Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 522–528 Article original « Radicalisation djihadiste » et psychiatrie de l’adolescent Jihadist radicalization within teenager’s psychiatric care M. Ludot ∗ , R. Radjack , M.R. Moro Maison des adolescents de l’hôpital Cochin, maison de Solenn, AP–HP, 97, boulevard du Port-Royal, 75014 Paris, France Résumé Introduction. – La « radicalisation djihadiste » reste un sujet d’actualité brûlant, en ce milieu d’année 2016. Ce phénomène interpelle de nombreux spécialistes, parmi lesquels les sociologues, qui ont mis en évidence une diversification des méthodes de recrutement terroriste ces dernières années. Un nouveau profil de jeunes « radicalisés » émerge : celui de jeunes de classe moyenne, sans origine musulmane, qui se convertissent à l’islam avant de s’engager radicalement pour certains d’entre eux, venant ainsi rompre avec leur filiation. But. – L’objectif de cet article est d’étudier la place de la « radicalisation djihadiste » au sein de la prise en charge psychiatrique de l’adolescent. Méthodes. – Dans un premier temps, une revue de littérature sera présentée sur les liens entre « radicalisation djihadiste » et psychiatrie. Ensuite, deux cas cliniques d’adolescents [convertis à l’islam et pour qui la question de la « radicalisation » s’est posée] seront exposés pour illustrer cette problématique. Résultats. – La littérature conclut en l’absence de psychopathologie pathognomonique ou lourde associée à la « radicalisation » violente. L’analyse transversale des illustrations cliniques permet d’aborder la conversion religieuse, la « radicalisation », le sens de l’engagement et met en lumière des problématiques connues du champ de la clinique adolescente : les problématiques identitaires et identificatoires, la question de l’idéal du moi ou encore de la filiation imaginaire. Conclusion. – S’intéresser à la façon dont ce signifiant « radicalisation » est négocié psychiquement par ces adolescents fragilisés interroge nécessairement les cliniciens que nous sommes. © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Radicalisation ; Psychiatrie ; Adolescence ; Conversion ; Identité ; Identifications ; Idéal du moi ; Filiation imaginaire Abstract Introduction. – “Jihadist radicalization” has never been more urgent than today, receiving attention from several specialists including social scientists. They recently highlighted new terrorist methods (especially to shun intelligence services) and a new profile of the radicalized: young, middle class, with no Muslim origin, who quickly convert to Islam and commit themselves radically through Internet or within French prisons. Some questions appear: how does the signifier of “radicalization” emerge in our patient’s symptomatology? Among these teenagers, what does the radical Islamic speech echo? Objective. – The aim of this work is to study the place of “jihadist radicalization” within teenager’s psychiatric care. The purpose is to participate in the understanding of these young people who are converted and join the “jihadist radicalization” under a psychopathologic shape or not. Methods. – This topic is tackled with a complementarist approach, in an adolescent department of psychiatry, specialized in transcultural psychiatry. Two parts are presented: first, a literature review on “radicalization” and psychiatry; then, two clinical cases concerning teenagers undergoing religious conversion and potentially “radicalization”, collected directly or from medical records and discussions with psychiatrists. Results. – The literature review concludes to the absence of a specific link between “jihadist radicalization” and psychopathology. A psychological vulnerability could be involved in some cases into the violent radicalization process. Clinical cases allow to discuss several key points: religious conversion, “radicalization”, specific sense of commitment. The transversal analysis of the cases highlights specific points, well known in teenage psychiatry: identity and identification issues, ego ideal, research for authority and question of filiation. ∗ Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected], [email protected] (M. Ludot). http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2016.08.003 0222-9617/© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. M. Ludot et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 522–528 523 Conclusion. – Psychiatrists are concerned by the “radicalization” topic, which appear starkly within teenager and young adult symptomatology. Concern about how “radicalization” is psychologically negotiated by some vulnerable young people is inevitable among clinicians, even if underlying psychopathology is not necessary heavy. Psychiatrists have to deal with individual fates, to help young people giving meaning to their commitment (religious or not), to help restoring continuity into a period of discontinuity caused by pubertal reorganizations, to help him or her to access to adult’s status without hindering its identity maturation. The understanding of this complex and global phenomenon has to be multidisciplinary and on the ground, with the help of anthropologists, sociologists, historians or still imams. © 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Radicalization; Psychiatry; Psychopathology; Teenagers; Identity; Identifications; Ego ideal; Filiation 1. Introduction La France est le pays européen qui compte le plus grand nombre de ressortissants impliqués dans les filières djihadistes en Syrie et en Irak [1]. C’est aussi un pays qui reste particulièrement exposé à la menace terroriste, en témoigne les nombreux attentats ayant touché la France depuis 1995 et cette déclaration de l’organisation terroriste revendiquant les attentats de novembre 2015 en Île-de-France : « La France et ceux qui suivent sa voie doivent savoir qu’ils restent les principales cibles de l’État islamique » [2]. Selon le ministère de l’Intérieur, deux tiers des individus signalés auraient entre 15 et 25 ans et 25 % seraient mineurs. Les adolescents et jeunes adultes sont donc les principaux concernés. Les spécialistes de la question musulmane ont formulé plusieurs hypothèses de compréhension à ce sujet. Selon le politologue Kepel [3], les massacres du 13 novembre dernier illustrent ce qu’il nomme « le djihad de la troisième génération ». Il distingue en effet trois générations de djihad. La première serait celle du djihad en Afghanistan (entre 1979 et 1997) : un mouvement djihadiste sunnite se forme pour contrer l’ennemi proche que constitue l’Armée rouge soviétique ; la deuxième serait celle d’Al-Qaïda sous Ben Laden avec les évènements du 11 septembre 2001 : il s’agit alors de lutter contre l’ennemi lointain que constitue l’Amérique ; la troisième génération naît autour du Jordanien Al-Zarquaoui et du Syrien Al-Souri à partir de 2005 : un « système réticulaire pénétrant par la base » apparaît, visant à mobiliser un grand nombre de jeunes pour commettre des attentats contre l’Europe, perçue comme le « ventre mou » de l’Occident. Cela rejoint la thèse de l’expert américain Sageman [4] qui constate la dispersion et la décentralisation de la mouvance djihadiste, permise par l’utilisation croissante des nouvelles technologies de communication (Internet) et qui aboutira à l’avènement d’un « djihad sans leader ». Selon le sociologue Khosrokhavar [5], le début de la guerre civile en Syrie (en 2013) marque un véritable tournant dans l’histoire de la radicalisation : il constate qu’en plus des jeunes « désaffiliés » des banlieues viennent s’ajouter dans les rangs de Daech des jeunes de classe moyenne. Et le sociologue insiste sur cette différence de profils : les jeunes de classe moyenne « ne souffrent pas de l’ostracisme dont la société a accablé » les jeunes des banlieues, ils ne vivent pas non plus « le drame de la victimisation ». Pour le politologue Roy [6], il s’agit bien d’une « révolte générationnelle », d’une « dérive » : celle de jeunes de la seconde génération d’immigrés certes, dans une situation de précarité sociale, ayant connu la petite délinquance mais également celle « plus personnelle, plus psychologique et moins liée à l’environnement social » des jeunes qui se convertissent. Ainsi, un distinguo s’opère entre d’une part, les jeunes musulmans animés par une « haine de la société », motivée par le sentiment d’être exclus et « victimes d’une profonde injustice sociale » [5]. Ils mènent un combat qui ne peut en aucun cas être dissocié des contextes géopolitique et social actuels. D’autre part, les jeunes des classes moyennes qui viennent s’ajouter aux islamistes radicaux : ils ne sont généralement pas d’origine musulmane et se convertissent à l’islam radical dans une démarche tout à fait personnelle, venant ainsi rompre de manière radicale avec leur filiation. C’est au sein de cette population que ce travail [7] s’est pensé pour la psychiatre que je suis, l’inscription dans les enjeux géopolitiques étant moins évidente et les motivations personnelles plus criantes ; parce qu’également, ce sont ces individus qui peuvent être davantage pris en charge sur le plan psychiatrique, dans certains cas en plus d’une prise en charge sécuritaire. Plusieurs questions se posent à nous : comment le signifiant « radicalisation » émerge-t-il dans la clinique de nos patients ? Parmi ces adolescents, à quoi le discours islamique radical pourrait-il faire écho ? L’objectif de cet article est d’étudier la place de la « radicalisation djihadiste » au sein de la prise en charge psychiatrique de l’adolescent. Le but étant de participer à la compréhension de ces jeunes qui se convertissent et épousent la problématique de la radicalisation djihadiste sous une forme psychopathologique ou non. Il s’agit, comme le dit Zagury [8], qui met en garde contre les risques de réductionnisme psychologique et psychiatrique de « rendre compte des processus psychiques qui facilitent et renforcent la radicalisation pour tenter d’entrevoir ce qui pourrait permettre de faire le chemin à l’envers, au moins pour quelques-uns d’entre eux ». Dans un premier temps, les résultats d’une revue de littérature du champ des sciences humaines et sociales seront présentés sur les liens entre « radicalisation djihadiste » et psychiatrie ; ensuite, seront présentées deux illustrations cliniques visant à illustrer la manière dont la radicalisation peut être « négociée » psychiquement par certains jeunes fragilisés. 524 M. Ludot et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 522–528 2. Revue de littérature complémentariste 2.1. Définir la « radicalisation djihadiste » Il convient de définir au mieux ce champ sémantique, particulièrement politisé ces derniers mois, pour limiter les amalgames. Les définitions de la « radicalisation » sont multiples et hétérogènes dans la littérature et les documents officiels. Le terme de « radicalisation » a émergé de la littérature internationale il y a 3–4 ans, supplantant ainsi progressivement celui de terrorisme. Pour Khosrokhavar [9], la « radicalisation » se définit comme « l’articulation entre une idéologie extrémiste et une logique d’action violente ». Rappelons que ce terme n’est pas réservé à l’islam radical et qu’il s’applique à d’autres idéologies que sont en autres le néonazisme et le néofascisme en Europe. Il est important de noter que la « radicalisation » n’est pas nécessairement violente, elle n’aboutit pas forcément à des actes terroristes [10]. Le terme de « radicalisation violente » semble souvent plus adapté pour qualifier le phénomène étudié [11]. Le Professeur en psychiatrie transculturelle et en épidémiologie, Bhui, distingue ainsi plusieurs terminologies : la « radicalisation », la « radicalisation violente » et le « terrorisme ». En effet, la radicalisation des opinions n’équivaut pas à la radicalisation des comportements ni à la violence. McCauley et Moskalenko [12] démontrent l’existence de douze mécanismes en jeu dans l’escalade de la « radicalisation » et l’avènement du terrorisme. Quant au « djihad », il renvoie d’abord au déploiement d’un effort individuel, c’est le combat contre les passions de l’âme : on parle de djihad « majeur ». Il renvoie également au fait de s’engager dans la guerre pour la promotion de l’islam contre les infidèles : on parle alors de djihad « mineur ». Cette distinction est attribuée à un hadith du Prophète. La théorie du djihad comme croisade religieuse contre les infidèles n’apparaît qu’au IXe siècle [13]. La « radicalisation djihadiste » pourrait en un certain sens concerner les trois religions monothéistes : en effet l’anthropologue Nader [14] compare le djihad de l’islam aux croisades du christianisme et au recrutement Mahal (le recrutement de juifs non israéliens résidant sur le territoire ou à l’étranger dans l’armée israélienne pour contrer la Palestine). 2.2. « Radicalisation djihadiste » et psychiatrie Un état des connaissances actuel sur la « radicalisation » et la psychopathologie s’impose, à partir de la littérature anglosaxonne essentiellement. Nous avons interrogé les moteurs de recherche Pubmed, Psycinfo et Google Scholar depuis l’année 2002 jusqu’à début 2016 à partir des mots clés suivants : radicalization, psychology, psychiatry, psychopathology and mental health disease. Des articles ont été retenus à partir de revues aussi diverses que celles de psychologie politique, de psychologie sociale, d’anthropologie ou de psychiatrie [7]. La littérature de sciences humaines et sociales a toujours été très impliquée dans ce domaine, privilégiant d’abord les théories de psychologie sociale. Néanmoins, se développent depuis quelques années, au sein même de cette littérature, des théories psychologiques individuelles permettant aux professionnels de santé mentale de prendre progressivement leur place dans la compréhension du phénomène. En Angleterre, Bhui et al. [15] se sont beaucoup interrogés sur les facteurs prédisposant à la « radicalisation violente ». Ils partent de l’observation suivante : les actes terroristes ne sont plus le fait exclusif de groupes islamiques radicaux étrangers mais de « terroristes maisons », comme lors des attaques de juillet 2005 à Londres. L’approche de santé publique lui paraît donc la plus pertinente pour repérer au sein de la population les individus vulnérables au recrutement djihadiste. Dans une large enquête transversale de 2014, il étudie un échantillon représentatif de population dans deux villes anglaises. Chez 608 hommes et femmes âgés de 18 à 45 ans, originaires du Bangladesh et du Pakistan mais ayant un héritage musulman, Bhui et al. évaluent la « sympathie » pour les actes de protestation violente et de terrorisme et proposent cette mesure comme nouvelle méthode d’évaluation de la vulnérabilité à la « radicalisation violente » [15]. Au Canada, Hassan et al. [16] étudient l’impact du sentiment de discrimination sur la santé mentale et le soutien à la radicalisation. La littérature conclut [7], en l’état actuel des connaissances, en l’absence de psychopathologie lourde (c’est-à-dire du registre psychotique et psychopathique) et pathognomonique associée au phénomène de « radicalisation violente ». Ainsi, Kruglanski et Fishman, cités par Bénézech et Estano [17] affirment que « le terrorisme n’est pas une sorte de psychopathologie [. . .], les terroristes ne sont pas fous [. . .], un profil spécifique de personnalité qui caractériserait un terroriste n’existe pas ». Une certaine « vulnérabilité psychologique » prédisposerait certains jeunes plutôt que d’autres à s’engager de cette manière. La psychopathologie pourrait davantage se penser chez ceux qui s’engagent seuls, sans le support d’une organisation terroriste. Ainsi pour Bénézech et Estano [17], « c’est parmi les auteurs solitaires que l’on risque de retrouver la plus grande variété psychopathologique, allant de la normalité à des troubles schizophréniques ou de l’humeur ». Pour Zagury [8], l’immense majorité des radicalisés ne relève pas de la psychose délirante et de l’irresponsabilité pénale. Pour autant, quelques schizophrènes peuvent aussi bien s’emparer de l’air du temps pour « colorer de références djihadistes leur passage à l’acte criminel ». Il fait l’hypothèse qu’il pourrait s’agir des seuls loups solitaires. Les jeunes, qui se convertissent, de plus en plus nombreux à rejoindre les rangs de Daech, seraient également plus fragiles psychologiquement. Nous allons voir comment, via deux illustrations cliniques, la « radicalisation » peut être « négociée » psychiquement par certains jeunes fragilisés, sans qu’il s’agisse nécessairement de psychopathologie lourde. 3. Fragments cliniques Les vignettes qui suivent illustrent les cas d’adolescents, pour lesquels la problématique de la « radicalisation djihadiste » s’est posée aux professionnels de santé mentale. Le premier cas a été M. Ludot et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 522–528 recueilli à partir d’un dossier médical et analysé rétrospectivement, avec le support d’échanges avec le psychiatre référent. Le deuxième cas provient d’une rencontre clinique de ma part. 3.1. Ninon, à la recherche d’une nouvelle filiation ? Ninon est une adolescente de 15 ans et demi lorsqu’elle consulte dans un centre médico-psychologique (CMP) de banlieue parisienne en janvier 2012. Accompagnée par ses parents, elle est adressée par son médecin généraliste au décours de crises clastiques et pour une déscolarisation progressive, dans un contexte de consommation de cannabis. Ninon est une jeune fille métisse, d’origine vénézuélienne, abandonnée à la naissance par sa mère biologique. Ses parents adoptifs, tous deux français, se séparent alors que Ninon est âgée de 7 ans. D’abord sous la garde exclusive de sa mère, une garde alternée est mise en place depuis peu. L’adolescente est scolarisée en classe de 3e lorsqu’elle rencontre l’équipe du CMP. Son histoire de vie est tout à fait singulière : Ninon a été adoptée nourrisson à l’âge de deux mois au Venezuela, à partir d’un orphelinat catholique accompagnant les femmes enceintes vers un accouchement sous X. Le prénom donné par sa mère biologique était Andréa, ses parents adoptifs l’ont renommée Ninon, et nous verrons qu’elle-même se renommera ultérieurement. Elle ne sait rien de sa mère biologique jusque début novembre 2012 où elle part au Venezuela accompagnée par sa mère adoptive pour consulter le recueil de renseignements : elle visite l’orphelinat et apprend que sa mère biologique avait 22 ans lorsqu’elle a accouché et qu’elle était « célibataire », « pauvre », et « femme de ménage ». Durant les consultations familiales, Ninon se dit « frustrée », disant ne pas supporter d’avoir été abandonnée. Elle évoque d’emblée auprès des thérapeutes ses questionnements identitaires, le manque d’une « matrice » sur laquelle s’appuyer. Se qualifiant de jeune fille « métisse », l’identification à ses parents adoptifs semble problématique du fait de la différence phénotypique. Elle évite le plus possible le contact de ses parents, sort beaucoup auprès de ceux qu’elle nomme les « racailles » (pour attribuer à ses amis le qualificatif qu’elle fantasme être pensé par ses parents) qui lui offrent un cadre contenant. Elle maintient ses amis dans la méconnaissance de son adoption et évite donc soigneusement qu’ils rencontrent ses parents « blancs ». À ses amis, elle dit d’ailleurs être d’origine tunisienne. Ninon recherche la présence des « non-blancs », ceux des classes défavorisées, des groupes des cités et des migrants. La consommation de toxiques est à ce moment-là particulièrement importante. Fin 2012, elle annonce lors de la consultation et devant ses parents s’être « convertie à l’islam » pour avoir « des structures » c’est-à-dire un cadre contenant. Elle explique en effet avoir depuis peu « une nouvelle bande » constituée d’amis musulmans qui instaurent un certain nombre de règles, lui ayant notamment permis d’arrêter le cannabis. Sa conversion s’est faite sans l’accord de ses parents par un supposé imam, à l’occasion d’une cérémonie. Elle apprend l’arabe et lors de ses disputes avec son père lui profère quelques insultes dans cette langue. Elle porte désormais le voile. 525 De façon contemporaine à la conversion de sa fille, le père se convertit au catholicisme. La mère de son côté, inquiète, saisit la justice pour conversion rapide d’une mineure sans autorisation parentale. Ninon exprime le sentiment d’une rupture de filiation. Elle a, d’ailleurs, changé de prénom pour les copains : d’abord Andréa puis Ninon, elle se fera désormais appeler Djenaba. En juin 2013, le père signale la disparition inquiétante de sa fille et dans sa déclaration mentionne sa conversion récente. En 2015, Ninon fait l’objet d’un signalement auprès de la préfecture de police, elle est fichée S (pour « atteinte à la sûreté de l’état »). 3.2. Mattis, un repenti au service de l’islam radical ? Mattis est un jeune adolescent de 14 ans qui consulte dans une Maison des adolescents de banlieue parisienne en juillet 2015. Cette démarche est à l’initiative de ses parents qui suspectent la « radicalisation » de leur fils et qui supposent une souffrance psychique sous-jacente devant être prise en charge. Mattis est l’aîné d’une fratrie de trois enfants, ses parents se sont séparés lorsqu’il avait 7 ans. Il vit chez sa mère avec ses deux petites sœurs Diane et Clémentine, respectivement de 3 et 5 ans ses cadettes. Il est déscolarisé de sa classe de 4e . En avril 2015, les parents de Mattis découvrent sur son portable la consultation de sites qu’ils jugent « inquiétants » autour de la religion musulmane, puis des vidéos de plus en plus extrémistes. Ils surprennent des échanges réguliers sur les réseaux sociaux avec un individu localisé en banlieue parisienne, d’idéologie « djihadiste ». Les parents décrivent Mattis comme « sous l’emprise d’un rabatteur », se comportant « comme un toxicomane » essayant de se procurer par tous les moyens des accès à Internet pour maintenir le contact avec lui. Sur conseils du médecin généraliste, Mattis est accompagné par ses parents à la Maison des adolescents avec l’idée que soit évaluée l’indication d’une hospitalisation. Dès la première consultation, les parents nous livrent leur interprétation : la relation d’emprise actuelle avec le rabatteur djihadiste viendrait faire écho à une relation d’emprise dont Mattis aurait été victime à l’école primaire de la part de son meilleur ami Lounes, de deux ans son aîné. Lorsque nous rencontrons Mattis seul, il est peu loquace ; la tête baissée, il la relève régulièrement pour regarder d’un air candide quelques secondes son interlocuteur. Ses réponses sont succinctes « je sais pas, oui, non ». La conversion à l’islam semble pour lui une démarche personnelle deux ans auparavant, c’est-à-dire bien avant sa rencontre avec le rabatteur en juin dernier. Il ne s’agit, d’ailleurs, pas d’un rabatteur selon lui mais d’un « simple musulman », une sorte de « guide » rencontré sur les réseaux sociaux et qui lui permettait de mieux connaître la religion musulmane. Son intérêt pour l’islam a débuté sur Internet et dans des livres. Il ne peut pas expliquer la raison de son engagement mais peut dire y avoir trouvé une aide, « au niveau du moral » notamment. Questionné justement sur son état thymique, il s’insurge parlant de « honte » à l’évocation de tels affects, au vu de sa qualité de vie. S’agissant de ses rapports avec la religion musulmane, il se rend seul à la mosquée une fois par semaine, prie cinq fois par jour et mange halal depuis quelques temps. Il exprime souvent à ses parents son 526 M. Ludot et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 522–528 désir de devenir quelqu’un de « bon ». Les parents expriment leur inquiétude quant à certains propos de Mattis, s’agissant de la charia notamment dont il peut dire qu’il aimerait la voir appliquée en France. Mattis nous dit ne pas comprendre les raisons d’une telle émulation autour de sa conversion, encore moins que la psychiatrie puisse le concerner. Il nous dit ne pas se reconnaître à la place qu’on lui assigne, celle d’un adolescent à risque de s’engager pour le djihad. Néanmoins, il y a quelques mois, le lien est fait (via les réseaux sociaux) entre Mattis et l’un des commanditaires d’un des attentats commis en France. 4. Discussion 4.1. Conversion ou « radicalisation » ? On peut dire que ces deux adolescents se sont convertis à l’islam : en effet, ils ont adopté les croyances et rites de l’islam à l’occasion d’une profession de foi récitée devant un imam. Comment distinguer, via cette conversion, une affiliation religieuse « classique » d’une affiliation religieuse « à risque » ? Il s’agit pour Hefez [18] de s’interroger sur le maintien ou non de la liberté de conscience de l’adolescent. Cela fait écho aux mécanismes d’endoctrinement à l’œuvre dans les dérives sectaires [19]. L’anthropologue Bouzar [20], pour faire la différence entre un musulman pratiquant et quelqu’un qui bascule dans la « radicalisation djihadiste » recherche les « comportements de rupture dans les relations amicales, dans la scolarisation, dans les loisirs et aussi dans les relations familiales », ruptures qui « précèdent les choix extrêmes ». 4.2. Quel est le sens de l’engagement ? S’agissant de Ninon, peu d’éléments sont connus, s’agissant de son rapport à la religion musulmane. Elle peut dire que son nouveau groupe d’amis musulmans lui a permis, de par les règles imposées, d’arrêter sa consommation de cannabis. À aucun moment, il n’est fait état d’une vision radicale de l’islam. La religion musulmane semble lui permettre de s’affilier autrement, singulièrement, à distance de sa mère biologique (dont on sait qu’elle l’a confiée dans un orphelinat catholique). Elle se distancie également de ses parents adoptifs, dont on ignore l’éducation religieuse, mais dont on sait que le père, au décours immédiat de la conversion à l’islam de sa fille, se convertira au catholicisme, mettant là en acte avec force la rupture d’appartenance que sa fille lui imposait. Elle se renomme, d’un prénom ni vénézuélien ni français, d’un prénom qui s’inscrit dans son nouveau groupe d’appartenance. Plus qu’une question d’affiliation, il s’agirait davantage d’un enjeu de néo-filiation. L’adolescente a trouvé une nouvelle famille d’adoption : le groupe d’amis musulmans qui a fonction de contenance familiale, avec des règles, une protection, des limites et une place. Cette question religieuse semble avoir été très peu élaborée par l’adolescente et sonne davantage comme un passage à l’acte à l’égard de la dualité de son appartenance, à l’égard de sa famille d’origine et de sa famille adoptive. En revanche, dans l’imaginaire parental, cette conversion a valeur de « radicalisation » : la mère signale cette conversion aux autorités compétentes, le père fait état dans une déclaration de fugue, de la conversion récente de sa fille à l’islam, laissant fantasmer une disparition au service de la religion et donc potentiellement une « radicalisation djihadiste ». Rappelons qu’elle a, néanmoins, été signalée à la préfecture de police et qu’elle fait l’objet d’un fichier S. Quant à Mattis, il rapporte un soulagement apporté par la religion musulmane. Le jeune adolescent tient des propos radicaux disant notamment vouloir que la charia soit appliquée en France et visualise de façon addictive des vidéos djihadistes. Abusé enfant par un individu musulman, Mattis va se convertir quelques années plus tard à l’islam, sous le regard effaré de ses parents. L’identification à l’agresseur au sens où l’entend Ferenczi pourrait être à l’œuvre dans l’organisation psychique de Mattis, dans les suites du traumatisme majeur que constitue son agression à l’âge de 10 ans. Selon Ferenczi, cette identification est de type primaire et l’enfant va introjecter la culpabilité de l’agresseur dans une sorte de surmoi destructeur [21]. La culpabilité est très présente dans le discours de Mattis et la volonté de se « racheter » palpable. Mattis dira notamment à plusieurs reprises à ses parents vouloir devenir « quelqu’un de bon ». Le sentiment de culpabilité tend vers le besoin de s’infliger des contentions pulsionnelles et des autopunitions et c’est dans ce contexte que la radicalisation peut trouver preneur, proposant « la projection d’un dictateur intérieur vers l’extérieur » [22]. C’est le cas de « ceux dont le surmoi est plus cruel que les exigences provenant du dehors, aussi les commandements et les châtiments d’un chef sévère dans la réalité les libèrent-ils de leur culpabilité ». Benslama [22] rappelle que certains jeunes ne demandent qu’à être « assignés à un cadre autoritaire qui les soulage du désarroi de leur liberté et de leur responsabilité personnelle ». Il rappelle également que Freud avait situé la névrose obsessionnelle comme « effet de l’angoisse devant le surmoi ». Il s’agirait de ce qu’il nomme le « blasphème inconscient ». La « radicalisation islamique » pourrait se comprendre chez Mattis comme permettant de soulager sa culpabilité, de se purifier, par les rituels de prières et les ablutions notamment. Le caractère obsessionnel qui l’accompagne le prive de sa liberté, l’enferme dans une souffrance psychique qui ne peut être partagée. Ses liens mis en évidence récemment avec l’un des commanditaires d’un des attentats en France attestent de la dangerosité de sa radicalisation. 4.3. Écho aux problématiques adolescentes 4.3.1. Remaniements des identifications et quête d’un idéal Ces patients ont pour point commun de se situer dans la période développementale de l’adolescence, période marquée comme le dit Kestemberg par une « interrogation anxieuse de l’identité », le remaniement des identifications (avec le rejet des figures parentales) et la quête d’un idéal [23]. Les idéaux collectifs, tout particulièrement ceux qui sont peu nuancés, viennent s’inscrire chez les adolescents dans la recherche d’un idéal du moi, chaque fois que les imagos M. Ludot et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 522–528 parentales leur paraissent trop effrayantes et trop peu cohérentes [23]. Le groupe comme support identificatoire est un élément important à penser dans la « radicalisation » et le meneur peut constituer un idéal commun pour ces jeunes. 4.3.2. Quête de l’autorité L’un des buts princeps de l’idéologie islamiste radicale est la restauration du califat et donc de l’autorité d’un calife. Pour Khosrokhavar [5], cette question de l’autorité pourrait faire écho à la problématique de ceux qu’ils nomment « les nouveaux jihadistes des classes moyennes ». Une minorité de cette jeunesse souffrirait d’avoir « plusieurs ombres tutélaires mais pas d’autorité distincte » et serait en « attente de normativité », éprouvant le besoin de « retracer les frontières entre le permis et le défendu sous une forme explicite ». Ninon a dans sa filiation adoptive deux parents séparés ; quant à sa filiation biologique, le père est comme dénié par la mention « mère célibataire » du recueil de renseignements. S’agissant de Mattis, ses deux parents sont séparés, il vit chez sa mère mais est en contact régulier avec son père. 4.3.3. Place de la filiation imaginaire La question de la filiation est universelle : dans toute famille, l’adolescent remet en cause son appartenance et attaque sa filiation, venant ainsi perturber le processus de parentalisation. L’axe affectif ou imaginaire est celui du sentiment d’appartenance à une lignée ; cet axe est toujours en construction et la question de la filiation imaginaire se rejoue notamment au moment de l’adolescence [24]. La conversion à l’islam, dans les observations cliniques présentées, est une façon de questionner cette filiation. Dans les filiations particulières (comme dans l’adoption), le risque de rupture de la filiation est majeur au moment de l’adolescence. Les parents sentant leur base narcissique ainsi attaquée et leur personne remise en cause risquent de s’engager dans une relation interactive négative qui peut aggraver le conflit [25]. Le « fantasme de l’étranger dans la maison » [26] est également universel mais dans la situation de l’adoption est d’autant plus parlant : dans le cas de Ninon, l’étrangeté de l’adolescente conduit ses parents à aller chercher des réponses dans l’ailleurs : ils partent en voyage dans son pays de naissance. La néo-filiation imaginaire est retrouvée dans ces vignettes cliniques, notamment celle de Ninon qui s’inscrit dans une nouvelle famille d’appartenance musulmane venant ainsi rompre avec ses filiations (biologique et d’adoption). 5. Conclusion La « radicalisation djihadiste » concerne le champ de la psychiatrie de l’adolescent, comme l’illustrent ces deux vignettes cliniques recueillies dans des services de psychiatrie. La revue de littérature présentée donne à voir la diversité et l’hétérogénéité des définitions de la « radicalisation ». La littérature ne fait pas état de psychopathologie lourde mais davantage de « vulnérabilités psychologiques » qu’il s’agirait de repérer et d’analyser en perspective avec le contexte politique, social et 527 culturel actuel, en lien également avec l’histoire de notre pays et des pays musulmans. S’intéresser à la façon dont ce signifiant « radicalisation » est négocié par ces adolescents fragilisés est essentiel pour les cliniciens que nous sommes. Il s’agit de se pencher sur des destins individuels, d’aider le jeune adolescent à donner du sens à son engagement (religieux ou autre), l’aider à rétablir une continuité dans cette période de discontinuité imposée par les remaniements pubertaires, l’aider à accéder au statut d’adulte sans entraver sa maturation identitaire. Les problématiques de l’adolescence pensées par le courant psychanalytique, qui sont celles des enjeux identificatoires, de la quête d’un idéal mais aussi de l’appartenance familiale et sociétale sont essentielles à penser pour comprendre la valence de ce signifiant qui heurte la construction identitaire. Aider l’individu à conflictualiser ses représentations lorsque les nouvelles identifications se figent, l’aider à faire dialoguer les différentes identités qui le constituent : voilà peut-être des façons dont les interventions des professionnels de santé mentale pourraient se penser. La rencontre sur le terrain de ces jeunes individus en proie à un engagement radical comme celui de la « radicalisation djihadiste » est essentielle pour penser, avec d’autres professionnels tels que des anthropologues, des sociologues, des historiens, ou encore des imams, la nature des interventions à mettre en place pour répondre à ce phénomène. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Plus de 500 djihadistes français actuellement en Irak ou en Syrie. Le Monde.fr; 2015 [Internet, Disponible sur : http://www.lemonde.fr/procheorient/article/2015/10/13/plus-de-500-djihadistes-francais-actuellementen-irak-ou-en-syrie 4788683 3218.html]. [2] L’État islamique revendique les attaques à Paris. Libération.fr; 2015 [Internet, Disponible sur : http://www.liberation.fr/direct/element/letatislamique-revendique-les-attaques-a-paris 23081/]. [3] Kepel G. Terreur dans l’Hexagone. Gallimard; 2015. [4] Sageman M. Leaderless Jihad. In: Terror networks in the twenty-first century. Philadelphie: University of Pennsylvania Press; 2008 [208p]. [5] Khosrokhavar F. Les trajectoires des jeunes jihadistes français. Etudes 2015;(6):33–44. [6] Roy O. « Le djihadisme est une révolte générationnelle et nihiliste ». Le Monde; 2015 [Internet, disponible sur : http://www.lemonde.fr/ olivier-roy-le-djihadisme-est-une-revolte-generationnelle-et-nihiliste/. [7] Ludot M [Thèse de médecine, n◦ 5013, 80p] La radicalisation djihadiste peut-elle concerner le champ de la psychiatrie ? Revue de littérature complémentariste et illustrations cliniques chez l’adolescent et le jeune adulte. Faculté de Médecine Paris-Sud, Université Paris XI; 2016. [8] Zagury D. Du deuil de soi à l’idéal en apothéose. In: L’idéal et la cruauté Subjectivité et politique de la radicalisation. Paris: Lignes; 2015. p. p69–79. [9] Khosrokhavar F. Radicalisation. Paris: Maison des sciences de l’homme; 2014. [10] Milla MN, Faturochman, Ancok D. The impact of leader-follower interactions on the radicalization of terrorists: a case study of the Bali bombers: the impact of leader follower interactions on the radicalization of terrorists. Asian J Soc Psychol 2013;16(2):92–100. [11] Bhui KS, Hicks MH, Lashley M, Jones E. A public health approach to understanding and preventing violent radicalization. BMC Med 2012;10(1):16. 528 M. Ludot et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 522–528 [12] McCauley C, Moskalenko S. Friction: how radicalization happens to them and us. New York: Oxford University Press; 2011. [13] Collectif. In: Fottorino E, editor. Qui est Daech ? Comprendre le nouveau terrorisme. Philippe Rey et le 1; 2015. [14] Nader L. Three jihads: Islamic, Christian and Jewish. Anthropol Today 2015;31(2):1–2. [15] Bhui K, Everitt B, Jones E. Might depression, psychosocial adversity and limited social assets explain vulnerability to and resistance against violent radicalisation? PLoS ONE 2014;9(9):1–10. [16] Hassan G, Rousseau C, Moreau N. Ethnic and religious discrimination: the multifaceted role of religiosity and collective self-esteem. Transcult Psychiatry 2013;50(4):475–92. [17] Bénézech M, Estano N. À la recherche d’une âme : psychopathologie de la radicalization et du terrorisme. Ann Méd Psychologies 2016;174(4):235–49. [18] Hefez S. Radicalisation adolescente, radicalisation familiale. In: Journée scientifique internationale « Identités meurtries affiliations meurtrières ». 2015. [19] MIVILUDES. Qu’est ce qu’une dérive sectaire ? http://www.derivessectes.gouv.fr/. [20] Bouzar D. Centre de prévention des dérives sectaires liées à l’islam; 2016 http://www.cpdsi.fr/. [21] Chagnon J-Y. Identification à l’agresseur et identification projective à l’adolescence : à propos d’un cas. Topique 2011;115(2):127. [22] Benslama F. L’idéal blessé et le surmusulman. In: L’idéal et la cruauté subjectivité et politique de la radicalisation. Lignes; 2015. [23] Kestemberg E. L’identité et l’identification chez les adolescents. In: Psychiatrie de l’enfant.; 1962. p. 441–522. [24] Guyotat J. Mort/naissance et filiation. Études de psychopathologie sur le lien de filiation. Masson; 1980. [25] Soulé M, Lévy-Soussan P. Les fonctions parentales et leurs problèmes actuels dans les différentes filiations. Psychiatr Enfant 2002;45(1): 77. [26] Soulé M, Noël J. L’adoption. In: Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Paris: Presses universitaires de France; 1985. p. 2679–99.