remplir des exigences pour justifier les bienfaits économiques de son maintien. Selon la Cour des comptes, l’État a un rôle à jouer « en consolidant la vocation d’outil de développement de l’octroi de mer » 54 [COUR DES COMPTES, 2013]. Ainsi, l’octroi mer reste vu à Bruxelles comme contraire aux règles de l’Union en matière d’échange économique : les détracteurs de la taxe à la Commission européenne évoquent notamment la règle de la concurrence et la non-discrimination entre les produits venant des pays appartenant à la Communauté. De ce fait, la taxe est fortement remise en question par la Commission européenne qui souhaite réduire la taxation sur 80% du marché local55. Mais la controverse est aussi liée aux difficultés à mesurer les surcoûts de production causés par les contraintes de cette ultrapériphéricité : parvenir à les évaluer permettrait de mettre en place « une 51 Didier MIGAUD et Franc-Gilbert BANQUEY, La situation financière des communes des départements d’outre-mer, op. cit. 52 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 53 Didier MIGAUD et Franc-Gilbert BANQUEY, La situation financière des communes des départements d’outre-mer, "op. cit. 54 Ibid. 55 DÉPUTÉS SOCIALISTES EUROPÉEN, « Octroi de mer : "Nous n’accepterons pas de voir dégradée la compétitivité de nos entreprises" », 9 juillet 2014. 15 compensation adaptée sans tomber dans l’aide excessive et la concurrence erronée » [SALMON, 2008]. 56 Cependant, l’octroi de mer n’est pas la seule exception accordée à l’île. Selon l’article 294 du code général des impôts, la TVA fait aussi l’objet d’une dérogation de la part de la Commission européenne. La TVA s’applique de la même manière qu’en métropole, mais à des taux moins élevés : le taux normal est de 8,5 % (20 % en métropole) et le taux réduit est de 2,1% (5,5% en métropole).57 Ce sont des taux en dessous des règles européennes : au minimum 15% pour le taux normal, pour les livraisons de biens et prestations de services soumises à la TVA ; et au moins 5% pour le taux réduit sur des biens et services énoncés sur une liste limitative58. Ces dérogations amènent à se poser d’autres questions, autour des conséquences, de l’avenir de ces exonérations. En effet, toutes ces exceptions concédées par l’Union européenne à la Martinique en vertu de ses barrières naturelles soulèvent diverses problématiques. La première d’entre elle repose sur l’avenir de ces dérogations, et tout particulièrement de l’octroi mer, actuellement débattu au sein de l’Union. Pour les autres RUP, c’est un problème franco-français, et son maintien reste tributaire de la volonté de la France à défendre cette taxe qui a tout de même largement évolué en un instrument fiscal de soutien aux communes59. Il s’agit de savoir, d’un point de vue général, ce qui justifie de tel écart entre l’île et la métropole : c’est une question plus globale sur la formation des prix. Des eurodéputés socialistes domiens chargés de travailler sur la finalisation du régime d’octroi de mer à venir pour la période 2015-2020 s’opposent à sa suppression. Selon eux, une disparition de la taxe affecterait globalement 30% de l’emploi industriel et 15% des bénéfices des entreprises.60 56 Jacques ZILLER, Laurent TESOKA et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mers unis dans leurs diversités, p. 305-324, op. cit. 57 Didier MIGAUD et Franc-Gilbert BANQUEY, La situation financière des communes des départements d’outre-mer, op. cit. 58 TOUTE L’EUROPE, « Les taux de TVA dans l'UE », 6 janvier 2014. 59 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 60 DÉPUTÉS SOCIALISTES EUROPÉEN, « Octroi de mer : "Nous n’accepterons pas de voir dégradée la compétitivité de nos entreprises" », op.cit. 16 En effet, face à ces remises en question, et selon les règles de l’Union établies pour cette exonération, l’octroi de mer est actuellement rediscuté. D’ailleurs, le 1er juillet 2014, l’octroi de mer telle qu’il existait jusque-là devait disparaitre : une nouvelle dérogation devait être accordée à la taxe, à condition qu’elle soit repensée sans nuire aux principes communautaires. Mais le Parlement européen a repoussé l’échéance de six mois. La loi devant proroger la taxe ayant été déplacée à la fin de l’année, afin d’ « éviter tout vide juridique pour les entreprises ultramarines », et de permettre d’approfondir la réflexion sur le futur de cette taxe.61 Mais supprimer la taxe, c’est aussi imputer une part importante et indispensable de revenus des communes, ce qui pourrait amener à une hausse des impôts locaux afin de compenser ces pertes de revenus. Aussi, des notions plus larges peuvent être évoquées, autour de l’utilité de la taxe, et des prérogatives offertes aux régions outre-mer de l’Union en vertu de leur statut. La mise en place de dérogations et de mesures douanières ne sont pas sources de performance assurée : la capacité à exporter des marchandises reste limitée et continue à être concentrée sur un nombre restreint de produit comme le sucre, les produits des mars ou la banane. Ces produits réussissent à générer des effets positifs la plupart du temps grâce aux préférences mis en place par les pays partenaires.62 Pour pallier cette forme d’échec, il semble nécessaire de réfléchir à d’autres alternatives. Il est notamment important de pousser le secteur productif à s’orienter vers le marché extérieur et accroitre sa place au sein des marchés régionaux et mondiaux. Il s’agit entre autre de développer le secteur des services. Il semble qu’il y ait un juste équilibre à trouver entre l’existence de mesures spécifiques et les règles internes communautaires.63 Enfin, concernant l’octroi de mer, la question du statut se pose à nouveau. La règlementation varie entre PTOM et RUP, ce qui témoigne des limites d’autonomie de ces derniers. La jurisprudence Legros/Leplat de la Cour de justice des Communautés européennes du 7 novembre 1991 donne la possibilité aux autorités compétentes des PTOM de protéger leurs productions locales par des prélèvements à l’importation. L’octroi de mer perçu par les RUP a dû être réformé pour devenir neutre dans ce 61 Leia SANTACROCE, « Sursis européen pour le régime fiscal de l’octroi de mer », Outre-mer 1ère, 17 avril 2014. 62 Jacques ZILLER, Laurent TESOKA et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mers unis dans leurs diversités, p. 305-324, op. cit. 63 Ibid. 17 domaine, et est à nouveau débattu.64 Les PTOM ont donc plus de liberté de manœuvre sur la question, alors que la Martinique, en temps RUP, reste sous l’égide des instances européennes dont elle doit respecter les règles et prérogatives. La singularité de l’île n’est pas uniquement économique. Il est intéressant d’aborder les relations de la Martinique avec l’Union au travers une dimension moins économique. 3- Être européen à 8000 kilomètres du Vieux Continent Afin de mettre en exergue de la particularité de l’île autrement, j’aimerai aborder le lien entre l’Union et la Martinique au travers une dimension plus tournée vers les mentalités des populations locales. Il s’agit d’évoquer l’idée du sentiment européen en Martinique, quand le territoire se situe dans une autre zone géographique, à des milliers de kilomètres de la « métropole ». Confrontés à une distance, on peut se questionner sur une difficulté des Martiniquais à se percevoir « citoyens » européens à 8000 kilomètres de la France et de l’Europe, à se sentir impliqués dans la dynamique d’un processus lointain. Cet angle culturel peut expliquer la nature des relations économiques de l’île avec la Communauté européenne. La population martiniquaise est marquée par des ambiguïtés, par un tiraillement entre sa situation, ses origines, son histoire, et son lien indéfectible avec le Vieux Continent. Face à l’affirmation d’une culture propre, on peut s’interroger sur la place d’une culture et d’un sentiment européens. Face au désir de « se sentir européen », les questions du regain identitaire martiniquais et ses interrogations sur l’existence d’une culture propre, tout à fait distincte de cultures européanisées sont intéressantes. 64 Jacques ZILLER, « L’Union européenne et l’outre-mer », op. cit. 18 La population martiniquaise cherche aujourd’hui à affirmer de plus en plus une culture, une identité propre. Cette question n’est pas nouvelle. Déjà Edouard Glissant écrivait dans les années 80 : « Ni européens, ni Africains, ni Asiatiques, nous nous proclamons créoles. La créolité est l’agrégat interactionnel et transactionnel des éléments culturels caraïbes, européens africains, asiatiques, et levantins, que le joug de l’Histoire a réuni sur un même sol ».65[GLISSANT, 1989] Si le poète revendique une « humanité nouvelle » particulière, une « antillanité », il n’exclut pas toute forme de sentiment européen : elle est belle et bien le fruit d’un métissage, incluant une culture européenne. Cette créolité est tout à fait différente de la négritude revendiquée par Aimé Césaire dans les années 30 : elle empêche la population martiniquaise de s’affranchir de tout lien avec l’Europe. Cette culture créole, garde des traits de la culture européenne que les intellectuels de la créolité ont à juste titre affirmé comme partie prenante de la culture locale. Si l’on peut évoquer une culture créole unique, il est impossible d’en éliminer la dimension européenne. La France et l’Europe reste omniprésentes au travers la langue, les institutions ou la monnaie par exemple. Le cas du langage est intéressant. Certains ont pour habitude de dire que le martiniquais parle créole et non français : mais cela reste un patois, mélange de français et de dialectes africains. Au final, on peut évoquer une culture créole singulière, distincte d’une culture européanisée. Néanmoins, une culture n’exclut pas la présence de plusieurs cultures, et c’est au travers les éléments de la vie quotidienne qui constituent cette culture créole que l’on peut retrouver des traits et sentiments d’appartenance à l’Europe. Cette créolité a été défendue par les intellectuels antillais qui ont largement diffusé ces idées. Ils ont mis les mots sur une histoire, une mentalité, un questionnement longtemps enfouis dans les consciences de la population martiniquaise. Ce thème autour de la culture et du sentiment d’être européen marque donc une ambiguïté. Cette affirmation de la créolité, comme culture particulière, différente de cultures dites plus européennes, est en contraste avec l’attachement au statut communautaire acquis. Il y a une contradiction plus profonde. Face au souhait de se détacher, d’assouplir le lien avec le continent en gagnant plus d’autonomie, il persiste une envie de conserver les droits et les avantages issus du lien avec la France. Par exemple, beaucoup d’élites locales dites indépendantes ou autonomistes ont décidés, 65 Thierry MICHALON, L’Outre-mer français. Évolution institutionnelle et affirmations identitaires, L’Harmattan., coll. « Grale », 2011, 164 p. 19 mitigés, de ne pas se prononcer sur une éventuelle évolution vers un statut de PTOM66. De plus, s’il existe des réticences, des interrogations : quitter l’Union n’a jamais été envisagé, et une hostilité n’est pas affichée envers cette dernière. Face à des difficultés rencontrées, les locaux ont été rassurés, car des solutions ont été trouvées, et des réflexions sont menées concernant les problématiques importantes, comme les réformes portant sur l’octroi de mer ou sur les fonds structurels. Mais, dans un contexte de crise et de fragilité économique, des inquiétudes persistent sur certaines questions, notamment autour de la politique agricole ou de la pêche. Selon certains auteurs, comme les autres RUP, la Martinique aurait une « identité ultramarine » 67 [VERGÈS, 2008]. Ils la définissent ainsi car elle n’a pas de territoire commun avec l’ultrapériphérie, le Vieux contient, où s’est créée une identité commune : elle a donc une identité ultramarine fictive, mais ses habitants ne restent pas moins impactés par les décisions prises par l’Union européenne. Si l’identité spécifique créole existe et est revendiquée, il semble néanmoins impossible pour le Martiniquais de ne puisse se dire français et européen quand les lois communautaires s’appliquent sur l’île. De même, il est difficile de ne pas se dire européen quand on utilise comme monnaie l’euro. Pourtant, si la France est mêlée depuis des siècles à l’histoire de l’île, la construction européenne apparaît bien lointaine. Si bien que cette dernière semble être présente sur l’île de l’Union uniquement au travers l’euro, de la législation et des aides apportées. Pourtant le processus de construction, et même l’appartenance à part entière à l’Union européenne, paraissent éloignés au travers une situation géographique isolée, la multiplication de dérogations, mais aussi à cause d’un certain désintérêt envers l’Union elle-même. Il est intéressant de réfléchir sur le lien entre la France et la Martinique vu depuis l’Hexagone, sur la relation entre deux entités éloignées, mais toutes les deux françaises et membres de l’Union. 66 Ibid. Laurent TESOKA, Jacques ZILLER et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mer unis dans leurs diversités, p. 75-85, op. cit. 67 20 On peut s’interroger sur place du Martiniquais dans la conscience et la vision des français originaires de métropole, dont le sentiment européen reste plus fort au travers leur proximité avec l’Europe et ses États membres. Selon un sondage Opinion way effectué pour le Figaro en 2011, 51% des métropolitains ne seraient pas contre l’indépendance des DOM, tandis que 80% des domiens soutiennent leur attachement à la République68. Ces résultats montrent que la moitié des Français voit les DOM comme des entités très distinctes, dont la différence est telle qu’elle justifierait de rompre tout lien avec la France. Ce sondage peut être vu comme un certain détachement d’une partie des français, voire un désintérêt envers de régions très éloignés mais françaises. Cette vision peut être compréhensible : elle est due à l’éloignement, et tient aussi d’une perception géographique des éléments, d’une mer qui fait office de délimitation naturelle dans la conscience collective française. Toutefois, il n’y a pas de rejet de la part des Martiniquais : ils gardent un lien fort avec l’Hexagone, et outre la connaissance d’une histoire commune, ils ont conscience de ce que la France leur apporte, de ce qu’une coupure avec celle-ci représenterait. Sur cette question, l’élément délicat reste le malaise latent identitaire lié à l’histoire sensible de l’île, dont l’origine est le résultat d’importations du continent : cette difficulté peut être évoquée quand est posée la question d’une « identité » européenne au sein de la population martiniquaise. On peut ainsi réfléchir sur les difficultés de ressentir une appartenance à l’Europe, dans une Martinique fondée sur ces particularités acceptées par la France mais aussi l’Europe. Avant de se sentir européen, les Martiniquais gagneraient, en réalité, à évacuer un sentiment de mal être constant concernant son identité française, afin de développer un réel sentiment d’appartenance à l’Union européenne. Ce questionnement est commun aux Antilles françaises. En effet, le guadeloupéen Gérald Théobald note : « Selon le climat, l’humeur, l’actualité et la politique, mon statut de Français est remis cause, mon identité est remise en cause »69 [THEOBALD, 2009]. Dans la notion de sentiment européen, est intrinsèque le sentiment d’être considéré et s’estimer français. Il ajoute : 68 Alban Alexandre COULIBALY, La crise économique et sociale aux Antilles: le cas de la Martinique entre impasse et évolution, Paris, coll. « EPU, Éditions Publibook université », 2010, 47 p. 69 Suzanne DRACIUS-PINALIE, Jean-François SAMLONG et Gérard THÉOBALD, La crise de l’outremer français: Guadeloupe, Martinique, Réunion, Paris, l’Harmattan, 2009, 170 p. 21 « Je suis et je reste à l’image du souvenir des erreurs de l’histoire de France, des implications mélancoliques. Le souvenir d’une France Soleil qui a échoué. Mea-culpa, je suis un produit de cette France »70 [THEOBALD, 2009]. Cette citation résume ce malaise, comme une incompréhension, l’existence de caractéristiques de deux entités qui ne parviennent pas complétement à fusionner. En partant de cette réflexion, on peut aborder une dimension plus large, plus centrée sur l’Europe. On constate que la Martinique, comme les autres RUP français, malgré un statut de département de France et membre de l’Union, n’appartient pas à l’Espace Schengen71 : est-elle donc vue comme un membre de l’Europe à part entière ? Cela nous renvoie à la notion de frontières. D’ailleurs, pour être intégrée, on l’a vu, des dérogations et exceptions sont mises en place. Des ressortissants d’États sudaméricains, alors qu’ils sont dans l’environnement régional de la Martinique, ont besoin d’un visa spécifique différent du visa « Schengen » pour se rendre sur l’île. Cette remarque illustre le fait que la Martinique n’est pas, en soit, naturellement membre de l’Union. Aussi, dans cette perspective, la question du bon développement de liens économiques se pose. Ainsi, la Martinique constitue une entité bien particulière, qui, en vertu de son histoire, est greffée à l’Europe. Mais ce lien, elle ne peut s’en affranchir, car il appartient en part entière à sa construction. Le thème du sentiment européen est également indissociable de la notion de la citoyenneté européenne qui constitue une composante de la problématique. Des auteurs s’interrogent sur la vision qu’ont la société et les politiques locaux de la citoyenneté européenne. L’écrivaine martiniquaise Suzanne Dracius écrit « nous vivons un oxymore, à la fois citoyens français à passeport européen et tutti quanti et citoyens de seconde zone »72 [DRACIUS, 2009]. On retrouve le malaise évoqué un peu plus haut. Pour les martiniquais, il peut y avoir un sentiment d’être entre deux mondes. La présence d’un 70 Ibid. Jacques ZILLER, Laurent TESOKA et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mer unis dans leurs diversités, p. 75-85, op. cit. 72 Suzanne DRACIUS-PINALIE, Jean-François SAMLONG et Gérard THÉOBALD, ˆLa ‰crise de l’outre-mer français, op. cit. 71 22 identitaire français semble être au cœur de l’existence d’un sentiment d’appartenance à l’Europe. Certains évoquent une vision utilitariste de la citoyenneté, renvoyant à des ambiguïtés plus larges. Le philosophe guadeloupéen Jacky Dahomey parle d’une citoyenneté «vécue de façon purement utilitariste » [DAHOMEY, 1999] pour évoquer cette tendance à s’attacher à la citoyenneté en vertu des avantages qu’elle rapporte. Mais une partie de la population voit au contraire les avantages liés à leur statut comme de l’assistanat, comme un sentiment d’être les créanciers de la République.73 On retrouve toutes les ambiguïtés autour de cette question sensible. On peut aller plus loin en réfléchissant sur ce qui définit réellement le fait d’être un État européen membre de l’Union européenne. La Martinique, malgré son insularité, est plus intégrée que des États proches du Continent, mais les Martiniquais semblent plus désintéressés des événements européens que les citoyens de ces États. Sur la citoyenneté des régions ultrapériphériques, Peo Hansen évoque les cas des territoires membres de l’Union mais dit extra européens, comme Melilla ou la Ceuta, qui posent la question de ce qui constitue vraiment l’Europe. Ces territoires, hors du territoire européen, ont tout ce qui caractérise la citoyenneté européenne, comme le vote la liberté de circulation, ou leur appartenance à la zone euro : paradoxalement, ils se trouvent plus intégrés à l’Union européenne que des États, comme le Danemark ou la Grande Bretagne.74 Ainsi, des auteurs parlent d’une citoyenneté partielle. La distance semble s’être répercutée sur le moral des locaux. En Martinique, avec 71% au référendum que la constitution européenne, les appréhensions persistent, montrant que « la citoyenneté européenne, n’est pas, sur le plan politique, pleinement vécu » 75 [OMARJEE, 2008]. La participation aux dernières élections européennes est un exemple significatif : l’abstention sur l’île est de 88,58%76, alors que la moyenne nationale s’élevait à 56,50%77. Pouvant être signe de protestations ou de convictions, ce 73 Thierry MICHALON, L’Outre-mer français. Évolution institutionnelle et affirmations identitaires, op. cit. 74 Peo HANSEN, « European Integration, European Identity and the Colonial Connection », European Journal of Social Theory, vol. 5, no 4, 2002. 75 Jacques ZILLER, Laurent TESOKA et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mers unis dans leurs diversités, p. 49-74, op. cit. 76 FRANCE TV INFO, « Résultats européennes 2014 - Martinique (972) », Mai 2014. 77 TOUTE L’EUROPE, « L’abstention dans les États membres aux élections européennes », 26 mai 2014. 23 chiffre montre également une forme de détachement, de désintérêt envers des élections européennes souvent perçues comme trop lointaines. On l’a vu, au travers la distance, sa situation géographique, ses origines, son histoire, son organisation économique, la Martinique est une île singulière au sein de l’Union européenne. Fruit d’un métissage, ses spécificités sont économiques, sociales et culturelles. Sa relation avec la Communauté européenne est ainsi faite d’exonérations, d’ambiguïtés mais aussi d’apports mutuels. Cependant, ces particularités sont telles, que l’on va aborder dans une seconde partie son intégration dans l’organisation de marché de l’Union européenne, qui, au travers les difficultés et singularités économiques de l’île, semble compromise. L’Union européenne et la Martinique apparaissent comme un ensemble qui ne parvient pas à fusionner. 24 II- La particularité martiniquaise face à l’organisation de marché : difficulté d’intégration ou incompatibilité ? Depuis quelques années, et notamment suite à la crise économique mondiale de 2008, la Martinique est en proie à des difficultés économiques. Elle a aussi une structure de l’économie locale singulière, faites de caractéristiques parfois peu appropriés à une organisation de marché efficace. On peut donc s’interroger sur sa capacité à s’intégrer dans le marché commun, et d’une manière générale, sur sa disposition à se développer économiquement au sein l’organisation de marché. Pour cela, il semble important de comprendre la nature des problématiques de la Martinique au regard du contexte actuel et du marché européen. Outre la mauvaise gestion financière des fonds reçus, le manque de concurrence et la situation monopolistique ne répondent pas aux règles du marché commun. Ce sont des questions d’insertion européenne et de situation économique locale difficile. Aussi, des facteurs culturels soulèvent la question de la capacité même de la Martinique et de sa population à être intégrées dans l’organisation économique européenne. 1- La Martinique, une île lointaine : entre la difficulté à représenter ses intérêts et un marché local restreint, dépendant d’une Union de plus en plus ouverte à ses concurrents La Martinique, en tant qu’île insulaire située à des milliers de kilomètres de l’Europe, a du mal à défendre ses intérêts sur la scène européenne. Selon une étude de la Conférence des Régions Périphériques Maritimes d’Europe (C.R.P.M.), la Martinique appartient au quatrième et dernier cercle concentrique de l’Europe, celui des RUP : les régions situées à moins de 1000 km de Maastricht et de la « banane bleue » industrielle forment le premier cercle78. L’île reste aussi dépendante des aides accordées, et, à cause de son marché restreint, des échanges avec l’extérieur. Sa situation est d’autant plus 78 Jean-Paul VIRAPOULLÉ, Les Départements d’Outre-Mer, Régions Ultra-périphériques et Traitsd’Union de l’Europe, 12 mars 2003. 25 préoccupante que l’Union européenne se tourne de plus en plus vers les régions ou États concurrents, dans des secteurs clés de l’économie locale déjà en difficulté. La région reste confrontée à la distance avec l’Union européenne. Outre une dépendance à l’extérieur et aux subventions accordées, malgré l’éloignement, l’impact de toutes les mesures prisent par la Communauté est ressenti sur l’île. Le marché martiniquais est un marché restreint, et l’île est fortement dépendante des aides publiques, et d’une manière générale de l’extérieur. D’un point de vu démographique, malgré un certain dynamisme, il y a moins d’offres et peu de demandes par rapport à la métropole, avec une population qui s’élève à 397 73279 habitants (recensement de 2006). De plus, la population locale a tendance à beaucoup s’appuyer sur les transferts de fonds publics80. Toutes les aides européennes complètent les versements effectués par l’État français. L’ensemble de ce soutien représente une somme non négligeable malgré les crises, mais sont amenées à être remises en question dans le contexte actuel. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que c’est dans un contexte de recours massif à l’aide publique que les autorités ont commencé à se préoccuper du cas des outre-mer. Entre 1989 et 1999, l’aide moyenne est passée de 125 euros par habitant à 145 euros. 81 L’aide de l’Union européenne a sans cesse augmenté, mais sans dépasser la part du soutien offert par l’État. Cette importance des subventions pour les communes pose la question du dynamisme de l’île qui est depuis longtemps habituée à recevoir beaucoup d’aides de plus en plus remises en question aujourd’hui. Le poids des aides publiques est lié à d’autres facteurs de fragilité de l’économie locale, et tout particulièrement des communes. Il y a une prépondérance du secteur non marchand, qui représente 37,6% de la valeur totale, dont 49,4% des effectifs salariés.82. D’un point de vue général, dans les DOM, les dépenses de personnel par habitant sont 79 INSTITUT NATIONAL DE LA STATISTIQUE ET DES ETUDES ECONOMIQUES, Tableaux économiques régionaux de la Martinique, INSEE, Service régional de la Martinique (Fort-de-France), 2009-2010. 80 Didier MIGAUD et Franc-Gilbert BANQUEY, La situation financière des communes des départements d’outre-mer, op. cit. 81 Jacques ZILLER, « L’Union européenne et l’outre-mer », op. cit. 82 RÉGION MARTINIQUE, Programme opérationnel Martinique: Fonds Européen de Développement Régional et Fonds Social Européen (période 2014-2020), op. cit. 26 supérieures à celles de métropole de 38 % pour les communes, de 89 % pour les départements et de 333 % pour les régions.83 Un paradoxe peut-être soulevé. Ces aides sont telles, qu’elles peuvent apparaître comme un frein au dynamisme économique local. Mais elles sont indispensables à des secteurs majeurs de l’économie. Des auteurs parlent de véritable dépendance de la Martinique, alors que d’autres évoquent un atout majeur sur lequel l’île doit s’appuyer. Didier Benjamin s’interroge sur l’existence d’une « forme douce de domination d’espaces périphériques » 84 [BENJAMIN, 1999]. Les aides sociales serviraient ainsi à tempérer le développement de l’ouverture et des règles de libéralisme. Cette forte protection permettrait d’amorcer un développement grâce à l’apport massif de capitaux publics.85 Toutefois, il faut nuancer cette dépendance : le taux de consommation des crédits européens est incomplet, de l’ordre de 40 à 60 % en 2009.86 Cependant, il est également important de dépasser la notion de soutiens non négligeables et porteurs pour l’île, pour réfléchir sur la gestion de ces fonds publics présents en masse. Cette gestion, se fait sous l’égide de la Région Martinique pour la mise en œuvre les programmes, selon les orientations stratégiques de la Communauté, et les objectifs de de l’État. Ce dernier désigne des autorités de gestion pour encadrer globalement l’élaboration des programmes. Une majoration du taux maximal des fonds est maintenue en faveurs des RUP, et le plafond des fonds qui leur sont consacrés est fixé à 85%. Le Conseil Européen a choisi de renforcer le contrôle en mars 2005, en vue de diminuer le niveau général des aides.87 Néanmoins, cet encadrement n’empêche pas les difficultés de gestion. La région a du mal à développer sa propre stratégie d’adaptation des fonds octroyés à l’île. On peut en particulier s’interroger sur le contrôle de gestion de ces fonds. Il y a un réel besoin de rigueur dans ce domaine. La Cour des comptes évoque « l’absence ou l’insuffisance d’études préalables et de définition précise des besoins » 88[COUR DES COMPTES, 2013], qui conduit, par exemple, des communes à 83 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 84 BENJAMIN Didier, « Intégrations et dépendances », Mappemonde 54, n° 54, 1999. 85 Ibid. 86 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 87 Jacques ZILLER, Laurent TESOKA et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mer unis dans leurs diversités, op. cit., p.305-324 ; 88 Didier MIGAUD et Franc-Gilbert BANQUEY, La situation financière des communes des 27 réaliser des équipements dont l’utilité se révèle contestable. En effet, les communes ne gèrent pas rigoureusement la programmation et le financement de certains programmes locaux, avec des plans de financements imprécis, qui peuvent conduire au vote d’investissements surréalistes qui mènent parfois à un déficit89. Des polémiques concernant les fonds européens. Le scandale récent autour de la gestion des fonds européens de l’Université Antilles-Guyane témoigne de l’opacité de cette gestion. L’organe de recherche de l’université, le CEREGMIA, rattaché à l’UFR de sciences juridiques et économique de la Martinique, a obtenu depuis 2009 des subventions européennes : sur 9 conventions de financements établis, cinq du FEDER dépassent 1,5 millions d’euros. Le suivi de tous ces crédits, normalement obligatoire, est aujourd’hui introuvable. Selon la présidente de l’université, ces crédits « pouvaient être ouverts dans leur quasi-totalité sans suivi véritable, ni politique de recouvrement des recettes », et des frais de dépenses ne seraient pas liés aux objets des programmes de recherche.90 L’université est donc en proie à une enquête judiciaire sur l’administration de ces fonds, et devrait être amène à rembourser des millions d’euros. De plus, des questions concernent la répartition de ces sommes d’argent. Pierre Boulanger, chercheur au groupe d’économie mondiale de Sciences-po, explique en 2009, alors que l’actualité est mouvementée en Martinique, qu’il est « opportun de se demander si ces sommes créent des emplois et sont redistribuées localement ou si elles ne bénéficient qu’à une minorité de riches familles de békés. »91 [BOULANGER, 2009]. Il évoque les sommes astronomiques reçues par les grosses familles blanches créoles (« békés ») de l’île, alors que ces fonds restent destinées à des entreprises dans le besoin. Jean-Michel Hayot a par exemple perçu 16 millions d’euros en deux ans pour 4 habitations. La famille Reynal a reçu huit millions d’euros en 2010-201192. L’importance de ces aides venant de l’Union ouvre sur la question du statut. Il s’agit de réfléchir sur les limites ou problèmes induits par un changement institutionnel entrainé par la demande de plus d’autonomie. départements d’outre-mer, op. cit. 89 Ibid. 90 Antoine LHERMENTENAULT, « L’université des Antilles-Guyane accusée d’avoir détourné des millions d’euros », Le Figaro étudiant, 20 Mai 2014. 91 DAVID Lisa, « Tour de Martinique des subventions européennes », Le blog de Lisa David, 4 février 2013. 92 Ibid. 28 Pour la Martinique, évoluer vers le PTOM inclurait un gain d’autonomie, à défaut d’une perte d’avantages non négligeables. Toutefois, les obligations communautaires s’imposeraient directement à la collectivité dans l’exercice de son pouvoir normatif. Mais toute violation du droit communautaire resterait imputable à l’État. Les lois et droits sociaux ne seraient pas automatiquement et nécessairement remis en cause. Néanmoins, pour une telle évolution, une pédagogie auprès des électeurs doit être faite, pour empêcher la propagation d’idées reçues, répandues à des fins politiques. Après un rejet en 2003, les résolutions de la progression vers une seule collectivité ont été approuvées en 2009 par le Conseil régional de la Martinique ; puis suite à la consultation de 2010, la nouvelle collectivité apparaîtra en 2015.93 Avec un accroissement de responsabilités, cette évolution aura notamment des conséquences sur la gestion budgétaire des aides jusque-là aux mains de la région. Des soutiens dont l’administration, on l’a vu, reste opaque. On peut également se demander si c’est une première étape vers une évolution plus complexe qu’elle n’en parait. Jacques Ziller abordait déjà la question de l’évolution de statut avec les conséquences induites.94 Des partis politiques réclament d’avantages d’autonomie pour l’île. En 1999, la « déclaration de Basse-Terre », émanant des présidents des Conseils régionaux de Guadeloupe, Martinique, et Guyane, demandait plus d’autonomie. L’année suivante, un congrès a rassemblé les élus des Conseils généraux et régionaux des trois îles pour « délibérer de toute proposition d’évolution institutionnelle»95. Ce sont ces congrès qui ont demandé l’évolution vers une collectivité unique.96 C’est donc une démarche de gain d’autonomie. L’article 73, qui se rapporte à l’article 299 du Traité d’Amsterdam définissant le régime juridique des régions ultrapériphériques de l’Union, a créé une passerelle pour les collectivités d’outre-mer entre différents statuts97 . Par exemple, en acceptant de devenir un DOM en 2010, l’île de Mayotte est passée de PTOM à RUP. Si la perspective est envisageable, avancer dans ce sens inclurait une évolution dans la Constitution française vers le territoire d’outre-mer. Mais cela aurait des conséquences beaucoup plus importantes, autour de la gestion publique, mais aussi des acquis dont bénéficie l’île. 93 RÉGION MARTINIQUE, « La collectivité territoriale de Martinique, le projet », 2014. Jacques ZILLER, « L’Union européenne et l’outre-mer », op. cit. 95 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 96 Ibid. 97 Jacques ZILLER, « L’Union européenne et l’outre-mer », op. cit. 94 29 De plus, la Martinique constitue une petite région insulaire fortement dépendante l’extérieur. D’une manière générale, avec la crise sociale, les échanges commerciaux sont en baisse. En 2012, elle connaît un déficit des échanges de biens, avec 1274 millions d’euros en importations et 35 millions en exportations98. Les exportations se composent principalement de pétrole raffiné (pour plus de moitié), de banane et du rhum. Les importations se composent en majorité de produits manufacturés, de produits énergétiques et agroalimentaires. En 2007, la Martinique importe plus de 80% de ses biens de consommation, les trois quart de produits agroalimentaires venant de France continentale.99 Dans un tel contexte, des politiques de redressement des déficits sont nécessaires, sur des projets établis sur le long terme, basés sur un développement durable. Mais ces politiques sont de plus en plus sous l’égide de l’OMC, favorables aux pays industrialisés, mais parfois nettement défavorables aux économies insulaires.100 On en revient au souci d’homogénéité, d’une spécificité, qui, quel que soit le cadre économique d’investissement, doit être pris en compte. Ainsi, les économies de petites tailles sont sans cesse amenées à négocier et défendre leur survie en protégeant leurs acquis préférentiels.101 C’est dans cette situation que se trouve la Martinique : mais défendre sa spécificité, n’empêche pas l’île de se diversifier pour sortir de cette double dépendance, envers les avantages exceptionnels, et envers l’extérieur. Il s’agit notamment, nous le verrons dans une dernière partie, de diversifier ses exportations et multiplier ses partenaires commerciaux. De plus, la Martinique, en tant que collectivité française, ne parle pas en son nom propre, ce qui limite sa capacité à être mieux entendue, et ses possibilités d’être plus active à l’échelle européenne. 98 INSEE, DOM Échanges extérieurs en 2012, 2012. Rémy Louis BUDOC, « Coopération internationale et développement productif local des Outre-mer », op. cit. 100 Jacques ZILLER, Laurent TESOKA et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mer unis dans leurs diversités, op. cit., p.357-394. 101 Ibid. 99 30 En fait, l’île a tendance à passer par l’associatif pour être entendue. Elle ne parle pas individuellement en son nom : elle doit s’appuyer sur le collectif pour défendre efficacement ses intérêts. Avancer collectivement est important en tant que RUP, mais tous les RUP n’ont pas les mêmes spécificités. Quand la coordination des outre-mer repose sur l’expression « unité dans la diversité »102, on peut se demander quelle place peut occuper la Martinique au sein du processus de coordination ; et quelle est la capacité de l’île à travailler en compagnie des entités infraétatiques avec qui elle partage des éléments communs. Le « lobbying insulaire » s’est développé, défendant les intérêts des outremer sur la scène européenne : l’insularité constitue un facteur d’association. Par le biais des organisations ou associations, la revendication régionale auprès des instances communautaires se fait de manière plus intense : ce « lobbying insulaire »103 concerne les relations entre outre-mer et Union européenne, ainsi que celles entre les collectivités d’outre-mer au sein de leur environnement régional. Cependant, les RUP sont tout de même représentés par la Commission lors de certaines négociations. Par exemple, celles menées avec l’OMC : pour faire valoir ses intérêts, elles doivent donc s’efforcer de sensibiliser la Commission sur leurs problématiques en multipliant les rapports, les études d’impact, la transmission transversale d’informations. Parler d’une voix unique permettrait donc à la Martinique, comme les autres îles ultrapériphériques, d’être entendue le mieux possible104. Toutefois, se faire entendre individuellement, c’est faire valoir ses particularités par rapport aux autres RUP. Le chemin pour y parvenir semble encore long. Au sein du Parlement européen, seulement 3 représentants sont désignés pour tous les RUP français, et pour beaucoup de commissaires européens, la Martinique est une région comme les autres qui représente avec les DOM seulement 2% des régions. Cette volonté d’être entendue, l’île, comme les autres RUP de l’Union européenne, la revendique, sur les scènes françaises et européennes. Un dynamisme général s’est développé au fil des années. La déclaration de Teneriffe constitue un point de départ des revendications de 1981. Cette même année, la Commission des Iles est créée : chaque année, des assemblées générales aboutissent à des déclarations finales et des résolutions sur des thèmes précis. Cette Commission se dit indépendante des 102 Ibid., p.153-164. Ibid. 104 Jacques ZILLER, Laurent TESOKA et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mer unis dans leurs diversités, op. cit., p. 325-356. 103 31 institutions de l’Union. L’Assemblée des Régions d’Europe (ARE) ou le Conseil des Communes et des Régions d’Europe (CCRE) agissent également en mettant en avant le rôle des régions au sein de l’Union, et le développement de la participation des autorités locales dans les politiques communautaires. Les RUP ont également intégrés en 1998 l’Association des régions françaises : ils se rassemblent lors des Conférences des Présidents des RUP de l’Union européenne, lieu de concertation, de partenariat et de dialogue. Les structures associatives nationales sont également actives, comme la Commission des ports d’outre-mer qui a apporté sa contribution aux consultations sur la politique maritime de l’Union européenne. Le lobbying est aussi privé, telle que la Fédération des entreprises des DOM (FEDOM), à vocation nationale, qui développe son investissement auprès des institutions communautaires. À Bruxelles, l’Europe et les départements français d’outre-mer (EURODOM) joue aussi un rôle d’information et d’intégration majeur, représentant des intérêts économiques de l’outre-mer.105 Si les revendications sont de plus en plus entendues, le passage de la Martinique par la voie collective, associative, empêche l’île de faire valoir ses propres intérêts, ses spécificités. Aussi, en tant que membre de l’Union, la Martinique a des règles qui s’imposent à elle. Ces directives ne sont pas forcément adaptées à sa situation. En tant que membre elle doit s’en tenir à des impératifs, parfois peu adaptés à leurs spécificités. Certaines attentes et besoins ne sont pas pris en compte. Concernant la question de la possibilité de se tourner vers l’extérieur par exemple, certains vont d’ailleurs plus loin dans leurs critiques. M. Gérard Bailly, président d’EURODOM, avait dénoncé le manque d’attention portée aux attentes des DOM lors des négociations de l’Union avec les États d’Amérique latine. Soulevant le paradoxe avec le soutien accordé par l’Union, il évoque l’échec des négociations car la Commission européenne ne leur permet pas d’exporter dans leur environnement voisin : « Non seulement les DOM n’auront pas accès aux marchés des pays ACP, mais qu’ils devront ouvrir immédiatement leur propre marché aux produits en provenance de ces pays »106 [BAILLY, 2009]. 105 Ibid., p. 153-164. MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DÉPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 106 32 Selon lui, il n’existe pas vraiment de politique européenne d’intégration régionale pour les DOM, en particulier sur la question des débouchés économiques. 107 Par exemple, appartenir à l’espace économique européen inclut le respect de normes imposées par le droit européen en matière environnemental. Aussi, malgré une meilleure prise en compte actuelle des besoins en termes d’agriculture ou de pêche sur l’île, les spécificités des RUP par rapport à celles du continent européen ont pendant longtemps été mises de côté : les mêmes règles s’appliquaient donc à l’île, dont la situation était encore peu prise en compte dans les textes européens en 2009. Ces règles européennes sont souvent inadaptées à la situation particulière de la Martinique.108 À propos de la réglementation européenne, on peut d’ailleurs s’interroger sur l’impact de l’arrivée de l’euro en Martinique, et sur la prise en compte des conséquences sur l’île. La France, avec une participation à la politique financière de l’Union a fait partie du premier groupe de pays ayant obtenu l’euro : comme les RUP de l’Espagne et du Portugal, la Martinique appartient, à la zone euro depuis sa création. Mais cela n’empêche pas les transformations au sein de l’Union, et les évolutions sur le Vieux Continent ont des conséquences sur l’île. Par exemple, leurs coûts d’exportation sont allégés par la monnaie unique, au dépend des marchés locaux moins protégés. Surtout, l’Union n’a jamais constitué un ensemble homogène : si des critères de d’entrée dans la zone euro existent, les pays de l’Union n’ont pas tous remplis les critères dès leur adhésion, et, au niveau national, au sein des régions l’hétérogénéité persiste. Mais avec l’édiction de critères précis, et en particulier liés à la stabilité, la Martinique a pu fonder ses stratégies de développement sur une politique monétaire strictement définie. Cependant, cette dernière est unifiée, élaborée pour l’ensemble de la zone euro, s’appliquant à un groupe d’États membres aux niveaux de développement supérieur à la Martinique. De plus, la politique de change affecte l’économie martiniquaise : elle a des conséquences sur tous les acteurs économiques. Les opérateurs locaux, des plus petits aux plus grands, comme les compagnies aériennes, peuvent être affectés dans leurs prix. Airbus perdrait 1 milliard d’euros si la monnaie européenne s’apprécie de 10 107 108 Ibid. Ibid. 33 centimes109. La BCE intervient de manière exceptionnelle sur les marchés de change, et sa politique « passive » concernant l’appréciation de l’euro pénalise les exportateurs de produits à la faible élasticité-prix, ce qui concerne la plupart des exportateurs antillais. La BCE reste inflexible, estimant que les régions insulaires doivent se débrouiller pour rendre leurs économies plus résistantes et solides110. Entre économie locale restreinte et distante de l’Union, la dépendance extérieure, une gestion financière litigieuse, et un manque de représentions au niveau européen, la Martinique connaît de nombreuses difficultés quant à son intégration dans le marché unique. Le manque de concurrence du marché local constitue un autre facteur d’inadéquation avec le marché commun. 2- Le manque de concurrence du marché local : l’incompatibilité avec les règles du marché commun Le manque de concurrence en Martinique est, sur le plan économique, un des éléments le plus incommodant de l’île. Ce défaut de concurrence est lié à une incapacité à se faire une place dans des secteurs clés et traditionnels de son économie,. De plus, l’Union européenne commerce de plus en plus avec des voisins compétiteurs. Il est aussi de dimension locale, avec des situations monopolistiques qui restreignent le marché, et maintiennent des prix élevés. Le principal problème de l’île est l’incapacité à faire face à une concurrence nouvelle dans des secteurs majeurs, où elle a longtemps jouer un rôle primordial, parfois comme un des principaux fournisseurs du Vieux Continent. Le tourisme est en berne, entre perte de compétitivité et manque d’attraction, notamment face à la progression des îles voisines dans ce domaine. 109 Jacques ZILLER, Laurent TESOKA et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mer unis dans leurs diversités, op. cit., p. 395-410. 110 Ibid. 34 Source d’emplois, ce secteur représente 309 milliards d’euros pour la Martinique en 2011111. Malgré un rebond récent en 2011-2012, les crises sanitaires et sociales, notamment celle de 2009, ont eu leurs conséquences nocives. La Martinique a d’ailleurs essayé de consacrer 10% de ses fonds du FEDER au tourisme112. Pour la Cour des comptes113, il y a un manque de professionnalisme et une insuffisance du parc hôtelier. Son rapport, qui a entrainé une réaction vive de l’outre-mer114, critique un défaut de dynamisme des collectivités et une action publique trop peu efficace. Surtout la Martinique doit faire face aux offres des îles voisines très compétitives. Ces destinations concurrentes sont Porto Rico, Cuba, Jamaïque, ou la République Dominicaine, qui a compté à elle seule plus de 4 millions de touristes en 2012. La Cour évoque une offre touristique « plus adaptée aux attentes de la clientèle internationale »115 [COUR DES COMPTES, 2014]. Elle soulève le problème des liaisons aériennes : pour atteindre Fort-de-France, les touristes européens sont contraints de passer par Paris. Ainsi le départ se fait principalement depuis Orly, mise à part avec la nouvelle compagnie XL Airways : ces derniers qui arrivent majoritairement à Roissy, sont obligés de se rendre à Orly en traversant la capitale. La compagnie XL Airways envisage d’ailleurs d’arrêter ses liaisons avec des DOM : leurs offres de courte durée attirent surtout des touristes plus que les personnes originaires des DOM qui souhaitent rester plus longtemps dans les îles. Les touristes originaires de la zone régionale ont ainsi du mal à se rendre en Martinique. Les liaisons avec le continent américain ont diminué ces dernières décennies. Pourtant des efforts ont été faits : la présidente du Comité Martiniquais du Tourisme (CMT) évoque l’ouverture à de nouvelles compagnies aériennes, comme American Airlines, Seabourne Airlines, ou la Cubana116. Le secteur de la banane reste un exemple révélateur de la perte de concurrence de la Martinique dans un secteur traditionnel de l’économie locale. Le secteur connaît déjà des difficultés localement, liées aux risques climatiques,117 à l’évolution des économies comme l’urbanisation de l’île, ou les contraintes 111 COUR DES COMPTES, Le tourisme en outre-mer : un indispensable sursaut, Février 2014. EUROPACT, Bilan thématique 2007-2013 de la programmation FEDER-FSE, op. cit. 113 COUR DES COMPTES, Le tourisme en outre-mer : un indispensable sursaut, op. cit. 114 PEDEL Patrick « Tourisme: l’outre-mer s’insurge contre les critiques de la Cour des Comptes », Challenges.fr., 13 février 2014. 115 COUR DES COMPTES, Le tourisme en outre-mer : un indispensable sursaut, op. cit. 116 Ibid. 117 MINISTERE DE L’AGRICULTURE, POSEI France : Programme portant mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en faveur des régions Ultrapériphériques, op. cit. 112 35 environnementales concernant par exemple l’interdiction de pesticides118. Ces dernières années, plus de 1000 emplois ont été supprimés dans la filière. Les populations s’en méfient aussi beaucoup plus suite au scandale du chloredecone119. Il y a une baisse du nombre d’exploitations : on note une diminution de 75% entre 1989 et 2005 pour la Martinique. En 2008, les plantations de plus de 50 hectares ne représentaient que 8 % des exploitations, mais assuraient 65% de la production de banane.120 Surtout, depuis les années 90, sur le marché européen, la filière de bananes doit faire face à la concurrence venue des pays africains, comme le Cameroun ou la Côte d’Ivoire, mais aussi depuis les Canaries. Une concurrence d’autant plus féroce que 88% de la production de bananes était encore tournée vers l’exportation en Martinique121. Les pays voisins et les pays africains disposent, comme les produits domiens, d’une entrée dans l’espace économique européen depuis les accords de Lomé. Bien que la Martinique possède de plus grandes exploitations que la Guadeloupe, leur nombre est en baisse, et les exploitations familiales doivent faire face à la férocité des entreprises agroindustrielles multinationales étrangères. Ces grandes compagnies gèrent différemment la structure d’exploitation, et le coût de production de la banane est en moyenne 36% moins élevé que les entreprises françaises. Le coût du travail est un facteur parlant : le coût moyen d’une journée de travail en exploitation martiniquaise est de 66 euros par jour contre 9 euros au Costa Rica, et 2 euros au Cameroun. Les pays de l’ACP sont compétiteurs en termes de prix, mais il y a également les Canaries qui bénéficient de leur proximité avec l’Europe. En effet, les régions plus proches de l’Europe tirent avantage de leur proximité. C’est le cas de l’Espagne dans le secteur de la banane. Dans ce domaine, la qualité finale du fruit est liée au transport : la banane espagnole a une durée de transport de deux jours, contre dix pour la banane antillaise, dont l’éloignement inclus des coûts supplémentaires. Le surcoût global par rapport aux Canaries est ainsi estimé à presque 224,5 euros par tonne122. 118 Ludovic TEMPLE, Philippe MARIE et Frédéric BAKRY, « Les déterminants de la compétitivité des filières bananes de Martinique et de Guadeloupe », Économie rurale. Agricultures, alimentations, territoires, no 308, 30 Décembre 2008, p. 36-54. 119 MINISTERE DE L’AGRICULTURE, POSEI France : Programme portant mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en faveur des régions Ultrapériphériques, op. cit. 120 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 121 Ibid. 122 Ludovic TEMPLE, Philippe MARIE et Frédéric BAKRY, « Les déterminants de la compétitivité des filières bananes de Martinique et de Guadeloupe », op. cit. 36 Le marché du Rhum est un autre exemple probant, où la Martinique est en difficulté face à des régions très compétitrices. Les accords passés par les américains octroient des allègements fiscaux aux Iles Vierges et à Porto Rico. Ils sont désignés comme des formes illégitimes de subventionnement. Les Iles Vierges profitent des « restitutions par le gouvernement américain (…) des droits d’accise sur le rhum pour subventionner la production et la commercialisation de rhum » 123 [CTA, 2012]. En 2011, ces restitutions représentent près de 432 millions par an à Porto Rico, et environ 133,5 millions de dollars pour les Iles Vierges et permettraient aux producteurs de rhum américain de produire à un coût moyen de 20 dollars la tonne, contre 200 dollars pour les producteurs européens du CARIFORUM. Ces subventions auraient également permis de construire une nouvelle distillerie produisant un rhum vendu sur le marché américain. Ainsi, les Iles Vierges produisent 80% des produits vendus sur le marché américain. De plus, les accords de Zone de libre-échange signés ou négociés par l’Union Européenne avec des États de l’environnement régional martiniquais accroissent les risques : ils amèneraient à une hausse des prix des rhums caribéens, et une baisse des prix des produits provenant d’autres sources.124 D’un point de vue général, les négociations actuelles de nouveaux accords commerciaux entre l’Union et les pays d’Amérique latine (UE/Mercosur) agrandissent le marché, et permettent une meilleure intégration de la Martinique dans son environnement. Néanmoins, il reste un risque pour l’île, beaucoup plus vulnérable face aux États d’Amérique latine, et dont les débouchés naturels s’amoindrissent. Sa part de marché à l’échelle locale diminue également. Toutefois, la Commission européenne peut protéger les RUP. Si elle a fixé comme objectif en 2008 d’obtenir au moins 80% de libéralisation des lignes tarifaires sur 15 ans, elle a mis en place des périodes de transition vers une l’ouverture intégrale pour le marché pour le sucre125. 123 CENTRE TECHNIQUE DE COOPERATION AGRICOLE ET RURALE (CTA), « Le secteur caribéen du rhum confronté à de sérieux défis sur les marchés américain et européen », Agritrade, 16 décembre 2012. 124 Ibid. 125 EURODOM, « L’INFORUP de la semaine du 7 au 11 avril 2014 », Avril 2014. 37 L’autre problème est, au niveau local, le manque de concurrence et la situation monopolistique des entreprises martiniquaises dans certains secteurs (la grande distribution, le carburant, la téléphonie). La situation monopolistique de l’île est en opposition avec les objectifs de l’organisation de marché. Selon la théorie économique contemporaine, les marchés sont considérés comme imparfaits quand il n’y a plus de concurrence pure et parfaite : ainsi, des barrières au marché ou des limites d’accès au crédit sont des freins à un bon développement du marché. La « stratégie favorable au marché » datant de 1991 consiste à maîtriser l’intervention de l’État pour qu’elle soit minime. Aujourd’hui, la vision dominante est de maintenir ou mettre en place la concurrence au maximum sur le marché intérieur, et l’organiser concernant les marchés extérieurs.126 Sur le marché martiniquais, cette concurrence n’existe pas. En 2009, 43% des surfaces de vente en Martinique sont contrôlés par un seul acteur, alors que la possession est limitée à 25%. La Fondation IFRAP évoque des monopoles publics détenus par des administrations qui ont les services publics entre leurs mains : elles ont la possibilité de fixer les prix de services publics, voire de renchérir les coûts de produits importés. Elle mentionne aussi des monopoles privés, qui s’opposent aux règles de concurrence prônées par l’Union européenne.127 Ce défaut de concurrence concerne différents secteurs. Par exemple, dans le bâtiment, cette situation amène à une hausse des travaux et des ouvrages majorés par un surcoût de matériaux, coût aussi accru par les frais d’importation. 128 Ce manque de concurrence est visible au travers l’augmentation des prix à la consommation. Avec un marché aux moindres débouchés, des difficultés d’approvisionnement, un marasme économique, les prix à la consommation sont 20 à 50 fois plus chers129 qu’en métropole. Aujourd’hui, les prix restent toujours beaucoup plus élevés qu’en métropole. Ce problème est bien connu des autorités françaises. Suite à la crise de 2009, 126 Jacques ZILLER, Laurent TESOKA et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mer unis dans leurs diversités, op. cit., p. 305-324. 127 Agnès VERDIER-MOLINIÉ et Samuel-Frédéric SERVIÈRE, « Martinique et Guadeloupe : le manque de concurrence comme origine de la crise », op. cit. 128 Didier MIGAUD et Franc-Gilbert BANQUEY, La situation financière des communes des départements d’outre-mer, op. cit. 129 RÉGION MARTINIQUE, Programme opérationnel Martinique: Fonds Européen de Développement Régional et Fonds Social Européen (période 2014-2020), op. cit. 38 la Secrétaire d’État à l’Outre-Mer, Marie Luce Plenchard, affirme sa volonté de renforcer les mécanismes de surveillance du marché dans les DOM, pour résoudre le manque de la concurrence dans la distribution. S’en suivent 137 mesures transversales et territoriales décidées par le Conseil interministérielle l’Outre-Mer, dont le premier chapitre traite sur la concurrence et le marché. Depuis sa création en 2009, l’Autorité de la concurrence a fait de cette question une préoccupation majeure pour l’Outre-mer. Trois secteurs sont principalement touchés par les situations monopolistiques : la grande distribution, les carburants et les télécoms.130 Dans la grande distribution, des prix dépassent parfois 20 à 55%131 de certains produits de métropole. Il y a en 2010 un écart de 44,7%132 sur les produits alimentaires. Une forte concentration de certains groupes, et une présence faible de marques de distributeurs se répercutent sur les prix. D’autant plus que les importateurs ne sont pas confrontés à la pression concurrentielle. En 2012, une dizaine d’affaires liées à des ententes anti-concurrentielles étaient en cours d’examen. Les groupes Hoio et Louis Delhaize appartiennent à ceux qui dominent le secteur de la distribution de détail en Martinique. Le groupe Hoio exploite sa propre enseigne Super H, des supermarchés sous l’enseigne de Casino et des hypermarchés sous l’enseigne de Géant. Dans la distribution alimentaire de gros, elle a sa propre enseigne Multigros. Elle est notamment très active dans le domaine de l’automobile ou du matériel logistique. Ces dernières années, elle acquière une cinquantaine de magasins dont la taille varie entre 250 et 500 m2, à proximité de l’enseigne Ecomax.133 Suites aux acquisitions récentes du groupe Hoio, l’autorité a analysé les conséquences de ces opérations dans différentes zones commerciales de l‘île : au sein des zones du Lorrain et du Robert, elle a estimé que l’obtention de nouvelles enseignes renforcerait la position dominante qu’elle possède déjà sur la zone. Au Lorrain, l’acquisition de l’Ecomax aurait pu permettre à la société de jouer sur les prix pour accroitre son profit, par exemple en augmentant les tarifs dans les magasins qu’elle possède pour pousser sa clientèle à s’orienter vers Ecomax. Ainsi, l’Autorité a autorisé l’opération à condition 130 AUTORITE DE LA CONCURRENCE, Outre-mer - Dynamiser la concurrence au service de tous, La Documentation française, 2011, 157 p. 2011. 131 RÉGION MARTINIQUE, Programme opérationnel Martinique: Fonds Européen de Développement Régional et Fonds Social Européen (période 2014-2020), op. cit. 132 Jean-Pierre BERTHIER, Jean-Louis LHERITIER et Gérald PETIT, Comparaison des prix entre les DOM et la métropole en 2010, 2010. 133 AUTORITE DE LA CONCURRENCE, Outre-mer - Dynamiser la concurrence au service de tous, op. cit. 39 que l’Ecomax soit géré par un repreneur indépendant.134 Les situations monopolistiques sont encore aujourd’hui surveillées : en 2013, 14 enseignes des marques Carrefour, Casino, Franprix et Hyper U se partagent 74,34% de la surface commerciale de la Martinique, et représentent 45,63% du chiffre d’affaire des hyper et supermarchés de l’île.135 Il faut aussi rappeler que le groupe Hoio est une affaire familiale : la société Hoio est contrôlée exclusivement par Monsieur Charles Ho Hio Hen, qui détient la majorité du capital. Le reste du capital est détenu par différents membres de la famille Ho Hio Hen. Cette dernière est à la tête du groupe Ho Hio Hen qui gère les enseignes Ecomax. Au sujet des liens familiaux, l’Autorité de concurrence évoque d’ailleurs la « question de l’existence éventuelle d’un ensemble économique unique » 136 [AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE, 2012]. La présence de quelques familles à la tête des magasins de grande distribution restent un élément prépondérant sur l’île. Les Huygues Despointes, constituent un des deux plus gros importateurs du secteur avec la gestion de Sogedial, et des enseignes Huit à Huit, Champion et Madimarché.137 Pour le secteur des télécoms l’Autorité s’inquiète de la situation de la concurrence, notamment avec la domination de France Telecom qui, en tant qu’opérateur historique, détenait en 2007 plus de 75% du marché dans tous les DOM : l’offre de haut débit était alors limitée. France Télécom, formant une seule entreprise au regard du droit européen avec Orange Caraïbe, a été sanctionné à hauteur de 52,5 millions d’euros pour entrave au développement de la concurrence en 2009. Concernant France Telecom, les sociétés Outremer Telecom et Mobius avaient saisi l’Autorité de la concurrence sur les pratiques abusives de l’opérateur sur les marchés de la téléphonie fixe et l’accès à internet. Il a usé de son ancien monopole pour s’attribuer de manière déloyale les avantages de ses concurrents, ce qui a limité l’arrivée de nouveaux acteurs. Ces actes ont eu lieu entre 2001 et 2006. Par exemple, par la pratique du « winback », France Telecom utilisait les fichiers qu’elle possédait en tant que gestionnaire de la 134 Ibid. PREFECTURE DE LA MARTINIQUE, « Le Bouclier Qualité-Prix : accord signé ! », Les services de l’État en Martinique, 30 mai 2013. 136 AUTORITE DE LA CONCURRENCE, Décision n°10-DCC- 25 du 19 mars 2010 relative à la prise de contrôle exclusif d’actifs du groupe Louis Delhaize par la société H Distribution (groupe Hoio). 137 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 135 40 quasi-totalité des boucles locales pour convoiter par des actions commerciales ciblées d’anciens abonnées qui s’étaient tournés vers des opérateurs concurrents. Quant à Orange Caraïbe, c’est aussi 75% du marché de téléphonie mobile que la marque détenait entre 1996 et les années 2000. Profitant de sa position historique, elle a multiplié les accords d’exclusivité avec les distributeurs indépendants, avec des clauses d’exclusivité qui en font le seul réparateur agréé de terminaux dans toute la Caraïbe, empêchant la proposition de tout nouvel acteur de maintenance sur l’île. Elle a aussi pratiqué des différentiations abusives de tarifs, renforçant entre autres son réseau.138 Si le marché a été élargi par la venue de nouveaux opérateurs internet, l’Autorité continue encore aujourd’hui à surveiller France Telecom. Cette situation a défavorisé l’entrée et le développement de nouveaux concurrents sur l’île, au dépend de la qualité du réseau et de l’offre, et des prix. Concernant les carburants, l’approvisionnement sur l’île se fait au travers des mécanismes monopolistiques, an niveau de l’achat, du fret, du raffinage, et du stockage. Les prix sont réglementés, et si les pouvoirs publics ont établi un plafond de prix pour éviter une concurrence insuffisante, le prix du carburant s’est éloigné des objectifs de départ : l’Autorité de la concurrence a constaté une régulation des prix insuffisante sur monopoles d’approvisionnement, ce qui a encouragé les rentes, et a amené à l’avènement d’un système de prix unique facilement manipulable. Ces prix uniques ont aussi fait disparaitre toute incitation des détaillants à proposer des prix inférieurs. Face à l’impossibilité d’adapter les prix à leurs propres contraintes économiques, les revendeurs ont sans cesse demandé des revalorisations périodiques, qui ont, en réalité, profité à tous. Cette situation aboutit à un système de rente, au profit des commerçants les mieux placés et les plus rentables. Les pétroliers détenteurs des fonds de commerces en tirent les avantages. Entre 2001 et 2009, la marge totale de commercialisation entre l’achat au détail et l’achat au gros a augmenté de 20%, avec une hausse d’un peu plus de 2,50 euros.139. Si le manque de concurrence montre un décalage avec les objectifs du marché commun, il est intéressant d’aborder une dimension plus culturelle de l’analyse. Cette 138 139 AUTORITE DE LA CONCURRENCE, Outre-mer - Dynamiser la concurrence au service de tous, op. cit. Ibid. 41 vision différente expliquerait les difficultés de l’économie locale à s’adapter au marché commun, avec lequel la greffe ne semble pas prendre. 3- Le facteur culturel : une approche pouvant expliquer l’incapacité de la Martinique à s’adapter et s’intégrer au marché commun Selon certains auteurs, des facteurs culturels expliquent une incapacité de la Martinique à s’adapter à l’économie de marché et aux logiques économiques de l’Union européenne. Sur l’île, il y aurait une culture, fruit d’un métissage entre un modèle européen et un modèle africain, incompatible avec les objectifs de l’économie de marché et celles des institutions publiques modernes. Cette approche différente permet d’aborder une cause plus profonde des difficultés économiques de l’île, et de son décalage avec le marché unique. Un débat s’est développé sur un postulat implicite : savoir si « la culture des populations de l’outre-mer les prédisposait tout autant que celles de l’Europe continentale au développement économique et social » [MICHALON, 2011]. C’est la thèse que soutient Thierry Michalon, spécialiste des institutions et des problématiques d’outre-mer. La loi dite d’orientation sut l’Outre-mer du 13 décembre 2000 invoquait une situation particulière qui se caractérise par « des handicaps structurels indéniables contraignant à leur développement économique et qui ont été reconnus par l’Union européenne, à laquelle ils sont intégrés »140 [ASSEMBLEE NATIONALE, 2000]. Une situation qui ne se limite pas aux motifs géographiques, aux éléments naturels : elle est également liée à « une histoire (…) marquée par la résistance à l’esclavage »141 [ASSEMBLEE NATIONALE, 2000], à des éléments culturels propres, qui placent les îles et les personnes qui en sont originaires entre deux cultures, européenne et africaine. 140 Thierry MICHALON, L’Outre-mer français. Évolution institutionnelle et affirmations identitaires, op. cit. 141 Ibid. 42 L’écrivain martiniquais Edouard Glissant aborde cette question sociétale et culturelle. Selon lui, « le Martiniquais n’est pas historiquement intéressé à des rendements et ni à des améliorations techniques », ce qui serait lié au fait « qu’il ne maîtrise rien d’une production collective (…) dans son pays » [GLISSANT, 1997]. Il mentionne un désintérêt pour le progrès économique, qu’il explique par un pessimisme du Martiniquais concernant son futur, dû au traumatisme de l’Histoire et à un héritage culturel qui ne l’oriente pas vers la préparation de l’avenir. Ceci expliquerait une tendance à être obsédé par la jouissance immédiate142, et notamment, une propension plus importante à se tourner vers une consommation immédiate, sans toujours inclure une réflexion concernant de futurs investissements. Cette vision semble peu optimiste concernant l’adaptation de l’île aux exigences d’un marché commun tel que celui de l’Union européenne, et peuvent justifier les exceptions accordées aux RUP. Mais, elle peut aussi être vue comme une forme d’ethnocentrisme, voire une « excuse identitaire » pour justifier un éventuel désintérêt envers aux enjeux économiques. Mais pour une compréhension plus approfondie, on peut revenir à l’histoire martiniquaise. La société de plantation a créé une culture économique spécifique, où l’« idéologie ascétique de la bourgeoisie capitaliste y est demeurée inconnue » [MICHALON, 2011]. Il s’y est développé une vision de la vie particulière, avec une prédominance des transferts publics et sociaux. Au XIXème siècle, la société de plantation se différencie de l’Europe, alors en pleine industrialisation, ce qui a entraîné le développement d’une société particulière. Cette dernière s’est imprégnée d’une hiérarchie fondée sur la coercition et la couleur de peau : elle s’est attachée à briser toute forme de résistance en s’appuyant sur une gestion de la main d’œuvre servile. Diverses formes de collectivités se sont développées permettant de survivre face à des conditions de travail extrêmes. Dans Société de plantation (1999), L.F. Ozier-Lafontaine évoque une « valorisation de l’esprit de résistance et de la fronde contre l’ordre établi » comme le marronnage143. L’abolition de l’esclavage aurait ainsi incité l’homme devenu libre à éviter le salariat pour être 142 143 Ibid. Ibid. 43 artisan ou paysan indépendant, tandis que l’insularité conférait un isolement aux populations non confrontées au brassage de peuple et à la révolution industrielle, loin de facteurs de solidarités nouvelles basées sur des intérêts communs avec l’Hexagone. Une culture économique héritée du monde des plantations s’est développée, loin de la culture d’entreprise. Elle a engendré l’émergence d’une véritable économie parallèle fondée sur une entraide familiale et amicale, créant une forme d’échanges non rémunérés, avec un réflexe de la débrouillardise pour s’assurer de pouvoir vivre au quotidien, en marge des circuits économiques144. Un proverbe créole est encore aujourd’hui souvent utilisé, symbolisant cette vision : « Débrouya pa péché », signifie que le débrouillard n’est pas en faute et verra ses efforts récompensés. Cette société créole serait, selon Thierry Michalon, restée éloignée de l’éthique qui a pénétré la classe bourgeoise sous l’Empire. C’est notamment sous l’influence des visions protestantes que cet esprit acétique s’est propagé : il se caractérise par la constitution d’une forte épargne, en vue d’un taux d’investissement dans des modes de productions plus efficaces, entrainant une hausse du niveau de vie. Aussi, à l’attrait pour la compétition individuelle, s’ajoute un penchant pour la prise de risque. Si les grandes familles blanches créoles ont été marquées en parti par cette éthique, la globalité de la société martiniquaise est restée à l’écart de cette culture.145 Ces grandes familles de Blancs créoles continuent à dominer l’économie martiniquaise aujourd’hui : délaissant la terre et les plantations, elles ont su se tourner vers des secteurs plus porteurs comme la distribution, dont les bénéfices n’ont fait que croitre avec la mondialisation. La famille Hayot146 est un exemple évocateur: elle est présente aujourd’hui dans l’industrie, le commerce ou l’agriculture. D’autres grandes familles dominent, comme les Huyghes-Despointes, les Pompignan ou les Aubérye. Face à ces clans, les Lancry restent sur l’île la principale famille noire entreprenante dans le domaine des affaires.147 Aussi, un dynamisme est venu d’ailleurs, dès le début du XXème siècle : les syriens tenant les épiceries sur l’île ou les Ho hio hen, dont les ancêtres sont arrivés de Chine dans les années 30, se lançant dans le commerce avec l’ouverture d’une petite épicerie.148 Selon l’auteur, il y une forme de rejet de la part des 144 Ibid. Ibid. 146 Béatrice VANDEVOORDE, « Les familles qui font la Martinique Réussites plurielles », L’Express, 17 octobre 2002. 147 L’EXPANSION, « Les 10 familles les plus entreprenantes de La Martinique », L’Express, 1 décembre 2008. 148 Béatrice VANDEVOORDE, « Les familles qui font la Martinique Réussites plurielles », op. cit. 145 44 populations antillaises, qui s’explique par une envie d’échapper aux contraintes institutionnelles que représentent les mécanismes de marché et le travail, associés dans les mentalités locales, aux labeurs de l’esclave, et à une recherche de la consommation immédiate.149 La population gagnerait à trouver un juste milieu entre transmission d’un passé douloureux et une capacité à s’affranchir de cette mentalité pour mieux avancer. L’importance des transferts publics et sociaux, amène à la création d’une vision spécifique de la vie. La mise en place d’une administration départementale, et l’application des lois sociales de l’Hexagone dès 1948, a conduit à un développement de la fonction publique dans la population active, et une sur-rémunération dû à l’époque coloniale. Les transferts sociaux et les traitements de la fonction publique ont occupés une place majeure dans le revenu des ménages qui apparaissent de plus en plus déconnectés de la vie économique productive. Dès 1993, le traitement des agents publics et les prestations sociales représentent environ 4/5 des revenus des ménages. Le flux croissant des fonds structurels a aggravé cette situation. B.François Lubin dans Les méandres de la politique sociale outre-mer évoque des sociétés « surdéveloppées sur le plan social et sous-développées sur le plan économique ». Un esprit d’entreprise, entre prise de risque et volonté d’investissement et d’épargne, quitte à agir au dépend de la consommation, est trop peu répandu : une culture d’assistance, peu propice au développement économique, s’est installée, avec une part prépondérante des transferts sociaux dans les revenus des ménages.150 Des auteurs camerounais, Axelle Kabou et Etounga Manguelle, abordent la question du refus du progrès des sociétés martiniquaises, et plus généralement antillaises. Les composantes de la culture africaine sont d’ailleurs un sujet sensible aux Antilles, car elles ne sont pas aisément reconnues. 149 Thierry MICHALON, L’Outre-mer français. Évolution institutionnelle et affirmations identitaires, op. cit. 150 Ibid. 45 Manguelle évoque tout particulièrement l’existence d’un « piètre homo economicus » comme une caractéristique de la culture africaine : l’économie et la production de richesse restent liées aux rapports sociaux. Avec l’exemple de la marchande de légumes, l’auteur explique que cette dernière accorde plus d’importance à la reproduction de son identité sociale au travers l’interaction avec ses clientes qu’aux bénéfices qu’elle retire de son échange. Le profit est vu comme un bien communautaire qui est consommé par la famille, et les dépenses empêchent tout objectif d’investissement. De plus, la conception du temps n’inclut pas une projection vers l’avenir. Pourtant, du fait de son histoire, de la particularité de la culture créole, la Martinique reste pénétrée par un modèle européen dont les caractéristiques s’opposent à cette particularité de l’héritage africain. Ce modèle européen s’appuie sur la recherche de profit à travers la concurrence, l’accumulation du capital et l’épargne pour investissement.151 Ainsi, une telle analyse nous amène à nous questionner sur la capacité de la Martinique à se fondre dans le moule du marché commun de l’Union européenne, qui est d’une part éloigné, mais qui a aussi des règles particulières et strictes, peut être inadaptées à la spécificité de l’ile. La question est de savoir si une exception peut être maintenue pour la Martinique, et si les difficultés économiques de l’île ne sont pas dues à ces spécificités. Il est important de se demander si elle devrait pour autant rompre avec une Union européenne dont elle reçoit les avantages, et avec qui elle partage une partie de la culture. Et, dans ce cas, si elle ne serait pas perdante d’un point de vue économique. Les élus et intellectuels de l’outre-mer évoquent souvent les particularismes culturels de ces populations, qui nécessiteraient le maintien de l’application de règles spécifiques et la création d’institutions particulières, compatibles avec les règles du droit commun ou l’organisation institutionnelle des collectivités territoriales de droit commun. Mais peut-être évoquent-t’ ils trop cette nécessité de compensations, au dépend d’une prise en main de la société afin de dynamiser son économie locale. Tous ces éléments culturels, sensibles, peu évoqués, restent mis dans l’ombre par des éléments naturels beaucoup plus mis en avant. Le manque de concurrence, la 151 Ibid. 46 dépendance, l’éloignement, l’étroitesse du marché, sont des raisons économiques plus connues, expliquant les difficultés de l’île à s’intégrer au marché commun voire une forme d’inadaptabilité. Cependant, parler d’incompatibilité avec le marché européenne, c’est aussi radicalement cantonner l’île dans ses problématiques, la condamner à être membre d’une organisation qu’elle ne pourrait jamais totalement intégrer : il faut plus évoquer ses particularités locales comme ralentisseur dans le processus d’insertion à l’Union européen. Dans cette perspective, il est intéressant de réfléchir à l’avenir de la Martinique au sein de l’Union européenne, et sur des solutions qui peuvent l’aider à avancer pour pallier son retard d’insertion. 47 III- Quelle solutions pour l’avenir de la Martinique au sein l’Union européenne ? Après avoir abordé les spécificités de l’île au sein de l’Union, ses difficultés et particularités économiques, nous allons maintenant évoquer des solutions misent en œuvre, évoquées ou envisagées pour la Martinique au sein de l’Union. Suite à une approche de la nature des problèmes, il s’agit de déterminer les éventuelles actions et initiatives qui peuvent être apportées concernant l’avenir de l’île dans l’Union. Outre la nécessité de prendre de mesures politiques et économiques, il y a aussi un travail à faire sur les mentalités locales. 1- Lutter contre les monopoles et améliorer la gestion financière : maîtriser les prix, relancer la concurrence, et dynamiser l’économie locale Pour mieux adapter l’économie de l’île à l’organisation de marché, et la rendre plus dynamique, lutter contre les situations monopolistiques est une priorité. Il s’agit d’assurer une maitrise des prix au travers une relance de la concurrence et un contrôle de la fixation des tarifs. Cela passe également par le développement d’une meilleure gestion financière de la part de l’administration locale, mais aussi des locaux. L’innovation a aussi un rôle majeur à jouer. Ce sont des initiatives, des idées, de la plus anodines aux plus évidentes, qui concernent l’économie locale comme le comportement des martiniquais. Développer le marché martiniquais et multiplier les flux semblent majeur pour agir sur les prix, mettre en place une concurrence économique, et limiter les initiatives monopolistiques. Pour dynamiser le marché, il est nécessaire pour la Martinique d’être plus attractive en terme de prix et limiter la cherté des produits. 48 Un effort doit tout d’abord être fait sur le contrôle des prix. Il s’agit d’aligner la Martinique sur les prix compétitifs du marché européen, et la rendre plus attractive que rapport ses concurrents régionaux. Sans laisser de côté ses particularités liées à la distance, c’est un travail primordial. Au niveau national, l’inflation est plus importante en Outre-mer. En 20 ans, entre 1999 et 2007, les prix ont augmenté de 39,1% en Martinique. Les taux sont notamment plus importants dans le domaine de l’alimentation.152 En 2010, les prix sont supérieurs de 9,7% par rapport à la métropole153. Pour mieux comprendre ces hausses, la nature des tarifs ou les écarts existants, un outil a été créé, afin d’accroitre la transparence en terme d’informations aux consommateurs et d’analyser la situation du marché. Les Observatoires des prix, des marges et des revenus outre-mer ont été créés en 2007154. La mise en place de sanctions ou amendes pour les abus a été peu à peu développée.155 Pourtant, ce système doit être renforcé et approfondi. Il y a une nécessité de communications entre les services d’État observant la chaîne de formation des prix que sont la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DDCCRF), les Douanes et l’INSEE156. La surveillance des prix doit également être encouragée par les organismes tournés vers l’Europe. Dans certaines filières comme l’agriculture, il existe des observatoires européens du prix et du marché : c’est le cas pour le lait157 ou la pêche et l’aquaculture158. Plus d’outils en ligne sur ces modèles doivent être créés pour les produits dont les prix sont sensibles aux fluctuations mondiales, comme la banane. Ces outils sont nécessaires dans d’autres domaines, surtout les produits alimentaires de première nécessité. Dans le domaine de la distribution, cette question est capitale pour améliorer le pouvoir d’achat des martiniquais. L’information aux consommateurs et la transparence sur les prix sont primordiaux. Les dispositifs d’aides aux entreprises devraient être reconsidérés et améliorés : des prix 152 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 153 Jean-Pierre BERTHIER, Jean-Louis LHERITIER et Gérald PETIT, Comparaison des prix entre les DOM et la métropole en 2010, op. cit. 154 OBSERVATOIRE DE L’OUTRE-MER, « Les Observatoires des prix, des marges et des revenus outre-mer », 2014. 155 Alban Alexandre COULIBALY, La crise économique et sociale aux Antilles, op. cit. 156 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 157 EUROPEAN COMMISSION, « European Milk Market Observatory », AGRICULTURE AND RURAL DEVELOPMENT, 2014 158 EUROPEAN COMMISSION, « European Market Observatory for fisheries and aquaculture (EUMOFA) », 2014. 49 élevés restent constatés pour certains produits, malgré les aides ou compensations reçus par les producteurs locaux. En 2008, l’observatoire de la Martinique a déjà effectué un travail sur deux thématiques, le panier de la ménagère et la continuité territoriale159. Mais sur le site de l’Observatoire de l’Outre-Mer, la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane restent les seuls DOM pour lesquels les publications sur la question ne sont pas encore en ligne160. Il s’agit d’approfondir des outils utilisables sur le long terme, mis à jour régulièrement, spécialement consacrés à la Martinique, accessibles aussi bien aux consommateurs, aux services publics et aux professionnels de la distribution. Une liste161 de base avait été établie suite aux mouvements de grève de 2009: si elle a été actualisée, elle gagnerait à être réduite à des produits qui sont véritablement de premier ordre de la vie quotidienne, afin d’appliquer de meilleures baisses sur les prix. Par exemple, le 15 mars 2013, un accord sur des plafonds de prix a été signé, pour une liste de produits établie dans le cadre du Bouclier Qualité-Prix162 : à la différence de celle de 2009, c’est une liste des principaux produits génériques utilisés par les ménages, et non de « produits de première nécessité ». On observe un pointage très précis de produits de consommation. Mais, sur la liste des 101 produits,163 des éléments qui occupent une grande partie de la consommation locale, et notamment des denrées périssables tels que l’ananas ou la mangue, n’apparaissent pas. Aussi, la tomate, dont les prix au kilo restent très élevés (jusque plus de cinq euros le kilo), n’appartient pas à cette liste sur laquelle le sirop ou différents types de déodorants sont mentionnés. Cependant, il y a également un travail à faire sur les mentalités. Améliorer le pouvoir d’achat est un point important, mais il est aussi question des habitudes de consommation de produits qui constituent ce pouvoir d’achat. En effet, la liste initiale publiée par le Collectif du 5 février, témoigne de la nécessité de changer les visions courantes de consommation : dans les produits de premières nécessités, apparaissaient le fromage râpé, les confiseries, le rhum, la bière, les boissons gazeuses, ou les gants de toilettes. D’autres éléments peuvent porter à sourire, comme la présence de la pomme de terre, de la purée et des frites. Aussi, pourquoi mentionner le sucre importé quand 159 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 160 OBSERVATOIRE DE L’OUTRE-MER, « Observatoire de l’Outre-mer - Travaux des observatoires », DÉGÉOM, 2014. 161 Jean-André VIDAL, « Les produits de première nécessité en Martinique », Le blog de Jean-André Vidal, 12 février 2009. 162 PREFECTURE DE LA MARTINIQUE, « Le Bouclier Qualité-Prix : accord signé ! », op.cit. 163 Ibid. 50 l’île produit du sucre local qui pourrait être mis en avant au profit des producteurs locaux. Ces exemples peuvent paraître anodins, mais il y a un travail de sensibilisation sur la priorité à donner à la consommation vitale, c’est-à-dire, établir la distinction entre ce qui est de l’ordre de première nécessité de la vie quotidienne, et ce qui tient du confort. Dans le documentaire La liste des courses164 de Gilles Elie-dit-Cosaque, il y est évoqué l’importance d’une consommation ostentatoire, marquée par l’apparence, où montrer ce que l’on peut acheter est considéré comme plus important que la satisfaction de besoins vitaux : des intellectuels, des acteurs locaux parlent d’une création de besoins supplémentaires, non indispensables. Ce reportage défend l’idée que le mécontentent du mouvement contre la cherté de la vie est également liée à une « impossibilité de consommer tout ce qu'elle voudrait et non de l'impossibilité de répondre à ses besoins vitaux. »165 De plus, sur cette question, les populations ont plus tendance à accepter au quotidien la cherté de la vie sans pour autant contester. Il ne s’agit en aucun cas de pousser la population locale à une nouvelle grève ou à quelconques débordements : il faut pousser les Martiniquais à se montrer ensemble attentifs à la problématique des prix. Ces derniers n’ont jamais vraiment voulu s’engager dans des initiatives concrètes. Plus simplement, il faut sensibiliser les populations sur leurs habitudes de consommation, la comparaison des prix, les amener à sortir d’une logique de fait accompli, et surtout, voir les choses d’un nouvel œil. Concernant les prix, la Martinique pourrait également mieux tirer profit des changements liés à la monnaie unique. En effet, par exemple, la disparition des coûts de change et la valeur de la devise européenne pourraient faciliter certains flux touristiques166, atout économique sur lequel peut jouer la Martinique. C’est un point que l’ile gagnerait à mettre en avant pour attirer des visiteurs européens qui ont toujours tendance à plus se tourner vers d’autres îles caribéennes. En tant que membre, et malgré les contraintes liées à la politique de change de la BCE et son intransigeance, les acteurs économiques martiniquais doivent ainsi développer une stratégie plus offensive sur les différents marchés de natures local, unique, ou mondiale. Encourager la concurrence et limiter les monopoles constituent des éléments primordiaux pour le développement, et l’amélioration de l’économie locale. 164 Gilles ELIE-DIT-COSAQUE, La liste des courses, La Maison Garage / France Télévisions, 2011. David MARTIN, « La liste des courses sur France Ô », 29 octobre 2011 166 Jacques ZILLER, Laurent TESOKA et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mer unis dans leurs diversités, op. cit., p. 395-410. 165 51 Pour l’Autorité de la concurrence, il est nécessaire d’agir dans les secteurs les plus monopolistiques. La problématique de la lutte contre la concurrence et des monopoles concerne aussi la question des prix. C’est là où il faut agir. Dans le secteur du carburant par exemple, l’Autorité de la concurrence émet des propositions en vue d’encadrer les monopoles et de proposer un meilleur prix. Outre une régulation des prix au niveau de l’approvisionnement, il faut ouvrir l‘importation de carburants à d’autres opérateurs, n’appartenant pas à des compagnies pétrolières déjà intégrées au marché. Le prix du fret devrait aussi être adapté aux coûts. Ainsi, un prix plafond commun, « égal à la somme des deux prix régulés » 167 [AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE, 2011] doit être fixé par les pouvoirs publics : cet unique prix de gros pourra être réajusté par les autorités selon les fluctuations mondiales des prix. L’Inspection générale des Finances préconise notamment une mutualisation des coûts de transports, aujourd’hui surévalués, entre les trois DOM français des Antilles.168 Aussi, pour éviter des situations stagnantes et fluidifier le marché, les contrats de fournitures exclusives entre détaillants et grossistes doivent se limiter à 5 ans. En 2010, un décret a été voté dans l’optique de répondre à ces objectifs sur les prix169. Le 13 févier 2013, une procédure de consultation sur le marché du fret maritime aux Antilles, pour la ligne Antilles-Europe du Nord, a été ouverte pour lutter contre l’absence de concurrence.170. Suite à l’action de l’Autorité de la concurrence et les engagements pris par les entreprises en partenariat monopolistique, le prix du fret devrait diminuer d’ici la fin de l’année171. Dans la distribution, il s’agit notamment de fluidifier la concurrence « en supprimant les barrières réglementaires à l’entrée ». Des réformes ont déjà été mises en place dans le cadre de la loi de modernisation de l’économie, pour développer la concurrence eu sein du marché de détails. Par exemple, le contrôle exercé par la Commission départementale d’aménagement commercial en cas d’implantation de certaines grandes structures commerçantes a été supprimé.172 La Martinique doit profiter d’un atout majeur : être un membre de l’Union européenne dans le bassin caribéen. Face à la compétitivité étrangère la France peut 167 AUTORITE DE LA CONCURRENCE, Outre-mer - Dynamiser la concurrence au service de tous, op. cit. MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 169 Ibid. 170 MINISTÈRE DE L’OUTRE-MER, « Ouverture par l’Autorité de la concurrence d’une procédure de consultation sur le marché du fret maritime aux Antilles », 15 février 2013. 171 FRANCE-ANTILLES, Le coût du fret maritime pourrait baisser, 17 septembre 2013. 172 AUTORITE DE LA CONCURRENCE, Outre-mer - Dynamiser la concurrence au service de tous, op. cit. 168 52 compter sur l’appui de l’Union. Elle a pu obtenir de la Commission européenne qu’elle accepte le principe d’une clause de sauvegarde régionalisée : dans l’urgence d’une perturbation du marché local sur l’île, il est permis de demander à la Commission de rétablir les droits de douane sur certains produits pour une durée déterminée. Elle a refusé de maintenir des droits de douanes sur une liste de 40 produits, sauf pour l’entrée du sucre et de la banane en provenance des pays ACP pour vingt ans. Toutefois, accorder des dérogations reste un soutien à court terme. Il faut travailler sur la longue durée, sur une solution complémentaire voire de substitution, afin de renforcer durablement l’économie locale, d’autant plus que ce soutien, on l’a vu n’est pas destiné à être éternel. Ce sont toutes les actions visant à rétablir la concurrence qui sont importantes. Enfin, agir sur la question des marchés, c’est également renforcer l’insertion de la Martinique au sein du marché unique.173 Il ne faut pas s’en tenir au simple constat de difficultés et de spécificités liées à la distance entre le Vieux Contient et l’île. Avec 504 millions de personnes174, le marché européen constitue un avantage pour la Martinique. Les entreprises locales doivent être plus offensives sur le marché européen. Par exemple, l’insertion de grandes marques locales dans les grandes surfaces françaises, voire européennes est à développer. Des entreprises ont réussi à le faire : mais elles sont présentent uniquement dans quelques supermarchés, et en nombre réduit. Il faut montrer en quoi, de par leurs spécificités, certains produits doivent être intégrés dans le choix de la clientèle européenne. C’est une initiative ambitieuse, mais qui peut être expérimentée. Si la barrière naturelle avec l’Union est non négligeable, elle n’empêche pas une intégration économique plus approfondie, qui ne peut être que vecteur de développement pour l’île malgré ses handicaps. Au-delà des luttes contre les monopoles et pour la maitrise des prix, il faut réfléchir à des initiatives palliant les dépendances diverses de la Martinique. Au regard de l’importance des dépendances de la Martinique aux aides européennes, et liées au manque de compétitivité, il convient de s’interroger sur les 173 RÉGION MARTINIQUE, Programme opérationnel Martinique: Fonds Européen de Développement Régional et Fonds Social Européen (période 2014-2020), op. cit. 174 Ibid. 53 alternatives de l’île. Le renouveau du dynamisme tient de l’innovation, de ses atouts économiques à valoriser. Sur les aides publiques, la question se pose de diminuer les soutiens ou d’apprendre à s’en affranchir, soit par anticipation de baisses dans les années à venir, ou soit en recherchant d’autres solutions de financements complémentaires voire de substitutions à ces aides. L’IFRAP évoque le principe de la « préférence communautaire », qui maintient l’île dans une situation de dépendance aux produits de la métropole, au dépend de productions issues de la région (États-Unis, Mexique, Brésil), qui pourrait être tout aussi bien accessible. D’où l’importance d’une véritable concurrence non faussée, qui peut être basée sur un arbitrage de Bruxelles. Assurer la concurrence permettrait une économie plus saine, qui devrait par la même occasion, avoir des répercussions positives sur les prix et les comportements. Ces effets positifs permettront de réduire l’importance des transferts publics, et les majorations données aux fonctionnaires.175 Cependant, il est important de rappeler les nuances sur cette forme de dépendance. On l’a vu, les crédits européens n’ont été pas entièrement consommés : pour la période 2000-2006, la Martinique a utilisé environ 40% de ses fonds du FEDER. À ce sujet, il est d’ailleurs nécessaire de décomplexifier les procédures176 permettant de consommer ces fonds, afin d’améliorer l’utilisation de ces fonds européens. Mais, sur les aides publiques, l’urgence reste la bonne gestion financière : améliorer les priorités d’attributions de subventions et leur usage. En effet, il faut améliorer la gestion des fonds publics, et notamment des aides européennes reçues. L’apport massif de capitaux publics auraient développé des formes de handicaps particuliers, voire une l’absence d’une autonomie de décision177. Il faut gérer le surplus d’emplois publics proposé par les communes, et régler un manque des recettes qui rend difficile une capacité importante à investir. C’est pourquoi la Cour des Comptes recommande un recours à des investissements réalistes et à des plans de financement précis, accompagnés de bases juridiques solides.178 La croissance semble 175 Agnès VERDIER-MOLINIÉ et Samuel-Frédéric SERVIÈRE, « Martinique et Guadeloupe : le manque de concurrence comme origine de la crise », op. cit. 176 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 177 Didier MIGAUD et Franc-Gilbert BANQUEY, La situation financière des communes des départements d’outre-mer, op. cit. 178 Ibid. 54 plus impulsée de l’extérieur, montrant la dépendance et la fragilité de la Martinique.179 De plus, certains auteurs s’interrogent sur l’importance des subventions européennes attribuées aux grande familles de planteurs de la Martinique, qui ont notamment leur part de responsabilité dans la situation monopolistique de l’île dans certains secteurs. Paradoxalement, les employés de ces grosses plantations demandent régulièrement une amélioration des conditions de travail ou de meilleurs salaires. 180 Face à l’opacité de la gestion de ces fonds, on peut se demander si ces fonds profitent réellement à la population, s’ils sont utilisés à bonne escient, et, s’ils ne sont pas surévalués. Quel que soit le secteur concerné, il faut réexaminer l’action du secteur public. C’est notamment primordial pour les subventions de fonds européens, dont la gestion trop obscure doit être surveillée, afin de maximiser leur utilisation en termes d’entreprenariat et d’investissement au service de l’économie locale. Plus qu’un plan d’action initial, il s’agit d’assurer un contrôle rigoureux et une analyse pertinente des répercussions de l’utilisation de ces aides. Un suivi et une gestion efficaces passent aussi par une bonne mise à jour des documents portant sur ces aides. C’est également un enjeu de transparence concernant les mesures, les objectifs, et la nature des soutiens alloués. Les documents et rapports proposés sur le site de la Région Martinique ne sont parfois pas disponibles ou mis entièrement à jours. Le même problème se pose pour l’accès à ces informations sur des sites travaillant sur les fonds européens en Martinique. Il faut être plus exigent lors de la communication au public de travaux sur des réunions, des audits, des rencontres aboutissants à des diagnostics, des plans d’action ou des engagements en termes de subventions. Cela faciliterait notamment l’obtention d’informations actualisées, et simplifierait la compréhension des personnes souhaitant consulter ces ressources. Ainsi, les difficultés économiques liées à la particularité de l’île, ne peuvent pas être uniquement réglées au travers des compensations financières. La Martinique ne peut pas rester une « économie assistée » en permanence au travers de transferts financiers. Les pays européens encouragent la Martinique à se tourner uniquement vers ces aides : ils s’appuient de manière trop importante sur des compensations financières, au dépend de la recherche de véritables solutions durables. Par exemple, dans la filière des bananes, les décisions se basent sur des compromis politiques pour maintenir un régime d’aide compensatoire favorable à la production bananière. Même si 179 180 Didier BENJAMIN, « Intégrations et dépendances », op. cit. DAVID Lisa, « Tour de Martinique des subventions européennes », op.cit. 55 l’Organisation commune du marché de la banane (OCMB) mise en place par l’Union européenne essaie d’assurer une meilleure intégration dans le marché face à ces prix différentiels, le marché antillais reste tributaire de ce système d’aides181. On retrouve ce problème dans d’autres filières : comme celle du sucre, confrontée aux fluctuations mondiales et nécessitant un soutien de l’Union pour sa survie.182 La Martinique apparait trop souvent tributaire de ce soutien pour pouvoir dynamiser et consolider son économie. Il y a un travail primordial à effectuer de nouveau sur les mentalités. La population a tendance à se tourner énormément vers les transferts sociaux. Par exemple, propager des informations sur les opportunités qui s’offrent à elle, montrer des exemples de ménages qui sont parvenus diminuer ce type de revenus, diffuser des bonnes pratiques sur l’investissement financier, peuvent encourager à produire, à être plus dynamique avec des comportements plus tournés vers l’avenir. Selon certains auteurs, il est nécessaire de trouver de nouvelles alternatives. Par exemple, il pourrait avoir une réforme du système fiscal, notamment en développant un partage entre l’État central et l’île sur un certain nombre de produits à l’origine d’une consommation pas forcément nécessaire ou indispensable, recensés sur une liste établie par les collectivités en collaboration avec l’État. Par exemple, il pourrait être bénéfique de taxer de manière proportionnelle les jeux d’argents ou de hasard : en 2008, ils représentaient un chiffre d’affaire de 1,6 milliards d’euros en Martinique, alors que le budget est de 350 millions d’euros pour la Région et de 530 millions d’euros pour le Conseil général.183 Les bénéfices de cette taxe pourraient être directement versés à la collectivité, Bercy prélevant déjà une taxe sur les jeux d’argents pour le compte de l’État. Enfin, pour améliorer la compétitivité les aides ne suffisent pas. Le dynamisme de l’économie locale doit constituer une alternative de longue durée plus qu’un simple point d’aboutissement spontané des aides. Une baisse des coûts de revient inclut une hausse de la productivité du travail. Cette productivité il faut l’encourager, d’où la nécessaire bonne orientation de ces aides. Pour être plus productif, il faut passer par la réorientation et la modernisation de certains secteurs. Dans le domaine de l’agriculture par exemple, des auteurs préconisent de réorienter l’économie de plantation grâce à une politique agricole locale réformée, pour limiter l’immobilisme actuel, le manque de 181 Ludovic TEMPLE, Philippe MARIE et Frédéric BAKRY, « Les déterminants de la compétitivité des filières bananes de Martinique et de Guadeloupe », op. cit. 182 EURODOM, « L’INFORUP de la semaine du 18 au 22 novembre 2013 », Novembre 2013. 183 Alban Alexandre COULIBALY, La crise économique et sociale aux Antilles, op. cit. 56 productivité et la portée des gains profitant seulement à une minorité.184 En particulier, un passage à l’agriculture raisonnée permettrait d’ « améliorer les conditions économiques d’utilisation des intrants permettant une meilleure rentabilité de l’activité agricole » 185 [PAILLOTIN, 2000 ; PERVANCHON et BLOUET, 2002]. Cela peut passer par une culture sur des terrains sains pour limiter les dépenses dans certains biocides.186 Il y a une nécessité de s’affranchir du public en développant le secteur privé. Pour cela, favoriser la compétitivité, c’est aussi encourager l’innovation et le développement de l’entreprenariat au niveau local. L’innovation est au cœur de cette problématique. Il est particulièrement fondamental de stimuler et encourager l’entreprenariat local, quel que soit la taille des sociétés de l’île. C’est ce que le programme FEDER-FSE défend : élargir le marché, favoriser l’innovation, développer des filières structurées, et un équipement économique renforcé. Avec 150,7 millions d’euros, 34,7% des fonds du FEDER sont consacrés à renforcer la compétitivité des PME187. Par exemple, la création, d’une banque dédiée au développement économique, peut aider les acteurs à développer leurs projets grâce à des prêts souples et responsables. L’État doit participer en encourageant un programme de formation de la jeunesse sur plusieurs années. Il faut pour assurer une insertion professionnelle, notamment dans les entreprises locales, afin d’éviter qu’elle ne parte travailler en métropole.188 Plus qu’une banque, un tel organisme doit aussi développer ou approfondir les liens entre entrepreneurs locaux et entrepreneurs des pays membres, en vue de créer des partenariats, un réseau plus dense d’échanges. Il y a aussi un travail à faire auprès des entrepreneurs. Consolider leur compétitivité, c’est aussi les inciter à promouvoir leurs productions locales, notamment en cas d’ouverture plus importante du marché. Les entreprises peuvent notamment 184 Ibid. Ludovic TEMPLE, Philippe MARIE et Frédéric BAKRY, « Les déterminants de la compétitivité des filières bananes de Martinique et de Guadeloupe », op. cit. 186 Ibid. 187 RÉGION MARTINIQUE, Programme opérationnel Martinique: Fonds Européen de Développement Régional et Fonds Social Européen (période 2014-2020), op. cit. 188 Alban Alexandre COULIBALY, La crise économique et sociale aux Antilles, op. cit. 185 57 compter sur la création de fonds d’investissements de proximité189 mis en place par la Commission. Cependant, il est important qu’elles ne s’appuient pas uniquement sur des aides, et qu’elles les utilisent à bon escient. Les communes peuvent participer, en augmentant, par exemple, leurs commandes auprès de ces derniers190. Ou elles peuvent valoriser leur production auprès des populations locales. Toutefois, le dynamisme entrepreneurial reste encourageant : en 2008, le taux de création d’entreprises était de 12,5 % en Martinique, au-delà de la moyenne nationale de 11%. Les entreprises de petites tailles représentent la majorité du secteur industriel et artisanal : en 2006, environ 23% des entreprises ont un à neuf salariés, contre environ 3% des sociétés de 10 à 19 salariés, ou de 20 salariés et plus.191 C’est contre l’endettement des entreprises qu’il faut lutter, et pour le maintien de ce dynamisme d’autant plus nécessaire en cas d’ouverture du marché. Pourtant, à la vue de ces éléments, il est aujourd’hui nécessaire de remédier à une faible contribution au commerce international import-export. Il faut aussi sortir de dépendances économiques, qui limitent les échanges avec ses voisins proches, et entrainent de l’inflation.192 L’innovation peut être le catalyseur du développement de ce dynamisme local. En effet, approfondissement de la recherche et développement apporterait, en plus d’une meilleure compétitivité, une solution de diversification des exportations de l’île. Il s’agit de sortir des dépendances aux importations dans un contexte de déficit de la balance commerciale, et aux acquis préférentiels européens ou internationaux dus à sa situation. La Martinique doit s’appuyer sur les avantages que lui offre sa position de membre. Développer une politique efficace d’innovation faite de moyens de substitution, c’est aussi une possibilité de réduire les importations non indispensables. Élaborer un laboratoire de niveau européen dans le bassin Caraïbes193 est une idée prometteuse. La Martinique pourrait jouer un rôle novateur en termes de recherche, en 189 COMMUNICATION DE LA COMMISSION EUROPEENNE, Les régions ultrapériphériques de l’Union européenne: vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive, op.cit. 190 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 191 Ibid. 192 Rémy Louis BUDOC, « Coopération internationale et développement productif local des Outre-mer », op. cit. 193 RÉGION MARTINIQUE, Programme opérationnel Martinique: Fonds Européen de Développement Régional et Fonds Social Européen (période 2014-2020), op. cit. 58 devenant un centre majeur d’innovation. À l’avenir, elle pourrait se lancer dans l’amélioration de la production, voire la promotion de produits remplaçant ceux qu’elle avait tendance à importer. Vouloir favoriser une excellence en recherche et innovation est une priorité abordée par le plan d’action 2014-2020, au travers le développement d’infrastructures, d’équipements, et de pôles de compétences. La Stratégie régionale de l’innovation adoptée en 2012 vise à encourager des projets innovants.194 La Martinique doit notamment utiliser la plateforme de spécialisation intelligente195, mise à dispositions de tous les États membres et leurs régions, afin de lever des fonds en adéquation avec une stratégie faite de synergie et de cohésion. Outre les domaines techniques et technologiques, le département peut aussi s’appuyer sur les programmes pour le changement et innovation sociales, comme PROGRESS. Ces outils permettent à l’île d’adapter ses objectifs aux atouts de chacun au sein de l’espace européen, ce qui encourage celle-ci à développer plus d’opportunités en lien avec ses particularités. Toutefois, l’utilisation de ces aides doit se faire dans une perspective d’investissement de long terme. Ces innovations peuvent concerner autant des secteurs en difficultés que des domaines encore trop peu développés. On peut évoquer deux exemples. Le domaine du tourisme est tout particulièrement un secteur qui devrait être renforcé. La Cour des comptes recommande le développement de stratégies touristiques innovantes et plus offensives196. Un travail auprès des populations investies dans ce domaine est aussi nécessaire. Il s’agit d’améliorer l’accueil pour certaines structures, mais en particulier pousser les acteurs du tourisme locaux à s’adapter au mieux aux désirs de la clientèle. Pour cela, il faut absolument accepter certains changements ou modernisation, voire s’inspirer des îles voisines qui sont compétitives : elles ont su détecté les attentes, et répondre aux besoins des visiteurs. Le domaine énergétique doit être quant à lui développé. Selon Guy Dupont, président de la Fédération des entreprises des DOM en 2009, les RUP ont les atouts pour faire émerger des filières de haute technologie, notamment dans les énergies renouvelables. Ces secteurs permettraient aux DOM de travail en cohésion de devenir de véritable de pôle compétitivités197. Mettre en place des moyens de transports plus abordables, et plus 194 Ibid. COMMUNICATION DE LA COMMISSION EUROPEENNE, Les régions ultrapériphériques de l’Union européenne : vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive, op. cit. 196 COUR DES COMPTES, Le tourisme en outre-mer : un indispensable sursaut, op. cit. 197 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour 195 59 nombreux pourrait être une avancée majeure : cela impliquerait d’avoir des ressources humaines solides198, mais aussi un projet qu’il serait possible de développer sur une île aux possibilités limitées. D’ailleurs, la Martinique a consacré 20% de son enveloppe au FEDER au transport, soit plus de 75 millions d’euros ont été investis.199 En 2014, elle prévoit d’en consacrer à nouveau 13,8% au transport durable, soit 60 millions d’euros200. Des progrès sont faits dans ce domaine : une autorité unique organisatrice des transports existe en Martinique, et il est prévu la mise en service pour fin 2015 du Transport Collectif en Site Propre. Ce bus-tram circulant dans l’agglomération de Fortde-France sur environ 13 km, constitue une première avancée considérable, limitant l’usage de et le besoin des véhicules motorisés, désengorgeant l’axe routier restreint.201 Développer les transports, c’est aussi faire des efforts considérables dans l’environnement : c’est un enjeu central dans l’île, où le poids des dépenses liées à l‘automobile sont plus élevées qu’en métropole. Agir contre la déficience de transports collectifs est un début. Il faut notamment mettre en place plus de transports collectifs à des horaires réguliers, en multipliant la fréquence et le nombre de circuits de bus entre villages et centres villes. Dans le domaine de l’énergie la Martinique possède une ressource inestimable : le soleil. Or, elle est trop peu utilisée. En effet, le développement de panneaux photovoltaïques reste faible, malgré l’investissement de fonds européens. Il y a un travail de sensibilisation à faire auprès de la population sur cette opportunité. Certains locaux ont été rebutés par le prix des panneaux solaires, mais surtout, par des procédures administratives auprès des communes lentes et sans aboutissements : il faut faciliter le processus d’autorisation dans le respect des normes en vigueur, et, si nécessaire, des aides aux habitants devraient être octroyées dans ce domaine pour la construction de panneaux solaires ou le passage à ce type d’énergie. Des députés européens évoquent la croissance verte comme une option prometteuse pour les RUP basée sur une gestion efficace des ressources, des investissements dans la recherche et des éco-innovations.202 la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 198 Jacques ZILLER, Laurent TESOKA et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mer unis dans leurs diversités, op. cit., p. 357-394. 199 EUROPACT, Bilan thématique 2007-2013 de la programmation FEDER-FSE, op. cit. 200 RÉGION MARTINIQUE, « Voyagez avec le TCSP en 2015 » La Région en action, 21 Novembre 2013. 201 RÉGION MARTINIQUE, Programme opérationnel Martinique: Fonds Européen de Développement Régional et Fonds Social Européen (période 2014-2020), op. cit. 202 PONGA Maurice, « Une croissance verte, moteur de développement dans les RUP », EURODOM, 21 juin 2012. 60 La création des pôles d’excellence constitue une piste encourageante. Si ces pôles permettraient de développer une voie propre, détachée de ses dépendances en énergie, elle serait une source d’innovation. Cependant, quels que soient les impulsions d’idées novatrices, une mobilisation des acteurs locaux reste indispensable. Les évolutions futures et les débats actuels qui concernent certains acquis particuliers de l‘île nous amènent à réfléchir sur la volonté des locaux de changer les choses. C’est aborder la question de l’investissement, voire la motivation, qu’ont les locaux, politiques ou simples citoyens, d’ouvrir le marché, de moderniser l’économie, pour gagner en compétitivité, et s’affranchir de vieilles formes de dépendances aux aides diverses. Pour le cas de l’octroi de mer, dix ans de délais ont été accordés en 2004 aux DOM pour qu’ils repensent cette taxe. Cette question et aujourd’hui en suspens, et ne sera pas réglée avant 2015. Supprimer cet octroi de mer permettrait une diminution des prix et un meilleur pouvoir d’achat pour les sociétés locales. L’octroi de mer, malgré les ambiguïtés qu’elle soulève, a permis de diminuer les subventions attribuées à l’île, représentant 48% des ressources des communes de Martinique.203 Elle protègerait aussi les entreprises locales. Mais on peut s’interroger sur l’investissement des politiques dans cette perspective de modernisation voulue par l’Union européenne : la priorité semble être donnée à l’aide préférentielle, plutôt qu’à la réflexion d’une modernisation de l’économie de l’île. Les décideurs, n’ont-ils pas trop cherché à maintenir la taxe au dépend de solutions de changement économique ? Ou faut-il chercher plus loin, en pensant à d’éventuelles pressions pour son maintien, exercées sur les politiques locaux de la part des grandes familles tenant les grosses entreprises de l’île, ces derniers voyant d’un mauvaise œil l’arrivée de nouveaux concurrents et une baisse des prix. D’un point de vue global, c’est l’ouverture du marché qui fait peur. Aussi, il est clair que la pression peut venir des petits producteurs locaux qui craignent d’être mis hors-jeu. Il faut aussi penser aux conséquences sur les communes, dont l’octroi de mer constitue plus de la moitié des recettes, afin de réfléchir à des alternatives. D’ailleurs, en 203 Didier MIGAUD et Franc-Gilbert BANQUEY, La situation financière des communes des départements d’outre-mer, op. cit. 61 Martinique les communes et établissements hospitaliers sont tout particulièrement endettés204. Comme on l’a dit plus haut, taxer les jeux d’argents dont la pratique est très développée peut compenser une partie des pertes liées à l’octroi de mer : cela peut accroitre les ressources, avec rappelons-le, la Française des jeux de Martinique qui a un chiffre d’affaires supérieur au budget du Conseil général. Augmenter les produits de la taxe sur la consommation de tabac peut aussi être une piste exploitable : la fiscalité du tabac est différente en Martinique, et c’est le Conseil général qui fixe l’assiette et les taux du droit de consommation.205 Il y a donc des bases taxables sur lesquelles peuvent jouer sur les communes. Pourtant, le discours des opposants à tout changement sur cette question, politiques ou habitants, reste le même : c’est une perte pour les communes qui vont compenser en se tournant vers le contribuable. Mais il faut noter que la Martinique bénéficie d’un abattement fiscal de 30% : il y aurait peut-être une baisse de cette réduction d’impôt, mais il ne faut pas imaginer une décision arbitraire d’une extrême hausse fiscale. S’il y a un déficit de ressources pour ces dernières, il faut savoir sortir de ce discours rigide et conservateur : il est nécessaire de réfléchir aux retombés positives pour les ménages, et à une autre manière de renflouer les caisses. On l’a évoqué, taxer des éléments qui tiennent du « luxe », du confort, peut être une aide. Il faut aussi investir dans des projets novateurs et bénéfiques, auxquels les fonds européens peuvent concourir. Que ce soit pour répondre à un impératif d’évolution ou de suppression de cette taxe, il faut, au final, penser sous un autre angle pour se projeter dans l’avenir. De plus, on l’a vu, ouvrir le marché pourrait amener à une baisse des prix au travers une simplification d’accès à celui-ci pour l’extérieur, au risque de diminuer la compétitivité des compagnies locales : ainsi, les entreprises doivent, en cas d’évolution de l‘octroi de mer, ou toute ouverture du marché, développer leur compétitivité. En prenant en compte ces paramètres, on peut se demander si le travail de transition a été réellement fait sur les mentalités locales, et d’une manière générale, si la Martinique cherche réellement à évoluer par rapport à sa dépendance aux aides publiques diverses. Les aides publiques sont d’ailleurs « vouées à demeurer exceptionnelles »206. Or, c‘est un travail indispensable, car dans un contexte de crise, la Martinique ne pourra pas être 204 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 205 Ibid. 206 Jacques ZILLER, Laurent TESOKA et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mers unis dans leurs diversités, op. cit., p. 325-356. 62 aidée indéfiniment de la sorte : c’est aux Martiniquais de se prendre en main, et d’anticiper les éventuelles restrictions à venir. Cette nécessité de sensibiliser et de faire évoluer les mentalités est souvent abordée tout au long de cette analyse. Il ne s’agit en aucun cas de faire disparaitre la culture martiniquaise, mais de changer certaines visions locales au travers la diffusion d’information, l’écoute des revendications, mais aussi la mise en valeur de certains comportements nocifs. Des actions de sensibilisations peuvent notamment être menées lors de manifestations importantes qui mobilisent toute la population, dans le but d’assurer une diffusion à grande échelle de messages de sensibilisation : le Carnaval, les fêtes patronales, le tour des Yoles, la commémoration de l’abolition de l’esclavage, sont des évènements caractéristiques de l’île, auxquels tous les Martiniquais ont l’habitude de participer en masse. Sans entrer dans une optique de recommandation systématique, il s’agit tout simplement de sensibiliser, d’informer, de faire réagir, de susciter des initiatives, et d’aller à la rencontre de la population pour comprendre leurs attentes. L’Union européenne et la France doivent également effectuer un travail autour des questions complexes et sensibles du sentiment européen. Améliorer le rapprochement de l’Union et de la Martinique sur le plan culturel et social, c’est aussi sensibiliser les populations, les informer, voire causer des volontés, notamment en termes de relations économiques. Evoluer, c’est aussi savoir se tourner vers l’autre. Edouard Glissant écrivait : « je peux changer en échangeant avec l’autre, sans me perdre pourtant ni me dénaturer »207 [GLISSANT, 2006]. Pour approfondir les questions ambiguës, floues et difficiles de citoyenneté, de culture, de sentiment européens en Martinique, l’Union doit s’investir pour développer des rencontres et des réflexions sur ce thème, notamment sur l’histoire, la culture, au travers l’encouragement de colloques, de festivals, où l’ultrapériphérie participerait plus, avec plus de visibilité208. Elle pourrait accroitre les partages et les liens avec les membres de la communauté européenne. Un travail doit aussi être fait au niveau des mentalités locales, avec des réflexions sur la culture européenne, le lien de l’Union avec les locaux. Aussi, il semble nécessaire de donner plus de place à la Martinique, et de manière plus générale aux DOM, dans les médias, sur des thèmes qui les concernent. C’est également favoriser les réflexions portant tout spécialement sur les RUP, comme « les Grands 207 Emmanuel LEMIEUX, Edouard Glissant : Monsieur Tout-Monde, Influences, 19 novembre 2010. Laurent TESOKA, Jacques ZILLER et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mer unis dans leurs diversités, op. cit., p 75-85. 208 63 rendez-vous économiques des outre-mer »209 valorisant l’entreprenariat local. L’information tient également d’une meilleure diffusion au niveau locale de l’actualité européenne. Les acteurs politiques et économiques qui connaissent les problématiques de l’Union, et qui sont mieux avertis, doivent impérativement jouer les relais auprès d’une population trop peu au fait de ces questions. C’est donc un travail sur le lien et la distance, pour moderniser et approfondir le contact entre l’île, la France et l’Europe. Si la motivation, la volonté ou l’investissement poussant à faire évoluer la situation pourraient sembler peu visibles, la solution est d’encourager les acteurs à avancer peu à peu au travers des mesures qui peuvent paraître infimes, mais qui feraient évoluer peu à peu la situation. Cette volonté de s’investir est le fruit d’un choix individuel qui permet l’impulsion d’initiatives. L’économiste Daniel Kahneman a notamment analysé les mécanismes expliquant des choix individuels.210 Il s’est intéressé au jugement et à la prise de décision, et tout particulièrement à l’intuition. Ses travaux sur l’économie comportementale évoquent deux modes de fonctionnement expliquant les choix, l’un émotionnel, et l’autre calculé. Le système 1, dominant, spontané, est omniprésent, ne peut être désactivé : il est caractérisé par la paresse, un « épuisement de l’égo », et il « est totalement insensible tant à la qualité qu’à la quantité des informations »211 [KAHNEMAN, 2012], expliquant les intuitions. Il peut toutefois être contrôlé par le système 2, qui met en œuvre un jugement posé et réfléchit, avec une capacité d’imposer une analyse logique. Ces systèmes, pour les économistes comportementalistes, permettent de parler du « biais d’ancrage »212 [KAHNEMAN, 2012], le point de départ des choix effectués par les individus. Kahneman croit en l’optimisme, en leur capacité à « prédire l’avenir ». Dans leur livre Nudge, l’économiste Richard Thaler et le juriste Cass Sunstein réfléchissent sur les choix individuels d’un individu calculateur et en recherche de profit, un homo oeconomicus qui se révèle incompétent pour définir des choix collectifs. 209 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DÉPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 210 Laurent GUIHERY, « Penser la réforme ferroviaire en Europe: discussion autour des apports de la « Behavorial Economics » et du « Nudging » », Laboratoire d’Economie des Transports, Lyon 2, Septembre 2013. 211 Ibid. 212 Ibid. 64 Ainsi, les auteurs conseillent la mise en place de petites actions pour agir sur le comportement des acteurs, et les amener à faire de bon choix. Les gens sont libres, mais, n’allant pas tous dans la bonne direction, des politiques publiques sont nécessaires pour les orienter : des mécanismes soft, avec peu d’impacts et moins visibles, peuvent ainsi permettre que les gens aillent tous dans le même sens. Cette réflexion préconise des solutions afin d’aider à la prise de décision, tout en respectant la liberté des individus confrontés à la force du choix individuel : il s’agit du nudging213, de « pousser les gens du coude », pour les amener à prendre des décisions à long terme selon leurs intérêts. Pour faire avancer les acteurs sur la bonne voie, D. Kahneman approfondis l’idée en parlant de « modifier discrètement l’environnement » [KAHNEMAN, 2012], sans laisser-faire, ni interventionnisme étatique.214 Pour le cas martiniquais, encourager à la comparaison des prix peut être facteur de concurrence et de compétitivité entre les différents acteurs de la grande distribution. Ou encore encourager l’innovation entrepreneuriale, à prendre des mesures de modernisation, pourraient dynamiser l’économie locale. Ou encore développer des petites mesures environnementales permettraient de développer le développement durable voire de s’orienter vers une croissante verte215. Toutes ces petites mesures, quelles que soient leurs natures, peuvent être le début de changements pour l’île. Cela nécessite de la patience, et une capacité à élaborer des initiatives recherchées et efficaces, afin d’orienter d’une manière douce la population martiniquaise dans des voies qu’elle n’ose, ou ne veut pas emprunter. La lutte contre les monopoles ou le manque de concurrence, l’affranchissement de ses dépendances diverses, d’élaboration d’une meilleure gestion financière, la modernisation et l’innovation, ou le travail sur les mentalités sont des éléments nécessaires à l’insertion efficace de la Martinique dans l’organisation de marché de l’Union. Au regard de ces nombreux défis, cela demande un investissement des locaux à tous les niveaux. C’est aussi une nécessité de prise de conscience et de mise en place de mesures concrètes de transparence, d’impulsion, d’encadrement ou de contrôle. Néanmoins, les difficultés de l’île à s’adapter aux prérogatives du marché européen ouvrent la réflexion sur une autre perspective : s’investir dans son bassin de vie. 213 Ibid. Ibid. 215 PONGA Maurice, « Une croissance verte, moteur de développement dans les RUP », op.cit. 214 65 2- Une perspective d’avenir prometteuse : se tourner vers son environnement régional Le fait que la Martinique ne parvienne pas à s’intégrer au sein du marché européen suscite l’interrogation sur l’incapacité de l’île à se fondre dans la communauté économique, sur une éventuelle incompatibilité. Ainsi, on peut se demander si l’avenir des relations économiques ne se tourne pas plus vers la Caraïbe. L’ouverture sur sa zone géographique peut être une solution non négligeable. La zone Antilles-Guyane représente un marché de 250 millions d’habitants.216 L’île gagne donc à s’investir dans des relations plus approfondies avec les États de sa région et les RUP français voisins. S’il a augmenté, le soutien offert par l’Union européenne, dans le contexte actuel de difficultés économiques, reste à l’avenir incertain. À cela s’ajoute la problématique de la distance. Se tourner vers une politique régionaliste n’est pas une idée nouvelle. Mais elle a été jusque-là mise à l’écart, et son élaboration reste novice. La situation économique et les difficultés induites au travers différentes crises amènent depuis longtemps à la remise en question des soutiens apportés, et ce, quelle que soit la nature de l’aide. Dès les années 90, une note du gouvernement français mentionne une fragilisation aux échelles politique et juridique du devenir des relations européennes : elle constate que des membres de l’Union développent une attitude de plus en plus critique concernant les actions en faveur des régions ultrapériphériques, évoquant leur coût budgétaire, et contestant leur efficacité.217 Même s’il y a une volonté de s’investir auprès de l’ultrapériphérie, l’avenir de ce soutien reste incertain. On le voit dans certains secteurs : dans le domaine de l’agriculture, l’Union européenne a instauré plus de 216 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 217 Fabien BRIAL, GOHIN Olivier, Décentralisation territoriale et coopération internationale, op. cit. 66 discipline concernant la PAC et le POSEI. 218 Pour ce dernier, en 2014, cette rigueur a prévu un rabais de 2,3% sur tous les paiements supérieurs à 2000 euros versés à l’agriculteur ; ce qui représente une baisse globale de 4,7 millions d’euros alloués au programme219. La mission outre-mer de 2009 aborde également le sujet. Avec l’élargissement européen, les RUP français ne figurent plus parmi les régions les plus défavorisées de l’Union : la Martinique a un PIB par habitant qui se rapproche de plus en plus du seuil d’éligibilité au soutien européen (74%), et les premières réductions que la mission prévoyait à l’époque drastiques risque de se faire sentir. Aussi, les discussions déjà mouvementées pour 2007-2013220, restent tendues, et plus délicates dans le contexte économique actuel. D’autant plus que des contributeurs importants, comme l’Allemagne ou le Pays-Bas, veulent diminuer leurs participations, tandis que les pays entrés en dernier au sein de l’Union contestent les aides accordées selon eux à des régions qui n’en ont pas le plus besoin. Face à ces évolutions, la « cohésion territoriale », telle que définit par le traité de Lisbonne, mêlant politique régionale ambitieuse et prise en compte des particularités domiennes, est menacée. Tenir compte de l’environnement régional apparaît donc tout aussi important que les spécificités de chacun de RUP.221 Se tourner vers son environnement régional est une opportunité qui ne ferait qu’améliorer son économie, sur un marché complémentaire à celui l’Union. Il est important de définir le « régionalisme » : il correspond au « au processus de coopération ou d’intégration régionale. » [FABRY, 2005]. L’intégration régionale est une étape avancée, mais non obligatoire, de la coopération.222 Une coopération, serait l’étape antérieure, l’instrument d’une intégration régionale. Cela inclut une transformation du schéma relationnel de l’île, en passant « d’un modèle passéiste de l’aide humanitaire au modèle moderniste des échanges gagnant-gagnant »223[REGION MARTINIQUE, 2013]. S’il y a eu des évolutions sur les systèmes et les outils d’aides, une mutation générale serait alors nécessaire : il faut s’adapter à des économies des régions caribéennes hétérogènes, qui n’ont pas la même gouvernance et réglementation. 218 Sandra HAKOUN, « L’avenir du programme POSEI », op. cit. EURODOM, « L’INFORUP de la semaine du 7 au 11 avril 2014 », Avril 2014. 220 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 221 Ibid. 222 Véronique FABRY, « L’outre-mer dans les ensembles régionaux », Pouvoirs, n° 113, no 2, 1 Septembre 2005, pp. 137‑151. 223 RÉGION MARTINIQUE, Programme opérationnel Martinique: Fonds Européen de Développement Régional et Fonds Social Européen (période 2014-2020), op. cit. 219 67 L’idée de se développer dans son bassin régional n’est pas un fait nouveau, et pourrait de plus en plus être d’actualité par rapport aux questions qui se multiplient autour de l’avenir de la Martinique au sein de l’Union. Dans les années 80, pour le Conseil économique social et Environnemental, une meilleure insertion dans son environnement général serait vectrice de croissance : selon la théorie des étapes de la croissance de l’historien américain Walt Whithman Tostow, les sociétés ultramarines seraient alors « en phase de décollage dans leur acheminement à l’ère de consommation de masse » [TOSTOW, 1960]. 224 En 1986, le POSEIDOM mentionne déjà l’importance d’une coopération régionale entre des régions « aux caractéristiques et contraintes similaires », invitant à créer des liens avec les gouvernements de leurs zones. Dans les années 90, la Commission a décidé d’encourager la coopération internationale avec, par exemple, un programme de lutte contre les conséquences de catastrophes naturelles, ou un projet en lien avec la pêche en Martinique grâce à l’Organisation des États des Caraïbes de l'Est (O.E.C.S.)225 Mais, les échanges régionaux étaient alors gênés par les dispositions protectionnistes et par le morcèlement des économies locales sans complémentarité commerciale : les voisins étaient plus des concurrents, s’appuyant sur des avantages de coûts salariaux, sur leurs statuts de paradis fiscaux ou des facilités d’implantation pour les entreprises étrangères. Il y avait une forte polarisation des échanges avec la France et l’Europe : les échanges avec l’Europe représentaient environ 15% des importations, alors que les échanges avec l’Amérique Latine et les Caraïbes n’en représentaient que 6%.226 Ainsi, malgré un potentiel important, l’Union européenne n’a pas développé une politique régionale de développement dans les territoires les plus éloignés. Le développement de moyens de cohésion ne découle pas d’une stratégie précise, mais de la simple création de statut juridique dans l’Union.227 En France, les liens existants entre les DOM et les territoires voisins restent en réalité limités : c’est une préoccupation vraiment récente, renforcée par la loi de 2000 sur l’orientation pour l’outre-mer228. 224 Rémy Louis BUDOC, « Coopération internationale et développement productif local des Outre-mer », op. cit. 225 Fabien BRIAL, GOHIN Olivier, Décentralisation territoriale et coopération internationale, op. cit. 226 Didier BENJAMIN, « Intégrations et dépendances », op. cit. 227 Rémy Louis BUDOC, « Coopération internationale et développement productif local des Outre-mer », op. cit. 228 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 68 Se tourner vers une politique régionaliste, peut être justement la source d’élargissement du marché martiniquais. La Martinique, en cherchant à renforcer les rapports avec ses voisins, pourrait créer une coopération solide et diversifier ses connexions. En plus du Vieux Continent, l’île gagnerai à approfondir ses relations dans la zone Caraïbe ou américaine. C’est une politique régionaliste en termes de coopération : l’intégration serait trop complexe au regard de sa place de membre de l’Union et des disparités politique ou économique avec les îles voisines. Il s’agit de se développer sur le marché régional, faciliter ses relations : il faut approfondir son réseau au sein de son environnement régional caribéen proche. L’espace caribéen, c’est 38 pays représentant 5,2 millions de km2, comptant 250 millions d’habitants, soit 4% de la population mondiale229. Or, cette potentialité n’est pas exploitée. Cette idée est visible quand on se penche sur les échanges de l’île. En 2010, alors que plus de deux tiers des importations martiniquaises venaient de l’Union européenne, seule moins de 1% venaient de la Caraïbe. Aussi, concernant la raffinerie présente sur l’île, seul 2 % des carburants et combustibles sont exportés dans la zone, contre 44,6% en France.230 Comme évoqué précédemment, malgré les risques de fragilisation de l’île face à des pays compétitifs d’Amérique du Sud, les négociations actuelles de l’Union avec les pays du Mercosur constitue une possibilité majeure d’ouverture. La Martinique doit aussi s’investir dans l’évolution résultant de l’agrandissement du Canal de Panama prévu pour 2014. Elle doit prendre part à ce changement, et ne pas passer à côté de ces opportunités. Dans cette optique d’ouverture régionale, le chercheur R.L. Budoc émet des préconisations. Améliorer les outils et les dispositifs existants permettraient d’assurer la création de fondamentaux solides et efficaces pour la coopération régionale, en instaurant des relations diplomatiques. Il est également nécessaire pour mieux coordonner, et former les différents acteurs afin d’organiser l’action. Il est important de prioriser les projets correspondant aux intérêts des Outre-mer, grâce à une meilleure définition et classification des objectifs. Enfin, il faut définir une politique européenne 229 Ibid. CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL (CESE), Pour un renforcement de la coopération régionale des Outre-mer, coll. « JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE », 2012. 230 69 de voisinage précise, centrée sur le développement humain en s’appuyant sur des fonds de coopération régionale consolidés.231 Aussi, la Communauté européenne pourrait accroitre son soutien pour ses RUP au sein de la scène internationale. Par exemple, elle pourrait encourager la prise en compte de leurs intérêts232. Il est important d’améliorer la mobilité au sein de l’espace régional. L’ouverture passe également par la nécessité de trouver un équilibre dans les flux. Il faut faciliter les liens commerciaux, mais aussi les flux migratoires, en assouplissant, par exemple, les régimes de visa, pour faciliter les échanges humains, tout en contrôlant tout de même l’immigration clandestine. Dynamiser la mobilité au sein du bassin caraïbe permettrait d’améliorer ses relations avec les États de la zone régionale: au niveau des transports aériens ou maritimes, mais aussi au travers d’autres actions, comme la création d’un échange d’étudiants, d’un Erasmus avec les États au sein du secteur géographique de la Martinique. Il y a aussi un travail à faire dans la filière du numérique, pour assurer une meilleure offre de service sur les territoires des populations, mais aussi apporter une meilleure compétitivité des entreprises par le numérique233. C’est aussi développer un véritable réseau dans la région. On peut aussi mentionner quelques propositions émises par le Conseil économique et social, dans le but d’améliorer la coopération décentralisée234. Il est notamment important de connaître les actions qu’entreprennent les pays ou régions voisines avec lesquelles il serait possible de collaborer. Outre un objectif d’information, il y a une optique de meilleure synchronisation entre les acteurs. Les personnes en charge de la coopération générale doivent être mieux formées pour s’investir dans la coordination, et la politique de décentralisation doit tout particulièrement se recentrer sur les zones ultramarines. La population locale de chacun des RUP a aussi son rôle à jouer : améliorer l’implication des sociétés civiles entre dans cette perspective. Aussi, il est primordial d’établir des objectifs et prioriser les projets qui sont sources de bénéfices mutuels. 231 Rémy Louis BUDOC, « Coopération internationale et développement productif local des Outre-mer », op. cit. 232 Jacques ZILLER, Laurent TESOKA et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mer unis dans leurs diversités, op. cit., p. 357‑394. 233 Jacques ZILLER, Laurent TESOKA et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mer unis dans leurs diversités, op. cit., p. 357‑394. 234 CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL (CESE), Pour un renforcement de la coopération régionale des Outre-mer, op. cit. 70 Mais une coopération régionale serait-elle rentable ? Il est clair que la coopération est source d’intérêts communs. La collaboration de la Martinique avec la Dominique pour implanter une centrale géothermique sur cette dernière permettrait de réduire de 10% la dépendance énergétique de la Martinique. Ou un travail commun sur des difficultés partagées par ces régions pourrait être prometteur : la prévention de risques et de secours autour des catastrophes naturelles par exemple.235. Dans la Caraïbe, les groupes ou sous-groupes régionaux sont nombreux, et n’ont pas les mêmes buts et mode de fonctionnement, ne s’adressant pas forcement aux mêmes territoires. Seule l’Association des États Caraïbes (AEC) fédère vraiment l’ensemble des États des territoires, qu’ils soient membres ou associés. Elle agit dans des secteurs variés : elle cherche à développer un marché économique dans la zone. Mais le bilan reste mitigé car les économies sont peu complémentaires et les niveaux des Etas sont hétérogènes. Ces derniers résonnent plus en termes de concurrence que de complémentarité. Les organisations d’intégration économique sont toutefois plus efficaces, car elles reposent sur des groupes d’intérêt, avec une structure plus solide émanant des acteurs locaux, plus conscients des réalités locales.236 Mais l’intégration n’est pas envisageable pour la Martinique, du moins pas aujourd’hui : d’une part à cause de l’hétérogénéité des régions de la zone Caraïbe, mais aussi car elle doit d’abord être s’accorder avec les exigences de l’organisation de marché, et plus globalement du marché européen, avant de se tourner plus sérieusement vers un tel défi. Cette inadaptabilité, au regard des difficultés évoquées et de son statut de membre, elle peut la surmonter. Cette coopération régionale est un atout supplémentaire. Au-delà de ces possibilités de coopérations et d’ouverture dans le bassin caribéen, la Martinique a les capacités et les atouts pour s’imposer sur le marché comme vitrine de l’Union, voire comme leader des RUP français dans la zone géographie. L’île peut s’investir dans une coopération plus approfondie avec les Caraïbes, voire être un leader source d’impulsion dans la zone grâce à ses atouts. En effet, selon Véronique Fabry: 235 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 236 Véronique FABRY, « L’outre-mer dans les ensembles régionaux », op. cit. 71 « La coopération régionale ne peut que difficilement s’envisager sans les apports extérieurs des pays développés que ces soutiens soient techniques, financiers ou humains ». [FABRY, 2005] La participation de la Martinique est visible à travers des postes d’expansion économique, des missions de coopération culturelle technique, des délégations avec l’Union européenne, ou des « Bureaux ».237 Pourtant, elle doit être approfondie. Aussi, l’île détient des atouts par rapport à ses voisins. Dans le bassin, la Martinique appartient à ceux qui ont le PIB le plus élevé, et elle a l’indice de développement humain le plus élevé de la zone Caraïbe. En 2009, il est de 0,826, et l’île appartient à la zone « développement humain très élevé » supérieur à 0,785238. La Martinique pourrait ainsi jouer un rôle prépondérant au sein de la zone Caraïbe. Fabien Brial parle en 2000 d’un véritable relais de l’Europe au sein du « Tiers Monde » [BRIAL, 2000], contribuant au rayonnement de l’Union, place qui leur permet de recevoir quelques soutiens concernant la coopération régionale.239 Par un dynamisme de participation aux associations régionales, l’île peut s’investir voire se démarquer. Mais il y a encore énormément de travail à faire quant à la participation de la Martinique au sein de es organisations. Par exemple, l’île est membre associé à l’AES, mais son rôle reste cantonné à la participation au débat et au vote durant certaines réunions. Pourtant, la Martinique pourrait jouer un rôle prépondérant dans le développement d’un marché caribéen.240 Les négociations menées par l’Union avec les États d’Amérique Latine ne doivent pas être condamnées. Elles sont à surveiller par rapport aux risques pour la Martinique d’être dépassée sur des secteurs clés de l’économie. À ce titre, le Conseil économique et social préconise l’élaboration d’études d’impact sur les négociations commerciales menées par l’Union.241 Cependant, il faut aussi voir ces pourparlers comme une opportunité d’ouverture : pour cela la Martinique doit se manifester en étant plus active en terme de manifestation de ses intérêts, mais aussi de participation, aux négociations si cela est possible, notamment au travers la DG Outre-mer. 237 Ibid. CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL (CESE), Pour un renforcement de la coopération régionale des Outre-mer, op. cit. 239 Fabien BRIAL, GOHIN Olivier, Décentralisation territoriale et coopération internationale, op. cit. 240 RÉGION MARTINIQUE, Programme opérationnel Martinique: Fonds Européen de Développement Régional et Fonds Social Européen (période 2014-2020), op. cit. 241 CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL (CESE), Pour un renforcement de la coopération régionale des Outre-mer, op. cit. 238 72 Les « RUP sont les avant-postes de l’UE dans leurs zones respectives »242. La Martinique pourrait jouer un rôle de vitrine européenne voire française dans la région. Elle doit notamment se coordonner avec les autres DOM ou elle peut être une source d’impulsion pour les RUP. Il y a plus de dix millions de francophones dans la zone caribéenne243 : la France peut aussi être une représentante active de la francophonie, en développant sa production locale et le commerce extérieur avec ses voisins, tout en promouvant une identité culturelle ultramarine commune émanant de leurs relations entre les RUP. Elle peut jouer un véritable rôle d’impulsion des RUP français au sein de ses organisations, en étant un laboratoire d’idée, ou en encourageant les initiatives collectives. Il s’agit donc aussi de travailler en meilleure collaboration avec ces derniers. Elle devrait encourager la création d’agences mettant en avant les cultures ultramarines et organisant des rencontres pluriannuelles avec les milieux socioculturels de l’Hexagone244. La promotion de projets concrets avec ses voisins français est primordiale : le projet de la Guadeloupe sur la mise en place d’un câble numérique sous-marin aux Antilles reliant la Guadeloupe à Porto Rico245 est un exemple d’initiative forte qui devrait inspirer la Martinique. La Martinique peut être un acteur essentiel en tant que membre de l’Union. Comme RUP, elle peut allier ce statut avec une perspective de développement de son marché. C’est d’être capable de parler en son nom, mais aussi pour et avec les RUP, voire d’être un catalyseur au sein de la zone, considérée comme une frontière active de l’Union européenne. Mais l’île aurait à redoubler d’effort afin de se placer comme leader au sein des RUP. En 2007, la Martinique a un PIB plus faible que les autres RUP espagnols et portugais, ainsi qu’un taux de chômage plus élevé. 246 De plus les RUP portugais et espagnols restent plus proche du Continent, bénéficiant d’une meilleure visibilité. Toutefois, si se tourner vers les régions de son environnement régional apparaît comme un élément majeur pour son avenir économique, cette ouverture doit se faire en complément de son appartenance à l’Union européenne. Il s’agit pour l’île de maximiser 242 COMMUNICATION DE LA COMMISSION EUROPEENNE, Les régions ultrapériphériques de l’Union européenne: vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive, op. cit. 243 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 244 Ibid. 245 Ibid. 246 Jacques ZILLER, Laurent TESOKA et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mers unis dans leurs diversités, p. 325-356, op. cit. 73 ses atouts, entre appartenance naturelle au bassin caribéen et appartenance à l’Union européenne. De plus, parce qu’elle n’est pas le seul DOM dans la zone, elle peut s’appuyer sur des alliés français présents en permanence dans les Caraïbes. Elle pourrait en plus exploiter son lien avec la Communauté européenne qui, on l’a vu, agit également dans la zone géographique, au travers une politique de développement à vocation régionale en direction des États qui ne sont qu’associés au partenariat avec l’Union. Dans ce cas, la Martinique peut approfondir le travail européen dans la région. Avec le poids croissant des associations représentatives des outre-mer, fournissant une base d’inspiration, de proposition, la Martinique doit développer une dynamique efficace de réflexion. Par exemple, la Communauté et le marché commun de la Caraïbe (CARICOM) exécute notamment les projets financés par les fonds régionaux de l’Union. Ou encore, le Programme d’initiative communautaire «Interreg III B», intitulé « Espace Caraïbe », permet de lier les pays d’une même zone géographique grâce à un outil de programmation stratégique et financier. Il a été approuvé en 2002 par la Commission européenne, avec un budget de 24 millions d’euros. Il se base sur un partenariat entre les membres de l’AEC et du CARIFORUM (forum des États ACP de la région Caraïbe), et les trois Conseils régionaux de Guadeloupe, Guyane et Martinique.247 Ce rôle dynamique de promoteur, la Martinique peut ainsi le développer en multipliant sa participation à des organisations régionales. Dans cette optique, il serait entre autre nécessaire d’accroitre la politique de « grand voisinage »248, encore cantonnée au Vieux Continent : cela permettrait d’accroitre solidement une présence de ce dernier sur toutes les zones où il en a la possibilité. Encourager la coopération et l’insertion de la Martinique dans la région au travers cette politique, c’est offrir le début d’un cadre de référence cohérent aux membres de l’Union présents dans ces océans. Aussi, malgré de toutes ces assemblées ou organisations, la principale difficulté des RUP est de réussir à valoriser les intérêts des îles au sein de l’Union. 247 Véronique FABRY, « L’outre-mer dans les ensembles régionaux », op. cit. MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 248 74 En effet, avant de chercher à s’intégrer dans son environnement, il est nécessaire que la Martinique renforce ses positions sur la scène européenne. Il s’agit de se faire entendre, et d’améliorer la défense de ses intérêts. C’est développer des bases solides pour s’ouvrir au mieux sur la région antillaise. La Martinique doit donc pousser la France, présente sur le Continent, à agir « encore plus activement au niveau européen afin de promouvoir une action européenne plus forte et cohérente en faveur des régions ultrapériphériques »249[DOLIGÉ, 2009]. À ce titre, le Conseil économique et environnemental préconise la création d’un Groupement Européen de Coopération territoriale ultrapériphérique au sein de l’Union européenne, pour encourager les projets et les relations entre les voisins.250 Des avancées ont été faites dans ce domaine. Mais cette progression doit être maintenue et approfondie. On l’a évoqué, des associations existent. EURODOM, par exemple, est active pour la défense des intérêts professionnels des DOM. En termes de représentation institutionnelle, la Conférence des présidents des régions ultrapériphériques251, regroupant les présidents de régions ou de provinces, occupe aussi une place dans les relations des RUP avec la Commission. Cependant, d’un point de vue général, mettre en place un « Bureau permanent des outre-mer »252, une représentation permanente française des RUP à Bruxelles253 serait une avancée importante, celle-ci pouvant défendre de manière plus efficace et anticipée leurs intérêts. La création d’un séminaire pour le développement et la coopération régionale dans la zone Caraïbe en 2005254 est vectrice d’avancées. Mais un renforcement de ce type d’initiatives et des représentations est nécessaire. Par exemple, l’unité chargée de la coordination des questions liées aux Régions ultrapériphériques255reste une partie de la Direction générale de politique régionale : elle gagnerait à être rattachée à des échelons plus élevés, voire directement au Président de la Commission européenne. Aussi, l’administration déconcentrée 249 Ibid. Rémy Louis BUDOC, « Coopération internationale et développement productif local des Outre-mer », op. cit. 251 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 252 Ibid. 253 Ibid. 254 Ibid. 250 255 COMMISSION EUROPÉENNE, « La Politique régionale et les régions ultrapériphériques », op. cit. 75 travaillant sur le cas spécifique des RUP doit être perfectionnée. 256Pour permettre une meilleure réception de leurs représentations, il a été proposé la création d’un mécanisme d’évaluation spécifique, de suivi régulier de l’élaboration des accords commerciaux, notamment concernant leur impact sur l’économie des régions caribéennes. Une évaluation des accords de partenariats économiques avec les ACP a été prévue. 257 De plus, la France, doit se tourner vers de nouveaux alliés de proximité, afin de défendre les intérêts des DOM, et par la même occasion ceux de la Martinique. L’Espagne et le Portugal, étant les deux pays avec des RUP, constituent ses alliés traditionnels : mais leur solidarité peut s’effriter au regard des aides financières réparties en fonction de la population, situation qui avantage les Canaries. Au sein de l’Union, il existe des alliés potentiels qui pourrait appuyer la France dans la défense de ses idées : la Suède et la Finlande, qui ont obtenu une allocation spécifique de handicap pour leur régions arctiques ; la Grèce qui cherche l’obtention pour ses îles périphériques d’un traitement similaire à celui des RUP ; ou Chypre et Malte qui souhaiteraient la mise en place de mesures semblables ; ou le Royaume-Uni, les Pays-Bas et le Danemark qui ont des PTOM. 258 Mais la France, en raison de la particularité des handicaps des régions ultrapériphériques, et en tant que seule État à avoir RUP et PTOM, reste assez réticente à étendre le cercle de ses alliances dans cette voie. C’est donc un travail titanesque qui attendrait la Martinique si elle envisage une coopération régionale. L’étape de l’intégration régionale est peu envisageable aujourd’hui. À défaut d’atteindre cette étape, un renforcement de ses relations avec les États voisins semble indispensable. Si la Martinique est plus proche des acteurs de son bassin de vie, elle ne garde pas moins des liens forts avec le marché unique. Ainsi, c’est une « insertion » plus douce, naturelle, et sans le handicap de la distance, mais qui demande autant d’investissements et de volonté que son adaptation complète au marché commun. C’est un défi qui s’avère redoublé, mais qui permettrait de dynamiser l’économie de l’île. Pour poursuivre dans les similarités existantes avec la Martinique, il est tout aussi intéressant d’aller voir ce que font les autres régions insulaires de l’Union. 256 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 257 Véronique FABRY, « L’outre-mer dans les ensembles régionaux », op. cit. 258 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 76 3- Dans le contexte actuel, que font les autres RUP de l’Union européenne ? Toujours dans une démarche tournée vers l’avenir, au-delà des relations de la Martinique avec les Outre-mer, il est essentiel de voir ce qui se fait dans les autres RUP. Il peut y avoir des différences ou des initiatives qui peuvent être une source d’inspiration pour la Martinique. Avec la revendication de plus d’autonomie de la part de dirigeants martiniquais, voire d’une éventuelle évolution vers le statut des PTOM, il est intéressant de voir comment fonctionne la Grande-Bretagne, mais aussi les RUP espagnols et portugais. Cette notion de statut est intéressante à aborder dans le cadre de nos interrogations sur l’avenir de la Martinique dans l’Union. Au regard de la volonté croissante d’autonomie sur l’île, entre PTOM et RUP, les choix ou les souhaits sont teintés d’une certaine ambiguïté. Ces dernières années, il y a une volonté de « rompre » avec le Continent, un souhait d’émancipation, notamment en se rapprochant du statut des PTOM. Mais il y a un souhait de conserver les avantages de l’Union. Entamer un processus d’évolution vers une association est une avancée envisageable et possible avec le Traité de Lisbonne. Pourtant, la Martinique garde une population largement attachée à son lien européen, et même si ce serait gagner en autonomie, en termes de compétences ou de prises de décisions, une telle évolution reste difficilement supportable pour l’économie et la société locales. Cela constitue une perte importante d’aides de l’Europe : pour 2014-2020, une enveloppe de 325,1 milliards d’euros259 est attendue pour les RUP, tandis que 364,5 millions sont prévus pour les PTOM260. De plus, une mutation de statut amène à une évolution dans le droit français, voire un nouveau changement de monnaie. C’est aussi un gain de responsabilités financières énormes, alors que la gestion des 259 Sandra HAKOUN, « Les RUP dans la nouvelle politique de cohésion 2014-2020 », EURODOM, 23 septembre 2013. 260 EURODOM, « L’INFORUP de la semaine du 16 au 20 décembre 2013 », Décembre 2013. 77 fonds publics, malgré un encadrement, est déjà marquée par une opacité et un manque de rigueur. Il est clair que se rapprocher d’un statut de la Nouvelle-Calédonie est un risque, et inclurait des sacrifices importants. Des auteurs se demandent même si « la Martinique est prête à opter pour le régime de type polynésien »261[COULIBALY, 2010]. L’ambiguïté sur cette problématique est tout à fait visible dans le discours de beaucoup de martiniquais : il y a une réclamation de plus d’autonomies, tout en ne voulant pas abandonner les aides liées à un statut de RUP. C’est un bouleversement politique et économique qui nécessite un travail de réflexion approfondi, et une campagne de sensibilisation auprès des Martiniquais, afin de les informer en toute transparence de toutes les facettes d’une telle évolution. Aussi, la question revient avec la notion de coopération avec le voisinage caribéen, qui pousse à s’interroger sur les compétences de la Martinique en vertu de son statut de RUP. Elles restent limitées en matière de négociations: ce sont les institutions communautaires qui sont vraiment compétentes dans le domaine économique, et parlent au nom de l’île. La Martinique ne peut pas, par exemple, négocier librement un accord de pêche avec un État voisin, alors que pour les PTOM peuvent agir dans ce domaine : c’est une compétence exclusive communautaire262. Globalement, quel que soit le type d’accords ou de coopérations que l’île envisage en termes de relations extérieurs, elle doit le penser dans le respect des règles de Bruxelles. Il est donc tout aussi important d’évoquer les conséquences éventuelles en Martinique. Avec un tissu économique limité, la Martinique pourrait difficilement avoir recours à une forte pression fiscale. Mais elle peut mettre en place des mesures compensatoires : on l’a vu, par exemple, un taux d’imposition sur les produits de luxe.263 En prenant en compte ces difficultés, de ces risques ou éventuels sacrifices, il faut s’interroger sur les bénéfices d’un tel acte pour l’île. Concernant les habitudes des habitants et le mode de fonctionnement de l’île, ce serait un bouleversement de la structure économique et des comportements des agents économiques. Au regard de ces éléments, il serait préférable de conserver ses exceptions liées à sa spécificité, tout en se diversifiant sur le plan économique, et favoriser l’investissement en tant que RUP plutôt que se tourner vers une assimilation. 261 Alban Alexandre COULIBALY, La crise économique et sociale aux Antilles, op. cit. Jacques ZILLER, « L’Union européenne et l’outre-mer », op. cit. 263 Alban Alexandre COULIBALY, La crise économique et sociale aux Antilles, op. cit. 262 78 Il est intéressant de voir comment fonctionne les autres pays dans la gestion de leurs régions ultrapériphériques. Il s’agit d’aborder le cas des autres RUP de l’Union européenne, et le cas anglais. La Grande-Bretagne a des PTOM, et aucune RUP. Analyser le cas d’un pays dit très tourné vers le libre-échange, montre que le passage à ce statut reste synonyme d’autonomie économique limitée. C’est sortir de l’image utopiste que peut forger une perspective d’une évolution institutionnel. En Grande Bretagne, il n’existe qu’un seul type de territoire, avec pour chef d’État la Reine d’Angleterre. Les territoires britanniques d’outre-mer, situés en Europe, Caraïbe, Océan Indien et Atlantique Sud, ont une constitution écrite et un Gouverneur. Les British Overseas Territories sont des PTOM au sein de l’Union264: on pourrait donc penser à plus de libertés d’actions en termes de lobbying, et plus de prises de décisions politiques comme économiques. Pourtant, comme la Martinique avec la France, ils n’ont pas de représentation britannique auprès de l’Union européenne : c’est la représentation permanente du Royaume-Uni qui défend leurs intérêts. Pendant longtemps, les Iles Vierges avaient un ambassadeur à l’Ambassade de Bruxelles, en tant que membre associé de l’Organisation des États de la Caraïbe orientale (OECO). Mais c’est plus au travers le sous-comité de l’Union Kingdom Overseas Territories Association (UKOTA), que les PTOM anglais parviennent à faire du lobbying. De plus, si le Gouverneur est le représentant des affaires étrangères, sans autorisation accordée par le Royaume-Uni, les territoires ne peuvent pas négocier ou conclure des accords internationaux. Ces mandats dits entrustment, sont donnés au cas par cas. Dans certains domaines, comme les accords d’échanges d’informations fiscales avec les États de l’Union européenne et de l’OCDE, les PTOM anglais peuvent négocier. Néanmoins, le Royaume-Uni garde toujours le dernier mot. Il doit prendre connaissance de l’accord avant toute conclusion, et au final, c’est plus le Royaume-Uni qui traite le plus souvent directement au nom d’un territoire. Les PTOM anglais souhaitent de plus en plus négocier directement des accords, gérer leur relations extérieures, et commencent à l’inscrire dans de nouvelles constitutions.265 264 Jacques ZILLER, Laurent TESOKA et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mers unis dans leurs diversités, op. cit., p. 257‑266. 265 Ibid. 79 Cette volonté de gestion de ses accords extérieurs pourrait être également une revendication de la Martinique, notamment si elle souhaite approfondir ses relations dans le bassin caribéen. Mais cela doit se fait dans le respect des règles économiques européennes et françaises, tout en prenant compte les évolutions économiques possibles, dans une France moins libérale que son voisin anglais. Mais sans changer de statut, gagner en autonomie et en visibilité sur la scène européenne peut être envisageable si la Martinique s’investit dans cette voie. Les Iles Canaries réclament un approfondissement de leur statut en devenant une Communauté autonome, pour détenir plus de capacités d’action dans des secteurs majeurs, et car ils estiment avoir des problèmes différents de l’Espagne : s’ils ont à gagner en compétences, ils restent au sein de l’union des RUP. Les Canaries cherchent à s’affirmer sur la scène européenne, mais le professeur espagnol Juan RodriguezDrincourt reconnaît que « l’Union européenne a eu un rôle considérable dans le développement des Iles », grâce à des investissements conséquents au travers de fonds structurels ou les plans d’infrastructure.266 Les Iles Canaries ont vocation à jouer un rôle majeur au sein de l’Union : en tant que Communauté autonome frontalière, elle constitue une porte d’entrée vers un territoire de l’Union européenne. Cela a conduit à une politique particulière avec l’Afrique, avec un gouvernement canarien qui a promu des initiatives d’actions extérieures cruciales. Ces îles sont devenues un centre de coopérations et d’actions diverses de plus en plus important. La Constitution espagnole a d’autant plus étendu l’attribution de compétences à la Communauté autonome ces vingt dernières années.267 En avril dernier, de nouvelles liaisons depuis les Canaries ont été ouvertes grâce à une aide de 10 millions d’euros du régime d’aides espagnol268. Comme ces îles, la Martinique pourrait affirmer son rôle à l’internationale car, au cœur de la Caraïbe et aux frontières de l’Amérique, elle constitue également une véritable porte d’entrée vers un territoire de l’Union : il s’agirait de se montrer plus active en terme de maitrise de son territoire et de ses relations avec les entités voisines. 266 Ibid., p. 267‑284. Ibid. 268 EURODOM, « L’INFORUP de la semaine du 7 au 11 avril 2014 », op. cit. 267 80 Mais on peut se demander si, au final, la question autour de l’intégration de la Martinique au sein de l’Union n’est pas en partie liée à la nature du statut de l’île, et le degré d’autonomie que cela lui confère. Les RUP ont tous pour point commun de s’insérer dans une forme de décentralisation, mais le degré d’autonomie accordé diffère d’une région à l’autre. Les Canaries appartiennent à la catégorie d’autonomie générale de droit conditionnel espagnol, à côté des seize autres collectivités, entrant dans la catégorie des régions en autonomie avancée. Les Açores et Madères gardent une forte autonomie interne du point de vue des compétences législatives et exécutives, plus importantes que les autres régions du Portugal. Ces derniers sont caractérisés par une autonomie constitutionnelle, et un droit de l’Union attribué par une seule catégorie de territoire. La France est marquée par une prédominance de l’État central, avec des statuts établis par le législateur national, tandis que les RUP portugais et espagnols ont un statut établit par une assemblée locale, mais ratifié par le parlement national. Dans les trois pays, il n’y a pas de chevauchement des compétences entres les assemblées régionales ou celles des Constitutions et celles de la Communauté. Mais, des compétences particulières sont attribuées aux espaces insulaires du Portugal : les Açores ont un contrôle des transferts de fonds des immigrants, ou Madère peut mener des activités de protection civile. Aussi, le représentant de l’État dans ces RUP a beaucoup plus de fonctions qu’en France.269 La Martinique peut donc s’appuyer sur plus d’autonomie, suite à une consultation et des résolutions avec l’État central. Ce n’est pas pour autant s’enfermer dans un processus de changement de statut avec les conséquences que cela inclut. La question est aussi de savoir si ces différences, et notamment la présence de plus d’autonomie, de compétences et de détachements au sein des RUP étrangers, sont vecteurs de différences décisionnelles voire économiques entre les RUP. On l’a vu, s’il y a des divergences de niveaux économiques, ces dernières n’empêchent pas la nécessité des aides. Il y aussi une même confrontation aux difficultés économiques liées à la nature de l’île. Par exemple, les RUP ont tous une balance commerciale déficitaire.270 269 Jacques ZILLER, Laurent TESOKA et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mers unis dans leurs diversités, op. cit., p. 257‑266. 270 Ibid., p. 267‑284. 81 Concernant la capacité de la Martinique à jouer un rôle de catalyseur, de leader au sein d’organisation de coopération régionale, celle-ci peut prendre en exemple le dynamisme d’autres RUP à ce sujet. Elle peut s’inspirer des innovations qu’ils ont pu mettre en place face à des problématiques similaires. En effet, certains sont tout particulièrement actifs au sein d’associations européennes, comme Madère, au sein de la Conférence des Présidents des Régions à pouvoir législatif, qui promeut le rapprochement avec les régions ayant leur propres gouvernements, et aptes à prendre des mesures législatives. Les RUP espagnols et portugais forment la Conférence des Assemblées législatives régionales européennes (CALRE) veillant au respect de la démocratie et des principes législatifs européens. Les RUP espagnols font notamment des efforts pour promouvoir l’innovation, la recherche et développement alors que les RUP français sont à la traine.271 Aussi, le rôle des associations à l’échelle européenne occupe de plus en plus une place majeure pour l’avenir de tout RUP, et leurs domaines de compétences se sont fortement accrus ces dernières années. Mais leurs actions doivent rester centrées, sans s’éparpiller dans de multiples déclarations ou accords divers. Pour promouvoir une insertion économique efficace et approfondie, le développement d’une action directe est majeur. Cependant, il ne s’agit en aucun cas de négliger l’action privée. L’entreprise publique canarienne PROEXCA est un exemple révélateur : rattachée au gouvernement local, elle a su développer des bureaux permanent sur la péninsule et à l’étranger, s’appuyant sur des agents autonomes et le travail de boursiers détachés272. La Martinique doit emprunter cette voie de modernisation de l’action publique, qui, comme on l’a vu, occupe une place majeure sur l’île. Elle doit développer ce type d’action extérieure publique auprès de l’Union, et de ses voisins. Ce serait apporter plus de résultat concrets pour l’économie locale, mais aussi, plus de flexibilité dans un contexte de crise, et une meilleure réponse aux attentes des locaux. Comme en Martinique, les îles Canaries ont connus la question de taxes sur l’importation. Se conformant mieux aux exigences et aux règles du marché commun, le gouvernement espagnol a créé en 2002 un impôt applicable aux îles Canaries, l’AIEM (Arbitrio sobre los Importaciones y Entregas de Mercancias en las islas Canarias)273. 271 Véronique FABRY, « L’outre-mer dans les ensembles régionaux », op. cit. Jacques ZILLER, Laurent TESOKA et Yves ROLAND-GOSSELIN, Union européenne et outre-mers unis dans leurs diversités, op. cit., p. 257‑266. 273 GRUPO FRANCIS LEFEBVRE, « Modificación del Arbitrio sobre importaciones y entregas de mercancías en las Islas Canarias » [Modification de l’arbitrage sur les importations et livraison de 272 82 Accepté par l’Union européenne suite à la décision du Conseil du 20 juin 2002, elle remplace l’ancienne taxe sur la production et les importations (APIM). Il présente des similarités avec l’octroi de mer français. Il vise à protéger une industrie locale dominée par les services : la taxe concerne quelques secteurs jugés en difficulté. La Commission européenne a autorisé la fixation d’une taxe ne pouvant dépasser 5% ou 15% selon les produits, et 25% pour le tabac. Les ressources sont attribuées à une stratégie de développement économique et sociale des îles Canaries. Contrairement à l’octroi de mer, l’AIEM constitue une faible part des ressources, avec 300 millions d’euros sur un budget total de 7 milliards d’euros. Une exonération est possible pour les produits issus de l’industrie locale274. Une décision du Conseil des ministres européens du 6 juin 2014 autorise un renouvellement de cette taxe jusque 2020275. Cet impôt semblable à l’octroi de mer français n’a pas empêché son acceptation par l’Union européenne. Ainsi, la région Martinique gagnerait à s’inspirer des espagnols pour proposer des mesures adéquates et adaptées aux volontés des instances européennes. Sans supprimer un régime spécifique, la modernisation est une solution : peut-être faudrait -il proposer une impôt sur le modèle espagnol, dont le taux varie en fonction des besoins locaux et de la sensibilité aux difficultés économiques. C’est parce que cette optique reste envisageable que l’Espagne reste confiante quant aux négociations sur l’octroi de mer français, dont la survie reste liée à la volonté politique276. Et on l’a vu, dans cette perspective les politiques martiniquais veulent à tout prix que l’octroi de mer soit maintenu. marchandises dabs les Iles Canaries], 1 juillet 2014. 274 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 275 GRUPO FRANCIS LEFEBVRE, « Modificación del Arbitrio sobre importaciones y entregas de mercancías en las Islas Canarias », op. cit. 276 MISSION D’INFORMATION SUR LA SITUATION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir, op. cit. 83 CONCLUSION Tout au long du mémoire, on a vu que la Martinique, en tant que membre de l’Union européenne, et en vertu de ses barrières naturelles, bénéficie d’avantages et de soutiens importants. Ces fonds européens sont source d’aides majeures, mais constituent une aide publique accroissant la dépendance de la Martinique vers l’extérieur. En effet, l’île donne une place importante aux transferts publics, et manque de dynamise dans le secteur privé. Aussi, la concurrence et la situation monopolistique constituent un frein dans un marché restreint. Certains auteurs évoquent des facteurs culturels, qui ne prédisposent pas la société martiniquaise au progrès et à la logique de recherche du profit. Mais elle a des atouts : une position idéale et un territoire aux ressources remarquables. Toutes ces problématiques remettent en question la capacité de l’île à s’intégrer dans l’Union. Cependant, elle est membre de l’Union et garde un lien fort avec le Vieux Continent. Ses spécificités la retardent dans son intégration complète à l’organisation du marché unique. Mais elles ne l’empêchent pas de s’adapter. Parler d’incompatibilité reste pessimiste, et condamne l’île à rester dans un décalage permanent avec l’Union. La Martinique doit effectuer des efforts supplémentaires pour s’intégrer, car elle a des particularités à concilier avec les exigences économiques et sociales de l’Union. Pour améliorer son insertion, si elle doit mettre en place des initiatives voire des alternatives dans certains secteurs, elle doit parvenir à concilier ses particularités avec l’organisation économique de l’Union européenne. C’est un travail titanesque qui demande une volonté et un investissement à tous les niveaux de la population. Le défi est double, car afin de maximiser ses atouts, l’île doit se tourner vers son environnement régionale, en complément d’une intégration aboutie dans l’Union. Les solutions se basent sur des mesures concrètes, à élaborer au travers des politiques publiques et une réflexion autour d’objectifs économiques mieux adaptés. Ainsi, la première nécessité est d’ouvrir le marché local, encourager la compétitivité afin de rétablir la concurrence et dynamiser l’économie martiniquaise. L’autre pas important est de développer ses relations avec les voisins au sein du bassin Caribéen voire avec l’Amérique. Une politique régionaliste solide, tournée vers une coopération, agrandirait son marché et développerait ses perspectives économiques. Il s’agit également de s’imposer comme leader dans sa zone régionale, et impulser, grâce à un 84 réseau plus dense, de nouvelles idées. L’innovation a un rôle majeur à jouer dans des secteurs où elle a peut s’investir de manière prometteuse, comme le développement durable. Aussi, la question du statut a pu se poser, savoir si l’intégration est préférable à l’association : la Martinique peut demander plus d’autonomie en tant que RUP, sans pour autant entrer dans un processus long et risqué d’évolution institutionnelle. Toutefois, pour demander plus d’autonomie, l’île doit mettre en place ces initiatives, se montrer responsable, en particulier sur la gestion financière. Enfin, il y a un travail à faire sur les mentalités. La population locale doit être sensibilisée sur les opportunités européennes, mais aussi sur des comportements et des visions qui constituent leur quotidien, comme leurs habitudes de consommation. Les habitants doivent être informés, mais aussi écoutés, et inclus dans une démarche active. Ils doivent être encouragés dans des initiatives concrètes, et soutenus dans leur volonté de se lancer dans des projets novateurs et prometteurs, vers lesquels doivent s’orienter les aides. Entre l’Union Européenne et la Martinique, l’alliance n’est donc pas impossible, mais difficile. Mais la difficulté n’empêche pas l’adaptation de l’île pour concrétiser cet assemblage original fait de liens et de distance. C’est un défi titanesque, un travail long et fastidieux, qui devra sans doute se faire sur plusieurs générations. Mais, aujourd’hui les choses ont toutes leurs chances de bouger avec l’apport de regards neufs qui permettront de dynamiser l’économie et changer la conjoncture actuelle : les contacts se développent, les gens voyagent de plus en plus, toute une vieille génération partie en France rentre sur l’île, et une jeune génération effectuent des séjours en France ou en Europe pour faire leurs études. La Martinique, petite île européenne de la Caraïbe, possède toutes les cartes en main pour dynamiser son économie au sein de l’Union à qui elle a tant à apporter : sa population solidaire et métissée est le fruit d’une histoire tourmentée, mais sa richesse sera d’autant plus grande quand les Martiniquais sauront à la fois regarder en arrière avec la fierté du long chemin parcouru, et se tourner vers l’avant pour concrétiser ces espoirs. Au carrefour de deux mondes, ils pourront alors maximiser tous leurs atouts. La Martinique doit être actrice au sein de l’Union européenne, au cœur de l’ouverture économique vers le continent américain et source d’un dynamisme nouveau. « Agis dans ton lieu, pense avec le monde277. » [GLISSANT, 2006] 277 LEMIEUX Emmanuel, « Edouard Glissant : Monsieur Tout-­‐Monde », op.cit. 85 BIBLIOGRAPHIE A. Ouvrages • • • • • • BRIAL Fabien, GOHIN Olivier, Décentralisation territoriale et coopération internationale: Le cas de l’outre-mer français, Paris, Editions L’Harmattan, 2000, p. 352. COULIBALY Alban Alexandre, La crise économique et sociale aux Antilles: le cas de la Martinique entre impasse et évolution, Paris, Éditions Publibook, 2010, p. 47. DRACIUS-PINALIE Suzanne, SAMLONG Jean-François et THÉOBALD Gérard, La crise de l’outre-mer français: Guadeloupe, Martinique, Réunion, Paris, l’Harmattan, 2009, p. 170. MICHALON Thierry, L’Outre-mer français. 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MINISTÈRE DE L’ECOLOGIE, DU DEVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’ENERGIE, « Le Feamp : l’enveloppe financière attribuée à la France en hausse », 19 juin 2014. 88 • • • • • • • • • MINISTÈRE DE L’OUTRE-MER, « Observatoire de l’Outre-mer - Travaux des observatoires », DÉGÉOM, 2014. OBSERVATOIRE DE L’OUTRE-MER, « Les Observatoires des prix, des marges et des revenus outre-mer », 2014. MINISTÈRE DE L’OUTRE-MER, « Ouverture par l’Autorité de la concurrence d’une procédure de consultation sur le marché du fret maritime aux Antilles », 15 février 2013. ODEADOM, « Gestion de l’aide POSEI et des certificats d’importation », 2014. PREFECTURE DE LA MARTINIQUE, « Le Bouclier Qualité-Prix : accord signé ! », Les services de l’État en Martinique, 30 mai 2013. RÉGION MARTINIQUE, « La collectivité territoriale de Martinique, le projet », 2014. RÉGION MARTINIQUE, « Voyagez avec le TCSP en 2015 » La Région en action, 21 Novembre 2013. TOUTE L’EUROPE, « Les taux de TVA dans l'UE », 6 janvier 2014. TOUTE L’EUROPE, « L’abstention dans les États membres aux élections européennes », 26 mai 2014. Ø Autres • • • • • • • • CENTRE TECHNIQUE DE COOPERATION AGRICOLE ET RURALE (CTA), « Le secteur caribéen du rhum confronté à de sérieux défis sur les marchés américain et européen », Agritrade, 16 décembre 2012. EURODOM, « L’INFORUP de la semaine du 7 au 11 avril 2014 », Avril 2014. EURODOM, « L’INFORUP de la semaine du 16 au 20 décembre 2013 », Décembre 2013. EURODOM, « L’INFORUP de la semaine du 2 au 6 décembre 2013 », Décembre 2013. EURODOM, « L’INFORUP de la semaine du 18 au 22 novembre 2013 », Novembre 2013. GRUPO FRANCIS LEFEBVRE, « Modificación del Arbitrio sobre importaciones y entregas de mercancías en las Islas Canarias » [Modification de l’arbitrage sur les importations et livraison de marchandises dabs les Iles Canaries], 1 juillet 2014. INSEE, DOM Échanges extérieurs en 2012, 2012. LE COMITE NATIONAL DES PECHES MARITIMES ET DES ELEVAGES MARINS, « Le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) », 2 Avril 2014. E. Autres Ø Documents législatifs • • AUTORITE DE LA CONCURRENCE, Décision n°10-DCC- 25 du 19 mars 2010 relative à la prise de contrôle exclusif d’actifs du groupe Louis Delhaize par la société H Distribution (groupe Hoio). CONSEIL MUNICIPAL DE LA MAIRIE DE SHOELCHER, Extrait de registre: des délibérations du Conseil municipal de la commune de Schœlcher, Martinique, 89 2012. Ø Enregistrement vidéo • ELIE-DIT-COSAQUE Gilles, La liste des courses, La Maison Garage / France Télévisions, 2011 (extraits). 90 ANNEXE Ø Carte de la Martinique Source : Guide du routard - http://www.routard.com/guide_carte/code_dest/martinique.htm 91 Ø L’environnement régional de la Martinique : le bassin caribéen Source : http://pedagogie.ac-guadeloupe.fr/histoire_et_geographie/proposition_detude_cas_sur_linterface_caraibe 92 La Martinique constitue une entité particulière au sein de l’Union européenne. Ses particularités lui confèrent un traitement spécial de la part de la Communauté. Elle a une organisation spécifique, faite d’exonération et de dérogations. Ces exonérations amènent à se questionner sur la véritable intégration de l’île au sein de l’Union. Cette question est d’autant plus pertinente au regard des difficultés économiques de la Martinique, en décalage avec l’organisation de marché traditionnelle. Dans ce contexte, on peut s’interroger sur la capacité de la Martinique à s’insérer dans l’Union, et sur des solutions qui permettraient, à l’avenir, une meilleure intégration. De la proposition de mesures concrètes au travail sur les mentalités, il s’agit d’évoquer des réponses, voire des alternatives, afin de maximiser les atouts de l’île, et d’accorder son économie locale avec les attentes du marché commun. 93