Teppo Eskelinen La crise et la Gauche Les raisons structurelles qui sous-tendent la crise peuvent être identifiées comme : 1) une libre circulation des capitaux provoquée par une série de décisions politiques à partir de la fin des années 1970 ; 2) une suraccumulation du capital causée par des changements dans les rapports capital-travail, notamment la délocalisation du travail. Cela entraîne une situation où une quantité excessive de capitaux en libre circulation, investissables et en quête de profit crée des bulles spéculatives, car il n’y a pas (et il ne peut pas y avoir) une production et des biens réels suffisants pour ancrer ces investissements spéculatifs. L'importance des événements dans le marché immobilier étasunien, raison initiale de la crise, a tendance à être surestimée ; dans le contexte actuel de ces problèmes structurels, n'importe quelle étincelle aurait pu allumer l’incendie, la question étant simplement de savoir quand cela se produirait, même si l'afflux de capitaux chinois vers les États-Unis permettait de penser que les États-Unis constitueraient le point de départ géographique de la crise. Pour la Gauche, il convient à mon sens d'aborder la crise selon deux axes. Premièrement, il est nécessaire de réformer la politique gouvernementale. Le besoin le plus crucial se situe au niveau international, puisque l'ordre économique global actuel entrave les politiques de gauche au niveau national en menaçant les gouvernements nationaux d'augmenter les taux d'intérêt. À ce niveau, certains éléments cruciaux des accords de Bretton Woods après la Seconde Guerre mondiale devraient être rétablis. Il s'agit notamment de contrôles pour la circulation des capitaux, de taux de change (plus) stables et autres mesures. De nouvelles initiatives, telles que la taxe Tobin, peuvent offrir d'autres pistes. En outre, il est crucial de mettre fin aux paradis fiscaux. Ces réformes peuvent être qualifiées de socio-démocrates et à vrai dire, aucune raison idéologique ne devrait empêcher la gauche réformiste de les intégrer. Le deuxième élément de l'approche est radical et moins acceptable pour le courant dominant social-démocrate. J'entends par là la nécessité de radicaliser les luttes du mouvement ouvrier, avec l'intention de renverser les relations de pouvoir capital-travail existantes ; le programme politique doit ici être défini en termes sensiblement contraires à l'actuelle logique politico-économique. Cette lutte revêt naturellement des aspects locaux, mais le véritable défi consiste à trouver des moyens de soutenir politiquement une lutte du mouvement ouvrier réellement mondialisée. La plus grosse difficulté n'est peut-être pas la globalité en soi, mais le fait que moins de 20 pour cent de la population active mondiale sont salariés ; la tendance est à la baisse, avec ses implications tant au Nord (précarité) qu'au Sud (pression accrue pour un marché du travail non organisé). Il est fort probable que cela suppose une nouvelle façon d'organiser la lutte du mouvement ouvrier ; cependant, en dépit des difficultés, cela est crucial non seulement pour la justice sociale mais, curieusement, également pour la stabilité économique, tel qu'expliqué plus haut. Dans l'ensemble, il semble que l’argumentation de la Gauche soit solide, en posant que les mêmes mesures qui mèneraient à une distribution des revenus plus égalitaire semblent également mener à une stabilité financière accrue. Néanmoins, il y a un long chemin à parcourir pour que ces arguments solides soient intégrés et débouchent sur une hégémonie politique réelle. Tel est le défi majeur pour la Gauche. Traduit par Hervé Fuyet et Janine Lazorthes