Conducteur professionnel et aptitude au volant : que faut

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Douleur analg. (2013) 26:S12-S15
DOI 10.1007/s11724-013-0360-x
ARTICLE DE SYNTHÈSE / REVIEW ARTICLE
Conducteur professionnel et aptitude au volant : que faut-il savoir ?
Professional drivers and aptitude to drive: what should we know?
B. Favrat
Reçu le 21 octobre 2013 ; accepté le 23 octobre 2013
© Springer-Verlag France 2013
Résumé Les médecins généralistes sont souvent amenés
dans leur consultation à donner des conseils à leurs patients
au sujet de la conduite automobile. Par ailleurs, il est important de savoir que la plupart des pays ont des critères médicaux minimaux à atteindre pour qu’une personne soit autorisée à conduire un véhicule. Cet article fait une revue
simplifiée des principales directives à ce sujet en Suisse et
intègre les recommandations principales à faire par rapport
aux médicaments psychotropes et à la conduite.
de la circulation routière. Cela concerne en particulier les
personnes qui présentent une problématique importante
comme l’alcool, les drogues ou les médicaments psychotropes, ainsi que celles présentant une grave affection médicale
ou psychiatrique. L’examen d’aptitude doit répondre à la
question suivante : « Le conducteur expertisé est-il apte, du
point de vue de son état de santé physique et mentale, à
conduire dans le trafic un véhicule correspondant à la catégorie de permis dont il est titulaire sans s’exposer ou exposer
autrui à un risque augmenté d’accident ? »
Mots clés Trafic · Aptitude à conduire · Médecine générale ·
Médicaments
Exigences minimales
Abstract General practitioners have often the role to advise
their patients about driving. Moreover, it is important to
know that most countries have defined minimum medical
criteria to be allowed to drive. This article is a simplified
review of the main guidelines in Switzerland and includes
general recommendations about psychotropic medication
and driving.
Keywords Traffic · Fitness to drive · Driving · General
practice · Medication
Introduction
L’inaptitude à conduire est définie comme un déficit durable
pendant lequel un conducteur ne peut plus conduire son
véhicule de manière sûre, sans mettre en danger les usagers
B. Favrat (*)
Responsable de l’unité de médecine
et psychologie du trafic de Genève et Lausanne.
Département de médecine communautaire,
de premier recours et des urgences, HUG, CMU,
rue Michel-Servet, 1, CH-1211 Genève 4, Suisse
e-mail : [email protected]
Dans toutes les législations en Europe, il faut satisfaire
certaines exigences médicales minimales pour conduire
un véhicule à moteur (qui sont évidemment plus exigeantes pour les catégories professionnelles). En Suisse, mis à
part pour l’acuité visuelle, ces exigences définies dans
l’annexe 1 de l’OAC (ordonnance réglant l’admission à
la circulation routière) sont relativement floues et obsolètes car elles datent de 1976. Dès 2014 ou 2015, de nouvelles directives vont être introduites, qui vont être discutées plus loin dans cet article. Elles prennent dorénavant
mieux en compte des pathologies importantes comme, par
exemple, les troubles cognitifs ou l’apnée du sommeil,
bien qu’elles continuent à laisser une marge d’appréciation
non négligeable aux médecins.
Ces exigences minimales doivent être vérifiées par un
médecin tous les deux ans à partir de 70 ans. Cet examen
suivant les cantons est effectué soit par le médecin traitant
de l’intéressé, soit par un médecin-conseil indépendant
désigné dans chaque région. En cas de conflit avec ce premier avis, le conducteur a la possibilité, par l’intermédiaire
du service des automobiles, d’être alors adressé pour une
expertise à un institut de médecine légale pour une évaluation spécialisée. Cette dernière institution ou un médecin
expert peuvent également être mandatés directement par
l’autorité qui délivre les permis de conduire (service des
automobiles) lorsque des infractions très graves ont été
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commises dans la circulation routière laissant planer un
doute sur l’aptitude à conduire. Pour les catégories professionnelles, selon la loi fédérale suisse, l’examen médical
doit être effectué par un médecin-conseil désigné par l’autorité et a lieu tous les cinq ans avant 50 ans et tous les trois ans
de 50 à 70 ans.
À partir de 2015, le programme « Via sicura » accepté par
les chambres fédérales suisses en 2012 prévoit que les médecins qui feront cette évaluation doivent justifier d’un jour de
formation sur l’aptitude à conduire pour les conducteurs de
véhicules privés et de deux jours de formation pour les
conducteurs professionnels.
Rôle du médecin traitant
Un médecin généraliste ayant effectué ces formations peut
donc remplir un certificat d’aptitude sur un formulaire officiel pour un de ses patients qui le lui demanderait. Cette
situation présente des avantages et des inconvénients. Le
médecin a l’avantage de mieux connaître l’état de santé de
son patient et, à travers la confiance qu’il a pu développer
avec ce dernier, il peut parfois le convaincre mieux que
personne de renoncer à conduire un véhicule. Le médecin
peut également être conscient que l’intérêt du patient est
justement d’éviter un accident grave pour lui-même et pour
autrui.
Par contre, le médecin traitant qui devient tout à coup
« expert » pour son patient peut se trouver dans un important
conflit de loyauté l’empêchant de prendre une décision qui
serait mal vécue par son patient. C’est pour cette raison que
certains cantons en Suisse exigent que cette évaluation ne
soit faite que par des médecins-conseils.
En dehors d’une situation où le médecin a accepté d’être
expert, il a la possibilité légale (art. 15d al. 1 let d de la
LCR — Loi fédérale sur la circulation routière) d’annoncer
à n’importe quel moment un cas flagrant d’inaptitude à la
conduite automobile, ou même de faire part d’un doute
quant à l’aptitude en toute sécurité, chez un patient qu’il suit
régulièrement. Pour éviter qu’une personne ne veuille plus
se soigner, il s’agit d’une possibilité légale mais en aucun
cas d’une obligation. Par contre, selon la jurisprudence
actuelle, le médecin doit toujours pouvoir apporter la preuve
du caractère suffisant de l’information qu’il a fournie à son
patient. Le médecin a donc l’obligation d’informer le patient
qui ne pourrait pas conduire en raison d’un problème médical ou médicamenteux, et de le documenter dans son dossier
médical.
Depuis le 1er janvier 2013 (LCR art 15d), le service des
automobiles peut également recevoir des informations de
l’assurance invalidité (AI), et en cas de doutes sur l’aptitude
à conduire, effectuer une enquête, en l’occurrence souvent
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une expertise de médecine du trafic qui est demandée à un
expert agréé par le service des automobiles.
Quelques problèmes courants pouvant poser
des problèmes d’aptitude en particulier
chez les conducteurs professionnels [3]
Diabète [4]
La Société suisse d’endocrinologie et de diabétologie a émis
en 2011 des directives sur l’aptitude à conduire en cas de
diabète. En présence de médicaments qui peuvent provoquer
une hypoglycémie (insuline, sulfonylurée, glinides), « la glycémie doit être vérifiée avant le départ et lors de déplacements à des intervalles réguliers ». Les recommandations,
disponibles sur le site Internet www.diabetesgesellschaft.
ch/fr/informations/brochures/conseils_de_voyage/diabete_
conduite/, doivent être respectées.
Les contrôles doivent être plus intenses pour les chauffeurs de poids lourd et de taxi (six à huit fois par jour selon
ces directives !). Par contre, les conducteurs de car et de
minibus (catégories D et D1 respectivement) ne sont pas
autorisés à conduire s’ils prennent des médicaments hypoglycémiants. Ces directives ont été reprises dans les nouvelles exigences minimales pour la conduite automobile
dès le 1er janvier 2014 (annexe 1 de l’OAC). Dans ces
situations, il est donc important de considérer les médicaments sans risque d’hypoglycémie (metformine, glitazones, inhibiteurs de la DiPeptidyl-Peptidase 4 (DPP4) et
analogue du du Glucagon-Like Peptide 1 [GLP1]). Une
réadaptation Assurance-Invalidité (AI) est donc nécessaire
si ces adaptations ne sont pas possibles pour un chauffeur
de car.
Apnée du sommeil et hypersomnolence [5]
Les nouvelles exigences précisent pour tous les conducteurs :
« Pas de maladies entraînant une somnolence diurne accrue
ni d’autres troubles ou réductions ayant des effets sur l’aptitude à conduire avec sûreté un véhicule automobile ».
La Société suisse de recherche sur le sommeil, de médecine du sommeil et de chronobiologie a édicté des recommandations sur ce sujet en 2007. Elle indique que « l’échelle
d’Epworth est utile (pour mesurer le degré de somnolence)
mais qu’un faible score ne permet pas d’exclure une somnolence significative ». L’examen complémentaire le plus utile
est le test de maintien de l’éveil pratiqué dans un laboratoire
du sommeil (maintenance of wakefulness test). Les conducteurs ayant déjà provoqué un accident après s’être endormis
au volant devraient consulter un centre du sommeil pour y
effectuer ce test de vigilance. Ces recommandations précisent par ailleurs que les chauffeurs professionnels devraient
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être astreints à des tests de vigilance en cas d’apnée du sommeil ; particulièrement au début de la maladie pour vérifier
l’efficacité du traitement.
Troubles psychiques
Les nouvelles exigences précisent : « Pas de troubles psychiques avec effets importants sur la perception de la réalité,
l’acquisition et le traitement de l’information, la réactivité ou
l’adaptation du comportement à la situation. Pas de réduction des capacités de réserve. Pas de symptômes maniaques
ou dépressifs importants. » « Pas de troubles affectifs ou
schizophréniques récidivants ou cycliques considérables. »
Par exemple, ces formulations indiquent qu’un trouble
bipolaire mal stabilisé chez un conducteur professionnel
devrait faire l’objet d’une réadaptation de l’AI.
Médicaments et substances
Les nouvelles directives indiquent : « Pas de dépendance.
Pas d’abus ayant des effets sur la conduite ». Pour les
conducteurs professionnels, ces directives ajoutent « Pas de
traitement substitutif. »
Ces directives suggèrent que la conduite professionnelle
sous méthadone ne serait pas possible. Toutefois, il faut relever que ce sont les autres substances qui, prises avec la
méthadone, posent des problèmes. L’aptitude devrait donc
être évaluée au cas par cas et en l’absence de consommation
d’autres substances, une dérogation paraît possible.
Pour les autres médicaments, le texte de loi n’en fait
pas mention ! Toutefois, le médecin prescripteur a le devoir
d’informer son patient sur la possibilité d’effets secondaires
susceptibles d’interférer avec l’aptitude à la conduite. Les
informations délivrées doivent figurer rigoureusement dans
le dossier médical. Une liste de médicaments de l’ICADTS
(International Council on Alcohol, Drugs and Traffic Safety :
Categorization System for Medicinal Drugs Affecting Driving Performance) est disponible (www.icadts.nl/reports/
medicinaldrugs2.pdf). Ce groupe de travail européen distingue trois catégories de danger des médicaments en lien
avec la conduite :
•
•
•
classe 1 : supposé sûr ou effet indésirable improbable ;
classe 2 : probable effet indésirable mineur ou modéré ;
classe 3 : probable effet indésirable sévère ou supposé être
potentiellement dangereux.
En France, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) propose une classification semblable (http://
ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/
faff1e402339cd443a9894792f20d31d.pdf). De manière pragmatique, on peut considérer que les inhibiteurs sélectifs de la
recapture de la sérotonine (ISRS), par exemple, sont en classe
1 (peu ou pas de risque), alors que les antidépresseurs séda-
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tifs, les opiacés et les neuroleptiques sont en classe 2 : le
traitement est compatible avec la conduite automobile après
un temps d’adaptation (absence d’effets secondaires influençant la conduite). Par contre, la classe 3 comprend les benzodiazépines qui sont clairement dangereuses pour la conduite
en cas de prise diurne, surtout les trois premières semaines ou
s’il y a des substances sédatives de classe 2, des drogues ou
des abus d’alcool.
Pour les conducteurs professionnels, il s’agit donc de privilégier des médicaments de classe 1 et essayer d’éviter les
médicaments des autres classes.
La loi sur la circulation routière suisse (art. 14, al. 2c)
interdit par ailleurs toute conduite automobile en cas de
dépendance à l’alcool ou à des substances. Le tribunal fédéral suisse a élargi cette notion en précisant que la notion de
dépendance ne recoupait pas forcément la notion de dépendance au sens médical du terme (par exemple selon les critères internationaux de classification des maladies) mais
même les personnes à risque d’évoluer vers une dépendance ou alors qui ne seraient plus en mesure de dissocier
alcool et/ou les substances de la conduite automobile (ATF
129 II 82). La personne doit alors se soumettre à des mesures d’abstinence de six mois à un an avant de pouvoir récupérer son permis de conduire. Ces mesures se poursuivent
en général par la suite après la récupération du permis de
conduire, la durée de ces mesures dépendant de l’importance
de la problématique d’abus de substances.
Troubles cognitifs
Les nouvelles exigences indiquent ceci : « Pas de troubles
psychiques avec effets importants sur la perception de la
réalité, l’acquisition et le traitement de l’information, la réactivité ou l’adaptation du comportement à la situation. Pas de
réduction des capacités de réserve ayant des effets sur la
conduite. »
L’évaluation succincte de certaines fonctions cognitives
devrait être effectuée par un Mini mental state examination
(MMSE), un test de la montre ainsi qu’un Trail Making Test
(test des tracés). Des perturbations importantes à la réalisation de ces tests (en particulier un MMSE < 25, un test de la
montre inférieur à 5/7 points) doivent faire naître de sérieux
doutes quant à l’aptitude à la conduite automobile, et un
examen spécialisé en gériatrie/neuropsychologie doit être
effectué. Un article détaillé à ce sujet a été publié récemment
dans la Revue médicale suisse proposant un algorithme décisionnel [1].
Épilepsie [2]
Pour les crises sans perte de connaissance, il n’y a habituellement pas de contre-indication à la conduite. Lors d’une
première crise épileptique, l’attitude des neurologues suisses
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est d’interdire la conduite pendant deux à trois mois s’il
s’agit d’une crise provoquée par des facteurs réversibles
(sevrage, manque de sommeil, infection, intoxication) et
six mois dans le cas contraire. En cas de dépendance à
l’alcool ou à une substance, il faut que la personne soit
abstinente.
En cas d’épilepsie avérée, la recommandation est de ne
pas conduire pendant un an après la dernière crise. Pour les
chauffeurs professionnels, l’interdiction est de deux ans
après une première crise, qu’elle soit provoquée ou non,
par contre en cas d’épilepsie avérée (au moins deux crises
non provoquées) le délai est de cinq ans, ce qui veut dire
qu’une reconversion professionnelle est nécessaire.
Conflit d’intérêt : l’auteur déclare ne pas avoir de conflit
d’intérêt.
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Références
1. Büla C, Eyer S, von Gunten A, et al (2011) Conduite automobile
et troubles cognitifs : comment anticiper ? Rev Med Suisse
7:2184–9
2. Commission de la circulation routière de la Ligue suisse contre
l’épilepsie (LscE) (2006) Épilepsie et capacité à conduire un véhicule. Directives actualisées de la Commission de la circulation routière de la LScE. BMS 87:6
3. Favrat B, Lambert SJ, Selz R, et al (2008) Aptitude au volant :
quelle conduite pour les médecins en 2008 ? Rev Med Suisse
4:1594–8
4. Lehmann R, Fischer-Taeschler D, Iselin HU, et al (2011) Directives concernant l’aptitude à conduire lors de diabète sucré. Forum
Med Suisse 11:273–5
5. Mathis J, Seeger R, Kehrer P, Wirtz G (2007) Capacité à conduire
un véhicule et somnolence. Recommandations pour les médecins
lors de la prise en charge des patients souffrant de somnolence.
Forum Med Suisse 7:328–32
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