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ÉVALUATION DU PERSONNEL
Histoire d'une mal-posture
@ L'Harmattan, 2007
5-7, rue de l'Ecole polytechnique;
75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
harmattan [email protected]
ISBN: 978-2-296-04219-3
EAN : 9782296042193
Gérard REYRE
ÉV ALVA TI ON DV PERSONNEL
Histoire d'une mal-posture
L'Harmattan
Entreprises et Management
Collection dirigée par Ludovic François
La collection Entreprises et Management est destinée à accueillir
des travaux traitant des questions liées aux sciences de gestion et à
l'entreprise. Les ouvrages publiés ont pour la plupart une vocation
pratique. Certains d'entre eux sont issus de thèses professionnelles
soutenues à HEC.
Dernières parutions
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Les compétences managériales:
enjeux
et réalités, 2007.
K. LEMASSON [et.aL], Eau et paix au Moyen-Orient. La mer à
boire: une solution durable ?, 2007.
E. RIOT, Entrepreneurs,
investisseurs,
entre confiance
et
allégeance, 2006.
F. DUPUICH-RABASSE,
La gestion des compétences collectives,
2006.
D. LOTH, Le management interculturel, 2006.
M. MORIN, Banque et développement durable. De la
communication à l'action, 2006.
C. LAP ASSOUSE MADRID et M.-C. MONNOYER LONGE, La
dimension numérique dans la stratégie commerciale. Brique.com,
2005.
D. SCHMAUCH, Les conditions du leadership, 2005.
B. BARATZ, P.-A. BAUQUIER, J. DE VIDAS, Le business en
Irak,2005.
B. BARATZ, L'économie mondiale en mouvement, 2005.
G. LHOMMEAU,
Le droit international
à l'épreuve de la
puissance américaine, 2005.
G. RENARD, Les règles communautaires en matière d'Etat et la
fiscalité, 2005
B. GIBERT, A. MARAUT, B. TELLE, Et après le pétrole?
Risques et enjeux géopolitico-financiers
pour les Emirats Arabes
Unis, 2005.
Alain BOLLE, Le produit de la délinquance de proximité.
L'économie souterraine, 2004.
SOMMAIRE
Introduction
9
PREMIERE PARTIE: DE L'AVEU A LA PENITENCE
17
Chapitre
Chapitre
Chapitre
Chapitre
21
43
51
69
1 : La clôture
2 : L'inversion fonctionnelle des disciplines
3 : De la persistance de l'aveu et de l'examen de soi
4 : De la continuité du religieux dans le monde social et industriel
DEUXIEME PARTIE:
COMMENT L'EVALUATION
DANS L'HISTOIRE DE L'ENCADREMENT
S'INSCRIT
85
87
Chapitre I : Les prémices de l'évaluation des salariés: le mirage des
aptitudes
Chapitre 2 : La psychotechnique des aptitudes
Chapitre 3 : Du cadre au manager: une mutation obligée!
Chapitre 4: La « gestion» de l'individu ou l'individualisme pathétique
97
107
117
TROISIEME
129
Chapitre
Chapitre
Chapitre
Chapitre
I
2
3
4
PARTIE:
DE L'EVALUATION
131
139
145
153
: Figures
: Référentiels!
: Incohérences!
: Débat!
QUATRIEME
PARTIE
ENTRE
CONNAISSANCE
RECONNAISSANCE: LE SENS AU TRAVAIL
ET
191
Chapitre I : Qu'est-ce que le travail ?
Chapitre 2 : Reconnaissance
Chapitre 3 : Sens au travail et évaluation
193
201
215
Conclusion
Bibliographie
Table des matières
221
233
239
INTRODUCTION
« Le chef doit comprendre la plasticité des caractères et ne pas s'imaginer
que, dans une entreprise de but déterminé, il n'y a place que pour une
mentalité « standard». Toutes les individualités bien utilisées sont
bonnes; l'art est de bien les employer et, mieux même, d'en provoquer la
formation»
Jeumont (de) (G.), La psychologie et la vie, avril1927
« Ne t'attarde pas à l'ornière des résultats»
René Char, Extrait des Feuillets d'Hypnos
« L'évaluation est une fondation de valeur»
Roland Barthes, Ecrivains de toujours, Paris, Seuil, 1975
« On trouve la proportion, non seulement dans les mesures et les
nombres, mais encore dans les sons, les poids, les temps, les lieux et en
toute forme d'énergie ».
Léonard de Vinci, Cahiers
Selon Braudel, l'aire occidentale a son berceau en Méditerranée
et la civilisation dominante de cette partie du monde a pu être
qualifiée par lui de «thalassocratique ». Domination sur la mer
et/ou sur l'irrigation, par ce terme, Braudel nous rappelle que les
structures sociales des siècles précédents jusqu'à la moitié du 2üèmc
siècle se sont élaborées sur le modèle de la navigation. Les
principales caractéristiques en sont: un commandement très
centralisé, disposant de cartes et d'instruments, agissant à distance
et à vue, par les relais de porte-voix et de lunettes, des relations
sociales qui se sont échafaudées sur la prééminence d'un petit
nombre de responsables (seuls informés et dictant des ordres à
distance) et l'assujettissement en cascades successives d'un très
grand nombre d'exécutants et de manœuvres.
L'affirmation de distances impose l'absence de réciprocité dans
les échanges et les communications. Le sens qui prime est celui de
9
Introduction
la vue par lequel transitent les messages. Les instructions sont
distribuées de loin ou par voie bureaucratique. Les décisions
«tombent» d'en haut; l'ouïe ne fait que recevoir passivement les
ordres pour engager les tâches d'exécution.
Au faîte de cette période verticale, les bureaux des méthodes
décomposeront à vue les gestes et les temps de l'activité humaine
et imposeront un « travail en miettes ».
Les découvertes en télécommunication et plus généralement
toutes celles de l'électronique puis de l'informatique rééquilibrent
les sens de la vue et de l'ouïe. Le son et l'image jouent la
réciprocité dans les échanges. Parallèlement, la motorisation et
l'aéronautique annulent ou réduisent les distances. Les activités des
individus et des groupes nécessitent une circulation de
l'information qui va désormais se développer de façon
exponentielle, dans tous les sens, selon des interconnexions
multiples et chaotiques. Dans toutes les institutions, la
multiplication des échanges, des communications, des négociations
entre individus, entre entités, entraîne comme contrepartie la
nécessité d'une rationalisation de l'afflux des messages et des
pratiques. La recherche d'optimisation
que reflètent les
mécanismes de filtrage réengendre le souci de contrôler, vérifier,
réguler les processus qui marquent l'activité en interaction des uns
et des autres. Ce besoin d'optimisation et de maîtrise des
phénomènes d'échanges, en raison des emballements qu'ils
peuvent provoquer, a conduit de plus en plus à multiplier les tâches
de vérification, les opérations de tri et les procédures de contrôle.
Plus les relations entre les personnes apparaissent sous ('angle
des réciprocités, des coopérations ou des oppositions, plus on voit
poindre des procédures qui visent à maîtriser l'incertitude qu'elles
engendrent. Les pratiques de mesure, affinées sur les résultats
produits par des actions humaines, peuvent alors s'épanouir... et
l'évaluation avec. Aujourd'hui, plus aucun secteur d'activité
n'échappe à la pratique évaluative:
la santé, l'école,
l'administration, l'entreprise, et bien d'autres sont concernés.
Qu'elle soit formative, incitative, sommative, prédictive,
punitive... l'évaluation est désormais partout. Echafaudée à partir
10
Introduction
d'un regard global sur des systèmes, elle a cheminé jusqu'à
l'individu et ne le lâche plus depuis maintenant une vingtaine
d'années. C'est de cette capture que nous nous préoccuperons.
La question de l'évaluation ne se pose d'abord véritablement
que dans le champ de programmes publics, aux Etats-Unis'. Elle
est alors conçue au début du 20eme siècle comme un mode
d'intervention des sciences sociales dans le champ des politiques
publiques. L'évaluation est comprise comme une activité de
mesure n'accordant qu'une faible place aux aspects qualitatifs, la
science étant sollicitée pour aider à porter un jugement objectif sur
l'efficacité et le bien-fondé des mesures publiques. L'évaluateur
est un spécialiste des méthodes de recherche quantitative
(modélisation, plans d'expérience, statistique) appl iquée aux
phénomènes sociaux. Aux Etats-Unis, la recherche en sciences
sociales accorde une place importante à l'observation empirique et
au recueil de données chiffrées. Une fois l'évaluation décidée par
une autorité politique ou administrative légitime, c'est à
l'évaluateur qu'i! revient de concevoir et de mettre en œuvre le
protocole de recherche, d'en produire des résultats et d'en proposer
des conclusions.
Ce modèle est remis en cause dans les années 1980. La
supériorité de l'évaluation expérimentale ne fait plus l'unanimité.
Satisfaisantes sur le plan scientifique, les études coÜtent néanmoins
très cher et peuvent durer des années. De plus, l'expérimentation
qui est valorisée n'est pas toujours le meilleur moyen d'obtenir des
informations utiles sur la mise en œuvre, la pertinence et
l'efficacité d'un programme. Enfin, l'activité théorique est orientée,
bien plus qu'en Europe, vers la modélisation déterministe des
comportements individuels à tendance béhavioriste, ce qui n'est
pas sans lien avec la conception même des programmes, dont les
objectifs (notamment dans les domaines social, éducatif ou
I
Cf. B, Perret, L'évaluation des politiques publiques, La Découverte, Repères,
2001, p, 64.
Il
Introduction
sécuritaire) sont formulés en termes de bénéfices strictement
individuels.
Le glissement vers l'individu
A partir de ces années 80, la vague évaluatrice « coïncide avec
l'arrivée au pouvoir des gouvernements conservateurs dans les
pays anglo-saxons [...]. Elle est liée à la révolution libéraleconservatrice et à la crise fiscale qui marquent cette période.
L'évaluation est alors enrôlée dans les politiques de réduction des
dépenses publiques et de réforme administrative.
Les
administrations budgétaires et les organismes de contrôle (Cours
des comptes) sont les acteurs dominants de cette nouvelle phase.
L'évaluation doit servir à vérifier que les dépenses publiques sont
vraiment utiles et que les contribuables en ont pour leur argent »2.
Pour B. Perret « le développement de l'évaluation britannique a
été fortement marqué par la Nouvelle gestion publique. Elle se
traduit par l'accroissement de la responsabilité des acteurs publics
périphériques, une exigence accrue de «compte-rendu» aux
autorités centrales et aux clients des services publics, le
raccourcissement des lignes hiérarchiques, le développement
systématique de rapports prestataires/clients au sein du secteur
public, l'attention portée aux intérêts des consommateurs et à la
qualité des services »3.
Perret ajoute que « dans un tel dispositif, il est difficile d'éviter
une confusion entre le contrôle et l'évaluation. Sont notamment
dénoncés l'usage intempestif des indicateurs de résultats comme
critères d'allocation des ressources (par exemple le fait de lier le
salaire des professeurs aux résultats de leurs élèves) et la dérive
technocratique qui conduit à fixer aux services publics des
objectifs inadéquats, peu crédibles et sans rapport direct avec la
qualité de leur travail »4. Pour compléter la toile de fond
économique, et en particulier celle qui concerne la France, on
2
Idem p. 64.
J
Idem p. 65.
4
Idem p. 66-67.
12
Introduction
rappellera que l'indexation des salaires sur les prix est supprimée
dès 1982 avec une inflation en décroissance forte. Les
augmentations générales qui étaient globalement la règle sont
supprimées, laissant la place aux augmentations individuelles et
ouvrant donc la voie à une forme d'évaluation s'attachant aux
personnes. Le rôle des cabinets de conseil sera ici essentiel dans
l'implantation et la diffusion des méthodologies évaluatives avec
comme pôle de référence le management par les objectifs.
C'est par cette vague, à la fois de rationalisation budgétaire et
d'économie drastique, que l'évaluation annuelle5 du personnel s'est
déployée en France.
Depuis son avènement et son expansion formidable dès cette
époque, l'évaluation annuelle des salariés suscite maintes
interrogations tant au niveau de son impact dans la gestion des
hommes, de son utilité quant à leur carrière, de son équité quant à
leur rémunération, de sa pertinence et de son efficience quant aux
méthodes et référentiels utilisés. Ce système prétendument subtil
d'ajustement autant du management que de la gestion des
Ressources Humaines semble ne jamais trouver son équilibre si
l'on en croit
les sondages et l'abondance des ouvrages qui lui sont
,
consacres.6
L'hypothèse que nous proposons pour commencer est que le
registre du débat proposé à l'évaluateur et à l'évalué est empreint
d'une idéologie qui trouve ses racines dans le registre monacal et
ses substrats moralisateurs, qu'en cela le jeu est difficilement
5 Le terme d'évaluation sera en règle générale le plus souvent employé. Il existe
dans le langage de la GRH un permanent aller et retour entre les termes évaluation
et appréciation (le terme appréciation signifiant aux yeux de certains une plus
grande attention aux personnes, ce qui n'est pas sans soulever une certaine
ambigurté: accepter la subjectivité du système et en rechercher l'optimum
d'objcctivation). Que l'un embrasse l'autre (et inversement) ne change rien à
l'affaire. L'idéologie sous-jacente aux systèmes implantés au nom de l'un ou au
nom de l'autre nous apparaît comme étant toujours identique.
6 Parmi beaucoup d'autres, l'enquête menée par la CFDT en 2002 mentionne que
64 % des cadres dénoncent un manque de transparence et 54% un manque de
pertinence des procédures d'évaluation.
13
Introduction
maÎtrisable par les protagonistes, qu'il dévie toute tentative de faire
de cet échange un lieu véritable d'évaluation, qu'il n'est en rien un
outil susceptible de faciliter la vie au travail du manager et de son
collaborateur, qu'au contraire ce dispositif enferme ces deux
interlocuteurs dans des postures impossibles d'intériorisation de la
faute, entre aveu et pénitence, incompatibles avec l'efficacité tant
revendiquée par tous ses zélateurs.
Rares sont les témoignages où les acteurs concernés sont
satisfaits du système qui leur est proposé. Les réponses des
entreprises et des cabinets de consultants aux difficultés ou aux
malaises rencontrés reposent invariablement sur le manque de
préparation, le défaut de motivation, l'inadéquation des techniques
d'entretien, etc.
Nous suggérerons plutôt que c'est au cœur du dispositif et de ce
qu'il porte comme intention qu'il faut chercher les sources du
malentendu au mieux, de manipulation mutuelle au pire. Pourquoi,
au fond, est-il lui-même producteur de son propre échec?
Autrement dit, en quoi ne pas se comprendre est-il utile et à quoi
cela sert-il?
Nous chercherons à identifier, dans cette première partie, ce qui
est en jeu et à quoi sert ce rituel auquel se prêtent désormais une
grande partie des salariés du privé et de plus en plus du public, à
quel principe de gouvernementalité il correspond et pourquoi il
s'est répandu malgré les difficultés qu'il génère. Pour ce faire, nous
entrerons en conversation avec quelques auteurs qui guideront cette
quête.
Nous nous essaierons ensuite, dans une deuxième partie, à une
mise en perspective historique des critères de jugement utilisés par
le management auxquels diverses formes idéologiques tenteront à
travers plusieurs décennies de conférer une allure objective.
Nous tenterons d'éclairer dans les deux parties suivantes l'enjeu
de l'évaluation et pourquoi, si elle est nécessaire, celle-ci ne doit
reposer ni sur le principe de sujétion, ni sur celui du contrôle mais
sur une double responsabilité qui part de la connaissance pour aller
vers la reconnaissance.
14
Introduction
Enfin nous suggèrerons quelques pistes pour repositionner
l'évaluation si tant est qu'il soit possible de remettre en cause
quelques certitudes, habitudes et modes de pensée bien installés.
Sera-t-il alors possible de se rapprocher de ce que Foucault
proposait à propos de la fonction diagnostic qui ne consiste pas à
caractériser ce que nous sommes, mais, « en suivant les lignes de
fragilité d'aujourd'hui, à parvenir à saisir par où ce qui est et
comment ce qui est pourrait ne plus être ce qui est »7.
7 Michel Foucault, « structuralisme et post-structuralisme », in Dits et écrits,
Tome Il, 1983, p. 1268.
15
PREMIERE PARTIE
DE L'AVEU A LA PENITENCE
De l'aveu à la pénitence
Dans un ouvrage récent8, Philippe Zarifian rappelle que dans les
sociétés disciplinaires apparaissant au I gème siècle et si bien
analysées par Foucault, l'individu ne cesse de passer d'un milieu
clos à un autre, chacun ayant ses propres lois.9
Ces sociétés disciplinaires auraient une durée de vie historique
courte. Pour Deleuze, cité par ZarifianlO, elles ont pris leur essor au
19èmesiècle, mais sont déjà en déclin. « Nous sommes entrés dans
une crise généralisée de tous les milieux d'enfermement : prison,
hôpital, école, famille. Toutes les institutions disciplinaires sont, en
tant que telles, finies, à plus ou moins longue échéance. Il s'agit
simplement, selon lui, de gérer leur agonie. Cela signifie aussi que
les modalités de résistance sont déjà largement en train de
s'épuiser, faute du référent désormais agonisant auquel elles
puissent s'opposer. Ce sont les sociétés de contrôle qui poussent à
la porte, progressivement mais avec force. Aux vieilles disciplines
opérant dans la durée d'un système clos, se substituent des espaces
ouverts et sans durée directement assignable, et, avec eux des
formes ultra-rapides et souples de contrôle à l'air libre» Il.
Domination et émancipation, pour reprendre les termes de
Ph.Zarifian, s'offrent à nous comme la trame et la chaîne d'un
tissage idéologique qui n'en finit pas de se déployer, envoyant
l'individu d'un bout à l'autre du métier, en navette. Encore faut-il
prendre connaissance de cette mise en tension et du principe
métamorphique qui la couvre. Expliquons-nous.
La métamorphose organise le même et le différent. Depuis deux
siècles, que de transformations bien sûr mais néanmoins bien peu
d'abandons complets et absolus de pratiques, regards, postures
dans les rapports de commandement. Bien entendu, les notions ont
bougé et on ne définira plus de la même façon le type de relations
qui s'établit entre le patron et l'ouvrier, le cadre et son subalterne,
etc.
8
A quoi sert le travail, La Dispute, 2003.
9 La famille, l'école, la caserne, l'usine, l'hôpital, la prison,...
JOG. Deleuze, Pourparler, Editions de minuit, Paris, 1997.
Il Ph. Zarifian, op. cité p. 15.
18
De l'aveu à la pénitence
Il y a malgré tout homologie dans certaines postures. Il s'agit
bien toujours pour le cadre d'utiliser au mieux la force de travail de
son collaborateur, force de travail à laquelle nous adjoindrons pour
faire bon poids (dans l'ordre des « référentiels de compétences»)
quelques-unes des capacités aujourd'hui requises pour être à la
hauteur d'un poste lambda:
dynamisme, créativité, rigueur,
autonomie, méthode, vigilance, loyauté, sens des responsabilités,
maîtrise de soi, etc.
Homologie de posture, non de discours. La notion de
métamorphose ne suggère pas que la pérennité d'une substance
demeure sous le changement de ses attributs. Robert Castel12 pense
même qu'au contraire «une métamorphose fait trembler les
certitudes et recompose tout le paysage social. Cependant, même
fondamentaux, les bouleversements ne représentent pas des
innovations absolues s'ils s'inscrivent dans une même
problématisation ».
Il s'agit alors pour nous de situer les questions qui se posent
aujourd'hui au regard de leur formulation d'hier. Les évolutions et
crises, les données nouvelles n'effacent pas la problématique; elles
la refaçonnent mais la maintiennent toujours vivante.
Toutes proportions gardées, le rituel de l'entretien annuel (ou biannuel) des salariés représente une forme spécifique qui accueille
la métamorphose de l'homme dominé à l'homme gouverné à partir
de sa propre vérité. Il nous paraît donc utile de revenir sur certains
des ingrédients des sociétés disciplinaires et en pat1iculier sur leur
versant monastique car il est important de savoir d'où l'on part.
Entre idéologie et pratique, le lecteur jugera. Nous verrons ensuite
comment s'est opérée la mutation vers un univers de contrôle, par
l'inversion des disciplines pour reprendre l'expression de Foucault.
D'un point de vue socio-historique, on ne peut enfermer les
religions dans le religieux; il faut plutôt les considérer comme des
faits socio-culturels ayant exercé quelque influence dans les
différentes sphères de la vie sociale. Qu'il s'agisse de travail,
12 Robert Castel, Les métamorphoses
de la question sociale, Fayard. 1995, p. 17.
19
De l'aveu à la pénitence
d'économie, de vie familiale, d'éducation, de politique, etc., les
façons de se comporter dans ces domaines sont liées à des
représentations de l'homme et du monde qui, en hiérarchisant ces
activités et en leur donnant sens, motivent positivement ou
négativement les hommes à leur égard. C'est en tant que système
de représentations motivant les hommes à se conduire de façon
déterminée dans telle ou telle sphère d'activités que les cultures
religieuses ont contribué à façonner des mentalités, à former des
types d'hommes 13. Certaines d'entre elles ont perduré plus que
d'autres dans leur influence. Le modèle monastique en est une
figure marquante.
13 On s'amusera, à l'occasion, de ce que Michel Piquemal retient de
l'omnipotence de la métaphore religieuse dans le discours économique. Pour lui,
l'économie a tous les attributs du phénomène religieux. Elle a ses églises (les
banques), ses cathédrales (les entreprises), ses prophètes (que n'a-t-on prêté à Jack
Welch par exemple ?), ses saints, ses prêtres (les agents de change), ses martyrs,
ses autels, ses sacrifices, ses miracles, ses sacrements, son entèr. Elle a aussi ses
temples (la Bourse, les Grands Magasins), ses évangiles (de la consommation I),
son credo (la publicité), ses prières «( que la volonté du Marché soit faite, sur la
terre comme au ciel! »), son catéchisme, ses dogmes, ses tables de la loi « les
dures lois de la libre concurrence»), ses fêtes d'obligations «( qui oserait ne pas
sanctifier les dates sacrées, images mêmes du bonheur que sont Noël, la SaintValentin, le 1er mai, les soldes d'hiver et d'été, la fête des mères? »), ses
mystères, ses paradis (surtout fiscaux !), etc. cf. Michel Piquemal (alias Kosi
Libran) , Le prophète du libéralisme, Mille et une nuits, 2005.
20
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