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Des études réalisées en Scandinavie démontrent que la pêche intensive peut diminuer de
façon significative la teneur en mercure (Hg) des poissons. Cependant, les mécanismes
qui sont à la base de cette atténuation demeuraient incertains. Réalisée au cours d’une
période de six ans (1997-2002), notre étude a été conçue en vue d’élucider les
mécanismes qui sont responsables de la réduction des concentrations en Hg des poissons,
à la suite d’une pêche intensive et de déterminer éventuellement la faisabilité de pratiquer
la pêche intensive dans de jeunes réservoirs hydroélectriques et/ou dans de lacs naturels
de plus grande surface comme moyen de mitiger les risques potentiels pour la santé que
pose la consommation de poisson. Initialement, nous avancions que trois mécanismes
distincts expliquaient en partie la réduction hypothétique des concentrations en Hg du
poisson : (1) l’enlèvement d’une proportion significative de la biomasse en poissons
pouvant influer la teneur en Hg d’un écosystème lacustre; (2) un changement dans
l’alimentation des poissons pouvant affecter l’assimilation de Hg par les poissons; et (3)
l’augmentation des taux de croissance des poissons pouvant engendrer la dilution
biologique du Hg dans le poisson. Un exercice de pêche d’intensité variable a été
effectué au sein de cinq lacs oligotrophes expérimentaux (identifiés ci-dessous comme 1,
19, 19A, 20 et Des Champs) situés dans la région de Némiscau (près de la baie James,
nord du Québec). Afin de classifier l’intensité de l’enlèvement de poissons, nous avons
calculé une première approximation en utilisant un rapport arbitraire de la biomasse en
poissons divisée par le volume d’eau du lac. Le taux de biomasse récoltée par rapport au
volume était, dans l’ensemble, quatre fois plus élevé dans le lac 19A (tableau 1). Le
même lac affichait également un rapport de superficie zone de drainage/lac qui était 3,5
fois plus petit que celui des autres lacs et était caractérisé par une production primaire
inférieure. La pêche intensive a été pratiquée entre 1997 et 2000; les lacs ont été étudiés
de nouveau en 2001 afin de surveiller les effets de la pêche intensive sur les
communautés de poissons.
Tableau 1
Lacs
Total biomasse enlevée/volume
lac (kg/km3)
Surface de drainage/lac
(km2/km2)
Production primaire (μgChl
a/L)
1
4,97E05
12,95
1,4±1,1
Des
Champs
2,01E-05
19
19A
20
1,62E04
132,63
4,74E-05
98,70
4,87E05
3,77
1,0 ±0,1
0,6±0,1 0,8±0,6 0,9±0,3
32,89
Nous avons observé des diminutions importantes des niveaux de Hg dans les dorés jaunes
d’une longueur normalisée de 400 mm provenant des lacs 19 (de 553±36 ppb à 378±26
ppb) et 19A (de 544±33 ppb à 449±33 ppb) (ANCOVA, p<0,05). Quant aux grands
corégones de même longueur normalisée (400 mm), les niveaux de Hg sont passés de
81±8 ppb à 64±8 ppb dans le lac 19 (ANCOVA, p<0,05). Nous n’avons relevé aucune
différence statistiquement significative dans les autres espèces de poissons (grand brochet
et meunier noir) avant et après la pêche, bien que le grand brochet provenant des lacs 19,
19A et 20 fut enclin à indiquer des niveaux de Hg inférieurs après la pêche et des niveaux
supérieurs dans les lacs 1 et Des Champs.
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Nous avons vérifié les trois hypothèses pouvant expliquer la teneur réduite en Hg du doré
jaune et du grand corégone : 1) Calcul du bilan de masse : les calculs effectués dans les
lacs avant et après la pêche confirment que la plus grande partie de la charge en Hg et en
MeHg (plus de 90 %) est présente dans la première couche sédimentaire et qu’il n’y a pas
de quantité significative de Hg ou de MeHg qui est enlevée des deux lacs. Nos études ne
révèlent aucun changement important au sein des compartiments abiotiques (sédiments,
matières particulaires en suspension, fraction dissoute) avant et après la pêche intensive,
ce qui indique que l’effet sur les apports en Hg et en MeHg à la base du réseau trophique
des lacs est minime. 2) Changements d’alimentation : les analyses des contenus
stomacaux des poissons ne démontrent aucun changement dans l’alimentation des
espèces nonpiscivores; par contre, l’alimentation des espèces piscivores semble avoir
subi certaines modifications. Cependant, les rapports isotopiques stables dans la chair des
poissons prédateurs n’affichent aucun changement significatif suivant la pêche intensive,
ce qui indique qu’aucune modification des niveaux trophiques ou de la structure du
réseau trophique n’a eu lieu. 3) Biodilution : L’accélération de la croissance du doré
jaune et du grand corégone dans les lacs 19 et 19A semble être liée à la teneur réduite en
Hg des poissons observée dans les deux lacs. Ces résultats s’expliquent possiblement par
la quantité importante de biomasse en poissons qui a été récoltée du lac 19A par rapport
aux autres lacs (tableau 1). La faible productivité caractérisant le lac 19 (attribuable à
l’insuffisance de nutriments essentiels provenant de la très petite aire de drainage) a
réduit la capacité du lac à soutenir une abondance de poissons; par conséquent, celui-ci
est exposé davantage aux risques de la surpêche (tableau 1). L’enlèvement de la
biomasse en poissons a engendré une augmentation accrue de la vitesse de croissance
(approximativement 20 %) des deux espèces susmentionnées (il s’agit d’un mécanisme
d’adaptation causé par un amoindrissement de la compétition au sein des deux
populations des lacs 19 et 19 A).
Notre étude a démontré que la pêche intensive peut réduire la teneur en Hg des poissons,
non pas par la diminution du stock de Hg emmagasiné par les lacs ou par la modification
de l’alimentation des poissons, mais par une augmentation des taux de croissance des
poissons.
Ces résultats affecteront à l’avenir la façon habituelle d’étudier la
bioaccumulation de Hg dans les poissons. Dorénavant, les taux de croissance des
poissons doivent être intégrés à tout modèle bioénergétique illustrant la présence de Hg
dans les poissons. Sur une plus grande échelle, cette découverte risque également de
profiter aux gestionnaires des pêches en matière d’abondance de stock de poissons et de
contamination des ressources halieutiques par le Hg. Bien que les résultats d’un tel projet
expérimental ne soient pas facilement transposables à des lacs et à des réservoirs d’une
plus grande superficie, l’applicabilité de la pêche intensive à de jeunes réservoirs semble
moins faisable si la biodilution est le mécanisme principal de mitigation. En effet, les
mesures préalables des niveaux de Hg dans les poissons provenant de réservoirs
indiquent une augmentation par 3 à 8 fois des niveaux de Hg, en dépit des augmentations
importantes concomitantes des taux de croissance. Cependant, la pêche intensive
pourrait s’avérer efficace dans des écosystèmes lacustres d’envergure si a) l’intensité de
la pêche est du même ordre que celle qui est pratiquée dans le lac 19A, ou si b) le lac où
est pratiqué la pêche est aussi sensible que le lac 19 en ce qui concerne l’état oligotrophe.
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Sous cette condition, nous avançons l’hypothèse que la pêche soutenue pratiquée pendant
plusieurs décennies dans les lacs du Bouclier canadien serait un moyen efficace de
mitiger la contamination par le Hg des poissons prédateurs de taille importante.
La vulgarisation des résultats de ce projet profite à la communauté de Nemaska de sorte
que ses membres sont maintenant en mesure de prendre des décisions éclairées en ce qui
concerne les habitudes de pêche et la consommation de poisson. Finalement, ce projet de
recherche pose les bases pour la compréhension et l’évaluation de l’impact de la pression
de la pêche sur les lacs et sert d’outil d’intervention afin de maintenir des niveaux
relativement faibles de Hg dans le poisson (par exemple le lac St-Pierre), ce qui répond
au cinquième objectif énoncé du COMERN. Cette étude a débouché sur de nouvelles
idées de recherche, par exemple l’importance de la vitesse de croissance des poissons lors
du processus d’assimilation du Hg. Par conséquent, nos efforts se centreront sur
l’établissement d’un rapport entre les teneurs en Hg et les facteurs déterminants les taux
de croissance des poissons tels que le niveau trophique du lac (quantité de nourriture
disponible) et la pression de la pêche. Pour ce faire, nous entreprendrons des analyses au
sein de lacs plus gros comme le lac St-Pierre (projet 3.2.4) et de lacs situés dans les
régions de Chibougamau et de l’Abitibi-Témiscamingue (projet 3.2.2). Jusqu’à
maintenant, nous avons découvert que les concentrations en Hg des poissons prédateurs
du lac St-Pierre (projet 3.2.4) étaient le tiers de celles des poissons de taille identique
provenant de nombreux lacs de la forêt boréale (projet 3.2.2). Afin d’élucider cette
découverte surprenante, nous vérifions actuellement l’hypothèse que la vitesse de
croissance des poissons du lac St-Pierre soit supérieure à celle des poissons provenant des
lacs de la forêt boréale à cause de la pêche soutenue qui est pratiquée depuis des
décennies dans le lac St-Pierre à des fins à la fois commerciales et sportives.
Une bonne part de notre étude entreprise durant la troisième année est fondée sur des
ensembles existants de données portant sur les poissons et les caractéristiques du lac StPierre (projet 3.2.4), de six lacs de la région de l’Abitibi-Témiscamingue (projet 3.2.2),
de trois lacs de la région de Chibougamau (projet 3.2.2) et de cinq lacs de la région de
Némiscau (projet année 2 – 3.1.3.5). L’ensemble des données relatives aux poissons
comprend déjà des renseignements sur l’espèce, l’abondance, la longueur, le poids, la
teneur en Hg et, dans certains cas, l’âge et l’alimentation. L’ensemble des données
concernant les caractéristiques des lacs inclut de l’information sur la bathymétrie, le pH,
la couleur de l’eau, la conductivité, l’oxygène dissous, les nutriments, le COD, les
particules en suspension, le Hg dissous et la teneur en chlorophylle-a. Nous devrons
compiler des données complémentaires sur les niveaux de Hg assimilés par les
organismes des premiers échelons du réseau trophique (plancton, benthos et petits
poissons) des lacs des régions de Chibougamau et de l’Abitibi-Témiscamingue, ainsi que
des observations sur les caractéristiques des lacs des régions de Chibougamau et de
Némiscau. En outre, grâce à la participation de la ZEC Kippawa et de la FAPAQ, nous
prélèverons des échantillons dans onze nouveaux lacs situés dans la région de l’AbitibiTémiscamingue.
Nous comparerons les données antérieures concernant les teneurs en Hg des poissons et
de leurs proies, lesquelles ont été recueillies à partir de différents lacs. À partir de
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structures anatomiques de poissons (l’otolithe, le cleithrum, l’opercule) échantillonnés au
cours de la dernière année, nous entreprendrons des exercices de détermination d’âge au
sein de lacs où de tels exercices relatifs à l’âge des poissons n’ont pas encore été
effectués (les lacs des régions de Chibougamau et de l’Abitibi-Témiscamingue). Pour
chaque lac, au moyen du modèle de croissance de von Bertalanffy, nous estimerons les
taux de croissance des poissons en fonction de l’espèce. Afin de comprendre les facteurs
influençant les vitesses de croissance, nous étudierons 1) le niveau trophique de chaque
lac en tenant compte des niveaux d’éléments nutritifs (P, N, Ca, S), de chlorophylle-a, de
carbone organique dissous, et de matières en suspension (Wetzel, 1983). Nous utiliserons
l’indice morphodaphique afin de prédire le rendement potentiel des poissons au sein d’un
lac en particulier, et ce à partir d’informations minimales, à savoir les concentrations en
matières totales dissoutes et la profondeur moyenne; 2) la structure du réseau trophique
pour de différentes espèces provenant de divers lacs, au moyen d’isotopes stables et des
contenus stomacaux; et 3) la pression de la pêche, au moyen de données disponibles
auprès des communautés et des organismes gouvernementaux, et de données compilées à
partir de questionnaires rédigés et utilisés par les équipes de santé et d’éducation
s’intéressant aux lacs de l’Abitibi-Témiscamingue et le lac St-Pierre (projet 3.2.1.1 et
3.2.1.2). Nous aborderons également la dynamique des populations de poisson à l’aide
de quelques-uns des paramètres suivants: la structure par longueur et par âge, l’indice de
rendement, l’abondance, le taux de mortalité, l’importance des classes d’âge ainsi que
l’âge de maturité des poissons.
Les connaissances découlant de cette étude bénéficieront à la gestion des ressources en
poissons et des bassins hydrographiques par les communautés de pêcheurs qui, savoir
traditionnel à l’appui, seront en mesure de minimiser leur exposition au Hg.
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