Musiques de salon illustrées par René Magritte

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Magritte's blues
Musiques de salon illustrées par René Magritte
Moi, j'fais pas comm' ça, Elle a mis son smoking, Un rien..., Standing On The Porchou encore Valse
d'amour sont des titres qui ne nous parlent plus - ou si peu - aujourd'hui. Et pourtant, ces compositions ont
toutes les raisons d'attirer notre attention. Elles appartiennent au répertoire le plus en vogue de la période
des Années Folles (1920-1935) et leurs partitions ont été illustrées par René Magritte.
À première vue, le peintre surréaliste n'affiche pas d'affinités particulières avec le domaine musical. Ses goûts
en la matière sont assez classiques, loin d'être originaux pour l'époque. La liste de ses compositeurs préférés
ne comprend que des valeurs sûres : Haendel, Vivaldi, Mozart, Beethoven, Schubert, Chopin, Brahms,
Wagner, Grieg, Tchaïkovski... Il n'aime pas le jazz, dit-on, mais écoute aussi bien des chansons ou des airs
d'opérette que des concertos ou de la musique de chambre. Il a d'ailleurs écrit : « Je suis particulièrement
sans curiosité à l'égard des énigmes de l'acoustique : mon Univers du son n'a guère d'existence, il ne pourrait
amuser ni inquiéter personne ». Pourtant, lorsque l'on observe les fréquentations de Magritte, on décèle chez
lui des liens assez étroits avec la vie musicale.
Lors de sa première exposition bruxelloise en 1920, il rencontre Edouard L. T. Mesens, qui sera pour lui
un initiateur dans divers domaines. C'est notamment à ses côtés que Magritte se lancera dans l'aventure
surréaliste. Bien que Mesens se veuille compositeur « moderne », il ne bouleversera pas les goûts traditionnels
de Magritte. Il le mettra par contre en relation avec des musiciens comme le violoniste Dubois-Sylva, la
cantatrice Evelyne Brélia ou le violoncelliste et compositeur Fernand Quinet. Certains serviront de modèle à
Magritte, et seront surtout ses premiers admirateurs et acheteurs. On sait aussi que Magritte a pleinement
adhéré à une extension à la musique de ses principes surréalistes. En 1929, après une conférence de Paul
Nougé sur la « musique du surréalisme », André Souris dirige un concert au milieu d'un vingtaine de tableaux
de Magritte. Enfin, on ne peut évoquer l'univers musical du peintre sans rappeler que son frère cadet, Paul
(alias Bill Buddie), était compositeur de chansons populaires.
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C'est justement cette musique légère des années '20 et '30 que Musique en Wallonie nous propose
de redécouvrir avec le CD Magritte's Blues. Le Tivoli Band, dirigé par Eric Mathot, nous offre un panel
d'enregistrements inédits qui reflètent subtilement l'air de ce temps où les rythmes nord-américains
envahissaient les salles bruxelloises. Jo Lemaire chante le one-step Elle a mis son smoking de Ludo et Théo
Langlois, ou les fox-trot Un rien... de Willy Stones et Un petit nid de Bill Buddie. La soprano Marie-Luce Diaz
interprète quant à elle l'envoûtant ragtime mélancolique Johnny, My Love... de Léon Jongen, l'énigmatique
Marie Trombonne Chapeau Buse de Paul Magritte (sur un poème de son ami surréaliste Paul Colinet) ou la
mélodie Aveu de Léon Frings. Ces jeunes compositeurs, issus des conservatoires de Bruxelles ou de Liège,
répondent à la soif de divertissement qui succède à la Grande Guerre. À Bruxelles, chaque cinéma, music-hall
ou dancing possède alors son propre petit orchestre. Les établissements les plus réputés - Théâtre de la Gaîté,
Casino, Alhambra, Ancienne Belgique - accueillent les chanteuses Esther Deltenre, Mia Bairy, Primevère, les
ténors Gallez, Bru'r ou le baryton Bisantz, ainsi que les vedettes françaises telles Joséphine Baker et Maurice
Chevalier.
Cette atmosphère est évidemment propice au développement de l'édition musicale. C'est véritablement l'âge
d'or de la couverture illustrée, qui s'adapte particulièrement bien aux thèmes des chansons et musiques de
danse : l'amour, l'exotisme, la chanson comique, la romance sentimentale... Les grands maîtres illustrateurs
du genre sont Valéry et Peter de Greef, qui semblent avoir vécu exclusivement de cette activité. Pour
beaucoup d'autres jeunes dessinateurs, l'illustration de partitions constitue un complément « alimentaire »
non négligeable. Parmi ceux-ci, René Magritte. Entre 1924 et 1927, il réalise la majorité de sa production,
principalement pour les Éditions Musicales de l'Art Belge, fondées à Bruxelles par Léon Frings en 1915.
Ces réalisations, bien que qualifiées de « travaux imbéciles » par le peintre, incarnent parfaitement les
nouvelles conceptions graphiques de l'époque : l'image devient autonome et la figuration est réduite à ses
traits essentiels (Nothing), tandis que le texte acquiert une importance grandissante (When The Moon Rises).
Ce style très synthétique s'explique d'une part par l'utilisation de la technique de la zincographie, d'autre part
par le développement de la logique commerciale et publicitaire. Les illustrations de Magritte sont aussi le miroir
de la nouvelle image de la femme (Mes Rêves). Émancipée et moderne, elle a désormais les cheveux courts,
la poitrine plate, les hanches étroites... L'esprit surréaliste de Magritte ne transparaît que dans une seule
illustration, il s'agit justement de la Marie Trombonne Chapeau Buse, composée par son frère Paul Magritte.
Clothilde Larose
Juillet 2009
Sources bibliographiques :
Eric Mathot et Roland Van der Hoeven, Magritte's Blues. Magritte : de l'illustration au concept, Liège,
Musique en Wallonie, 2008 ;
Paul Raspé, Autour de Magritte. Illustrateurs de partitions musicales en Belgique (1910-1960), Anvers,
Pandora, 2004 ;
Robert Wangermée, « Magritte et l'univers du son », dans Gisèle Ollinger-Zinque (dir.), René Magritte
1898-1967, Bruxelles, Ludion-Flamarion, 1998, pp. 37-40
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