Accueil > Sciences La classification du vivant, ou la quête de l'impossible Longtemps, tout fut si simple ! Dresser l'inventaire du vivant revenait à recenser l'ensemble des formes présentes lors de la Création. Selon la conception du monde qui prévalait alors, les espèces ne pouvaient évoluer. On remarquait bien, çà et là, l'apparition de nouvelles variétés végétales ou animales. Mais elles étaient considérées comme des infractions à l'ordre de la nature, comme des exceptions qui confirment la règle. Mis à jour le jeudi 27 avril 2000 Les espèces mal classées Les astronomes s'enthousiasment pour un Univers désespérément plat Hubble : dix ans d'observation aux confins de l'univers Une moisson de résultats exceptionnels La conquête martienne retardée A 15 ans, "Mafiaboy" est accusé de piratage en série de sites Internet « La cime des arbres offre de formidables perspectives aux industriels » Mission de relance de la Station spatiale internationale pour Atlantis Willo le dinosaure avait le sang chaud et un coeur d'oiseau Vint Darwin, L'Origine des espèces (1859), et avec elle la théorie de l'évolution, qui permit de comprendre que tous les organismes étaient apparentés les uns aux autres. Dès lors, la systématique, science qui s'attache à identifier et ordonner l'infinie diversité du vivant (1,4 million d'espèces décrites à ce jour), changea d'objectif. Plutôt que de classer de manière rationnelle animaux et végétaux, elle s'efforce désormais de reproduire au plus juste l'arbre généalogique du vivant. Et c'est là, bien sûr, que les difficultés commencent. A première vue, le fil conducteur était pourtant solide : les espèces, pensa-t-on longtemps, sont d'autant plus semblables entre elles que leur ancêtre commun est proche. Si l'homme ressemble plus à la souris qu'à la bactérie, c'est que l'ancêtre commun des deux premiers vivait il y a « seulement » quelques dizaines de millions d'années, alors qu'il faut, pour retrouver l'ancêtre Un nouveau territoire à défricher pour les paléontologues commun aux mammifères et à la bactérie, remonter à plusieurs centaines de millions d'années. Ananova, première présentatrice virtuelle des informations sur Internet Un banc de travail permet de manipuler dans l'espace des maquettes numériques La folie des fans pour « une super cyber-baby » Quand la télédétection se met au service des plus démunis Les criquets pèlerins traqués par les satellites d'observation Un cas d'école : Nouakchott, capitale de la Mauritanie, coincée entre océan et désert L'enfant mort à la prison du Temple était bien Louis XVII L'idée était bonne, mais elle manquait de finesse. La pensée cladistique la perfectionna, et donna du même coup un nouvel essor à la science de l'évolution. Apparue dans les années 60, elle mit près de vingt ans à s'imposer dans le monde. Au plan conceptuel, son approche était radicalement nouvelle : refusant de considérer a priori une espèce comme l'ancêtre de telle ou telle autre, elle proposait de traduire l'histoire des êtres vivants par un ensemble d'« hypothèses réfutables, et donc scientifiques, sur les relations de parenté des organismes ou des groupes ». Au plan méthodologique, elle apportait un changement essentiel dans la manière de comparer les espèces entre elles. « La cladistique vise à identifier les liens de parenté entre les espèces, ou les groupes d'espèces, à partir de l'identification des caractères évolués qu'elles partagent, précise Pascal Tassy, paléontologue au Muséum national d'histoire naturelle de Paris, alors que jusqu'à maintenant on plaçait dans un même groupe des espèces qui partageaient n'importe quel type de caractère ». On regroupait ainsi le chimpanzé et l'orang-outan, qui se ressemblent beaucoup morphologiquement, dans la famille des pongidés. Mais si on s'intéresse exclusivement aux caractères évolués partagés par les grands singes (en l'occurrence des caractères génétiques, révélés par l'analyse de leur ADN), on découvre que le chimpanzé est plus proche de l'homme que de l'orang-outan… « Ce qui est essentiel dans cette approche, c'est de faire le tri entre caractères primitifs et évolués », insiste ce cladiste convaincu. Dans un certain nombre de cas, il est vrai, ce tri avait déjà été fait par la systématique traditionnelle. Si cela n'avait pas été le cas, on aurait pu affirmer que l'homme était plus proche de la tortue que du cheval, sur le simple fait que le pied des deux premiers compte cinq doigts, quand le pied du cheval n'en a qu'un… Ce rapprochement est évidemment erroné : en effet, le caractère « cinq doigts » est un caractère primitif hérité des tétrapodes, et tous ceux qui l'ont conservé ne sont pas pour autant étroitement apparentés. Au-delà de cet exemple presque caricatural, la distinction entre caractères primitifs et évolués n'est pas toujours facile à faire. Mais certains indices morphologiques aident parfois aux rapprochements. « On peut observer que les oiseaux comme les crocodiles ont un trou dans la mâchoire inférieure, qu'on ne retrouve pas chez d'autres espèces comme les lézards, poursuit Pascal Tassy. On ne retrouve pas non plus ce caractère chez des espèces plus primitives comme les amphibiens et les poissons : il s'agit donc d'un caractère évolué, qui est apparu à un moment de l'histoire, chez l'ancêtre commun des crocodiles et des oiseaux. Sur ce critère, il faut donc cesser de classer les crocodiles et les lézards parmi les reptiles, mais réunir les crocodiles et les oiseaux dans un grand et nouveau groupe… » L'ESPÈCE : « UNE VUE DE L'ESPRIT » Science jeune, faite d'hypothèses et d'incertitudes, la méthode cladistique n'en a pas moins bouleversé nos connaissances. Elle a confirmé, que l'évolution ne se faisait pas à l'échelle des organismes entiers, et que les caractères individuels évoluaient indépendamment. C'est ainsi que les cinq doigts du pied de l'homme sont là depuis 350 millions d'années, alors que la forme de sa voûte plantaire, adaptée à la bipédie, n'a que quelques millions d'années. Dans ce contexte mouvant, que devient l'espèce ? « Une vue de l'esprit », affirme catégoriquement Simon Tillier, systématicien au Muséum national d'histoire naturelle, pour qui « la définition de l'espèce repose sur une nécessité de nomenclature, et non sur une réalité biologique ». Mais comment, précisément, établir un nouveau système de classification sans statuer sur la nécessité - ou non - de la notion d'espèce ? Sur la manière de définir les groupes et de lire les arbres phylogénétiques ? Tant que les naturalistes, sur tous ces points, ne se seront pas mis d'accord, la nomenclature de Linné aura de beaux jours devant elle. Catherine Vincent Droits de reproduction et de diffusion réservés; © Le Monde 2000 Usage strictement personnel. L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la licence de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions. Politique de confidentialité du site.