Introduction L’année de saint Louis est l’occasion pour moi, qui viens d’un Moyen-Orient, déchiré par le radicalisme religieux, de faire une réflexion sur les tensions interreligieuses et les relations islamo-chrétiennes en particulier. Le Moyen Orient en général et la Terre Sainte en particulier connaissent depuis longtemps des tensions graves entre les diverses confessions. Sans aller trop loin dans le temps, rappelons le génocide arménien dans la première moitié du 20ème siècle, la guerre civile au Liban. En Iraq, existe une lutte chiite-sunnite, en Syrie Alawite sunnite, au Liban Chiite-sunnite- chrétienne et druze, à Jérusalem une tension entre Juifs et Musulmans autour du Mont du Temple et des attaques contre mosquées, synagogues et Eglises. En Egypte existe une tension entre chrétiens et musulmans. La naissance rapide de l’Etat Islamique en Syrie et en Iraq est le résultat de la radicalisation sunnite à la suite de l’invasion américaine en Iraq en 2003. Les résultats de ces guerres sont les massacres et les représailles qui ont causé, et continuent à causer, en Iraq plus de 400 000 morts, en Syrie 200 000 morts, sans parler des blessés et des millions de réfugiés et sans-logis et des enfants traumatisés. Au Moyen Orient, on se tue au nom de Dieu. Celui qui meurt est considéré comme martyr. A la mort d’un martyr, la famille devrait se réjouir car leur fils a mérité, par son courage, la récompense éternelle avec toutes les promesses matérielles liées au martyre. Les Croisades Je parle des guerres de religion car les croisades font partie de cette catégorie. Mais il ne faut pas isoler les croisades des évènements qui les ont causés ou suivis. Au septième siècle, les conquêtes islamiques ont réalisé de grands succès dans tout le Moyen Orient et en Afrique du nord. Après un siècle, les arabes musulmans arrivent en Andalousie et à Poitiers. Les chrétiens ont senti le besoin de se défendre. La tension est remontée, trois siècles plus tard, après que Al-Hakim bi Amr Allāh(985 –1021), le sultan fatimide d’Egypte, ait incendié le Saint Sépulcre en 1009, et que l’accès des pèlerinages à Jérusalem était empêché par les Turcs Seldjoukides en 1071. C’est dans le cadre de l’auto-défense que les croisades ont été conçues et encouragées. Un croisé était un pèlerin-soldat qui souvent portait les armes pour libérer le Saint Sépulcre, rendre Jérusalem accessible aux pèlerins et assurer une présence latine européenne face aux musulmans. En faisant cela le croisé gagnait une indulgence plénière. S’il mourait il était populairement considéré comme martyr. Au moins le tiers des croisés mourait en chemin. Ils étaient tués soit en guerre, soit décimés par les maladies ou la famine. C’est facile après 9 siècles, de critiquer les croisades. Je ne cherche pas à critiquer mais à jeter un regard d’oriental qui vit avec les musulmans. Mais On a le droit de se demander si les croisades étaient nécessaires. L’Europe chrétienne ne pouvait-elle pas résoudre le problème des lieux saints et des pèlerinages par d’autres moyens ? Surtout par le dialogue et la voie diplomatique. Je veux donner des exemples qui signifient que ce dialogue n’était pas impossible. - Les musulmans Fatimides, qui gouvernaient l’Egypte durant la période des croisades étaient souvent ouverts. En 1219, le Sultan Al-Kamil offrit aux croisés deux fois la rétrocession de Jérusalem contre leur départ d’Egypte, mais il se heurte à leur intransigeance. - Pendant la 5ème croisade, Saint François d’Assise se rend auprès du sultan d’AlKamil. Considérant Saint François comme un ambassadeur, le Sultan renouvelle l’offre d’échanger Jérusalem contre Damiette, mais se heurte encore au refus des croisés. Ceuxci marchent sur Le Caire et perdent la bataille. 1- Al-Kamil a négocié une paix de dix ans avec Frédéric II et restitua Jérusalem et d'autres lieux saints aux Croisés. Le traité de 1229 est unique dans l'histoire des croisades. Par voie diplomatique, et sans grande confrontation militaire, Jérusalem, Bethléem, et un couloir, qui relie Jérusalem à la mer, ont été cédés au royaume de Jérusalem. 2- Au 8eme siècle, l’alliance entre Harun El Rashid, le calife abbasside de Baghdâd et Charlemagne, prouve que la voie diplomatique est possible. A cela il faut mentionner les faiblesses qui ont accompagné les croisades : j’en mentionne deux seulement. 1. Les croisés n’ont pas su faire des alliances avec leurs voisins mais ont créé des ghettos chrétiens, entourés d’ennemis. Ils ont voulu a un certain moment faire une alliance avec les Mongoles, pourquoi n’ont-ils pas réussi à nouer une alliance avec les byzantins? 5. Des décisions irraisonnables comme la 8ème croisade qui a décidé d’attaquer la Tunisie alors que la Tunisie n’avait rien à faire avec la Terre Sainte ou comme la 4ème croisade qui a décidé d’attaquer Constantinople pour créer un royaume latin. 5. Les croisés se sont intéressés plus aux lieux saints qu'aux chrétiens locaux de la Terre Sainte, qui étaient de rite syriaque, plus à un royaume latin et franc qu'à un royaume chrétien. Heureusement qu’aujourd'hui les choses changent. On s'intéresse et on respecte la communauté locale autant que les lieux saints. Je veux revenir au présent. Les croisades ont créé en Orient un sentiment anti-européen et anti-chrétien. Les chrétiens locaux ont beaucoup perdu. Bon gré mal gré, on identifie souvent l’Occident au christianisme. C’est pourquoi l’invasion américaine de l’Iraq en 2003 avait été appelée croisade. De même la coalition formée par les EU, les pays européens et quelques pays arabes contre l’Etat islamique. Conclusion Les croisades, comme la conquête musulmane d’une partie de l’Europe, sont une expérience triste dans les relations islamo-chrétiennes. La blessure créée par ces guerres de religions a laissé une cicatrice dans la mémoire des musulmans. Les croisades n’ont pas réalisé leur but, mais ont affaibli plus tard la présence chrétienne en Terre Sainte et au Moyen Orient. L’Europe aurait dû soutenir cette présence par des moyens diplomatiques plutôt que violents. Mais cela ne nuit pas à l’image de Louis IX qui était un personnage consciencieux, honnête, détaché, compatissant envers les pauvres et pieux. C’est grâce à lui que la couronne d’épines se trouve à Paris. C’est grâce à lui si les villes côtières de la Palestine ont été renforcées pour empêcher l’écroulement de ce qui restait du royaume de Jérusalem. Et c’est grâce à lui que nous nous trouvons ici aujourd’hui. Que peut-on apprendre de l’expérience des croisades? Il faut recourir au dialogue et à l'amitié et non aux antagonismes et au conflit. Il faut dialoguer avec les musulmans et les juifs. Les aider à s'ouvrir par la culture, à la liberté religieuse et la liberté de conscience. On peut dialoguer avec l'islam car Il y a un Islam modéré, différent de l'Organisation de l'Etat Islamique qui tue au nom de Dieu et d'une idéologie intolérante. En Terre Sainte nous dialoguons ouvertement avec les juifs et les musulmans, et conservons de bons rapports. Ce qui justifie un tel dialogue sont les valeurs communes entre les trois religions monothéistes, et qui sont nombreuses. Pendant les derniers événements douloureux à Jérusalem, les chefs des églises chrétiennes ont rendu visite aux autorités de Al Aqsa et à la synagogue Har nof, qui a été le théâtre d'un massacre brutal commis par deux Palestiniens, en représailles d'autres attentats commis par des Israéliens. Nos deux visites étaient fortement attendues. Les deux communautés savent que nous sommes un pont de paix. Pour conclure, je voudrais affirmer que les croisades, menées par saint Louis, étaient la réflexion de la mentalité de son temps, qui croyait en les guerres saintes et qui cherchait le martyre. S'il avait vécu aujourd'hui, il aurait été, grâce à son honnêteté et à sa douceur, un champion du dialogue interreligieux. Mgr William Shomali Versailles, le dimanche 23 novembre 2014