Extraits de : Globalisation : Le pire est à venir Patrick Artus et Marie Paule Virard La découverte (2008) Introduction L’urgence d’agir Le propos de cet ouvrage est de décortiquer les ressorts de cet engrenage à travers cinq thèmes intimement liés. La globalisation est tout à la fois une machine inégalitaire qui mine les tissus sociaux et attise les tentations protectionnistes, un chaudron qui va épuiser les ressources rares, inciter aux politiques d'accaparement et accélérer le réchauffement de la planète et les dérives environnementales, une sorte de casino prompt à fabriquer du risque financier et de l'irresponsabilité bancaire, un moteur à implosion pour le système monétaire international et une centrifugeuse qui peut faire exploser l'Europe. Que se passera-t-il si nous restons les bras croisés ? Que se passera-t-il si les acteurs ne prennent pas conscience de l'urgence de désarmer les conflits de toutes sortes qui sont en germe dans l'évolution spontanée du monde ? Que se passera-t-il, si, non pas dans vingt ans, mais dans cinq ans, les inégalités continuent à se creuser, la liquidité mondiale à galoper, la consommation des matières premières à exploser, la course au rendement à se poursuivre, les bulles à succéder aux bulles, l'Union européenne à diverger ? Notre conviction et que nous avons mangé notre pain blanc. Avec la baisse des taux d'intérêt et, d'une certaine manière, avec la baisse des prix pour le consommateur occidental. Qu'un nouvel âge de la globalisation a commencé. Et que rien ne serait pire que la fuite en avant dans l'égocentrisme et le chacun pour soi. D'où l'urgence et la nécessité de réagir et d'agir collectivement. Car le pétrole, les matières premières alimentaires, les métaux précieux et non précieux, l'eau, l'air que chacun respire, mais tout aussi bien la liquidité mondiale et la justice sociale constituent désormais autant de biens publics mondiaux. Dans le monde qui vient, il n'y a plus de solution nationale, ni même régionale. Le fait que l'ouvrier chinois de Shenzhen ou de Taiwan ne bénéficie d'aucune protection sociale a un impact sur l'emploi des ouvriers de Gandrange ou le niveau de vie des salariés de Ford ou de Miko. La globalisation oblige les acteurs de l'économiemonde à coopérer et à s'entendre sur des règles communes s'ils veulent éviter le pire. C'est-à-dire la fuite en avant des égoïsmes autour de l'accès à l'énergie, le contrôle des technologies ou des matières premières. C'est-à-dire l'affrontement des capitalismes, avec le développement de formes de capitalisme déconnectées de la démocratie, sur fond d'institutions internationales défaillantes. Comment être optimiste lorsqu'on observe l'impuissance des États-nations, voire des ensembles régionaux comme l'Europe, l'inadaptation des grandes organisations internationales ? Certes, les autorités de régulation (notamment la Réserve fédérale américaine, la FED, banque centrale américaine) ont tout fait pour que la crise des subprimes soit surmontée et que celle du système financier international soit évitée. Mais cette crise n'était sans doute que le signe avant-coureur de ce que nous réserve l'avenir si nous persistons collectivement dans la voie actuelle. Or, que voyons-nous depuis que cette nouvelle alerte - d'une gravité inédite puisque pour la première fois elle est partie du cœur même du système -s'est déclenchée, sinon la poursuite des mêmes errements que ceux qui ont servi de détonateurs à la crise de 2007-2008 ? Déjà la fuite en avant a repris, attisée par la course au rendement, une autre bulle s'est formée sur les matières premières, expression même de la stupidité d'une spéculation qui n'hésite pas à s'enrichir sur le prix du riz et sur la ruine des plus pauvres, tandis que les autorités monétaires semblent se résigner à réguler les cycles économiques par la liquidité, c'est-à-dire par les bulles, quel qu'en soit le prix pour les acteurs de l'économie réelle. La banque centrale américaine sauve les banques, mais se moque d'inonder le monde de liquidité. Le gaspillage des ressources rares se poursuit comme si de rien n'était, aiguillonné par les exigences d'une croissance de plus en plus « insoutenable ». Les capitalismes s'opposent dans un affrontement des « valeurs » qui ne dit pas encore tout à fait son nom. C'est dire si la bataille pour un monde global stable, pacifique et démocratique est loin d'être gagnée. Il faut le redire une dernière fois : il ne s'agit pas ici d'endosser et d'argumenter un quelconque plaidoyer antiglobalisation. Mais de montrer que celle-ci nous conduit droit dans le mur si, au nom de l'efficacité, l'équité est finalement sacrifiée parce que nos dirigeants politiques et économiques renonceront à se donner les moyens d'assumer leurs responsabilités et de réguler collectivement le système. « L'homme est un être raisonnable, mais les hommes le sont-ils ?» : le questionnement de Raymond Aron n'a jamais été d'une plus brûlante actualité. Une machine inégalitaire Inégalités accrues et destructions d'emplois Quel singulier début d'année en effet dans la France de 2008 avec son improbable cortège : les folies de la planète finance, mais aussi la détresse des sidérurgistes de Gandrange, des caissières du Carrefour Grand-Littoral à Marseille, des ouvriers de Miko à Saint-Dizier, de Ford à Blanquefort, d'Arc International à Arques ou de Kléber à Toul, tous condamnés à lutter le dos au mur pour tenter de préserver leur emploi ou tout simplement obtenir un salaire décent, à moins que ce ne soit la fin des temps partiels imposés, fragmentés, qui font vivre la vie petit bout par petit bout... Ce fossé entre une petite minorité de privilégiés, qui « sort » par le haut, et une majorité de salariés de plus en plus chahutés par les nouveaux désordres de l'économiemonde (1), s'est sensiblement creusé au cours des années 2000. Depuis que la globalisation a commencé à bousculer les économies, les entreprises et les hommes qui les font. Une nouvelle rupture dans l'histoire du capitalisme. Ce n'est pas un hasard si le Fonds monétaire international (FMI), pourtant peu disert sur le sujet dans le passé, a inscrit solennellement les inégalités au sommaire de son rapport annuel sur l'économie mondiale en octobre 2007. Leur accroissement partout dans le monde n'est en effet ni contesté ni contestable, car si la globalisation crée des richesses supplémentaires, elle n'a pas son pareil pour prendre du revenu aux uns et le donner aux autres, ce qui ne manque pas d'exacerber les tensions entre les futurs « anciens riches » du Nord et les futurs « nouveaux riches » de l'Est et du Sud, mais aussi à l'intérieur même de chaque pays, qu'il soit « développé » ou « émergent ». La globalisation est en effet une formidable machine inégalitaire. C'est même là le premier grand déraillement qu'elle charrie dans ses bagages. Avec à la clé, si l'on n'y prend garde, le dérapage incontrôlé qui peut miner la cohésion sociale et ébranler nos démocraties. ce qui revient à convaincre « à froid » les investisseurs d'accepter collectivement des rendements du capital plus faibles. Même si une telle évolution devrait être favorisée par le fait que les banques, contraintes de consommer davantage de capital (avec les difficultés de la titrisation, avec l'augmentation de la volatilité), vont pousser dans le sens d'une réduction du levier d'endettement. (…) Sur le plan économique, il n'y a pas eu de surprise : la globalisation a produit les effets inégalitaires auxquels on pouvait s'attendre. (…) Une révision qu'internationale (1) Pour une définition de concept d'économie-monde, voir l'ouvrage très éclairant (et accessible aux non-initiés) de l'économiste américain Immanuel WALLERSTEIN, Comprendre le monde. Introduction à l'analyse des systèmes-monde, La Découverte, Paris, 2006. Les excès du capitalisme financier La machine à fabiquer des bulles tourne toujours (…) Tant que la liquidité mondiale sera abondante et que l'obsession du rendement occupera les esprits, la machine à fabriquer des bulles n'est pas près de s'arrêter. Or, jusqu'à preuve du contraire, la crise financière n'a pas fait disparaître l'une et l'autre. On observe simplement un déplacement de la spéculation d'un objet de désir à un autre. Ainsi, depuis la fin 2007, la liquidité a, comme on l'a vu, abandonné le financement de l'immobilier résidentiel et de tous les actifs titrisés pour se porter sur les matières premières (alimentaires, énergie, métaux précieux) et sur les actions des entreprises des pays émergents. Pour ces actifs, comme pour les actions avant-hier ou l'immobilier hier, la valorisation est devenue excessive. La hausse du prix du pétrole depuis l'été 2007, par exemple, ne peut s'expliquer simplement par l'évolution de la demande mondiale d'or noir. De même, la valorisation des actions des pays émergents - en particulier indiennes ou russes est bien plus forte que celle des actions des grands pays de l'OCDE. Aux dernières nouvelles, l'engouement des investisseurs s'était porté sur la terre agricole « leveragée », en Ukraine, en Pologne et ailleurs... L'histoire risque donc de bégayer. Tant que les investisseurs rechercheront des rendements anormalement élevés par rapport aux rendements sans risque et que la liquidité mondiale croîtra rapidement, les conditions seront remplies pour que les bulles apparaissent : le mimétisme des investisseurs concentre la liquidité sur peu d'actifs, dont les prix augmentent donc inconsidérément. Et comme ils sont désormais en quête d'actifs « rassurants », c'est-à-dire dans leur esprit décorrélés de la conjoncture occidentale en général, et américaine en particulier, leur intérêt a tendance à se porter sur des classes d'actifs de plus en plus étroites, ce qui ne peut qu'amplifier et accélérer encore les phénomènes de bulles. Pas besoin d'être grand clerc pour pronostiquer de nouvelles explosions. Pour éviter que l'économie mondiale ne coure de bulle en bulle, il faudrait que les investisseurs reviennent sur d'autres actifs dont les prix sont au contraire sousévalués. C'est le cas des actifs d'entreprises (actions, crédit) délaissés, alors que la profitabilité des entreprises continue de s'accroître avec des gains de productivité supérieurs à la hausse des salaires réels. Mais l'observation du passé prouve qu'il est extrêmement difficile de revenir progressivement sur des actifs dont l'analyse fondamentale montre que le prix est attrayant, réglementaire ne peut être Ne rêvons pas. Une « autorégulation » collective n'est pas l'hypothèse la plus probable. À partir de là, comment faire pour éviter que des secousses comme celle qui a ébranlé nos économies en 2007 se reproduisent ? Les libéraux ont tendance à penser que la question de l'«aléa de moralité» (ou « risque moral », désignant le comportement négligent ou fautif d'un agent économique, dès lors qu'il s'estime couvert par un contrat ou une assurance) n'a pas vraiment de solution. Mais si l'on renonce, ex-post, à punir les spéculateurs, afin d'éviter de pénaliser au passage l'économie dans son ensemble, au moins peut-on se demander comment et jusqu'où il est possible de leur imposer des règles plus efficaces afin de les empêcher, ex ante, de provoquer des catastrophes destructrices de valeur dans la sphère financière, mais aussi dans l'économie réelle. (…) Il faut bien pourtant trouver les moyens d'inciter l'industrie financière à faciliter plutôt le financement de la croissance. Une part importante de l'épargne mondiale a été détournée depuis 2003 au profit de l'investissement logement des ménages américains. Or, on sait que l'investissement en logements n'est pas efficace pour augmenter la croissance potentielle d'un pays. Et qu'il vaudrait mieux, si l'objectif est d'accroître la production et le revenu, canaliser l'épargne mondiale vers les investissements productifs ou générateurs de progrès technique. En outre, on vient de voir aussi comment, au cours de ces dernières années, l'épargne s'est investie en masse dans des actifs financiers « artificiels » - au sens où ils n'auraient pas dû normalement servir de support à l'épargne, dès lors qu'ils n'étaient pas faits pour financer les investissements. C'est le cas en particulier de l'explosion du marché des dérivés de crédit (depuis le début des années 2000, le marché des crédits defaultswaps est parti de presque rien pour grimper à plus de 50 000 milliards de dollars). L'investissement de l'épargne dans ce type de produits ne débouche pas sur un supplément d'émissions obligataires ou d'investissement des entreprises. Il s'agit donc bien d'un actif financier « stérile » au sens de la croissance potentielle. De même, les marchés à terme de matières premières ne sont pas conçus pour servir de support au placement de l'épargne, mais de couverture à des acheteurs qui consomment ces matières premières pour leur production. Or, depuis la crise de l'été 2007, ils ont tendance à servir de refuge aux investisseurs en mal de sensations fortes. Bien entendu, il est possible de soutenir que, grâce à cette spéculation sur les marchés à terme de matières premières, leurs prix au comptant montent et que cela garantit du revenu supplémentaire aux producteurs, revenu qui peut, in fine, servir à financer des investissements bien réels. Toutefois, le fait que l'épargne transite par des actifs qui ne sont pas conçus pour cela présente de graves inconvénients, à commencer par la taille excessive des marchés dérivés avec tous les risques que cela présente en cas de crise ; sans oublier une hausse excessive et injustifiée sur le plan économique des prix des actifs concernés (en l'espèce les matières premières). Il vaudrait beaucoup mieux, selon nous, que l'épargne mondiale soit encouragée à s'investir directement en actifs d'entreprises (actions et obligations, dont les émissions sont anormalement faibles), dans le financement des start-up et autres PME innovantes et dans le financement d'infrastructures publiques utiles. L'Europe, en particulier, en a cruellement besoin. Une centrifugeuse qui peut faire exploser l’Europe (…) L'observation froide de la situation de l'Union européenne en 2008 amène ainsi au constat qu'elle n'est pas du tout en train de progresser vers une zone économique et monétaire unifiée, mais plutôt de reculer vers un agglomérat de régions sans solidarité, où les riches ne veulent plus payer pour les pauvres. Dans cette Europe-là, les régions pauvres vont devenir encore plus pauvres et les régions riches encore plus riches. C'est en cela que la mondialisation est une centrifugeuse qui peut finir par faire exploser l'euro et, pourquoi pas, l'Europe. Conclusion Dangereuse conjonction (..) La deuxième tendance qui ne nous paraît pas « soutenable » dans la durée est la fille des désordres du capitalisme financier, à mettre avant tout sur le compte de la juxtaposition de deux phénomènes désormais solidement installés : l'exigence de rentabilité très forte du capital (15 % à 25 % par an de rendement des fonds propres pour les grandes entreprises, les fonds de private equity et autres hedge funds) et la croissance très rapide de la liquidité mondiale, attisée par l'accumulation de réserves de change dans les pays émergents, c'est-à-dire par le soutien du dollar. Le recyclage des excès d'épargne des pays émergents et exportateurs de matières premières par l'intermédiaire des banques centrales contribue à l'excès chronique de liquidité. Notons que si ce recyclage prenait la forme d'investissements en capital des entreprises des grands pays de l'OCDE (mouvement amorcé, surtout depuis 2007, avec une accélération liée à la crise financière et à la recapitalisation des banques), il y aurait une moindre création de liquidités. Mais on assisterait alors à l'apparition d'un nouveau motif de rejet de la globalisation, avec le refus, dans les grands pays de l'OCDE, de la prise de contrôle des entreprises par les pays émergents ou exportateurs de matières premières. On n'a pas fini de voir les réactions très négatives suscitées en Europe et aux États-Unis par l'activité des fonds souverains... Quant au curseur de la « norme de rentabilité », il est désormais placé 14 à 20 points au-dessus du rendement des actifs sans risque, ce qui est une pure folie. Cela résulte fondamentalement de la mise en concurrence des intermédiaires financiers qui gèrent l'épargne, sur un horizon de jugement à très court terme, même quand l'horizon normal des investisseurs est le long terme (assureurs et fonds de pension). La concurrence à court terme pour les parts de marché conduit inévitablement à la course aux rendements très élevés et à son corollaire déstabilisateur, le mimétisme des investisseurs (« rush » simultané vers les mêmes actifs). Or, que se passe-t-il lorsqu'il y a à la fois exigence très excessive de rentabilité et liquidité très abondante ? D'abord, le levier d'endettement est mobilisé sans retenue pour accroître la rentabilité du capital. Pour preuve, la hausse du taux d'endettement des entreprises en Europe, les rachats d'actions aux États-Unis, à la hausse, jusqu'à la crise de l'été 2007, l'explosion de la dette des fonds de private equity et des hedge funds. Mais on observe aussi une concentration de la liquidité, à chaque instant, sur un petit nombre d'actifs, d'où des bulles sur les prix des actifs. Cela résulte du « mimétisme rationnel » des investisseurs : ils sont, comme on l'a vu, en concurrence dans un environnement d'exigence forte de rentabilité, et sont donc contraints d'acheter les mêmes actifs que les autres investisseurs, et les prix de ces actifs montent. On a observé ces bulles sur les actions des entreprises des grands pays de l'OCDE à la fin des années 1990 (sauf au Japon), sur l'immobilier de 2002 à 2006, sur les actions des pays émergents jusqu'à la fin de 2007, sur les matières premières depuis 2004. Elles se traduisent par le freinage des investissements à horizon long, puisque la rentabilité exigée du capital conduit à une sousvalorisation des revenus obtenus à long terme, au profit d'investissements délivrant rapidement des revenus élevés ; et par une déformation du partage des revenus en faveur des profits pour satisfaire l'exigence de rentabilité excessive du capital. En outre, cette exigence conduit inévitablement à une prise de risque élevée. Un risque qui peut prendre différentes formes : faillite avec le levier d'endettement, crises financières quand les bulles sur les prix des actifs explosent. (…) L'impératif d'une nouvelle coopération internationale Ces tendances explosives sont provoquées et amplifiées par l'absence de coordination internationale. C'est bien là la grande question de l'heure. Dans les grandes zones économiques (l'Union européenne en particulier), la spécialisation productive n'est pas complétée par les mécanismes qui la rendraient supportable. Le fait que, parmi les grands pays, l'Allemagne se spécialise dans l'industrie manufacturière, et la France, l'Espagne, l'Italie et le Royaume-Uni dans les services ne serait pas un problème s'il y avait coordination notamment fiscale et sociale, comme cela doit normalement être le cas dans une union économique (et monétaire pour la plupart des pays). Or, on ne peut que constater l'absence de coordination dans les domaines concernant la mobilité du travail (correspondant à la spécialisation productive des régions), comme de solidarité dans le domaine budgétaire (compensant par des transferts publics des écarts de revenu créés par la spécialisation). On sait que ni l'un ni l'autre ne progressent dans l'Union européenne. Au contraire. L'immobilisme qui a caractérisé les dernières années fait plutôt craindre une forme de régression rampante, alimentée d'ailleurs par les tentations séparatistes qui se sont fait jour ici ou là. Par ailleurs, il n'y a aucune gestion mondiale des ressources rares, mais au contraire de plus en plus compétition pour l'accès aux matières premières. Et, audelà des discours, on ne voit pas de volonté réelle, dans les grands pays émergents (en Chine en particulier), de réduire la pollution (les émissions de gaz à effet de serre notamment). Enfin, pour résorber les « déséquilibres globaux » (déficit extérieur des États-Unis et à un bien moindre degré de l'Union européenne, excédents extérieurs des pays d'Asie et des pays exportateurs de matières premières), donc contrôler la croissance de la liquidité mondiale, il faudrait coordonner les politiques économiques des pays excédentaires et des pays déficitaires : les premiers devraient mettre en place des politiques de réduction de l'épargne (hausse des investissements publics, des dépenses d'éducation, de santé; modernisation financière, amélioration de la protection sociale pour éviter l'épargne de précaution) ; tandis que les seconds, à commencer par les États-Unis, devraient s'imposer des politiques de stimulation de l'épargne (politiques monétaires plus restrictives lorsque le crédit augmente rapidement, excédents budgétaires tant que le taux d'épargne du secteur privé est bas). Seule cette coordination complexe des différents types de politiques économiques, qui n'est absolument pas entreprise à l'heure actuelle, pourrait rapprocher les taux d'épargne (60 % en Chine, 12 % aux États-Unis) et réduire les déséquilibres. Voilà pourquoi nous pensons qu'il est absolument décisif qu'une nouvelle coopération internationale se mette en place rapidement. S'il n'y a pas de gestion collective de la spécialisation productive et de ses effets, des ressources rares, de la liquidité mondiale, alors les tendances incontrôlées décrites plus haut (inégalités, déformation du partage des revenus en faveur des salariés, affaiblissement de la croissance dans les grands pays de l'OCDE, excès d'endettement, bulles sur les prix des actifs, réduction des investissements à long terme, consommation en croissance très rapide de matières premières, émissions de polluants en forte hausse) vont se renforcer partout avec les risques politiques, économiques et sociaux que l'on imagine. La fin des faux modèles ? Au début des années 2000, certains pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Irlande ou l'Espagne ont souvent été donnés en modèles, comme s'ils avaient enfin trouvé la martingale du bonheur économique : croissance forte, chômage en baisse, demande intérieure dynamique, budgets équilibrés... Rien de plus simple. Pourquoi donc les autres économies développées n'en ont-elles pas tout simplement fait autant ? Certains experts en venaient à regretter par exemple le caractère frileux du comportement des ménages allemands ou français, qui aurait empêché leurs pays de bénéficier des taux de croissance de la « bande des quatre ». La rupture qui se produit avec la crise financière de 2007 risque fort de montrer que ces économies étaient en réalité de faux modèles, dont la croissance forte n'était due qu'à des circonstances transitoires : faibles taux d'intérêt, développement de la titrisation qui a favorisé la forte croissance du crédit et des services financiers, sans oublier l'évolution des conditions du crédit, qui ont permis de laisser filer les taux d'endettement des ménages. Les vrais modèles sont ceux des pays qui ont travaillé à améliorer leur croissance potentielle, ce que l'on repère par le niveau élevé des dépenses de R & D (recherche et développement) et par des gains de productivité aussi élevés que durables. Une catégorie dans laquelle on peut sans doute ranger la Suède, le Japon et la Finlande. Quand les investisseurs se jettent sur le « baril-papier » Avec la crise des subprimes a la mi-2007, les investisseurs se sont mis à bouder brutalement leurs grands actifs de prédilection. Aucun ne trouve depuis grâce à leurs yeux, ni l'immobilier ni les actions américaines ou européennes, à commencer par les financières, ni le marché obligataire privé... Ils se sont repliés en masse sur les matières premières, ce qui explique les fortes hausses de prix observées depuis lors. Des hausses sans rapport avec l'équilibre du marché « physique » des matières premières. La hausse du prix du pétrole traduit bien en effet un surajustement par rapport à la tendance de la demande mondiale qui n'augmente pas plus vite que sa tendance de long terme (+ 1,5 % l'an), alors qu'en 2008 l'écart capacités/demande devrait même s'accroître... De même, la hausse très rapide du prix de la tonne de charbon ou du boisseau de blé depuis l'été 2007 peut difficilement être mise sur le compte de l'évolution de la demande. Mais cette hausse est perverse, puisqu'elle provoque un regain d'inflation. Celle-ci réduit la marge de manœuvre des banques centrales, qui aimeraient bien baisser leurs taux d'intérêt pour relancer la croissance. Et les investisseurs - dont certains sont précisément les pays exportateurs de matières premières qui, au lieu d'investir leur rente dans l'économie réelle de leur pays, réalisent essentiellement des placements financiers - sont encore plus inquiets : ils n'osent plus compter sur une baisse des taux susceptible de soutenir la croissance, le crédit et le prix des actifs traditionnels ; et, du coup, ils achètent encore plus de matières premières... Conclusion : il est très déstabilisant pour l'économie que les matières premières puissent servir d'actifs de diversification pour les investisseurs.