Les larves - 4e partie Par Alain Fraval On associe volontiers les « coléos » avec le sol, la litière, la matière organique mais leurs modes de vie sont très variés. On compte parmi eux une douzaine de familles d’insectes aquatiques (dulçaquicoles), pas mal de ravageurs des végétaux et des denrées et quelques auxiliaires entomophages précieux. Tenebroides maroccanus (Ostomatidé). La larve, prédatrice très active, a une vie corticole. Elle creuse le liège à la recherche de ses proies - Dessin Claire Villemant ■ LARVES DE COLÉOPTÈRES Ver blanc, ver fil de fer, larve marteau… sont trois types de larves de Coléoptères bien connus des cultivateurs et des sylviculteurs. La diversité est bien plus grande, au sein d’un ordre d’insectes qui rassemble 400 000 espèces, soit près de la moitié du monde vivant répertorié. Les larves ont des pièces buccales broyeuses, à l’instar des imagos ; la tête porte des ocelles, de zéro à 6 de chaque côté. Elles ont 3 paires de pattes thoraciques articulées, sauf chez les groupes apodes (charançons, buprestes, longicornes) ; il n’y a pas de fausses-pattes sur l’abdomen ; les cerques (ou urogomphes) sont souvent présents. Le type « primitif » de la larve de Coléoptère est campodéiforme ; c’est celui qu’on rencontre chez les carabes et les staphylins, notamment. Dans bien des familles, il a évolué vers le type éruciforme ; les larves arquées, molles, au tégument translucide et à l’extrémité anale renflée sont dites mélolonthiformes, par analogie avec le très connu (autrefois…) ver blanc, larve souterraine du Hanneton commun Melolontha melolontha (voir article p. 26 ). Dans le sous-ordre des Adephaga (Caraboidea), les larves – comme Cicindèle champêtre Cicindela campestris Dessin Yan Galez d’après Paulian I NSECTES 29 n°163 - 2011 (4) les adultes – sont zoophages. Les cicindèles (Cicindélidés) attrapent leurs proies depuis un puits qu’elles ont creusé et où se cramponne leur arrière corps, plus mince et muni de crochets (sur le 5e segment abdominal). Elles s’y tiennent ordinairement au niveau de l’entrée, leur tête formant clapet ; au passage d’un insecte, elles se détendent et le harponnent avec leurs mandibules, longues et acérées. Larve de type mélolonthiforme - DR La vie larvaire la plus compliquée Micromalthus debilis, unique représentant de la famille des Micromalthidés (qu’on ne sait pas trop où placer), se reproduit essentiellement par parthénogenèse thélytoque (qui produit des femelles en l’absence de fécondation) ; mais il existe une phase arrhénotoque, peu fréquente, donnant naissance à des mâles. On le trouve, en Amérique du Nord principalement, dans le bois décomposé. La larve de premier stade, active, est un triongulin. Celle de second stade est mélolonthiforme, avec des pattes grèles. Deux grandes voies d’évolution pour cette larve : se nymphoser et donner une femelle adulte ; rester larvaire et se reproduire par pédogenèse. Ceci selon trois modalités : 1) donner naissance à des triongulins femelles par parthénogenèse ; 2) se nymphoser et devenir une femelle adulte qui pond, sans fécondation, un unique œuf qui évoluera en une larve mélolonthiforme qui donnera, après avoir dévoré sa mère, un mâle haploïde ; 3) devenir une femelle larviforme qui se reproduira selon l’un des deux modes ci-dessus. On suppose que cet insecte est dépendant d’une bactérie pour la digestion du bois pourri. Ce symbionte, transmis par la mère à ses filles diploïdes, serait inopérant chez le mâle haploïde, qui serait forcé à pratiquer le cannibalisme. Le « coût » très élevé du mâle aurait sélectionné la voie arrhénotoque cyclique et maintenu l’extrême rareté de celui-ci. y injecte la sécrétion de son intestin moyen avant d’aspirer le produit de la digestion. Elle nage grâce à ses pattes munies de franges de soies ; elle est capable de brusques ondulations qui la propulsent vivement. Pour respirer, la larve du Dytique bordé Dytiscus marginalis se tient la tête en bas, ses stigmates postérieurs en contact avec l’air au niveau de la surface. Chez d’autres espèces, la larve court au fond de l’eau. Une fois son développement achevé, elle gagne la terre ferme (humide) et y aménage une logette de nymphose. Les larves des gyrins (Gyrinidés) ont un peu l’allure de scolopendres. Elles digèrent de même ; elles respirent par des trachéobranchies abdominales et se chrysalident dans un « igloo » fait de boulettes de boue1. Dytiscus sp. et Gyrinus marinus Dessins Y. Galez d'après Miall et Schiödte Chez les carabes (Carabidés), la proie est chassée ou au moins activement recherchée ; la larve est sombre, allongée, coriace, agile (son allure définit le type caraboïde) ; certaines sont arboricoles à l’instar de Calosoma sycophanta, dévoreur de chenilles et de chrysalides de Bombyx disparate. Aquatique, la larve des dytiques (Dytiscidés) s’attaque à tout animal pas trop gros : têtard, alevin, gastéropode, insecte… ; la proie est saisie par les mandibules creusées d’un canal presque fermé qui Le second sous-ordre, les Polyphaga, comporte une quinzaine de superfamilles et plus d’une centaine de familles importantes – que, bien évidemment, on ne passera pas systématiquement en revue ici. Les Hydrophilidés, aquatiques comme leur nom l’indique, sont plutôt phytophages. Les larves sont en général allongées, à tête relativement petite, aux pièces buccales broyeuses ; elles possèdent des branchies abdominales externes. Celle du Grand Hydrophile Hydrophilus piceus, peu alerte, se nourrit de petits gastéropodes. Il existe de très nombreuses variantes dans ce groupe : les Sphéridiinés sont terrestres et quasi apodes. Silpha sp. - Dessin Y. Galez Chez les boucliers (Silphidés), la larve caraboïde, large, ovale, apparaît comme couverte de plaques tuilées. Le régime général est saprophage. Beaucoup sont nécrophages, ainsi les nécrophores vivent aux dépens des cadavres et les jeunes larves sont nourries par la femelle chez les Necrophorus2. La larve du Silphe de la betterave, Aclypea (Silpha) opaca décape puis découpe les feuilles de cette plante. Celle du Silphe à 4 points, Xylodrepa 4-punctata, est prédatrice de chenilles. Également caraboïde, la larve des staphylins (Staphylinidés) vit en général au détriment des matiè- 1. À (re)lire : Les Gyrins […]. Insectes n° 135 (2004-4). 2. À (re)lire : Prendre soin des jeunes. Insectes n° 153 (2009-2). Thinopinus pictus, staphylin sabulicole de la zone intertidale. Larve aux pattes fouisseuses développées. Dessin Y. Galez d'après Böving I NSECTES 30 n°163 - 2011 (4) res organiques en décomposition ; beaucoup sont prédatrices. La myrmécophilie est le mode de vie de 300 des quelque 30 000 espèces de cette très vaste famille ; elle va de la prédation sur les individus malades ou morts à l’élevage des larves par les fourmis dans la fourmilière (genres Atomeles et Lomechusa) en passant par le commensalisme. Chez quelques-unes de ces espèces, la femelle pond directement une larve. Les Scarabaeoidea (surperordre) regroupent des Coléoptères bien connus : lucanes, géotrupes, scarabées, cétoines, hannetons… Leurs larves sont assez typiques et appartiennent au type mélolonthiforme : assez trapues, grasses, grises ou blanchâtres, tête hypognathe (les pièces buccales, dont une paire de fortes mandibules, sont dirigées vers la face ventrale) et portent des antennes assez développées, leurs pattes sont relativement longues, leur corps est mou souvent arqué et terminé par un renflement laissant voir par transparence le contenu de l’ampoule rectale (sorte de panse où se poursuit la digestion des matières végétales). Les pattes ne ser- Harpalus affinis (Staphylinidé) - Dessin Y. Galez vent guère à la locomotion et ces larves se tiennent sur le dos ou le côté, en contact avec leur nourriture végétale (vivante ou non). Les Passalidés exploitent le bois pourri. Ils sont remarquables notamment par leur vie sociale – les adultes préparent la nourriture des larves et les aident à construire la logette de nymphose –, et par leurs capacités stridulatoires. La larve possède un dispositif sonore tout à fait différent de celui de l’adulte : la 3e paire de pattes est réduite à un « moignon » qui frotte contre la coxa II. Elle a aussi une allure spéciale, cylindrique droite. Les larves de Lucanidés vivent dans le bois pourri des arbres sur pied, des souches et des racines. Elles stridulent en frottant leurs pattes arrière, qui ne sont pas modifiées. Leur développement prend plusieurs années – 4 chez le Cerf volant Lucanus cervus. À son terme, la larve aménage une logette en bois mâché où elle se nymphose. Les Géotrupidés sont des bousiers. La larve du Géotrupe du fumier Geotrupes stercorarius consomme la provision de matière fécale que ses parents ont préparée pour elle au fond du terrier qu’ils ont creusé sous une bouse ou un crottin3. Elle stridule comme la larve de Passalidé mais la réduction de la 3e paire de pattes est bien moindre. Ses déjections, liquides, servent d’enduit climatisant à sa galerie ; il est appliqué avec l’extrémité de l’abdomen, aplatie en forme de truelle. Les Mélolonthidés regroupent des sous-familles importantes. Les larves (vers blancs) portent dorsalement une pilosité régulière et ventralement un ensemble de soies et d’épines sur le dernier segment abdominal ; on lui a donné le nom de raster (râteau) ; il sert à maintenir la terre excavée contre l’abdomen pour en faire des cylindres bien tassés d’encombrement minimal. Certaines larves de cétoines (Cétoniinés) sont myrmécophiles ; la plupart vivent au détriment de racines dans le sol ou de débris végétaux Les 3 stades larvaires successifs d’Aleochara : larves caraboïde et éruciformes « dégénérées » (de gauche à droite). Ce staphylin est parasitoïde de pupes de Diptères cyclorrhaphes Dessins Y. Galez d’après Kemner I NSECTES 31 3. Voir les observations de J.-H. Fabre dans l’article « Baromètres vivants » à www. inra.fr/opie-insectes/be1901-3.htm n°163 - 2011 (4) cet insecte était censée être connue de tous les écoliers en Europe. Les divers Scarabeus (dont le sacré, S. sacer, révéré par les anciens Égyptiens), les Copris, Heliocopris… roulent une boule de matière fécale en guise de provision alimentaire conservée sous terre et font, dans une chambre à part, une boulette pyriforme à l’intention de la larve qui s’en nourrira ; d’autres Scarabéinés sont myrmécophiles. Vivant dans les mousses tout au long de leur développement, les Byrrhidés (pilules) ont des larves cylindriques à grosse tête avec le pronotum sclérotinisé. Chrysobothris affinis (Buprestidé). La jeune larve ronge l’écorce puis le liber avant d’évoluer entre liber et aubier dans une galerie de section ovale aplatie - Dessin Claire Villemant dans la litière. Ainsi, note Fabre4, « La larve de Cétoine est un moulin à trituration continue, faisant farine des choses végétales mortes » ; plus loin, il décrit comment progresse le ver blanc (retiré de son milieu), sur le dos, et il observe la construction de la logette de nymphose, trouvant à quoi lui servent les pattes et admire son « talent stercoraire ». Chez les géants des Coléoptères, les Dynastinés, on connaît peu de choses de la vie des larves, qui vivent dans le bois pourri, même pour Oryctes rhinoceros, grand ravageur des cocotiers et des palmiers à huile, car c’est l’imago qui les défeuille. En revanche, l’étude du développement (en 3 ans), des migrations verticales, des maladies… du ver blanc du Hanneton commun a occupé une génération d’entomologistes5 et la biologie de Les larves de la famille des Pséphénidés sont remarquables par leur adaptation à la vie collée contre les pierres dans les torrents. Elles ont l’allure d’une cochenille bouclier : leur corps ovale, aplati et muni d’expansions latérales fait ventouse sur le support. Selon les espèces, elles respirent par des branchies abdominales ou anales ou au travers du tégument. Tout aussi originale mais bien plus familière est la larve marteau des « richards », alias buprestes (Buprestidés) : le prothorax fortement élargi cachant une toute petite tête est suivi par deux segments thoraciques rétrécis et 9 segments abdominaux grêles, évoquant un tronçon de ténia. Les pattes sont vestigiales ou absentes. La larve, selon les espèces, est mineuse de feuilles, saproxylophage ou xylophage sur les racines ou les parties aériennes. Parmi celles qui creusent dans le bois des arbres vivants une galerie de section ovale, beaucoup sont des ravageurs des arbres fruitiers ou forestiers, à l’instar du Capnode Capnodis tenebrionis et du Grand 4. « Les cétoines », en ligne à www.e-fabre.com/e-texts/souvenirs_entomologiques/cetoines.htm 5. À retrouver dans Chronique historique de la Zoologie agricole française, par Pierre Grison. Ed. DZ-INRA, 1992 . En ligne à www.inra.fr/opie-insectes/pdf/grison1.pdf 6. À (re)lire : Les insectes noctiluques. Insectes n° 154 (2009-3) – où sont présentés, notamment, les Élatéridés, Lampyridés et Phengodidés luminescents. En ligne à www.inra. fr/opie-insectes/pdf/i154fraval2.pdf I NSECTES 32 n°163 - 2011 (4) Bupreste des pins Chalcophora mariana. Dans le genre Coroebus, C. elatus détruit les fraisiers tandis que C. undatus, appelé la Couleuvre d’après l’allure de ses galeries, s’attaque au chêne-liège. Les Élatéridés doivent leur nom vernaculaire de taupins à leur larve souterraine et rhizophage, au moins chez les espèces redoutées des agriculteurs. Lesquels la nomment ver fil de fer en raison de sa morphologie : elle est cylindrique, allongée, coriace et de couleur jaune ou sombre. Le dernier segment abdominal présente d’importantes variations selon l’espèce. La vie larvaire dure plusieurs années et ces ravageurs sont très difficiles à combattre. Certains taupins sont xylophages ou zoophages. Les Pyrophorus sont lumineux6. La plupart des larves de Lampyridés, appelées vers luisants, lumineuses, se repaissent de limaces et d’escargots. La proie est saisie par les mandibules ; celles-ci comportent un canalicule qui permet l’injection d’une substance dissolvante ; ensuite la larve aspire le contenu du mollusque par la bouche munie de soies qui forment un filtre (le processus est différent de celui de larves des dytiques). Les vers luisants sont allongés, distinctement segmentés, avec des pattes développées ; les tergites thoraciques et abdominaux sont sclérifiés. Connus essentiellement par les vers chemin de fer noctiluques, Les Phengodidés, une famille nordaméricaine proche, se nourrissent de mille-pattes. Également voisins dans la classification, les Cantharidés ont en général des larves aplaties et velues, dépourvues (comme les imagos) d’organes lumineux ; elles vivent dans le sol et la litière. ■ À suivre…