Assises chrétiennes de la mondialisation Contribution de Pax Christi France 1. Présentation de Pax Christi Pax Christi est un mouvement catholique, mais largement ouvert à la coopération interconfessionnelle et culturelle, qui est né en France, à la fin de la deuxième guerre mondiale. Son but originel était de promouvoir la réconciliation franco-allemande, mais il s’est rapidement étendu. Pax Christi est aujourd’hui présent dans quelque 35 pays sur les 5 continents. Sa charte est tout entière centrée sur la paix, paix qui ne se limite pas à l’action non violente, armée, mais concerne tous les domaines de la vie de l’homme. Son programme d’action s’articule autour de 5 D qui tous concernent la paix : droits de l’homme ; - désarmement ; - développement ; - dialogue ; – défense et gérance de la Création. Ce dernier secteur surprend souvent. Son adjonction aux préoccupations de Pax Christi n’est pourtant que la suite logique du Rassemblement œcuménique de Bâle (1989) qui traitant des problèmes actuels de société où l’Eglise devait s’engager, les résuma par la trilogie : « Justice, Paix, Sauvegarde de la Création ». C’est depuis cet événement que Pax Christi dispose d’une « Commission Création & développement durable » qui a organisé de nombreux symposiums sur les diverses composantes de la Biosphère et les approches socioculturelles (Symposiums de Klingenthal) et développé une importante réflexion sur le développement durable et les modes de vie (Colloques de Chantilly). Cette Commission a donné naissance à une Antenne « Environnement & modes de vie » rattachée à la Commission sociale des évêques de France, antenne qui se révèle très active. 2. Réflexions de Pax Christi relatives à la mondialisation Rappelons pour commencer que la mondialisation n’est pas réellement un phénomène nouveau. Le phénomène existe depuis des siècles, remontant à la route de la soie par exemple. Mais s’il est aujourd’hui au cœur des politiques économiques et l’objet de tant de controverses, c’est parce que Il touche et concerne l’ensemble des pays de la planète, Que son ampleur prend des dimensions considérables, Qu’il provoque des répercussions économiques et sociales importantes et d’une extrême diversité, tant entre pays (Nord-Sud), qu’à l’intérieur de ceux-ci, Il concerne un nombre croissant de secteurs d’activités de l’homme, ne se limitant plus aux marchés commerciaux classiques. Le cri du cœur de Mgr Vincent Concessao, évêque de Dehli, en Inde, lancé au lendemain des attentats du 11 septembre, aborde des problèmes de fond et exprime avec révolte les ressentiments de nombre de peuples : « …il existe une autre forme de terrorisme, subtil, caché, dont on parle peu. Je me réfère au terrorisme d’un système économique injuste qui écrase et fait mourir des milliers de personnes chaque jour… avec la présente orientation de la mondialisation, la situation des pauvres va s’aggraver. De petites entreprises sont fermées, privant des milliers de personnes d’un emploi rémunéré… les pauvres sont de plus en plus marginalisés et amenés au désespoir, ils deviennent des victimes faciles pour les politiciens et les fondamentalistes » : Voilà qui rejoint la prophétie de Bernanos « le pas des mendiants fera trembler la terre ». Cela dit, la mondialisation actuelle ne provoque pas que des drames, loin de là ; elle peut se révéler ferment décisif et intéressant pour le développement économique, et certains pays, notamment dans le Sud-est asiatique, ont vu leurs conditions de vie s’améliorer substantiellement. Ce qui pose question dans la mondialisation actuelle - et qui a des répercussions directes et indirectes considérables aussi en France, et c’est pourquoi nous insistons - c’est que la politique qui la caractérise est généralement trop libérale, excessive, voire sauvage. Or toute déréglementation totale conduit à la concurrence la plus féroce et au chaos. Une telle politique est incompatible avec le développement durable qui certes encourage, veut stimuler le développement, mais à deux conditions : préserver les ressources naturelles et promouvoir la dimension sociale. Dans la situation actuelle, les gouvernements se révèlent trop souvent impuissants à influencer des décisions qui privilégient ou au moins prendraient sérieusement en compte les intérêts des employés des sociétés, ces dernières privilégiant trop souvent la rentabilité financière. Quelques grandes sociétés françaises n’ont-elles pas récemment fermé des usines au fonctionnement non déficitaire, mais aux bénéfices insuffisamment élevés pour…. investir ? lutter contre la concurrence ? maintenir des dividendes élevés ? La multiplicité de ces cas est particulièrement préoccupante, voire inacceptable sur le plan humain. Intéressant à ce sujet est le recours de la CFTC contre un grand groupe français qui demande, entre autres, si, sur le plan juridique, la rentabilité d’une entreprise peut être motif de licenciement. A suivre… Les OPA et autres grandes fusions entre sociétés nationales ou multinationales posent également de nombreux problèmes qui se répercutent directement sur nos populations. Certes, elles peuvent se révéler utiles, voire nécessaires pour survivre, maintenir des prix compétitifs. Il s’agit là de problèmes réels, comme les délocalisations, qui peuvent se révéler nécessaires pour continuer l’activité de l’entreprise. mais est-ce la motivation de la majorité des décisions ? En outre, sous couvert de restructuration, combien de licenciements ? dans l’agro-alimentaire, le secteur bancaire, l’aviation, les hydrocarbures ! Que de drames. Par ailleurs, est-il souhaitable que se créent de véritables monopoles ? et pouvons-nous accepter que le développement de grands groupes conduisent à la faillite de petites et moyennes entreprises, chez nous ou dans le tiers Monde ? Toutes les situations évoquées ayant une résonance mondiale, les organismes tels que l’organisation mondiale du commerce (OMC), le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque Mondiale (BM) jouent un rôle décisif. Au vu de l’évolution mondiale de la situation, où les pauvres deviennent trop souvent toujours plus pauvres et les riches toujours plus riches, la majorité des partenaires s’accorde à penser qu’il faut repenser fondamentalement les objectifs et responsabilité de tels organismes. Ils sont indispensables pour harmoniser les échanges internationaux et le développement, mais le développement économique ne doit pas constituer une fin en soi, il doit être considéré comme un moyen pour le développement des populations humaines, leur bien-être. 3. Conclusions et propositions d’actions Les propos précédents sont sévères. Mais qui contestera qu’aujourd’hui, hélas, l’argent est le moteur principal du développement, d’un développement malheureusement aussi plus quantitatif que qualitatif. Notre conviction profonde c’est qu’il faut absolument changer radicalement de mentalité, c’est-à-dire placer l’homme au centre de toutes les préoccupations et non pas l’économie. L’Homme est-il au service de l’économie ou est-ce l’économie qui doit être au service de l’Homme ? Nous faisons nôtres les conclusions de la récente étude du Centre de recherche sur la paix de l’Institut catholique de Paris : « Développement et devenir de l’homme : un enjeu pour la paix » ; (L’Harmattan) « … il n’y a pas de développement durable sans la prise en compte des dimensions éthique et spirituelle de l’homme. Ceci implique une lutte permanente pour que la personne humaine soit respectée elle-même et non utilisée pour les intérêts d’une minorité. » Quel défi pour les responsables politiques, financiers et économiques, et… pour nous-mêmes ! car ne sommes-nous pas, chacun de nous, aussi centrés sur ce « toujours plus, toujours plus vite » ? Oui, à tous les niveaux, les mentalités devraient changer et une véritable métanoïa s’opérer ! Nous, chrétiens, devons nous sentir particulièrement interpellés ; c’est le cas de Pax Christi. En tant que lieu-tenants de la Création, n’avons-nous pas à gérer, dans l’esprit de Dieu, l’ensemble de cette Création, qui comprend toutes les ressources naturelles et dont l’homme fait partie. Mammon et le profit ne peuvent être nos objectifs, sinon pour partager, faire preuve de solidarité. Nous voulons également revaloriser la gratuité, le don. Tout doit-il se monnayer ? Tout doit-il être calculé ? programmé ? sans relâche ? et, quid de la « halte », du Sabbat ? La coopération, entre communautés, mouvements et autres services d’Eglise, constitue pour Pax Christi une priorité. Mais elle doit s’étendre, cela non seulement entre confessions chrétiennes ou religions, mais avec l’ensemble des différentes spiritualités (dont les peuples autochtones, par exemple, dans les Symposiums de Klingenthal). Malheureusement, l’une des difficultés rencontrées est le contact avec certaines ONG, qui manifestement ne souhaitent pas coopérer, se méfiant d’initiatives confessionnelles. La coopération est d’autant plus importante que dans un pays démocratique, la pression de l’opinion publique peut être considérable et influencer nombre de décisions. Mais encore doit-elle être informée, et informée correctement. Pax Christi attache une grande importance à la crédibilité ; c’est essentiel. Mais ce n’est pas toujours aisé de vérifier telle ou telle information, trouver si nécessaire sa source, vérifier que tel message ou citation du Pape n’est pas tronqué, qu’il n’y a pas d’autres points de vue valables…. Pax Christi développe une politique d’information par deux publications trimestrielles : Le Journal de la Paix et La Paix en marche, et un bulletin mensuel : Pax Info. L’objectif est une information aussi objective que possible, et la sensibilisation du lecteur à tel ou tel problème. Peu de personnes sont conscientes qu’elles influencent quotidiennement le cours de la mondialisation. Or, le choix de leurs achats, par exemple, a des répercussions évidentes. L’éducation des enfants, des jeunes, des adultes, est également prise en compte, tout spécialement pour montrer l’approche chrétienne dans ces problèmes : valoriser tout homme, dans sa dignité, son travail, sa culture, spécialement lorsqu’il est handicapé, déconsidéré ou qu’il appartient à une minorité sociale, p.ex.. L’ensemble de ces réflexions débouche sur une véritable métanoïa, qui implique un changement de notre mode de vie. Pax Christi demande aux PDG et aux hommes politiques de réorienter leurs objectifs et décisions vers plus d’humanité ; mais nous avons, nous-aussi, à nous recentrer sur l’Evangile qui attache tant d’importance à l’homme, surtout aux petits, aux sans voix, aux maltraités. Les répercussions de cette métanoïa personnelle peuvent être très profondes ! Nous ne deviendrons pas obligatoirement plus pauvres, mais nous vivrons différemment. Approfondir ce futur : quel défi exaltant et …indispensable! Pax Christi est prêt à contribuer de le relever ! Mgr Marc Stenger, évêque de Troyes Président de PAX CHRISTI Jean-¨Pierre Ribaut Président de la Commission « Création et développement durable » 11 novembre 2003