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N° 02 / 09.
du 15.1.2009.
Numéro 2580 du registre.
Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de
Luxembourg du jeudi, quinze janvier deux mille neuf.
Composition:
Marie-Paule ENGEL, présidente de la Cour,
Léa MOUSEL, conseillère à la Cour de cassation,
Marie-Anne STEFFEN, première conseillère à la Cour d’appel,
Aloyse WEIRICH, conseiller à la Cour d’appel,
Marianne PUTZ, conseillère à la Cour d’appel,
Martine SOLOVIEFF, premier avocat général,
Marie-Paule KURT, greffière à la Cour.
Entre:
demanderesse en cassation,
comparant par Maître Nicolas DECKER, avocat à la Cour, en l’étude
duquel domicile est élu,
et:
défenderesse en cassation,
comparant par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, en l’étude
duquel domicile est élu.
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LA COUR DE CASSATION :
Sur le rapport de la conseillère Léa MOUSEL et sur les
conclusions du premier avocat général Georges WIVENES ;
Vu l’arrêt attaqué rendu le 14 novembre 2007 par la Cour
d’appel, quatrième chambre, siégeant en matière de concurrence
déloyale ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 22 janvier 2008 par X …
et déposé le 23 janvier 2008 au greffe de la Cour supérieure de justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 20 mars 2008 par Y … et
déposé le 21 mars 2008 au greffe de la Cour ;
Sur les faits :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que par ordonnance de référé,
rendue en matière de concurrence déloyale, Y … a été déboutée de son
action en cessation de l’activité de copiage par … … , édité par X … ;
que sur le recours de celle-ci, la Cour d’appel, par réformation, fit droit
à la demande en retenant que l’activité de X … constituait un acte de
concurrence déloyale ;
Sur le premier moyen de cassation :
tiré « de la violation par fausse application ou fausse
qualification des faits :
de l’article 14 de la loi du 30 juillet 2002 réglementant
certaines pratiques commerciales qui dispose que :
<< Commet un acte de concurrence déloyale toute personne qui
exerce une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale
qui, par un acte contraire aux usages honnêtes en matière
commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, soit à un engagement
contractuel, enlève ou tente d’enlever à ses concurrents ou à l’un d’eux
une partie de leur clientèle ou porte atteinte ou tente de porter atteinte
à leur capacité de concurrence >> ;
Tout en constatant que même si Y… ne rédige pas elle-même les
annonces familiales et même si les éléments de celles-ci lui sont fournis
par les annonceurs, il n’en demeure pas moins qu’elle a fait œuvre en
mettant en place une publication, un taux de pénétration élevé, capable
d’attirer un nombre important d’annonces familiales, et renommée
pour ses pages d’annonces familiales,
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Et tout en constatant encore que cette œuvre, qui est une œuvre
de longue haleine, n’a pas pu se faire et ne peut actuellement se faire
sans d’importants efforts intellectuels et financiers,
Tout en retenant que X …, en reprenant, sans bourse délier, les
données essentielles des annonces familiales du journal Y …, a voulu se
placer dans le sillage de la renommée de ladite société et a ce faisant,
par un acte contraire aux usages honnêtes en matière commerciale,
tenté d’enlever à Y … une partie de sa clientèle,
Et tout en retenant finalement qu’un tel acte constitue un acte
de concurrence déloyale,
Alors que le service d’annonces familiales de Y…,
contrairement à ce qu’a retenu l’arrêt attaqué, n’est pas le fruit
d’efforts intellectuels et financiers importants et qu’au contraire, il
s’agit d’un service payant et que les annonces sont publiées à
l’initiative des annonceurs qui fournissent l’intégralité des
informations à publier,
Qu’en outre, les annonces ne sont pas recopiées telles quelles
mais que X … se borne à reprendre des informations brutes et
intrinsèquement publiques de par leur nature,
Que la reprise de telles informations ressortant du domaine
public ne peut en aucun cas constituer un acte de concurrence déloyale
voire de parasitisme économique,
Que l’arrêt attaqué a par conséquent violé l’article 14 de la loi
du 30 juillet 2002 réglementant certaines pratiques commerciales » ;
Mais attendu que sous le couvert du grief de la violation de
l’article 14 de la loi du 30 juillet 2002 réglementant certaines pratiques
commerciales, le moyen tend à remettre en cause les faits mêmes à
partir desquels les juges du fond ont souverainement retenu l’existence
d’un acte de concurrence déloyale ;
Que le moyen est dès lors irrecevable ;
Sur le deuxième moyen de cassation :
tiré « de la violation par fausse application et du refus
d’application de la loi, in specie :
Des articles 45, 55, 63, 64 et 77 et 79 du code civil et du
principe de la publicité des actes de l’état civil qui disposent que :
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Article 45 : << … Toute personne peut se faire délivrer par les
dépositaires des registres de l’état civil, des extraits de ces registres à
moins que ceux-ci ne révèlent l’existence d’une filiation illégitime ou
adoptive (…) >>
Article 55 : << Les déclarations de naissance seront faites dans
les cinq jours de l’accouchement à l’officier de l’état civil du lieu (…)
>>
Article 63 : << Avant la célébration du mariage, l’officier
d’état civil fera une publication par voie d’affiche apposée à la porte
de la maison commune. Cette publication énoncera les prénoms, noms,
professions, domiciles et résidences des futurs époux ainsi que le lieu
où le mariage devra être célébré (…) >>
Article 64 : << L’affiche prévue en l’article précédent restera
apposée à la porte de la maison commune pendant dix jours (…) >>
Article 77 : << Aucune inhumation ne sera faite sans une
autorisation sur papier libre et sans frais de l’officier de l’état civil ;
celui-ci ne pourra la délivrer que sur production d’un certificat
constatant le décès établi par le médecin traitant ou, à son défaut, par
tout autre médecin mandé à ces fins par la famille du défunt ou les
autorités publiques (…) >>
Article 79 : << L’acte de décès contiendra le jour, l’heure et le
lieu du décès, les prénoms, profession et domicile de la personne
décédée ; les prénoms et nom de son époux si la personne décédée était
mariée, veuve ou divorcée ; les prénoms, nom, âge, profession et
domicile du déclarant et, s’il est parant, son degré de parenté. Le même
acte contiendra de plus, autant qu’on pourra le savoir, les prénoms,
noms, profession et domicile des père et mère du décédé, ainsi que la
date et le lieu de la naissance de ce dernier.
Il sera fait mention du décès en marge de l’acte de naissance de
la personne décédée. >>
Des articles 1, 2 et 6(1) de la loi du 8 juin 2004 sur la liberté
d’expression dans les médias en ce qu’elle protège la liberté de la
presse qui disposent que :
Article 1er : << La présente loi vise à assurer la liberté
d’expression dans le domaine des médias. >>
Article 2 : << Conformément à l’article 10 de la Convention de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée
à Rome, le 4 novembre 1950 et approuvée par la loi du 29 août 1953,
toute restriction ou ingérence en la matière doit être prévue par une loi,
poursuivre un but légitime et être nécessaire dans une société
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démocratique, c’est-à-dire répondre à un besoin social impérieux et
être proportionné au but légitime poursuivi. >>
Article 6 (1) : << La liberté d’expression visée à l’article 1 er de
la présente loi comprend le droit de recevoir et de rechercher des
informations, de décider de les communiquer au public dans la forme et
suivant les modalités librement choisies, ainsi que de les commenter et
de les critiquer. >>
De l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de
l’Homme relatif à la liberté d’expression qui dispose que :
<< Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit
comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de
communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir
ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. >>
En ce que l’arrêt entrepris de la Cour d’appel du quatorze
novembre 2007,
Tout en constatant que les agissements de X … constituent un
acte de concurrence déloyale,
Et en faisant droit à la demande de Y … en réformant
l’ordonnance de première instance,
A ordonné à X… de cesser de reprendre, à partir du jour
suivant la signification de l’arrêt attaqué, dans le journal ……… édité
par elle, les données essentielles d’annonces de décès, de mariages ou
de naissances publiées au journal ………, édité par Y …, données
relatées dans la motivation de l’arrêt attaqué, sans que les personnes
directement intéressées ou leurs familles aient demandé au journal
……… de publier les annonces de décès, de mariages ou de naissances,
et ce sous peine d’une astreinte de 1.000 euros par annonce non
autorisée,
Alors d’une part que les naissances, mariages et décès sont des
faits juridiques opposables à tous dont la publicité est expressément
prévue par la loi notamment au travers des articles 45, 55, 63, 64 et 77
et 79 du code civil,
Qu’en interdisant à X… de publier ces données à caractère
intrinsèquement public, la Cour d’appel a violé les articles 45, 55, 63,
64 et 77 et 79 du code civil respectivement refusé d’appliquer lesdits
articles du code civil ainsi que le principe de la publicité des actes de
l’état civil,
Alors d’autre part qu’en interdisant à X … de publier dans son
journal des informations à caractère public tirées d’un autre quotidien
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publié la veille, la Cour d’appel a porté atteinte aux principes de la
liberté de la presse et de la liberté d’expression et partant les articles 1,
2 et 6 (1) de la loi du 8 juin 2004 sur la liberté d’expression dans les
médias et l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de
l’Homme » ;
Mais attendu que le moyen, dans sa première branche, procède
d’une lecture incorrecte de l’arrêt ;
Que les juges du fond n’ont pas interdit à la demanderesse en
cassation de publier des informations relatives à l’état civil des
personnes, mais qu’ils ont, au dispositif de l’arrêt attaqué, « ordonné à
X… de cesser de reprendre dans le journal ………, édité par elle, les
données essentielles d’annonces de décès, de mariages ou de
naissances publiées au journal ………, édité par Y…, sans que les
personnes directement intéressées ou leurs familles aient demandé au
journal ……… de publier les annonces de décès, de mariages ou de
naissances » ;
Que le moyen, dans sa première branche, manque dès lors en
fait ;
Attendu que le moyen, dans sa deuxième branche, est nouveau ;
Qu’il est mélangé de fait et de droit ; que l’examen d’une
violation des articles 1, 2 et 6 (1) de la loi du 8 juin 2004 et de l’article
10 de la Convention européenne des droits de l’homme requiert
l’appréciation de circonstances de fait qui échappent à la compétence de
la Cour de cassation ;
Que le moyen est partant irrecevable dans cette branche ;
Sur le troisième moyen de cassation :
tiré « de la violation de l’article 89 de la Constitution du
Grand-Duché de Luxembourg du 17 octobre 1868 et de l’article 249 du
nouveau code de procédure civile pour insuffisance sinon défaut de
motifs, in specie pour défaut de réponse à conclusions,
en ce que l’arrêt entrepris de la Cour d’appel du quatorze
novembre 2007,
tout en ayant limité son examen à l’analyse des conditions du
parasitisme économique sans répondre au moyen selon lequel les
données relatives à la naissance, au mariage et au décès constituent
des informations intrinsèquement publiques de par leur nature,
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alors que, ce faisant, l’arrêt ne répond pas au moyen soulevé
par la demanderesse en cassation selon lequel les informations reprises
le lendemain dans le journal «……… » constituent des informations
intrinsèquement publiques de par leur nature et que leur reprise ne
peut donc pas constituer un acte de concurrence déloyale » ;
Attendu que le grief formulé vise un vice de forme ;
Que les juges du fond, en disant qu’« il est exact que la publicité
légale des actes de l’état civil ne permet pas à X … d’avoir à sa
disposition les données nécessaires pour étoffer ses annonces
familiales. La possibilité pour X… de publier dans un délai socialement
utile un nombre important d’annonces familiales ne s’explique que par
l’existence des annonces familiales du journal << ……… >> … que X
…, en reprenant, sans bourse délier, les données essentielles des
annonces familiales, importantes en nombre, du journal de Y …, a
voulu se placer dans le sillage de la renommée de Y …, connue et
appréciée pour ses pages d’annonces familiales, et a voulu profiter des
retombées de cette renommée. Ce faisant, X … a par un acte contraire
aux usages honnêtes en matière commerciale tenté d’enlever à Y ….
une partie de sa clientèle » ont motivé le point concerné ;
Que le moyen manque dès lors en fait et ne saurait être
accueilli ;
Sur le quatrième moyen de cassation :
tiré « de la violation de l’article 53 du nouveau code de
procédure civile pour dénaturation des conclusions,
en ce que l’arrêt entrepris de la Cour d’appel du quatorze
novembre 2007,
tout en ayant retenu que X … aurait avancé comme moyen de
défense que Y … ne disposerait pas de droit exclusif sur les
informations qu’elle recueille et que ces informations relèveraient du
domaine public en vertu des dispositions du code civil relatives à la
publicité des actes de l’état civil et de la publicité qui leur est donnée
par les annonceurs eux-mêmes et que leur reprise par elle-même relève
donc du droit à l’information, qui est un droit fondamental,
et tout en décidant que X…, pour justifier sa façon d’agir, ne
peut pas se prévaloir de la défense du droit à l’information, et qu’en
effet, l’information ayant été faite par les annonceurs eux-mêmes, ceux-
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ci sont en premier lieu juges de l’étendue de la publicité qu’ils
entendent donner à des informations qui relèvent de la vie privée et le
droit à l’information ne peut être assuré par le recours à des actes
contraires à des actes honnêtes en matière commerciale,
alors que, la demanderesse en cassation ne s’est à aucun
moment prévalue du droit à l’information dans ses conclusions pour
justifier la reprise des informations mais de la nature intrinsèquement
publique de ces informations brutes,
que la Cour d’appel a partant dénaturé les conclusions de la
demanderesse en cassation » ;
Mais attendu que le grief invoqué ne porte pas préjudice au
demandeur en cassation dans la mesure où, prétendument ajouté par les
juges du fond, il a été écarté par ceux-ci ;
Qu’il est dès lors inopérant et ne saurait être accueilli ;
Par ces motifs :
rejette le pourvoi ;
condamne la demanderesse en cassation aux frais et dépens de
l’instance en cassation ;
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience
publique par Madame la présidente Marie-Paule ENGEL, en présence de
Madame Martine SOLOVIEFF, premier avocat général et de Madame
Marie-Paule KURT, greffière à la Cour.
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