La politique de concurrence La philosophie et les instruments

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La politique de concurrence
La philosophie et les instruments
de la politique de concurrence
Etienne Pfister
INTRODUCTION
 La concurrence est une composante essentielle des systèmes capitalistes.
 Tout le mécanisme de la main invisible repose sur la présence d’une
concurrence suffisamment forte pour inciter le
boucher/boulanger/professeur à tenir compte du bien-être de ses
clients…
 La théorie de l’équilibre général s’appuie sur l’hypothèse de la
concurrence pure et parfaite…
 L’école autrichienne insiste sur la manière dont la concurrence produit
de l’information…
 Comment savoir où se spécialiser ?
Introduction
 Concrètement, la concurrence est nécessaire mais pas toujours présente:
 Economies d’échelles…
 Stratégies anticoncurrentielles des entreprises
 Les avis des économistes diffèrent quant à la capacité des firmes de
subvertir la concurrence:
 Est-ce faisable ?
 Est-ce profitable ?
Introduction
 En outre, la concurrence n’est pas toujours souhaitable:
 Activités d’innovation
 Activités de distribution
 Enfin, comment promouvoir la concurrence ?
 Quels types de décisions ?
I. LE DEBAT HARVARD/CHICAGO
 Evidemment, la politique de la concurrence vise à « promouvoir la concurrence »…
 Mais:
 Cet formulation ne suffit pas à résumer les objectifs de la politique de concurrence
 D’autres objectifs s’ajoutent parfois à cette finalité principale.
 Lutte contre l’inflation, favoriser l’intégration économique européenne,
accroître le libre échange…
 Cette formulation reste très subjective et ambiguë:
 Dans quelle mesure la concurrence a-t-elle besoin d’aide ?
 Promouvoir la concurrence à court terme ? À long terme ?
 Prendre en compte le bien-être des actionnaires ? Ou uniquement des
consommateurs ?
a. L’école de Harvard
 Les hypothèses de la concurrence pure et parfaite:
 atomicité du marché,
 transparence de l’information,
 libre entrée,
 biens homogènes.
 Sous ces hypothèses, le prix diminue sous l’effet de la concurrence, jusqu’à
atteindre le niveau le plus faible possible.
 Cette configuration génère le maximum de surplus pour les
consommateurs: même ceux qui valorisent fortement un produit/service le
paient au prix le plus faible possible compte tenu des coûts de production.
 En situation de monopole, le prix augmente et le profit de l’entreprise
également.
 Mais le surplus des consommateurs diminue plus que n’augmente le profit
des producteurs.
 Lorsque le nombre de firmes augmente (oligopole), le surplus des
consommateurs augmente plus rapidement que ne diminue le profit des
entreprises.
 L’indice de Lerner (prix-coût marginal)/prix sert à définir le pouvoir de
marché de l’entreprise: plus il est élevé, moins le surplus des
consommateurs est important.
 Par conséquent, un secteur est d’autant plus efficace qu’il comprend un
nombre important de concurrents.
Ces résultats ont conduit l’école de Harvard à vouloir
empêcher la concentration croissante des industries.
 Ce courant, aussi appelé « école structuraliste » domine la politique de
concurrence des années 50-70 aux Etats-Unis. Il est représenté par Bain et
Mason.
 La plupart des modèles théoriques indiquent que le prix augmente
lorsque le nombre de concurrents diminue
 Moins les firmes sont nombreuses, plus elles peuvent s’entendre pour
influencer les prix.
 Mason développe le tryptique SCP
(Structure-Comportement-Performances) pour justifier que la politique
de concurrence empêche la concentration et surveille les comportements
des entreprises.
Quelques études empiriques sur le paradigme SCP
 Bain (1956):
 le taux de profit est plus élevé lorsque les barrières à l’entrée sont fortes
(économies d’échelles, différenciation, avantage absolu de coût).
 le taux de profit augmente avec la concentration (somme des 4 plus
grandes parts de marché).
 Collins et Preston (1969):
 les marges prix-coût augmentent avec la concentration, surtout pour les
biens de consommation.
 Les études des années 70 (Strickland et Weiss, 1976) mettent surtout
l’accent sur la différenciation (dépenses de publicité) plus que sur la
concentration.
b) L’école de Chicago.
 Selon ces économistes (Bork, Posner, Baumol, Stigler, Demsetz), le
paradigme SCP présente de nombreuses limites:
 1. Il n’est pas toujours nécessaire de diluer le pouvoir de marché au
travers d’un grand nombre de firmes:
 2. La concentration d’un secteur peut résulter des caractéristiques de ce
secteur
Autres arguments
 3. La concentration industrielle est le résultat d’un processus de sélection
 4. Les « rentes » réalisées par un concurrent visent à récompenser:
 5. Ces rentes vont permettre vont permettre aux firmes d’investir et de
proposer de nouveaux produits
 Argument des échecs du marché souvent utilisé par les opposants au
libre-échange ???
Autres arguments…
 6. Les forces du marché, et notamment l’innovation, sont appelées à remettre en cause
toute position dominante, qui ne peuvent donc être durables.
 Impasse sur la concurrence en matière d’innovation ?
 7. La poursuite de l’intérêt individuel met en échec les stratégies anticoncurrentielles des
firmes.
 Effectivement, certains travaux empiriques (Donowitz, Hubbard et Paterson,
1986) ne parviennent pas à trouver de relation significative entre concentration et profit
à long terme des entreprises
Ecole de Harvard/Ecole de Chicago
c) Au delà de Harvard et de Chicago: la politique de la
concurrence dans les secteurs de haute-technologie
 De nombreuses affaires (MS, Intel) semblent être liées aux
secteurs de haute-technologie.
 Paradoxal ?
 Ou les industries de haute technologie sont-elles propices à
l’émergence de firmes dominantes capables de pratiques
anticoncurrentielles (Shapiro, Romer…)
Plusieurs éléments tendent en effet à faciliter la vie des monopoles
de haute-technologie…
 Economie d’échelles
 Externalités de réseau
 Lock-in
 Droits de propriété intellectuelle
 Interdiction des inventions indépendantes dans le cas du
brevet…
 Droit au secret commercial qui empêche l’interopérabilité…
Néanmoins, d’autres économistes, comme R. Schmalensee,
recommandent une certaine prudence…
 Le progrès technologique est suffisamment fort et déstabilisateur
pour remettre en cause les positions établies.
 Le monopole peut avoir des avantages pour le consommateurs
 Economies d’échelles, prix réduits
 Standardisation des produits
 Remettre en cause les rentes de monopole, c’est aussi remettre en
cause l’incitation à innover…
 On peut explorer ces différents arguments au travers de l’affaire
Microsoft…
Le cas Microsoft
 L’«affaire Microsoft » débute en 1998. L’entreprise est accusée d’avoir
illégalement utilisé sa position dominante sur les logiciels d’exploitation
pour évincer des concurrents (Netscape et Sun) et ralentir le progrès
technique tout en restant en monopole.
 Une première condamnation ordonne le démantèlement de Microsoft. En
appel, cette décision est annulée et des injonctions bien moins exigeantes
sont formulées à l’encontre de Microsoft: divulgation du code source afin de
permettre aux fabricants d’installer d’autres logiciels, arrêt de certaines
pratiques contractuelles.
 Parallèlement, Microsoft est toujours accusée par la Commission
européenne d’utiliser Windows pour conquérir le marché des
« media-players » et des logiciels de serveur.
Des comportements difficiles à évaluer
 A court terme, les stratégies de MS semblent bénéfiques pour le
consommateur…
 bien que le prix de Windows ait peu baissé par rapport aux autres
produits informatiques.
 A long terme, il est difficile de mesurer l’impact des comportements de MS
sur l’innovation.
 Cet arbitrage entre bien-être des consommateurs à court et innovation à
long terme est classique:
 on le retrouve dans le brevet d’invention, qui donne un monopole
temporaire à un inventeur…
 Il est difficile d’évaluer les conséquences de mesures sévères à l’encontre de
MS.
 Au final, les tribunaux se sont concentrés sur les clauses forcées.
II. LES PRATIQUES NATIONALES DE LA POLITIQUE DE
CONCURRENCE
 Pratique relativement récente
 Questionnements
a. La cas américain: une politique ancienne
1890: Sherman Act (ententes et position dominante).
 Cette loi est motivée par la concentration croissante de l’industrie
américaine et par les soupçons d’entente pesant sur de nombreuses
entreprises…
 …Mais aussi pour empêcher, à long terme, l’accroissement des
inégalités de richesse et la disparition de petits producteurs.
Le développement de la politique de concurrence américaine
 Il faut attendre les crises financières du début du siècle pour que le Sherman Act
commence à être appliqué (affaire Standard Oil,1911).
 1914: FTC Act, Clayton Act (restrictions verticales, contrôle des
concentrations): à nouveau, les grandes entreprises sont les plus visées (cf.
Ramirez et Eigen, 2001).
 La politique de concurrence US présente des cycles d’activité:
- 1900-1914: American Tobacco, Standard Oil;
- 1935-1950: Alcoa;
- 1960-1975: Rank Xerox, IBM, AT&T;
- 1990-2000: Microsoft.
 Cycle de long terme: 1945-1975, 1975-2000.
Comment expliquer ces cycles ?
 1. Opposition républicains/démocrates (Posner).
 2. Croissance économique.
 Si la première explication na pas trouvé de validation empirique, il
semble en revanche que sur 55-94, la politique de concurrence
s’accroît en période de ralentissement économique (Ghosal et Gallo,
2001).
b. Une politique européenne récente
 L’Union européenne: art.85 et 86 du Traité de Rome…
 … les législations nationales étant jugées largement insuffisantes:
- Espagne, 1989;
- Hollande, 1998;
- Allemagne, 1947, mais très peu appliqué.
 Pourquoi ces retards ?



- philosophie politique:
- étroitesse des marchés nationaux:
- le marché, la concurrence n’est pas envisagé comme le moyen de faciliter la
mobilité sociale ou le bien-être
c. Les pays émergents et en transition
 Pour les pays de l’Est, l’insertion dans l’UE suppose la mise en place
d’un droit de la concurrence, qui est aujourd’hui quasiment achevée…
« sur le papier »
 Mais dans la pratique:
 le droit est peu appliqué,
 les autorités sont peu indépendantes des pouvoirs politiques,
 les opérations de privatisation restent, dans l’ensemble, peu
concurrentielles,
 grande disparité selon les pays.
Ce schéma d’introduction de la politique est aussi observé en
Asie du Sud-Est et en Amérique Latine.
 Rôle des instances régionales: ASEAN, NAFTA, …
 Rôle de crises économiques graves:
- Mexique: mise en place d’une PC au début des années 90 dans le
cadre d’une libéralisation de l’économie suite à la crise du peso;
- Brésil: plan « real » pour lutter contre l’inflation;
- Crise asiatique de 98 qui a précipité la mise en place ou l’application
du droit de la concurrence.
La politique de concurrence est quasiment absente dans les pays
en voie de développement.
 Ex. : Pays du Maghreb, qui en dépit de l’accord avec l’UE, se semblent pas
appliquer les textes avec une grande sévérité (Tunisie: une seule décision en six
ans).
 Pourquoi ?
 forte participation de l’Etat dans l’activité éco.
 coût financier de la politique de concurrence,
 importance des monopoles légaux et de l’oligarchie financière…
 Importance des industries d’exportations (matières premières)
 le développement nécessite d’importants investissements, qui pourraient être
découragés par une trop grande concurrence
Mais pour certains économistes, la politique de concurrence est
un préalable au développement
 La thèse schumpeterienne est souvent invalidée: la concurrence incite à investir
et à innover, donc à être plus productif (Blundell et al., 1999).
 La concurrence rend les programmes de privatisation plus efficaces.
 En outre, les PVD sont de plus en plus ouverts au commerce: la politique de
concurrence leur permet de ne pas subir les pratiques anticoncurrentielles des
pays développés, notamment dans l’industrie lourde (Levenstein et al., 2001).
 Dutz et Hayri [1998]: la politique de concurrence (degré de concentration,
indicateur qualitatif) influence positivement la croissance économique.
III. Les instruments de la politique de concurrence
 Au niveau du cadre juridique, on va retrouver :
- les dispositions légales (législation),
- les différents modes d’évaluation (jurisprudence), - les sanctions.
 A ce cadre juridique s’ajoute le cadre institutionnel, décrivant les
prérogatives des différentes autorités.
a. Le cadre juridique
Différents modes d’évaluation:
 L’approche « per se »: un comportement est puni/interdit de par sa simple
existence.
Ex.: les ententes.
Ex.: certaines restrictions verticales (PRI).
 La règle de raison: la licité d’un comportement résulte d’une analyse au cas par
cas .
Ex.: contrôle des concentrations
Ex.: certaines restrictions verticales.
 Les guidelines permettent aux entreprises de mieux anticiper comment les
autorités évaluent telle ou telle pratique concurrentielle.
Différents types de décision
 Préventives: notification préalable.
- contrôle des fusions-acquisitions,
- exemption de certaines interdictions.
 Punitives:
- injonctions,
- publication d’une décision,
- démantèlement (USA),
- amendes décidées en fonction de la gravité et de la durée des faits:
*10% du CAHT ou 1.5 millions d’euros (F),
* 10 millions de $ (USA)
*10% du CAHT (UE) (1à 20 millions d’euros)
 L’Union européenne a longtemps privilégié des décisions préventives, mais sa
croissance l’oblige progressivement à privilégier des décisions a postériori.
L’efficacité des sanctions
 Les sanctions sont progressivement renforcées afin de pallier les
difficultés liées à la détection.
Le renforcement des sanctions
 Le renforcement des sanctions est manifeste:
 doublement des seuils maximums
 prise en compte du CA du groupe (et non de l’entreprise),
 condamnation des tiers gérant (cartel des vitamines)
 sanctions accrues à l’égard des « récidivistes »
 sanctions s’appuyant sur le dommage aux consommateurs plutôt que le
dommage à l’économie, …
 On assiste donc à une diminution du nombre de décisions mais à une
augmentation des sanctions:
 USA: montant total de 40 millions de $ en 96 à 200 millions de $;
 UE: 1.8 milliards d’euros pour 10 décisions;
 France: l’amende moyenne passe de 0.18 millions d’euros en 98 à 0.62. en
2001.
Limites de l’augmentation des sanctions
 Erreur judiciaire ?
 Rallongement des procédures
 Corruption ?
 Crédibilité ?
 Augmentation du coûts des pratiques anticoncurrentielles ?
b. Le cadre institutionnel
 Dans les pays industrialisés, les « autorités de la concurrence » sont
majoritairement indépendantes du pouvoir politique.
 France:
 Union européenne:
DG IV de la Commission européenne.
 Etats-Unis:
c) L’internationalisation du droit de la concurrence
 Compte tenu de la multinationalisation des entreprises, les autorités nationales
sont de plus en plus amenées à coopérer:
 car les marchés pertinents dépassent les marchés nationaux (une fusion entre
firmes américaines a un impact sur le marché européen);
 car ce chevauchement peut conduire à des procédures multiples;
 car la disparité des pratiques nationales accroît l’incertitude.
 Dès lors, la politique de concurrence peut constituer un obstacle à
l’internationalisation des firmes et des échanges
 OMC.
Mais de nombreux obstacles subsistent…
 Plus de la moitié des membres de l’OMC n’ont pas de droit de la
concurrence national.
 L’intervention de l’Etat dans l’économie crée des disparités
significatives entre les pays disposant d’un droit de la concurrence
(Asie du Sud-Est, Japon).
 Des différences d’interprétation et de mise en pratique du droit
subsistent entre l’Europe et les Etats-Unis.
Les formes actuelles d’internationalisation du droit de la concurrence
 L’Union européenne est la seule institution internationale ayant su mettre en
place un droit de la concurrence international : les règles communautaires
prévalent sur les règles nationales.
 La « théorie des effets » a consacré l’interventionnisme des autorités nationales
dans l’examen d’opérations étrangères, mais de nombreuses difficultés
demeurent:
 quel seuil d’intervention ?
 territorialité du pouvoir d’investigation
 territorialité des sanctions et du suivi de leur application.
Un compromis idéal apparaît sous la forme du « principe de courtoisie »
 « Courtoisie active »: l’autorité d’un pays s’engage à enquêter sur des
pratiques qui affectent un marché étranger.
 « Courtoisie passive »: une autorité nationale peut tenir compte du
bien-être d’un autre pays dans l’application de son droit de la
concurrence.
 De tels principes sont précisés dans les accords bilatéraux entre les
USA et l’UE.
Conclusion: un droit en débat
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