DOSSIER BRON MAGAZINE 254 > SEPTEMBRE 2014 3 septembre 1944 – 3 septembre 2014 Il y a 70 ans, Bron enfin libérée ! À Bron, le 3 septembre 1944, les troupes américaines et françaises entraient dans la Ville et défilaient, acclamées par une population en liesse. Les Résistants brondillants étaient là, eux aussi libérateurs, dirigés par le Capitaine Nitain, Pierre Dubœuf, un grand Résistant, commandant de l’Armée Secrète du Rhône. Depuis début août, les réseaux de Résistants se battaient “à découvert ” dans toute la région. Le 24 août, une insurrection éclate à Villeurbanne et se propage à Vénissieux et à Bron, mais elle est réprimée et écrasée le 26 août par les tanks allemands. Mais enfin, en ce 3 septembre, Lyon et son agglomération sont définitivement libérées. Soixante-dix ans après, Bron se souvient au travers de nombreuses manifestations : cérémonies, défilé et bal populaire, organisés par la Ville, les Anciens Combattants, les Associations, en lien avec les enfants et les adolescents. Chacun est invité à y participer. L’occasion pour les Brondillants de renouer le fil du passé, de l’Histoire et de la mémoire. Dans ce dossier, des témoins de cette période nous racontent avec émotion leurs souvenirs. Une manière, également, de mettre en lumière des figures brondillantes de la Résistance sans lesquelles nous ne pourrions vivre librement aujourd’hui. En novembre 2013, le Président de la République lançait les Commémorations du 100e anniversaire de la Première Guerre mondiale et du 70e anniversaire de la Libération de la France. Bron s’inscrit pleinement dans cette grande année mémorielle, avec, au fronton de son Hôtel de Ville, une phrase qui sonne comme un engagement et un espoir : “La Mémoire pour l’avenir”. 12 DOSSIER BRON MAGAZINE 254 > SEPTEMBRE 2014 13 BRON, 3 SEPTEMBRE 1944 Le 3 septembre 1944, deux mois après le débarquement allié sur les plages de Normandie, les troupes franco-américaines libèrent Bron de l’Occupation allemande. Ils entrent par la grande porte, la Route Nationale 6, accueillis par des habitants en liesse. Les Résistants brondillants vont bientôt les rejoindre, Pierre Dubœuf à leur tête. Récit d’une journée extraordinaire rendue possible par une série d’évènements qui ont fait l’Histoire... 6 juin 1944 . Le jour le plus long. Celui que beaucoup attendaient, et ce depuis des années. Les Alliés prennent pied sur les plages de Normandie et s’avancent en direction de l’Allemagne. Paris se soulève le 19 août, pendant que les troupes anglaises et américaines marchent vers la Belgique et la Lorraine. Dans le sud de la France, la situation tourne aussi en faveur de la Liberté. Après l’échec du soulèvement du Vercors en juillet, qui se solde par la mort de centaines de civils et de résistants, 100.000 hommes venus d’Italie, de Corse et d’Afrique du Nord débarquent le 15 août 1944 entre Cannes et Toulon. Cette victoire en Provence permet à une colonne placée sous les ordres du général de Lattre de Tassigny d’attaquer Marseille et de remonter le long de la vallée du Rhône, tandis que les Anglo-Américains privilégient la voie des Alpes, moins défendue par les Allemands et où les Résistants des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) et des Francs-Tireurs et Partisans (FTP) préparent le terrain en multipliant les sabotages et les assauts contre l’ennemi. Partout, les nazis se replient et abandonnent les villes les unes après les autres, parfois sans combattre, dans d’autres cas en semant la mort derrière eux. Le 19 août, les Alliés prennent Sisteron et dès le 22, ils sont à Grenoble. Le lendemain, les Résistants du bataillon Rémy libèrent Bourgoin, ouvrant la voie aux chars américains qui les rejoignent quatre jours plus tard, le 27 août. Pendant ce temps, le 24 août, une insurrection éclate à Villeurbanne et se propage à Vénissieux et à Bron, mais elle est écrasée le 26 août par les tanks allemands. Une semaine après, les 2 et 3 septembre 1944, les troupes US atteignent enfin l’agglomération lyonnaise, avec deux mois d’avance sur les prévisions ! Les Alliés entrent dans notre ville par la grande porte, la Route Nationale 6, que le conseil municipal de Bron allait baptiser plus tard “Avenue Franklin Roosevelt”, pour honorer le président des Etats-Unis. Les GI’s sont accueillis par une population en liesse, brandissant les drapeaux tricolores et chantant la Marseillaise à tue-tête. Les Résistants brondillants rallient aussitôt les régiments alliés, notamment Pierre Dubœuf, commandant de l’Armée Secrète du Rhône, tandis que l’aéroport devient pendant quelques semaines une escale stratégique pour les appareils allant combattre plus au nord, en Bourgogne puis en Alsace et enfin en Allemagne. Ainsi les 7 et 8 septembre, 250 avions anglais et américains se posent sur la piste, à peine remise en état après les bombardements qu’elle avait subis. Hélas, c’est aussi à l’aéroport que l’on découvre l’horreur : 109 personnes, juives pour la plupart, massacrées en août et sommairement enterrées dans ce que l’on appela “Les charniers de Bron”. 14 septembre 1944, un DC3 orné de drapeaux tricolores se pose à Bron. Une grande silhouette en sort, passe en revue les troupes venues l’accueillir puis monte dans une voiture qui l’emmène à Lyon. Le Général De Gaulle vient saluer la capitale de la Résistance et rétablir les institutions de la République. Aline Vallais 2 L’armée allemande occupe Bron et sa base aérienne 30 avril 1944 17, 18 et 21 août 1944 109 détenus de la Prison Montluc sont massacrés sur les terrains de l’aérodrome (photo 2) 3 3 septembre 1944 © DR © DR Bombardements alliés sur l’aérodrome de Lyon-Bron. Près de 278 tonnes de bombes déversées : 21 maisons détruites, 24 maisons endommagées, 2 victimes. (photo 1) 4 Les forces alliées et les Résistants libèrent Bron (photo 3 : ici le groupe “Nitain” sous les applaudissements des habitants) Le Général de Gaulle atterrit à l’aérodrome de Bron et traverse la ville pour se rendre à Lyon (photo 4) La Mémoire pour l’avenir © DR 14 septembre 1944 © DR Quelques dates Passage sur le pont provisoire de la Guillotière. Des éléments du régiment “Groupe Bretagne – Les Maraudeurs” les 2 et 3 septembre 1944. 27 novembre 1942 1 © DR Et les Alliés entrèrent par la grande porte, la Route Nationale 6... DOSSIER BRON MAGAZINE 254 > SEPTEMBRE 201414 BRON, 3 SEPTEMBRE 1944 © DR Une page particulière da C e n’est pas une image d’Épinal. Ce 3 septembre 1944, les rues de Bron, en particulier la Nationale 6 — future avenue Franklin Roosevelt — étaient bien en liesse. Les Brondillants applaudissaient, criaient leur joie au passage des soldats français et américains, acclamaient les Résistants du groupe Nitain. Tous venaient d’entrer dans la ville, la libérant de fait. Les jeunes femmes, telles que vues tant de fois depuis sur les films et photographies d’époque, toutes belles dans leurs corsages cintrés, une coque soigneusement roulée sur leurs chevelures permanentées, embrassent les soldats, arborant des cocardes, agitant des drapeaux tricolores, bannières étoilées, rythmant le défilé des troupes. Des fleurs pleuvent comme autant de messages d’espérance et de paix presque retrouvée. “Presque” car la guerre n’est pas finie, les batailles vont faire encore rage sur bien des fronts. La guerre est mondiale, la paix va être au prix de cette démesure. “Presque” car les horreurs découvertes à la Libération, les images terrifiantes des camps sont à venir, bouleversant à jamais le regard de l’humanité sur l’humanité. Le dernier convoi de déportés “politiques” est parti de Paris le 15 août, et de déportés juifs le 17 août. Parti le 11 août de Lyon, le train numéro 14 166 sera le dernier convoi vers les camps de la mort... Un calendrier d’autant plus tragique que les forces alliées approchent. À Bron aussi, il y aura des moments moins glorieux, où des individus autoproclamés justiciers — bien souvent ceux que l’on va appeler les “résistants de la dernière heure” — procèdent à la tonte des femmes et autres faits tout aussi arbitraires que consternants. C’est d’ailleurs Pierre Dubœuf lui-même qui édictera un arrêté à la population, un texte sans appel, signé de son nom de guerre, Nitain, pour faire cesser ces actes et décider d’un couvre-feu. Un texte à lire et à relire. Le goût de la liberté retrouvée Mais en ce 3 septembre 1944, l’heure est à la fête, et l’on découvre ces G.I’s à l’allure si moderne, à la fraternité démonstrative, ils sont blancs, ils sont noirs, ils sont tous Américains et jeunes, si jeunes ! Ils apportent des nouveautés incroyables, à jamais associées au goût de la liberté et de la jeunesse : les chewing-gums et le Coca-cola ! Comme un air de renouveau qui permettrait à nouveau d’espérer. Il faut dire que Bron n’est pas une ville comme les autres dans l’agglomération. Et ces mois d’été 1944, elle a cumulé les événements tragiques comme autant de traces vives qui vont rester dans l’Histoire et les mémoires. Bron est située à l’entrée Est de ce que l’on appellera plus tard “l’agglomération”, mais Bron a aussi et surtout un aérodrome. Et de cette réalité est née une >>> suite pages 16-17 Francis Serrano, Conseiller municipal délégué aux Anciens Combattants « Bron n’oublie et n’oubliera pas » « Rares sont les villes à se mobiliser autant dans le cadre de cette double commémoration, 1914 et 1944. À Bron, la synergie est réelle et forte entre la Ville, les associations d’Anciens Combattants, les services et équipements municipaux, les nombreux partenaires (ONAC, CHRD, CRIF, LICRA) et l’Harmonie La Glaneuse, l’Artistique danse Plein Ciel, la SLHADA, le cinéma Les Alizés... Sans oublier les jeunes, le Conseil Municipal d’enfants, les collégiens de Théodore Monod... En mettant en place toutes ces actions pour cultiver et préserver les mémoires, Bron montre qu’elle ne veut pas oublier et qu’elle n’oubliera pas. Les Anciens Combattants souhaitent des actions concrètes, et je crois que cette année, avec les actions résultant du partenariat qui lie la Ville au Mémorial de Montluc pour les commémorations des massacres, et bien sûr pour le 70e anniversaire de la Libération de Bron, les Brondillants apprécieront tout comme nous ces rendez-vous avec l’Histoire. Comme en fin d’année, avec un cycle de conférences “Les Rencontres des Mémoires”. La première sera animée par l’historien et journaliste lyonnais Gérard Chauvy et portera sur “Les origines de la Première Guerre mondiale”. Les guerres du 20e siècle trouvent leurs racines dans les conflits précédents, et il est important pour tous les âges de connaître et comprendre l’Histoire, pour continuer à vivre librement aujourd’hui en démocratie ». La Mémoire pour l’avenir DOSSIER BRON MAGAZINE 254 > SEPTEMBRE 2014 15 ans l’histoire du monde Résistants et Brondillants, ils sont acteurs de la Libération © DR À Bron, ils rejoignent, sous le commandement de Pierre Dubœuf, les forces alliées, francoaméricaines et c’est ensemble qu’ils libèrent Bron. Afin de leur rendre hommage à travers le temps, de se souvenir, de chercher à toujours savoir qui ils étaient, à connaître aussi le prix de leur engagement, connus ou restés dans l’anonymat. Beaucoup d’entre eux sont présents dans la Ville à travers leurs noms donnés à de nombreux lieux, rues et équipements de Bron par les municipalités successives. Alors, quand vous ferez du sport au Stade Pierre Dubœuf, des fêtes à l’Espace Roger Pestourie, quand vous vous cultiverez à la Médiathèque Jean Prévost, quand vous irez au marché place Curial, vous aurez une pensée reconnaissante pour tous ces hommes et ces femmes auxquels nous devons de vivre libre, en démocratie et en République, mais réfléchir aussi, encore et toujours, au sens si actuel de leur engagement. Nous ne pouvons tous les citer, voici quelques-unes des figures emblématiques de ce combat pour la liberté. Roger Pestourie, jeune communiste, entre en Résistance à 20 ans dans le Lot. Il va être Dans appelé à Lyon auprès de Jean Moulin pour réunifier tous les ses souvenirs de Résistance mouvements de jeunesse devenant cofondateur des Forces publiés en 1994, Roger Pestourie disait ne jamais avoir été inquiété car, Unies de la Jeunesse Patriotique en zone sud. À la Libéra- « “habillé”». tion, il restera dans la région et s’ancrera à Bron, laissant Il avait des faux papiers. sa marque politique, sociale et artistique sur toute la ville. Adjoint au Maire, décédé en 2011, ce grand amateur de peinture et d’art donnera une partie de sa collection de peinture lyonnaise à la commune. Le Capitaine Pierre Dubœuf, alias “Capitaine Nitain”, devient en 1942 chef départemental de l’Armée Secrète, il libérera Bron à la tête des Maquisards. (voir encadré ci-dessous). Son fils, Guy Dubœuf, 17 ans à peine, devient agent de liaison dans la Résistance. Claudius Billon (alias “Buisson”), chef Régional de “Combat”, organise dès 1940 la Résistance sur la base aérienne, puis le recrutement des premiers membres de ce qui sera l’Armée Secrète. Arrêté et torturé en février 1943, on ignore comment il a disparu. Albert Chambonnet, chef d’État major régional des FFI, organise l’Armée Secrète, il sera exécuté place Bellecour en 1944. Jeanne Collay (1), arrêtée par la Gestapo, sera déportée en 1944 au camp de Ravensbrück et libérée en avril 1945. Baptiste Curial, membre de la Défense Passive sera assassiné en 1944. Eugène Guillemin sera déporté et meurt à Birkenau, il n’avait pas vingt ans. Louis Maggiorini, membre des Jeunesses Communistes, est arrêté par la Gestapo en 1944, il sera fusillé à Saint-Genis Laval(1). Armand Philippe,commandantdesForcesFrançaisesCombattantes,arrêtéparla Gestapo en 1944, est déporté à Dachau puis à Bergen-Belsen, il sera libéré en mai 1945. Jeanne Veses, avec son mari, les “Totor”, seront agents de liaison dès 1941 en multipliant les actions dans toute la Région. Mais aussi, bien sûr, André Armand Philippe, alias “Jo” est Sousi, maire de Bron de 1971 à 1988. Il refusera de partir au STO libéré en mai 1945 par les Anglais camp de Bergen-Belsen. (le Service du Travail Obligatoire ) et entre dans les maquis de l’Ain à du Rapatrié à Bron, il pesait alors l’âge de 25 ans. Il sera par la suite un fervent partisan de l’Europe et de la 38 kg. réconciliation des peuples, en particulier avec le peuple allemand. © DR Ils se nommaient Buisson, Nitain, Poujade, Totor... “alias”, leurs noms d’entrée dans la clandestinité. Il faudra attendre la fin de la guerre pour que leur véritable identité soit dévoilée. Mais hélas pour beaucoup, ce voyage au bout de la guerre, sera un voyage jusqu’au bout de la nuit. Engagés contre le fascisme, le nazisme, l’Occupation allemande, les Résistants des différents réseaux vont se retrouver “naturellement” au premier rang des libérateurs dans les villes de la Région. (1) Bron Magazine / juin 2014 Pierre Dubœuf, un homme, un chef, un libérateur © DR Entrer en Résistance fut pour beaucoup d’hommes et de femmes un engagement total pour la liberté. L’exemple de Pierre Dubœuf est là pour nous le rappeler... Il faut s’imaginer Pierre Dubœuf, dont la famille habitait rue de Reims, entrer dans Bron à la tête de ses troupes le 3 septembre 1944. Le commandant Dubœuf, alias capitaine Nitain, dirigeait alors l’Armée secrète sur le Le capitaine Dubœuf, “Nitain”. plan départemental, autant dire que ses responsabilités dépassaient largement Bron. En août 1944, Pierre Dubœuf est à la tête de 12 OOO hommes, dont 4000 armés. Son groupement est composé de 350 officiers, sous-officiers et soldats et c’est en lien avec tous les maquis de la région qu’il va prendre part à de nombreuses opérations. Le 3 septembre, il libère Bron aux côtés des forces alliées On peut imaginer l’émotion qui dut étreindre cet homme pourtant aguerri au combat et à la clandestinité, entré très tôt dans la Résistance, au sein du groupe Combat. Son fils Guy est présent. À 17 ans, il est déjà agent de liaison et a échappé par miracle aux tristement célèbres arrestations de l’imprimerie de la rue Viala à Lyon. Mais l’heure n’est pas aux seuls défilés, il faut encore agir : avec son fils, mais aussi en compagnie d’André Lacroix et de Charles Pont, Pierre Dubœuf destitue le Maire mis en place par Vichy, Charles Douillé, remplacé par le Comité La Mémoire pour l’avenir local de Libération que va justement présider André Lacroix avant la mise en place d’une nouvelle municipalité. Pierre Dubœuf veillera aussi à l’ordre et à la sécurité de la ville, mettant en garde les justiciers autoproclamés... Puis nommé commandant militaire de Bron et de la base aérienne, cet aviateur reconstitue avec les anciens de son groupe, un groupe de chasse pour combattre sur le front des Alpes. Blessé à deux reprises, échappant à plusieurs guet-apens dans la clandestinité, Pierre Dubœuf reste une figure majeure de la Libération. Sa famille, citoyens toujours engagés, vit toujours à Bron. L’un des plus grands équipements de la Ville, le stade, porte son nom. DOSSIER BRON MAGAZINE 254 > SEPTEMBRE 201416 de ces effectifs d’occupation. Le Fort, la salle des fêtes, les groupes scolaires, mais encore « 360 immeubles ou villas, plus de 300 chambres ont été réquisitionnés », nous apprennent les archives. Il n’est alors pas difficile d’imaginer le poids de cette occupation, et, a contrario, le sens qu’allait revêtir au quotidien ce jour de libération. © DR Des motifs d’espérer... 3 septembre 1944, la 1re Division Française Libre accueillie par une foule en liesse. >>> occupation allemande particulièrement lourde. suite de Pendant toute la période d’occupation, une la page 14 moyenne de six mille Allemands se relaient à Bron, tandis que la commune, à l’époque gros bourg du Dauphiné, compte quelque onze mille habitants. Soit un Allemand pour deux Brondillants ! La base aérienne — qui par ailleurs va donner à la Résistance nombre de ses officiers et de ses aviateurs — est la plaque tournante Comme le rappelle l’historienne Aline Vallais (cf page 13), l’été avait déjà été source d’espérance mais aussi de moments bien cruels. À Bron, aussi. Les opérations du Débarquement, donnant réalité à une défaite annoncée pour leurs troupes, les Allemands, et en particulier les divisions les plus dures de leur armée, mais aussi leur police politique la Gestapo, aidée par la redoutable milice française, allaient redoubler d’actions de répression, d’arbitraire, de vengeance. Dans le même temps, la Résistance pour appuyer l’avancée des Alliés, multipliait les sabotages, Ils témoignent... © DR Pierre et son frère Armand Delorme aux côtés de soldats américains arrivés en ville le jour de la Libération. Bron malmenée, mais libérée À Bron, la pression aussi est forte depuis des mois. En avril 44, les terribles bombardements de l’aérodrome ont fait des morts et détruit des quartiers de la ville. Les Alliés vont aussi libérer la France à ce prix : dans toute la France les populations civiles ne seront pas épargnées. Puis en août, ce seront les “charniers de Bron”, >>> Georges Sarigarabedian « 4 ans, mais je me souviens des hommes en armes » Pierre Delorme « J’avais 7 ans, mon père écoutait Radio Londres » « À l’époque, j’avais 7 ans et j’habitais avec mes parents sur l’actuelle place Baptiste Curial. Peu de temps avant la Libération de Bron, je me souviens de mon père qui écoutait les messages radio émis par Londres. Pendant ce temps, ma mère surveillait à travers les volets des chambres le passage de véhicules allemands car ils recherchaient des postes émetteurs. Dès que ma mère les voyait arriver, elle faisait signe à mon père de vite arrêter la radio. Et nos radios, c’était un peu du bricolage : de vieux fils électriques en cuivre servaient d’antenne. Ils étaient branchés derrière la radio et remontaient au plafond, puis jusqu’à la lampe ! Comme ça, l’antenne ne se voyait pas. Lorsqu’il y eut les bombardements alliés en août 1944, avec mes parents, nous nous sommes réfugiés chez ma grand-mère qui habitait Saint-Bonnet-de-Mure. Nous sommes ensuite revenus à Bron au moment de la Libération. Ce qui m’a le plus marqué ? C’est lorsque j’ai eu droit à mon premier chewing-gum. » les attaques, les opérations de renseignement. Si l’Allemagne ne veut pas céder, la France de Vichy — celle du Maréchal Pétain — fait de même. Plus que jamais les temps sont brutaux, les hommes et les femmes de la Résistance, arrêtés, torturés, décimés. A Lyon, capitale de la Résistance, les réseaux tombent. Une sinistre série commencée bien plus tôt. Déjà plus d’un an s’est écoulé depuis ce jour d’été, à Caluire, le 21 juin 1943, où Jean Moulin, alias “Max”, a été arrêté, puis torturé par la Gestapo, avant de mourir le 8 juillet 1943 dans le train qui le transporte en Allemagne, juste avant de passer la frontière... Son nom va rester dans l’histoire comme symbole de cette Résistance, de cette République restée debout. « Au moment de la Libération, j’étais tout gamin, j’avais 4 ans. Et pourtant j’ai des souvenirs datant de cette période. Vers l’actuel réservoir d’eau, il y avait la batterie de Parilly où je venais jouer et un campement qui regroupait 150 à 200 Allemands. Je voyais défiler de jeunes Allemands, en armes. Pour un enfant comme moi, de voir passer ces jeunes hommes armés et casqués... C’était très impressionnant. » Marie (1) « J’avais 20 ans… le sinistre écho des charniers » « Au moment de la Libération, j’avais 20 ans. Nous tenions avec ma mère un petit magasin Casino aux Sept Chemins. Un jour, une cliente est arrivée, choquée, le visage blême. Elle cherchait des pissenlits dans les prés, vers l’aérodrome, et elle est arrivée vers nous terrifiée : « Si vous saviez ce que j’ai vu ! ». Elle avait vu des hommes se faire fusiller à l’aéroport par les Allemands. Nous avons réalisé plus tard qu’il s’agissait des charniers de Bron. Je me souviens aussi que le jour de la Libération, on a vu les Américains arriver par Chassieu. La fille du boulanger qui parlait un peu anglais essayait de communiquer avec eux mais, il faut bien le dire, on ne comprenait pas grand chose ! » (1) Nom d’emprunt, ce témoin ayant souhaité garder l’anonymat La Mémoire pour l’avenir DOSSIER BRON MAGAZINE 254 > SEPTEMBRE 2014 17 >>> cent neuf prisonniers de Montluc, Juifs pour la plupart, massacrés par représailles sur ces mêmes terrains de l’aérodrome. La ville de Saint-Genis Laval connaîtra de pareilles horreurs. Plus loin, plus tôt, en juin 1944, les divisions SS avaient déjà laissé leur trace criminelle et sanglante, pendant les jeunes gens de Tulle aux balcons de la ville avant de poursuivre leur route par le massacre de tout un village à Oradour... La situation sur le plan mondial, national et local se conjugue, les événements se heurtent ou se déclinent mais tous se lisent à toutes ces échelles. Et partout c’est encore la guerre, la violence, la barbarie... Mais au bout de ce tunnel meurtrier, une lumière peut enfin s’apercevoir. Et on comprend mieux alors combien ce jour de septembre 1944 va revêtir un caractère unique, exceptionnel. Les historiens ayant travaillé sur cette période et sur notre région, s’appuyant sur les archives, estiment à une cinquantaine, les personnes investies dans la Résistance à Bron. Certains diront que c’est peu, et ils auront raison. Mais c’est aussi beaucoup au regard de leur héritage, car ces cinquante-là, restés debout, ont eu raison face à l’Histoire, ces cinquante-là resteront dans l’Histoire. Avec tous ces Résistants, pour tous ces soldats venus de si loin et de tant de pays pour notre liberté, pour tous ces jeunes gens, si jeunes, trop jeunes pour mourir, le moins que l’on puisse faire, est de ne pas trahir l’Histoire, de cultiver leur mémoire. Et ce pour l’avenir. Suzanne Perrin « Nous distribuions des fleurs avenue Camille Rousset » “LYON LIBÉRÉ” DU 3 SEPTEMBRE 1944 Demandez la Une ! Avec l’aimable autorisation de la Direction du Progrès, la Une de “Lyon Libéré” du dimanche 3 septembre 1944 , commune à quatre journaux, sera reproduite et diffusée à la criée 70 ans plus tard dans les rues de Bron le 3 septembre 2014. Comme l’explique l’historien Gérard Chauvy dans son livre “Lyon 1940-1947”(1), « l’un des signes patents de la liberté reconquise, apparaît avec “Lyon Libéré”. Les trois premiers numéros de Lyon Libéré vont porter accolés les titres des quatre autres quotidiens autorisés à paraître: La Liberté, La Marseillaise, Le Patriote, Le Progrès, auxquels se joindra ensuite, au quatrième numéro, La Voix du Peuple ». Pour mémoire, le 11 novembre 1942, les Allemands franchissent la ligne de démarcation et passent en zone libre. Le 12 novembre, Le Progrès, refusant de se plier aux consignes imposées par la censure, suspend son tirage dans la nuit et annonce à ses lecteurs sa décision de saborder le journal. Emile et Hélène Brémont, ses dirigeants, inscrivent ainsi leur journal et son titre dans l’Histoire et la légende de la presse. De nombreux journalistes et ouvriers du Livre, déjà Résistants, vont alors entrer dans la clandestinité. “Lyon libéré” sera le première signe d’une presse libre publiée “à découvert”. Puis Le Progrès va réapparaître seul sous son titre le 8 septembre 1944. À sa Une, un “Vive la France” et un “Vive la République” encadrent une photographie de Charles de Gaulle. Puis le Progrès s’adresse dans un texte « à ses lectrices et ses lecteurs » . Expliquant a posteriori sa décision du 12 novembre 1942, la rédaction affirme : « Le Progrès a tenu jusqu’à la Libération (NDLR : dans la clandestinité). Avec la liberté reconquise, Le Progrès reprend sa place et se remet au service de la Liberté...» (1) « Avec mon mari, nous habitions rue de la Pagère. Dès leur l’arrivée, les Allemands ont réquisitionné notre maison car c’était la seule à avoir une salle de bain ! Une sommité allemande et son ordonnance habitaient donc chez nous. Au grand regret de mon beau-père : il avait fait la guerre de 1914, alors, qu’un Allemand puisse vivre dans la chambre d’à côté, il n’en dormait plus la nuit. Peu de temps avant la Libération, c’était la débâcle allemande : ils couraient dans tous les sens. Et le 3 septembre, tout le monde était en joie ! Comme nous étions horticulteurs, nous avons distribué des fleurs avenue CamilleRousset. Nous avons aussi décoré notre magasin avec des dahlias, des géraniums et des glaïeuls. Dans l’aprèsmidi, des Américains et des Français ont défilé. Beaucoup de jeunes femmes se jetaient à leur cou pour les embrasser ! Mais il y a aussi de tristes souvenirs venus ternir la joie ressentie. Deux jours après la Libération, il y a eu la tonte des femmes en place publique, ce qui m’a beaucoup choquée. Cette vision, ces gens qui criaient... j’en ai encore des frissons. J’avais un foulard. Je l’ai vite mis sur la tête d’une d’entre elles... » Editions Perrin – août 2004 Une commémoration avec un supplément d’âme D epuis plus de 7 ans, Raymond Charial officie comme maître de cérémonie lors des sept commémorations du souvenir à Bron, succédant ainsi à Edmond Holler, lui aussi Résistant et Ancien Combattant. « J’ai connu le maquis dans mon Limousin natal, à l’âge de 14 ans », confie-t-il. « Fils de paysans, je n’avais peur de rien et faisais ce que je considérais être mon devoir, respectant la consigne “bouche cousue, plutôt mourir que parler”. Arrivé à Bron en 1996, j’ai été accueilli fraternellement par les Anciens Combattants et j’ai accepté avec émotion ce rôle de maître de cérémonie, qui vise à introduire les prises de paroles et dépôts de gerbes. Un travail qui se prépare en lien avec le cabinet du maire, et qu’il faut chaque fois repenser. Grâce à ses actions publiques, aux histoires personnelles qui se transmettent dans les sphères familiales et collectives, je suis confiant dans le fait que l’Histoire ne s’oubliera pas. Ce 70e anniversaire revêt une importance primordiale pour moi. Ce 3 septembre, je ferai une fois encore mon devoir, je penserai à tous nos anciens. Je me dirai que j’ai eu de la chance de passer à travers. Que les guerres sont toutes abominables, qu’elles vident l’être humain de son humanité et font perdre la raison». La Mémoire pour l’avenir DOSSIER BRON MAGAZINE 254 > SEPTEMBRE 201418 “LA MÉMOIRE POUR L’AVENIR” Venez nombreux aux commémorations ! 2014, et les mois à venir, sont placés sous le signe de la Mémoire et de l’Histoire. “La mémoire pour l’avenir”, comme affiché au fronton de l’Hôtel de Ville. 2014 année mémorielle : 1914, le début de la Première Guerre mondiale, 1944, pas encore la fin de la Seconde Guerre mondiale mais enfin la Libération. À Bron, ce 70e anniversaire sera célébré lors d’événements grand public — institutionnels, solennels, mais aussi festifs — à l’image de ces journées qui furent tout cela à la fois, des tragédies et des airs de fêtes. Vous êtes tous invités à y participer. • 17 h 30 : cérémonie au Monument des Fusillés, avenue Général de Gaulle. Hommage au Commandant Pierre Dubœuf, aviateur et résistant • 18 h 15 : défilé de la Libération, avenue Franklin Roosevelt jusqu’à l’Hôtel de Ville. Le convoi comprend des comédiens costumés ainsi que des véhicules d’époque (jeep, dodge, tractions). Distribution à la criée de la Une de “Lyon Libéré” • 19 heures : bal de la Libération, et buvette place de Weingarten. Une soirée organisée par la Ville et ses partenaires : CLAC (2), la SLHADA, l’Harmonie La Glaneuse, l’Artistique Danse “Plein Ciel”, l’atelier théâtre du collège Monod ou encore Padams’ Duo, les Bron Copains et ACBC. En cas d’intempéries, défilé et bal de la Libération auront lieu à l’Espace Albert Camus. Plein ciel sur la Libération ! L’Artistique Danse Plein Ciel, associée régulièrement aux grands événements de la ville, participe pour la première fois aux cérémonies de la Libération de Bron. Et en costumes, s’il vous plaît ! Un enjeu d’importance pour l’école : « Treillis militaires et hauts mouchetés », résume Nicole Rey, directrice de l’association. « Il s’agit pour moi de chorégraphier la prestation des danseurs, enfants, ados et adultes, sur le tempo de l’Harmonie La Glaneuse. C’est un défi que je relève bien volontiers ! ». • JEUDI 4 SEPTEMBRE À 20 HEURES, le cinéma Les Alizés projette en entrée libre (dans la limite des places disponibles) “Le jour le plus long” (version numérique restaurée et colorisée). Une occasion rare de (re)voir sur grand écran ce film mythique réalisé en 1962, consacré au Débarquement des Alliés en Normandie, avec un casting exceptionnel : Henry Fonda, John Wayne, Robert Mitchum, Richard Burton, Bourvil... • VENDREDI 5 SEPTEMBRE À 18H30, Espace Roger Pestourie, autre épisode historique avec la conférence du Lieutenant Colonel, retraité de l’Armée de l’Air, Jean-Claude Mathevet, de la SLHADA(3), sur la bataille du Vercors en juillet 1944. Il présentera la stratégie de Résistance baptisée “Plan Montagnards”, auquel participa Jean Prévost (photo), journaliste, écrivain et Résistant, dont la Médiathèque porte le nom. Le conférencier détaillera l’assaut des planeurs allemands, « dont certains ont décollé de l’aéroport de Bron, avec pour ordre de “casser toutes les maisons, pour qu’elles n’abritent plus de terroristes” ». • SAMEDI 20 ET DIMANCHE 21 SEPTEMBRE DE 14 À 18H, lors des Journées du Patrimoine (lire page 24), la SLHADA poursuit son partage de connaissances avec l’ouverture de son aéromusée au Fort de Bron. • DU MARDI 30 SEPTEMBRE AU SAMEDI 11 OCTOBRE, la Médiathèque Jean Prévost accueille l’exposition nationale itinérante “Les Juifs de France dans la Shoah”, réalisée par le Mémorial de la Shoah en partenariat avec l’ONACVG(4), incluant désormais un panneau sur l’histoire des massacres des détenus de la prison de Montluc. L’exposition porte notamment sur l’Histoire des 330 000 Juifs qui vivaient en France à l’époque, la déportation de 76 000 d’entre eux, aboutissement d’un antisémitisme érigé en politique d’État. Hommage à Charlotte Delbo “Charlotte Delbo. Une mémoire à mille voix”, cette exposition du Centre d’Histoire, de la Résistance et de la Déportation (CHRD) est à découvrir mercredi 3 septembre, à l’Hôtel de Ville . Parler de Charlotte Delbo, c’est évoquer une flamme, et une lumière. Toute sa vie, engagée dans les plus grandes causes, Charlotte Delbo ne fera que suivre la route déjà tracée par son engagement dans la Résistance. Quatrième enfant d’une famille d’immigrés italiens, elle naît en 1913, un an avant le premier séisme du siècle. Devenue sténographe, elle s’engage et rejoint les Jeunesses Communistes en 1934, puis fait des piges pour le journal “Les Cahiers de la Jeunesse” dirigé par Georges Dudach, son mari. Georges Dudach s’occupe de la revue clandestine “La pensée libre” et Charlotte Delbo est chargée de l’écoute de Radio Londres et Radio Moscou, de la dactylographie des tracts et revues. Tous deux sont arrêtés par les Allemands en mars 1942, puis transférés à la prison de la Santé à Paris. Georges Dudach est fusillé en mai 1942. Charlotte déportée à Auschwitz-Birkenau dans le convoi 31661 du 24 janvier 1943. Libérée par la Croix-Rouge en avril 1945, Charlotte Delbo travaille ensuite pour l’ONU, puis, dès 1960, au CNRS, devenant la collaboratrice du philosophe Henri Lefebvre. Dès cette époque, l’œuvre littéraire de cette intellectuelle engagée va témoigner, entre autres, de la Déportation, mais aussi signer son engagement contre le colonialisme, la guerre d’Algérie, faisant toujours œuvre de Résistance. Elle disparaît en 1985. La Mémoire pour l’avenir Bibliographie • “La grande histoire de Bron”, retracée par le CLAC(2) e lors du 60 anniversaire de la Libération • “Bron, chroniques du temps passé” et “Histoire de Bron”, de Marcel Forest, éditions Bellier • “Bron, du passé au présent”, de Yannick Jambon, éditions Bellier • “1944, la Libération”, mobilisation de la Résistance dans l’Ain, le Jura, le Rhône et la Loire, hors-série du Progrès • Documentation de la SLHADA : livres, revues, vidéo, DVD, photos... www.slhada.fr • Mémorial de la prison de Montluc à Lyon 3e, 04 78 53 60 41 • Centre d’Histoire, de la Résistance et de la Déportation à Lyon 7e, www.chrd.lyon.fr • Ministère de la Défense, www.defense.gouv.fr Conseil représentatif des institutions juives de France Comité de liaison des associations d’anciens Combattants, de Résistants, de victimes de guerre,et garantes du devoir de mémoire de la ville de Bron (3) Société Lyonnaise d’Histoire de l’Aviation et de Documentation Aéronautique (4) Office National des Anciens Combattants et Victimes de Guerre (1) (2) © DR MERCREDI 3 SEPTEMBRE DÈS 17H30, célébration du 70e anniversaire de la Libération de Bron (lire pages 14-15). D’autres rendez-vous avec l’Histoire © DR MARDI 2 SEPTEMBRE À 18 HEURES, la veille des cérémonies de la Libération, Bron commémorera les Massacres de Bron des 17, 18 et 21 août 1944, où cent neuf détenus de la prison Montluc à Lyon, pour la plupart enfermés dans la “baraque aux Juifs” ont été fusillés à l’aérodrome de Bron. Lors d’une cérémonie au Monument des Fusillés, avenue Général de Gaulle, les panneaux “Les chemins de Mémoire” conçus par le Mémorial de Montluc seront inaugurés. (1)