suisse

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SUISSE
À la charnière de l’Europe occidentale et de l’Europe centrale, dispersant ses eaux vers
l’Adriatique, la mer du Nord et la mer Noire, la Suisse multiplie les contrastes géographiques.
État continental enclavé, elle est cependant très largement ouverte aux courants du trafic
international dont elle contrôle les principaux cols et tunnels. Pays essentiellement
montagnard, jurassien et alpin, c’est dans le Moyen Pays des plateaux et collines qu’elle
concentre la majorité de son potentiel économique et humain. À son étendue territoriale
modeste répondent la densité de son peuplement, la variété de ses terroirs où l’agriculture
se mêle à l’industrie. L’expansion contemporaine ajoute au pluralisme des langues et des
cultures la présence d’une très nombreuse main-d’œuvre étrangère. Le portrait
géographique de la Suisse résulte d’une superposition de traits qui se recouvrent sans
coïncider: le cadre physique des grands ensembles naturels; les zones d’influence des
métropoles; les particularismes des groupes ethniques alémanique, romanche, tessinois et
romand. Dans cette synthèse de composantes, la nature a délimité vigoureusement des
espaces, édicté des contraintes, dégagé des aptitudes, mais en nul autre pays européen la
marque du travail des hommes n’est davantage présente dans les paysages.
«Démocratie témoin» à valeur exemplaire pour les uns (A. Siegfried), accident paradoxal
de l’histoire, cristallisé dans des structures «archaïques», pour d’autres (Herbert Lüthy), la
Confédération helvétique fait cohabiter, dans un État de droit, trois grandes ethnies
européennes. Dotée, depuis 1815, d’un statut international de neutralité armée, se tenant à
l’écart des blocs politiques qui divisent les nations, la Suisse est pourtant activement
présente dans le monde contemporain. Terrain de rencontre, par les organisations
internationales qu’elle accueille, refuge de capitaux, elle donne l’image d’un îlot de paix et de
sécurité abritant un «peuple heureux» (Denis de Rougemont). C’est l’aboutissement d’un
destin historique dont l’originalité prend corps au Moyen Âge. Jusque-là, en effet, la Suisse
partage le sort commun de l’Europe centre-occidentale, à la charnière des mondes
gallo-romain et germanique. Cependant, l’émiettement féodal, au lieu de se résorber devant
la montée des grandes monarchies continentales, réussit à survivre, sous la forme d’une
association de cantons souverains. À la fin du XIIIe siècle, autour des communautés
forestières et pastorales qui commandent les cols des Alpes centrales, naît le mouvement
d’émancipation de la tutelle des Habsbourg. Des solidarités politiques et économiques se
nouent entre montagne et bas pays, entre villes et campagnes, et le noyau initial des huit
cantons s’agrandit et se consolide au cours des luttes contre les maisons d’Autriche et de
Bourgogne. À l’aube des Temps modernes, les guerres d’Italie permettent, non sans
dissensions internes, une nouvelle extension, dans le cadre de la Confédération des treize
cantons. La Suisse survit à la crise de la Réforme qui ajoute le clivage des religions à la
diversité des idiomes et des souverainetés. Dès cette époque, elle est constituée dans ses
traits essentiels: désengagement des conflits armés européens, affirmation de la neutralité,
élaboration d’une forme de souveraineté qui lui permettra de ne pas être affectée par les
idées forces qui modèlent lentement l’Europe, avec le centralisme étatique et le principe des
nationalités. Les XVIIe et XVIIIe siècles sont une ère de paix et de prospérité fondée sur les
revenus du service militaire à l’étranger et sur l’essor d’une première industrialisation. Des
oligarchies patriciennes gouvernent les cantons, avec un esprit de conservatisme
paternaliste où les élites pratiquent un large cosmopolitisme financier et culturel. La
Révolution française passe sur la Suisse sans en bouleverser durablement les structures.
L’action des jacobins locaux aboutit, en 1798, à l’occupation française et à une
réorganisation autoritaire de la République helvétique unitaire sous l’hégémonie du
Directoire. Mais, dès 1803, Bonaparte, par l’Acte de médiation, rétablit une Confédération de
dix-neuf cantons. La Restauration de 1815 attribue à la Suisse ses frontières actuelles, lui
garantit sa neutralité et un nouveau Pacte fédéral. Mais la bourgeoisie, qui désire la
modernisation politique et économique du Corps helvétique, suscite, à partir de 1830, une
agitation libérale qui, en 1845-1846, porte au pouvoir les radicaux. La guerre civile du
Sonderbund (1847) voit se briser l’ultime sursaut des forces conservatrices. Les radicaux,
vainqueurs, donnent à la Confédération une constitution démocratique et renforcent le lien
fédéral. Ils demeurent au pouvoir, sans partage, jusqu’en 1919, puis gouvernent avec les
partis conservateur et paysan. La Confédération reste à l’écart des deux grands conflits
mondiaux et, après l’expérience de sa participation à la Société des nations, elle revient à sa
vocation d’une neutralité «instrumentale», de truchement entre les peuples. Tandis que la
«seconde révolution industrielle», née de la houille blanche, suscite une forte expansion
économique, la Suisse, en dépit de l’extension croissante des compétences du pouvoir
fédéral, reste très attachée au pluralisme des petites démocraties cantonales.
Les institutions politiques suisses se caractérisent par une grande stabilité, d’autant plus
étonnante qu’elles régissent une société fortement fragmentée et diversifiée. Au carrefour
des trois cultures européennes, la Suisse porte la marque des clivages linguistiques: aux
trois langues, l’allemand, le français et l’italien, s’est ajoutée une quatrième, reconnue bien
que mineure, le romanche. À l’exemple des langues, les clivages religieux traversent les
frontières cantonales en s’interpénétrant. La Suisse est aussi exposée aux clivages
politiques: il y a une douzaine de partis dans le pays. Cette image devient bien plus
complexe si l’on y introduit la disparité économique et les différences d’attitudes d’un canton
à l’autre. Dans ces conditions, l’établissement et le maintien du lien confédéral ne pouvaient
se réaliser que dans le respect des diversités que garantit le fédéralisme.
La naissance lente et parfois agitée du canton du Jura – depuis la création du
Rassemblement jurassien en 1947 jusqu’à l’adoption par le peuple suisse du référendum
constitutionnel révisant les articles 1er et 80 de la Constitution fédérale et consacrant le
vingt-sixième canton suisse – illustre la mise en œuvre des principes du fédéralisme:
séparation du Jura du canton de Berne auquel il avait été rattaché en 1815, création d’un
nouveau canton, qui, à l’instar des autres, se dote d’une Constitution (3 févr. 1977), d’un
Parlement (Grand Conseil) de soixante membres et d’un gouvernement (Conseil d’État) de
cinq membres élus au scrutin populaire direct. Ainsi, la Confédération compte désormais
vingt cantons et six demi-cantons.
1. Géographie
La nature helvétique et la vie rurale
Avec 41 107 kilomètres carrés, la Suisse est un État exigu, qui s’inscrit dans un rectangle de
350 kilomètres sur 200. L’architecture de son relief s’articule en trois grands ensembles: le
Jura, les Alpes et le Moyen Pays.
Le Jura
Le secteur jurassien, étendu de la Dôle, à la hauteur du Léman, jusqu’au chaînon des
Lägern, au nord-ouest de Zurich, occupe 10 p. 100 de la superficie totale, mais il abrite près
de 14 p. 100 de la population du pays contre 11,9 p. 100 en 1850. Cette région a donc pour
originalité d’échapper au déclin démographique affectant, en général, la montagne
européenne. Le Jura suisse comporte deux zones très différentes. Au sud-ouest de la ligne
Moutier-Olten, par le Noirmont, on a une série de plis serrés, tombant abruptement sur le
Moyen Pays, résultat d’une tectonique souple, où s’étirent des vals et des anticlinaux
calcaires parallèles, culminant à plus de 1 600 mètres. Au nord-est, l’épaisseur moindre des
sédiments et la proximité du socle hercynien sont responsables d’une tectonique cassante.
Le plissement s’amortit en un Jura tabulaire, brisé de failles, troué de bassins, parcouru d’un
dédale de cluses. Dans l’ensemble, c’est une barrière qu’échancrent de rares passages,
vers la Franche-Comté (cols de Jougne, de Saint-Cergue, «Porte de France», au droit de
Neuchâtel) et vers le sillon de l’Aar. Le climat de moyenne montagne océanique est
beaucoup plus rude que ne le voudrait l’altitude, très humide, avec des étés frais, des hivers
enneigés (la Brévine se pare de la dénomination de «Sibérie neuchâteloise»). La présence
des marnes limite l’infiltration des eaux et les phénomènes karstiques et favorise la
végétation. Celle-ci comprend un étage forestier de conifères et de feuillus, avec une
pelouse alpine sur les sommets. Le milieu est peu favorable aux cultures, qui ont très
fortement régressé. Les villages aux maisons massives, bien défendues contre le froid,
vivent de l’élevage et de l’exploitation du bois, mais surtout de la mécanique et de
l’horlogerie qui animent les bourgs étirés dans les vals. À l’orée de la plaine d’Alsace, Bâle,
métropole excentrée et enserrée dans un étroit territoire, est la porte rhénane de la
Confédération.
Les Alpes
Échafaudage géologique extrêmement complexe, le monde alpin couvre 58,5 p. 100 de la
superficie de la Suisse, mais sa population, qui représentait 20, 7 p. 100 du total en 1850,
est tombée à moins de 16 p. 100 en 1970. Les Alpes comprennent trois grands ensembles.
Au sud, les massifs cristallins forment un bastion de hautes montagnes, autour du
«château d’eau» du massif Aar - Saint-Gothard, où les altitudes dépassent 4 000 mètres. Il
est flanqué de trois ensembles moins élevés, découpés dans les schistes cristallins
métamorphiques. La rangée méridionale des Pennines, qui domine le Rhône, entre le
Grand-Saint-Bernard et le Simplon, dépasse encore 4 000 mètres dans le groupe
Cervin-Mont-Rose. Elle se poursuit par le bloc tessinois des Lépontiennes, ébréché de cols
(Simplon, San Bernardino, Splügen, Gothard) et plus fortement disséqué par le réseau du
Tessin et les profonds lacs insubriens (Lugano, lac Majeur). À l’est, enfin, s’étendent les
Rhétiques, où les schistes lustrés donnent des formes lourdes, surtout dans l’Albula, avec un
réseau de hautes vallées, et, au Midi, un relief plus accentué, dans le Bernina et la Silvretta.
En avant des massifs cristallins, les Préalpes sont des empilements de nappes charriées,
faites de roches sédimentaires, chevauchant la mollasse de l’avant-pays. Les Préalpes
occidentales, du Léman à la Kander, sont constituées de deux châteaux de plis calcaires, les
Préalpes vaudoises et l’Oberland bernois, encadrant une zone de flysch, aux sommets
adoucis, découpée par la Simme et la haute Sarine, et toute feutrée d’herbages. Les
Préalpes centrales, de la Kander à la Linth, sont les plus épaisses, avec la barrière escarpée
de la Jungfrau-Titlis, dominant des montagnes aérées par un réseau de vallées branchées
sur le lac des Quatre-Cantons. À l’est, longées par la dépression du lac de Walensee, qui
relie Zurich au Rhin, les Préalpes orientales se relèvent et se ferment au trafic. Avec son
climat continental, très contrasté et rude, la montagne alpine est inégalement favorable à
l’homme. Les massifs cristallins, presque vides, fortement englacés, sont les plus hostiles,
animés seulement par les stations touristiques et les barrages hydro-électriques. Les
Préalpes forestières et pastorales, semées de maisons de bois très disséminées, surtout en
pays alémanique, ont été le berceau de l’indépendance helvétique. Leur économie, fondée
sur l’exploitation de la forêt et l’élevage bovin des races de Simmental et de Schwyz et
renforcée par un tourisme d’été, puis d’hiver, a connu, dès les Temps modernes, une grande
prospérité. Elles demeurent des montagnes consacrées à la production laitière, très
humanisées. Mais, en dépit de l’aide spéciale que la Confédération accorde aux collectivités
montagnardes, elles n’échappent pas au dépeuplement qui frappe l’ensemble de l’arc alpin.
Les Grisons, plus secs et très ensoleillés, où un habitat permanent existe à de fortes
altitudes, ont davantage encore une vie sylvopastorale menacée et s’orientent de plus en
plus vers le tourisme.
En fait, les activités se localisent, avant tout, dans les vallées. Les unes, transversales,
sont perpendiculaires à l’axe de la chaîne et permettent d’accéder aux cols du faîte alpin. La
Suisse primitive, autour du lac des Quatre-Cantons, avec ses opulents prés-vergers,
représente le paysage helvétique classique, et son prolongement, par l’axe Reuss-Tessin, a,
de part et d’autre du Gothard, déterminé le destin historique du pays. Mais les vallées les
plus originales sont de profonds sillons tectoniques longitudinaux, recreusés et calibrés par
les glaciers quaternaires: ainsi le Valais, avec l’ensemble de ses vals, tributaires de la rive
gauche du Rhône, et son symétrique, le Rheintal grison; l’Engadine, dont les paliers sont
parcourus par l’Inn; au sud, la faille insubrienne qui a guidé le tracé du Tessin inférieur et la
tête des lacs. Enfoncés dans le relief, ourlés de cônes de déjection propices aux habitats,
ces domaines sont, au plein sens du terme, des régions «naturelles». Leur climat sec,
réchauffé par le föhn, fait remonter au cœur de la masse alpestre la limite de la culture du
blé, du maïs, des arbres fruitiers et de la vigne, surtout sur les versants d’adret, semés
d’habitations secondaires et parcourus de «remues» entre les différents niveaux
d’exploitation et de peuplement. L’industrie, par contre, sauf en lisière du Moyen Pays, ne
s’est guère installée dans ces vallées, sinon sous la forme d’un équipement hydro-électrique
dont l’énergie est exportée et d’usines d’électrochimie et d’électrométallurgie, d’une
conception ancienne maintenant dépassée. La tonalité méridionale est particulièrement nette
au Tessin, avec les châtaigneraies des hauts vals, les treilles de vigne et les plantes
méditerranéennes et exotiques des rives lacustres. Là encore, le tourisme et le climatisme
d’été ont reçu, surtout en Valais et en Engadine, le puissant appoint des stations de ski de
haute altitude.
Le Moyen Pays
Le plateau suisse des francophones, le Mittelland des alémaniques est la région vitale de la
Confédération. Elle représente 31,5 p. 100 de sa superficie, mais déjà 67,4 p. 100 des
habitants en 1850 et plus de 70 p. 100 actuellement. Le Moyen Pays est une zone déprimée,
un couloir entre Jura et Alpes, allongé sur 250 kilomètres et dont la largeur varie de 30 à 70
kilomètres. Sous l’uniformité apparente des paysages, c’est un fouillis de collines, d’une
altitude de 500 à 800 mètres, qui se relèvent au contact des Alpes. Il s’agit d’une immense
dépression, au fond ondulé, comblée de mollasses tertiaires et recouverte d’un manteau de
Quaternaire fluvio-glaciaire. Ce matériel détritique tendre a été lacéré par l’érosion, qui a
disséqué le relief. L’allure générale est celle d’une gouttière aux versants dissymétriques. À
l’ouest, la limite est très nette avec le plongement des plis calcaires, dominant l’auge
subjurassienne , occupée par les plaines de l’Orbe, de la basse Broye, par les lacs de
Neuchâtel, Bienne et Morat, et par l’Aar inférieure. Elle est par contre beaucoup plus floue à
l’est où la mollasse a été englobée par l’orogenèse alpine en une lisière de véritables
montagnes (Gibloux, Napf, Righi, Rossberg, Speer, Gäbris), hautes de 1 200 à près de
2 000 mètres. Les «Préalpes de Saint-Gall», au nord du Walensee, sont, en fait, constituées
de mollasse fortement redressée. La glaciation quaternaire a provoqué la formation de
nombreux lacs de creusement et de barrage, parfois à demi engagés dans la masse
alpestre. On a, aux deux extrémités du Mittelland, les vastes nappes du lac Léman et du lac
de Constance (Bodensee), mais le phénomène lacustre est surtout présent dans la partie
centrale (Sempach, Baldegg, Hallwil, nord du lac de Zoug, Zurich, Greifen). Au débouché
des lacs, sur les effluents, de remarquables sites urbains contrôlent les portes du monde
alpin. À l’est du sillon subjurassien, les aspects du Moyen Pays sont très variés. Dans la
Suisse occidentale, romande, où les sommets ne dépassent pas 1 000 mètres, dominent,
comme dans le Jorat ou le Gros de Vaud, les formes de plateaux, allongés parallèlement au
front préalpin. La Singine, la Sarine, l’Aar ont incisé dans la mollasse des canyons dont le
franchissement est malaisé. Le centre est occupé par la masse arrondie du Napf et par de
larges croupes entre lesquelles sinuent l’Aar et la Reuss où dorment des lacs. En Suisse
orientale, l’écharpe du Moyen Pays atteint, en arrière du Rhin et du lac de Constance, sa
plus grande extension. Les gondolements profonds du socle donnent des dos de
conglomérats, les Eggen , séparés par de larges dépressions marneuses, les Tobel , aux
horizons dégagés.
Le climat du Mittelland est semi-continental, modérément enneigé, mais les hivers y sont
froids et souvent brumeux, et les chaleurs estivales fortes. Le Mittelland est bien arrosé,
avec un maximum de saison chaude, sauf à l’abri direct du Jura. Les rives des grands lacs
abritent des microclimats qui ignorent presque les gelées et sont très propices aux vignobles.
Dans l’ensemble, les sols de dépôts morainiques remaniés dominent, avec quelques
placages de limons et des alluvions fluviales ou lacustres, souvent très fertiles. Le paysage
de champs ouverts et laniérés est le plus fréquent avec des villages ou hameaux groupés,
entourés de vergers, et des maisons paysannes cossues, surtout dans le pays bernois. La
campagne, verdoyante, est extrêmement humanisée, très soignée et densément peuplée
avec, surtout en Suisse allemande, une interpénétration des régions agricoles et des bourgs
urbanisés et industrialisés. Les paysans ont déployé une extrême ingéniosité pour combiner
des systèmes de culture aux assolements savants. Dans le canton de Genève, le sillon
subjurassien (Seeland) et la vallée du Rhin, la dominante est aux céréales et au colza,
associés aux plantes industrielles. L’«agriculture pour le bétail», mêlant cultures sarclées et
cultures fourragères, est la plus répandue. La part des prairies artificielles s’accroît dans le
Moyen Pays alémanique du Centre et du Nord-Est.
La population et les grands espaces économiques
Les forces de production
La population de la Suisse est, pour près de 90 p. 100, établie dans les zones d’altitude
inférieure à 700 mètres. Le total des habitants est passé de 2,66 millions en 1870 à 3,8 en
1900, à 4,7 en 1950, à 5,429 en 1960, à 6,534 en 1985 et à 6,992 à 1994. La projection
démographique est de 7 277 000 pour l’an 2000. La densité de 169,4 personnes au
kilomètre carré en 1994 est l’une des plus fortes de l’Europe occidentale, et ce chiffre prend
toute sa signification si l’on observe que près d’un quart du sol est improductif et un autre
quart couvert de montagnes et de lacs. Après un fléchissement accentué, de 1900 à 1940, le
dynamisme démographique s’est amélioré, mais demeure modeste, avec un taux de natalité
de 12,6 p. 1 000 pour 1992 et une mortalité de 9,1 p. 1 000, qui laissent un taux
d’accroissement naturel de 3,5 p. 1 000. L’émigration des Suisses, très forte dès le
XVIe siècle et qui l’est demeurée relativement jusqu’au lendemain de la crise mondiale des
années trente, est tombée à des valeurs très faibles, de 1 700 départs annuels. La
Confédération, en revanche, est traditionnellement une terre d’accueil, des protestants du
«Refuge» aux proscrits politiques du XIXe siècle. À partir de 1890, avec l’industrialisation
massive née de la houille blanche, commence l’afflux des travailleurs étrangers. Les
non-Suisses sont déjà 600 000 en 1914 (15,4 p. 100 du total) et atteignent en 1969 le chiffre
record de 991 000 (16,1 p. 100). La «surchauffe» économique, à partir de 1950, augmente
l’effectif des travailleurs étrangers, résidents, saisonniers ou frontaliers, si bien que, dès
1963, les autorités prennent des mesures de contingentement. Le nombre des étrangers
soumis au contrôle était, en 1985, de 1,019 million (15,6 p. 100 de la population totale), dont
175 000 travailleurs à l’année ou saisonniers et 106 800 frontaliers. Les Italiens sont les plus
nombreux, suivis des Espagnols, des Français et des Portugais. La surpopulation étrangère
(Überfremdung ) est un problème qui perd l’acuité qu’il revêtait dans les années 1970. La
composition ethnique de la population suisse montre une lente progression de l’élément
alémanique (72,7 p. 100 en 1910 et 73,5 p. 100 en 1980) et italien (3,9 et 4,5 p. 100) au
détriment des groupes francophone (22,1 et 20,1 p. 100) et romanche (1,2 et 0,9 p. 100).
Les grands espaces économiques
La réalité régionale helvétique échappe, de plus en plus, au découpage des cadres
physiques pour s’ordonner en régions polarisées par quelques métropoles, détentrices des
pouvoirs d’incitation et de décision. La prépondérance humaine du Moyen Pays, où la
circulation aisée homogénéise l’espace, a facilité cette nouvelle répartition des activités.
Cependant, si la concentration économique s’accroît, elle n’a pas entraîné, comme dans les
pays centralisés, le dépérissement ou la stagnation des villes subordonnées. La fédéralisme
a conservé à bien des centres des fonctions politiques et sociales de capitale. Le taux
d’urbanisation est élevé: les 33 agglomérations, au sens suisse (communes de moins de
10 000 habitants, reliées à un noyau urbain de plus de 10 000 âmes), représentent, en 1985,
avec 3 694 577 habitants, 58 p. 100 de la population totale. La coupure entre ville et
campagne n’est jamais très nette, avec un semis de fabriques et d’immeubles dans un
paysage rural et une absence de gigantisme urbain (5 villes seulement ont plus de
100 000 habitants dans leurs limites municipales et dénombrent, au total, 957 000 âmes).
Aucune partie du territoire n’échappe vraiment à l’influence des deux points forts du réseau
urbain, Bâle et Zurich, qui abritent les sièges de toutes les grandes banques et les
états-majors industriels et commerciaux. Le groupe bâlois, avec un demi-million de
dépendants, centre de l’industrie chimique, déborde sur le Jura du Nord, la porte de
Bourgogne, l’Alsace et le pays de Bade, aire d’attraction de la Regio basiliensis . Zurich,
dans un site de moraine lacustre terminale, et son canton (1,13 million d’habitants)
rayonnent sur une nébuleuse de satellites qui s’étendent dans le Mittelland et le long des
rives du lac. Les plus fortes densités sont enregistrées dans le «triangle d’or» industriel, dont
les sommets sont Bâle, le canton de Lucerne (306 000 habitants) et Winterthour
(110 000 habitants), voués à la construction des machines, aux industries de précision, aux
textiles. Il mord sur le bord du Jura, autour d’Olten (250 000 travailleurs) et les débouchés
alpins (région de Zoug: 110 000 salariés). La polarisation zuricho-bâloise s’exerce
directement sur la Suisse nord-orientale, dans les cantons de SaintGall (400 000 habitants)
et de Schaffhouse (70 000 habitants), à forte vocation textile, ainsi que sur le Jura, à
mono-industrie horlogère, dont la capitale industrielle est La Chaux-de-Fonds, et sa lisière
(dans les villes de Soleure, 57 000 habitants, de Bienne, 85 000, de Neuchâtel, 67 000), tout
comme sur le rebord alpin (Berne, 310 000 habitants).
La présence alémanique, par le processus des concentrations et des fusions – auquel a
échappé Nestlé, dont le siège est à Vevey – n’épargne pas la conurbation lémanique , du
canton de Genève (366 000 habitants dont 34,6 p. 100 d’étrangers et 25 000 frontaliers) au
pays de Vaud (Lausanne, 258 000 habitants), tout comme les cités; très vivantes, du Valais
(Sion, 23 000 habitants; Sierre, 13 000), et s’exerce fortement au Tessin
(278 000 habitants), dans les centres du Sotto-Ceneri, Lugano (30 000 habitants) et
Bellinzona (17 000 habitants).
2. Histoire
Des origines à la naissance de la Confédération
L’occupation du sol commence à la fin du Paléolithique ancien (50000-8000 av. J.-C.), dans
les grottes et abris sous roche des parties non englacées du Jura et des Alpes. Au fur et à
mesure de la fonte des glaciers, les chasseurs de la fin du Paléolithique et les pêcheurs du
Mésolithique (8000-3000 av. J.-C.) remontent les vallées du Moyen Pays et abordent la
montagne. La densité augmente avec les civilisations agricoles du Néolithique (3000-1800
av. J.-C.) dont les groupes de cultivateurs et d’éleveurs fondent les premiers villages. L’âge
du bronze (1800-750 av. J.-C.) coïncide avec un adoucissement du climat qui permet
l’épanouissement des palafittes (cités lacustres) et le peuplement des Alpes. Des échanges
étendus se nouent avec des régions lointaines. Aux XIIIe et XIIe siècles apparaissent, venus
de l’est, l’incinération funéraire, le char, le cheval de trait. L’âge du fer (1750 av. J.-C.-début
de l’ère chrétienne) est brillamment représenté en Suisse par les époques de Hallstatt et
surtout le deuxième âge de La Tène (près du lac de Neuchâtel). Le mobilier des tombes
princières atteste des relations avec les grandes civilisations méditerranéennes. Dès le Ve
siècle avant J.-C., des tribus celtiques sont installées. Les Helvètes et les Rauraques du Jura
et du plateau fondent des villages et des oppidums fortifiés. Ils adoptent l’écriture et la
monnaie, tandis que les Rhètes des Alpes orientales pratiquent dans leurs hameaux
l’économie pastorale.
Du début de l’ère chrétienne au commencement du Ve siècle, la romanisation marque
profondément la Suisse. En 58 avant J.-C., César arrête, à Bibracte, la migration des
Helvètes vers le Sud. Il les refoule dans leur région d’origine qui est, à cause des cols entre
l’Italie et les vallées du Rhône et du Rhin (Grand-Saint-Bernard, Splügen), un élément de
liaison essentiel dans l’organisation du monde romain. L’Helvétie ne forme pas une
circonscription propre, mais elle est partagée entre les diverses provinces (au Ier siècle:
Belgique, Rhétie et Narbonnaise; aux IIe et IIIe siècles: Germanie supérieure, Narbonnaise,
Alpes Grées et Pennines; aux IVe et Ve siècles: Rhétie I, Grées et Pennines, Viennoise). La
romanisation des Celtes indigènes se manifeste dans leur langage et dans leur genre de vie.
Des domaines ruraux se créent, à l’intérieur du réseau de communication, dont les nœuds
sont des camps militaires, comme Vindonissa (Windisch, en Argovie), où les chefs-lieux des
principales colonies: Augusta Raurica (Augst), Julia Equestris (Nyon), Aventicum
(Avenches), Octodurus (Martigny), Curia (Coire). Mais, dès le IIIe siècle, la prospérité est
menacée par les premières incursions germaniques, et la Suisse devient une zone frontière
de l’Empire, sur la défensive.
La grande migration des peuples barbares est un tournant capital dans le destin
helvétique. À l’unification administrative, économique et culturelle de la période romaine
succèdent les particularismes ethniques, linguistiques et territoriaux qui demeurent à la base
de la Confédération. Les modalités de la germanisation sont différentes selon les régions.
Elle est profonde au nord-est, avec les vagues successives des Alémanes. Les traces de la
romanisation sont effacées au profit d’un nouveau paysage humain, caractérisé par l’habitat
dispersé, la maison de bois, l’élevage et l’essartage des forêts. La pénétration fut intense sur
le plateau et dans les Préalpes, plus sporadique dans les Alpes centrales, et surtout en
Rhétie, où se maintinrent des idiomes latins, le romanche et le ladin. Peu à peu, et jusqu’au
IXe siècle, les Alémanes se convertissent au christianisme, sous l’action des missionnaires et
des abbayes. Qu’il s’agisse des Lombards au sud des Alpes ou des Burgondes dans le
sud-ouest de l’Helvétie, la composante germanique fut initialement absorbée par l’élément
celto-latin antérieur. Les Burgondes, déjà christianisés, furent installés par les Romains
comme auxiliaires dans des secteurs dévastés et dépeuplés entre Saône et Jura. À la fin du
Ve siècle, ils constituent autour de Genève un royaume indépendant et ils vivent en symbiose
pacifique avec les autochtones dont ils adoptent la langue. La frontière entre les deux
ethnies n’a que très peu varié depuis le haut Moyen Âge. Passablement indifférente à la
topographie, elle coupe obliquement la Suisse, du Jura au haut Valais, à travers le Moyen
Pays, les Préalpes et l’Oberland. Tandis que se constitue lentement la féodalité, les terres
helvétiques mènent une vie effacée, dans le royaume mérovingien, puis dans l’Empire
carolingien auxquels elles sont incorporées. La Suisse devient un conglomérat de
souverainetés, laïques, ecclésiastiques et urbaines. Plusieurs dynasties aspirent à
l’hégémonie: la maison de Savoie, au nord du Léman; les Zähringen qui, jusqu’à leur
extinction, en 1218, créent dans le nord-ouest du plateau et au-delà du Rhin un véritable
royaume dont les Savoie et les Habsbourg se partagent les dépouilles. De 888 à 1032,
l’Helvétie fait partie d’un éphémère «second royaume de Bourgogne» dont le dernier
souverain, mort sans enfants, a pour successeur l’empereur Conrad II. Elle relève désormais
du Saint Empire germanique.
La naissance de la Confédération
L’indépendance des premiers cantons montagnards est liée au grand renversement de la
conjoncture européenne qui s’effectue aux XIIe et XIIIe siècles. À la suite des croisades,
l’économie continentale se ranime, avec la reprise des courants commerciaux et la floraison
des villes. La recherche, par les empereurs germaniques, d’une prépondérance en Italie
intensifie les échanges entre l’Allemagne et le monde méditerranéen. Elle postule une liaison
directe à travers les Alpes centrales, dont les cols vont succéder aux antiques passages
orientaux et occidentaux de la chaîne. À la fin du XIIIe siècle, les habitants d’Uri aménagent
les gorges de Schöllenen qui permettent le franchissement du Gothard. Les vallées
convergeant vers le lac des Quatre-Cantons prennent une importance géopolitique
croissante. Dans les régions d’Uri, de Schwyz, d’Unterwald autour de Sarnen (Obwald) et de
Stans (Nidwald) vivent des communautés forestières et pastorales, les Waldstätten ,
habituées à la gestion collective des bois et des alpages. Au début du XIIIe siècle, les
Waldstätten sont sujets des comtes de Habsbourg et craignent pour leurs libertés. Ils
recherchent l’appui de l’empereur qui accorde à Uri, en 1231, et à Schwyz, en 1240, une
charte d’immédiateté les plaçant sous sa juridiction directe et leur accordant la faculté de se
gouverner eux-mêmes. Mais Rodolphe de Habsbourg, déjà maître de Lucerne, au débouché
de la route du Gothard, et dont les territoires enserrent les Waldstätten, est élu empereur en
1273. Il fait administrer les vallées par des baillis dont la rigueur indispose les populations.
En juillet 1291, Rodolphe Ier meurt, et les communautés d’Uri, de Schwyz et de Nidwald
resserrent leur union par le pacte d’alliance du 1er août 1291, document que les Suisses
considèrent comme l’acte de naissance de leur confédération. L’attaque de Schwyz contre
les terres du couvent d’Einsiedeln est le prétexte de la répression autrichienne. Mais les
montagnards sont vainqueurs à Morgarten (15 nov. 1315) et les Habsbourg signent la paix
en 1318. L’origine de la Confédération a suscité une tradition légendaire qui ne repose pas
sur des textes contemporains ou des témoignages authentiques mais se fonde sur des
chroniques écrites deux siècles après les événements. Au XVIIIe siècle, le mythe de
l’helvétisme, né des théories de Jean-Jacques Rousseau sur la vertu et l’esprit démocratique
des montagnards, alimentera un thème promis à une immense fortune: les exploits des
héros de l’indépendance, Guillaume Tell, Arnold de Melchthal, Werner Stauffacher, liés par
le serment de la prairie du Grütli. L’hypercritique du XIXe siècle a nié la valeur historique de
ces légendes que les spécialistes considèrent à présent comme l’expression d’une tradition
collective. En 1315, les Waldstätten confirment et resserrent leur alliance par le pacte de
Brunnen. Dès lors, comme Schwyz avait eu un rôle très actif dans la lutte contre les
Habsbourg, on prit l’habitude de désigner par ce nom: la Suisse, ou les Suisses, l’ensemble
de la Confédération.
Au noyau primitif viennent s’agréger, pour des raisons diverses, une série de territoires
qui, en soixante-deux ans, portent l’alliance de huit cantons. Lucerne adhère au pacte en
1332. À Zurich, ville d’Empire, les corporations d’artisans s’emparent, en 1336, du pouvoir et,
en 1351, se lient aux Suisses. L’Autriche tente de reprendre la ville et, au cours de la guerre,
les confédérés occupent Glaris et Zoug qui entrent dans l’Alliance en 1352. La cité de Berne
règne sur de vastes territoires; le pouvoir des bourgeois, menacé par une coalition des
seigneurs, est sauvé par l’aide des Waldstätten, alliés, à la bataille de Laupen (1339). En
1353, Berne entre dans la Confédération. Les huit cantons forment un amalgame politique
assez lâche où les cantons forestiers forment l’élément de liaison entre les partenaires. Mais
il est déjà assez fort pour briser les retours offensifs de l’Autriche à Sempach (9 juill. 1386) et
à Naefels (9 avr. 1388).
L’expansion du XVe siècle
Au lendemain de Naefels se produit un événement décisif: les villes d’Allemagne du Sud,
alliées des Suisses, sont battues par les princes d’Empire et leur ligue est dissoute, alors
que les cantons maintiennent leur indépendance. Le destin de la Suisse commence à se
séparer définitivement de celui de l’Empire. «La Suisse resta désormais le réduit du
particularisme communal dans une Europe où, partout ailleurs, l’avenir appartenait à l’État
territorial et unificateur» (H. Lüthy).
Les confédérés nouent des alliances de combourgeoisie avec leurs voisins: communautés
comme Appenzell, les dizains du Valais, les trois ligues des Grisons; seigneuries comme les
évêchés de Genève, de Sion, l’abbaye de Saint-Gall, les comtés de Neuchâtel et de
l’oggenbourg; villes indépendantes comme Bâle, Soleure, Schaffhouse, Rottweil, Mulhouse.
Mais l’expansion territoriale se fait également par des conquêtes. Entre 1403 et 1416, Uri,
pour contrôler totalement le Gothard, occupe la Léventine (haute vallée du Tessin) et les vals
Maggia et Verzasca. En 1415, les confédérés s’emparent de l’Argovie autrichienne et, en
1460, de la Thurgovie. À côté des alliés, ces territoires forment une nouvelle catégorie: les
pays sujets, ou bailliages, propriétés d’un seul canton ou communs à plusieurs. La
Confédération est, désormais, une puissance militaire redoutable. Le service obligatoire peut
mettre sur pied 100 000 hommes aguerris, avec une infanterie armée de la hallebarde, sur
l’ordre de la Diète fédérale. La surpopulation incite les cantons à signer avec l’étranger des
accords qui stipulent l’envoi de mercenaires (80 000 au total).
En 1436, Schwyz et Zurich entrent en conflit pour la possession du comté de
Toggenbourg, clé des routes vers l’Autriche et les cols grisons. Zurich s’allie à l’Autriche,
mais les sept cantons remportent la victoire de Saint-Jacques sur la Sihl (juill. 1443).
L’empereur obtient l’aide de la France. Charles VII envoie le dauphin Louis avec 40 000
mercenaires «armagnacs» qui tiennent les confédérés en échec, à Saint-Jacques sur la
Birse (août 1444). Cependant la France signe la paix sans poursuivre son offensive et, au
bout de dix ans de guerre civile, Zurich reprend sa place dans l’alliance.
La France de Louis XI est, tout comme les confédérés, inquiète des ambitions de Charles
le Téméraire, duc de Bourgogne. Le roi persuade les Suisses de signer la paix avec
l’Autriche (1474) et d’attaquer le Téméraire, pour porter secours à leurs alliés de Bâle et de
Mulhouse. Le conflit prend une dimension internationale avec la Suisse, la France, les villes
d’Alsace d’une part, et avec la Bourgogne, la Savoie et le duc de Milan d’autre part. En 1474,
la haute Alsace est libérée, et, en 1475, les Bernois envahissent le pays de Vaud savoyard.
Tandis que Louis XI et l’empereur signent une paix séparée, la Suisse, isolée, est attaquée
par le Téméraire. Les confédérés sont vainqueurs à Grandson (2 mars 1476) et à Morat (28
juin 1476), remportant un immense butin et mettant fin au rêve d’hégémonie bourguignonne.
Berne conservait, en possession directe ou en commun avec Fribourg, une série de terres
vaudoises et les Valaisans gardaient le bas Valais, jusque-là savoyard. Au lendemain des
guerres de Bourgogne, la suprématie des Waldstätten semble mise en question par les
grands cantons. En 1481, la Diète de Stans ne peut trouver un accord, mais, à l’ultime
moment, la rupture est évitée par l’arbitrage de l’ermite Nicolas de Flue. Fribourg et Soleure
entrent dans la Confédération.
L’émancipation de la Confédération
La Suisse, sous le nom de Ligue de la haute Allemagne, fait toujours partie de l’Empire. À la
fin du XVe siècle, l’empereur Maximilien Ier entend resserrer son emprise sur la
Confédération avec l’aide des États du sud de l’Allemagne. Mais la «guerre de Souabe» se
solde par la défaite des impériaux, à Frastenz, à Calven et à Dornach (1499). À la paix de
Bâle, l’empereur reconnaît l’indépendance de fait de la Suisse. Bâle et Schaffhouse en 1501,
Appenzell en 1513 entrent dans la Confédération, forte de treize cantons et dont la frontière
se fixe, au nord, sur le Rhin.
La Suisse, par l’intermédiaire de ses mercenaires, prit une part active aux guerres d’Italie,
et elle en profita pour étendre ses possessions au Tessin (Bellinzona et le val Blenio). En
1510, par l’entremise du cardinal valaisan Mathieu Schiner, les treize cantons adhèrent à la
ligue formée par le pape Jules II contre la France. Leurs troupes conquièrent le Milanais et
s’emparent de nouvelles terres au sud des Alpes: l’Ossola, Mendrisio, Locarno, Lugano
deviennent des bailliages communs. En 1513, les Suisses sont à l’apogée de leur puissance
militaire, battant les Français à Novare et assiégeant Dijon. Mais, les 13 et 14 septembre
1515, ils sont écrasés à Marignan (Melegnano) par François Ier. Cette défaite marque un
tournant de l’histoire suisse. La Confédération cesse désormais d’intervenir directement
dans les affaires européennes. En 1516, elle signe avec la France la paix perpétuelle qui lui
procure de fortes indemnités et lui permet de conserver les bailliages du Tessin, sauf
l’Ossola. Désormais, les Helvètes se limitent au fructueux service militaire mercenaire.
Dès 1519, à Zurich, Ulrich Zwingli prêche une réforme proche du luthéranisme. Diffusé par
les humanistes, le protestantisme gagne Berne (1528), Bâle et Schaffhouse (1529); Glaris,
Appenzell et Soleure se partagent entre les deux confessions, tandis que les cantons
primitifs, avec Lucerne et Zoug, restent catholiques. La contestation pour le régime religieux
des bailliages communs amène une guerre civile. Après la bataille de Kappel (1529), une
trêve s’instaure, mais la lutte reprend en 1531, et l’issue de la seconde bataille de Kappel est
favorable aux catholiques. La Suisse comprend désormais sept cantons catholiques (Uri,
Schwyz, Unterwald, Lucerne, Zoug, Soleure et Fribourg), majoritaires à la Diète, et quatre
cantons réformés (Zurich, Berne, Bâle et Schaffhouse). La Réforme s’étend dans le pays
romand, où les villes, en l’adoptant, cherchent à échapper à la tutelle de leurs princes,
comme les ducs d’Orléans à Neuchâtel ou la maison de Savoie à Genève. Elles signent des
traités de combourgeoisie avec les cantons protestants. Les prédicateurs français
(Guillaume Farel, Théodore de Bèze) ou vaudois (Pierre Viret) font adopter la Réforme à
Neuchâtel en 1530 et à Genève en 1536. Les Bernois débloquent Genève attaquée par la
Savoie et conquièrent le reste du pays de Vaud, où le protestantisme est imposé et qui
devient un bailliage bernois. Fribourgeois et Valaisans occupent les autres terres
savoyardes, au nord et à l’est du Léman. À Genève, Calvin, arrivé en 1536, établit une
théocratie et domine la vie politique et religieuse de la cité jusqu’à sa mort en 1565. La
Contre-Réforme arrête l’expansion du protestantisme. En 1564, Berne doit restituer au duc
de Savoie le nord du Genevois et le Chablais, mais les Valaisans gardent le bas Valais. Les
11 et 12 décembre 1602 échoue l’«Escalade» des Savoyards contre Genève, ultime
tentative pour reconquérir la «Rome protestante», où affluent les huguenots réfugiés.
La Suisse reste à l’écart de la guerre de Trente Ans qui ravage l’Allemagne. La menace
pousse au renforcement de l’organisation militaire, avec la création d’une armée fédérale,
chargée de faire respecter le territoire. Le «Défensional de Wil» (1647) est la première
formulation de la neutralité armée de la Confédération. À la paix de Westphalie, en 1648,
l’envoyé de la Suisse J. R. Wettstein obtient la reconnaissance de l’indépendance totale des
cantons vis-à-vis de l’Empire. Les séquelles de la Réforme suscitent la réaction des cantons
protestants, en minorité à la Diète. Après un premier échec à Willmergen (1656), la seconde
guerre de Willmergen (1712) permet aux réformés d’obtenir la liberté de religion pour les
bailliages communs.
La Suisse aristocratique
Le XVIIIe siècle est une période de paix extérieure et de développement économique.
L’industrie textile de la Suisse nord-orientale vaut à la Confédération d’être l’un des premiers
États européens, à l’ère de l’industrialisation prémanufacturière. Le service étranger procure
d’abondantes ressources qui s’ajoutent aux profits de la banque. L’afflux des huguenots
français, à la suite de la révocation de l’édit de Nantes, stimule la conjoncture. Il s’en faut
pourtant que la Suisse réponde à l’image idyllique que répandent les adeptes de
l’«helvétisme» et du droit naturel. La condition des paysans est très dure, et des jacqueries
éclatent au lendemain de la guerre de Trente Ans (1653). Assemblage de républiques
souveraines, la Confédération, sauf dans les petits cantons primitifs de démocratie directe
(Landsgemeinde ), est gouvernée par des oligarchies autoritaires, menant une vie sociale et
culturelle souvent brillante. Le pouvoir est détenu par un petit nombre de patriciens qui
laissent certains droits politiques aux bourgeois, mais qui excluent de la vie civique les
«habitants», descendants des immigrés récents, et les «sujets» de la campagne. Des
tensions se font jour dans cette société hiérarchisée. En 1723, le major Davel tente de
soulever le pays de Vaud contre Berne; en 1726 des troubles éclatent contre le
prince-évêque de Bâle. Genève, alliée à la Confédération, est un creuset d’idées et les
bourgeois réclament leur participation au pouvoir, ce qui motive des interventions
répressives de Berne, de Zurich et des puissances étrangères (1707, 1762-1768). L’agitation
s’étend aux «natifs», couche subordonnée de la société urbaine, composée des
descendants des réfugiés et habitants installés après la Réforme et tenus à l’écart des droits
politiques monopolisés par les familles patriciennes. Ils arrachent des concessions en 1781,
et, en 1782, ils se révoltent. Le gouvernement oligarchique n’est sauvé que par une nouvelle
«prise d’armes» de la France, de la Savoie et de Berne.
L’hégémonie française
La Révolution française éveilla des échos profonds dans les treize cantons. En 1792, les
sujets alémaniques du prince-évêque de Bâle proclament la république et, à Genève,
bourgeois et natifs renversent l’oligarchie. Le Directoire est décidé à mener une politique
d’expansion territoriale. En 1797, il annexe à la Cisalpine la Valteline, sujette des ligues
grisonnes. La France désire contrôler les cols des Alpes et tirer de la Suisse de fortes
contributions en argent. Le prétexte de l’intervention est fourni par l’action des émigrés à
Paris, comme le Vaudois Frédéric-César de La Harpe, ou par les appels à la délivrance du
joug aristocratique adressés par les jacobins locaux, comme le Bâlois Pierre Ochs. Le 24
janvier 1798, les villes vaudoises se soulèvent contre Berne et proclament la République
lémanique, aussitôt occupée par les Français. La révolution libérale gagne tous les pays
sujets (Argovie, Thurgovie, bas Valais), justifiant de nouveaux empiétements du Directoire, à
Fribourg et à Soleure (2 mars 1798). Les Bernois, après un premier succès, sont battus à
Grauholz et ouvrent leur capitale à l’envahisseur (5 mars). Les cantons centraux résistent
opiniâtrement, mais, après la chute de Lucerne et de Zoug, la défaite de Rotenturm (2 mai
1798) entraîne la capitulation d’Uri, de Schwyz, d’Unterwald et de Glaris. Mulhouse alliée
des Suisses, Genève et le Valais sont occupés militairement. En septembre 1798, les
Français brisent durement l’ultime sursaut du Nidwald. La Suisse est réorganisée, comme
les autres «républiques sœurs», sur le modèle français. La République helvétique,
centralisée, redécoupée en circonscriptions administratives, est gouvernée par un Directoire.
Tous les habitants reçoivent l’égalité des droits, et le pouvoir électif censitaire passe à la
bourgeoisie des possédants. Mais la République helvétique demeure occupée par la France,
privée de politique extérieure, pressurée financièrement et plongée dans une grave
dépression économique. En 1799, elle est un champ de bataille entre Français et
Austro-Russes, autour de Zurich et dans les Alpes. La vie intérieure est instable et précaire,
et les tenants du système fédéral manifestent une opposition croissante.
Avec réalisme, Napoléon comprend que la Suisse n’est pas mûre pour la centralisation
unitaire. Devant les luttes entre fédéralistes et centralisateurs, il intervient. Les troupes
françaises sont retirées et une consulta de députés suisses, réunie à Saint-Cloud, accepte
une nouvelle constitution, rédigée par l’Empereur. L’Acte de médiation (19 févr. 1803) rétablit
les treize cantons anciens, dans des frontières modifiées, et la Diète, mais elle fait aussi
accéder au statut du canton de plein exercice les anciens pays alliés et sujets (Saint-Gall,
Argovie, Thurgovie, Grisons, Tessin, Vaud). La Confédération helvétique, nom officiel qui
apparaît pour la première fois, compte désormais dix-neuf cantons. Le calme intérieur revient
et la Suisse bénéficie des grands travaux napoléoniens, comme l’équipement des routes
alpestres. Mais le Blocus continental aggrave le marasme économique. Pour l’appliquer plus
efficacement, Napoléon occupe le Tessin et annexe à la France le Valais (1810).
En 1813, deux armées alliées traversent la Suisse. La Diète abolit l’Acte de médiation, et,
le 1er janvier 1814, Genève se libère de la tutelle française. La Confédération est représentée
au Congrés de Vienne par des délégués de la Diète et des cantons. Le rôle déterminant fut
joué par le Genevois Charles Pictet de Rochemont qui, après l’entrée de sa patrie dans la
Confédération, fut également l’envoyé de la Suisse au Congrès de Paris et aux négociations
de 1816 avec la Sardaigne. La Confédération reçoit, sur la base de trocs et de
compensations territoriales, sa structure et ses frontières actuelles. Elle comprend désormais
vingt-deux cantons, avec l’entrée du Valais, de Neuchâtel et de Genève dont le territoire est
arrondi d’un seul tenant et relié au reste de la Suisse par la cession de communes
savoyardes et françaises. Des zones franches sont établies autour de la ville, en Savoie et
dans le pays de Gex. La neutralité et l’inviolabilité de la Suisse sont garanties par les
Puissances et la neutralisation, avec droit d’occupation militaire, étendue au nord de la
Savoie.
La Suisse libérale et démocratique
Après 1815, l’aristocratie rétablit l’ancien régime, renversé par la Révolution. Jusqu’en 1825,
la situation économique est médiocre. La Diète a des pouvoirs réduits. Chaque canton garde
ses douanes, ses postes, ses monnaies. Les libéraux réclament le retour aux libertés et à
l’égalité civique et le renforcement du pouvoir fédéral.
Dans les années 1830 commence à se faire sentir un «décollage» économique avec les
progrès du machinisme industriel et du tourisme étranger. La révolution parisienne de 1830
fait naître une série d’agitations qui amènent les cantons les plus importants (Thurgocie,
Argovie, Saint-Gall, Schaffhouse, Zurich, Soleure, Lucerne, Berne, Vaud, Fribourg) à se
doter de constitutions fondées sur le suffrage universel et à octroyer les libertés
fondamentales. À Bâle, les citadins refusent l’émancipation politique des ruraux, et le canton
se scinde en deux demi-cantons, Bâle-Ville et Bâle-Campagne. La Suisse accueille un grand
nombre de proscrits politiques, ce qui lui vaut des difficultés avec ses voisins (conflit avec la
France, en 1838, à la suite du séjour de Louis-Napoléon Bonaparte).
En face des conservateurs progresse le courant radical, qui a pour programme le
renforcement du lien fédéral, la liberté religieuse et l’expansion économique. En 1841-1843,
un conflit éclate dans le canton d’Argovie, de confession mixte, à cause de la fermeture de
couvents, accusés par le gouvernement de fomenter l’opposition des catholiques à la
nouvelle constitution libérale. En 1844, Lucerne rappelle les Jésuites, ce qui est considéré
comme une provocation et motive les attaques des corps-francs radicaux. Les sept cantons
conservateurs et catholiques de Lucerne, d’Uri, de Schwyz, d’Unterwald, de Zoug, de
Fribourg et du Valais forment, en décembre 1845, une «alliance défensive séparée»
(Sonderbund), tenue secrète. L’affaire des Jésuites et la révélation du Sonderbund divisent
les cantons et amènent une recrudescence de l’agitation des radicaux. Ils prennent le
pouvoir, à Lausanne, avec Henri Druey, le 14 février 1845. À Genève, l’insurrection populaire
du 7 octobre 1846, dirigée par James Fazy, établit un régime démocratique. Le ralliement de
Saint-Gall donne la majorité, à la Diète, aux cantons qui sont hostiles au Sonderbund. Elle
en prononce la dissolution, mais les séparatistes refusent de se soumettre et se retirent de la
Diète. Le 4 novembre 1847 est décidée une intervention armée contre le pacte séparé.
Pendant vingt-six jours, une brève guerre civile oppose les milices fédérales, commandées
par le général genevois Guillaume-Henri Dufour, aux troupes catholiques, sous les ordres
d’Ulrich de Salis-Soglio. Le 14 novembre, Fribourg tombe, puis Zoug et Lucerne. Les
cantons dissidents réintègrent la Confédération et expulsent les Jésuites. Les radicaux,
vainqueurs, réorganisent la Suisse par la Constitution du 12 septembre 1848. Solution de
compromis entre partisans et adversaires d’une grande autonomie des cantons, elle laisse à
ces derniers une large indépendance. Mais le pays est doté d’un conseil fédéral de
gouvernement, de deux chambres élues au suffrage universel (Conseil national et Conseil
des États). La Confédération prend en charge les affaires étrangères, l’armée, les douanes,
les postes et la monnaie.
Au lendemain de 1848, la Suisse inaugure une ère de grande stabilité politique. Les
dernières hypothèques territoriales sont levées. Depuis 1707, Neuchâtel relevait de la
Prusse; en 1848, les libéraux proclament la république et, en 1856, la contre-révolution
royaliste est étouffée par l’intervention fédérale. L’entremise des Puissances aboutit, lors de
la Conférence de Paris (1857), à la renonciation du roi de Prusse à ses droits sur le canton.
En 1860, les libéraux de la Savoie du Nord, dont la capitale économique est Genève,
réclament leur annexion à la Suisse. Napoléon III écarte cette menace par l’octroi d’une
grande zone franche. En 1870-1871, la Suisse préserve sa neutralité et accueille les 83 000
hommes de l’armée française de l’Est. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, une vive
compétition se fait jour au sein de la finance internationale à propos de l’équipement
ferroviaire, complété par les grands tunnels du Gothard (1882), du Simplon (1906) et du
Lötschberg (1912). En 1898, le peuple vote le rachat des principales lignes par la
Confédération. Les régimes politiques des cantons et de la Confédération se démocratisent.
La Constitution de 1848 est révisée en 1874, dans le sens d’une extension des pouvoirs
fédéraux en matière militaire et de l’introduction du droit de référendum, complété, en 1891,
par le droit d’initiative populaire en matière constitutionnelle. Après 1870, les rapports de
l’Église catholique et de l’État sont secoués par la crise du Kulturkampf qui aboutit à la
prépondérance de l’autorité civile en matière scolaire. Dans les dernières décennies du
XIXe siècle, la «seconde révolution industrielle», née de la houille blanche, l’essor du
tourisme, le développement de l’horlogerie, de la fabrication des machines, des produits
alimentaires font de la Suisse un pays prospère, qui recourt déjà massivement à la main
main-d’œuvre étrangère. Après 1870, la Fédération ouvrière suisse, groupant le Parti
socialiste et les syndicats, préconise une politique sociale. En 1877, le travail est réglementé
et, à partir de 1912, est promulguée une législation sur les assurances ouvrières. Après la
fondation de la Croix-Rouge internationale, en 1864, les institutions internationales qui
s’établissent sur le sol suisse se multiplient. La guerre de 1914-1918 met à l’épreuve la
cohésion du pays, partagé entre les sympathies alémaniques pour les puissances centrales
et celles de l’élément latin pour les alliés. En 1918, une vague de grèves révolutionnaires est
brisée par l’action de l’armée. Le traité de Versailles confirme la neutralité suisse et abolit la
neutralisation de la Savoie du Nord. La Confédération refuse l’annexion du Vorarlberg
autrichien, mais conclut avec le Liechtenstein une union diplomatique, monétaire et
économique. La suppression par la France des zones franches de Savoie, en 1923,
provoque un litige tranché en 1932 par la Cour de La Haye qui ordonne le rétablissement
des «petites zones» de 1815-1816. La Suisse entre à la Société des nations, dont le siège
est à Genève, mais revient, en 1938, à la neutralité intégrale. Après 1919, les radicaux
partagent le pouvoir avec les conservateurs et les paysans. La Suisse subit fortement les
effets de la crise mondiale des années trente et, en 1936, le franc est dévalué d’environ 30
p. 100. La Seconde Guerre mondiale trouve le pays bien préparé militairement et
économiquement. L’Allemagne, en dépit de quelques velléités en mai 1940 et en mai 1943,
n’ose pas attaquer la Suisse, dont l’armée est commandée par le général Henri Guisan.
L’économie de guerre et le plan Wahlen d’extension des cultures permettent de surmonter
les difficultés d’approvisionnement. L’année 1945 trouve une Suisse solide et toujours
attachée à son idéal politique de fédéralisme et de neutralité.
3. Institutions politiques
Répartition des tâches
Sur le plan institutionnel, la diversité s’ordonne dans un cadre fédéraliste à trois niveaux, le
niveau fédéral, expression de l’union, et les niveaux cantonal et communal: 23
cantons (26 y compris les demi-cantons) et 3
029
communes.
Les cantons sont dotés d’une Constitution et d’un Grand Conseil qui est une assemblée
élue au suffrage universel, sauf dans les quatre Landsgemeinde
(Obwald, Nidwald et
les demi-cantons d’Appenzell qui pratiquent des assemblées de citoyens), et à la
proportionnelle dans la grande majorité des cas. Ils partagent une série de compétences
avec la Confédération en matière économique et sociale, de justice et de police, de travaux
publics et exercent à titre exclusif les compétences dans le domaine de l’éducation et de la
culture: les universités, à l’exception des écoles polytechniques de Zurich et de Lausanne,
les écoles secondaires et primaires relèvent des autorités cantonales. De son côté, la
Confédération a la compétence exclusive des relations extérieures (politique de neutralité,
politique commerciale et économique extérieure, traités internationaux), de la politique
monétaire, des douanes et des P.T.T. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les pouvoirs des
autorités fédérales se sont accrus en matière de politique économique, énergétique et de
transports.
Institutions représentatives fédérales
Le fédéralisme s’inscrit également dans les structures de l’État central qui, tout en
garantissant l’autonomie des cantons, assure leur participation au processus législatif. Le
Parlement suisse comprend deux Chambres: le Conseil national de deux cents membres
représentant le peuple suisse dans son ensemble et élu à la proportionnelle; le nombre de
députés élus dans les circonscriptions que forment les cantons varie selon l’importance de
leurs électorats: Zurich a trente-cinq députés, Berne vingt-neuf, Genève onze, les petits
cantons (Appenzell Rhodes-Intérieures, Obwald, Nidwald, Glaris et Uri) n’en ont qu’un
chacun. À côté de la Chambre du peuple, le Conseil des États associe les États fédérés au
processus législatif. Chaque canton y envoie deux représentants, généralement à la
majorité, soit quarante-six pour l’ensemble des vingt-trois cantons. Les deux Chambres ont
des pouvoirs identiques: une loi ou un arrêté ne sont adoptés que lorsque les deux Conseils
acceptent le même texte.
Gouvernement collégial et stable
Une des caractéristiques originales du système politique suisse réside dans la forme de son
gouvernement fédéral, issu d’une élection au Parlement réuni en session jointe; le
gouvernement fédéral est composé depuis 1959 selon une «formule magique» de 2 +
2
+
2
+
1, à savoir 2 conseillers fédéraux radicaux, 2
socialistes, 2 démocrates-chrétiens et 1
de l’Union du centre démocratique
(autrefois P.A.B. = paysans, artisans et bourgeois). À ce critère partisan s’ajoute le souci
d’un dosage complexe qui tient compte à la fois de l’appartenance aux grands cantons
(Berne et Zurich), à des régions linguistiques (2 sièges au gouvernement sont
traditionnellement réservés aux conseillers francophones dont un est parfois dévolu à un
conseiller de langue italienne), de la personnalité et de l’implantation politique du conseiller
fédéral. On recherche également un certain équilibre religieux.
En 1988, le Conseil fédéral comprend exceptionnellement deux conseillers fédéraux
romands, un radical vaudois, Jean-Pascal Delamuraz, et un socialiste neuchâtelois, René
Felber, ainsi qu’un démocrate-chrétien tessinois, Flavio Cotti. Les quatre conseillers
fédéraux alémaniques se répartissent comme suit: un socialiste, Otto Stich de Soleure, un
démocrate-chrétien, Arnold Koller de Saint-Gall, un U.D.C., Adolf Ogi de Berne, et, grande
innovation depuis 1984, une radicale, Élisabeth Kopp de Zurich. La présidence, assumée par
Otto Stich en 1988, change chaque année à tour de rôle.
Les trois grands partis nationaux gouvernementaux et l’U.D.C. –
plus particulièrement
implantée dans les cantons de Berne (9) et de Zurich (6)
– représentent environ 80
p. 100 des sièges au Conseil national. Cette formule de gouvernement de coopération
garantit une large assise à l’exécutif fédéral. Par ailleurs, celui-ci n’est pas directement
responsable devant le Parlement, qui ne dispose d’aucun moyen de contrôle, tel que la
motion de censure, à l’égard de l’exécutif qu’il a élu. De la sorte, le gouvernement fédéral
demeure en charge au moins pour la durée d’une législature de quatre ans. Cette stabilité
n’empêche pas le gouvernement de rechercher, fidèle à l’esprit de compromis qui
caractérise le fonctionnement du système suisse, un consensus aussi large que possible. Il
en résulte que l’opposition est quasi inexistante ou marginale dans un système où la
participation au gouvernement tient lieu d’alternance.
Référendums et initiatives
Le recours au vote populaire sur des problèmes déterminés introduit un élément plus
dynamique dans ce système stable. Les citoyens ont ainsi la possibilité de se prononcer non
pas en fonction d’appartenances partisanes mais selon leurs options personnelles sur une
question concrète. De ce fait, les institutions et les partis ont peu d’emprise sur ce processus
qui aboutit parfois à des résultats contraires à leurs directives. Ces procédures, pratiquées
dans les cantons et les communes, revêtent sur le plan fédéral les formes de référendums
obligatoires ou facultatifs ainsi que d’initiatives constitutionnelles. Les référendums
obligatoires interviennent pour toute modification de la Constitution qui, pour être approuvée,
doit recueillir la majorité des votes et des cantons. De même, l’entrée de la Suisse dans
l’Organisation des Nations unies ou dans la Communauté européenne prend la forme d’un
arrêté soumis au référendum obligatoire du peuple et des cantons. Le référendum facultatif
porte sur les lois et les arrêtés à la demande de 50
000 citoyens (depuis le référendum
constitutionnel de septembre 1977). Les citoyens suisses disposent en outre d’un pouvoir
d’initiative qui leur permet de proposer des projets de révision totale ou partielle de la
Constitution: ces initiatives sont déclenchées par le dépôt de 100
000 signatures, soit
moins de 3 p.
100 de l’électorat suisse. Le projet de révision est soumis au vote dans
les mêmes conditions qu’un référendum constitutionnel. Ainsi, dans le système suisse, les
gouvernés disposent d’un réel pouvoir qui leur permet de garder la haute main sur l’évolution
constitutionnelle – en approuvant, en rejetant ou en suscitant des révisions
constitutionnelles – de même qu’un certain contrôle sur le processus législatif au moyen de
référendums facultatifs.
La démocratie semi-directe qui permet de prendre le pouls de la nation est à la fois un
frein et un moteur. Globalement, les électeurs ont approuvé les trois quarts des révisions
constitutionnelles depuis 1848: les propositions des dirigeants politiques ne se heurtent pas
systématiquement au veto des citoyens. Le pourcentage de référendums facultatifs acceptés
est bien plus bas, avec 40
p. 100 de projets approuvés. Cependant, ces référendums
ne portent que sur 10
p. 100 des lois et arrêtés fédéraux, la grande majorité étant
approuvée par le Parlement sans vote populaire. Bien que marginaux, ces scrutins
référendaires ont bloqué au cours des deux dernières décennies quelques lois importantes,
telles que celles sur l’aménagement du territoire (1967), l’aide aux universités, ou
l’avortement (1978). Quant aux initiatives, sur un total d’environ 130 déposées depuis 1891,
un tiers a été retiré et plus de la moitié rejetée. Ainsi, depuis 1974, sur seize initiatives, une
seule contre les abus de la formation des prix (1982) a été acceptée. Mais le sens de ces
rejets peut varier: par exemple, les initiatives contre la pénétration étrangère lancées par un
mouvement traditionaliste ont été toutes désapprouvées. Néanmoins, en raison des 44
p. 100 de «oui» recueillis par la première initiative Schwarzenbach en 1970 et à cause
des 34
p. 100 de 1974, les autorités fédérales ont infléchi leur politique à l’égard des
étrangers et adopté des mesures plus restrictives concernant les travailleurs étrangers. Les
tentatives ultérieures des promoteurs de la lutte contre les étrangers ont subi des échecs
encore plus nets en 1977. Ainsi le sens de ces «non» apparaît positif. Cependant, les
autorités fédérales ont contenu depuis 1977 la proportion d’étrangers entre 14 et 15 p. 100
de la population résidant en Suisse alors qu’elle était de 16,8 p.
100, soit plus d’un
million, en 1974-1975. En revanche, à titre d’exemple, deux initiatives innovatrices ont été
également rejetées: la législation antitrust proposée par l’Alliance des indépendants en 1947
et la participation dans l’entreprise lancée par l’Union syndicale suisse et le Parti socialiste
en 1976. La première a néanmoins abouti à une loi sur les cartels, la seconde a provoqué
une prise de conscience du problème. Ni l’initiative ni le contre-projet du gouvernement
n’avaient pourtant recueilli l’approbation de l’électorat suisse. Ainsi la démocratie
semi-directe, arme à double tranchant, est à la fois le véhicule des innovations et l’instrument
d’opposition aux changements rapides. Mais elle permet aux gouvernants de connaître les
aspirations et les oppositions des gouvernés et d’éviter ainsi que les conflits ne se
durcissent. Malgré le taux de participation qui oscille entre 30 et 50
p. 100 des électeurs,
le référendum et l’initiative associent de manière continue les citoyens suisses au processus
politique, faisant contrepoids au pouvoir de l’exécutif du Parlement et des partis politiques.
Partis politiques
Avec ses douze formations politiques, la Suisse connaît un multipartisme accentué. La
multiplicité de partis est cependant largement compensée par une forte concentration de
l’électorat dans quatre partis qui participent au gouvernement fédéral. Ils représentent
environ 80 p. 100 des électeurs, les huit autres partis se partagent les 20
p. 100 restant.
Seuls les trois grands partis –
le Parti radical démocratique (P.R.D.), le Parti socialiste
(P.S.S.) et le Parti démocrate-chrétien (P.D.C.) –, qui regroupent plus de 60 p. 100 de
votants, sont des partis nationaux disposant de formations dans la plupart des cantons. Les
autres ne sont implantés que dans un nombre limité de cantons. Tous les partis suisses, à
l’exception de l’extrême gauche représentée par les Organisations progressistes de Suisse
(P.O.C.H.) et le Parti socialiste autonome (P.S.A.), se situent dans un espace idéologique
centriste, plus proche de ceux qui caractérisent le Royaume-Uni et la république fédérale
d’Allemagne que le spectre large des partis italiens, néerlandais et même français. Cette
proximité idéologique facilite la recherche du compromis et la coopération gouvernementale.
À l’exemple d’autres États fédéraux tels que les États-Unis et la R.F.A., les partis sont
avant tout des partis cantonaux fédérés dans une organisation nationale. De ce fait, les
partis nationaux comportent une grande diversité de membres: les socialistes genevois
côtoient les partis sociaux-démocratiques de plusieurs cantons alémaniques, de même que
les chrétiens-sociaux genevois forment avec des partis conservateurs la famille
démocrate-chrétienne. À cette diversité à l’intérieur des partis s’ajoutent des configurations
différentes de partis selon les cantons. Ainsi, le professeur Girod distingue: neuf cantons à
parti dominant (dont Appenzell Rhodes-Intérieures, où le parti catholique est le seul) et huit
cantons à parti majoritaire, dont sept cantons catholiques (Lucerne, Nidwald, Obwald,
Schwyz, Uri, Valais et Zoug) et un protestant (Appenzell Rhodes-Extérieures) où domine le
parti radical. Les autres cantons pratiquent le multipartisme à deux variantes: tripartisme
dans sept cantons (Berne, Fribourg, Grisons, Saint-Gall, Schaffhouse, Soleure et Tessin);
multipartisme accentué, quatre partis (ou plus) marquent la vie politique et participent au
gouvernement dans neuf cantons: Argovie, Bâle-Campagne, Bâle-Ville, Genève, Glaris,
Neuchâtel, Thurgovie, Vaud et Zurich.
Élections fédérales: changement dans la stabilité
Il est intéressant de comparer les résultats des élections d’octobre 1987 avec ceux des
élections de 1975, 1979 et 1983 (tabl.
1 et
2).
Le Parti socialiste obtient 51 sièges en 1979, 47 en 1983 et 41 en 1987, soit
respectivement 25,5
p. 100, 23,5 p. 100 et 20,5 p. 100 des 200
sièges au
Conseil national. Il a 19,5 p. 100 des sièges au Conseil des États en 1979 et seulement 13
p. 100 en 1983 et 10,9
p. 100 en 1987. Par ailleurs, les autres partis non
traditionnels ou protestataires sont absents de la Chambre haute.
Depuis 1947, on constate une grande stabilité de l’électorat suisse et de légers
déplacements de voix. Ainsi les trois partis nationaux représentent-ils ensemble plus de 60
p. 100 des voix et des sièges au Conseil national avec quelques fluctuations entre eux
d’une élection à l’autre. Au cours des quatre dernières élections, leur nombre de sièges est
passé de 148 à 134 tandis que le Parti radical a atteint son maximum depuis 1947 avec 54
députés. Et, pour la première fois depuis cinquante ans, le nombre de suffrages obtenus
par les radicaux est supérieur à celui qui est recueilli par les socialistes: 23,4 p. 100 contre
22,8
p. 100 en 1983 et 22,9
p. 100 contre 18,4
p. 100 en 1987. Par ailleurs,
à la stabilité relative de l’Alliance des indépendants, du Parti libéral et du Parti évangélique
correspond un recul de l’Action nationale. Les petits partis de gauche enregistrent un léger
gain de sièges en 1987, mais la distribution des sièges entre eux est modifiée au profit des
progressistes et des écologistes et aux dépens du Parti communiste (P.D.T.) traditionnel. Le
changement le plus marquant est le saut enregistré par le Parti écologiste qui passe de 4 à 9
sièges et obtient 4,8 p. 100 de voix. Ainsi l’influence des partis marginaux s’est accrue
dans le Conseil national de 1987: sans bouleverser l’échiquier politique, un léger mouvement
s’est produit sous l’apparente stabilité électorale.
Au Conseil des États, seuls les trois grands partis et deux de taille moyenne, l’U.D.C. et le
Parti libéral, sont présents. La répartition des sièges entre le Parti radical et le Parti socialiste
a changé en faveur de celui-ci à la suite de la percée exceptionnelle du P.S.S. en 1979 (9
sièges au lieu de
5 en 1975), percée qui ne s’est pas confirmée en 1987: le P.S.S.
est retombé à 5
sièges, alors que le P.R.D. a retrouvé son niveau normal avec 14 sièges,
seul le P.D.C. progresse en obtenant 19 sièges au Conseil des États.
Mais le propre du système suisse est que ces fluctuations électorales n’ont aucun effet sur
la composition du gouvernement fédéral. Ce trait particulier explique en partie le taux élevé
des abstentions, l’enjeu des élections ayant une portée plus limitée que dans les autres
démocraties occidentales. La participation électorale était de 60
p. 100 en 1971. Elle a
baissé en 1975 (52,4
p. 100) et en 1979 (48
p. 100) avant de se redresser
légèrement en 1983 avec un taux de 48,9
p. 100. Plusieurs explications sont
avancées à ce propos: la fréquence des consultations, la complexité des problèmes, l’enjeu
limité, la stabilité politique et le fait que le vote n’est pas considéré par 63
p. 100 des
électeurs comme le seul moyen d’influencer la politique du gouvernement. Par ailleurs, on
observe que les autres formes de participation ou d’activisme politique sont nombreuses
(discussion politique, action en faveur d’un parti ou d’un candidat, etc.) par comparaison
avec des pays tels que la Grande-Bretagne, la R.F.A. ou l’Italie. Enfin, la Suisse détient le
record de satisfaction et le record de confiance: d’après un sondage de 1975, 87,6 p. 100
d’électeurs suisses se déclarent «satisfaits» ou «tout à fait satisfaits» de leur vie en général
(pour 80 p. 100 d’Américains et 67,8 p. 100 d’Italiens); 76 p. 100 disent faire confiance
presque toujours ou le plus souvent au gouvernement (pour 35
p. 100 d’Américains
et 14
p. 100 d’Italiens).
Le degré de satisfaction à l’égard du système politique et du fonctionnement de la
démocratie est supérieur à 80
p. 100 en 1986 et ne descend jamais au-dessous de 76 p.
100. En revanche, la confiance faite aux dirigeants politiques a subi une forte érosion
depuis 1972: de 65
p. 100, la confiance est tombée à 43,2
p. 100 en 1986, son
niveau le plus bas autour de 36 p. 100 étant enregistré chez les jeunes de vingt-cinq à
trente-quatre ans. De plus, un Suisse sur deux exprime désormais des réserves. Ce
sentiment de satisfaction à l’égard du système politique et le degré de confiance,
relativement élevé bien qu’en forte baisse, joints à la stabilité politique ainsi qu’à d’autres
facteurs contribuent à expliquer sinon à justifier le taux élevé d’abstentionnisme qui ne cesse
d’inquiéter les autorités politiques.
Groupes d’intérêt et processus de décision
Parmi les quelque mille deux cents associations socio-économiques, quatre organisations
centrales émergent: l’Union suisse de l’industrie et du commerce (Vorort), l’Union syndicale
suisse (U.S.S.), l’Union suisse des arts et métiers (U.S.A.M.) et l’Union suisse des paysans
(U.S.P.). Ces organisations sont présentes tout au long du processus de décision. À
l’exception de certains domaines de politique étrangère, de politique monétaire et de
défense, l’administration fédérale procède à des consultations de groupements
socio-économiques, de groupes de promotion ou d’intérêt public en se fondant sur les
dispositions constitutionnelles (art.
27 ter , 32 et 34
ter
). La consultation, qui
est devenue un des axes du système, intervient dans la phase préparatoire à travers un
réseau d’environ trois cent cinquante commissions d’experts extraparlementaires réunissant
entre trois mille et quatre mille experts extérieurs à l’administration fédérale (32
000
fonctionnaires) et au Parlement. Les trois quarts des sièges reviennent à quatre types
d’acteurs: fonctionnaires fédéraux (28
p. 100), représentants des cantons et des
communes (24
p. 100), professeurs d’université (12 p. 100) et experts provenant de
firmes privées (12 p. 100), les groupes d’intérêt occupant 17 p. 100 de sièges
(employeurs, travailleurs et divers). La composition des commissions tient compte de la
répartition linguistique et régionale. Ce réseau de commissions consultatives remplit un rôle
fondamental dans l’élaboration des projets de lois et dans la formation du consensus entre
principaux intéressés.
Les groupes d’intérêt sont aussi actifs dans la phase parlementaire par l’intermédiaire soit
des partis alliés, soit de leurs représentants directs. À ces divers stades peuvent intervenir
les référendums et les initiatives. Ainsi la menace du recours au référendum facultatif est une
arme que certains groupes brandissent lors de la recherche d’un compromis et à laquelle ils
recourent en dernière instance. De fait, plusieurs affaires controversées ont été soumises au
vote populaire: l’article conjoncturel accordant des pouvoirs élargis à l’État central, dont une
première version a été acceptée en 1975 par la majorité des électeurs mais n’a pas réuni la
majorité des cantons. La seconde version a été approuvée par une forte majorité de voix et
tous les cantons en 1978. De même, la question des centrales nucléaires a suscité des
mouvements protestataires et l’occupation de Kaiseraugst avant de donner lieu à une
initiative populaire qui a été rejetée au début de 1979 par une faible majorité de voix et par
une majorité de cantons. Ce processus de décision complexe et lent permet, malgré certains
inconvénients et heurts, de rechercher un processus aussi large que possible en réduisant
au minimum le niveau des conflits et en offrant des garanties aux régions, aux intérêts et aux
groupes minoritaires. De la sorte, ce système fédératif complexe contribue au maintien de
l’équilibre dans la diversité.
4. Situation économique
Conditions de base
Bien que dépourvue de ressources naturelles, la Suisse occupe, d’après le rapport de la
Banque mondiale de 1987, la deuxième place parmi les pays industriels à économie de
marché avec 16 370 dollars de P.N.B. par habitant en 1985. Sur le plan mondial, elle se
situe derrière les États-Unis (16 690
dollars) ainsi que derrière un exportateur de pétrole
à revenu élevé, les Émirats arabes unis, qui accumule des richesses extraordinaires pour
une population restreinte, à savoir pratiquement plus de 19
270 dollars par habitant.
Mais, à la différence de ces pays pétroliers, la richesse de la Suisse est le résultat d’un
développement correspondant de l’industrie et des services qui se traduit par un niveau et
une qualité de vie exceptionnels. Selon le rapport de l’O.C.D.E. de 1988 sur l’activité
économique de la Suisse, celle-ci a enregistré une croissance annuelle de 2,2
p. 100
au cours des trois dernières années, un taux de chômage inférieur à 1 p. 100, une inflation
de 2
p. 100 ainsi qu’un des revenus par habitant les plus élevés de la zone O.C.D.E.,
à savoir 20 000
dollars en 1987. Son déficit du commerce extérieur est transformé en
large excédent grâce aux apports des assurances, du fret et du tourisme en particulier. Cet
excédent de 5,75 milliards de dollars en 1987, équivalant à 4 p. 100 du P.N.B., a
cependant tendance à s’amenuiser. De même, la vague de licenciements qui touche
certaines industries d’exportations, jointe aux problèmes soulevés par le marché unique de
la Communauté européenne prévu pour 1993, pourrait bien entamer cette situation
privilégiée que la Suisse doit à la réunion heureuse de plusieurs conditions de base.
La paix extérieure et intérieure
Tout d’abord, la paix extérieure et intérieure a largement favorisé un développement continu
et sans heurt. Depuis la guerre civile du Sonderbund en 1847 et la naissance de l’État
fédéral l’année suivante, la Suisse a su se préserver des guerres européennes et mondiales
en restant neutre; sur le plan intérieur, son système politique lui a assuré une évolution
pacifique et progressive en la mettant à l’abri des secousses révolutionnaires et des conflits
du travail. Dès 1937, une convention établissant la paix du travail est signée entre syndicats
patronaux et ouvriers de la métallurgie: les partenaires sociaux s’engagent à ne pas avoir
recours à la grève et au lock-out. Ce régime de la «paix du travail» est graduellement
incorporé dans de nombreuses conventions collectives avant d’être intégré au droit des
obligations. À présent, on compte environ mille cinq cents conventions collectives liant 1,3
million de travailleurs à leurs employeurs. Malgré quelques grèves et lock-out qui ont
ébranlé la paix sociale au cours de la crise récente, l’obligation de régler les conflits sociaux
par la négociation et par l’arbitrage demeure la caractéristique essentielle des relations de
travail et de la bonne entente entre capital et travail en Suisse. Selon les onze sondages
effectués de 1974 à 1985, 73
p. 100 des 1 000
personnes interrogées expriment
des opinions positives, 20 p. 100 des opinions négatives et 7 p. 100 sont sans opinion.
Population
Le deuxième facteur de développement est constitué par la population active: un peu plus de
3 millions en 1981, dont environ un quart de travailleurs étrangers, soit la proportion la
plus forte enregistrée en Europe occidentale. La population active a connu une croissance
assez rapide au cours des vingt-cinq dernières années malgré la baisse de natalité et grâce
à l’afflux de la main-d’œuvre étrangère. L’immigration s’est infléchie à la suite de deux
événements: l’un de nature politique, à savoir le vote sur l’initiative Schwarzenbach en 1970
qui, malgré son rejet par 654
535 «non» contre 557
714 «oui», marque un
tournant dans la politique d’immigration; le second est de nature économique, la crise de
1974 entraînant une réduction de la main-d’œuvre étrangère: les effectifs de la population
active diminuent de 10
p. 100, les deux tiers de cette baisse étant dus au départ des
travailleurs étrangers. De 897
420 en 1973, les travailleurs étrangers atteignent en 1977
leur minimum depuis 1962 avec 650
225, dont 83 058 frontaliers. Ces travailleurs
viennent grossir principalement les effectifs de l’industrie et du tourisme, les autres branches
du tertiaire –
qui enregistrent néanmoins la plus forte expansion – recrutent leurs
effectifs à concurrence de 75
p. 100 parmi les Suisses. En 1981, la population active,
qui compte environ 700 000 étrangers dont 100
000 frontaliers, se répartit comme
suit: 7,2
p. 100 pour l’agriculture, 39,5
p. 100 pour l’industrie, 53,3 p. 100 pour
les services. Au cours des trois dernières années, le nombre de travailleurs étrangers s’est
accru, atteignant 731
000 en 1986 et se rapprochant de 800
000 en 1987. Depuis
1950, le secteur primaire a perdu plus de la moitié de ses effectifs; la part du secteur
industriel tend à se stabiliser tandis que celle des services continue à croître. En 1986, la
répartition est la suivante: l’agriculture occupe 6,5
p. 100, l’industrie 38 p. 100 et les
services 55,5 p. 100.
Au cours de la période 1974-1983, le chômage a pris des proportions fort modestes par
comparaison avec les autres pays industriels. Encore inexistant au début de la crise en
1974, il atteint 0,4 p. 100 de la population active en 1975 (pour 4
p. 100 dans la
Communauté européenne) puis, après une pointe de 0,7
p. 100 en 1976, il retombe à
0,4 p. 100 pour les deux années suivantes et régresse à nouveau à 0,3
p. 100 en
1979 et à 0,2
p. 100 en 1980 et 1981. Une nouvelle diminution de l’emploi est
enregistrée au cours de 1982 avec un taux de 0,4
p. 100, suivie d’une forte croissance
au début de 1983: le taux de chômage est alors de 0,9 p.
100. En 1987, le taux de
chômage a baissé à 0,7 p. 100 pour l’ensemble de la Suisse; il demeurait plus élevé dans
les cantons du Jura (2,3 p. 100), du Tessin (2,2
p. 100), de Neuchâtel (2,1
p. 100)
et de Bâle-Ville (1,8 p.
100). En revanche, il était pratiquement nul dans les cantons d’Uri
et d’Appenzell Rhodes-Intérieures. Dans l’ensemble, cependant, ce taux demeure dix fois
moins élevé que celui qui est enregistré dans les pays de la C.E.E. L’adaptation du marché
du travail à la situation économique a été bien meilleure que dans les autres pays
industrialisés. Il faut cependant reconnaître que, comme le constate le rapport de l’O.C.D.E.
de 1983, la marge de manœuvre qu’a constituée le volant de main-d’œuvre étrangère a
certainement facilité l’adéquation de l’emploi aux nouvelles conditions de la croissance. La
situation de l’emploi a contribué à réduire les tensions sociales. Mais les conflits de
génération pourraient bien être ranimés par le vieillissement de la population, qui fait peser
une charge lourde sur les travailleurs actifs. En l’an 2000, 55 p. 100 de la population
seront confrontés avec les 23 p. 100 de moins de vingt ans et les 22 p. 100 âgés de plus
de soixante ans. Les charges seront très lourdes, tant au titre de l’assurance vieillesse qu’à
celui des dépenses médicales.
Capital et capacité financière
La Suisse est avec le Japon un des pays industriels dont le niveau d’investissement est le
plus élevé. La part de l’investissement varie depuis des années entre un quart et un tiers du
P.I.B. Ces investissements s’orientent en priorité vers les secteurs économiques qui
demandent une forte densité de capital et un degré élevé d’innovation technologique tels que
la chimie, l’industrie pharmaceutique et l’industrie des biens d’équipement. Dans ces
branches, un poste de travail peut exiger un investissement d’un million de francs suisses.
Le secteur privé contribue à 75 p. 100 de l’investissement, le reste étant couvert par
l’États.
La Suisse dispose d’un des réseaux bancaires les plus denses du monde, avec un point
bancaire pour 1
275 habitants, 433
banques dont la somme des bilans totalise 847
milliards de francs suisses en1986, soit trois fois le P.N.B. La Suisse détient le record
mondial des carnets d’épargne par habitant. Elle enregistre en 1986 une épargne bancaire
de 35
474
FS par habitant, de même qu’un endettement hypothécaire de 32 536
FS par habitant. Ce réseau bancaire draine ainsi l’épargne à l’intérieur et attire des
capitaux du monde entier, dont l’afflux a conduit à l’établissement d’un intérêt négatif. Le
rejet en mai 1984 par 73 p. 100 des électeurs de l’initiative populaire du Parti socialiste sur
les banques confirme l’attachement des Suisses à leur système bancaire. Protégé par le
secret bancaire, ce système offre les avantages de la stabilité à la fois politique et
économique. Les taux d’inflation et de chômage modérés ainsi que la solidité de la monnaie
étayent la confiance générale qu’inspire traditionnellement la Suisse. Il en est résulté une
internationalisation progressive du franc suisse qui a consolidé son rôle de monnaie-refuge
et de monnaie-placement. Premières créancières européennes sur l’euromarché de l’argent,
les banques suisses assument le placement d’une part considérable des euro-emprunts.
Ainsi, la Suisse accomplit-elle un rôle de plaque tournante financière sur la place
internationale. En 1986, la balance extérieure des capitaux a enregistré, avec un actif de 692
milliards de francs suisses en regard d’un passif de 515
milliards, un excédent de 177
milliards. Grande exportatrice de capitaux, la Suisse détient le taux le plus élevé du
monde par habitant.
Revenus par canton et distribution globale
Le revenu national de 33 167
FS par habitant en 1986 se répartit de manière inégale
entre les cantons. Les cinq cantons les plus riches sont, dans l’ordre: cinq cantons
représentant 1
820
000 habitants avec Zoug en tête dont le revenu par habitant le
plus élevé de Suisse est de 52 460
FS, soit +
58,2 p. 100 d’écart par rapport à
la moyenne nationale, suivi de Bâle-Ville avec 48
366
FS, de Genève avec 41
480
FS, de Zurich avec 40
477
FS et de Glaris avec 37
324
FS.
Ces cantons représentent un tiers de la population en Suisse. On y trouve les principaux
sièges de la finance et de l’industrie dont la chimie, les produits pharmaceutiques et la
métallurgie. Leurs revenus moyens de 37
325 à 52
460
FS par habitant
déséquilibrent la répartition au niveau national. À l’exception de cinq cantons totalisant 1
355
700 habitants, à savoir Bâle-Campagne (33 517
FS), Vaud (32 808
FS),
Argovie (32
202
FS), Schaffhouse (31 683
FS) et Nidwald (31
566
FS) qui
sont proches de la moyenne nationale, onze cantons avec 3
017
800 habitants se
situent nettement au-dessous entre 30 590
FS (Grisons) et 27
042
FS (Lucerne):
Berne 29 995
FS, Soleure 29
900
FS, Neuchâtel 28
799
FS, Saint-Gall
28 788
FS, Schwyz 28
680
FS, Fribourg 28
343
FS, Tessin 27 956
FS, Thurgovie 27
910
FS, Appenzell Rhodes-Extérieures 27
751
FS et
Lucerne 27
042
FS.
Les cinq derniers cantons qui n’ont que 378 800 habitants forment le groupe à revenu le
plus bas, entre 25 374
FS (Obwald) et 26
940
FS (Appenzell Rhodes-Intérieures),
fourchette dans laquelle s’insèrent les cantons d’Uri (26
088
FS), du Valais (25
934
FS) et le Jura (25
890
FS). Le canton d’Obwald accuse un écart de _
23,5 p. 100 par rapport à la moyenne nationale. Ce groupe comprend des cantons
agricoles faiblement industrialisés ou dotés d’industries qui, telle l’horlogerie, sont en
difficulté ou en voie de restructuration.
Ainsi, il ressort de cet aperçu que la moitié de la population, soit 3,2 millions d’habitants
des dix cantons, dispose d’un revenu proche ou supérieur à la moyenne nationale de 33
167
FS. Les 3
millions d’habitants des onze cantons vivent au-dessous de cette
moyenne, mais dans une fourchette étroite, entre 27
000 et 30
000
FS par an. Un
dernier groupe est constitué par le Valais et quatre petits cantons qui se situent entre 25
000 et 27
000
FS. À l’exception de Zoug (+ 58,2 p.
100) et de Bâle-Ville
(45,8
p. 100), les écarts ont tendu à diminuer depuis quelques années, s’inscrivant
entre +
25
p. 100 pour Genève et _
23,5 p. 100 pour Obwald. Comme se
plaisait à le rappeler souvent Denis de Rougemont, la distribution relativement équilibrée des
richesses entre cantons est probablement un des effets bénéfiques du système fédératif qui
garantit l’autonomie et la participation des États membres.
La distribution globale des revenus apparaît elle aussi relativement équilibrée par
comparaison avec d’autres pays industriels. La courbe de Lorenz élaborée sur la base des
données de 1970 à 1976 fait apparaître que 90 p. 100 des habitants obtiennent 70 p.
100 des revenus distribués; aux deux extrêmes, 13
p. 100 des détenteurs de
revenus reçoivent 1
p.
100 des revenus répartis et 0,02
p. 100 de la
population cumule 7,6
p. 100 du total des revenus distribués.
La fortune des Suisses
La fortune moyenne des Suisses est la plus élevée du monde. Selon les travaux de W.
Schweizer, la fortune nette par contribuable âgé de dix-neuf ans ou plus s’élevait, en
1976, à 92 000
FS. 20 p. 100 des Suisses ne déclarent pas de fortune, 25 p. 100
possèdent de petites fortunes inférieures à 20 000
FS, 18 p. 100 détiennent des
fortunes de 20
000 à 50
000
FS, 15 p.
100 de 50
000 à 100
000
FS et 19
p. 100 de 100 000 à 500
000
FS. Une minorité de 3
p. 100
a une fortune supérieure à 500 000
FS. En revanche, la Suisse n’occupe pas une
position de premier plan en matière de propriété immobilière et elle enregistre un taux
exceptionnellement bas: 28
p. 100 des habitations principales en 1970 contre 33
p.
100 en R.F.A., 51
p. 100 en Italie, 64
p. 100 en Espagne et 68
p. 100
aux États-Unis. Une loi de 1974 a prévu une série de mesures qui ont contribué à accroître
la propriété des villas et des logements.
Évolution de l’économie suisse
Croissance économique 1950-1970
Au cours des années cinquante, la Suisse a connu une croissance réelle sans précédent de
son P.N.B. à raison de 4,6
p. 100 en moyenne par an. Cette croissance
principalement quantitative a été fondée sur l’apport de la main-d’œuvre étrangère et sur des
investissements extensifs aux dépens de l’innovation technologique. Cette période de
prospérité porte la marque d’un libéralisme économique qui réduit au minimum l’intervention
de la Confédération, des cantons et des collectivités publiques, à deux exceptions près: le
système des assurances sociales, dont l’assurance maladie, ainsi que l’A.V.S. (assurance
vieillesse, survivants) qui couvre les besoins essentiels des personnes âgées et des
invalides au moyen d’une péréquation fondée sur les revenus du travail; et l’agriculture qui
bénéficie d’une protection étendue et d’une indexation des revenus de la paysannerie
calculée en fonction de la prospérité générale.
Les années soixante sont marquées par la poursuite de la croissance au taux moyen de
4,7 p. 100 du P.N.B. Mais, à la différence de la période précédente, la période de 1960 à
1970 subit une pression inflationniste de l’ordre de 4
p.
100 due à la fois à
l’immigration massive, à l’extension de la production et à la croissance rapide des liquidités
sur le marché monétaire. Tout en prenant des mesures «antisurchauffe», la Confédération
s’engage massivement dans les investissements d’infrastructure (communications, routes,
recherche scientifique et santé): ses dépenses vont doubler au cours de cette période que le
professeur Peter Tschopp qualifie de transition entre le libéralisme optimiste des années
cinquante et l’interventionnisme institutionnalisé des années soixante-dix.
La crise économique de 1974
La crise de 1974 provoque une forte récession de la production, une inflation continue et une
augmentation du chômage qui demeure néanmoins le plus bas de tous les pays industriels.
Le P.I.B. a accusé un recul brutal de 7,4 p. 100 en 1975, suivi d’un léger fléchissement en
1976 avant la lente reprise en 1977 et en 1978. Ce n’est qu’à partir de 1979-1980 que le
P.I.B. retrouve son niveau de 1974, soit 101
milliards de francs suisses au prix de 1970.
La crise est à l’origine de problèmes structurels dans l’industrie de la construction et dans
certaines industries d’exportation, dont l’horlogerie, qui enregistre un taux annuel négatif de
_ 9,3
p. 100 entre 1973 et 1975 et une chute de _
32,7 p.
100 en
1981-1982. Ces difficultés dans les exportations ont été accentuées par la réévaluation du
franc suisse qui rendait les produits, malgré leur qualité, moins compétitifs sur le marché
mondial.
Cependant, après un recul en 1975 et des fléchissements en 1978 et en 1982, les
exportations ont continué à augmenter en valeur: de 35,3
milliards de francs suisses
en 1974, elles ont passé à 60,6 milliards de francs suisses en 1984 pour atteindre 67
milliards en 1986. En 1987, elles ont enregistré un nouveau fléchissement d’environ 1
p.
100. Les importations ont suivi une évolution parallèle: après une forte chute en
1975 de 42,9
milliards de francs suisses à 34,3 milliards, elles ont atteint 69
milliards en 1984 et 73,5
milliards en 1986. L’année 1987 a été marquée par une
nouvelle progression de 5,3
p. 100. Au cours de la période 1960-1986, la structure des
exportations a été modifiée: la part des machines et métaux ainsi que celle de la chimie se
sont accrues de 40,9 et 19,2 p. 100 à 46,3 et 21,3
p. 100 respectivement, tandis que
celle de l’horlogerie et celle des textiles et de l’habillement ont fortement reculé, passant de
15,5 et 13,1
p. 100 à 6,4 et 6,9
p.
100 respectivement.
Dépendance énergétique
Cette situation met en relief la dépendance de la Suisse à l’égard du monde, notamment
dans le domaine énergétique. Elle conduit à une politique qui vise à réduire la dépendance
par rapport au pétrole et à freiner la consommation d’énergie. Entre 1973 et 1981, le P.I.B.
s’accroît en moyenne de 0,5
p. 100, la consommation totale de l’énergie de 0,4 p.
100, la consommation de pétrole décline de 3
p.
100 tandis que celle de
l’électricité s’accroît d’autant. La production de l’électricité est restée essentiellement assurée
par des centrales hydrauliques, la part de l’électricité d’origine nucléaire passant cependant
de 12 à 30 p. 100 du total entre 1973 et 1981, et à 39 p. 100 en 1986. Entre 1970 et 1986,
la part du pétrole dans la consommation d’énergie a diminué de 77,4 p.
100 à 65,9 p.
100. Malgré une réduction de la consommation en 1979, 1981 et 1982, celle-ci n’a
cessé de croître, passant de 586 790 à 740
090
térajoules en 1986. Avec une
progression de 3,1
p. 100, elle a atteint un nouveau record en 1987. Au début de
1988, les parlementaires des partis du centre droit (P.R.D., P.D.C., U.D.C., P.L.S.) ayant
demandé l’abandon du projet de centrale nucléaire de Kaiseraugst en maintenant l’option
nucléaire, on estime que ce projet est condamné. Pour la même période,
l’autoapprovisionnement en énergie, qui était de 36
p. 100 en 1973, a atteint 50 p.
100 en 1981.
Rôle accru de l’État
Le début des années quatre-vingt est marqué par un engagement plus direct de l’État, et en
particulier de la Confédération, tant sur le plan législatif et politique que sur le plan financier.
Toute une série de lois et de mesures visent à encadrer les activités économiques et à
renforcer la protection sociale. Ainsi la protection de la famille, de l’environnement et des
locataires. Dès lors, la Confédération intervient dans toute une série de domaines, dont la
recherche scientifique et la régulation de la politique économique et sociale. L’intervention de
la Confédération, des cantons et des communes va d’autant plus accroître l’engagement
financier de l’État que le secteur public n’a réagi qu’avec retard aux besoins d’infrastructure
en forte augmentation. Cette intervention se traduit par le lancement des «conceptions
globales» en matière de transports, d’énergie, de mass media notamment, ainsi que par un
surcroît des charges financières.
Crise des finances publiques
Les dépenses de la Confédération ont été multipliées par dix en 1980 par rapport à celles de
1950, tandis que les dépenses des cantons ont été multipliées par quinze et celles des
communes par treize. L’augmentation la plus forte est enregistrée au cours de la décennie
1960-1970, période de grande croissance économique pendant laquelle les dépenses
publiques ont triplé aux trois niveaux. En regard de la croissance économique, qui accuse un
net ralentissement entre 1970 et 1980, les dépenses publiques, quant à elles, ont plus que
doublé. Les déficits des collectivités publiques s’élèvent à moins de 0,5
p. 100 du
P.N.B. alors que dans les pays voisins ils se rapprochent de 3 p.
100. La crise des
finances fédérales reflète l’engagement pris par la Confédération vis-à-vis des projets
d’infrastructure nationaux, cantonaux et des assurances sociales. Par surcroît, les tâches et
les responsabilités de la Confédération se sont amplifiées, tandis que certains de ses
domaines traditionnels tels que les Chemins de fer et les P.T.T. ont subi des pertes et que
les dépenses au titre de la politique agricole ont continué à croître. Par suite de la politique
de redressement des finances publiques visant au retour à l’équilibre financier, les déficits
ont été réduits à 173
millions de francs suisses en 1981 et à 424 millions en 1982. Le
déficit s’accroît en 1983, atteignant 855 millions, puis enregistre un recul en 1984 avec 448
millions et une augmentation en 1985 avec 696
millions de francs suisses avant
d’atteindre un fort excédent de 1 968
millions en 1986, rétablissant résolument l’équilibre
des finances fédérales.
Politique monétaire
À la suite de l’introduction du système des taux de change flottant et de la crise économique,
la Suisse a mis en œuvre une politique monétaire fermement restrictive. Cela a conduit à
une réévaluation du franc suisse, à la baisse de la spéculation inflationniste mais aussi à des
difficultés accrues pour l’exportation. Selon l’O.C.D.E., plusieurs facteurs ont permis, au
cours de ces dernières années, de détacher les taux d’intérêt suisses des taux à l’étranger,
renforçant ainsi l’autonomie du pays. En effet, à l’inverse de la situation des autres pays de
l’O.C.D.E., les taux à long terme n’ont jamais dépassé nettement le taux d’inflation, même
lorsqu’ils étaient les plus élevés en 1981. Étant donné la balance des opérations courantes
excédentaire de la Suisse, son record historique en matière de stabilité des prix et sa
politique monétaire restrictive, les autorités suisses ont bénéficié d’une haute crédibilité qui a
renforcé l’attrait du franc suisse. Cet afflux a amené les autorités à introduire des intérêts
négatifs et à limiter l’acquisition des biens immobiliers par les non-résidents (Lex Furgler). La
part du commerce de la Suisse avec les États-Unis étant plus restreinte que pour la plupart
des pays de l’O.C.D.E., une dépréciation vis-à-vis du dollar a une incidence plus limitée sur
l’inflation et une contrainte extérieure plus faible. Bien que le franc suisse ait été d’abord
surévalué puis déprécié avant d’être à nouveau surévalué par rapport au dollar, la Banque
mondiale n’a pas entamé ses réserves officielles de manière significative lors de ses
interventions et n’a pas eu recours à des emprunts à l’étranger. Le franc suisse a gardé sa
solidité, qui contribue à en faire une monnaie-refuge.
Mesures de politique économique
En 1978, les chambres fédérales ont adopté un premier programme d’impulsions, suivi d’un
second programme en 1982 ayant pour objet de renforcer l’économie en agissant sur l’offre
et en facilitant les efforts d’ajustement. Les mesures prises visent à accélérer la diffusion des
nouvelles connaissances technologiques, à développer la recherche dans de nouveaux
domaines et à promouvoir les cours en informatique de gestion. Un second volet consiste à
aider financièrement les régions axées sur une branche industrielle telle que l’horlogerie
(Jura, Neuchâtel) et à soutenir l’implantation de nouvelles activités. Entre autres, des
encouragements à la «consulte-technique» sont données, en particulier aux moyennes et
petites entreprises, la Confédération et les cantons assurant conjointement le financement
de ces organismes de consultation. Une aide particulière vise à renforcer l’économie
jurassienne afin de rompre le «destin horloger» de la région et d’assurer la reconversion des
travailleurs et des entreprises. Même si l’effort de la Confédération au titre de la
restructuration industrielle n’est pas négligeable, il n’en demeure pas moins, selon
l’O.C.D.E., que l’initiative privée a largement conditionné les redistributions sectorielles
intervenues en Suisse depuis la première crise pétrolière. Selon un bilan établi en 1978,
parmi les secteurs ayant enregistré les meilleurs résultats figuraient en particulier les
industries chimiques et l’outillage; l’horlogerie, avec des performances médiocres, précédait
les secteurs du textile et de l’habillement. Si l’on prend la base 100 en 1975, le secteur
textile se situe en 1981 à 118, celui de l’habillement-lingerie à 112, alors que le secteur
traditionnellement le plus dynamique des machines et appareils n’est qu’à
102 et
l’horlogerie-bijouterie à
72. Grâce aux investissements dans des équipements
performants, le secteur textile s’est spécialisé dans des produits «haut de gamme» et a
obtenu de nets progrès de productivité entre 1975 et 1979 en particulier. Voilà un exemple
de la capacité d’adaptation rapide de l’économie suisse. Selon l’O.C.D.E., la Suisse
constitue un cas d’ajustement souple et rapide de l’économie aux contraintes de
l’environnement international, le gouvernement exerçant un rôle d’incitation et
d’accompagnement mais ne se substituant pas à l’initiative privée.
La Suisse dans le monde et en Europe
Dans la ligne de sa neutralité, la Suisse a déployé une série d’activités humanitaires, dont le
C.I.C.R. (Comité international de la Croix-Rouge) est un exemple reconnu. De même, elle
prend une part active dans les organisations internationales, économiques et spécialisées:
elle participe en qualité de membre aux activités du G.A.T.T. et de la C.N.U.C.E.D. ainsi que
des organisations spécialisées telles que l’O.M.S., le B.I.T., la F.A.O. et l’U.N.E.S.C.O.
Membre de la Banque des règlements internationaux, la Suisse entretient des liens de
collaboration étroits avec la Banque mondiale et le F.M.I., dont le «Comité des dix» l’a
accueillie en tant que onzième membre. Cependant, une étape nouvelle des relations
internationales a été inaugurée en 1982 par le message du Conseil fédéral concernant
l’adhésion de la Suisse à l’O.N.U. Le refus opposé par les électeurs suisses à l’entrée dans
l’Organisation des Nations unies a dépassé même les prévisions les plus pessimistes. En
effet, le 16 mars 1986, 75,7
p. 100 des votants ont rejeté le principe d’une adhésion à
l’O.N.U. de même que la majorité des cantons. Dans douze d’entre eux, leur verdict négatif a
dépassé 80
p. 100 des voix. Le canton du Jura, le moins défavorable, a néanmoins
enregistré 59,8
p. 100 de votes négatifs. La participation au scrutin a atteint le niveau
inhabituellement haut de 50,7
p. 100, confirmant ainsi l’importance accordée à cette
question.
Parmi les motifs exprimant ce vote, les commentateurs ont insisté sur la méfiance à
l’égard de l’O.N.U., l’inefficacité de cette organisation ainsi que sur le souci de préserver la
neutralité suisse.
La Suisse est largement tributaire du monde extérieur pour son approvisionnement en
matières premières et en produits finis, et pour l’écoulement de ses produits manufacturés.
En 1980, la part des importations est de 35,8
p. 100 et celle des exportations de 29,2
p. 100 de son P.N.B. Ses principales importations sont composées, outre les matières
premières, de machines, de véhicules et de biens de consommation; alors que ses
exportations comprennent traditionnellement les produits métalliques hautement
transformés, les produits chimiques et pharmaceutiques, les textiles, les bijoux et les
denrées alimentaires, dont les fromages.
Bien que les pays de l’O.C.D.E. contribuent au total, en 1985, pour 87,8
p. 100 de ses
importations et pour 76,8 p. 100 de ses exportations, la Suisse a cherché à augmenter ses
relations commerciales avec les pays en voie de développement. Ses échanges avec les
pays de l’O.P.E.P. ont été ainsi multipliés par dix depuis 1972.
Les flux commerciaux sont soutenus par des mouvements traditionnels de capitaux qui ont
porté le montant des sorties de capitaux des marchés financiers suisses vers les pays en
voie de développement à 2,1
milliards de dollars. En regard de cet apport, des crédits à
l’exportation et des aides directes à la balance des paiements des pays en voie de
développement, l’aide publique au développement demeure modique.
Bien qu’ayant progressé fortement depuis 1980, l’aide publique suisse au développement,
qui est passée de 0,24
p. 100 du P.N.B. en 1981 et 1982 à 0,30
p. 100 en 1984,
demeure encore inférieure à celle de la plupart des pays de l’O.C.D.E., à l’exception de
l’Autriche (0,28
p. 100) et des États-Unis (0,24
p. 100). Elle est bien au-dessous de
la part du P.N.B. des pays tels que la Norvège et les Pays-Bas (1,2
p. 100), le Danemark
(0,85
p. 100), la Suède (0,80
p. 100) et la France (0,77
p. 100). En revanche,
l’aide publique suisse tend à rattraper celle du Royaume-Uni et celle de l’Italie (0,33 p.
100) ainsi que celle du Japon (0,35 p.
100).
Le partenaire principal de la Suisse est l’Europe occidentale qui forme le centre de gravité
de ses relations commerciales: quatre cinquièmes de ses importations proviennent de cette
région à laquelle sont destinées presque les deux tiers de ses exportations en 1986, le tiers
restant se répartissant principalement entre les États-Unis (environ 9 p. 100) et l’Asie (15
p. 100). La Communauté économique européenne y occupe une place prépondérante:
elle absorbe 56
p. 100 des exportations suisses et fournit 73
p. 100 des
importations suisses. La Suisse est de fait profondément intégrée dans la C.E.E., davantage
que la plupart des pays membres. Cette imbrication est soulignée par F.
Blankart,
secrétaire d’État, qui rappelle que «un franc sur trois gagné en Suisse provient de la C.E.E.,
de ce que nous exportons, investissons et rendons en service dans les États membres».
D’autre part, les dix-sept compagnies transnationales d’origine suisse emploient dans la
C.E.E. environ le double des effectifs de leur personnel en Suisse. À eux seuls, les trois
grands de la chimie bâloise avaient en 1985 un effectif de 44 000 personnes dans leurs
132
unités de production et de commercialisation dans la C.E.E. et un chiffre
d’affaires d’environ 10
milliards de francs suisses. La Suisse est partenaire important en
tant que deuxième client de la C.E.E. après les États-Unis; l’excédent de sa balance
commerciale en faveur de la C.E.E. a atteint 17 milliards de francs suisses en 1986.
Dans ces conditions, la Suisse poursuit une politique active à l’égard de la C.E.E. à
laquelle la lie un réseau d’une centaine d’accords et d’arrangements: accords de coopération
scientifique et technologique, accords en matière d’acier, d’horlogerie, de transports, etc.
Malgré ce réseau dense complété par la coopération multilatérale entre C.E.E. et A.E.L.E., la
Suisse, qui demeure à l’écart du processus de décision communautaire, est amenée à
s’aligner sur les décisions de la C.E.E. afin de préserver ses intérêts.
Depuis l’entrée en vigueur en juillet 1987 de l’Acte unique européen qui prévoit
l’amélioration du processus de décision de la C.E.E., le développement de la recherche et de
la technologie, et surtout la réalisation d’un espace sans frontières intérieures avant la fin de
1992, les relations avec la C.E.E. sont devenues le problème vital pour la Suisse. Vu
l’interdépendance asymétrique entre la Suisse et la C.E.E. ainsi que l’ampleur de la pratique
d’alignement, la question se pose de savoir si, à la longue, la Confédération helvétique ne
risque pas d’être à la remorque d’un développement européen qui, le cas échéant,
entraînerait une perte d’indépendance plus grande que celle qu’impliquerait son adhésion à
la C.E.E. Trois obstacles principaux se dressent sur la voie de l’adhésion: la neutralité, le
fédéralisme et la démocratie directe. L’idée de la neutralité est fortement ancrée dans les
esprits bien que l’environnement politique de la Suisse ait fondamentalement changé:
autrefois entourée de pays ennemis, la Suisse est au cœur d’une Communauté formée par
ces mêmes pays. Cependant, l’évolution de la C.E.E. vers une union politique comprenant
des éléments de politique extérieure et de sécurité risque de mettre d’autres obstacles à une
éventuelle adhésion à la C.E.E. La réduction des pouvoirs et de l’autonomie des cantons est
invoquée comme conséquence de la participation du Conseil fédéral au Conseil de la
Communauté européenne.
L’expérience du fédéralisme de la R.F.A. dans la Communauté européenne, la
prédominance des compétences concurrentes aux dépens des compétences exclusives
ainsi que l’utilisation croissante des directives qui ménagent un plus grand espace
d’autonomie aux États membres sont autant de points de référence. Si le gouvernement
suisse a choisi pour l’heure la voie médiane de coopération, l’avenir de la Suisse en Europe
reste ouvert. Mais, à mesure que s’approche 1992 et que la Communauté européenne
renforce son union, la Suisse sera confrontée à un choix fondamental. Dès lors, rien
d’étonnant que cette question des relations de la Suisse avec la Communauté européenne
préoccupe au premier chef les autorités et des couches de plus en plus larges de l’opinion
publique. Quelle que soit la décision finale, l’avenir de la Suisse reste intimement lié à celui
de l’Europe en voie d’union.
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