societe et etat

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SOCIETE :
Pour Aristote c’est un fait évident : « l’homme est par nature un animal politique ». L’individu n’existe
donc pas antérieurement à la cité ni indépendamment d’elle, pas davantage par exemple nous dit-il
qu’une main par rapport au corps tout entier. Ne pas être membre d’une communauté pour un homme
c’est dès lors être « une brute ou un dieu ».
La communauté constituée par la nature pour la satisfaction des besoins de chaque jour est la famille. [...]
D'autre part, la première communauté formée de plusieurs familles en vue de la satisfaction de besoins qui ne
sont plus purement quotidiens, c'est le village [...]
Enfin, la communauté formée de plusieurs villages est la cité, au plein sens du mot; elle atteint dès lors, pour
ainsi parler, la limite de l'indépendance économique: ainsi, formée au début pour satisfaire les seuls besoins
vitaux, elle existe pour permettre de bien vivre.
C'est pourquoi toute cité est un fait de nature, s'il est vrai que les premières communautés le sont elles-mêmes.
Car la cité est la fin de celles-ci, et la nature d'une chose est sa fin, puisque ce qu'est chaque chose une fois
qu'elle a atteint son complet développement, nous disons que c'est là la nature de la chose, aussi bien pour un
homme, un cheval ou une famille. En outre, la cause finale, la fin d'une chose, est son bien le meilleur, et la
pleine suffisance est à la fois une fin et un bien par excellence.
Ces considérations montrent donc que la cité est au nombre des réalités qui existent naturellement et que
l'homme est par nature un animal politique. [...]
Aristote ,La Politique, livre I, chap.. 2, trad. J. Tricot. Ed. Vrin,
C’est très exactement ce que semble contester Hobbes, qui part dès lors d’un tout autre présupposé. On
retrouve sensiblement la même idée chez Spinoza.
La plupart de ceux qui ont écrit touchant les républiques, supposent ou demandent, comme une chose qui ne leur
doit pas être refusée, que l'homme est un animal politique,, selon le langage des Grecs, né avec une certaine
disposition naturelle à la société. Sur ce fondement-là ils bâtissent la doctrine civile; de sorte que pour la
conservation de la paix, et pour la conduite de tout le genre humain, il ne faut plus rien sinon que les hommes
s'accordent et conviennent de l'observation de certains pactes et conditions, auxquelles alors ils donnent le titre
de lois. Cet axiome, quoique reçu si communément, ne laisse pas d'être faux, et l'erreur vient d'une trop légère
contemplation de la nature humaine. Car si l'on considère de plus près les causes pour lesquelles les hommes
s'assemblent, et se, plaisent à une mutuelle société, il apparaîtra bientôt que cela n'arrive que par accident, et non
pas par une disposition nécessaire de la nature. En effet, si les hommes s'entr'aimaient naturellement, c'est-à-dire
en tant qu'hommes, il n'y a aucune raison pourquoi chacun n'aimerait pas le premier venu, comme étant autant
homme qu'un autre; de ce côté-là, il n'y aurait aucune occasion d'user de choix et de préférence. Je ne sais aussi
pourquoi on converserait plus volontiers avec ceux en la société desquels on reçoit de l'honneur ou de l'utilité,
qu'avec ceux qui la rendent à quelque autre. Il en faut donc venir là, que nous ne cherchons pas de compagnons
par quelque instinct de la nature; mais bien l'honneur et l'utilité qu'ils nous apportent; nous ne désirons des
personnes avec qui nous conversions, qu'à cause de ces deux avantages qui nous en reviennent.
Hobbes, De Cive (Le Citoyen ou les fondements de la politique) Section première, Chapitre premier, II
Il n’en demeure pas moins que l’objet essentiel de la philosophie politique de Hobbes est de penser un
« pacte d’association » si bien qu’objectivement, même si cela n’affleure pas nécessairement à la
conscience subjective des individus, l’existence d’une société et d’un Etat répond à une rationalité
incontournable. L’existence de fait d’une société civile, dans laquelle des individus concrets contractent et
échanges met un terme à la fable d’un quelconque état de nature. Mais l’affirmation de la nécessité de
l’Etat va encore plus loin, elle indique que l’appartenance à cette société ne peut seulement répondre au
désir de satisfaire des intérêts privés. C’est ce que Hegel explique dans le texte suivant.
L'État, comme réalité en acte de la volonté substantielle, réalité qu'elle reçoit dans la conscience particulière de
soi universalisée, est le rationnel en soi et pour soi: cette unité substantielle est un but propre absolu, immobile,
dans lequel la liberté obtient sa valeur suprême, et ainsi ce but final a un droit souverain vis-à-vis des individus
dont le plus haut devoir est d'être membres de l'État.
Si on confond l'État avec la société civile et si on le destine à la sécurité et à la protection de la propriété et de la
liberté personnelles, l'intérêt des individus en tant que tels est le but suprême en vue duquel ils sont rassemblés et
il en résulte qu'il est facultatif d'être membre d'un État. Mais sa relation à l'individu est tout autre; s'il est l'esprit
objectif, alors l'individu lui-même n'a d'objectivité, de vérité et de moralité que s'il en est un membre.
L'association en tant que telle est elle-même le vrai contenu et le vrai but, et la destination des individus est de
mener une vie collective; et leur autre satisfaction, leur activité et les modalités de leur conduite ont cet acte
substantiel et universel comme point de départ et comme résultat.
Friedrich Hegel, Principes de la philosophie du droit (1821).
En quoi l’Etat permet-il de mettre un terme à la poursuite des intérêts privés, plutôt que d’assurer leur
satisfaction pour une classe dominante ? C’est la question que Marx posera à Hegel. En attendant, il
paraît difficile de ne pas douter, avec Hobbes, de la socialité naturelle de l’homme si bien que l’on peut
reprocher à Hegel de davantage vouloir faire disparaître la tension ou la contradiction entre l’individu
égoïste et la société que de les résoudre.
On comprendra alors mieux la force du texte de Kant qui suit. En reconnaissant une « insociable
sociabilité des hommes », Kant ne cherche plus à dissoudre la contradiction mais au contraire à lui
reconnaître toute sa dynamique positive. Faut-il cependant admettre que l’antagonisme n’est qu’un
moyen que se donnerait la nature pour poursuivre une fin raisonnable ? C’est un problème que nous
devrons de toute évidence réévaluer dans le cadre d’une réflexion philosophique sur l’histoire.
Le moyen dont la nature se sert pour mener à bien le développement de toutes ses dispositions est leur
antagonisme au sein de la Société, pour autant que celui-ci est cependant en in de compte la cause d’une
ordonnance régulière de cette Société. J’entends ici par antagonisme l’insociable sociabilité des hommes, c’est-àdire leur inclination à entrer en société, inclination qui est cependant doublée d’une répulsion générale à le faire,
menaçant constamment de désagréger cette société. L’homme a un penchant à s’associer, car dans un tel état, il
se sent plus qu’homme par le développement de ses dispositions naturelles. Mais il manifeste aussi une grande
propension à se détacher (s’isoler), car il trouve en même temps en lui le caractère d’insociabilité qui le pousse à
vouloir tout diriger dans son sens ; et, de ce fait, il s’attend à rencontrer des résistances de tous côtés, de même
qu’il se sait par lui-même enclin à résister aux autres. C’est cette résistance qui éveille toutes les forces de
l’homme, le porte à surmonter son inclination à la paresse, et, sous l’impulsion de l’ambition, de l’instinct de
domination ou de cupidité, à se frayer une place parmi ses compagnons qu’il supporte de mauvais gré, mais dont
il ne peut se passer […]. Sans ces qualités d’insociabilité, peu sympathiques certes par elles-mêmes, source de la
résistance que chacun doit nécessairement rencontrer à ses prétentions égoïstes, tous les talents resteraient à
jamais enfouis en germes, au milieu d’une existence de bergers d’Arcadie, dans une concorde, une satisfaction,
et un amour mutuels parfaits ; les hommes, doux comme les agneaux qu’ils font paître, ne donneraient à
l’existence guère plus de valeur que n’en a leur troupeau domestique ; ils ne combleraient pas le néant de la
création en considération de la fin qu’elle se propose comme nature raisonnable. Remercions donc la nature pour
cette humeur peu conciliante, pour la vanité rivalisant dans l’envie, pour l’appétit insatiable de possession ou
même de domination. Sans cela toutes les dispositions naturelles excellentes de l’humanité seraient étouffées
dans un éternel sommeil. L’homme veut la concorde, mais la nature sait mieux que lui ce qui est bon pour son
espèce : elle veut la discorde. Il veut vivre commodément et à son aise ; mais la nature veut qu’il soit obligé de
sortir de son inertie et de sa satisfaction passive, de se jeter dans le travail et dans la peine pour trouver en retour
les moyens de s’en libérer sagement.
KANT, « Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique » (1784).
Il n’en demeure pas moins que l’homme doit parvenir à surmonter son égoïsme naturel pour accéder à
l’universel. Mais cela n’est possible, selon Kant, qu’à la condition d’avoir un maître et c’est bien là tout le
problème.
L’homme est un animal qui, du moment où il vit parmi d'autres individus de son espèce, a besoin d'un maître.
Car il abuse à coup sûr de sa liberté à l’égard de ses semblables; et, quoique, en tant que créature raisonnable, il
souhaite une loi qui limite la liberté de tous, son penchant animal à l'égoïsme l’incite toutefois à se réserver, dans
toute la mesure du possible, un régime d'exception pour lui-même, Il lui faut donc un maître qui batte en brèche
sa volonté particulière et le force à obéir à une volonté universellement valable, grâce à laquelle chacun puisse
être libre.
Mais où va-t-il trouver ce maître? Nulle part ailleurs que dans l'espèce humaine. Or ce maître, à son tour, est,
tout comme lui, un animal qui a besoin d'un maître. De quelque façon qu'il s'y prenne, on ne conçoit vraiment
pas comment il pourrait se procurer, pour établir la justice publique, un chef juste par lui-même: soit qu'il
choisisse à cet effet une personne unique, soit qu'il s'adresse à une élite de personnes triées au sein d'une société.
Car chacune d'elles abusera toujours de la liberté si elle n'a personne au-dessus d'elle pour imposer vis-à-vis
d'elle-même l'autorité des lois.
KANT, « Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique » (1784).
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