III. La spécificité de l`œuvre d`art

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L’art
L’art a pendant longtemps été confondu avec la technique. Etymologiquement, art vient
d’ars, qui signifie manière, métier, savoir-faire. Le premier sens de « art » est donc la technique. Le
deuxième sens est les beaux-arts, l’art qui vise à produire du beau. Hegel classe les arts selon un
ordre particulier, du plus matériel au plus expressif, du plus contraint au plus abstrait :
-
Architecture
Sculpture
Peinture
Danse
Musique
Poésie
On peut aussi, pour mieux définir l’art, distinguer trois « métiers » :
-
Le technicien, qui applique des règles ;
L’artisan, qui produit un objet avec une valeur esthétique ;
L’artiste, qui crée du neuf.
I. Comment juger, interpréter une œuvre d’art ?
A. L’imitation d’une belle réalité extérieure
Si on fait de l’art une copie de la réalité, il n’aurait pas une fin très noble, pour trois raisons :
-
Les œuvres seraient forcément inférieures au modèle ;
Ce serait inutile ;
Ce serait vain, creux.
Pascal dit, à ce propos : « Quelle vanité que la peinture qui attire l'admiration, pour la
ressemblance des choses dont on admire point les originaux ». On évalue l’œuvre d’art en fonction
de ce qu’elle représente : plus le modèle est beau, plus l’œuvre est belle. Kant : « Ce n’est pas la
représentation d’une belle chose mais la belle représentation d’une chose » (Critique du jugement).
L’art n’est donc pas de l’imitation, l’artiste est libre par rapport à la réalité. Picasso : « Je ne peins
pas ce que je vois, je peins ce que je pense », « La peinture n’est pas faite pour décorer les
appartements, c’est un instrument de guerre offensive contre l’ennemi ». Léonard de Vinci : « L’art
est une chose mentale ».
B. L’art au service de la politique
1. Dénonciation
L’art peut dénoncer la guerre, la misère, les conflits, etc. (cf. Picasso, Otto Dix). C’est un art
engagé qui critique, conteste la réalité. L’œuvre n’est pas forcément ancrée dans le contexte
historique, elle peut concerner n’importe quel conflit, à n’importe quelle époque.
2. Instrument de politique ; propagande
L’art est au service du pouvoir politique (cf. Mao, Hitler). La simple photo d’une personnalité
politique peut être considérée comme de la propagande.
C. L’expression de la subjectivité individuelle
L’œuvre d’art reflèterait la personnalité d’un artiste. L’artiste serait celui qui est capable
d’utiliser ses pulsions et de leur donner un caractère compréhensible par tout le monde. Ainsi Freud
réalise la psychanalyse de Vinci au travers d’une de ses œuvres. La limite de cette interprétation,
soulignée par Freud lui-même, est qu’on ne peut jamais savoir si, à partir d’une blessure, on peut la
sublimer, la rendre compréhensible ou non. L’œuvre d’art possède en fait une sorte d’autonomie,
elle se détache de ce que voulait faire l’artiste au départ, l’idée de ce que l’artiste veut représenter
n’est jamais exactement comme l’objet final.
D. L’expression du spirituel
L’art rend visible l’invisible. Exemple du Portrait de Dorian Gray, par Albright : dans le roman
de Wilde, un jeune homme est dégouté parce que son portrait ne va pas vieillir et lui si. Il fait donc
un pacte avec le Diable, qui lui permet de faire en sorte que son portrait vieillisse à sa place. Mais son
portrait ne fait pas que vieillir, il prend toute la noirceur des actes du jeune homme. L’art permet
donc de montrer les passions.
L’art nous montre différemment des choses que l’on ne voit pas d’habitude. Au XXe siècle,
l’art peut être n’importe quel objet de la vie quotidienne (par opposition à l’art bourgeois)
En conclusion, on peut dire que chaque interprétation est partielle, chacune dévoile une
partie de l’œuvre sans empêcher les autres.
II. L’esthétique, le jugement de goût
Le mot esthétique est apparu au XVIIIe siècle avec Baumgarten. Il désigne ce qui a rapport aux
sens, à la sensation. Ce qui est esthétique nous touche. Avec le temps, on a gardé « ce qui est
esthétique est beau », mais ce n’est pas forcément le cas.
A. Distinction entre trois types de jugements
1. Le jugement de connaissance
Il permet de connaitre la chose, la déterminer, c’est donc un jugement déterminant. On dit
quelque chose de l’objet qui permet de connaitre ce que l’on ne voit pas : « ceci est un arbre ».
2. Le jugement esthétique
Il ne porte pas sur ce qu’est l’objet mais sur ce que l’on éprouve par rapport à lui. C’est un
jugement réfléchissant (Kant) qui porte donc plus sur le sujet qui porte le jugement que sur l’objet
lui-même : « ceci est beau ». Les modernes ne s’intéressent pas au beau en soi mais à la personne qui
éprouve cette beauté.
3. Le jugement moral
Il ne porte ni sur l’objet ni sur ce que l’on en pense mais sur ce que l’on doit faire.
Ce qui est beau n’est pas forcément bon (Socrate était moche ; Machiavel va aussi à
l’encontre de ce concept). Il faut séparer les jugements esthétique et moral, il ne faut pas faire de
jugement moral quand on fait un jugement esthétique.
B. Le jugement doit être désintéressé
Derrière le plaisir des sens se cache toujours un désir : quand on sent un plat avec une bonne
odeur, on est forcément intéressé. Le jugement est pur s’il l’objet nous plait pour lui-même et non
pour autre chose (différence entre le moyen et la fin). On peut faire une analogie avec trois verbes :
-
Apercevoir : on voit les choses sans les voir, de façon quasi-inconsciente ;
Observer : un but se cache derrière la simple vision de l’objet ;
Contempler : on laisse la chose intacte, mise à distance.
C. Un universel sans concept
Quand on dit de quelque chose que c’est beau, on fait un jugement qui se veut universel, qui
prétend valoir pour tout homme. On pense que n’importe qui pourrait apprécier cette œuvre. Mais
le jugement universel est aussi subjectif : pour qu’il soit objectif, il faudrait des critères ; or il n’existe
pas de critères du jugement esthétique, il n’y a pas de concept du beau. On ne peut convaincre
quelqu’un qu’une œuvre est belle avec des arguments rationnels.
D. Peut-on éduquer le goût ?
Le goût en lui-même peut s’éduquer (cf. le métier de nez) ; l’éducation se fait par la pratique.
Pourtant le goût est subjectif. Ainsi pourquoi notre sentiment par rapport à une œuvre d’art serait
inférieur à celui d’un autre ? Le goût est pourtant différent de l’arbitraire individuel.
Bourdieu, un sociologue français, a réalisé une étude sur la fréquentation des musées : la
culture reflète les classes sociales. De plus, le goût est aussi le résultat du milieu : on n’est jamais
complètement subjectif, on est toujours influencé par quelqu’un, que ce soit la famille, les amis, etc.
III.
La spécificité de l’œuvre d’art
A. Le génie
L’art du poète viendrait du délire créateur. Le génie serait le résultat de conditions
particulières telles que la drogue, mais les artistes rejettent la drogue car sinon l’œuvre ne serait que
le résultat de la drogue, non de l’artiste. Le génie serait donc avant tout du talent. D’après Kant, le
génie est une « disposition innée de l’esprit par laquelle la nature nous donne des règles à l’art ». Les
caractéristiques du génie sont :
-
L’originalité. L’habileté ne fait pas le génie, la technique ne fait pas le neuf.
L’exemplarité. L’œuvre d’art du génie doit initier un nouveau courant, fonder une tradition.
Le modèle sera ensuite copié par les autres.
Obscure à lui-même. Le génie ne peut pas expliquer d’où lui est venue l’idée.
Le génie ne peut être qu’artistique, pas scientifique. Dans les sciences, ce qui a été trouvé par
un type aurait pu l’être par un autre.
B. L’imagination
On distingue deux types d’imagination :
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L’imagination reproductrice : on reproduit un souvenir ;
L’imagination créatrice : c’est la faculté essentielle du génie. À partir d’un schème (la
manifestation sensible d’une idée), qui est la combinaison d’une idée et une image, il y a
création d’une forme nouvelle. L’œuvre d’art dit les choses d’une certaine façon, qui ne peut
être différente. Ainsi quand on explique un poème, on perd toute son esthétique. Ce n’est
pas le cas en philosophie par exemple, où on peut expliquer quelque chose de plusieurs
façons différentes car il s’agit d’un concept et non un schème.
Selon l’OuLiPo (ouvroir de littérature potentielle), les contraintes stimulent l’imagination
(Georges Perec a écrit tout un bouquin, La disparition, sans la lettre e qui symbolise en fait sa mère,
disparue pendant la seconde guerre mondiale. Il s’impose, il ne subit pas la contrainte ; c’est une
sorte de libération).
Conclusion
L’œuvre d’art est une création autonome (elle ne renvoie à rien d’autre qu’elle-même), le
jugement porté sur elle ne peut donc s’en tenir aux conditions de sa création, à son créateur, etc.
L’œuvre a une vie, elle vieillit, elle change : faut-il la laisser vieillir ou la restaurer ? L’œuvre, en
stimulant les sens, stimule aussi l’imagination, l’entendement, elle donne à penser. Elle est une
réserve de sens.
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