Programme - Odéon-Théâtre de l`Europe

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I
L'ODÉON
• THÉÂTRE
DE
L'EUROPE
■
AU
FESTIVAL
D'AVIGNON
■
• Quatre spectacles de la prochaine saison de l'Odéon . Théâtre de l'Europe
Le Chevalier d'Olmedo
Terra Incognito
Le livre des fuites
Les dits de lumière et d'amour
• Un spectacle mis en scène par Llui's Pasqual
Los Caminos de Federico, avec Alfredo Alcon
POINT
RENCONTRE
ODÉON
THÉÂTRE
DE
L'EUROPE
Un lieu d'information et de rencontre est à la disposition du public avignonais au 4, rue Grande Meuse (parking des Halles, côté
rue Bonneterie). Il pourra y rencontrer l'équipe de l'Odéon «Théâtre de l'Europe, s'informer sur la programmation du Théâtre et y
trouver la documentation s'y rapportant: brochure de la saison 92-93, texte et programme du Chevalier d'Olmedo et des
anciens spectacles, numéro spécial d'Alternatives Théâtrales sur le théâtre de l'hispanité, tee-shirt "Chevalier d'Olmedo",
affiches, etc...
Heures d'ouvertures : de 11 h à 13 h et de 16 h à 19 h.
THÉÂTRE
DE
L'HISPANITÉ
Un numéro spécial de la revue Alternatives Théâtrales consacré au théâtre de l'hispanité a été publié en collaboration avec
l'Odéon • Théâtre de l'Europe. Théâtre espagnol et théâtre latino-américain, mais aussi leur présence en France, sous certains
aspects choisis de l'actualité et de l'histoire, du répertoire et de la réflexion esthétique ou dramaturgique.
SIÈCLE
D'OR
EN
ESPAGNE
Du 17 au 21 novembre 92, l'Odéon • Théâtre de l'Europe organise en collaboration avec l'Instituto Nacional Miguel de
Cervantes, cinq journées autour du Siècle d'Or (renseignements auprès du Théâtre).
ODÉON
théâtre dk
L'EUROPE
LLUIS PASQUAL
place de l'Odéon
TÉL t 43 25 70 32
TÉL t 44 41 36 36
Photographies : Ros Ribas . Textes réunis par Jean Torrent
Conception graphique: Laurence Durandau. Impression Jarach-Laruche ; photocomposition Cité Compo
VG&A
LE
CHEVALIER
D'OLMEDO
texte français de
Avec (par ordre d'entrée en scène)
Don Alonso
Tello
Fabia
Dona Inès
Dorïa Léonor
Anna
Don Rodrigo
Don Fernando
Don Pedro
Le Roi Juan II
Le Connétable
Un laboureur
Une ombre
Mendo
Jean-Marc Barr
Jean-Michel Dupuis
Evelyne Istria
Isabelle Candelier
Patricia Dinev
Violeta Ferrer
Christian Cloarec
Francis Frappat
Nicolas Pignon
Michel Weinstadt
Guy Perrot
Fernando Becerril
Bernard Montlouis
Stefan Bedrossian,
et
Jean-Renaud Cayrou,
Guy le Coze,
Elodie Lheure,
Bertrand Scheidt
Musiciens
Mise en scène
Décor
Costumes
Lumières
Chansons
Direction musicale
Assistants à la mise en scène
Assistante au décor
Assistant aux costumes
Assistant aux lumières
Réalisation du décor
Réalisation des costumes
Jean-François Piette,
Nathalie Rives
.....
Zéno Bianu
Lluis Pasqual
Ezio Frigerio
Franco Squarciapino
Pascal Mérat
Josep Maria Arrizabalaga
Pedro Estevan
Patrick Haggiag, Luis del Aguila
Carole Metzner
Olivier Bériot
Guy Merlan
La Scenotecnica
Les Ateliers du costume
Conseiller pour le son
Réalisation sonore
Alan Goldberg
Serge Lechenadec, assisté de Serge Robert
Maquillage et coiffure
Dressage
Combats réglés par
Isabelle Leroy, Annick Dufraux
Mario Luraschi
Raoul Billerey, assisté de Lionel Vitrant
Stagiaires à la mise en scène
Olivia Burton, Richard Ferraro,
Balazs Géra, Jordi Godall
Remerciements à l'équipe technique du Volcan - Le Havre
Coproduction
O /1; Piace Paul Claude] . d
M
75006 PARIS
'
PQ\ejbuoïïïeque / §,
ODÉON . THÉÂTRE DE L'EUROPE,
FESTIVAL D'AVIGNON,
LE VOLCAN . LE HAVRE,
avec le soutien de la ville de Clermont-Ferrand
Cour d'Honneur du Palais des Papes . Festival d'Avignon du 10 au 19 juillet 92
Odéon . Théâtre de l'Europe . Paris du 5 novembre au 30 décembre 92.
Le Volcan-Le Havre du 8 au 16 janvier 93.
Théâtre des 13 Vents . Montpellier du 20 au 22 janvier 93.
Clermont-Ferrand . 26 et 27 janvier 93.
• Le texte de la pièce est publié dans la version française de Zéno Bianu aux Éditions Actes Sud-Papiers.
Ecoutez bien
et ne discutez plus des choses de l'art.
En écoutant les pièces,
on trouve moyen de tout connaître.
Lope de Vega, Arte nuevo de hacer comedias
J'avais vingt ans. Et vingt jours de permission. Nous roulions vers le sud, vers la Castille. Au sortir d'une
courbe, la route se dérobait avec soudaineté, ouvrant l'horizon au regard. Ravissement du cœur et des sens,
brusquement aspirés par l'inattendu spectacle : au-dessous de nous, la Castille entière était d'or, vaste
champ de blé où l'on procédait à la moisson, poussière dorée en suspension dans l'air devenu tout à coup
irréel. Le souvenir est encore vivace d'avoir perdu pied devant la proximité vertigineuse où se rejoignaient le
labeur des hommes et l'expression, la plus achevée peut-être, du sacré. La poésie baroque, on l'a répété,
chérit pareilles alliances. L'or tombe sous le fer.
S'il est une pièce de théâtre renfermant aussi bien l'or et la terre de Castille que le frémissement de l'être à
l'évocation de ce miracle que m'offraient les hasards conjugués d'une errance sans souci et de la lumière, Le
Chevalier d'Olmedo de Lope de Vega est celle-là. Long poème où l'envol lyrique, la suspension lyrique
allais-je écrire, avoisine le réalisme le plus quotidien. Ici, la liberté d'écriture du "prodige de la nature et
père du théâtre" n'a d'égale que son élégance, sa grâce et sa fluidité. Le miracle, je le comprends aujourd'hui
en songeant au blé qui meurt, ne pouvait naître de cette seule émancipation formelle. Il jaillit de plus loin, de
plus profond, d'une légèreté qui caractérise, presque paradoxalement, le plan idéologique, métaphysique
de la pièce.
L'amour et la mort, certes, mais cela sans gravité, par la simple vertu d'une complainte archaïque, dont
la pièce entière ne serait que la glose: "C'est dans la nuit qu'ils l'ont tué,/lui, le chevalier,/le joyau de
Medina / et la fleur d'Olmedo." Chronique d'une mort annoncée, écrit Francisco Rico dans sa préface à
l'édition espagnole. Simple fait divers rapporté en langage poétique. Comme ce journal télévisé qu'une
rédaction britannique avait concocté en vers blancs et au souvenir duquel les spectateurs interrogés ne
répondaient qu'un "C'était beau" aussi émerveillé qu'indigent, sans pouvoir alléguer plus ample explication.
A l'inverse de La Vie est un songe de Calderân, Le Chevalier d'Olmedo n'est pas un pur produit du baroque
espagnol. Ou peut-être l'est-il seulement dans ce retournement subversif qui fait voir les coulisses, plutôt que
la façade, de la société espagnole du XVIIème siècle. Pièce éminemment théâtrale (par le jeu incessant,
vaudevillesque des entrées et des sorties, tout en définitive ne serait qu'une question de portes), qui élimine
pourtant toute théâtralité superflue, renonce à l'apparat de la machinerie baroque à l'italienne, subvertit les
codes de l'amour courtois et de l'honneur (le personnage de Fabia sait ce qu'il doit à La Célestine). Il n'est pas
jusqu'au roi, affichant plutôt une passion pour les joutes sportives qu'une digne majesté, qui ne dénonce,
dans le commentaire sur les vêtements distinctifs que doivent porter les membres des communautés juives et
musulmanes, les fondements d'un monde où peuvent fleurir l'intolérance et la barbarie. Ainsi Rodrigo, le
rival du Chevalier, deviendra-t-il dangereux dès lors que, brandissant le spectre (très actuel) de l'étranger et
de l'intrus, il transportera sa passion sur un plan politique.
Dans cette somptueuse et libre entreprise qui s'élance à l'assaut des conventions, il est une suspension plus
essentielle que celle évoquée plus haut, la suspension du jugement. Ici, rien n'est affirmé. Et pas même une
quelconque vérité qui toucherait à l'amour. Si Le Chevalier d'Olmedo est certes un poème d'amour, il est
aussi un propos sur l'amour, en ce qu'il en autorise la représentation sous des formes diverses. La relation
amoureuse d'Inès et Alonso n'a pas ce caractère absolu et tyrannique de celle de Roméo et Juliette. Sans
doute Leonor, Fernando, Tello, Fabia aiment-ils. Seulement, leur "mode d'aimer" est autre. Moderne, seraiton tenter d'écrire, s'il fallait qualifier ce relativisme. "Moderne et ancien, c'est-à-dire éternel comme la mer"
dit Federico Garcia Lorca.
Sur le chemin du Chevalier, l'irruption de l'amour est aussi brutale que la balle de pistolet qui le projettera
dans une mort absurde. Il y a une courbe ininterrompue qui mène du coup de foudre au coup de feu, sous un
ciel où les présages les plus sombres s'accumulent et s'opposent violemment à l'éclat solaire d'un être qui
triomphe et se joue des périls les plus grands. Ici, comme chez Empédocle, l'amour est le premier moteur.
C'est par sa définition que commence le texte du Chevalier d'Olmedo : "Amour, que nul ne te nomme amour/
s'il n'est lui-même écho d'amour ! / Car il n'est rien au monde / qui soit vierge de toi !" L'amour seul pousse
le Chevalier mélancolique à l'action. Hors d'elle, Alonso, aliéné, retombe dans les sombres humeurs de la
solitude et succombe aux affres de la dépression. Tout au long des trois journées, le Chevalier ne ressassera
qu'une seule phrase : "Je meurs d'amour".
Histoire simple. (Accusera-t-on de complexité l'expression très pure d'Inès: "Après t'avoir dit oui,/je dirai
non au monde entier!"?) Tragédie sans tragique. Toute présence du destin, de la prédestination, sans que
pour cela soient convoqués la controverse théologique, le syllogisme augustinien, ni les débats
psychologiques. Il y a une vérité en chacun des personnages, une vérité très haute, poétique, comme il existe
aussi un monde de questions sans réponses, un univers magique. Pour entrer dans Le Chevalier d'Olmedo et
accéder aux tonalités inouïes, mystérieuses et fraîches de la galaxie lopesque, une seule voie possible, celle
de la poésie. Je m'adressai donc au poète français Zéno Bianu. Je soupçonne qu'il existe une communion
secrète, monstrueuse peut-être, entre poètes (ne sont-ils pas un peu sorciers ?), tant le travail de Bianu, que je
découvrais "in progress", me semblait la résurgence, à travers une autre langue et une époque différente,
d'une seule et même source. Le plaisir de faire découvrir au public français une grande pièce s'accroît
aujourd'hui de celui de pouvoir le faire dans une langue si belle.
La poétique du XVIIème siècle espagnol, nourrie d'influences juives et musulmanes, est bâtarde. Ni tout à
fait libre ni tout à fait corsetée, elle est située dans l'espace intermédiaire entre l'alexandrin français (et sa
formidable capacité à tout exprimer) et le vers blanc shakespearien. Plutôt qu'une traduction ou une
adaptation, le texte français de Zéno Bianu se donne à lire comme une variation musicale. Ni prose ni défilé
d'alexandrins, il est une tentative de retrouver, selon le vœu de Lope de Vega, une équivalence entre
métrique et sentiment en modulant les rythmes et les cadences. Ainsi la langue d'amour, monologues
lyriques et dialogues des amants, est-elle ici retranscrite en vers pairs. Il recourt par ailleurs à la version
originale de la pièce, laquelle ne comportait ni découpage scénique, ni indications de lieu, rendant ainsi Le
Chevalier d'Olmedo à son essence, un long poème lyrique, une geste flamboyante dont l'action se déroule
partout et nulle part, le lieu même du théâtre.
Lluis Pasqual
CHANSON
DE
1ER
Cordoue
lointaine et seule.
Lune grande, jument noire,
olives dans le bissac,
j'ai beau connaître la route
je n'atteindrai pas Cordoue.
Par la plaine, par le vent,
jument noire, lune rouge,
la mort tout là-bas me guette
depuis les tours de Cordoue.
Ah, ma jument valeureuse
quelle interminable course !
Je sais que la mort m'attend
sur le chemin de Cordoue !
Cordoue
lointaine et seule.
Federico Garcia Lorca
(traduit de l'espagnol par André Belamich)
LE
GRECO
EGARE
DANS
"C'est dans la nuit qu'ils l'ont tué,/lui, le chevalier,/la gloire de
Medina/et la fleur d'Olmedo. / Les ombres l'ont averti/de ne point
s'en aller..." Ballade orale, simple chanson populaire surgie du plus
profond de la mémoire collective, et qui continue à courir de bouche en
bouche. La nuit castillane, sereine transparence où les astres semblent
effleurer l'écume dorée des champs, devient ici l'espace du plus haut
trouble. Et le monde déjà "rend le son du verre fêlé qui va se rompre".
Pour le chevalier en proie à la mélancolie - mélancholia qui évoque
celle de Durer, soit un état
LES BLES DE VAN GOGH a, ..intensite
.
- ,loin
. de
, tout
.
vague à l'âme romantique-, le coup de foudre surgit comme une révélation, tonnerre du cœur dans le ciel sans nuages de la loi, à l'imitation
de certaine chute de Paul sur le chemin de Damas. "On demanda à
l'ami de qui il était. Il répondit: D'amour. De quoi es-tu? - D'amour. Qui t'a engendré ? - Amour. - Où es-tu né ? - Dans l'amour." (Raimond
Lulle, Le livre de l'Ami et de l'Aimé). L'étincelle de l'amour met le feu
aux poudres de l'âme. Mais de ce qui préside à ce feu dévorant, rien
ne nous est dit. Ici, nulle explication, nulle psychologie; rien n'est légitimé, ni justifié, encore moins rationalisé. "Folie des dieux" ou "enfant
des étoiles", l'amour fait irruption sous le signe de l'évidence absolue.
Roi acculé dans le coin d'un échiquier cosmique, don Alonso vacille
trois jours durant entre providence et destin, avant d'acquiescer à la
fatalité du mat, qu'annoncèrent présages, rêves et apparitions. L'amour
établit le désordre le plus brutal, sans que nul, tragiquement, ne puisse
en cerner le pourquoi. Il procède par contagion, contaminant tous les
protagonistes à la plus grande vitesse mentale. Ainsi certains mots "brûle", "enflamme", "embrase" - qui, une fois prononcés, semblent
continuer de flotter dans l'air, et que reprennent tour à tour des personnages habités par des questions sans réponses. Fièvre électrique, tremblement de nerfs. Nous sommes bien dans l'espace du mythe, mais
débarrassé de tout apparat, saisi et restitué en tant que pure énergie.
C'est sur le mode de l'emportement que le chevalier, Tristan cyclothymique ou Roméo-Manolete, décline l'identité douloureuse de l'amour
et de la mort. La poésie, oui, mais magnifiée par la splendeur du vivant.
'Tandis que pour les législateurs du théâtre, l'âme humaine n'était poétique que si elle habitait un corps sculpté par l'antiquité, Lope donne
rang de personnage dramatique à l'homme actuel, à tout ce que les
hommes d'alors sentaient et pensaient. " (Menéndez Pidal). S'il est une
métaphysique chez Lope de Vega, elle se joue à bride abattue. A l'instar de la phtisie, elle est littéralement galopante. Explosive, comme si le
feu gouvernait les rapports entre les êtres. "Arde le fleuve, arde la mer,
fume le monde", chantait Gôngora dans un fragment de sonnet peu ou
prou contemporain de la composition du Chevalier d'Olmedo. Si le
ciel, en effet, pèse de sa toute-présence, il ne peut s'alimenter qu'aux
éléments de la terre-mère - ce dont témoigne ici le personnage de Fabia,
sœur spirituelle de la Célestine, sorcière lubrique et généreuse .../...
La nuit vient répandre son mystère sur nous
quelque chose nous dit: mourir c'est s'éveill
Xavier Villaurrutia, Nostalgie de la mort.
rassemblant en elle tous les possibles de la Femme. A l'instar de sa vie mouvementée (il fut tour à tour secrétaire, soldat,
écrivain et prêtre - sans parler de ses amours multiples), le théâtre de Lope ne s'installe jamais dans une seule configuration, mais joùe l'instabilité perpétuelle. Il faudrait parler ici d'une physique des sentiments où la vie n'obéirait qu'à la seule métamorphose. Commandé tout entier par un rebondissant gracioso, le Chevalier d'Olmedo pratique ainsi l'art du sauf, qui ne
ménage aucune transition entre envolée lyrique et réalisme quotidien. Au fond, la voix de Lope se tient toujours dans un entredeux, espace de pure fantaisie situé entre monde réel et monde magique, visible et invisible - nul ne saurait dire ici quel est
l'autre côté du miroir -, entre épopée et fait divers, grotesque et pathétique, frivole et grandiose, dérisoire et merveilleux.
Mariage des extrêmes. Extase et détresse. Pessimisme jubilatoire. Comme si le moindre geste, la moindre parole avaient
toujours droit à une double modulation : l'une tragique et l'autre comique.
Le Chevalier d'Olmedo apparaît ainsi comme un véritable vaudeville métaphysique, jouant à loisir avec les codes et conventions
du temps (honneur, piété, amour courtois, etc.), un West Side Story où les héros ne cessent d'entrer et de sortir, s'affrontant
comme des chiffonniers sublimes sous un ciel à la Giotto. Comédie de cape et d'épée, parade animale, danse de mort où la chorégraphie de chaque scène rappelle la rigueur virtuose de la véronique, ce mouvement au cours duquel le torero fait passer le
taureau le long de son corps. Ici, pas d'arrêt sur image, fût-elle poétique. Tout est éclair perpétuel, réconciliant sur le mode de la
plus somptueuse vitalité le hiératisme du Greco et la légèreté de Lubitsch. "Es de Lope", disait-on au XVIIème siècle pour qualifier l'excellence d'une chose inimitable. Et cette admiration alla si loin que l'Inquisition dut interdire une parodie du Credo qui
commençait ainsi : "Je crois en Lope tout-puissant, poète du ciel et de la terre..."
A l'urgence des sens, à la gymnastique des humeurs, à la fièvre de la quête spirituelle, répond - équation on ne peut plus baroque - la liberté luxuriante de la langue, en révolte contre les normes classiques que la Renaissance avait ressuscitées. "Mes muses
peuvent bien aller en espadrilles", plaisantait Lope, et sa palette mêle sans cesse des accents désespérés qu'on croirait empruntés à Fray Luis de Leôn ou à Jean de la Croix, aux tonalités les plus fraîches et les plus spontanées issues des complaintes, rondes
et autres randonnées de la poésie populaire. Comme si le "prodige de la Nature" nous donnait la règle du jeu et, pour tout dire,
du théâtre : l'absolu, oui, mais dans sa plus extrême incarnation.
Zéno Bianu
ZÉNO BIANU
est né le 28 juillet 1950 à Paris. Poète, essayiste et traducteur, il a publié, seul ou
collectivement Manifeste électrique (Soleil noir), Mort, l'aine (Christian Bourgois,
1972), Les Religions et la Mort (Ramsay, 1981), Poèmes et proses des ivresses
(Seqhers, 1984), Montra (Les Cahiers des Brisants), Connaissance de l'ombre
(Passage, 1987), /.a Danse de l'effacement (Brandes), Fatigue de la lumière (Granit).
Il a traduit des poètes indiens contemporains dans La Parole et la Saveur (Le Cahier
des Brisants, 1986), des poètes classiques chinois dans La Montagne vide (Albin
Michel, 1987), Miklos Szentkuthy (Phébus) et nombre d'oeuvres dans le domaine du
Zen, du chamanisme et du Tao.
on Quichotte voulait répondre à Sancho
Pança, mais il en fut empêché par la vue
d'une charrette qui parut au travers du
chemin. Elle était chargée des plus divers et des plus
étranges personnages qui se pussent imaginer. Celui
qui conduisait les mules et qui servait de charretier
était un hideux démon. La charrette allait découverte
et à ciel ouvert, sans tapis ni claie. La première figure
qui s'offrit aux yeux de don Quichotte fut celle de la
Mort même avec une face humaine, et près d'elle
était un ange qui avait de grandes ailes peintes. On
voyait d'un côté un empereur portant sur son chef une
couronne qui semblait être d'or ; aux pieds de la Mort
se tenait le dieu qu'on nomme Cupidon. Il n'avait pas
de bandeau sur les yeux, mais il portait son arc, son
carquois et ses flèches. Il y avait aussi un chevalier
armé de toutes pièces, hormis qu'au lieu de morion ou
de salade il portait un chapeau tout couvert de plumes de diverses couleurs. Et avec ceux-ci on voyait
d'autres personnes de divers visages et divers costumes. Cette vue inopinée troubla en quelque façon don
Quichotte et jeta la terreur dans l'âme de Sancho.
Mais aussitôt notre chevalier devint tout joyeux: il
pensa que quelque nouvelle et périlleuse aventure
s'offrait à lui. En cette imagination et porté d'un courage prêt à s'exposer à tout péril, il se mit davant la
charrette, et d'une voix haute et menaçante il dit:
"Charretier, cocher ou diable, ou qui que tu sois, ne
diffère point de me dire qui tu es, où tu vas et quelle
gens tu portes sur ton chariot, qui ressemble plutôt à
la barque de Caron qu'à une charrette d'usage commun. -Monsieur, répondit doucement le diable en
arrêtant la charrette, nous sommes des acteurs de la
compagnie d'Angulo le Mauvais. Nous avons ce
matin, qui est l'octave du Corpus, joué en ce bourg
que l'on voit derrière cette colline le mystère des Etats
de la Mort, et nous le devons encore représenter en ce
village qui est ici devant nous. Etant aussi proches, et
pour nous épargner la peine de nous déshabiller et
rhabiller, nous allons vêtus des mêmes habits qui
nous servent dans nos représentations.
"Ce jeune homme représente la Mort, et cet autre un
ange. Celle-là, qui est femme de l'auteur, est la Reine ;
celui-là, le Soldat; cet autre, l'Empereur, et moi le
Diable et l'un des principaux rôles de la comédie,
parce que c'est moi qui dans la troupe tiens les premiers rôles. Si vous désirez savoir de nous quelque
autre chose, demandez-le moi, et je vous puis répondre fort exactement sur tout; car, en ma qualité de
diable, je n'ignore rien. -Par ma foi de chevalier
errant, dit don Quichotte, aussitôt que j'ai aperçu ce
char, je me suis imaginé que quelque grande aventure s'offrait à moi, et maintenant je dis qu'il est
besoin de toucher les apparences avec le doigt pour
se détromper. Dieu vous conduise, bonnes gens, et
achevez votre fête. Cependant, regardez si je vous
puis servir en quelque chose : je le ferai de bon cœur.
J'ai toujours, depuis mon enfance, été fort affectionné
à la comédie, et en ma jeunesse j'y avais toujours les
yeux pendus."
LA
Cervantes
Don Quichotte, II, 11
(traduction de César Oudin et François Rosset,
revue par Jean Cassou)
CHARRETTE
DES
CORTES
DE
LA
MORT
'SOsmi
HOLLYWOOD
ET
LA
"COMEDIA"
ESPAGNOLE
DE
LOPE
DE
VEGA
Les dernières années du XVIème siècle ont dû être un vrai délice pour les habitants de Madrid et d'autres grandes villes. Avec l'installation de théâtres permanents dans les corrales, on passa des représentations occasionnelles et presque improvisées des comédiens ambulants à la comédie comme divertissement élaboré et habituel. La population étant peu nombreuse et les pièces ne gardant l'affiche que
peu de jours, les auteurs devaient produire beaucoup, en toute hâte et sans prendre de risque. Ils ne pouvaient évidemment pas tout
inventer ni s'appuyer uniquement sur l'observation. Aussi s'approprièrent-ils non seulement toute la tradition de la poésie espagnole,
assujétissant à sa métrique et à ses rythmes les diverses tonalités du développement de l'intrigue; ils mirent aussi à profit toutes les expériences antérieures de l'art dramatique, du théâtre classique aux primitifs espagnols et à la commedia dell'arte, ils exploitèrent sans
ménagements toutes les possibilités de la fiction en prose, de la novella au roman pastoral et de chevalerie, et tous les grands répertoires
dramatiques, de la Bible et de l'histoire antique aux chroniques médievales et aux gazettes du jour. Jamais auparavant, on n'avait
mobilisé de fond en comble les ressources de la littérature universelle pour distraire pendant quelques heures un public en manque de
joies littéraires.
Même ainsi, le rythme de production n'aurait pu se maintenir si pour mener à terme, concrètement, chaque oeuvre, on n'avait pu rapidement se référer à certains genres, archétypes ou formules qui résolvaient la moitié des problèmes. Les thèmes étaient inépuisables, mais
la combinatoire de leur traitement disposait d'un nombre limité de facteurs. Dans toute pièce, il y avait six personnages indispensables : le
galant et son valet bouffon, la dame, qui évoluait à l'ombre de son père, car elle était orpheline de mère (aux actrices plus âgées, on
réservait un rôle plus conforme à un traitement comique), et sa suivante; et, vertu oblige, également le roi, n'importe quel roi. La composition des troupes suffit à faire comprendre que l'amour devait être le mobile principal dans la plupart des pièces et que les autres en
usaient dans une proportion considérable, peu importe le thème et l'ambiance qu'elles voulaient créer. Elle suffit aussi pour indiquer que
la comédie peignait un univers harmonieux, fondé sur les principes et encouragé par les illusions et les idéaux qui avaient cours dans
l'Espagne sous la maison d'Autriche: la religion, la continuité historique de la monarchie, une certaine version (poétique) de l'honneur,
l'héroïsme et les sentiments élevés... Un univers nécessairement heureux et, selon l'idéologie de l'époque, nécessairement conduit par le
roi et par le père; un univers embelli, dignifié, juste en définitive; un univers dans lequel, si boy meets girl et puis la perd, il ne manquera
pas de la retrouver, et si l'adversité surgit (lorsque certains rôles de la distribution ont leur pendant négatif dans d'autres), la providence
ne manquera pas de compenser le déséquilibre et de rétablir l'ordre.
Mais pour les madrilènes ou les valenciens du XVIIème siècle, la fréquentation du corral devait signifier à peu près la même chose
que ce que signifiait aller au cinéma dans les années vingt: une douce routine de constante nouveauté. Ce n'est pas un hasard si la
nourriture des uns et des autres était essentiellement composée d'oeuvres de genre. Celles-ci (pensons au récit policier ou au western)
nous amusent précisément parce qu'elles combinent la réitération et le changement dans des proportions exactes pour nous éblouir
sans aucun effort de notre part. Nous ne les recherchons pas pour troubler notre quiétude; nous acceptons la fantaisie et les tranches
de vie qu'elles nous offrent telles qu'elles sont; elles n'ont pas d'aspérités, leurs artifices nous sont familiers et nous les trouvons à la
mesure de notre désir. Les oeuvres de genre sont d'une nouveauté inépuisable et sont une des meilleures trouvailles que partagent le
Siècle d'Or et l'époque glorieuse d'Hollywood. N'hésitons pas à les mentionner ensemble. En effet, peu souvent, autant que dans ces
deux cas, on aura mis à contribution (et même gaspillé) autant de talent, ourdi autant de mensonges et manoeuvré aussi astucieusement les attentes d'un public aux goûts si bigarrés et pourtant si soumis aux artifices d'une "machine à rêves" située à la jonction de la
création et de l'industrie.
Comme on le sait, ce fut Lope de Vega qui fixa les façons de faire qui allaient prévaloir pendant deux ou trois décennies et subsistèrent pendant plus longtemps. Tout comme pour le cinéma, on abusa bien vite des transformations et des trucs optiques. Les dramaturges de la génération précédente avaient tenter de créer du relief à l'aide de toute une machinerie et de ressources spectaculaires
héritées des mystères médiévaux et des festivités publiques : rampes pour monter sur les planches à cheval, acteurs volant dans les airs (transportés par des cabestans) et qu'engloutissait la
terre (grâce à une trappe) ou disparaissant subitement (quand la machine tournait, telle un barillet de revolver montrant et cachant successivement chacune des faces) : des effets scéniques surprenants... Lope non plus ne dédaigna pas de tels procédés, surtout le Lope de la première
heure. Mais en les prodiguant, on courait le risque de leur ôter de la force et de finir par dilapider le trésor : il n'était ni prudent ni rentable que le théâtre fût quotidiennement "blessé, les jambes et les bras brisés, plein de mille trous, de mille pièges et de mille clous" (le "Phénix des
esprits" le personnifia en le faisant parler en ces termes, se plaignant d'être en si piteux état). Il
incomba au génie de Lope de Vega de lui faire épouser un modèle plus en accord avec le changement continuel des oeuvres, plus satisfaisant pour l'économie des imprésarios, plus conforme
à la configuration matérielle du co rral, plus austère et plus poétique.
Dans ce modèle, la scène à trois niveaux que le spectateur a devant les yeux, pareille à un retable
de neuf panneaux, semblable à un "échiquier" (selon la comparaison de Lope), de par sa continuité
avec l'environnement urbain, se convertit en son propre décor et se prête merveilleusement à être
regardée comme une réplique des rues et des maisons de Madrid, mais elle est aussi capable d'évoquer, par sa géométrie schématique, les multiples pièces d'un palais, ou de suggérer, par sa modestie, la simplicité d'un hameau. Les acteurs peuvent revêtir des habits de ville (s'habiller de "cape et
d'épée", lorsqu'ils représentent un gentilhomme), ou de vêtements ordinaires, sans qu'aucun
attrezzo spécial ne soit vraiment nécessaire. Selon la synthèse heureuse de Tirso de Molina, le
poète "distrait l'auditoire deux heures durant,/sans que ceci ne lui coûte/plus qu'un billet, deux rubans,/un verre d'eau ou un gant".
Lope de Vega polit la veine probablement la plus pure du théâtre espagnol en se servant d'éléments peu nombreux et banals qui
jouent avec des situations de la vie courante, en se divertissant de la grâce et de l'élégance des mots, en créant des opportunités pour
la voix et le geste. Il en fait un produit mûr, pleinement efficace du point de vue théâtral, un événement qui ne croule pas sous le poids
de ses outils ni n'est converti en pur spectacle, mais qui est conçu pour s'harmoniser avec les autres genres littéraires. Ainsi donc, les
chansons, les images, la diction donnent à l'air le coloris de la poésie lyrique. L'action est rapide et réglée, mais elle peut aussi se
ralentir dans des tableaux de mœurs ou dans des parenthèses étrangères à l'intrigue principale, pour faire savourer une conversation
raffinée et ingénieuse.
C'est la comédie des amours, des dédains et des ruses entre demoiselles et galants de la petite noblesse, à la ville et à la cour. Ou
bien, s'introduisant dans un milieu rural, c'est celle de paysans fortunés, dignes et sensés, moins frivole alors, plus têtue et tournant
même au tragique. Ou au contraire, transportée en Italie, dans des paysages et des temps lointains, elle devient plus piquante, plus
romanesque, moins vraisemblable. C'est la co média espagnole par excellence. (Je ne sais si je reste impartial en disant que le meilleur
fruit d'Hollywood est également la comédie, une comédie ayant de fortes affinités avec celle de Lope. En tout cas, l'une et l'autre coïncident souvent quant à leur sujet et leurs artifices.)
Francisco Rico,
de l'Académie royale espagnole
(in Alternatives théâtrales 41-42, Le théâtre de l'hispanité,
traduit de l'espagnol par Nadine Bucio)
LE
NOUVEL
ART
DRAMATIQUE
Vous m'ordonnez, nobles esprits, fleurs de l'Espagne, de
composer un art dramatique qui convienne au goût du
public; vous qui, dans cette illustre Académie, surpasserez bientôt non seulement celle de l'Italie que Cicéron, jaloux
de la Grèce, porta au même renom sur les bords du lac Averne,
mais encore Athènes et son lycée platonicien, où l'on put voir une
si fameuse assemblée de philosophes. C'est un sujet qui semble
aisé, et le serait en effet pour ceux qui connaissent parfaitement
l'art d'écrire des pièces, sans en avoir écrit beaucoup eux-mêmes
- comme ils connaissent, d'ailleurs, toutes choses. Ce qui me nuit
à moi, dans ce domaine, c'est d'avoir composé sans l'aide des
règles. Non, certes, que j'en aie ignoré les principes : grâce à Dieu,
écolier précoce, j'avais déjà parcouru tous les livres qui en traitaient, avant que le soleil eût passé dix fois du Bélier aux Poissons. Mais enfin, je trouvais que les comédies de l'époque, en
Espagne, correspondaient moins à la conception des premiers
créateurs qu'à la manière dont en traitaient maints ignorants qui
enseignèrent au peuple leur rusticité. Et ainsi ces oeuvres s'affirmèrent au point que celui qui observe aujourd'hui les règles
meurt sans renommée et sans laurier; car l'habitude, parmi ceux
qui n'ont d'autre lumière, est plus puissante que la raison et la
force.
Il est vrai que j'ai parfois suivi des règles que peu connaissent;
mais, d'autre part, j'ai bientôt vu surgir toutes ces monstruosités,
remplies de surprenantes machineries, triste spectacle que le vulgaire et les femmes canonisent en y accourant. C'est pourquoi je
suis revenu à mes habitudes barbares, et lorsqu'il me faut composer, j'enferme les règles à triple verrou ; de mon cabinet, je
chasse Plaute et Térence, pour m'éviter leurs cris (car il arrive que
la vérité crie dans des livres muets) et j'écris selon l'art inventé par
ceux qui aspirèrent aux applaudissements du public. Puisqu'aussi
bien c'est le vulgaire qui paie, il est juste de lui parler dans sa propre langue et selon ses goûts.
Mais à nul autre je ne peux appliquer le terme de barbare mieux
qu'à moi, puisque j'ose donner des préceptes contre l'art et, me
laissant emporter par le courant du vulgaire, risque d'être traité
d'ignorant par l'Italien et le Français. Qu'y puis-je, d'ailleurs, si
l'on compte qu'avec celle que j'ai terminée la semaine dernière,
j'ai composé quatre cent quatre-vint trois comédies ? Or, à l'exception de six d'entre elles, toutes ont péché gravement contre
l'art. N'importe, je défends ce que j'ai écrit, et considère toujours
que si mes pièces, écrites d'autre façon, eussent été meilleures,
elles n'auraient pas eu le succès qu'elles ont obtenu auprès du
public. Ce qui semble souvent s'opposer à la loi est, par là-même,
ce qui séduit le plus.
Lope de Vega
(traduit de l'espagnol par Juan Penalver)
J'ai beau être engagé,
l'amour que l'ai pour une belle
n'engage point mon âme
à faire injustice aux autres.
Molière, Dom Juan
LOPE
DE
VEGA,
ÉLÉMENTS
BIOGRAPHIQUES
Des années du XVIIème siècle qui précédèrent la naissance de
Lope, on retiendra quelques événements : mort des rois catholiques (Isabelle en 1504 puis Fernand en 1516), fondation en
1540 de la Compagnie de Jésus par Ignace de Loyola et naissance de Cervantes en 1547.
Félix Lope de Vega Carpio naît à Madrid le 25 novembre 1562
(deux ans après la mort de Michel-Ange) d'une famille modeste
originaire des Asturies. Son père était artisan brodeur. Lope de
Vega, souffrant des préjugés nobiliaires de son temps, rattachera son second nom à Bernardo del Carpio, le vainqueur de
Roland à Roncevaux selon la légende espagnole, et en adoptera le blason fantaisiste orné de dix-neuf tours : ces persistantes prétentions nobiliaires lui vaudront la malveillance mordante
du poète et authentique hidalgo Gôngora.
1569, naissance du poète Guillén de Castro. 1571, naissance
de Tirso de Molina. Lope accomplit ses premières études dans
un collège de jésuites, où sa précocité intellectuelle lui vaut la
protection d'un haut dignitaire ecclésiastique, Jérôme de Manrique. Grâce à lui, Lope est admis à l'Université d'Alcala. Il la
quitte sans achever ses études, s'embarque probablement dans
une expédition contre les Portugais aux Iles Terceras.
1583, retour à Madrid. En 1584, le palais de l'Escurial est
achevé. Lope fait la connaissance de la comédienne Elena
Osorio (la "Filis" des ses poèmes), fille du chef de troupe Jeronimo Velasquez à qui il fournit un certain nombre de comedias
qui établissent sa réputation. Amours mouvementées dont on a
voulu voir dans La Dorotea l'image à peu près fidèle. Lope se
venge de la trahison d'Elena en lançant contre le clan Velasquez des pièces satiriques très violentes. Il est arrêté en 1588
lors d'une représentation où il est venu les narguer. Procès et
condamnation sévère: huit ans d'interdiction de séjour à
Madrid.
Avant de quitter la ville, Lope, qui s'est déjà consolé de ses
déboires amoureux, fait enlever Isabelle de Urbina, une jeune
fille de famille bourgeoise dont il s'est épris. Fuite à Valence.
Isabelle, enceinte, est renvoyée à Madrid. Lope l'épouse par
procuration et s'embarque à bord du San Juan, vaisseau amiral
de l'Invincible Armada. Après le désastre de la flotte espagnole, Lope s'établit à Valence avec sa femme.
Valence a la passion du théâtre. Sa tradition de théâtre religieux est riche. Les deux années que Lope passe dans la ville la
plus joyeuse d'Espagne sont très productives, mais le poète
aspire à regagner la Castille. En 1590, il s'établit à Tolède et
entre au service du duc d'Albe. 1593, mort de Marlowe. Jusqu'en 1595, Lope réside à Alba de Tormes au bord de la
rivière qui vit naître le célèbre Lazarille, premier roman picaresque probablement paru en 1554, il y écrit quantité de comedias
et un roman pastoral Arcadia. Mort de sa femme et de ses
deux fillettes en bas âge.
Retour à Madrid en 1596. A la mort de la princesse Catherine
de Savoie, fille de Philippe II, les théâtres sont fermés. Lope
trouve à nouveau la protection d'un grand, le duc de Sarria
dont il devient le secrétaire spécialement chargé de sa correspondance amoureuse. Mariage d'intérêt désastreux avec
Juana de Guardo, fille d'un riche marchand. Lope se console
de la laideur de cette dernière auprès d'une actrice de 27 ans,
Micaela de Lujan, la "Camila Luncinda" de ses vers, belle et spirituelle, avec laquelle il constitue une seconde famille, parallèle
à son foyer légitime. 1598, mort de Philippe II, Edit de Nantes.
1599, naissance de Velasquez. 1600, naissance de Calderôn et
réouverture des théâtres décrétée par Philippe III.
A la reprise de l'activité théâtrale, Lope, qui peut à nouveau
vendre ses comédias, abandonne le service du duc de Sarria,
mais une autre protection s'offre à lui, celle du duc de Sessa,
jeune homme de vingt-trois ans, amateur, comme le poète,
de vers et de femmes. Lope devient, pour le reste de sa vie,
son "secrétaire de cœur". 1605, la première partie de Don
Quichotte paraît à Madrid, publication de Macbeth de
Shakespeare. 1606, naissance de Corneille.
1609, Philippe III expulse les Maures du pays de Valence, puis
de toute la péninsule. Lope fait paraître un très désinvolte Nouvel art dramatique, affirmation originale et puissante de son
génie dramatique (que redécouvriront Lessing puis Victor Hugo
dans sa préface à Cromwell) : "Lorsqu'il me faut composer, j'enferme les règles à triple verrou; de mon cabinet, je chasse
Plaute et Térence, pour m'éviter leurs cris et j'écris selon l'art
inventé par ceux qui aspirèrent aux applaudissements du
public. Puisque c'est le vulgaire qui paie, il est juste de lui parler
dans sa propre langue et selon ses goûts. En considérant que
l'impatience d'un Espagnol assis au spectacle ne se satisfait que
si on lui présente en deux heures tous les événements de la
Genèse au Jugement dernier, je conclus pour ma part que s'il
importe vraiment de plaire au spectateur, tous les moyens sont
bons pour y parvenir." Publication de l'Astronomia nova de
Képler.
Lope rompt sa liaison avec Micaela de Lujan en lui laissant plusieurs enfants et s'installe à Madrid en 1610. Sa réputation
comme auteur dramatique et poète est à son apogée. "Il a mis
sous sa juridiction tous les comédiens d'Espagne", écrit Cervantes. Mort de sa femme légitime en 1613. Après avoir publié
Quatre soliloques de Lope de Vega et larmes qu'il versa
devant un crucifix en demandant pardon de ses péchés, Lope
se fait ordonner prêtre en 1614. Vie nouvelle ? Le soir même de
son ordination, il va loger chez sa nouvelle maîtresse, Jéronima
de Burgos, une comédienne dont il a fait la connaissance quelques jours avant la mort de Juana...
1616, mort de Cervantes et de Shakespeare, début de la
Guerre de trente ans. A Jéronima succède bientôt une autre
actrice, Lucia de Salcedo, que Lope appelle lui-même dans ses
lettres "la folle", sans beauté, sans esprit, mais qui subjugue le
poète. Seule une passion plus dévorante va le délivrer de cette
femme : en 1617, Lope fait la connaissance de Marta de Nevares, vingt-six ans, belle, très cultivée. A la faveur de son vêtement et de sa dignité ecclésiastiques, il la séduit et la soustrait
au barbon (ne l'est-il pas lui aussi?) dont elle est l'épouse. La
gloire de Lope est telle que le scandale est accepté. Deux filles
naîtront de cette liaison. La guerre littéraire contre Lope au nom
des règles bat son plein. A Gôngora, l'ennemi de toujours,
viennent s'ajouter d'autres poètes comme Alarcon. Certaines
plumes n'épargnent pas toujours Marta de Nevares.
Aux joutes poétiques organisées à Madrid en 1620 pour la
canonisation de Saint-Isidore, Saint-François-Xavier, SainteThérèse et Ignace de Loyola, Lope remporte le premier prix,
devant Calderôn et Guillén de Castro. D'autres honneurs lui
viennent de la cour pontificale: le pape Urbain VIII le nomme
docteur en théologie du Collegium Sapientiae et lui décerne la
croix de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Lope est alors,
selon les mots de son biographe Montalban, le plus riche et le
plus pauvre de son temps, riche d'une production littéraire prodigieuse, pauvre puisqu'il ne peut tirer de cette production des
ressources suffisantes à faire vivre sa famille. 1621, avènement
de Philippe IV. Le 28 juillet, réouverture des théâtres fermés à
la mort de Philippe III avec une pièce de Lope de Vega, Dieu fit
les rois et les hommes les lois. Velasquez devient le peintre officiel de la Cour. Publication du Traité de la peinture de Rubens.
1622, naissance de Molière. 1624, Lope assiste en qualité de
commissaire du Saint Office à l'auto-da-fé où fut brûlé Benito
Ferrer. 1625, publication des Enfances du Cid de Guillén de
Castro. 1626, banqueroute de l'Espagne et mort de Gôngora.
1631, mort de Guillén de Castro.
Marta de Nevares, devenue aveugle, puis folle, meurt en 1632.
Leur fille, Maria Antonia, le seul enfant qui reste à Lope après la
mort de son fils en 1634 dans un naufrage au large des Indes de
Castille, est l'objet des plus délicates préoccupations du poète.
Mais elle est enlevée en 1634 par un certain Tenorio. Ebranlé
par cet événement, Lope de Vega meurt quelques mois plus
tard, le 27 août 1635. Le peuple de Madrid réserve au "phénix
des poètes" de véritables funérailles nationales. Publication de
La vie est un songe de Calderôn et fondation de l'Académie française. Richelieu engage la France dans la guerre contre l'Espagne.
En 1637, Le Cid de Corneille est représenté au Théâtre du Marais.
BIBLIOGRAPHIE
des œuvres de Lope de Vega traduites en français
De la gigantesque production dramatique de Lope de Vega (436 comédias et 43 auto sacramentales
authentifiés), peu d'œuvres ont été traduites en français. En plus des deux pièces adaptées en français par
Albert Camus (Le Chevalier d'Olmedo, présenté en 1957 au Festival d'Art dramatique dAngers, et Le Chien
du Jardiner in Albert Camus, Théâtre, récits et nouvelles, La Pléiade, Gallimard, 1962), on signalera :
Fuente Ovejuna, un drame de l'honneur paysan, la juste revendication d'une population villageoise tyrannisée
par son seigneur, traduction française de Louis Combet, Aubier-Flammarion, collection bilingue, 1972 (réédité
en livre de poche Garnier-Flammarion, bilingue, 1992).
Les Fortunes de Diane (Les Fortunes de Diane, La prudente vengeance, Le malheur, rançon de l'honneur
et Guzman le brave), édition de Jeanne Agnès et Pierre Guénoun, Aubier-Flammarion, collection bilingue, 1978.
Le Chevalier d'Olmedo, texte français de Zéno Bianu, Actes Sud-Papiers, 1992.
Le nouveau monde découvert par Christophe Colomb, traduction de Soledad Estorach
et Michel Lequenne, La Différence, 1992.
L'art nouveau de faire les comédies, traduction de Jean-Jacques Préau, Les Belles Lettres, 1992.
Si certaines pièces de Lope ont pu inspirer plus ou moins directement des auteurs français (ainsi le Saint-Genest
de Rotrou, imité de La Fiction véridique), il se peut que la dimension pléthorique de son œuvre ait été elle-même
à l'origine de la méconnaissance et, peut-être, d'un certain mépris où elle fut tenue en France dès le XVIIème
siècle : "Il faut dire que l'ambition des poètes dramatiques espagnols n'avait rien à voir avec celle des gens
de lettres français. Alors que les auteurs dramatiques, de ce côté des Pyrénées, à l'instar des écrivains pratiquant
d'autres genres, montrèrent un intérêt de plus en plus vif pour la publication de leurs oeuvres, gage de la durée
d'une réputation, signe lancé vers les siècles futurs, espoir d'être considéré un jour comme Sophocle ou Sénèque,
ceux de l'autre côté semblèrent toujours se préoccuper davantage de leurs contemporains que de la postérité
et se réjouissaient surtout que le public vînt voir leurs pièces. Et il venait, serré, mêlé, ravi, dans toutes les grandes
villes où l'on avait construit des théâtres. Ce n'était que plusieurs années, voir plusieurs décennies après sa
première représentation qu'une comedia (ainsi désignait-on, le plus souvent n'importe quel type de pièce) était
publiée, souvent dans une édition collective d'une dizaine d'oeuvres du même auteur, parfois dans une
anthologie des "meilleurs esprits du siècle", les éditeurs, peu soigneux, commettant fréquement des erreurs
d'attribution I Ce goût du succès immédiat paraissait aux lettrés français de mauvais aloi, le grand public ne
pouvant, selon eux, applaudir qu'aux farces ou aux oeuvres hétéroclites. Il ne leur venait pas à l'idée que
des oeuvres de qualité pussent être appréciées, pourvu qu'elles fissent, dans des intermèdes joués ou dansés,
quelques concessions à la fête." (Liliane Picciola, Génie dramatique et xénophobie, in Alternatives théâtrales
41-42, Le théâtre de l'hispanité).
EZIO FRIGERIO
Ezio Frigerio est né à Côme. Il effectue ses études d'architecture à Milan où il commence en 1955 à travailler
pour le théâtre comme créateur de costumes (La Maison de Bernarda Alba) et comme scénographe
(Arlequin, Serviteur de deux maîtres), sous la direction de Giorgio Strehler au Piccolo Teatro, avec lequel
il poursuit sa collaboration. Il a réalisé les décors de nombreuses productions pour la Scala de Milan,
le Metropolitan Opéra de New York, l'Opéra de Paris, le Festival d'Edimbourg et le Covent Garden de
Londres, sous la direction de metteurs en scène tels que Liliana Cavani, Piero Faggioni ou Nuria Espert.
Ezio Frigerio travaille également pour le cinéma : il a collaboré avec Vittorio de Sica pour Hier, aujourd'hui
et demain, Bernardo Bertolucci pour 1900, et Jean-Paul Rappeneau pour Cyrano de Bergerac. Pour Lluis
Pasqual, il a déjà conçu les décors du Turc en Italie au Teatro Lirico La Zarzuela de Madrid.
FRANCA SQUARCIAPINO
Après des études de danse et d'art dramatique, effectuées dans sa ville natale de Rome, Franco
Squarciapino devient à l'âge de vingt-deux ans l'assistante de Ezio Frigerio pour lequel elle a réalisé depuis
lors les costumes de presque toutes ses productions, à la Scala de Milan, au Théâtre de la Monnaie de
Bruxelles, au Festival de Salzbourg, à Covent Garden, au Metropolitan Opéra de New-York, à l'Opéra
de Paris... Elle a également apporté sa collaboration à des spectacles de ballets produits par Rudolf Nureïev
et Roland Petit. En 1991, elle obtient le César et l'Oscar pour les costumes de Cyrano de Bergerac.
PASCAL MÉRAT
Responsable technique et créateur de lumières, Pascal Mérat a travaillé, entre autres, pour la danse, avec
Merce Cunningham et Maurice Béjart. Collaborateur de Peter Brook au Centre international de créations
théâtrales, il a réalisé les lumières de La tragédie de Carmen, du Mahabharata... Il a également travaillé
avec Klaus Michaël Grùber pour Le Récit de la servante Zerline, avec Hans Peter Cloos pour Le radeau de
la mort. Il commence sa collaboration avec Llui's Pasqual avec Comme il vous plaira à la Comédie Française
(1989), suivront, pour l'opéra, Le Turc en Italie, L'Enlèvement au sérail, pour le théâtre, Le Balcon, et Tirano
Banderas.
PEDRO ESTEVAN
Il a fait ses études de percussion avec José Maria Martin Porras, Enrique Llâcer "Regoli", Sylvio Gualda,
Doudou Ndiaye et Glen Vêlez. Il fut membre fondateur du groupe de percussions de Madrid et a collaboré
à l'Orchestre National d'Espagne, l'Orchestre Gulbenkian, l'Orchestre du XVIIIe siècle, etc. Puis il s'est
consacré à la musique ancienne avec les groupes Hesperion XX, Capella Reial, etc. et à la musique
contemporaine. En tant que soliste, il a donné des concerts avec l'Orchestre National d'Espagne et avec
l'Orchestre de la Reine Sophie. Il a participé à de nombreux festivals de musique contemporaine. Il a
également composé la musique de Alesio de L. Garcia May. Pour le théâtre, il a travaillé avec Nuria Espert
et Lluis Pasqual.
JOSE MARIA ARRIZABALAGA
José Marîa Arrizabalaga est organiste et compositeur. Il étudie le chant grégorien à Solesmes auprès de
Dom Gajard et poursuit sa formation à Barcelone auprès de J. Pons, l'élève de Granados. En 1974, il fonde
sa propre entreprise de restauration et de manufacture d'orgues. José Maria Arrizabalaga a dirigé de 1970
à 1978 les classes de musique et de chant de l'Ecole supérieure d'art dramatique de Barcelone. Il a composé
la musique de nombreux spectacles pour Els Joglars, le Théâtre Lliure, la Compagnie Nuria Espert, le Centro
Dramatico Nacional de Madrid et la Comédie Française.
Saison
92 • 93
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GRANDE
16 septembre • 20 septembre 92
AAcd Iî© 1*1*0 H IO ELS COMEDIANTS
23 septembre • 26 septembre 92
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JOSÉ SANCHIS SINISTERRA • JOSÉ LUIS GOMEZ
30 septembre • 4 octobre 92
7 octobre • 11 octobre 92
14 octobre • 18 octobre 92
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23 octobre • 25 octobre 92
5 novembre • 30 décembre 92
janvier • 7 février 93
10 mars • 12 mai 93
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2 juin . 4 juillet 93
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Pablo Neruda viene volando*
PABLO NERUDA • ICTUS
El vendedor de reliquias*
EDUARDO GALEANO • EL GALPON
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spectacle musical de CARLES SANTOS
LC CHcVOllGT d OllYl©dO
LOPE DE VEGA • LLUIS PASQUAL
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GEORGES LAVAUDANT
CRÉATION
CREATION
JoHll G O b fl © Il Borklll O H
HENRIK IBSEN • LUC BONDY
CRÉATION
Le PéllCOn
CRÉATION
AUGUST STRINDBERG . ALAIN MILIANTI
Û
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8 juillet . 18 juillet 93
PETIT
HCdlTipieMo
CARLO GOLDONI • GIORGIO STREHLER
'Spectacles en langue espagnole, surtitrés en français.
ODEON
25 septembre • 28 novembre 92
L'enfant bâtard
création
BRUNO BAYEN
6 avril • 9 avril 93
Lectures scandinaves
8 janvier • 21 février 93
Le livre des fuites
création
J.M.G. LÉ CLÉZIO • FRANÇOIS MARTHOURET
23 avril • 29 mai 93
Le phénix du nouveau monde
JUANA INÈS DE LA CRUZ • ANTONIO ARENA
26 février • 25 mars 93
Je n'écris que de vous
4 juin • 12 juin 93
Quinzaine des auteurs contemporains . sacd
création
La Bible, pour beaucoup.
Vous souhaitez avoir plus d'informations sur la saison de l'Odéon . Théâtre de l'Europe. Sur simple appel
de votre part, nous vous ferons parvenir la brochure de la saison 92 • 93.
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Les Eaux
DE
GUERLAIN
/
EAU IMPERIALE
EAU DU COQ
EAU DE GUERLAIN
EAU DE FLEURS DE CÉDRAT
Gueulai
PARIS
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