Esquisse d'une histoire de l'Empire Ottoman. 002 LE PASSÉ LOINTAIN DES TURCS DU Xe AU Xe SIÈCLE « Les temps modernes s'ouvrent sur une puissante avance de l'Asie sur le domaine européen, que marque la substitution d'un grand Empire musulman, celui des Ottomans, à l'ancien Empire romain d'Orient. » F. Grenard Grandeur et Décadence de l'Asie — A. Colin LE PASSÉ LOINTAIN DES TURCS ET LES CONVULSIONS DE L'ASIE AU XIIE SIÈCLE DES NOMADES ASIATIQUES — Les Turcs étaient des nomades effectuant leurs migrations sur les steppes de l'Asie centrale. — Limites approximatives de leur domaine : Le Pamir au Sud, Le désert de Gobi. L’Ienisseï à l'Est, La Caspienne et la Volga à l'Ouest (carte n.° 1). LES TURCS SELDJOUKIDES — Vers 985, un clan turc ayant pour chef un certain Seldjouk, quitte les environs du lac Balkhach, à l Est de la Mer d'Aral. (Actuel Turkestan soviétique) et vient camper en Iran. — Récemment islamisés, les Seldjoukides entrant au service du calife de Bagdad comme mercenaires et deviennent bientôt les maîtres du pays. — Ils prennent Bagdad, en 1055, et Jérusalem, en 1078. — Leur Empire qui s'étend d'abord de la Perse à l'Asie Mineure, se réduit finalement à l'Anatolie. — Héritiers des visées musulmanes sur l'Occident, ils se préparaient à envahir l'Europe et à conquérir Constantinople, mais les Croisades retardèrent de quelques siècles la réalisation de ces projets. (carte n° 2). — A leur actif : La substitution d'un peuplement turc aux anciennes populations grecques fixées depuis des siècles sur le plateau d'Anatolie devenu un nouveau Turkestan. L'OURAGAN MONGOL S'ABAT SUR L'ASIE AU XIII SIÈCLE. Les Mongols : frères de race et de langue des Turcs, leurs voisins de l'Est. — Conduits par Gengis Khan (1155-1227) et ses successeurs, ils s'abattent sur - la Chine et prennent Pékin (1215), - la Russie, brûlent Moscou (1237) ; les Princes russes deviennent leurs vassaux. - l'Europe centrale (Hongrie 1241), et orientale (Lituanie et Pologne, en 1259). (carte ° 2) — Ils s emparent de Bagdad en 1258 et mettent fin au califat abbasside : - le dernier calife meurt enfermé dans un sac, foulé aux pieds d'un cheval. - l'un de ses parents s'enfuit au Caire où règnent les Mamelouks ; en 1517, un de ses descendants cédera le titre de calife au Sultan Sélim. - le Sultan Hafside de Tunis, Abdallah el-Mostancer (l'adversaire de Saint Louis) est nommé calife sunnite. — En 1260, les Mongols prennent Alep, Damas, Gaza : Les Sultans seldjoukides deviennent leurs vassaux. — De la Perse et de l'Oural à la Chine, les Mongols fondent un vaste Empire qui unifie la steppe asiatique. Et permet la reprise des relations commerciales entre l'Occident et l'Extrême Orient, par la réouverture des routes de la soie et des épices, fermées depuis la fin de l'Antiquité. (carte n" 4). — Le voyage de Marco Polo (1271-1292) permet d'évoquer cette activité économique de l'Asie du XIIIème siècle sous les dynasties mongoles. APPARITION DES TURCS OTTOMANS — Vers 1221, une tribu seldjoukide qui nomadisait au Sud-est de la Caspienne - dans le Khorassan - s'enfuit vers l'Anatolie conduite par son chef Ettoghroul. — Osman, son fils lui succède en 1288. Selon l'usage, la tribu prend le nom de son chef : les Turcs d'Osman deviennent les Turcs Ottomans. — Le nom d'Osman - qui fut porté par le troisième successeur du Prophète souligne l'influence musulmane. Ce nom de … transcrit Osman, Othmân, etc. ... a donné les deux formes françaises ottoman et osmanli. — Au début du XIVème siècle, lors de l'éclatement de l'Empire Seldjoukide, en une dizaine de principautés, les Ottomans reçoivent, au Nord-Ouest de l'Anatolie, face à Constantinople, une mince bande de territoire de 60 km de long c’est la première cellule de ce qui sera l'Empire Ottoman. 003 AU XIVe SIÈCLE UNE ARMÉE PUISSANTE PERMET A L'EMPIRE OTTOMAN DE PRENDRE PIED EN EUROPE NAISSANCE DE L'ÉTAT MILITAIRE OTTOMAN — Orkhan (1326-1360). Fils et successeur d'Osman, jette les bases de la puissance militaire ottomane par la création d'une armée nouvelle qui comporte : - une infanterie : les janissaires. - une cavalerie : les Spahis. LES JANISSAIRES : (YENI-TCHERI : nouvelle troupe). — Recrutés d'abord parmi les enfants trouvés ou enlevés à leur famille dans les pays conquis, formés par une éducation appropriée, isolés du reste de la société, ils acquièrent un esprit de corps très puissant. — Ils n'ont qu'une religion : l'Islam ; qu'une famille : leur régiment. — L'ensemble des Janissaires constitue la Garde personnelle du Sultan. — Ils étaient 1000 au XIVème siècle, 5000 au. XVème, 24 000 à la fin du XVème siècle. LES SPAHIS : du Persan sipah : arme ; sipahi : homme d'arme. — A la différence des Janissaires, ce sont des Turcs. — Des cavaliers équipés et entretenus sur les revenus des grands domaines confisqués aux ennemis, mais demeurés propriété d'État. On en comptait 30 000 au début du XVème. — Il faut y ajouter les irréguliers et les auxiliaires non payés et vivant de butin, les soldats du train et une foule d'artisans tels que corroyeurs, cordonniers, armuriers, drapiers, boulangers, etc. ... qui entretenaient et renouvelaient le matériel. CONCLUSION — Le Sultan dispose - à peu de frais - d'une armée puissante d'environ 200000 hommes, alors qu'en Occident, les souverains doivent recruter de nouveaux mercenaires pour chaque campagne. A LA CONQUÊTE DES DÉTROITS ET DES BALKANS (carte n° 5) L'histoire de 1 Empire, Ottoman, c'est d'abord celle de ses conquêtes. — Après avoir pris Brousse (1326), Nicée (1331), les Ottomans dirigent leurs coups vers 1'Europe — Ils prennent pied à Gallipoli (1356) et contrôlent ainsi les Détroits. - Andrinople (1362) devient leur capitale européenne. - La défaite des Serbes à Kossovo (30 Juin 1389) assure leur domination sur les Balkans. - Les Hongrois inquiétés par le voisinage des Turcs en appellent à l'Occident, affaibli par la guerre de Cent Ans. - La « Croisade » à laquelle participent les franco-bourguignons de Jean sans Peur se termine par le désastre de Nicopolis (13 Septembre 1396. « Pour 4 siècles, la Péninsule des Balkans est rayée de l'appartenance européenne. A LA FIN DU XIVème SIÈCLE : — Bayazid, surnommé Yldirim, l'Éclair, par les Turcs, et Bajazet par les Européens, règne sur l'Anatolie, et la Péninsule balkanique. — Il lui manque Constantinople, désormais entourée de possessions ottomanes. — Pour accélérer la turcisation des peuples conquis, il déporte de nombreux Grecs en Anatolie et installe des Turcs en Grèce. 004 Au XVe SIÈCLE. APRÈS UNE PAUSE DE 50 ANS L'EMPIRE OTTOMAN REPREND SA POLITIQUE DE CONQUÊTES TAMERLAN CONTRE BAYAZID (Carte n" 5) — TAMERLAN : Timour-Leng : Timour le Boiteux. C'est un Turc (non ottoman) de petite noblesse. Fanatique, et d'une cruauté calculée, il s'est taillé un Empire qui, - s'étend de l'Indus à l'Euphrate, du Caucase au Golfe Persique, et - avoisine celui de Bayazid à l'Ouest. —Le choc des deux Empires se produit à Ankara (20 Juillet 1402). La défaite de Bayazid brise pour un demi-siècle l'élan des Ottomans vers Constantinople. — Tamerlan, absorbé par d'autres conquêtes, regagne sa capitale Samarkand — Cependant, l'Occident, dont le sort se joue sur le Bosphore, - est toujours, en proie à la guerre de Cent Ans, - divisé par le Grand Schisme qui dresse le Pape d'Avignon contre celui de Rome, - ébranlé par les guerres hussites en Europe Centrale. —D'ailleurs, Byzance a depuis longtemps cessé d'inquiéter les Ottomans. Elle est en effet affaiblie par les querelles de clans, coupée du reste de la Chrétienté par la haine farouche du clergé orthodoxe pour l'Église latine. — Ni Byzance, ni l'Europe, ne peuvent exploiter le répit laissé par la défaite d'Ankara : 1453 verra la fin de la guerre de Cent Ans et la fin de Byzance. LA PRISE DE CONSTANTINOPLE : 29 Mai 1453 : — C'est l'œuvre du Sultan ottoman, Mohammed II Fatih (le Conquérant). A la tête de 160 000 guerriers partis d'Andrinople, il investit la « Rome d'Orient », qui, à l'abri de sa triple enceinte de remparts, avait défié tant d'invasions. — La défense de la ville est assurée par 3000 résidents vénitiens, génois, catalans et 3000 marins de différentes nationalités. — Après 2 mois de siège (6 Avril-29 Mai 1453), l'infanterie ottomane s'engouffre dans une brèche ouverte par l'artillerie dans les remparts. Pour la première fois dans l'Histoire, une grande cité tombe sous les coups de l'artillerie. Les Ottomans disposaient en effet d'énormes canons de bronze qui projetaient des boulets de pierre. La ville est mise à sac pendant 3 jours et 3 nuits — Constantinople, désormais Istamboul, devient pour 500 ans la capitale de l'Empire Ottoman. — Pour les historiens, cet événement marque la fin du Moyen Age et le commencement d'une nouvelle période de l'Histoire : les Temps Modernes. L'ORIENT MUSULMAN CAUSE INDIRECTE DES GRANDES DECOUVERTES ? (Cartes 3-4) — Au XVème siècle, les routes maritimes des épices aboutissent à Beyrouth et Alexandrie. D'autre part, Trébizonde, Caffa (Mer Noire) et Constantinople sont les points d'arrivée ces routes continentales venant d'Asie : Le ravitaillement de l'Europe en poivre est donc tributaire des Sultans d'Égypte et de Syrie, ainsi que de Venise ; ils ne manquent pas d'en abuser. Cette situation contraint les marins d'Extrême-Occident à rechercher par delà le Cap de Bonne-Espérance, le contact direct avec les Indes. - C'est en recherchant la route des Indes que Christophe Colomb découvre l'Amérique, - C'est après trois quarts de siècle d'efforts opiniâtres que les Portugais abordent à Calicut en 1498 avec Vasco de Gama. — En prenant à revers les positions ottomanes, ils établissent la liaison directe avec l'Asie, puis tentent de bloquer les voies maritimes qui aboutissent à Ormuz et Aden, afin de s'approprier le monopole du poivre. — Il convient cependant de souligner que « l'expansion européenne qui désormais va constituer le point essentiel de l'histoire des hommes, ne saurait cependant se réduire à une aventure portugaise et espagnole Les tentatives anglaises, françaises, hollandaises et surtout russes, telles que l'exploration de la Sibérie par les Cosaques et la conquête de la route des steppes vers le Pacifique, n'en ont pas moins eu des conséquences importantes. » (Dumoulin de la Plante - Histoire Synchronique. p. 297 Gallimard.). A LA FIN DU XVe SIÈCLE. — Après Constantinople, Mohammed II pousse les frontières de son Empire jusqu'à la Save, les Carpates, la Crimée, en installant son protectorat sur la Moldavie, la Valachie et le Khanat des Tatars de Crimée. — En Méditerranée : il enlève aux Vénitiens l'île d'Eubée (1471) et les places de Coron, Modon et Lépante (1502). — Venise conserve encore les îles Ioniennes, Chypre, la Crête. — Cependant, à partir de Rhodes, les Chevaliers de Saint-Jean écument la Méditerranée orientale. 005 Au XVIe SIÈCLE. APOGÉE DE L'EMPIRE OTTOMAN Alors que Charles-Quint devient Empereur, Luther rompt avec le Pape (1519). L'unification de l’Europe à se heurter : - à la Réforme qui brisera l'unité spirituelle de la Chrétienté, - à la résistance des Rois de France, attachés à sauvegarder leur indépendance, - aux Turcs qui vont reprendre leur marche en avant, CONQUÊTE DES LIEUX SAINTS DE L'ISLAM. En 1516-1517, Selim, successeur de Mohammed II Fatih s'empare de l'Égypte et de la Syrie. Conséquences : — L'Empire Ottoman étend désormais sur trois continents. — Selim se fait céder par le dernier descendant des Califes abbassides de Bagdad réfugié au Caire, le titre de « Commandeur des Croyants » ou « Amir el-Mouminîn ». — Il devient aussi le Protecteur des Lieux Saints de l’Islam (La Mecque, Médine) et maître des grandes capitales historiques : Damas, Le Caire. Bagdad (1534). — Face à la Chrétienté, le Sultan de Constantinople est désormais le champion de l'Islam Orthodoxe. EXPANSION TURQUE EN AFRIQUE DU NORD — En 1518, Khaïr ed-Dîn, maître d'Alger, se place sous la suzeraineté du Sultan : Le Maghreb (moins le Maroc), devient l'aile gauche d'un vaste dispositif dont la Crimée constitue la droite. — En Méditerranée occidentale la prise du Pegnon par Khaïr ed-Dîn (1529) donne à la piraterie un nouvel essor. A partir d'Alger, les corsaires ravagent périodiquement les côtes d'Espagne, d'Italie, de Sicile et de Sardaigne. — La lutte contre les Turcs d'Alger devient une des préoccupations importantes de Charles-Quint ; son expédition de 1541 s'inscrit dans ce cadre. (cartes 6-11). — La maîtrise du bassin occidental appartient cependant aux marines chrétiennes. CONQUÊTE DE LA HONGRIE (carte 6) — Les Turcs, installés en Europe Centrale reprennent leur marche sur l'ouest. Ils s'emparent de Belgrade en 1521. — La succession de Hongrie laissée vacante par le décès de son souverain mort sans enfant, oppose irréductiblement l'Empire Germanique et la Puissance Ottomane. — Les `Hongrois écrasés à Mohacs (1526) sur le Danube, passent pour un siècle et demi sous la domination turque. Soliman entre à Bude la même année ; il contrôle les deux tiers de la Hongrie. — En 1530, il assiège Vienne, sauvée par l'indiscipline des Janissaires. Ferdinand, frère de Charles-Quint, doit bientôt verser au Sultan un tribut annuel de 30.000 ducats pour le morceau de Hongrie qu'il a pu conserver. EN MÉDITERRANÉE ORIENTALE Le même duel se poursuit entre la Chrétienté et l'Islam. Quelques étapes de l'établissement de l'hégémonie ottomane : — 1522. Les Turcs délogent de Rhodes, les Chevaliers de Saint-Jean que Charles-Quint installe à Malte. Devenus désormais les Chevaliers de Malte, ils poursuivent la lutte contre les Ottomans, les rançonnent et les vendent comme esclaves aux chiourmes européennes. — 1537. Les Ottomans enlèvent aux Vénitiens leurs possessions de Mer Égée (Cyclades), et attaquent Corfou l'année suivante. — 1535. Le corsaire turc Dragut occupe Tripoli et connaît une fortune semblable à celle des Barberousse ; il finit même par s'emparer du Sud tunisien. — Le désastre espagnol devant Djerba en 1560, le siège de Malte par les Turcs en 1565 évoquent la continuité et l'âpreté de la lutte. — Un fait essentiel à mettre en relief : l'intérêt constant porté par CharlesQuint et ses successeurs à La Goulette (sur le lac de Tunis), - poste de guette à la sortie du bassin occidental de la Méditerranée, - complément nécessaire de Naples, la Sicile, Malte, sentinelles avancées de l'Empire. Ainsi s'explique le protectorat espagnol sur les Hafsides, « clients » des Rois Catholiques. (carte 11). — Dans le tiers du XVIème siècle, le même combat se poursuit d'un bout à l'autre de la Méditerranée - 1569-70. Les Maures de Grenade, poussés à bout par l'Inquisition se révoltent. - 1570. Les Ottomans prennent Chypre aux Vénitiens. - Sur l'initiative eu Pape, une Ligue contre le Turc se constitue avec l'Espagne et Venise. -La coalition détruit la flotte Turque dans le golfe de Lépante (1571) : (carte 6) (gravure 19) Cette victoire eut un retentissement considérable dans la Chrétienté ; mais elle ne fut pas exploitée. L'Empire Ottoman ne subit aucune diminution territoriale et reconstruisit bientôt sa flotte. - 1573. Don Juan d'Autriche - le vainqueur de Lépante - s'empare de Tunis. Succès éphémère : Les Turcs enlèvent définitivement la ville en 1574. CONCLUSION : L'Empire Ottoman est devenu l'héritier de l'Empire Arabe, et de l'Empire Byzantin. — L'autorité du Sultan de Constantinople s'étend du Danube aux rives du Don, de la Moulouya (Maroc), à la première cataracte du Nil et à l'Euphrate. — La Mer Noire, la Mer Égée, le bassin oriental de la Méditerranée, sont des lacs turcs. — Venise conserve encore la Crête, mais son éviction marque le triomphe de l'Islam, et la ruine de la marine chrétienne en Méditerranée orientale. — En Méditerranée occidentale, l'Espagne qui a perdu la plupart de ses places fortes, conserve seulement Melilla, Mers el-Kébir : la fin du XVIème siècle consacre la faillite de sa politique africaine. — En Europe centrale, les Ottomans installés à mi-chemin entre Constantinople et Paris demeurent des voisins inquiétants pour la Maison d'Autriche. 006 SOLIMAN LE MAGNIFIQUE ET FRANÇOIS 1er - LES CAPITULATIONS — Après le désastre de Pavie (1525), François 1er, - surmontant les préjugés de ses contemporains, - inspiré par la nécessité de s'appuyer sur une flotte capable de lutter contre les Espagnols en Méditerranée, recherche l'alliance turque. - « En l'an de Jésus 1535 », et de « Mahomet 941 », Soliman concède à la France un certain nombre d'avantages commerciaux, dont le texte a reçu le nom de « Capitulations ». - Des articles concernant : - les prérogatives commerciales des négociants français au Levant, - des garanties d établissement telles que, - le droit de pratiquer librement leur religion, - d'être jugés par leurs consuls - au civil et au criminel, - de rentrer en France et de léguer leurs biens à leurs parents. — Ces garanties pouvaient s'appliquer aux autres Chrétiens désireux de commercer avec les Turcs et qui acceptaient de se placer « sous la bannière du Roi de France ». — De plus. le Sultan autorisait « l’empereur de France » à châtier les pirates d'Alger et de Tunis qui attaqueraient les navires français. RÉSULTATS DES CAPITULATIONS Les historiens en discutent : — François 1er s'aliéna l'opinion du monde chrétien, sans aboutir à une authentique collaboration franco-turque contre Charles-Quint. — A noter cependant en 1543 l'intervention de la flotte algérienne de Khaïr ed-Dîn aux côtés des escadres de François 1er, contre Nice, possession du Prince de Savoie, allié de Charles-Quint, et son séjour de 6 mois à Toulon. — L'exterritorialité accordée aux sujets français dans l'Empire Ottoman se justifiait par le fait que la loi coranique n'était pas applicable aux non musulmans, les Turcs abandonnaient l'administration des communautés étrangères à leurs chefs religieux, responsables devant eux. — La situation privilégiée de la France dans l'Empire Ottoman contribua à la prospérité de Marseille. — Quoi qu'il en soit, l'intérêt que les successeurs de François 1er porteront au renouvellement des Capitulations, montre assez l'importance qu'ils accordaient à ces traités. 007 Aux XVIIe et XVIIIe SIÈCLES. PREMIÈRES DIMINUTIONS TERRITORIALES : La Hongrie et le Littoral de la Mer Noire UNE COMPENSATION : La Conquête de la Crête De la mort dé Soliman à la fin du XVIIème siècle, les Ottomans sont en lutte, - avec l'Autriche qui leur dispute la Hongrie et - avec la Russie. pour la possession .au littoral de la Mer Noire (carte 7). LES AUTRICHIENS EN HONGRIE : — Cent ans après Lépante. Autrichiens et Polonais vivent sous la menace ottomane ; en Allemagne on sonne chaque jour le tocsin aux Turcs. — 1664 : Défaite des Ottomans au Saint-Gothard, (sur le Raab, affluent du Danube), la victoire la plus importante des Chrétiens sur les Turcs depuis 300 ans ; un contingent français y participe. — Le potentiel turc n'est cependant pas entamé ; et dix neuf ans plus tard. Mohammed IV vient encore assiéger Vienne (1683). — 1684 : Une coalition groupe l'Autriche, la Pologne, la Russie, Venise contre le Turc. — 1686 : Les Ottomans abandonnent Bude. — 1688 Ils perdent Belgrade et se retirent jusqu'à la Save et au Danube. CONSÉQUENCES : Libérée des Ottomans, la Hongrie passe aux Autrichiens. Pour les Habsbourg, c'est ici fin du cauchemar turc. — Les traités de la fin du XVIIème siècle et du début du XVIIIème siècle consacrent cette rupture d'équilibre au profit de l'Europe : — Karlowitz (1699) : Hongrie et Croatie sont annexées par l'Autriche. - Le tribut payé par l'Empire germanique et la Pologne est supprimé. - Le Sultan reconnait au souverain autrichien le titre d'Empereur que ses prédécesseurs avaient toujours refusé à Charles-Quint. - Pour la première fois, deux puissances chrétiennes ont servi de médiatrices : l'Angleterre et la Hollande. - Passarowitz (1718) : l'Autriche poursuit son expansion aux dépens de l'Empire Ottoman. - Elle annexe : la Valachie occidentale ; - Une bande de territoire serbe. - Belgrade devient autrichienne. LES RUSSES EN MER NOIRE — Dès le XVIème siècle, le prince Ivan (le Terrible) ouvrait à son pays la route de la Caspienne, par la prise de Kazan, Astrakhan. — Cependant la Baltique restait fermée par la Suède et la Pologne ; la Sibérie n'aboutissent qu'aux mers arctiques, la Mer Noire était contrôlée par les Turcs. — Pierre le Grand occupa Azov pendant quelques années (1696-1711). — Catherine II, poursuivant la même politique, obtint du Sultan Adbul-Hamid le littoral de la Mer d'Azov (traité de Kaïnardji 1774). — Le successeur d'Abdul-Hamid, Selim III dut abandonner aux Tsars toute la côte septentrionale de la Mer Noire, du Dniestr au Kouban (traité de fassi 1792) ; ces deux fleuves servant de frontières aux deux Empires. EN MÉDITERRANÉE ORIENTALE : Les Ottoman compensent leurs échecs sur le continent par la conquête de la Crête, dernière position de Venise dans le bassin oriental. — La prise de sa capitale Candie en 1669 mit fin à un siège de 25 ans. C'est l'un des événements importants du siècle. — Mazarin, puis Louis XIV avaient envoyé un contingent français et une flotte qui participèrent à la défense de l'île. CONCLUSION — A la fin du XVIIIème siècle, l'Empire Ottoman est toujours une très grande puissance ; mais il a cessé d'être un péril pour l’Europe. Le Grand Turc devient « l'Homme malade » ont chacun convoite l'héritage. De plus, l’État Ottoman dont la structure n’a guère varié, donne des signes de faiblesse. 008 LOUIS XIV ET L'EMPIRE OTTOMAN — Après la mort de François 1er, les guerres de religion paralysent la politique orientale de la France. — Henri IV, puis Richelieu et le Père joseph, songent à l'union de l'Europe contre le Turc. — Louis XIV, partagé entre l'esprit de croisade et les projets plus réalistes de Colbert, a d'abord été séduit par ce rôle de libérateur que lui prêtait le catholicisme militant. L'ouvrage du Père Dan que nous citons, traduit ce courant d'opinion. — La Paix entre Venise et la Porte, signée le 6 Septembre 1669, mettait fin à la guerre de Crête. Elle permit au Roi d'amorcer un rapprochement avec « le Grand Seigneur » de Constantinople. — D'autre part, les vues de Colbert touchant, - le développement du commerce avec les Échelles du Levant. - son désir de détourner vers la Mer Rouge et Alexandrie le commerce de l’Inde qui enrichissait Anglais et Hollandais, impliquaient un accord ottoman. — Quant aux Turcs, ils avaient assez peu apprécié. - la participation française à la bataille du Saint-Gothard. - à la défense de Candie (Crête), - et l'activité des Chevaliers de Malte, Français en majorité. — Un envoyé du Sultan est reçu à la Cour en 1669, sans résultat. Cependant, le cérémonial quelque peu fantaisiste de sa réception par M. de Lyonne aurait inspiré à Molière les « Turqueries » du Grand Mamamouchi dans le Bourgeois gentilhomme. — En 1673, le Sultan renouvelle les Capitulations. Leurs clauses sont particulièrement avantageuses pour la France ; elles stipulent en effet : - une diminution des taxes de douane, ramenées de 5 à 3% pour les marchandises importées par l'Empire Ottoman, - la reconnaissance à la France de la protection des religions des autres nations. — A partir de 1688, début de la guerre de la Ligue d'Augsbourg, les preuves de la fin du règne contribuèrent à rapprocher le Roi de France et le Sultan de Constantinople qui trouvait de nombreux sujets d'inquiétude tant en Europe Centrale qu'en Mer Noire. 009 ORGANISATION ADMINISTRATIVE DE L'ÉTAT OTTOMAN AU XVIII SIÈCLE Le type du gouvernement absolu. Tout était entre les mains du souverain : la vie et les biens de ses sujets. LE GOUVERNEMENT : LE SULTAN était à la tête de l’État. C’était un chef à la fois religieux et militaire. Il vivait à Constantinople au milieu d’une Cour nombreuse et brillante, semblable à celle des empereurs byzantins. LE GRAND VIZIR et ses auxiliaires assistaient le souverain. Le Grand Vizir exerçait 1e pouvoir effectif. Il était le dépositaire des sceaux. A ce poste périlleux, le Vizir ne survivait pas à un échec, et le Sultan pouvait prendre ombrage de ses réussites. En deux siècles, sur 66 vizirs, 15 ont péri de mort violente. LE DIVAN, aux côtés du Sultan et du Grand Vizir, était une Assemblée de hauts dignitaires, présidée soit par le Sultan dissimulé derrière une fenêtre grillagée, soit par le Grand Vizir. Le Divan était à la fois : - un Conseil des Ministres, - un Conseil d'État, - une Haute Cour de Justice. — Après le Grand Vizir, le Mufti était le second personnage de l’État, interprète suprême de la loi religieuse. Le siège du Gouvernement s'appelait : al-Bâb al-‘Ali la Sublime Porte pour les Français, l'Excelse Porte pour les Anglais. Quant au Sultan, il était pour les Occidentaux, le Grand Seigneur ou le Grand Turc. L'ADMINISTRATION COMMENT ELLE ÉTAIT CENTRALISÉE. — L'Empire était divisé en provinces administrées par des Beylerbeys, (Beys des beys), sortes de gouverneurs généraux. On comptait les Beylerbeys d'Anatolie pour l'Asie, de Roumélie pour l'Europe (Roum Ili, pays des Grecs), et enfin un Beylerbey pour l'Afrique du Nord. Khaïr ed-Din fut le premier titulaire de ce poste, et ‘Euldi ‘Ali le dernier. — Chaque province était divisée en unités administratives plus petites, administrées par des Beys (du vieux turc Beg). — Beylerbeys et Beys portaient également le titre de Pachas. — Ils achetaient leur charge pour un an : cette mesure, peu favorable à une bonne administration, stimulait chez les hauts fonctionnaires le désir de s'enrichir rapidement. SES MÉTHODES. La corruption était de règle à tous les étages : rôle important du « bakchich ». Aux populations, les Turcs laissaient leur religion, leur langue nationale, leurs coutumes particulières, leurs chefs élus. Ils avaient surtout des préoccupations d'ordre fiscal et militaire. RECRUTEMENT DU PERSONNEL DE L'ÉTAT. — Le plus cosmopolite qui soit : il était recruté parmi toutes les nationalités de l'Empire : Grecs, Serbes, Croates. Bulgares, Albanais, Valaques, Transylvains, Hongrois, Tartares. Mongols. Circassiens, Géorgiens, Kurdes, Persans, Syriens, Arabes, Contes, Berbères, Nègres. Russes. Polonais, Bohémiens, Allemands, Italiens, Français, Espagnols. — Fonctionnaires et soldats étaient levés parmi les jeunes gens des communautés chrétiennes par des commissions qui siégeaient à date fixe. Des établissements spéciaux leur donnaient la formation nécessaire. Privés de vie familiale ils étaient unis par un esprit de corps très puissant. La conversion venait avec la situation acquise : Ainsi s'est formée la classe des grands renégats, bâtisseurs de l'Empire. 010 LA RELIGION ET L'ARMÉE. BASES DE L'AUTORITÉ DU SULTAN : LA RELIGION. Le Sultan est le Chef suprême de l'Islam Orthodoxe. Selim (1512-1520) avait pris le titre de « Khalîfa Rasûl Allah », Vicaire de l'Envoyé de Dieu, c'est-à-dire du Prophète, et aussi celui d'« Amîr el-Mouminîn » (Commandeur des Croyants). L'Islam Sunnite, c est-à-dire orthodoxe, forme bloc, d'une part face au Chi ' isu1e, et d'autre part face à la Chrétienté — Le spirituel et le temporel, le civil et le religieux sont étroitement liés. Les juristes interprètes la loi religieuse dont le Sultan n'est que l'exécuteur suprême. Il ne fait d'ailleurs que des règlements d'administration publique ou Kanouns (mot tiré du grec canon). Soliman (1520-1566), dit le Magnifique en Occident, est surnommé le Kanouni, le Législateur. LE CLERGÉ. Mot à ne pas prendre dans son sens occidental. —Il s'agit des juristes et docteurs de la Loi ou Ulémas (de l'arabe ‘ulamâ pluriel de ‘âlim, docte, savant). — Le clergé a la garde et l'interprétation de la Loi, ainsi que la charge de l'instruction et de l'assistance publiques. Il possède ses biens et ses ressources propres. — A la tête des Ulémas dans chaque province, est placé un Mufti, « il ne prend pas lui-même de jugements, mais délivre des consultations juridicoreligieuses, (fetoua), d'après lesquelles les juges rendent leurs sentences. » Celui de Constantinople avait, depuis Mohammed II. - la prééminence sur ceux des autres provinces, - il donnait son avis dans certaines circonstances graves (guerre, punition d'un Ministre...), - et il avait le privilège de ceindre le sabre d'Osman au nouveau souverain. CONCLUSION. Malgré leur importance et leur grande influence, les agents du culte n'ont pas d'autorité propre dans l'État, et ils ne peuvent jouer le rôle de l'Église en Europe à la même époque. On verra même un Grand Mufti mis à mort par le Sultan. L'ARMÉE. C'est « la religion en marche ». Elle fait corps avec l'État : Le Sultan en est le chef suprême, les Ministres y ont un grade, le Gouvernement la suit dans ses déplacements. Cependant au XVIIIème siècle, — Les Janissaires n'étaient plus exactement « les moines guerriers » d'autrefois, ils se mariaient, pouvaient ouvrir boutique, leurs rangs étaient ouverts à leurs enfants et aux éléments troubles de la population. Ils prétendaient régenter l'État et devinrent un obstacle à toute réforme. En 1826, le Sultan Mahmoud (1808-1830) les fit massacrer jusqu'au dernier. — Les Spahis étaient entretenus sur les revenus de domaines concédés par l'État, au XVIIIème siècle, ces fiefs n'étaient pas toujours distribués à des soldats, mais à des courtisans et à des fonctionnaires. Les véritables spahis eux-mêmes pouvaient se racheter par une contribution. — L'Artillerie. la meilleure d'Europe pendant longtemps, sous la direction de maîtres allemands et hongrois, était surclassée par celle des puissances européennes. La décadence de l'Empire Ottoman fut liée à l'affaiblissement de son armée, instrument de sa politique d'expansion permanente. CONCLUSION : - L'État Ottoman, était un État militaire musulman. Son centralisme administratif très poussé lui a permis de durer malgré son immense étendue, la diversité des populations, et les convoitises européennes. 011 XIX et XX° SIÈCLES. LE DÉMEMBREMENT DE L'EMPIRE OTTOMAN EST ACHEVÉ PAR : LES NATIONALITÉS DANS LES BALKANS, LA COLONISATION EUROPÉENNE EN AFRIQUE, LA RÉVOLTE DES PROVINCES ARABES AU MOYEN ORIENT. Au Congrès de Vienne (1815), les Ottomans perdent la Bessarabie, déjà cédée au Tsar Alexandre depuis 1812, à la veille de la campagne de Russe. (carte 7). LES NATIONALITÉS. En Europe comme en Amérique, l'idée de l'indépendance et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes se développe. Serbes, Grecs. Roumains. Bulgares, à qui les Turcs ont d'ailleurs laissé leur langue, leur religion et leur culture nationale, vont se constituer en nations indépendantes. — Les Serbes se révoltent en 1804 sous la conduite de Kara-Georges, ancien sous-officier de l'armée autrichienne, - Ils sont écrasés par les Turcs, à la faveur de la trêve conclue avec Alexandre moyennant la Bessarabie. - Un nouveau soulèvement (1815), dirigé par un porcher, Michel Obrénovitch, aboutit à une semi autonomie. — Les Grecs secouent la tutelle ottomane en 1820. S ils ont la sympathie de l'Europe, Metternich voit en eux des rebelles. - La flotte ottomane est défaite à Navarin (1827) par les escadres russe, française, anglaise. - L'indépendance de la Grèce est proclamée à Andrinople (1829), ainsi que celle de la Serbie et des Provinces roumaines. - La Roumanie unifiée, Bulgarie, le Monténégro conquièrent également leur indépendance, reconnue au Traité de Berlin (1878). LA COLONISATION : — Le 5 juillet 1830, Alger est occupée par l'armée française, les Janissaires sont rembarqués quelques jours après pour l'Asie mineure. — Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, la Tunisie, l’Égypte, la Tripolitaine et les îles du Dodécanèse passent sous le contrôle de la France, de l'Angleterre et de l'Italie (carte 8). LA RÉVOLTE DES PROVINCES ARABES — La première guerre mondiale achève cette désagrégation par la révolte des pays arabes qui donne naissance à de nouveaux États : Irak, Syrie, Liban. Palestine, Transjordanie (carte 9). Les deux protagonistes de la révolte armée sont l'émir Fayçal (plus tard roi d'Irak), et le fameux Lawrence. LE CRÉPUSCULE DE L'EMPIRE - INSTAURATION D'UN ÉTAT NATIONAL TURC : — Tout au long du siècle, chacun prévoyait la fin prochaine de l' « homme malade », le jeu complexe des rivalités européennes autour de la succession porte le nom de « Question d'Orient. » — L'Empire Ottoman, réduit à Constantinople et sa banlieue en Europe, et à l'Anatolie en Asie, par le Traité de Sèvres (1920), rompit alors avec son passé et s'engagea dans une voie nouvelle par, - la proclamation de la République. (1923). - la suppression du Califat (3 mars 1924), - la laïcisation de l'État, l'abandon de l'alphabet arabe. - et l'interdiction du voile. — La Turquie renonçait ainsi à la direction spirituelle du Monde Musulman.