Méthodologie de la dissertation Si l’on fait des dissertations dans d’autres disciplines que la philosophie, en dépit de quelques points communs, il convient de commencer par ‘‘oublier’’ pour ainsi dire les méthodes préconisées dans ces disciplines. La dissertation philosophique est un exercice de réflexion à la fois personnelle et informée : — personnelle parce qu’il s’agit de réfléchir par soi-même dans le but de répondre à la question posée ; — informée parce qu’il s’agit, à partir de sa réflexion, de retrouver des auteurs de philosophie, de nourrir ses propos de référence à des auteurs, c’est-à-dire à des éléments de doctrines. Cette double exigence dessine les deux écueils qu’il ne faut pas manquer d’éviter : — le premier consiste à simplement faire étalage de connaissances tenues pour philosophiques ; — le second consiste à ne faire aucune allusion à des connaissances précises. La dissertation de philosophie n’est donc ni une conversation savante, ni un monologue indigent : elle est une discussion qui requiert qu’on la rende possible. Elle consiste dans la mise en évidence, l’articulation problématique, la présentation détaillée et la résolution de problèmes impliqués par un énoncé. Règle d’or : avant de rédiger au propre, écrire au brouillon, et avant d’écrire au brouillon, REFLECHIR, c’est-à-dire se donner le temps de la réflexion !!! I. La réflexion. 1. Bien lire l’énoncé . Il convient d’abord de bien lire l’énoncé qui est proposé, de se demander ce qui, en lui, conditionne le reste – en effet, l’énoncé trouve son sens, non pas tant dans les notions qu’il contient que dans l’orientation que lui donne sa forme syntaxique. . Si l’énoncé se présente sous la forme d’une question, le tout est de savoir apprécier le caractère problématique de celle-ci, question qui, parce qu’elle lie des notions mises en relation par un groupe verbal, nous invite à réfléchir à cette relation, à son existence et à sa nature. Une chose est ici à proscrire : répondre immédiatement à la question. En effet, ce serait confondre une question avec un problème – les deux termes ne sont pas synonymes, nous allons y revenir… . Si l’énoncé se présente sous la forme d’une combinaison de notions – ’’vouloir et pouvoir’’, ‘‘égalité et liberté’’, etc. -, il s’agit, non pas d’étudier simplement les notions impliquées, mais d’en sonder dès le départ les implications, autrement dit d’envisager et de questionner les différents types de rapport possibles entre ces dernières. Ainsi, dans ‘‘vouloir et pouvoir’’, cette relation de coordination proposée est-elle basée sur un lien : — d’identité, — d’analogie, — d’opposition (contrariété/contradiction), — de fondation (antériorité chronologique, logique ou métaphysique) , — de dépendance, d’influence, — de causalité (linéaire ou réciproque), — de condition (facilitante, nécessaire, suffisante), — de complémentarité, — d’inclusion, d’exclusion, — de finalité, — …, — voire un non-lien ? En outre, il est bon de repérer les différents domaines – politique, économique, mathématique, esthétique, moral, etc. — au sein desquels ces notions prennent sens. . Si l’énoncé se présente sous la forme d’une seule notion – ’’La représentation’’, ‘‘Juger’’, ‘‘Douter’’, etc. -, il faut se prémunir d’emblée contre la tentation d’enfermer trop vite le sens du mot en présence dans un registre strictement philosophique. Avant d’être un concept – i.e une idée générale dont la définition est modifiée, amendée, voire créée de toutes pièces par un auteur en fonction d’un problème et d’un cadre argumentatif déterminés -, un mot est d’abord une notion – i.e est une idée générale de l’usage courant ou de l’histoire des idées — et possède toujours déjà un univers sémantique qui lui est propre. Quand une seule notion est donnée, il convient de le transcrire de manière interrogative – ’’qu’est-ce que la représentation ?’’, ‘‘qu’est-ce que juger ?’’, etc. -, l’énoncé invitant à adopter comme axe problématique la recherche d’une définition exhaustive, non contradictoire et synthétique de la notion, en recourant à ses différents niveaux de signification. 2. Transformer le sujet en une interrogation. Qu’il soit déjà sous la forme d’une question ou non, il faut donc toujours transformer le sujet en une interrogation portant sur ce qu’on nous demande de penser. Il s’agit de reformuler le sujet à sa façon pour se l’approprier. 3. Se demander pourquoi cette question nous est posée et problématiser le sujet. Au regard d’un sujet, il est bon de se demander pourquoi se pose cette question. → Exemple de sujet : ”Autrui peut-il m’aider ? “. La réponse immédiate est oui. Pourquoi alors me pose-t-on cette question ? Quelque chose ne doit pas aller de soi. Et en effet, autrui peut toujours me conseiller, reste que c’est toujours moi qui au bout du compte ai à choisir et à assumer la responsabilité de mes choix. Au regard d’un sujet, il est également bon de se demander ce qui est supposé dans la question. Il faut se demander quels sont les sous entendus de l’énoncé, ce qu’il faut déjà admettre pour poser une telle question. → Exemple de sujet : “Imaginer, est-ce seulement nier la réalité ?“. Ici, on suppose que l’imagination est effectivement une négation de la réalité mais que c’est peut-être aussi quelque chose de plus. Mais est-ce juste, légitime ? → Exemple de sujet : “En quoi le langage est-il spécifiquement humain ? “. Ici, on suppose que le langage est spécifiquement humain et qu’il se différencie donc de la communication animale. Mais est-ce juste, légitime ? Il faut bien comprendre que la question elle-même ne fait pas encore problème – qu’elle soit donnée comme telle dans l’énoncé ou qu’elle soit établie à partir des ou de la notion posée(s) dans l’intitulé. En fait, la dissertation de philosophie demande à ce que soit découvert le ou un problème qui à la fois s’exprime et se dissimule dans une question. Distinguons question et problème. Il y a cinq types de questions possibles : les questions d’être, de lieu, de temps, d’ordre et de cause. On les reconnaît à leur formulation : — Qui? Que? Quoi? Quel? Lequel? Qu’est-ce? Est-ce que? (Que ç’é qu’ça?!) Pareille question porte sur l’être, sur l’existence d’un sujet ou d’un objet — Où? (Où c’é qu’c’é?!) Pareille question porte sur le lieu, sur l’espace. — Quand? (C’é quand ç’é que ?!) Pareille question porte sur le temps. — Comment? (Comment ç’é que?!) Pareille question porte sur l’organisation, sur l’ordre, sur l’agencement d’une chose. Elle est une combinaison de Où? et de Quand? C’est une interrogation esthétique, éthique et/ou historique. — Pourquoi? (Pourquoi ? ou Pour quoi?) Pareille question porte sur la cause, l’origine ou encore le sens, la finalité d’une chose. C’est sans doute la question la plus troublante puisque la réponse qu’elle peut apporter génère encore et toujours une nouvelle question : Pourquoi?. Elle ne s’évanouit que devant l’humour et les limites de notre imagination. Pareilles questions ne peuvent prendre une forme philosophique que : 1. si leur forme interrogative rend possible plusieurs réponses crédibles, 2. si elles interrogent la raison à un niveau de généralité et d’universalité qui concerne tout homme, et 3. si elles s’articulent à des notions abstraites du langage. 1. Une question qui n’a qu’une seule réponse possible est en effet d’ordre pratique -factuelle, scientifique, technique ou juridique— ou religieuse -dogmatique, fanatique. A l’opposé, la question philosophique, comme un entonnoir inversé, débouche sur une ouverture large; elle permet une perspective étendue, elle est un point de départ, alors que la question d’ordre pratique ou religieuse mène à un seul point donné, un aboutissement. 2. Une question qui ne concerne qu’un individu ou un seul groupe sort en effet du cadre de la philosophie puisqu’elle n’est pas universelle. Elle appelle une réponse spécifique -factuelle ou juridique— qui s’applique à la situation donnée. Ainsi la question de savoir qui je suis peut avoir une portée philosophique ou non selon qu’elle nous est posée par un douanier -‘’Qui êtesvous?’’— ou un philosophe –‘’Qui sommes-nous’’. 3. Si le langage permet l’expression de la pensée, en aucun cas celle-ci lui préexiste. Toute question ou réflexion philosophique s’exprime donc dans un discours. Mais tout discours n’est pas nécessairement une pensée philosophique. Tout dépend ici de sa formulation. Ceci précisé, on s’aperçoit que toutes les questions ne sont pas philosophiques, notamment celles qui ne renvoient pas à des problèmes comme les questions factuelles, c’est-à-dire les questions dont la réponse s’obtient par une observation adaptée de la réalité, des faits -‘‘Quelle heure est-il ? ‘’. D’autres questions, en revanche, sont l’expression d’un problème : celles qui ne trouvent pas de réponses satisfaisantes lorsqu’on a recours à l’observation des faits, soit parce que ceux-ci sont muets sur la question, soit parce qu’ils offrent une multiplicité de réponses contradictoires -‘‘Tout homme a-t-il droit au respect?’’. Or telles sont précisément les questions philosophiques et, par conséquent, les sujets de dissertation. C’est justement ce problème qu’il s’agit de découvrir et d’exposer. Voilà ce que l’on nomme la problématisation. 4. Problématiser. La problématisation a pour point de départ le sujet-question et pour point d’arrivée la formulation d’un problème. Mais qu’est-ce qu’un problème ? Un problème est une contradiction. Qu’est-ce qu’une contradiction ? Une contradiction consiste en deux propositions qui paraissent vraies, qui peuvent se défendre par un ou plusieurs arguments, mais qui s’opposent l’une à l’autre de telle sorte que si l’une est vraie, alors l’autre est fausse. Une contradiction consiste en deux propositions incompatibles et qui toutefois semblent vraies toutes les deux. Ou alors, une contradiction consiste en deux propositions contraires qui semblent aussi fausses l’une que l’autre. Or, étant contraires l’une à l’autre, elles ne devraient pas être fausses toutes les deux. Dans les deux cas, le problème consiste en cela qu’il est tout aussi impossible de soutenir simultanément deux idées parce qu’elles sont incompatibles, que d’en adopter une parce que l’autre semble tout aussi valable, tout aussi vraie. Exemple : d’un côté, en tant qu’ils sont des hommes justement, tous les hommes ont droit au respect. D’un autre côté, il semble bien falloir soutenir que certains hommes ont perdu ce droit en raison de ce qu’ils ont fait. Dès lors, la contradiction est flagrante : — ou bien tous les hommes, sans aucune exception, ont droit au respect, — ou bien certains ont perdu ce droit, donc tous n’y ont pas droit. Ces deux idées ne peuvent pas être soutenues conjointement. Pour passer de l’un à l’autre, pour passer de la question — ’’Tout homme a-t-il droit au respect?’’ — au problème – manifeste dans la contradiction -, il n’y a pas vraiment de méthode, de technique, mais tout au plus des recettes — aussi faut-il ne jamais perdre de vue qu’il est vain de croire qu’il existe vraiment une technique de la dissertation : ce serait croire qu’il existe une technique pour penser. Trois opérations sont toujours nécessaires. Une fois avoir reformulé le sujet, c’est-à-dire une fois l’avoir transformé en une question s’il ne l’était pas déjà, il s’agit : — d’analyser et de tenter de définir les termes de la question, tous, sans exception. Pour cela, se gardant d’associer hâtivement des références aux notions de l’énoncé, il est bon de commencer l’analyse en laissant toute considération érudite de côté, pour se consacrer rigoureusement aux notions elles-mêmes, à leurs significations et aux obstacles qui viennent troubler l’élucidation de leur véritable statut. Il faut s’appuyer sur leur compréhension commune, sur leur polysémie, afin d’en faire surgir la complexité, les ambiguïtés. Le seul jeu des acceptions ordinaires permet souvent de nourrir l’interrogation philosophique. Ce n’est alors que dans le corps du devoir que le recours aux concepts philosophiques deviendra pertinent, lorsqu’il s’agira de surmonter certaines difficultés impossibles à résoudre sur le terrain du sens commun. Il s’agit aussi de spécifier la ou les notions en présence, autrement dit il faut dire ce qu’elles ne sont pas en faisant un travail de voisinage, établissant des liens avec des notions proches pour mieux les différencier. — de questionner la question, c’est-à-dire de mettre en place, autour et à propos de l’énoncé, des questions ordonnées s’enchaînant logiquement ou se déduisant de la question posée. Ce sont précisément ces questions qui seront examinées dans le corps du devoir et auxquelles on devra fournir des réponses. → Exemple de sujet : “Une société peut-elle se passer de religion?’’ . Sens du sujet : un milieu humain organisé où se trouvent intégrés tous les individus est-il en mesure d’exister sans l’institution rendant à Dieu hommage et honneurs ? . Questions centrales que fait naître le sujet : la religion, une structure nécessaire à l’équilibre des sociétés et des groupes ? La religion ne tend-elle pas à compenser les impuissances et les manques des groupes humains et des sujets composant ces derniers ? Les hommes peuvent-ils vivre sans l’infini et l’absolu? → Exemple de sujet : “La science peut-elle tenir lieu de sagesse ?“ . Sens du sujet : l’ensemble des connaissances discursives établissant des lois entre les divers phénomènes peut-il remplacer une conduite juste et raisonnable ou en fournir le modèle ? . Questions centrales que fait naître le sujet : toute vérité se réduit-elle à la science ? Toute connaissance autre que scientifique doit-elle être considérée comme un épiphénomène sans consistance réelle ? La science est-elle en mesure de légiférer sur toutes choses ? — de choisir le problème fondamental posé par le sujet. → Exemple de sujet : “L’avenir doit-il être objet de crainte ?“ . Sens du sujet : la dimension future du temps, qui contient les événements qui ne se sont pas encore produits, mais adviendront certainement, induit-elle nécessairement, de ce fait, l’inquiétude et la peur face à un avenir dont l’inconnu peut paraître plein de menaces ? . Questions centrales que fait naître le sujet : n’y a-t-il pas une dimension contradictoire dans l’intitulé du sujet lui-même? L’avenir, n’étant pas donné, ne saurait constituer pour nous un objet réel, lequel est seul, éventuellement, capable de susciter une crainte. L’avenir ne pourrait-il être aussi bien porteur d’espoir ? . Problème fondamental : l’avenir, étant lié à mes possibles, ne doit-il pas être, plutôt qu’objet de crainte, porteur d’angoisse ? → Exemple de sujet : “Quelle est la fonction première de l’Etat ?“ . Sens du sujet : quel est le rôle le plus important joué par l’organisme constitué d’institutions à l’aide desquelles il régule, oriente la société dont il est ainsi l’organe dirigeant ? . Questions centrales que fait naître le sujet : L’Etat possède-t-il une fonction ou un rôle ? Ne désigne-t-il pas, au contraire, une entité parasitaire ? L’Etat, contrainte ou organe fonctionnel, puissance de vie ou réalité mortifère ? Est-il vraiment nécessaire ? Qu’en attend la société dans son ensemble? . Problème : l’Etat est-il un obstacle ou un moyen ? Et s’il est un moyen, au service de qui/quoi fonctionne-t-il ? De manière générale, pour problématiser un sujet, on peut : — se demander comment on répond d’ordinaire à la question posée, c’est-à-dire qu’elles sont les opinions qui passent pour des réponses à cette question. Si les opinions sont en désaccord entre elles, cela suggère une contradiction qu’il faut alors exposer. — si l’on n’a guère d’idées sur la réponse à la question posée, proposer par hypothèse une réponse possible à la question, puis se demander ce que signifie cette réponse, ce qu’elle implique, ce qu’elle suppose pour être vraie et quelles sont ces conséquences. A partir de là, si ses implications, présupposés ou conséquences semblent faux ou impossibles, on peut avoir des raisons de penser que cette réponse n’est pas la bonne. Faire de même avec la réponse contraire. Si elles sont toutes les deux à la fois sensées et impossibles, on a saisit une contradiction. — reformuler la question posée à partir des définitions qu’il est possible de donner de chaque notion du sujet. Les diverses combinaisons qu’il est possible d’envisager à partir de toutes les définitions peuvent quelquefois présenter des contradictions entre elles. Dans ce cas, on conçoit un problème qui repose sur l’ambiguïté des notions présentes dans la question. — mettre la question en situation, se demander à quelles occasions elle peut se poser et si l’observation des faits ne donne pas des réponses opposées à la question. Dans tous les cas, et le recours à une recette n’exclut pas le recours aux autres. Il faut surtout, contre la pente naturelle de l’esprit, chercher la difficulté, le conflit, l’opposition, en un mot, toutes les manifestations d’une contradiction. L’essentiel est ici de produire une déstabilisation des certitudes trop hâtives du sens commun au sujet des notions en présence et de leurs liens, et de rendre précisément la discussion possible. Au terme de cette problématisation des notions – il faut vraiment travailler à se retrouver face à des difficultés ! -, le tout est de rendre compte de ce qui résiste à l’intelligibilité. 5. Formuler une problématique. On aboutit ainsi à un problème qui implique, puisque l’on ne peut le résoudre immédiatement, d’en passer par une analyse philosophique qui va consister en la résolution de difficultés ou de questions intermédiaires –recherche d’une définition d’une notion ambiguë, éclaircissement du rapport entretenu par deux choses, etc. Ces difficultés ou questions intermédiaires doivent être définies et hiérarchisées : c’est là la problématique . 6. Déterminer l’enjeu du sujet. L’ enjeu du sujet est le gain de pensée apporté par la formulation d’un problème et par la tentative d’y répondre, son intérêt pratique ou théorique et l’intérêt de la ou des solutions qu’on peut lui apporter. En effet, de la solution que nous choisissons aux problèmes philosophiques dépendent nos choix de vie fondamentaux. 7. Etablir son plan. Une fois la problématique formulée et l’enjeu du sujet repéré, l’organisation du propos suit. On parvient au plan qui est simplement le développement détaillé de la problématique, le corps du devoir étant lui le développement détaillé du plan. Le plan, du reste, doit être parfaitement clair et intelligible. Ses parties doivent s’équilibrer convenablement. Il existe deux défauts majeurs qu’il faut éviter, à savoir l’absence d’ordre et l’excès d’ordre : — l’absence d’ordre consiste à livrer en vrac ses idées, sans les articuler, niant ainsi toute espèce de progression ; — l’excès d’ordre consiste à prévoir un plan tout fait et à chercher à en remplir les cases, c’est-à-dire, le plus souvent, à recourir au plan dit ‘‘dialectique’’ mais en le vidant de son sens : d’abord dire ‘‘oui’’, puis soutenir que ‘‘non’’, et enfin en être réduit à se contenter d’un ‘‘peutêtre’’ ou d’un compromis illusoire qui ne convainc personne. Il ne faut pas perdre de vue que l’on ne peut pas dire successivement et sous le même rapport, autrement dit du même point de vue, qu’une chose est blanche et noire. En vérité, si on peut soutenir effectivement qu’elle est blanche, alors elle n’est pas noire. Ou alors, si l’on peut affirmer qu’elle est noire, c’est que l’on parle d’autre chose que de celle qui est blanche ; à moins que, finalement, on se place d’un autre point de vue qu’il convient cela dit de préciser Il s’agit d’éviter également certains types de plans : — le s plans qui tronçonnent le sujet en fonction de ses termes et qui s’attachent à les définir tour à tour, — les plans chronologiques, — les plans-catalogues, — les plans contradictoires, —… En fait, la constitution du plan doit s’opérer à partir du problèmes soulevé, et non à partir des thèmes abordés ou des références utilisées. Il est bon que chaque partie se présente au brouillon sous la forme d’une question, chaque sous-partie traitant elle-même d’une sousquestion. Ce n’est qu’une fois opérée cette présentation interrogative que pourront être insérés dans le plan références textuelles et exemples variés. La présentation du plan doit se faire sous une forme problématique, en exposant les grandes lignes de son propos, non pas de manière thétique ou affirmative, mais sous la forme d’un questionnement au style indirect. Il n’y a pas de plan passe-partout, mais l’on peut définir des méthodes d’organisation du développement. Nous indiquerons deux types de plan, les plus communément utilisés : — le plan dialectique, plan utile notamment pour les sujets dans lesquels une thèse clairement formulée est soumise à l’examen. → Exemple de sujet : ‘‘Est-il juste de dire que, pour bien comprendre autrui, il faut tenter de se mettre à sa place ?’’, ‘‘Peut-on dire que ce sont les hommes qui font l’histoire ?’’, etc. Le plan dialectique est également judicieux pour les questions avec alternative : ‘‘Le temps est-il notre ennemi ou notre allié ?’’, ‘‘Les autres nous aident-ils à nous connaître ou nous en empêchentils ?’’. Le plan dialectique comporte trois parties : . la thèse (I) : elle expose un point de vue, généralement le plus commun, le plus évident, le plus simple, celui notamment que présente le libellé du sujet. Il faut, dans la première partie, examiner ce qui peut fonder la thèse en jeu. · l’antithèse (II) : elle expose le point de vue adverse. Il faut, dans la seconde partie, mettre à l’épreuve les fondements de la thèse précédemment dégagés, examiner les limites, contradictions, implications de l’opinion commune. · la synthèse (III) : elle unit les contradictions de la thèse et de l’antithèse en un point de vue supérieur, plus riche et fécond. Il ne s’agit nullement d’un juste milieu ménageant la chèvre et le chou, mais d’une unité créatrice, d’une unification de la thèse et de l’antithèse au sein d’une catégorie supérieure. Le plan dialectique n’est pas : oui (I), non (II), peut-être (III). → Exemple de sujet : ‘‘La mort abolit-elle le sens de notre existence ?’’ 1. Thèse : la mort abolit le sens de notre existence. Idée générale : tout est détruit par la mort. 2. Antithèse : la mort ne peut abolir le sens de notre existence. Idée générale : je suis source du sens de mon existence. 3. Synthèse : la mort est régulatrice de notre vie et donatrice de sens. Idée générale : la mort est ce à partir de quoi notre vie va acquérir un sens. → Exemple de sujet : ‘‘Les autres nous aident-ils à nous connaître ou nous en empêchent-ils ?’’ 1. Thèse : les autres apportent une aide puissante dans la prise de conscience de soi. Ils nous aident à nous forger et à nous connaître. 2. Antithèse : étude des risques de ‘‘dépersonnalisation ’’; les autres peuvent m’empêcher de saisir une image authentique de moi. 3. Synthèse : la reconnaissance permet d’unifier les deux points de vue précédents ; Pour Hegel, la lutte des consciences permet la connaissance de soi à travers l’autre. — Le plan progressif. Ce plan est utile notamment pour les questions du type : ‘‘qu’est-ce que ?’’. Dans le plan progressif, il s’agit de construire, à partir de points de vue différents, des définitions successives de la notion envisagée, définitions de plus en plus complexes et riches, pour arriver à une définition ultime constituant l’essence du terme qui doit être analysé. Un plan en 3 parties est conseillé — minimum : 2 parties, maximum : 4 parties. → Exemple de sujet : ‘‘Qu’est-ce qu’être maître de soi ?’’ 1. 1ère définition, la plus simple, la plus commune : être maître de soi, c’est se connaître et savoir ce que nous sommes. Pour se gouverner soi-même, se maîtriser, trouver une règle de conduite harmonieuse et résister aux forces de dislocation — les troubles passionnels, l’angoisse de la mort, l’usure du temps, etc. -, il convient d’abord de se connaître, c’est-à-dire de savoir qui nous sommes et ce que nous sommes. Transition : si la connaissance apparaît comme action et pouvoir sur soi qui nous libère de la servitude des passions et permet au sujet d’exercer un gouvernement sur lui-même, la théorie et la spéculation sont-elles néanmoins suffisantes ? Quelles seraient alors les autres formes et conditions de la maîtrise de soi ? La question centrale : “qu’est-ce qu’être maître de soi ?”, subsiste par conséquent et nous invite à envisager une définition plus riche, plus complexe du pouvoir sur soi. * 2. 2ième définition qui peut remettre en question la précédente ou l’approfondir : être maître de soi, c’est atteindre l’ataraxie. D’où une deuxième définition de la maîtrise de soi que nous fournit la tradition philosophique : la maîtrise de soi ne consiste pas uniquement dans la connaissance de soi; elle signifie également un pouvoir de la volonté. Transition : être maître de soi participe de toutes les forces de l’âme, de l’être, de l’entendement et de la volonté. Le pouvoir sur soi est puissance d’accéder à des règles de pensée et d’action créant un sujet autonome. Sans action de soi sur soi, comment dépasser le stade de l’animal et de la servitude, comment se réaliser en tant qu’homme? Il nous reste toutefois à cerner encore davantage le noyau de la maîtrise de soi pour arriver à une ultime définition du pouvoir sur soi, acception qui sera la plus riche et qui nous fera saisir toute la plénitude de notre sujet. * 3ième définition, la plus riche : être maître de soi, c’est mépriser la mort. Nous aboutissons à une troisième définition possible du pouvoir sur soi. Qu’est-ce qu’être maître de soi ? N’est-ce pas, en profondeur, mépriser et dédaigner la mort, comme nous l’indiquent les grands sages et moralistes, de Platon à Hegel ? Le mépris de la mort ne forme-t-il pas le noyau de toute maîtrise de soi, si la mort, comme le souligne Hegel, semble être notre plus grand ennemi et l’objet de nos angoisses les plus vives ? II. La rédaction. La rédaction donne corps au devoir. Elle doit : — s’en tenir au cadre fixé par la problématique ; pour cela, il convient de partir de cette problématique elle-même ; — permettre de trouver ou d’élaborer plusieurs solutions successives au problème soulevé, autrement dit apporter plusieurs réponses à la question posée, chacune devant être distincte et opposée aux autres ; — être menée avec progression et rigueur ; pour ce faire, il faut tenter d’enchaîner les solutions les unes aux autres au lieu de les juxtaposer simplement et, à l’intérieur de chaque solution, essayer de coordonner ses idées. Cela doit se traduire par le fait de pouvoir distinguer dans son travail un point de départ – le problème -, un point d’arrivée — la meilleure solution, la réponse la plus pertinente — et, entre les deux, toute une série d’étapes, toute une série d’idées enchaînées les unes aux autres. La dissertation doit comporter trois temps. 1. L’introduction. L’introduction de la dissertation de philosophie se compose de cinq moments successifs : — le premier : l’accroche. On doit accrocher l’attention de celui qui nous lit avec une phrase, une ‘‘idée-amorce’’ qui permette d’entrer immédiatement dans le vif du sujet. Elle doit être générale sans être passepartout, pertinente sans être trop complexe, intéressante sans être tirée de l’immédiate actualité. Faire preuve d’astuce. Citer un proverbe qui colle parfaitement avec ce dont on va débattre, ou énoncer une phrase curieuse, paradoxale qui va trouver son sens dans la problématique… Surtout ne pas faire de méandres. — le second : la reformulation du sujet et l’explication des termes qui le composent. — le troisième : la mise en place de la problématique. — le quatrième : la mise en lumière de l’enjeu du sujet. — le cinquième : l’énoncé du plan. 2. Le développement. . Faire très attention à l’équilibre général de la composition. . Chaque partie doit comporter en quantité variable ces trois moments : — l’exposition d’une idée et une argumentation en sa faveur ; — une illustration de cette idée par une référence précise, un exemple concret (une référence à un auteur, une citation expliquée, une situation de la vie courante, un passage dans tel film dont on précisera le nom du réalisateur, etc.) ; — une discussion de l’exemple choisi et de l’idée qu’il illustre. . L’unité de chaque partie devant s’établir en fonction du problème spécifique abordé, toutes débuteront par la mise en évidence de ce problème, consisteront dans le traitement de celui-ci et finiront par une synthèse permettant de bien saisir les avancées de l’argumentation. Une telle synthèse se verra à son tour confrontée à ce qui reste à penser. Se demander en somme si les résultats de l’argumentation sont satisfaisants, si l’on peut s’en tenir là ou si l’on doit envisager d’autres problèmes essentiels à la circonscription du sujet. . Le rôle de la transition est essentiel : au-delà de leur dimension proprement rhétorique – établir une continuité entre les différentes analyses -, la transition sert à justifier la poursuite de la réflexion par la mise en évidence de l’incomplétude de l’argumentation précédente, donc de la nécessité de poursuivre plus avant le raisonnement. Puisqu’il faut toujours se demander, à la fin de chaque partie pourquoi l’on ne peut s’en tenir à ce qui vient d’être développé, la transition est la trace tangible de la cohérence de la problématique. . Subordonner l’exposition des références à la progression de l’argumentation : les exemples ne se substituent pas à celle-ci. En effet, il est recommandé, très recommandé d’utiliser des exemples, soit comme point de départ d’une analyse — auquel cas l’exemple est un moyen par lequel on dégage des concepts ou des relations entre des concepts -, soit à l’issue de l’exposé argumenté d’une idée — dans le but, cette fois, d’illustrer cette idée. Mais, il ne faut jamais oublier qu’un exemple, c’est-à-dire un cas, n’est pas une preuve ou un argument ! La fonction des exemples est d’illustrer la réflexion ou de la stimuler et non de s’y substituer. Il est tout aussi recommandé d’avoir des références philosophiques, sous la forme de citations qui, dès lors, doivent être exactes et notées entre guillemets, en même temps que commentées. Cela ne doit pas pour autant donner lieu à une présentation longue d’un élément de doctrine philosophique –il faut privilégier la concision et la précision, surtout ne pas se lancer dans un topo général sur tel ou tel auteur. Ce qui importe, c’est que les références soient intégrées au devoir : il faut qu’elles soient préparées en amont par des analyses et qu’elles soient suivies en aval par des explications et un commentaire qui en dégage l’intérêt par rapport au problème posé. 3. La conclusion. La fonction première de la conclusion consiste, après avoir résumé la démarche réflexive suivie, à apporter de manière synthétique une réponse personnelle argumentée à un ensemble de problèmes posés dans l’introduction et le corps du devoir. A cela s’ajoute la nécessité d’ ‘‘ouvrir’’, c’est-à-dire de mentionner les problèmes restant en suspens ou les implications plus lointaines du sujet, sans fioritures ni dramatisation outrancières. Règles d’or : — avoir des idées claires pour être compréhensible pour tout le monde et, pour cela, rejeter l’absurde et ne pas passer ‘’du coq à l’âne’’, donc être cohérent et rigoureux ; — toujours justifier ce que l’on dit par des arguments et non par des exemples – on peut trouver des exemples de tout comme des contre-exemples - ; — ne pas être dogmatique, c’est-à-dire trop tranché mais savoir nuancer sa pensée ; — souligner d’un trait tiré à la règle tous les titres d’œuvres que l’on peut citer ; — surveiller son écriture, son orthographe, sa ponctuation ; — toujours relire sa copie.