"Ceci est ton sang", ou l'anthropologie nationale-socialiste entre mysticisme et sciences aryennes Extrait du Université Paris-Sorbonne http://www.paris-sorbonne.fr/article/ceci-est-ton-sang-ou-l "Ceci est ton sang", ou l'anthropologie nationale-socialiste entre mysticisme et sciences aryennes Date de mise en ligne : mardi 15 novembre 2005 Date de parution : 25 novembre 2005 - Les actualités - Agenda des soutenances - Toutes les soutenances - Copyright © Université Paris-Sorbonne - Tous droits réservés Copyright © Université Paris-Sorbonne Page 1/6 "Ceci est ton sang", ou l'anthropologie nationale-socialiste entre mysticisme et sciences aryennes Vendredi 25 novembre 2005 14 heures 30 Centre Malesherbes Amphithéâtre A 122 108, Bd Malesherbes Paris 17e Mme Anne QUINCHON CAUDAL soutient sa thèse de doctorat : "Ceci est ton sang", ou l'anthropologie nationale-socialiste entre mysticisme et sciences aryennes En présence du Jury : M. MERLIO (Paris 4) M. CAHN (Paris 4) M. TAGUIEFF (CNRS) M. CLUET (Rennes 2) Position de thèse Tout l'édifice philosophique national-socialiste fut forgé à partir d'un unique axiome : celui de l'inégalité fondamentale et indépassable des races humaines. Mais comment les nationaux-socialistes définissaient-ils la race ? La concevaient-ils comme une substance plutôt corporelle ou plutôt spirituelle ? Y-eut-il seulement un dogme racial unanimement accepté au sein de l'Etat et du Parti ? Le discours racial national-socialiste fut plus complexe qu'on ne le suppose généralement, en raison même de la difficulté qu'il y a à saisir l'essence de la race. Lorsqu'elle fut objet de réflexion pour les philosophes et autres penseurs « racialistes », la race fut définie de manière essentiellement métaphysique, à partir de prémisses indémontrables souvent teintées de mysticisme. Et pourtant, cette anthropologie philosophique eut la prétention d'être aussi rationnelle et objective qu'un discours scientifique. Lorsqu'elle fut objet de recherche pour les anthropologues et les généticiens, qui s'attachaient alors davantage à sa matérialité, la race ne put jamais être définie de manière suffisamment objective pour s'élever au-dessus du niveau du simple préjugé et de la conviction personnelle du chercheur. Il manqua donc toujours au discours racial à prétention scientifique ce critère de démarcation essentiel qu'est la « falsifiabilité » (Karl R. Popper). Si de nombreuses études ont été consacrées à l'un ou à l'autre type de discours, presque aucune ne s'est risquée à mettre en évidence leur imbrication. Il est vrai que la part de religiosité qui imprègne les croyances relatives au sang est souvent difficile à saisir, et qu'elle n'est ni spécifiquement allemande, ni spécifiquement fasciste. Il n'est pas un écrit patriotique qui ne contienne une allusion au sang des ancêtres ou à celui versé pour la patrie. Mais la mystique nazie du sang va plus loin, dans la mesure où c'est le sang lui-même qu'elle élève au rang de valeur suprême (avant la patrie, donc, et même avant les ancêtres, qui ne sont plus que des vecteurs du sang). Il faut toutefois savoir distinguer, dans la démarche des chercheurs du Troisième Reich, entre le calcul opportuniste et l'adhésion réelle à ce qui fut une religion politique. Aussi une large partie de ce travail est-il consacré à ceux des plus grands savants de l'époque qui, par une démarche de foi, contredirent sciemment leurs propres thèses, choisissant d'oublier ce qu'ils savaient des lois de l'hérédité pour adapter leur « découvertes » à l'idéologie nationale-socialiste, toujours première. Pour rendre compte de ce culte du sang, si présent sous le Troisième Reich et quasi absent du franquisme et du fascisme italien, il faut commencer par s'attacher à ses racines et à son évolution jusqu'à la naissance du NSDAP, avant de déterminer quelles étaient les conceptions anthropologiques des principaux dirigeants du Troisième Reich. Enfin, puisque cette anthropologique théorique nationale-socialiste eut aussi de sinistres applications pratiques, il faut voir de quelle manière les dirigeants du Reich et les biologistes collaborèrent pour conférer une aura scientifique à ce qui n'était que des fantasmes raciaux. Copyright © Université Paris-Sorbonne Page 2/6 "Ceci est ton sang", ou l'anthropologie nationale-socialiste entre mysticisme et sciences aryennes Le patriotisme culturel des Allemands se distingue de celui de ses voisins européens par son insistance sur le thème de la primitivité (Ursprünglichkeit). Ainsi, après la redécouverte des oeuvres de Tacite, les anciens Germains furent-ils présentés comme formant une nation « pure de tout mélange ». De même, les nationalistes allemands du XIXe siècle débutant, et en particulier Fichte, définirent-ils le peuple allemand comme le peuple par excellence en raison de sa fidélité à ses origines. L'universalisme missionnaire de Herder ou de Fichte cèda progressivement la place à une pensée ethnique, si bien que le nationalisme allemand devint plus xénophobe. Les premières allusions à la race et au sang apparurent, notamment chez Josef Görres, soucieux de protéger le peuple contre cette cause de maladie que seraient les influences étrangères. De même, les propos antisémites se firent plus nombreux, en particulier chez Adam Müller, Ernst Moritz Arndt et Friedrich Ludwig Jahn. Dans le même temps, un autre courant de pensée se fit jour, qui aboutit lui aussi à une définition essentialiste de l'appartenance ethnique, mais cette fois-ci sur une base nettement plus raciale : le mythe de l'ascendance aryenne de l'homme blanc. Herder ayant fait de la langue la manifestation de l'esprit d'un peuple, on déduisit de l'existence, nouvellement prouvée par la linguistique, de langues aryennes et de langues sémitiques, l'existence de deux âmes raciales correspondantes. L'altérité religieuse et culturelle se mua en une altérité de nature. Sous l'influence de Joseph Arthur de Gobineau, que Ludwig Schemann fit connaître aux Allemands dans les années 1880, la race put accéder pour la première fois au rang de seul facteur explicatif de l'histoire universelle comme de toutes les manifestations de l'esprit, et les « Arians » à celui de race supérieure de l'humanité. Si les wagnériens des Bayreuther Blätter prêtèrent à cet Aryen des traits nordiques, c'est que l'Allemagne de la fin du XIXe siècle se passionnait toujours pour le vieux mythe des origines nordiques des Allemands. On rendit alors les différents mythes compatibles en situant l'origine des Aryens à la fois dans les terres germaniques et dans les terres scandinaves. Mais ce qui explique que la fascination pour le monde septentrional n'ait pas entamé l'admiration des Allemands pour la civilisation grecque antique, c'est que, avec Nietzsche, ils sont passés d'une vision essentiellement géographique du Nordique à une conception idéologique de celui-ci : l'Hyperboréen se distingue désormais bien davantage par son aptitude culturelle que par ses traits somatiques. Alors que les philosophes tendaient de plus en plus à définir la race de manière spirituelle, la biologie moderne ouvrit la voie à une vision très matérialiste des faits humains. Le biologiste Ernst Haeckel fut ainsi l'un des premiers grands scientifiques de son temps à tenter d'établir une classification systématique des différentes races humaines en tenant compte des lois de l'évolution. Parmi les darwinistes sociaux, on peut citer Ludwig Gumplowicz, qui était convaincu que les processus sociaux se déroulent de la même manière que les processus naturels ; Otto Georg Ammon, qui admirait le « chef d'oeuvre » que constituait la société si inégalitaire de son époque ; et l' « aristocrate social » Alexander Tille, pour qui Nietzsche aurait été le premier à porter la morale évolutionniste à son terme par sa glorification de la volonté de puissance. Les Archives de biologie raciale et sociale de l'eugéniste Alfred Ploetz et les écrits de Wilhelm Schallmayer proposaient un programme de « service racial » qui évoque terriblement celui du Troisième Reich : politique résolument nataliste, stérilisation des êtres dangereux pour le patrimoine héréditaire de la nation, primat de l'intérêt commun sur le souci des malades. Quant à la théorie du plasma germinatif, développée par le zoologue et médecin August Weismann, elle fit apparaître de manière criante la nécessité de choisir son partenaire sexuel avec la plus grande prudence. Dans les années 1870-1890, les courants de l'historisme relativiste et de la biologie humaine se rejoignirent pour nourrir le débat sur la nature du sang et de la race. Mais alors que, durant les décennies précédentes, l'on cherchait prioritairement à définir l'identité allemande, c'est maintenant la quête d'une essence juive qui mobilise les énergies. On voit s'effectuer le passage de l'antijudaïsme traditionnel à l'antisémitisme moderne : la supposée différence de nature des Juifs devient un facteur explicatif de l'ensemble des maux de l'univers, si bien que le sang se met à jouer chez les penseurs racistes le rôle de clé de compréhension du monde, un peu comme le matérialisme historique chez les marxistes. Les écrits consacrés à la possibilité de l'assimilation des Juifs fleurirent (pensons à ceux de Paul de Lagarde, Richard Wagner, Adolf Stoecker, Heinrich von Treitschke, August Julius Langbehn, ou encore des groupuscules völkisch). Nombre de penseurs hésitèrent au cours des décennies entre une conception plus spirituelle et une définition plus biologique de la race. Pour Wilhelm Marr et Eugen Dühring, en revanche, il fallait résolument cesser de considérer la question juive comme une question religieuse pour l'aborder selon une approche purement scientifique, afin qu'elle devienne une véritable idéologie. Plus riche et plus néfaste, la réflexion de Theodor Fritsch aboutit à la conviction que le Juif aurait été créé pour contraindre les Allemands à lutter pour leur survie en préservant leur patrimoine spirituel et biologique. L'importance de l'apport de Houston Stewart Chamberlain réside quant à lui dans le fait que l'Anglais parvint à rendre compatibles deux des principaux courants de pensée de son siècle : l'idéalisme et le darwinisme. Disciple de Gobineau, Chamberlain fit opérer aux thèses du comte une « révolution copernicienne » en affirmant que la race Copyright © Université Paris-Sorbonne Page 3/6 "Ceci est ton sang", ou l'anthropologie nationale-socialiste entre mysticisme et sciences aryennes pure était encore à créer. Mais la race de Chamberlain est une race ressentie, de sorte que la race idéale à créer n'est autre qu'une race essentiellement mystique. Les principaux théoriciens de l'idéologie nationale-socialiste constituèrent leur anthropologie sur cet arrière-plan philosophique, mais on ne peut qu'être frappé de la distance qui les sépare sur des questions aussi essentielles que celles de l'identité de leurs ancêtres, ou encore de la fonction historique des nomades. En fait, l'idéologie nationale-socialiste s'est davantage définie de manière négative, par la désignation de ses ennemis, qu'en précisant la nature de la race d'élite, comme si celle-ci allait de soi. Alfred Rosenberg fut sans nul doute le plus mystique d'entre eux. Esquissant dans son Mythe du XXe siècle un tableau de l'histoire universelle depuis les origines de la civilisation humaine, il affirme que toute création culturelle de l'histoire mondiale ne serait l'oeuvre que de la seule race nordique. En une lecture très hérétique des textes de Maître Eckhart, Rosenberg affirme que l' « étincelle » dont parle le mystique rhénan, cette part de l'homme qui est en Dieu, serait l'expression même de la nature nordique : un sens inné, divin, de l'honneur et de la liberté. Face à cet homme nordique rêvé dans le Mythe se dresse le Juif, être statique et dominateur, que son mythe de l'élection divine pousse à la domination mondiale. Assimilant les Juifs à Satan même, Rosenberg prétendit que la seule présence des Juifs serait responsable de l'impossibilité pour les Allemands de réaliser l'union mystique avec Dieu et entre eux à laquelle leur sang les prédispose pourtant. Comme Rosenberg, Adolf Hitler ne cessa jamais de situer l'opposition entre Juifs et Aryens au coeur de sa vision du monde, et, comme Rosenberg, il conçut cette opposition essentiellement sur le mode religieux. Face à l'Aryen, être prométhéen et miraculeux auquel Dieu aurait confié sa création, se dresserait son antithèse la plus complète, le Juif, parasite dépourvu de toute vie spirituelle. Pour lutter contre l'ennemi par excellence, Hitler prétendit vouloir se dégager de la tradition antijuive séculaire pour pratiquer un « antisémitisme scientifique ». Mais cet antisémitisme ne parvint en fait jamais à s'élever au-dessus du niveau d'un darwinisme social primaire. Il faut surtout remarquer que le darwinisme de Hitler s'accommode très bien avec un véritable panthéisme, au point qu'on peut se demander si le vocabulaire darwiniste de Hitler ne recouvre pas en fait de pures croyances religieuses. L'idéologie hitlérienne pose la question fondamentale de l'origine et de la signification du Mal, et montre que la mission historique et téléologique des Allemands consiste à sauver les Aryens afin de préserver la Création du chaos. Beaucoup moins métaphysique, l'antisémitisme de Julius Streicher a pour particularité de reposer sur une vision pornographique des relations entre Juifs et non-Juifs, comme si la lutte des races devait presque toujours se jouer sur le terrain de la sexualité. Le sang constitua un thème obsessionnel de la pensée de Streicher. On le retrouve décliné sous ses différentes formes (sang du meurtre, sang du sacrifice rituel, sang symbole de vie au même titre que le sperme, etc.) dans le Stürmer. Les innombrables crimes sexuels attribués aux Juifs y sont invariablement expliqués par deux facteurs : l'obéissance à la loi talmudique et l'hérédité. Attaquer les non-Juifs serait un commandement religieux, fruit de l'esprit de la race juive, ayant pour objectif d'anéantir les « goys » physiquement et moralement. Adepte de la croyance (alors très controversée) en la prépotence du sang juif, Streicher affirmait qu'en ayant des rapports avec de jeunes Allemandes, les Juifs condamnaient leurs victimes à être souillées à tout jamais. Le Reichsführer SS fut l'homme le plus représentatif de la tension permanente entre rationalité et irrationalité au sein de l'idéologie et de la pratique nationales-socialistes. Bien que Himmler n'ait jamais douté de sa capacité à contribuer au triomphe de la science, et notamment au savoir de la race qu'il considérait comme l' « évangile allemand », on constate que sa conception du monde ne reposait en définitive que sur un ensemble de croyances généralement sans fondement, et que son anthropologie se caractérisait avant tout par sa grande imprécision conceptuelle. En dehors des « Germains », Himmler ne semble connaître l'existence de quasiment aucun autre groupe ethnique que les « Slaves » et les « Juifs », les premiers représentant avant tout un ennemi politique, et les seconds incarnant un ennemi métaphysique. A l'antithèse hitlérienne Aryens-Juifs, Himmler substitue donc l'opposition Europe-Asie. Souvent assimilés aux bolcheviques, les Slaves non assimilables se confondent à terme avec les Juifs, pour ne plus constituer qu'un seul et même principe négatif. Himmler ne décrit jamais le phénotype juif, comme si l'ennemi était totalement désincarné. Son seul trait distinctif est sa volonté de destruction et de domination. Caste de prêtres unis par le sang et par l'esprit, la S.S. n'eut quant à elle pas le sang aussi pur qu'on le dit. Après une période de recrutement des plus strictes dans les années 1930, l'Ordre noir s'ouvrit à tous les Européens d'origine nordique, puis, après la défaite de Stalingrad, aux Européens de l'Est, et même aux Tsiganes ! Richard Walther Darré partageait avec le Reichsführer SS le rêve de mettre en place un élevage d'hommes supérieurs. Le mysticisme de Himmler lui était toutefois étranger, car il concevait la race d'une manière résolument matérialiste. Il distingua deux catégories d'individus, « deux contraires absolus et insurmontables » : le sédentaire d'une part, qui cultive un sol et qui est à l'origine de toute Copyright © Université Paris-Sorbonne Page 4/6 "Ceci est ton sang", ou l'anthropologie nationale-socialiste entre mysticisme et sciences aryennes création culturelle, et le nomade d'autre part, homme qui n'est lié à aucun sol, n'a pas d'histoire, et se repaît des biens créés par d'autres. Ce qui serait responsable du déclin de la plus noble des races sédentaires, ce ne serait que secondairement le mélange des races, comme chez Hitler ou Rosenberg, ou l'effet dysgénique des guerres, mais ce serait essentiellement la séparation d'avec le sol. Le programme de Darré pour le Reich allemand à venir repose donc sur l'ancrage du paysan dans sa terre, et sur la création, grâce à des pratiques eugénistes strictes inspirées des récents enseignements de la biologie, d'une élite de paysans nordiques destinés à former une « nouvelle noblesse issue du sang et du sol ». Cet attachement au sol distingue Darré des autres idéologues nationaux-socialistes. Mais on ne peut comprendre l'union sang-sol qu'en acceptant de considérer que le sol idéalisé du paysan de Darré est un sol métaphorique, une image de la continuité sur laquelle les vicissitudes de l'histoire n'ont pas prise. En ce lieu situé hors du temps, le sang pourrait se transmettre inchangé, et garantir ainsi l'éternité de l'homme vivant sur ce sol. Cette sortie de l'histoire est renforcée par le fait que Darré examine tous les événements avec le regard du biologiste, si bien que seul le sang, porteur de vie, accède au statut de valeur. Sous le Troisième Reich, théorie et pratique se nourrirent mutuellement. Les dirigeants nazis encouragèrent les recherches raciologiques de grands savants, qui s'efforcèrent à leur tour de fonder rationnellement la politique irrationnelle des nouveaux maîtres de l'Allemagne. Aussi la « science aryenne » science des Aryens pour les seuls Aryens fut-elle à la fois complice et complexe (R.N.Proctor). Dès les années 1930, le postulat de l'inégalité des hommes devant la constitution du savoir fut appliqué aux sciences exactes elles-mêmes, comme l'illustrent les thèses des physiciens Philipp Lenard et Johannes Stark, et du mathématicien Ludwig Bieberbach. De nombreux anthropologues et généticiens de renom décidèrent eux aussi d'apporter une caution scientifique à des principes dont ils connaissaient l'origine pour le moins douteuse. L'un des plus importants fut l'anthropologue Eugen Fischer, qui affirma le premier que les lois mendeliennes de transmission héréditaire dans les cas d'hybridation s'appliquent à l'homme, mais qui, dans le même temps, ne cessa pas de défendre les typologies raciales fixistes et la quête du sang pur du Reich hitlérien. Autre brillant scientifique, le généticien eugéniste Fritz Lenz assimila groupes sociaux et groupes raciaux, défendit la thèse de la supériorité nordique, et collabora à la politique d' « évacuation » des territoires de l'Est en triant les hommes d'après les critères des typologies raciales qu'il dénonçait par ailleurs. L'officier de la S.S. et spécialiste d'hématologie Otto Reche tenta pour sa part de distinguer les différentes races dont le peuple allemand serait constitué et de déterminer un groupe sanguin propre à la race juive. Il faut évoquer également le généticien Otmar von Verschuer, qui s'attacha à l'étude des prédispositions héréditaires de maladies et de la criminalité, et qui défendit la thèse totalement dépassée de l'existence du plasma germinatif. Curieusement, l'homme qui imposa ses vues aux plus grands scientifiques de l'époque, Hans Friedrich Karl Günther, n'était qu'un anthropologue amateur, un disciple de Vacher de Lapouge sachant se réclamer avec habileté des connaissances scientifiques les plus modernes pour confirmer des croyances totalement infondées. Les distinctions qu'il établit, à l'aide de critères anthropométriques et psychologiques, entre sept races européennes principales servirent de fondement théorique au racisme du Troisième Reich. Un autre fervent défenseur de l'idée nordique, Ludwig Ferdinand Clauß, séduisit une partie de l'élite intellectuelle nationale-socialiste par sa « psychologie raciale ». Il voulut saisir le mouvement propre à chaque âme raciale à l'aide de sa « méthode mimique », mais cette méthode ne reposait en définitive que sur l'intuition du chercheur, qui devait posséder un talent inné pour percevoir en quoi des traits de caractère universellement répandus se manifestent de manières différentes dans les différentes races. Tous ces biologistes allemands ne parvinrent que rarement à préconiser unaniment les mêmes mesures raciales ou eugénistes. Trois thèmes en particulier suscitèrent de nombreux débats : la race nordique, l'eugénisme et la race juive. Le Parti choisit d'insister sur l'idée que la race nordique est de nature plus spirituelle que physique, qu'elle constitue même une race idéale. La race nordique originelle ne pouvant être recréée, la renordification devrait passer par le choix judicieux du conjoint et l'exclusion des indésirables. Indésirables entre tous, les Juifs furent finalement définis comme un peuple hybride ayant tant pratiqué l'endogamie qu'il serait en passe de constituer une race, mais avant tout une « race mentale » (Hitler), dont l'esprit plus que le corps est immédiatement ressenti comme étranger par tout Allemand encore sain. Modèle pour le programme eugéniste de la race nordique, la race juive en fut la principale victime, et en tout premier lieu dans le domaine « médical ». L'essentiel étant de préserver la vie digne d'être vécue, les éléments pathogènes du corps du peuple furent parfois utilisés comme cobayes humains. Une première catégorie d'expériences était destinée à accroître la puissance de l'Allemagne par l'augmentation de la fécondité des femmes dignes de procréer, mais aussi en donnant aux soldats allemands un maximum de chances de survie. La seconde catégorie d'expériences était destinée à lutter contre les ennemis de la race élue : les Copyright © Université Paris-Sorbonne Page 5/6 "Ceci est ton sang", ou l'anthropologie nationale-socialiste entre mysticisme et sciences aryennes principales maladies bien sûr, mais aussi le sang étranger, dont la propagation devait être stoppée grâce aux progrès des méthodes de stérilisation et de castration. La médecine aryenne fut donc la science « aryanocentrique » par excellence. Cependant, si les médecins nazis avaient vraiment cru à l'altérité des races, ils n'auraient pas songé à tester sur des races étrangères des médicaments destinés à la seule race aryenne. Le lien entre le travail des scientifiques et celui des législateurs du Troisième Reich fut étroit, ces derniers ayant cherché à créer un système juridique nouveau, d'inspiration purement germanique, conforme aux découvertes scientifiques les plus récentes. Cette « biologie appliquée » (Rudolf Heß) à la société concerna en premier lieu la famille : adoption des lois raciales au sein du Parti, puis de l'Etat, nécessitant une classification des parentèles ; législation relative au mariage et au divorce ; incitation à l'union libre entre personnes de bon sang, etc. A cette eugénique positive a correspondu l'eugénique négative qui toucha en premier lieu les « asociaux », c'est-à-dire les citoyens allemands qui montraient par leur comportement qu'ils ne voulaient pas s'intégrer à la communauté. Ils formèrent « l'antirace concentrationnaire » (Joseph Billig), le pendant négatif de l'élite S.S.. Mais ces mauvais Allemands étaient-ils en définitive de véritables Allemands ? La trahison des conjurés du 20 juillet 1944 conforta Hitler et ses proches dans la certitude que la race est bien plus un mode de pensée et d'être qu'un ensemble de traits somatiques. Convaincu que l'anormalité est largement conditionnée par l'hérédité, l'Etat hitlérien lança son programme de stérilisation en 1933, puis d'euthanasie dès le début de la guerre. Le fait que les Juifs internés en hôpitaux psychiatriques aient reçu un traitement particulier met en évidence le lien existant entre l'eugénisme négatif du Reich et le génocide. Des « traitements » meurtriers furent également appliqués, sous la direction de psychiatres, aux détenus des camps devenus inaptes au travail. Le meurtre médical, pratiqué pour des raisons « sanitaires », devint alors véritablement un meurtre médicalisé, c'est-à-dire un meurtre auquel était conférée une aura médicale, mais dont tout homme pouvait être victime. Les mesures spécifiquement racistes du Troisième Reich relevaient de la même logique eugéniste et darwiniste. Entre le pôle aryen et le pôle juif se trouvait toute une nébuleuse de races, qu'il est parfois malaisé de situer sur une échelle allant de l'animalité à la divinité. Ainsi les catégories de « sang allemand » et de « sang étranger à l'espèce » ne furent-elles jamais clairement définies. C'est la détermination de l'appartenance à la race juive cette race qui n'était pas tant une race inférieure qu'une anti-race qui fut la plus problématique. Conformément à son programme de 1920, le NSDAP exclut d'emblée les Juifs de la vie allemande afin de permettre la renaissance de l' « esprit » allemand et de protéger le sang allemand contre toute souillure. Or, c'est avec l'adoption des lois de Nuremberg que la politique antijuive nationale-socialiste prit toute sa dimension pseudo-scientifique, car les rédacteurs de ces lois prétendirent se référer aux lois de Mendel pour distinguer les Juifs des métis au premier ou au second degré, alors que le critère de l'appartenance religieuse des grands-parents demeura en tout état de cause le critère ultime. C'est pour cette raison que l'historien Michael Ley nie l'authenticité des considérations raciales nationales-socialistes, ne voyant dans les les lois « raciales » du Reich que des lois religieuses. De même, pour Raul Hilberg, les crimes du Troisième Reich contre les Juifs relèveraient de la même motivation que ceux de l'Eglise, et ne s'en distingueraient que par leur ampleur. Il ne faut toutefois pas négliger l'importance fondamentale de la pensée et du vocabulaire biologisants à l'oeuvre sous le Troisième Reich. En fait, cet Etat fut une biocratie à l'aura médicale perverse, et l'extermination des indésirables conçue comme une mesure sanitaire et rationnelle. En outre, c'était la voix du sang, double biologique de l'Esprit saint, qui seule enseignait à distinguer l'homme sain du dégénéré, le bien du mal. La dimension spécifiquement religieuse du racisme nazi est donc sans doute à chercher davantage du côté de sa fonction que de son origine : phénomène indiscutablement moderne, ce racisme posséda la puissance mobilisatrice et éventuellement assassine des grandes fois religieuses. Copyright © Université Paris-Sorbonne Page 6/6