DIMENSIONS SOCIO-ECONOMIQUES DE LA GESTION DES DECHETS TURIN – 08/09 AVRIL 2002 ECONOMIE SOCIALE ET GESTION DES DECHETS MENAGERS Martine GILLET Office wallon des déchets1 1. INTRODUCTION Le développement des modes de production et de consommation des économies industrialisées entraîne une forme de croissance aggravant les inégalités sociales. Tel est le constat fait par le chapitre IV du plan d’Action 21, programme politique de la communauté internationale adopté lors du Sommet de la Terre en 1992. Cet accord international, appelé aussi « Agenda 21 », en déduit que la modification de ces modes de production et de consommation exigera de mettre en place une stratégie à plusieurs objectifs, axée sur la demande et la satisfaction des besoins essentiels des groupes les plus défavorisés ainsi que sur la réduction du gaspillage et l'utilisation la plus limitée possible de ressources dans les processus de production. Cette stratégie comportera notamment des mesures formulées dans le cadre de politiques nationales et internationales cohérentes ayant pour effet de : - 1 promouvoir une meilleure utilisation de l'énergie et des ressources; réduire au minimum la production de déchets; orienter les choix des particuliers et des ménages vers des produits écologiquement rationnels; orienter la consommation par le biais des marchés publics; s'orienter vers des systèmes écologiquement rationnels de fixation de prix; renforcer les valeurs propres à favoriser des modes de consommation rationnels. Le présent texte n'engage pas la responsabilité de l'institution publique ou organes consultatifs au service desquels travaille l'auteur. Cette stratégie de développement durable reposera aussi sur une série de principe nouveaux comme le principe d’intégration. L’adoption de ce principe part du constat que la segmentation de la politique, qui conduit à définir et gérer les politiques sociale, environnementale et économique indépendamment les unes des autres (voire même à placer les deux premières au service de l'économie), ne donne pas des résultats durables. En effet, la séparation des approches permet de reporter les coûts d’une politique sur l’une ou l’autre politique voisine, car le type d'intégration recherché par un mode de développement durable n'est pas spontanément rentable pour le marché, bien au contraire. Seule une régulation appropriée et le recours aux instruments économiques peuvent assurer une intégration des politiques qui rende accessible simultanément des doubles ou multiples dividendes de leurs impacts (social, environnemental et économique). L'économie sociale active dans la gestion des déchets est au coeur de ce sujet car elle pose les questions importantes suivantes : Est-il souhaitable de faire de la gestion des déchets un vecteur d'intégration sociale ? A quel coût ce projet peut-il se réaliser et qui compte en payer la facture ? Répondre à ces questions, c’est déterminer le degré de volonté du monde politique de résister aux tendances du marché et de lui donner des balises afin que ce ne soit pas le marché qui impose unilatéralement sa logique et ses finalités propres. 2. ETAT DE SITUATION 2.1. Le concept de l'économie sociale bénéficie d'une légitimité qui n'est plus discutable; il est repris dans des textes officiels des institutions européennes et six ministres européens ont l'économie sociale, citée comme telle, parmi leurs attributions. Il cherche à compléter une vision de l'activité économique basée sur le secteur privé classique d'une part et sur le secteur public d'autre part en affirmant l'existence et l'importance d'un troisième secteur dans la perspective d'une économie plurielle. Cependant, si la notion de "tiers secteur" semble admise au niveau international, son interprétation diverge selon les sensibilités : la conception du monde anglo-saxon est plus orientée vers une vision caritative tandis que le courant francophone est davantage centré sur l'économie. C'est pourquoi les acteurs de l'économie sociale souhaitent une clarification et une meilleure visibilité de leur spécificité au niveau européen et réclament des statuts pour les entreprises d'économie sociale ainsi que des instruments juridiques européens permettant de créer des groupes européens d'entreprises d'économie sociale. En Région wallonne, les principes fondateurs déterminant leur spécificité ont été définis par le Conseil wallon de l'économie sociale : - finalité de service aux membres à la collectivité plutôt que le profit autonomie de gestion processus de décision démocratique primauté des personnes et du travail sur le capital dans la répartition des revenus. Soulignons que, selon la définition du VOSEC2, il conviendrait d'ajouter un critère lié au développement durable respectueux de l'environnement. 2.2. L'objectif premier poursuivi par bon nombre d'entreprises d'économie sociale actives dans la gestion des déchets en Région wallonne est l'insertion et la formation socioprofessionnelle ou la lutte contre l'exclusion. Seules deux institutions poursuivent un objectif avant tout environnemental : Objectif premier poursuivi Insertion et formation professionnelle Protection de l'environnement Lutte contre l'exclusion Vie communautaire Nombre d'institutions socio- 10/22 2/22 9/22 1/22 Source : Université de Liège – Centre d'économie sociale3 (juin 2001) Il faut remarquer que le recensement de ces entreprises est en constante évolution. 2.3. Les trois flux de déchets les plus souvent concernés par les activités des entreprises d'économie sociale, sont les déchets encombrants, les textiles et les déchets électriques et électroniques car ils se prêtent le plus facilement à la réutilisation et à la revente de seconde main. Des activités de collecte et de tri peuvent également aboutir à la vente de déchets triés à des entreprises privées qui en effectuent le traitement; c'est notamment le cas pour les déchets de papiers. 2.4. Les activités de collecte, de tri et de réutilisation de déchets sont des activités fort intensives en main-d'oeuvre, principalement non qualifiée. Au 01/07/01, le nombre d'emplois salariés recensés par l'asbl RESsources4 s'élève à 1203 personnes correspondant à 966 équivalents temps plein dont l'activité est spécifiquement dédiée au domaine des déchets. En outre, plus de 1822 bénévoles (totalisant 351 équivalents temps plein) sont actifs dans ces entreprises; leur présence est souvent indispensable à leur bon fonctionnement. 2 VOSEC "Vlaams Overlegplatform Sociale Economie & Meerwaardeneconomie" a été créé en 1997 pour répondre au besoin d'une plate-forme structurée de concertation entre les acteurs de l'économie sociale en Région flamande. 3 "Economie sociale et gestion des déchets" Faculté d'Economie, de Gestion et de Sciences Sociales de l'Université de Liège – Centre d'Economie Sociale, rapport de recherche réalisé à la demande du Ministère de la Région wallonne – Office wallon des déchets – juin 2001." 4 RESsources est une asbl ayant pour mission de développer l'économie sociale dans le secteur des déchets en Région wallonne. 2.5. Depuis quelques années déjà, ces entreprises d'économie sociale connaissent des difficultés grandissantes, voire des problèmes de survie pour certaines de leurs activités. Ces problèmes sont liés à une évolution du marché dans le secteur des déchets ainsi qu'aux conséquences de l'application de nouveaux principes dans la politique de gestion des déchets. 2.5.1. Evolution du marché des déchets 2.5.1.1. Concurrence de plus en plus forte sur le marché des déchets Il y a 20 ans, lorsque les initiatives d'économie sociale se sont tournées vers la récupération des déchets, le secteur des déchets ménagers concernait soit des intercommunales, soit de petites et moyennes entreprises de collecte. Par le fait des stratégies de rachat, le secteur des déchets est à présent dominé par quelques grands groupes industriels internationaux pour qui les déchets représentent un créneau important. Il est donc devenu plus difficile pour l'économie sociale de s'imposer, compte tenu des armes dont disposent les entreprises multinationales ayant pour objectif premier la maximalisation des profits financiers et non le développement d'un projet social axé sur la formation et la réinsertion. 2.5.1.2. Variations importantes du prix du papier et du textile Les entreprises d'économie sociale se trouvent souvent confrontées à des marchés où les prix sont définis par des contraintes extérieures voire par des équilibres déterminés au niveau mondial et où les périodes de faible conjoncture sont parfois fort longues. Dans ce contexte, les prix offerts par le marché peuvent rester longtemps très bas au point de décourager les initiatives de collecte (cfr. les collectes de papiers/cartons par exemple). De plus, en ce qui concerne le textile, une proportion assez élevée des vêtements récoltés est vendue aux pays en voie de développement, ce qui peut parfois entraîner des problèmes de trésorerie car les commandes sont souvent payées avec un retard important. 2.5.2. Application de nouveaux principes dans la politique de gestion des déchets 2.5.2.1. Le principe de la responsabilité du producteur et l'obligation de reprise Consacré au niveau européen, le principe de la responsabilité du producteur va considérablement modifier le paysage du secteur des déchets. EXTRAIT DE LA COMMUNICATION DE LA COMMISSION EUROPEENNE CONCERNANT LE REEXAMEN DE LA STRATEGIE COMMUNAUTAIRE POUR LA GESTION DES DECHETS DU 30.07.1996 24. Une politique préventive visant à éviter la production des déchets doit commencer par le produit et son procédé de fabrication. La problématique de la gestion des déchets doit être pleinement prise en compte dès le stade du développement ou de la conception du produit. Pour qu'une action soit efficace, il faut qu'elle porte sur l'ensemble du cycle de vie du produit, de la production à l'élimination finale, en passant par la collecte, la réutilisation et le recyclage. 25. Par le passé, les coûts et la responsabilité des produits une fois qu'ils étaient devenus des déchets étaient traditionnellement supportés soit par l'environnement, soit par le contribuable. Or, cette approche n'est pas compatible avec les principes établis par l'article 130R du traité CE, et notamment les principes de précaution et d'action préventive, le principe polleur-payeur et le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement. 26. Ces principes essentiels doivent permettre de couvrir l'ensemble du cycle de vie des substances, composants et produits, de leur production à leur mise au rebut et pendant toute leur durée de vie utile. Cet objectif ne peut être atteint que si la responsabilité incombe aux acteurs économiques qui peuvent apporter la plus grande contribution à la protection, à la sauvegarde et à l'amélioration de la qualité de l'environnement. L'application de ce principe va donc établir de nouveaux flux de matériaux et de capitaux liés au développement de nombreux produits et de nouvelles filières. Les pressions croissantes en faveur de politiques d'optimisation de l'utilisation des ressources naturelles et, en particulier, de leur utilisation en circuit fermé, auront, entre autres, pour effet d'accroître les activités de collectes sélectives, de recyclage et de réutilisation, créant par-là même de nouvelles opportunités en termes d'activités économiques et de création d'emplois. De nouvelles perspectives sont donc également espérées dans le domaine social. Simultanément, après quelques années d'expériences en matière de gestion des déchets d'emballages, force est de constater que l'application du principe de la responsabilité du producteur a considérablement déforcé les entreprises d'économie sociale malgré les précautions prises par le législateur5. Jusqu'à présent, seule la logique économique prévaut en vue d'atteindre un objectif environnemental donné. Aucune considération de nature sociale visant, par exemple, à favoriser la réinsertion ou la lutte contre l'exclusion n'est prise spontanément en compte ni souhaitée par les organismes privés en charge de la mise en oeuvre concrète du principe de la responsabilité du producteur. 2.5.2.2. Renforcement progressif de l'application du principe du pollueur-payeur L'adoption successivement de la directive 1999/31/CE relative à la mise en décharge des déchets et de la directive 2000/76/CE sur l'incinération des déchets fixent des conditions d'exploitation et des valeurs limites d'émission strictes en vue de prévenir ou de limiter dans toute la mesure du possible leur impact négatif sur l'environnement et les risques qui en résultent pour la santé humaine. Cette internalisation des coûts environnementaux a pour effet d'augmenter progressivement le coût de la mise en décharge et de l'incinération. Cette tendance est renforcée par l'apparition, dans beaucoup d'Etats Membres de l'Union Européenne, de taxes sur la mise en décharge des déchets. Les entreprises d'économie sociale se trouvent par conséquent confrontées à des coûts croissants d'élimination des déchets non réutilisables ou non valorisables qui handicapent la rentabilité de leurs activités. Cela se produit d'autant plus que les politiques de gestion des déchets ont progressivement amené les communes conformément au PPP, à mettre en place des systèmes de sacs payants ou des conteneurs à puces pour la collecte des ordures ménagères. Les entreprises d'économie sociale actives dans la collecte des textiles ont ainsi constaté un effet de transfert important de déchets indésirables dans leurs sacs de collecte. Ceuxci entraînent des coûts d'élimination tellement élevés que les activités de récupération de textiles voient leur rentabilité compromise malgré les aides à l'emploi dont elles bénéficient. 5 1. a) Article 13 §1, 5° de l'accord de coopération concernant la prévention et la gestion des déchets d'emballages qui impose de "garantir et de développer les emplois dans les associations ou sociétés à finalité sociale ayant comme objet social le recyclage et la valorisation des déchets d'emballages". b) Article 10, 9° du projet d'arrêté du Gouvernement wallon instaurant une obligation de reprise de certains déchets en vue de leur valorisation ou de leur élimination. 3. QUELQUES PISTES VISANT UNE MEILLEURE INTEGRATION L'ECONOMIE SOCIALE DANS LE SECTEUR DES DECHETS DE Une bonne intégration de l'économie sociale dans le secteur des déchets devra reposer sur un mix optimal d'instruments de politique sociale, environnementale, économique et de communication. Leur mise en oeuvre va concerner un nombre important de Ministres dont l'action doit converger vers les mêmes objectifs. En effet, l'efficacité des mesures prises peut être décuplée s'il y a convergence de vues entre les politiques environnementale, sociale et économique. Mais elle peut être nettement moindre si, par exemple, des objectifs sociaux entrent en conflit avec les objectifs poursuivis au niveau environnemental. Au cours de ces dernières années, de multiples initiatives en faveur d'une telle intégration ont vu le jour qui appellent certains commentaires, notamment sur leur dispersion. 3.1. Instruments de politiques économiques 3.1.1. La fixation d'un taux de TVA réduit applicable aux organismes à caractère social La loi du 04 mai 1999 portant des dispositions fiscales diverses pourrait constituer le point de départ d'une action visant à favoriser les entreprises d'économie sociale actives dans la récupération des déchets, même si les biens et les services visés par cette loi n'étaient pas définis. L'arrêté royal du 20 septembre 20006 apporte ces précisions mais il octroie le bénéfice du taux réduit aux entreprises d'insertion et aux entreprises de formation par le travail. Cette référence aux organismes d'insertion agréés est beaucoup trop limitative et méconnaît la réalité du terrain de la partie francophone du pays où les entreprises d'économie sociale actives dans le secteur de la récupération et du recyclage des déchets n'ont pas nécessairement ce type d'agrément. L'objectif d'octroyer le bénéfice du taux réduit de TVA aux entreprises d'économie sociale actives dans la récupération des déchets n'est donc pas atteint. Des concertations sont en cours en vue de supprimer les conditions superflues créant des incertitudes au niveau juridique ou entraînant l'exclusion d'entreprises d'économie sociale actives dans la récupération des déchets. 6 Arrêté royal modifiant l'arrêté royal n° 20, du 20 juillet 1970, fixant les taux de la taxe sur la valeur ajoutée et déterminant la répartition des biens et des services selon ces taux, et abrogeant l'arrêté ministériel n°21; du 05 mai 1999, réglant les modalités d'application des rubriques XXIII bis et XXXV du tableau A de l'annexe à l'arrêté royal n° 20, du 20 juillet 1970, fixant les taux de la taxe sur la valeur ajoutée et déterminant la répartition des biens et des services selon ces taux, ainsi que l'arrêté ministériel, du 25 août 1999, modifiant l'arrêté ministériel n°21, du 5 mai 1999, réglant les modalités d'application des rubrique XXIIIbis et XXXV du tableau A de l'annexe à l'arrêté royal n°20, du 20 juillet 1970, fixant les taux de la taxe sur la valeur ajoutée et déterminant la répartition des biens et des services selon ces aux (MB du 28/09/2000). 3.1.2. L'intégration d'une dimension de développement durable dans les marchés publics La Commission européenne7 a confirmé que le droit européen en son état actuel offre aux pouvoirs adjudicateurs des possibilités d'intégration de considérations sociales et environnementales dans les marchés publics. La Cour européenne de justice a également admis la possibilité pour les pouvoirs adjudicateurs d'utiliser comme critère une condition liée à la lutte contre le chômage pourvu que cette condition respecte tous les principes fondamentaux du droit communautaire et notamment le principe de nondiscrimination tel qu'il découle des dispositions du traité en matière de droit à l'établissement et de libre prestation de services. L'utilisation des marchés publics comme instrument de politique économique en faveur d'objectifs sociaux ou environnementaux peut donc être envisagé. Le plan fédéral de développement durable prévoit d'ailleurs à plusieurs reprises d'y avoir recours : 151. Les appels d'offres pour les marchés publics de services ou travaux, dans ces appels d'offre, les administrations peuvent favoriser l'introduction de clauses environnementales et de clauses sociales obligeant les soumissionnaires à occuper ou former certaines catégories de demandeurs d'emploi. Actuellement, la majorité des marchés publics ne contiennent pas ce type de clauses. Il existe d'ailleurs un déficit d'expérience sur l'insertion de telles clauses dans les contrats de marchés publics. 152. Pour lutter contre l'exclusion sociale, lors des marchés de travaux et de services, les autorités fédérales s'engagent à examiner les possibilités légales d'introduire des clauses sociales dans les marchés publics et à élaborer une proposition. La Régie des bâtiments étudiera les moyens de réduire la pollution lors de l'exécution des marchés de travaux en ajoutant des clauses environnementales dans les cahiers des charges. Elle proposera, pour juin 2001, une analyse de la situation, des objectifs à atteindre, les mesures à prendre et les moyens à mettre en œuvre. 189. Faire évoluer les Agences locales pour l'emploi (les ALE) vers un système de (ré)insertion de ces catégories sociales. L'accent sera mis sur l'économie sociale sous toutes ses formes et sur des projets d'activation, que ce soit dans le secteur marchand ou dans le secteur non marchand. La complémentarité entre toutes les formes de travail rémunéré est visée. L'on examinera également à cet effet les possibilités légales d'introduire des clauses sociales dans les adjudications publiques. Dans ce contexte, l'utilisation de clauses sociales visant soit à donner un appui aux acteurs agissant dans le secteur de la formation ou de l'insertion par le travail soit à favoriser un public-cible qui bénéficie, lors de la réalisation du marché public, d'actions de formation et d'insertion par le travail est envisageable même si sa mise en œuvre reste délicate compte tenu des effets pervers et discriminatoires qu'elle pourrait engendrer. 7 "Livre vert sur les marchés publics dans l'Union Européenne – Pistes de réflexion pour l'avenir". Dans le secteur des déchets, la mise en place du système FOST Plus a abouti à une disparition progressive des activités de collecte des déchets de papiers de l'asbl TERRE. Celle-ci estime que sa survie, dépend, dans le court terme, de dispositions législatives en termes d'attribution préférentielle de certains marchés aux entreprises d'insertion à finalité sociale. Celles-ci devraient, selon l'asbl TERRE, être intégrées au niveau des critères d'attribution dans le cahier spécial des charges réglementant l'octroi des marchés de collecte des déchets d'emballages. Une autre piste consisterait à obliger, par le biais de leur agrément, les organismes en charge de l'obligation de reprise à réserver une quotité déterminée des marchés de recyclage à des sociétés et associations à finalité sociale pour autant que ces marchés n'atteignent pas un certain seuil fixé au niveau européen. 3.2. Instruments de politique sociale L'accord de coopération entre l'Etat, les Régions et la Communauté germanophone relatif à l'économie sociale (approuvé par la Loi du 26 juin 2000)8 postule qu'il faut considérer l'économie dans sa globalité en y intégrant non seulement des objectifs économiques, mais aussi des objectifs sociaux, environnementaux et éthiques. En vertu de cet accord, les Régions, la Communauté germanophone et l'Etat fédéral s'engagent à associer leurs efforts sur le plan de la recherche, de la récolte des informations et de la promotion de l'économie solidaire, et ce en vue de : a) b) c) poursuivre le développement d'initiatives et d'entreprises d'économie sociale qui respectent les principes de base suivants : la primauté du travail sur le capital, une autonomie de gestion, une finalité de service aux membres et à la collectivité plutôt que le profit, un processus décisionnel démocratique, un développement durable respectueux de l'environnement; soutenir un esprit d'entreprise socialement responsable, à savoir une façon d'entreprendre qui vise à atteindre le succès économique dans le respect de la cohésion sociale et de l'équilibre écologique; soutenir les services de proximité, notamment les services accomplis en vue d'améliorer les conditions de vie des citoyens ou de répondre à des besoins collectifs locaux à condition que le développement de ces services soit à la base de la création d'emplois stables et n'entraînent aucune autre forme d'exclusion ou de dualisation tant du marché de l'offre et de la demande que du marché du travail. Même si l'accord concerne essentiellement les Ministres en charge de l'économie et en charge de l'emploi, des initiatives développées dans le secteur de l'environnement en général et des déchets en particulier peuvent être prises en compte (ex : les kringloopcentra en Région flamande dont l'objectif premier est la promotion des activités de collecte, de tri et de réutilisation des déchets par le biais de l'économie sociale). 8 Ainsi que, pour la Région wallonne, par le décret du 04 juillet 2000 portant assentiment à l'accord de coopération conclu entre l'Etat, les Régions et la Communauté germanophone relatif à l'économie sociale (MB du 02/10/01). 3.3. Instruments de politique environnementale 3.3.1. La hiérarchie des priorités en matière de gestion des déchets La hiérarchie des priorités en matière de gestion des déchets constitue le canevas de référence de l'action des pouvoirs publics. Elle met en évidence le fait qu'après la prévention, la réutilisation et le recyclage constituent deux voies essentielles d'une gestion des déchets s'inscrivant dans le cadre du développement durable. Depuis de nombreuses années, les entreprises d'économie sociale ont développé des méthodes de gestion des déchets visant à un plus grand taux de réutilisation des déchets, éventuellement après réparation, en tant que biens de seconde main. Cette option de traitement s'inscrit d'ailleurs très logiquement dans le prolongement d'une pratique de collecte en porte-à-porte, qui permet d'affiner la sélection des déchets et d'augmenter le taux de réutilisation. Toute modification de la hiérarchie visant à considérer leurs activités en matière de réutilisation comme étant une priorité classée comme supérieure par rapport au recyclage permettrait aux entreprises d'économie sociale de légitimer davantage leurs actions dans le secteur des déchets, de mettre en évidence les bénéfices environnementaux générés par leurs activités et surtout de demander une aide financière correspondant aux coûts environnementaux évités grâce à leur action. De surcroît, les messages véhiculés par les entreprises d'économie sociale peuvent se résumer comme suit : - ne pas jeter trop vite mais plutôt donner ses objets ou vêtements usagés, - ne pas acheter des produits non réutilisables ou non recyclables; - favoriser les achats en seconde main. Tous ces message contribuent à améliorer l'utilisation des ressources, ce qui est un axe prioritaire des politiques environnementales actuellement. Enfin, concernant le dernier point susmentionné, il faut souligner que l'action des entreprises d'économie sociale permet de proposer des objets de première nécessité (vêtements, meubles, frigos, cuisinières, convecteurs, etc...) à des prix abordables aux personnes disposant d'un faible pouvoir d'achat. Leur permettre d'acheter des produits, même à bas prix, contribue à préserver leur dignité. Les entreprises d'économie sociale permettent donc d'atteindre un double dividende (environnemental et social). 3.3.2. La planification en matière de gestion des déchets Le plan wallon des déchets horizon 2010 souligne l'importance du rôle de l'économie sociale dans le domaine des déchets - en particulier dans sa dimension de développement de l'emploi – et prévoit d'assurer aux entreprises d'économie sociale une aide financière pour la réalisation d'actions de recyclage (mesure 618-page 504 du PWD). C'est dans ce contexte que l'Université de Liège a obtenu une mission de réflexion, d'analyse et de proposition en vue de mettre en évidence les créneaux d'activités et les cadres juridiques nécessaires permettant aux entreprises d'économie sociale de développer significativement leurs activités dans le domaine des déchets en Région wallonne. Par ailleurs, la collecte des textiles par l'asbl Terre a d'ores et déjà obtenu une certaine reconnaissance ainsi qu'un subside pour ce type d'activités en Région wallonne. L'enjeu sera d'intégrer les conclusions des réflexions susmentionnées dans le cadre de la révision du plan wallon des déchets horizon 2010 ainsi que dans le cadre de la révision prévue en 2002 du rôle des instruments économiques (subsides/taxes) mis en oeuvre par la Région wallonne dans le secteur des déchets. Rappelons que le succès rencontré par les kringloopcentra en Flandre provient essentiellement du fait qu'ils ont été intégrés très tôt dans la politique flamande de gestion des déchets tant au niveau régional que provincial et communal. 3.4. Instruments de communication et d'organisation L'internationalisation des marchés oblige les entreprises d'économie sociale à tisser des liens de collaboration, de concertation et à travailler en réseau en vue de préserver leur plus-value sociale. 3.4.1. Etat fédéral - Arrêté royal du 22 mai 2001 portant octroi d'une subvention de 3.200.000 BEF à l'asbl RREUSE dans le cadre de la mise sur pied d'un Réseau européen d'économie sociale pour des activités de réutilisation et de recyclage Le Ministre fédéral de l'Economie sociale a souhaité que la vision belge de la notion d'économie sociale prenne davantage d'ampleur au niveau européen et a, par le biais de l'arrêté susvisé, octroyé une subvention en vue de soutenir un projet de mise sur pied d'un Réseau européen d'acteurs d'économie sociale pour des activités de réutilisation et de recyclage des déchets. Dans ce contexte, RREUSE, asbl de droit belge, a pour objectif de représenter, de soutenir et de développer les organisations et les entreprises d'économie sociale dont les activités sont axées sur la réutilisation et le recyclage de matériaux et de produits. RREUSE souhaite ainsi contribuer d'une manière substantielle au développement durable en accordant la même importance à l'intégration sociale des groupes défavorisés et à risques, à la protection de l'environnement, à l'égalité économique et à la qualité de la vie. RREUSE projette de développer la mise au point d'une stratégie commune entre les organisations et les entreprises d'économie sociale, l'élaboration de projets transfrontaliers, l'échange mutuel d'informations, d'expériences fructueuses, de recherche et développement ainsi que la mise sur pied de nouvelles activités et de joint-ventures. Par ailleurs, des activités en vue d'influencer la prise de décision politique seront également menées, en vue de combiner l'économie sociale et les activités de réutilisation et de recyclage. 3.4.2. Région wallonne – Arrêté ministériel octroyant une subvention à l'asbl RESsources pour une mission de développement des activités d'économie sociale dans le réemploi et la valorisation matière des déchets Cet arrêté trouve sa source dans le constat effectué lors de la préparation du Plan wallon des déchets – Horizon 2010 où plusieurs entreprises d'économie sociale actives dans le domaine des déchets ont exprimé leur crainte devant la montée en puissance des activités du monde industriel du déchet susceptible de conduire à privilégier des processus intensifs en capital et à reléguer l'économie sociale à des activités non rentables ou à la fourniture de main-d'œuvre bon marché. L'asbl est chargée en général de l'organisation du secteur et du développement des activités d'économie sociale dans le domaine des déchets en Région wallonne dans une dynamique de concertation et de travail en réseau. Plus particulièrement, elle vise à structurer et développer les entreprises du secteur autour des filières de déchets pour lesquelles les entreprises d'économie sociale disposent soit d'une avance et d'une expérience significative - (par ex. : textile) – soit pour lesquelles le marché est peu structuré et laisse des possibilités de développement à l'économie sociale. Cette mission comprend également une tâche de suivi de tous les instruments mis en oeuvre tant au niveau fédéral que régional en vue de défendre les intérêts de l'économie sociale dans le secteur des déchets. 3.4.3. Le label Solid'R Par souci de transparence vis à vis des donateurs et des pouvoirs publics quant à leur éthique de fonctionnement et afin de marquer leur spécificité commune, six entreprises d'économie sociale ont décidé d'unir leurs efforts autour de la charte et du label "SOLID'R", contrôlé par un organisme indépendant (Ethibel). Le label doit permettre aux entreprises signataires de cette charte éthique d'être identifiées comme des opérateurs fiables, à l'origine d'une plus-value sociale et environnementale. 3.4.4. Mise en place d'un label/agrément de l'entreprise sociale par les pouvoirs publics Une autre piste consiste à établir une reconnaissance publique de la spécificité des entreprises sociales actives dans la gestion des déchets. Une telle initiative permettrait9 : - - 4. une meilleure identification de l'entreprises sociale "verte" et une prise de conscience dans le chef des citoyens et des pouvoirs publics de la spécificité et des plus-values collectives apportées par ce type d'entreprise; une structuration du secteur qui à l'heure actuelle se présente encore de façon fort hétérogène (tailles des entreprises, filières, finalités,...); l'octroi sur base de critères objectifs d'aides publiques destinées à compenser le service offert à la collectivité; la mise en place de discrimination(s) positive(s) en faveur des entreprises sociales "vertes" au travers des diverses réglementations sectorielles et de la réglementation des marchés publics. CONCLUSIONS L'économie sociale est un champ d’application particulièrement intéressant pour la réalisation de projets de développement durable. Son évolution permet d’y rechercher la combinaison optimale d'objectifs sociaux, environnementaux et économiques dans un contexte en perpétuelle évolution, tant au niveau des besoins qu'au niveau du marché, ce dernier tendant vers la globalisation et la concentration. Ce processus, accéléré par l'unification européenne, contraint l'économie sociale à de constantes adaptations ainsi qu'à la recherche de nouvelles collaborations, en ce compris avec l'économie régulière, tout en veillant à garder ses spécificités. Le secteur de l'environnement est l'un des secteurs économiques qui a connu la plus forte croissance ces dernières années. Le secteur des déchets n'a pas échappé à la règle sous l'impulsion notamment de la réglementation et de la mise en oeuvre de nouveaux principes dans les politiques y afférentes. Actives de longue date dans la récupération des déchets, les entreprises d'économie sociale sont donc confrontées à une concurrence de plus en plus vive dans un marché qui se concentre et qui s'internationalise. Dans ce contexte, les principes fondateurs et les valeurs de base de l'économie sociale – telles que la solidarité, l'éthique ou la démocratie – doivent trouver un ancrage nouveau pour permettre la survie de leurs activités dans le secteur des déchets. Il semble clair qu'outre l'exploration de nouveaux créneaux – tels que les déchets de bois ou les services de proximité en matière d'enlèvement de déchets – le maintien et le développement des entreprises d'économie sociale passera par l'activation de nouveaux partenariats, notamment avec les autorités locales. En effet, eu égard à la petite taille des entreprises sociales ainsi qu'à la nature de leurs activités en matière de gestion des déchets (se résumant principalement à la collecte, au tri et à la réutilisation) et compte tenu du rôle important du niveau local dans ce domaine, il faudra encourager le développement des collaborations entre les entreprises sociales et les communes ou les intercommunales. 9 Recommandations de l'étude "Economie sociale et gestion des déchets" – Université de Liège - Faculté d'Economie, de Gestion et de Science Sociale – Centre d'Economie Sociale. L'évaluation de l'action des entreprises d'économie sociale dans le secteur des déchets se heurte actuellement à une absence de connaissances statistiques suffisantes ainsi que d'instruments de mesure quantifiant les externalités positives de leurs actions (et notamment les bénéfices sociaux et environnementaux produits)10. Cette situation débouche sur une absence de visibilité , de lisibilité claire des actions entreprises par l'économie sociale, alors que l'évaluation des politiques mises en oeuvre dans le secteur des déchets devrait idéalement reposer sur des indicateurs de développement durable mesurant les évolutions et les interactions des paramètres relatifs aux différentes composantes du développement, à savoir les ressources économiques, sociales, environnementales et institutionnelles de la société.11 L'économie sociale est un secteur dont l'identité est encore mal définie dans le domaine des déchets. La mise en place d'un agrément par les pouvoirs publics témoignerait de la reconnaissance de son utilité et justifierait la mise en place de discriminations positives au travers de réglementations sectorielles et de la réglementation des marchés publics. Certaines initiatives dispersées ont déjà été récemment mises en place. Elles reposent largement sur le recours aux instruments économiques (taux réduits de TVA, clauses sociales dans les marchés publics, subsides) et doivent encore être affinées ou développées. Leur efficacité dépendra de l'établissement d'une convergence d'objectifs entre les politiques environnementale, sociale et économique. Pour l'instant, le lieu garantissant l'établissement de cette convergence n'existe pas. Ce constat rejoint une préoccupation de l'économie sociale qui plaide pour la mise en place d'une structure interservices au sein de la Commission Européenne et d'un groupe de travail interdépartemental au niveau des administrations fédérales et régionales qui traiterait l'économie sociale dans toutes ses composantes et quantifierait l'impact des autres politiques sur ce secteur. 10 Ce constat rejoint une des conclusions générales formulées notamment par le secteur concerné, celui –ci demandant que des outils statistiques performants soient développés et affinés pour saisir l'importance et le poids des entreprises d'économie sociale. L'élaboration d'un système d'information statistique globale sur les Associations est actuellement en discussion au niveau du Working Group on National Accounts de l'ONU. Une volonté politique est à présent indispensable pour passer de ce stade expérimental à l'inscription structurelle de ces efforts dans le sillage du Système Européen des Comptes Nationaux (SEC-1995). En même temps, il importe qu'une démarche proprement européenne assure la mise en place d'outils statistiques pour les autres composantes de l'économie sociale. 11 Plus généralement, à côté d'un besoin de visibilité et de lisibilité, un enjeu décisif pour l'économie sociale sera de s'atteler au chantier de la création de nouveaux indicateurs de richesse. "Les acteurs de l'économie sociale qui quotidiennement font le choix de privilégier les objectifs sociaux et humains face aux exigences du seul profit, ne peuvent en effet accepter de se laisser imposer des critères d'évaluation qui ignorent les enjeux environnementaux, sociaux, de santé, d'équité,..." (Résolution européenne du secteur de l'économie sociale).