UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE UNIVERSITÀ DEL SALENTO ÉCOLE DOCTORALE V Laboratoire de recherche EA 3552 T H È S E en cotutelle pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE et DE L’UNIVERSITÀ DEL SALENTO Discipline : Philosophie Présentée et soutenue par : Mariangela PELLEGRINI le : 26 Septembre 2015 L'ontologie critique de nous-mêmes. Michel Foucault et la constitution du sujet dans une trame historique Sous la direction de : M. Jean-François COURTINE – Professeur, Université Paris-Sorbonne Mme. Maria Cristina FORNARI – Professeur, Università del Salento Membres du jury : M. Jean-François COURTINE – Professeur, Université Paris-Sorbonne Mme. Maria Cristina FORNARI – Professeur, Università del Salento 1 Mme. Judith REVEL – Professeur, Université Paris-Ouest Nanterre M. Vincenzo SORRENTINO – Professeur, Università degli Studi di Perugia Position de thèse L'ontologie critique de nous-mêmes. Michel Foucault et la constitution du sujet dans une trame historique 1. État de la question Si même Husserl considérait comme risqué l’usage de l’expression « ontologie » qui était « devenue choquante pour diverses raisons historiques1 », on peut facilement comprendre quel choc produit Foucault lorsqu’en 1983 il prononce pour la première fois, durant une leçon au Collège de France, le syntagme « ontologie critique de nous-mêmes ». Une telle dénomination s’ajoute aux autres termes choisis rétrospectivement par Foucault pour définir sa démarche philosophique : durant ces années quatre-vingts il utilise à la fois « ontologie historique de nous-mêmes », « ontologie de l’actualité », « ontologie du présent », « ontologie de la modernité » et enfin « ontologie de nous-mêmes ». Cette série de formules synonymiques renferme l’objectif premier de ma thèse : expliciter ce qu’est l’ontologie critique de nous-mêmes. L’enjeu fondamentale de ce travail consiste en fait d’une part à interroger et comprendre le syntagme en question, de l’autre à évaluer la possibilité de la construction d’une genèse de cette idée dans le cadre global de la philosophie foucaldienne. L’interprétation du parcours intellectuel de Foucault à partir du concept de l’ontologie offre ainsi un horizon d’enquête sur l’être comme objet de connaissance, le concept d’homme, le statut de la vérité, les critères de rationalisation, les modalités de validité de la connaissance, le rôle de la critique et de l’histoire, la production du pouvoir, la formation des déterminations historiques et des processus éthiques de subjectivation. Ces considérations, couvrant l’arc temporel qui s’étend de la première à la dernière période du cheminement foucaldien, conduisent à formuler l’hypothèse d’une interrogation constamment nourrie qui, dans une approche toujours renouvelée avec les thématiques de la subjectivité, trouve un débouché dans les analyses du soi, dans la stylistique de l’existence, et dans l’ontologie du présent. Et ce sont, à mon sens, ces mêmes perspectives qui fourniraient un apport tout à fait nouveau au concept d’ontologie dont la philosophie moderne est l’héritière. La contribution de Foucault au panorama ontologique contemporain n’a pas encore été reconnue dans sa juste mesure, aussi ce travail se propose-t-il d’esquisser un premier pas vers cette reconnaissance. 1 E. Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, trad. fr. P. Ricœur, Paris, Gallimard, 1950, p. 42. Foucault se réfère peu, voire rarement de manière explicite aux philosophes ou aux systèmes philosophiques avec lesquels il communique C’est surtout dans la dernière période qu’il tente de reconstruire le cadre historique des penseurs impliqués dans « son » débat bien que cette attitude émerge parfois dans ses premières articles. Essayons donc de retracer les composantes de la réflexion foucaldienne autour du statut de la réalité et du sujet, c’est-à-dire l’ontologie, et les points de contact avec divers questionnements concernant la critique et l’histoire. Le débat philosophique en question se joue entièrement entre l’Allemagne et la France, entre des penseurs allemands et des interprètes français. Le milieu philosophique français des années trente est hégélien, phénoménologique et existentialiste, et la triade Hegel, Husserl et Heidegger est étudiée canoniquement durant la formation universitaire. Husserl a d’abord été introduit et commenté par Levinas, enseigné par Merleau-Ponty et repensé par Sartre. La diffusion de la pensée d’Husserl avec celle d’Heidegger (même si le Heidegger qu’on lisait à celle époque était principalement celui de Sein und Zeit2), avait donné naissance à l’existentialisme, mis en vogue par Sartre. Le débat était principalement basé sur la question de l’être et de la métaphysique, sur le rapport entre l’homme et le monde, l’être, et la vérité. Dans l’introduction à On the Normal and Pathological de Canguilhem, Foucault avance que la philosophie contemporaine prend pied en France précisément 1930 avec l’introduction de la phénoménologie. Foucault considère alors deux types de courants phénoménologiques : la philosophie de l’expérience, basée sur la question de l’homme et du sujet (Sartre et Merleau-Ponty), et la philosophie du concept, focalisée sur les questions de la rationalité et du savoir (Husserl, Canguilhem, Bachelard). Quels sont les éléments puisés ou rejetés par Foucault dans ces deux courants et quelles questions ces derniers lui ont-elles permis de poser ? 2. Méthodologie Préparer une thèse de doctorat sur Foucault signifie se confronter à vingt-cinq années d’une démarche philosophique très riche, dynamique et manifestement in fieri, qui, outre cela, n’a pas atteint de « conclusion » en raison de la mort précoce du philosophe. S’il est vrai, d’une part, que l’on peut retrouver des pivots conceptuels et des thématiques toujours présentes chez le « premier » et le « second » Foucault, de l’autre il faut aussi affirmer que la clé d’interprétation de ces mêmes 2 Cf .B. Sichère, Cinquante ans de philosophie française, vol. 2, Paris, Ministère de l'affaire étrangère, 1997 p. 13. pivots et thématiques est très rarement la même. La pensée foucaldienne s’articule donc en « variations sur thèmes », autrement dit son travail n’est pas un système de pensée structuré suivant une idée initale (thèse, hypothèse, principe) et le développement d’une argumentation pour la soutenir. La philosophie de Foucault s’invente, se crée, se produit – pour utiliser une triade de verbes chère au philosophe – : elle se dirige toujours vers de nouvelles problématisations et de nouveaux terrains interprétatifs. En dépit de la particularité d’un tissage philosophique opéré par variations sur thèmes, la philosophie foucaldienne n’a rien de « fragile », au contraire. Donc, la première astuce méthodologique consistera à repérer les susdites variations, afin d’observer l’édification de cette pensée et d’en respecter la cohérence philologique. En deuxième lieu, quant au sujet de cette thèse, il s’agira de réaliser une enquête génétique enserrant le parcours philosophique de Foucault selon un ordre chronologique. À ce propos, une des attitudes les plus fréquentes au sein, pour ainsi dire, de la communauté de chercheurs foucaldiens, consiste à s’interroger sur l’existence d’un fil rouge persistant dans tous les ouvrages du philosophe3. Je n’insisterai pas sur ce point, mais mon choix de parcourir l’éventuelle parabole conduisant Foucault à formuler l’ontologie de nous-mêmes et de repérer, justement, la persistance des problématiques liées à ce sujet, laisse, il est vrai, la question du fil rouge traverser la trame des développements. La deuxième précaution méthodologique émerge de l’histoire éditoriale des ouvrages de Foucault qui n’ont pas été édités en ordre chronologique. En outre, lorsqu’au début de l’année 2012, j’ai commencé à rédiger ma thèse de doctorat, des textes restaient encore à publier : le cours qui n’a pas été prononcé au Collège de France mais à l’Université de Louvain, Mal faire, dire vrai (1981) paru en septembre 2012, Du gouvernement des vivants (Cours au Collège de France 1979-80) paru en novembre 2012. L’année suivante voit la publication chez Vrin de La société punitive, (Cours au Collège de France 1972-1973), de L’origine de l’herméneutique de soi. Conférences prononcées à Dartmouth Collège, 1980, et enfin de La grande étrangère : à propos de littérature, aux éditions de l’EHESS suite à un travail sur les transcriptions inédites de cours, conférences et émissions radiophoniques de Foucault. En 2014 paraît Subjectivité et vérité, (Cours au Collège de France 1980-1981) et en 2015 Vrin publie Qu’est-ce que la critique ? Suivie de La culture de soi : il s’agit respectivement des conférences de 1978 prononcée devant la Société française de Philosophie – 3 Je renvoie par exemple aux analyses de Hubert L. Dreyfus et Paul Rabinow, Michel Foucault: beyond Structuralism and Hermeneutics (1982) qui formulent une non univocité du travail de Foucault. Une autre voix, opposée, est représentée par J. Revel, Michel Foucault. Une pensée du discontinu (2010) avec l’hypothèse d'une recherche unitaire du philosophe. déjà parue en 1990 – et de 1983 tenue à Berkeley, Université de Californie. En mai 2015, Seuil/Gallimard a annoncé la parution de Théories et institutions pénales, cours au Collège de France de 1971-1972 et dernier texte de Foucault. Ainsi après la génération des lecteurs de Foucault, contemporains du philosophe, une deuxième génération n’a pas connue sa voix, mais a par contre assisté à la publication des Dits et écrits en 1994. Il existe une troisième générations d’étudiants, dont je fait partie, qui a pu avoir l’accès au « dernier » Foucault, cependant incomplet et en désordre chronologique. Enfin, la génération future aura la possibilité de lire toute l’œuvre foucaldienne dans son ordre légitime et de consulter l’archive Michel Foucault de la Bibliothèque nationale de France. Pour obvier aux lacunes éditoriales, j’ai quant à moi puisé, alors que j’écrivais cette thèse, dans les résumés par les Dits et écrits et dans les articles datés de l’année même des cours manquants. Les susdites éditions sont principalement liées au dernier Foucault qui avait beaucoup contribué, avec articles et entretiens, à restituer et expliquer ses études sous forme de cours ; mais cet appui sur les Dits et écrits, bien qu’il n’ait pu rendre compte de la sa pensée dans sa totalité, s’est révélé suffisamment utile pour ne pas tomber dans des erreurs interprétatives tout en ayant une vision d’ensemble de la démarche foucaldienne. Toutefois, à l’exception du dernier cours, tout au long de la rédaction de ce travail et particulièrement durant la dernière année d’écriture, j’ai pu retracer, publication après publication, le cheminement philosophique de Foucault, et ainsi évaluer ou parfois réévaluer des et perspectives interprétatives ce dont témoigneront les chapitres suivants. Dans la liste des derniers publications foucaldiennes, on constate que les textes de référence ne sont pas des manuscrits du philosophe, ni des textes présentant son labor limae, et ne sont pas, évidemment, dirigés par l’auteur. Il s’agit en fait, des conférences ou des cours prononcés qui ont été transcrits et édités. Or, on ne peut inscrire ces textes sous le même statut de scientificité propre aux ouvrages élaborés pour un public de lecteurs et non d’auditeurs, écrits et dirigés par Foucault même. En réalité, ce type de travail écrit a subi un silence éditorial de huit années, de 1976 à 1984 ; aujourd’hui seulement, grâce aux publications récentes, ce silence semble être comblé. Aussi faut-il garder à l’esprit l’existence d’une hiérarchie des textes, et le caractère plus « fragile » des hypothèses issues des cours au Collège de France par rapport aux prises de positions des textes canoniques. En outre, dans les cours au Collège de France, on a parfois du mal à comprendre si Foucault expose une idée qu’il aurait adoptée dans son appareil philosophique, ou s’il nous explique des questions soulevées par d’autres auteurs et venant compléter un point de vue historique sur une question qui lui est chère. Aussi est-il difficile de comprendre, lorsque Foucault interprète un auteur, s’il le cite ou l’utilise comme instrument finalisé au développement de sa pensée, comme c’est le cas par exemple de Nietzsche dans Leçon sur la volonté de savoir, cité sans guillemets et, semble-til, totalement absorbé par Foucault, ou de l’utilisation philosophique d’historiens comme Vernant, Detienne et Knox. Il s’agit là d’un aspect très problématique car le sujet de ma thèse naît du dernier Foucault, et se trouve explicité surtout dans les Cours au Collège de France. Ce travail n’est alors pas à considérer comme une tentative de standardisation d’une formulation foucaldienne à l’intérieur de sa pensée, mais tel que je l’ai annoncé plus haut, comme une hypothèse concernant la naissance d’un intérêt autour d’une idée et le développement comme la persistance de cette idée même. Il reviendra à la conclusion de cette thèse d’évaluer les apports d’une telle démarche. Outre les problèmes à peine mentionnés et qui en général affleurent dans tout travail mené sur Foucault, d’autres précautions touchent de manière plus spécifique mon projet de thèse. Je soulève d’emblée la question méthodologique sur comment lire Foucault à partir de ses dernières publications (la perspective ontologique est d’ailleurs manifeste chez Foucault dans les années 1980), sans tomber dans l’erreur d’une lecture rétroactive. Il faut prêter une attention toute particulière à la cohérence philologique, en évitant les anachronismes interprétatifs, et enfin à la conduite d’un travail de genèse autour de l’intérêt ayant conduit Foucault à la notion clé de ma thèse ; de ce fait, il n’est pas question de rechercher la même notion déjà dans les premiers années de sa recherche. C’est pourquoi j’indique seulement la naissance d’un intérêt à partir d’une réflexion sur Kant (chapitre I), la pars destruens de la conception traditionnelle d’ontologie ou métaphysique (chapitre II), la pars construens qui commence par la question du pouvoir (chapitre III) pour aboutir enfin à la formulation de l’ontologie critique de nous-mêmes (chapitre IV). Une autre précaution est à prendre : le terme « ontologie » et donc l’utilisation du mot même, sont rarement explicités dans les textes de Foucault. La première apparition du terme a lieu en 1954, lorsque Foucault écrit sur la philosophie de Biswanger. Par contre, la dernière apparition remonte à 1984, dans le texte très fécond Qu’est-ce que les Lumières où le terme est explicité par le syntagme « ontologie critique de nous-mêmes » et désigne la portée de la pensée foucaudienne. Il faut alors opérer un repérage de ces références et construire, tout à la fois, des hypothèses de travail afin d’expliquer pourquoi, même si ce terme est présent dans très peu de cas, il demeure capital pour l’interprétation de la démarche foucaldienne. 3. Projet argumenté L’un des défis lancés par les récentes publications des ouvrages du dernier Foucault est de vérifier la possibilité d’une argumentation ontologique à l’intérieur de la pensée de Foucault. Mon hypothèse de départ est que l’interrogation persistante sur le fond de sa philosophie est : « qu’est-ce que le sujet ? ». Dire « sujet » dans la philosophie foucaldienne recouvre une série de références : homme, sujet agent ou passif, sujet grammatical ou sujet matériel des discours, sujet citoyen, individu, soi. Dans sa thèse complémentaire de 1961, Foucault parcourt la question kantienne Was ist der Mensch ? (qu’est-ce que l’homme?) et dans Les mots et les choses il analyse la thématique inhérente au « mode d’être de l’homme ». De plus, déjà à partir des années 1960, il s’emploie à théoriser un sujet non prédéterminé, c’est-à-dire non fondé, un sujet qui ne présente pas non plus la qualité d’être auto-fondé ou fondateur, ni universel, ni subjectum ni ego transcendantal ni même sujet transcendantal. Dans les premiers années, on repère un tel effort dans les analyses empiricotranscendantales autour de la notion de la finitude de l’être. Dès lors que la finitude de l’être est pensée historiquement, le sujet gagne son statut d’objet critique et l’histoire critique de la ratio devient une étude historique de la vérité. Telles sont les bases sur lesquelles s’appuie l’intérêt de Foucault. Variation conceptuelle après variation conceptuelle, ce dernier est amené à s’interroger à partir de l’histoire de la pensée critique pour aboutir à l’ontologie historique/critique, passant ainsi de la question « qui est l’homme ? » à « qui sommes nous aujourd’hui ? ». Deuxième hypothèse de départ : le sujet n’est pas une chose, ni une instance, ni une forme préconstituée, ni même une substance, mais d’une part il est l l’aboutissementde la manière dont opèrent la normativité théorique du savoir et les dispositifs du pouvoir, et de l’autre il est la forme à transformer et à construire grâce aux processus de subjectivation. Aussi la question du sujet prend-telle en considération les différentes acceptions impliquées par le terme « sujet » : agi et agissant, produit et productif, historicisé et historique, assujetti et subjectivé. La subjectivité est ainsi la combinaison entre des déterminations qui lui sont extérieures et les forces productives et autoconfigurantes. La partie du sujet influencée par ces forces est « le soi » : ainsi, l’idée d’un sujet réfléchi répond à l’absence d’universalité. Le soi, en ce qu’il est singulier, comble le vide dogmatique du Sujet. Troisième hypothèse : l’ontologie est historique non seulement par le fait que le mode d’être de l’homme est trouvable historiquement (grâce aux enquêtes archéologiques et généalogiques), mais aussi parce que le sujet peut mettre en acte une dynamique d’irruption dans les déterminations historiques, et s’affirmer en tant qu’événement. Enfin, l’ontologie est historique car elle n’assigne pas de conditions universelles dans la compréhension des instances de vérité, pouvoir et savoir. Ontologie critique de l’actualité : cette expression indique d’abord une méthode d’analyse, à savoir assumer un regard historique par rapport à ce que nous sommes, et recèle une fonction critique active visant à comprendre le présent. Voici l’hypothèse que je souhaite suivre : la dimension dans laquelle on peut penser une constante du mode d’être singulière du sujet est le champ contingent de la vie et le champ in fieri de l’histoire, en tant qu’actualité. Refuser une théorisation qui positionne le sujet comme principe ou sens d’une condition universelle, donc nier une formulation du sujet auto-fondé et a-historique sert pour décrire autrement la notion d’origine. L’origine – en suivant la distinction nietzschéenne entre Erfindung et Ursprung – assume la signification d’invention et s’oppose à toute forme de prédétermination métaphysique. Foucault décrit ainsi une ontologie des métamorphoses de ce que nous sommes, qui ne s’adapte pas à la répétition de l’identique mais produit quelque chose de nouveau, créant par là une différence. Mes hypothèses de départ ouvrent ainsi une piste : il s’agira de parcourir la tentative foucaldienne de nier la dépendance du sujet par rapport à un au-delà du sujet lequel ne dépend pas non plus d’une circularité auto-fondante. Contre le positivisme et l’humanisme, Foucault lit la modernité non comme une somme des progrès mélioratifs dans l'histoire de l’homme, mais comme un point d’attention et de réflexion sur le présent et ce que nous-sommes. Tel est, à mon sens, un passage conceptuel qui restitue/met au jour une histoire critique de l’homme à travers une formulation ontologique critique. Pour mesurer le poids ontologique de ce cadre théorique, une autre tâche devait être accomplie : j’ai prêté une grande attention aux influences qui ont préparé le terrain philosophique de Foucault. Kant et Nietzsche peuvent être considérés comme ses « pères » et leur présence en filigrane dans la pensée foucaldienne révèle selon moi les points de tension les plus profonds qui sont à la base de l’idée de l’ontologie critique de nous-mêmes. Cette thèse est articulée en chapitres. Dans le chapitre I « Pour une histoire critique de la pensée », on considère en général la manière dont le « premier » Foucault se rapporte à Kant. On verra la critique du sujet élaborée dans les années 1960, un premier intérêt pour une approche historique des objets de la philosophie, et le dialogue avec l’héritage critique de Kant. Ce chapitre est principalement basé sur l’analyse de deux textes de Foucault : Introduction à l’anthropologie d’un point de vue pragmatique de Kant et Les mots et les choses. Le chapitre II « Le vrai sans métaphysique de la vérité. Nietzsche, Heidegger, Foucault : un dialogue à plusieurs voix » vise à comprendre la posture nietzschéenne de Foucault face à la question de la vérité, la critique de l’ontologie de Foucault avec une mise en parallèle de la lecture foucaldienne de la « volonté de vérité » avec la lecture heideggérienne de la « volonté de puissance ». Deux textes de Foucault soutiennent ce chapitre : L’ordre du discours et La leçon sur la volonté de savoir, tandis que les deux chapitres suivants se basent , l’un sur des textes et cours au Collège de France des années soixante-dix et l’autre sur les années quatre-vingts. Dans le chapitre III « La critique de la raison politique et la stratégie bio-ontologique », on analyse le corrélatif historique des technologies politiques, les modes d’objectivation et de subjectivation du sujet, à savoir l’aspect productif du pouvoir, la contre-réponse du sujet au pouvoir qui anticipe les thématiques autour de la subjectivation du dernier Foucault, la question de la gouvernamentalité, et enfin la critique envers la rationalisation de la gestion/production de l’individu. Dans le dernier chapitre « Les processus de subjectivation : entre production éthique et déterminations historiques », on verra le projet de la généalogie du sujet moderne, l’étude des techniques de soi et de l’autoconstitution de soi. La question kantienne de l’Aufklärung nous conduira droit-fil à la question de l’ « ontologie historique de nous-mêmes ». À l’arrière-plan de tous les questions autour de la vérité, de la connaissance, de la critique et de l’histoire subsistent.