5.4 Considérations éthiques liées au diagnostic de la mort

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Les trois cas suivants sont en cours d’examen (5.1 / 5.2 / 5.4) à la lumière de la décision de la Cour suprême dans l’affaire
Carter c. Canada (Procureur général), 2015 SCC 5. (Date : 2015/02/06).
5.4 Considérations éthiques liées au diagnostic de la mort
Jeffrey G. Betcher, MD, MA, FRCPC
Objectifs d'apprentissage
1. Comprendre le concept de la mort cérébrale utilisé pour diagnostiquer le décès
2. Comprendre les critères médicaux qui sous-tendent la détermination neurologique de la mort
Cas
Sam est un homme de 57 ans qui a été admis à l'Unité des soins intensifs après avoir subi un accident vasculaire
cérébral massif provoqué par une hémorragie hypertensive. À son arrivée, il a un score de Glasgow de 5; il est
intubé et mis sur respirateur pour protéger ses voies aériennes et traité pour une élévation de la pression
intracrânienne. Il est amené à la salle d'opération pour une craniotomie d'urgence visant à éliminer l'hématome
intracérébral. Depuis l'intervention, son score de Glasgow est de 3. Soixante douze heures se sont écoulées depuis
son admission, et l'équipe médicale qui le traite commence à se demander si le patient est mort et si son cœur ne
continue pas de battre uniquement grâce aux traitements de maintien en vie, comme le respirateur, ce qui
empêche de prononcer le décès. L'équipe croit qu'il est vain de poursuivre le traitement dans le cas présent et que
le traitement devrait être cessé, car il y a mort cérébrale. Cependant, la famille garde espoir qu'il se rétablisse,
alléguant que si son cœur bat toujours et que son organisme continue de fonctionner, c'est que le patient est
toujours vivant. La famille veut avoir la preuve que l'être cher est bel et bien mort avant de consentir à l'arrêt des
traitements.
Questions
1. Comment peut-on déterminer la mort lorsqu'un patient est maintenu en vie grâce à une assistance
cardiorespiratoire maximale?
2. Peut-on interrompre un traitement s'il est établi qu'il y a mort cérébrale?
Discussion
La question du diagnostic de la mort est essentiellement un phénomène de la médecine moderne. En effet, avant
les progrès de la technologie médicale et la capacité de maintenir artificiellement les fonctions cardiaques et
respiratoires, le décès était établi lorsque le cœur cessait de battre et que la respiration spontanée cessait peu
après, ou lorsque la personne cessait de respirer et que cela provoquait l'arrêt de sa fonction cardiaque.
Aujourd'hui, les technologies de maintien en vie font en sorte qu'il n'existe pas toujours de marqueurs aussi nets
du décès, et cette situation nous amène à nous demander si les patients en coma profond sont vivants, ou s'ils
sont morts et qu'il ne reste plus qu'un corps dont les fonctions cardiaques et respiratoires sont maintenues
artificiellement. Cette question est aussi alimentée par la pratique de la greffe d'organes, car les personnes en état
de mort cérébrale sont une source fréquente d'organes destinés à des greffes. Il y a donc deux scénarios où la
mort cérébrale peut servir à établir le décès : le premier est pour faciliter la décision d'interrompre les traitements
de maintien en vie, par exemple la ventilation assistée, et le deuxième concerne le don et le prélèvement
d'organes conformément à la règle du donneur décédé1. Le premier scénario vise à éviter la poursuite d'un
traitement après le décès de la personne et l'autre vise à s'assurer que le patient n'est plus vivant avant de
procéder au prélèvement d'organes essentiels à son maintien en vie. Dans les deux cas, la déclaration de décès
basée sur la mort cérébrale sert de preuve que la mort du patient n'a pas été causée par le prélèvement d'organes
à des fins de greffes, ni par le débranchement du patient du respirateur.
Les discussions sur le concept de la mort cérébrale ont fait naître les trois paradigmes suivants : la mort cérébrale
complète, la mort du cerveau supérieur et la mort du tronc cérébral. La mort cérébrale complète suppose la perte
complète et irréversible des fonctions de l'ensemble du cerveau, du cortex et du tronc cérébral, à tous les niveaux.
La mort du cerveau supérieur, ou mort du cortex cérébral, indique qu'il y a perte complète et irréversible des
fonctions corticales et maintien des fonctions du tronc cérébral. Enfin, la mort du tronc cérébral suppose la perte
complète et irréversible des fonctions du tronc cérébral avec maintien des fonctions corticales.
Au Canada, les critères de la mort cérébrale complète sont utilisés pour établir le décès. La mort cérébrale
complète est incontestable, car elle élimine toute possibilité d'activité neurologique provenant du tronc cérébral ou
d'un niveau supérieur, et donc toute possibilité d'état de conscience à quelque niveau. Le fait d'inclure le tronc
cérébral dans la détermination du décès permet de s'assurer qu'il y a mort cérébrale à tous les niveaux. Comme la
mort du tronc cérébral laisse supposer le fonctionnement des niveaux supérieurs du cerveau, comme le cortex et
le système neuroendocrinien, une personne ne peut être consciente et avoir sa pleine connaissance en l'absence
des fonctions du tronc cérébral. Enfin, la mort corticale avec maintien des fonctions du tronc cérébral suppose que
toutes les fonctions se situent au-dessus du tronc cérébral, un concept qui ne peut être prouvé.
La première série de critères pour la détermination de la mort cérébrale a été établie en 1968. Une certaine
incohérence et variabilité caractérisaient alors l'application de ces critères2, même si les principes déontologiques
étaient les mêmes3. Cette situation a incité un forum canadien à formuler une série de recommandations visant à
favoriser une détermination uniforme et fiable de la mort neurologique4. Ces recommandations définissent les
critères cliniques minimums qui, en l'absence de facteurs confusionnels, doivent servir au diagnostic du décès
neurologique. En tête des critères vient l'étiologie établie capable de causer un décès neurologique avec coma sans
réflexe et absence bilatérale des réflexes moteurs. Les réflexes spinaux peuvent toutefois être présents. Il doit
également y avoir absence (bilatérale s'il y a lieu) des réflexes du tronc cérébral, des réflexes de déglutition et de
toux, du réflexe cornéen, du réflexe photomoteur avec pupilles de taille moyenne ou en mydriase, ainsi que des
réflexes oculo vestibulaires. Enfin, un test d'apnée doit confirmer l'absence d'effort respiratoire.
Le test d'apnée consiste en la préoxygénation du patient par l'administration d'oxygène à 100 % durant une
période déterminée avant le test, puis en l'administration d'oxygène à 100 % dans la trachée durant le test. Les
gaz sanguins artériels sont mesurés au début du test, puis à intervalles déterminés tout au long du test. Le patient
est également observé de près pendant toute la durée du test pour que tout effort respiratoire soit détecté. On
considère que le test a une valeur de confirmation s'il n'y a aucun effort respiratoire, que la PaCO2 est supérieure
ou égale à 60 mm Hg (et > 20 mm Hg au dessus du niveau préalable au test d'apnée) et que le pH est inférieur ou
égal à 7,28, d'après la gazométrie artérielle.
Par ailleurs, la détermination neurologique du décès sur la base de ces critères cliniques minimums recommandés
par le forum canadien doit être faite en l'absence de facteurs confusionnels tels qu'un état de choc, une
hypothermie (température centrale > 34°C), des troubles ou anomalies métaboliques, une dysfonction des nerfs
périphériques ou des muscles ou l'effet de médicaments. Il est également recommandé qu'un deuxième examen
soit fait aux fins de confirmation. S'il existe un facteur confusionnel, il faut réaliser un test auxiliaire comme
l'angiographie cérébrale ou une scintigraphie de perfusion pour confirmer l'absence globale de circulation
intracrânienne.
L'utilisation des critères neurologiques pour établir la mort n'est toutefois pas acceptée par tous, et certaines
personnes rejettent ce concept pour des motifs religieux ou culturels. Même les éthiciens ne s'entendent pas sur
cette question. Ainsi, les tenants du diagnostic basé sur la mort cérébrale justifient leur position en invoquant la
perte permanente des fonctions essentielles de l'organisme entier, comme la respiration spontanée, le contrôle de
la circulation, l'homéostasie et la conscience5.
Ceux qui s'y opposent allèguent que le système somatique contrôle beaucoup plus de fonctions que le cerveau, et
rejettent ainsi la mort cérébrale comme critère valable pour établir le décès. Selon leur raisonnement, même si les
critères neurologiques recommandés s'appliquent, l'organisme conserve la capacité de lutter contre les infections,
de cicatriser ainsi que de maintenir l'homéostasie et le bilan énergétique. Les enfants conservent ainsi leur
capacité de grandir et de se développer sexuellement, alors que les femmes enceintes peuvent mener leur fœtus à
terme. Ils allèguent également qu'il demeure possible de réanimer ces patients et que ceux-ci peuvent survivre
avec peu d'intervention médicale6.
Néanmoins, les milieux juridique et médical ont accepté la détermination neurologique du décès comme un moyen
de diagnostiquer la mort avant d'interrompre les traitements ou de prélever des organes en vue de greffes. Il
importe cependant que les personnes qui participent aux soins et au traitement de ces patients soient conscientes
des controverses que suscite cette pratique, ainsi que des effets que ces controverses peuvent avoir sur
l'acceptation de la mort par les familles placées dans une telle situation. Il faut faire preuve de patience et de
compassion envers les familles éprouvées par la perte d'un être cher.
Le cas qui précède illustre comment le concept de la mort cérébrale se pose souvent en pratique clinique. Sam a
subi une atteinte neurologique importante qui semble avoir mené à une mort cérébrale, malgré un traitement
chirurgical et médical agressif. Selon l'évaluation clinique, Sam répondrait aux critères de mort cérébrale. Les
médecins qui le traitent peuvent, à ce stade, déterminer s'il répond on non aux critères de mort cérébrale, soit en
se basant sur les critères cliniques précités, soit (en présence de facteurs confusionnels) en ayant recours à des
tests auxiliaires comme la scintigraphie cérébrale de perfusion. S'il est établi qu'il y a mort cérébrale, il serait alors
permis de cesser les traitements, y compris la respiration assistée, ou de prélever les organes en vue de greffes
avant d'interrompre les traitements qui maintiennent les fonctions vitales.
Références
1. Robertson, J.A. « The dead donor rule », Hastings Center Report, 1999, vol. 29, no 6, p. 6–14.
2. Doig, C.J. et E. Burgess. « Brain death: resolving inconsistencies in the ethical declaration of death »,
Canadian Journal of Anaesthesiology, 2003, vol. 50, no 7, p. 725–731.
3. Lazar, N.M., S. Shemie, G.C. Webster et B.M. Dickens. « Bioethics for clinicians: brain death », CMAJ:
Canadian Medical Association Journal, 2001, vol. 164, no 6, p. 833–836.
4. Shemie, S.D., C. Doig, B. Dickens, P. Byrne, B. Wheelock et coll. « De l’atteinte cérébrale grave au
diagnostic de décès neurologique : recommandations issues du Forum canadien », JAMC : Journal de
l’Association médicale canadienne, 2006, vol. 174, no 6, p. S1–13.
5. Bernat, J.L. « A defense of the whole-brain concept of death », Hastings Center Report, 1998, vol. 28, no 2,
p. 14–23.
6. Shewmon, D.A. « The brain and somatic integration: insights into the standard biological rationale for
equating “brain death” with death », Journal of Medicine and Philosophy, 2001, vol. 26, no 5, p. 457–78.
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