nouvelle preuve que je suis un factieux

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Adresse de Maximilien Robespierre aux Français (été 1791)
On me force à défendre à la fois mon honneur et ma patrie. Je remplirai cette double tâche. Je
remercie mes calomniateurs de me l'avoir imposée. Ils m'ont dénoncé clandestinement, et cependant
dans toutes les parties de l'empire, comme un factieux, comme un ennemi de la Constitution. Ce ne
sont pas des adversaires faibles, des calomniateurs vulgaires qui me poursuivent ; c'est une faction
qui se flatte de dominer au sein de l'Assemblée nationale, et qui se croit toute-puissante dans l'État;
ce n'est pas moi qu'ils attaquent ; ce sont mes principes, c'est la cause du peuple qu'ils veulent
accabler, en opprimant tous ses défenseurs. Me ravir à la fois les moyens de servir mon l'honneur,
c'est trop d'atrocités réunies ; s'il faut que je voie la liberté succomber sous leurs efforts, je veux du
moins, en périssant pour elle, laisser à la postérité un nom sans tache, et un exemple que les
honnêtes gens puissent imiter. Nation souveraine, nation digne d'être heureuse et libre, c'est à vous
qu'il appartient de juger vos représentants ; c'est devant vous que je veux défendre ma cause et la
vôtre ; c'est à votre tribunal que j'appelle mes adversaires. Il est temps qu'ils comparaissent aussi
devant vous. Je vais vous dévoiler par quelles trames l'intrigue sait accabler l'innocence et mettre la
liberté en péril. Après m'être justifié moi-même, je développerai à vos yeux la véritable cause des
maux que ma patrie a déjà soufferts, et de ceux qui la menacent encore.
Avant tout, qu'il me soit permis d'invoquer une règle assez sûre pour me juger. Si je puis rapporter
toute ma conduite à un principe unique, et que ce principe soit honnête et pur, de quel front mes
adversaires pourraient-ils lui chercher des motifs coupables et me mettre au rang des ennemis de la
patrie ? Or je vais ici leur révéler moi-même tout le secret de cette raideur inflexible qui leur a tant
déplu, et qu'ils ont érigée en crime, depuis qu'ils se croient assez forts pour m'opprimer.
Les principes que j'ai apportés à l'assemblée des représentants du peuple, et que j'ai constamment
soutenus (j'en atteste la France entière), sont ceux que l'Assemblée nationale a solennellement
reconnus, par la déclaration des droits, comme les seules bases légitimes de toute constitution
politique et de toute société humaine. J'avoue que je n'ai jamais regardé cette déclaration des droits
comme une vaine théorie, mais bien comme des maximes de justice universelles, inaltérables,
imprescriptibles, faites pour être appliquées à tous les peuples. J'ai vu que le moment de fonder sur
elles le bonheur et la liberté de notre patrie était arrivé, et que, s'il nous échappait, la France et
l'humanité entière retombaient pour la durée des siècles dans tous les maux et dans tous les vices qui
avaient presque partout dégradé l'espèce humaine ; et j'ai juré de mourir, plutôt que de cesser un
instant de les défendre.
J'ai cru que le pouvoir du despotisme et les malheurs des nations n'étant autre chose que la violation
des droits impérissables de l'homme, et le renversement des lois sacrées de la nature, la véritable
mission des représentants du peuple était de ramener la législation à ce principe. J'ai cru que si la
politique des despotes ou de leurs agents était différente ou ennemie de la morale, celles des
fondateurs de la liberté ne pouvait être que la morale même ; qu'ainsi, loin de prendre pour règles la
fausse prudence, les maximes lâches et perfides des premiers, nous ne devions nous confier qu'à
l'autorité de la raison et à l'ascendant de la vertu ; qu'au lieu de rabaisser les âmes des Français aux
préjugés, aux habitudes de l'ancien gouvernement, il fallait les redresser à la hauteur des âmes libres.
Je n'ai cru ni aux principes ni au génie de ceux qui se donnant pour des hommes d'État, parce qu'ils
n'étaient ni philosophes, ni justes, ni humains affectaient de se défier ou du bon sens ou du
patriotisme des Français, pour prolonger éternellement parmi nous l'ignorance et la servitude. Loin
d'adopter leurs transactions éternelles avec la raison et la vérité, j'ai vu qu'il était plus facile à
l'Assemblée nationale de fonder la liberté, que de rétablir le despotisme; j'ai vu que dépositaire du
pouvoir souverain, victorieuse de toutes les tyrannies qui avaient disparu devant la majesté du peuple,
environnée de la confiance et de la force d'une grande nation, il ne lui restait qu'à seconder cet élan
généreux qui portait les Français vers la liberté ; qu'en réprimant les complots de l'aristocratie
déconcertée, en protégeant les faibles opprimés, en punissant les oppresseurs puissants, en
déployant, envers le dépositaire provisoire du pouvoir exécutif, la dignité qui convenait aux
représentants du souverain ; enfin, en présentant aux peuples des lois toujours puisées dans les
principes éternels de la justice, toujours conformes à l'intérêt général, elle eût bientôt établi et
consolidé les bases de la régénération et de la félicité publique. Mais si des ambitieux, étrangers par
leur caractère et par leur éducation au sentiment de l'égalité et à l'amour du peuple, venaient se mêler
à ses représentants pour les tromper et pour les diviser, s'ils osaient se déclarer les chefs de la
Révolution, pour la diriger vers leur but particulier, par toutes les manœuvres de l'intrigue et par tous
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les artifices des cours, j'ai pensé qu'on verrait bientôt les ennemis de la liberté dominer sous le
masque du civisme ; que composant sans cesse avec les principes, donnant aux vices et aux
préjugés le temps de se réveiller, nous arriverions de faiblesse en faiblesse, et d'erreur erreur, à un
état à peu près tel que le premier ; que l'ancien despote toujours ménagé, toujours caressé, toujours
adoré, recouvrant promptement des moyens immenses de force et séduction, ralliant autour de lui
tous les ennemis déclarés et secrets de la cause publique, semant la division et la corruption audedans, entretenant des intelligences coupables au-dehors, nous forcerait bientôt à reprendre nos
chaînes, ou à acheter, au prix du sang, la liberté, que nous avions conquise par la seule force de la
raison.
Pénétré de ces idées, j'ai pensé que tous les décrets de l'Assemblée nationale, que toutes mes
opinions du moins ne devaient être que les conséquences de ce double principe, auquel peut se
réduire la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, L'EGALITE DES DROITS ET LA
SOUVERAINETE DE LA NATION.
J'ai cru que l'égalité des droits devait s'étendre à tous les citoyens. J'ai cru que la nation renfermait
aussi la classe laborieuse, et tous sans distinction de fortune. Je savais que ceux qui étaient les
premières victimes des injustices humaines ne pouvaient être étrangers aux soins de ceux qui étaient
envoyés pour les réparer ; je savais que j'étais le représentant de ceux-ci, au moins autant que des
autres ; et, s'il faut que je l'avoue, je tenais à leurs intérêts par ce sentiment impérieux qui nous porte
vers les hommes faibles, qui m'avait toujours attaché à la cause des malheureux, autant que par la
connaissance raisonnée de mes devoirs.
J'ai donc appliqué ces principes simples et féconds à tous les objets de nos délibérations.
[...]
Le même principe de la souveraineté nationale m'a conduit à penser que l'autorité de la nation n'était
pas une vaine fiction ; mais un droit sacré qui devait être réalisé ; j'en ai conclu que l'autorité des
mandataires du peuple avait des bornes déterminées par les droits imprescriptibles du souverain ; que
tout acte contraire à ces droits ne pouvait être légitime ; que les représentants ne pouvaient déclarer
constitutionnel que ce qui l'était par la nature même des choses, et non ce qu'il convenait à quelquesuns d'appeler ainsi, encore moins ce qui était opposé aux principes de toute constitution libre ; qu'il
devait exister, pour toute nation, des moyens constitutionnels de les réclamer et de faire entendre, au
moins dans certains cas, sa volonté suprême ; que l'indépendance absolue des représentants vis-àvis du souverain et le pouvoir illimité de violer impunément les droits du peuple, étaient un monstre
dans l'ordre moral et politique.
Quant au monarque, je n'ai point partagé l'effroi que le titre de roi a inspiré à presque tous les peuples
libres. Pourvu que la nation fût mise à sa place, et qu'on laissât un libre essor au patriotisme que la
nature de notre Révolution avait fait naître, je ne craignais pas la royauté, et même l'hérédité des
fonctions royales dans une famille ; j'ai cru seulement qu'il ne fallait point abaisser la majesté du
peuple devant son délégué, soit par des adorations serviles, soit par un langage abject. J'ai cru qu'il
ne fallait point se hâter de lui prodiguer, ni assez de forces pour tout opprimer, ni assez de trésors
pour tout corrompre, si on ne voulait pas que la liberté pérît avant que la Constitution même fût
achevée. Tels furent les principes de toutes mes opinions si les parties principales de l'organisation du
gouvernement : elles pouvaient n'être que des erreurs, mais, à coup sûr, ce ne sont point celles des
esclaves ni des tyrans.
[...]
La société séante aux Jacobins, sacrifiant à l'amour de la paix non seulement ses injures, mais même
son éloignement pour les principes des chefs de la scission, fait faire deux fois au club des Feuillants1
l'invitation la plus pressante de se réunir à elle ; deux fois elle est repoussée avec dédain; et on lui
signifie une délibération définitive, portant qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'objet de sa demande. Il
n'est pas de moyen méprisable qui n'a été employé pour l'avilir ; il suffit de citer un seul trait : celui-là
même qui avait proposé la motion qui était le prétexte de toute les calomnies (M. Laclos) lui signifia
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Une circonstance bien propre à faire connaître l'esprit de cette institution c'est que les courriers
extraordinaires dépêchés dans toute la France à l’occasion, étaient porteurs à la fois du discours de
M. Duport, député, en faveur du roi, et de dépêches du ministre de l'intérieur (note de Robespierre).
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qu'il se séparait d'elle. Quelle ample matière ce procédé n'offre-t-il pas aux réflexions ! Pour moi, qui
m'étais défié de la pétition, j'ai cru, comme plusieurs de mes collègues, que je devais défendre contre
l'injustice de ses ennemis une société utile et animée par l'amour du bien public ; nous avons cru que
le temps de la persécution était celui où nous devions lui rester plus fermement attachés.
Nous ne doutons pas même que bientôt la vérité ne ramène dans son sein les honnêtes gens que
l'erreur et l'intrigue en ont éloignés. Déjà, au moment où j'écris, ce présage a été réalisé en partie ;
nous savons que plusieurs députés patriotes ne sont restés au club des Feuillants que pour balancer
la dangereuse influence des chefs de factions.
Cependant, tandis que ce plan de proscription s'exécutait au-dehors contre les plus zélés partisans de
la liberté, nos ennemis déployaient toute leur influence, au sein même de l'Assemblée nationale, pour
le soutenir, et pour confirmer tous les odieux soupçons qu'ils s'efforçaient de répandre sur notre
conduite.
Dès le lendemain de la fatale journée, ils proposent avec éclat de mander à la barre le département,
la municipalité, les accusateurs publics, pour leur enjoindre de déployer toute leur autorité contre les
factieux dont on prétendait que nous étions les chefs ; on ne cesse dès ce moment de sonner
l'alarme, de présager de nouvelles émeutes ; on va jusqu'à désigner le jour où elles doivent avoir lieu ;
on ne cesse d'étaler l'appareil menaçant de la force militaire ; rien n'est oublié pour éterniser la
défiance, pour rendre le peuple suspect et redoutable aux yeux de ses propres représentants. Le
drapeau rouge reste encore déployé au moment où j'écris, après quinze jours de calme ; on parle
sans cesse de brigands, d'étrangers qui fomentent nos troubles ; et il est à observer que tous les
pamphlets répandus contre nous semblaient particulièrement destinés à nous peindre comme les
chefs d'un parti soudoyé par la Prusse et l'Angleterre. Oui, citoyens, ceux qui ont dédaigné l'or des
despotes de leur pays, ceux qui n'ont pas voulu puiser dans cette source immense de richesses
ouverte par notre système financier à la cupidité de tant de vampires publics, ceux que l'on veut
perdre, parce qu'on ne peut les acheter, sont soudoyés par le despote de la Prusse et par les
aristocrates Anglais pour défendre, depuis l'origine de la Révolution, aux dépens de leur repos et au
péril de leurs vies, les principes éternels de la justice et de l'humanité, pour lesquels ils combattaient
avant la Révolution même, et qui font aujourd'hui la terreur de tous les despotes et de tous les
aristocrates du monde !
Est-ce dans cet esprit que, le lendemain de la journée du Champ-de-Mars, M. Barnave faisait
intervenir toute la puissance de l'Assemblée nationale pour animer l'activité des tribunaux contre ceux
qu'il regardait comme coupables de ce qu'il appelait la sédition ?
Est-ce dans cet esprit que, dans la même séance, M. Lameth, alors président, fit lire une adresse
dirigée contre moi par le directoire de Melun et par la municipalité de Brie-Comte-Robert, que j'avais
dénoncés comme coupables de grandes vexations, à la prière des patriotes persécutés de cette
contrée ? Sont-ce les lieux communs sur les factieux, sur l'anarchie, rédigés évidemment dans l'esprit
du jour, qui valurent à cette adresse la faveur d'être lue, lorsque tant de pétitions intéressantes sur
l'affaire du roi, sur le décret du Marc d'argent, sur le droit de pétition, sur la liberté de la presse, sur
l'organisation de gardes nationales, sur la nécessité de mettre l'empire en meilleur état de défense
sont demeurées ensevelies dans un éternel silence ?
Est-ce dans le même esprit qu'ont été recueillies si promptement, et applaudies avec tant de
transport, toutes ces adresses de directoires, qui, en vantant les principes des sept Comités sur
l'affaire du roi, ne manquent pas d'insulter ceux qui ont soutenu l'opinion contraire, par les termes
banaux de républicanisme et de factions, répétés avec tant de fidélité que nos adversaires euxmêmes n'auraient pas pu mieux les rédiger. Certes ! nous sommes bien éloignés de désirer que la
France se divise sur cette grande question ; nous nous soumettons sincèrement comme membres de
l'Assemblée et comme individus à ce qu'elle a statué, à ce qu'elle pourra statuer encore à cet égard
mais nous ne pouvons reconnaître aux directoires le droit de tenir la balance entre les représentants
de la nation ; le respect dû aux principes et aux droits du peuple nous force à observer ici que la
Constitution, resserrant leur autorité dans la sphère des fonctions administratives, ne les a pas
institués les organes de la volonté générale, que le patriotisme, que la raison, que le vœu, que l'intérêt
d'un si grand peuple ne peut être représenté par celui de quelques membres composant tels ou tels
directoires, que la constitution même des corps administratifs soumet jusqu'à présent à l'autorité
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immédiate et presque absolue du ministère2. Enfin nous avertissons la nation que dès le moment où
les directoires se seront substitués aux assemblées primaires la Constitution sera détruite et la liberté
perdue.
Au reste quelle idée nos adversaires ont-ils donnée de leurs principes, lorsqu'au milieu des
applaudissements immodérés qu'ils prodiguaient à ces écrits, l'un d'eux s'écria ironiquement, avec
autant de délicatesse que de dignité : Eh ! Messieurs, n'accablons pas les vaincus 3 ! lorsque peu de
temps après un autre membre sembla se prévaloir des circonstances pour proposer un projet de
décret destructif de la liberté de la presse ; lorsque M. Pétion, digne sans doute par l'immuable
constance de son attachement aux principes, d'être rangé parmi les factieux, prenant la parole pour le
combattre, fut accueilli, par des murmures dont son courage et sa vertu triomphèrent.
Aurais-je aussi perdu le droit de donner mon suffrage, que je tiens de l'autorité souveraine de la
nation, par la raison que je ne veux pas le prostituer à l'intrigue ? Pourquoi donc fus-je arrêté par des
cris qui demandaient la fin d'une discussion importante à peine commencée, lorsque je parus à la
tribune pour repousser un décret proposé par les Comités de Constitution et de Judicature ? et quel
décret. Celui qui allait créer un tribunal prévôtal, une odieuse commission pour expédier en dernier
ressort tous ceux qui seraient impliqués dans les derniers événements. Ce décret fut repoussé par
l'énergie de quelques bons citoyens, et par la sagesse de l'Assemblée 4 : mais quelle lumière la
proposition qui en fut faite ne répand-elle pas sur les desseins des factieux ? A quoi tint-il qu'ils ne
l'emportassent la veille par leurs clameurs, lorsque l'ajournement au lendemain leur fut arraché par la
courageuse résistance de quelques orateurs patriotes ?
Quel pouvait être leur but, si ce n'est de faire juger cette affaire selon leurs vues, avant que le temps
eût pu dissiper les nuages dont l'intrigue l'avait enveloppée, si ce n'est de frapper à la hâte les
victimes désignées, avant que l'innocence eût pu démasquer la calomnie ? Eh ! quelles étaient ces
victimes ? Ne serait-ce pas quelques patriotes ardents accusés d'exagération, des écrivains
redoutables par leur énergie, en qui on déteste peut-être plus ce qu'il y a d'utile que ce qu'il peut y
avoir d'excessif, contre lesquels sont dirigées toutes les déclamations qu'on épargne aux défenseurs
de la tyrannie ? Que serait-ce si la rage des factions avait été jusqu'à concevoir l'idée de quelque
crime judiciaire contre les membres de l'Assemblée nationale, dont elles abhorrent le courage
inflexible ? Que dis-je ! ne fut-il pas un moment où l'on crut à quelque trame secrète de cette nature,
où, dans certains comités ténébreux, certains chefs de parti, au fort de leur triomphe, osaient dire qu'il
faudrait peut-être me faire le procès? N'a-t-on pas assuré que j'ai été l'objet d'une dénonciation
ensevelie dans les ténèbres du Comité de Recherches? Serait-il vrai qu'on aurait eu la pensée de
présenter une occasion solennelle de mettre au jour tant mystères d'iniquité? Serait-il vrai qu'il y eût
entre le mois juillet 1789 et le moment où j'écris un intervalle si immense que les ennemis de la nation
eussent pu se livrer à l'espoir de traiter ses défenseurs en criminels ? Eh ! pourquoi ces derniers
n'auraient-ils pas mérité de boire la ciguë ? Nous manquerait-il des Critias et des Anitus ? Le
philosophe athénien avait-il plus que nous offensé les grands, les pontifes, les sophistes, tous les
charlatans politiques ? N'avons-nous pas aussi mal parlé des faux dieux et cherché à introduire dans
Athènes le culte de la vertu, la justice et de l'égalité ? Ce n'est point de conspirer contre la patrie qui
est un crime aujourd'hui, c'est de la chérir avec trop d'ardeur ; et puisque ceux qui ont tramé sa ruine,
ceux qui ont porté les armes contre elle, puisque enfin tous ceux qui ont constamment juré fidélité à la
tyrannie contre la nation et contre l'humanité, sont traités favorablement, il faut bien que les vrais
Pour apprécier la justesse de cette observation, on peut voir les décrets sur l’organisation des corps
administratifs et du ministère (note de Robespierre).
3 M. Dandré (note de Robespierre).
4 La vérité triompha, dès qu'il fut soumis à une discussion solennelle. Je voudrais que l'on pût savoir
gré à M. Dandré d'avoir demandé lui-même le lendemain que la disposition qui portait que la
commission jugerait en dernier ressort fût effacée, quoiqu'il ait donné cependant beaucoup de raisons,
très faibles au moins, pour l'établissement de la commission en elle-même ; mais l'opinion de
l'Assemblée n'était plus douteuse alors; mais j'étais à la tribune, j'allais parler, et on croyait gagner
quelque chose à m'ôter cette occasion de jeter quelques lumières sur les trames dont nos
calomniateurs nous avaient investis ; mais la veille il ne s'était point opposé à l'admission précipitée et
irréfléchie de ce projet.
C'est à regret que je parle quelquefois des individus ; mais ce sont les individus qui dans les grandes
crises décident du salut public (note de Robespierre).
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coupables soient ceux qui ont défendu constamment l'autorité souveraine de la nation et les droits
inaliénables de l'humanité. Avec de l'or, des libelles, des intrigues et des baïonnettes, que peut-on
pas entreprendre ! toutes ces armes sont entre les mains de nos ennemis ; et nous, hommes simples,
faibles, isolés nous n'avons pour nous que la justice de notre cause, notre courage,et le vœu des
honnêtes gens.
O ma patrie ! j'atteste le ciel que ce n'est point là le soin qui m'occupe ! si je pouvais du moins rendre
les derniers jours de ma mission utiles à ton bonheur et à ta gloire ! Mais, quelle espèce de service
m'est-il permis de te rendre encore ? Réclamerai-je les principes de la justice et les droits du peuple,
quand nos ennemis me défendent de prononcer son nom, sous peine de fournir une nouvelle preuve
que je suis un factieux ? Dévoilerai-je les dangers qui menacent la liberté, ils m'accuseront d'ébranler
les bases de la Constitution, et de jeter l'alarme dans les esprits ? Si je me tais, je trahis mon devoir et
ma patrie : si je parle, j'appelle sur moi toutes les calomnies et toutes les fureurs des factions.
N'importe ; ô mes concitoyens ! il me reste encore ce dernier sacrifice à vous faire ; et, convaincu
comme je le suis que ce qui nous perd c'est l'ignorance et la fausse sécurité que l'intrigue et le
charlatanisme ne cessent d'entretenir au milieu de nous, je finirai cet écrit, en développant les
véritables causes de nos maux.
La cause de nos maux n'est point dans les vaines menaces de cette poignée d'aristocrates déclarés,
trop faible pour lutter contre la force de la nation, qui méprise depuis longtemps leurs préjugés et leurs
prétentions.
Elle est, dans la politique artificieuse de ces aristocrates déguisés sous le masque du patriotisme, liés
secrètement avec les autres pour surprendre sa confiance et pour l'immoler à leur ambition.
La cause de nos maux n'est pas dans les réclamations des citoyens zélés contre les abus d'autorité
de tels ou tels fonctionnaires publics.
Elle est dans la cupidité ou dans l'incivisme de ces fonctionnaires publics, qui veulent étouffer la voix
de la vérité, pour opprimer ou pour trahir impunément les citoyens qui les ont choisis.
La cause de nos maux n'est pas dans l'énergie des bons citoyens, dans le civisme des sociétés
populaires, ni même dans la fougue de tel ou tel écrivain patriote.
Elle est dans les entraves mises à la liberté de la presse, qui n'est illimitée que pour les défenseurs de
la tyrannie, pour les calomniateurs de la liberté et de la nation.
Elle est dans les tracasseries suscitées depuis longtemps à ceux qui ont signalé leur courage dans la
Révolution ; dans la faveur constante accordée par le gouvernement aux citoyens équivoques, aux
hommes puissants de l'Ancien Régime, qui contraste scandaleusement avec le délaissement, avec le
déni de justice qu'ont éprouvé les citoyens sans crédit et sans fortune.
Elle est dans ces clubs antipopulaires ; elle est dans ce système machiavélique, inventé pour étouffer
l'esprit public dans sa naissance, pour nous ramener, par une pente insensible, sous le joug des
préjugés et des habitudes servies dont nous n'étions pas encore entièrement affranchis; elle est dans
cet art funeste d'éluder tous les principes par des exceptions, de violer les droits des hommes par un
raffinement de sagesse, d'anéantir la liberté par amour de l'ordre, de rallier contre elle l'orgueil des
riches, la pusillanimité des esprits faibles et ignorants, l'égoïsme de ceux qui préfèrent leur vil intérêt
et leurs lâches plaisirs au bonheur des hommes libres et vertueux, et qui regardent les moindres
agitations inséparables de toute révolution comme la destruction de la société, comme le
bouleversement de l'univers.
La cause de nos maux n'est pas dans les complots des brigands dont on ne cesse de nous faire peur,
et qui ne se montrent nulle part. Il serait trop dérisoire de prétendre que des troupes de brigands
pourraient lutter et contre la masse des citoyens qui ne sont point un ramas de brigands, mais qui en
sont les ennemis par intérêt et par principes, et contre les armées de gardes nationales qui couvrent la
surface de l'empire.
Elle est, dans ce plan formé, et suivi avec une funeste obstination, de trouver dans ces vaines alarmes
un prétexte de rendre toujours la classe laborieuse appelée peuple suspecte aux autres citoyens,
parce qu'il est le véritable appui de la liberté ; elle est dans les semences de division et de défiance
que l'on jette entre les différentes classes de citoyens, pour les opprimer toutes.
Elle est, si l'on veut, en partie, dans les brigands de la cour, qui abusent de leur puissance pour nous
opprimer, dans cette illustre populace qui ose flétrir le peuple de ce nom, les seuls à qui l'on ne fasse
pas une guerre sérieuse, et dont tous les attentats restent impunis. Je crois bien aussi à des brigands,
à des étrangers conspirateurs, mais je suis aussi convaincu que ce sont nos ennemis intérieurs qui les
secondent et qui les mettent en action. Je crois que le véritable secret de leur atroce politique est de
semer eux-mêmes les troubles, et de nous susciter des dangers, en même temps qu'ils les imputent
aux bons citoyens, et s'en font un prétexte pour calomnier et pour asservir le peuple.
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La cause de nos maux n'est pas dans la perfidie et dans les complots de la cour ; elle est dans la
stupide sécurité par laquelle nous les avons nous-mêmes favorisés, en lui fournissant sans cesse de
nouveaux trésors et de nouvelles forces contre nous.
La cause de nos maux n'est pas dans les mouvements des puissances étrangères qui nous
menacent; elle est dans leur concert avec nos ennemis intérieurs ; elle est dans cette bizarre situation
qui remet notre défense et notre destinée dans les mains de ceux qui les arment contre nous ; elle est
dans la ligue de tous les factieux, réunis aujourd'hui pour nous donner la guerre ou la paix, pour
graduer nos alarmes ou nos calamités, selon les intérêts de leur ambition, pour nous amener, par la
terreur, à une transaction honteuse avec l'aristocratie et le despotisme, dont le résultat sera une
espèce de contribution favorable à tous les intérêts, excepté à l'intérêt général, et dont le prix sera la
perte des meilleurs citoyens. Elle est encore dans l'occasion que leur fournissent ces menaces de
guerre, de nous placer dans cette alternative, ou de négliger la défense de l'État, ou de compromettre
la Constitution et la liberté, en levant des armées formidables, en réduisant la force active des gardes
nationales à des corps d'armées particuliers, qui peuvent devenir un jour redoutables à l'une et à
l'autre.
La cause de nos maux n'est pas non plus dans la grandeur des charges de l'État, ni dans la difficulté
de percevoir les impôts, dont on a toujours cherché à nous effrayer, malgré le zèle des citoyens pour
les payer.
Elle est dans la déprédation effrayante de nos finances ; elle est dans la licence effrénée de l'agiotage
le plus impudent, qui a fait naître la détresse publique du sein même de notre nouvelle richesse
nationale ; elle est dans la facilité donnée à la cour et aux ennemis de notre liberté d'engloutir tout
notre numéraire, de piller à loisir le trésor public, dont ils ne rendent aucun compte, et de prodiguer le
sang du peuple, pour lui acheter des ennemis, des calamités, des trahisons et des chaînes. Enfin la
cause de nos maux est dans la combinaison formidable de tous les moyens de force, de séduction,
d'influence, de conspiration contre la liberté ; elle est dans les artifices inépuisables, elle est dans la
perfide et ténébreuse politique de ses innombrables ennemis ; elle est plus encore dans notre
déplorable frivolité, dans notre profonde incurie, dans notre stupide confiance.
Est-il un remède à tant de maux ? Pour moi, je crois que dans les grandes crises de cette nature il n'y
a que les grandes vertus qui puissent sauver les nations, et je ne suis pas du nombre de ceux qui,
jugeant la nation par eux-mêmes ou par leurs pareils, pensent qu'elles sont étrangères à la France. Il
suffit de ne point les écarter. Notre destinée, et celle du monde entier, est attachée, en grande partie,
au choix des nouveaux représentants de la nation. Si l'activité des cabales, si l'influence de la cour et
des factions, l'emportent dans les élections sur l'intérêt public ; si les intrigants et les ambitieux, si les
citoyens faibles ou égoïstes ont élus sous le titre d'hommes sages et modérés, si les citoyens
vertueux et zélés pour les droits du peuple et pour le bonheur public sont éloignés par les calomnies
dont les plus lâches et les plus corrompus des nommes cherchent à flétrir le courage et le
dévouement à la patrie ; vous verrez une législature faible ou perverse se liguer avec nos anciens
tyrans, pour rétablir sous des formes nouvelles le pouvoir du despotisme et de l'aristocratie. Si de
nouveaux incidents que les ambitieux pourraient faire naître reculaient encore l'époque de la formation
de la nouvelle assemblée représentative, il serait impossible de calculer les suites des cet événement
; mais qu'elle arrive avec des sentiments et des principes dignes de sa mission ; qu'elle renferme dans
son sein seulement dix hommes d'un grand caractère, qui sentent tout ce que leur destinée a
d'heureux et de sublime, fermement déterminés à sauver la liberté, ou à périr avec elle, et la liberté
est sauvée5.
5
C'est un grand malheur, à mon avis, que la nomination des députés ait été différée jusqu'à une
époque où les ennemis de la liberté ont eu le temps de cabaler, de calomnier, de diviser les esprits, et
qu'elle ait lieu au moment où ils ont égaré l'opinion dans plus d'une contrée par leurs dernières
manœuvres. C'est au zèle des bons citoyens à réparer ces inconvénients, en démêlant les ruses du
charlatanisme, en faisant sentir aux électeurs des campagnes surtout la nécessité de se rendre
exactement aux assemblées, d'où leurs travaux dans ce moment auraient pu les détourner (note de
Robespierre).
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