9 mars 1945 - Fédération Nationale des Troupes de marine

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L'Indochine
française,
coupée de la métropole,
se réveille, le 9 mars 45,
sous l'autorité nippone.
L'Empire du soleil levant
secoue la prépondérance
du blanc; une nouvelle
ère s'amorce.
Le colonel (er) Hesse d'Alzon auteur d'une thèse
sur la présence militaire
française en Indochine
(1940-1945) et le colonel
(er) Dussaix président des
rescapés du 9 mars 1945
nous rappellent les événements.
E
n Europe, ce printemps 1945
est celui de la victoire. La poussée
des alliés converge sur le cœur de
l'Allemagne. En Extrême-Orient,
Britanniques et Chinois à l'Ouest
s'enfoncent dans la jungle birmane, les Américains à l'est, d'îles
en îles, se rapprochent du continent asiatique. Au soir du 9 mars,
une flotte aérienne de trois cents
bombardiers B 29 lance deux mille
tonnes de projectiles incendiaires
sur Tokyo. La capitale impériale
est en feu, le nombre des victimes
approche deux cent mille, trentecinq kilomètres carrés sont ravagés par un gigantesque incendie...
Dans ce monde en guerre, l'Indochine française, jusque là en paix
et en état de survie, se trouve, tout
à coup, brutalement engagée dans
le conflit. Ce même 9 mars 1945 au
soir, en effet, les forces nippones,
stationnées sur son territoire, passent à l'attaque et font disparaître
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tous les signes et instruments de
la souveraineté française. La
France ne se relèvera jamais du
coup ainsi porté.
L'Indochine avant le 9 mars
1945.
Depuis 1941, l'Indochine est pratiquement coupée de la Métropole.
Ne pouvant compter que sur ses
propres forces, loin d'une France
Libre impuissante, elle doit s'opposer aux prétentions de Bangkok,
lutter contre les pressions croissantes de Tokyo, assurer la sécurité des Etats protégés et de leur souverain, veiller à la cohésion de
l'union et subvenir aux besoins des
populations. Tâches difficiles
qu'assument l'administration coloniale et l'armée indochinoise, sous
l'autorité du Gouverneur général,
l'amiral Decoux.
Dans le conflit qui couve puis
éclate en décembre 1941, par sa
position géographique, la péninsule
indochinoise constitue, pour l'expansion du Japon en Asie méridionale, une plate-forme de manœuvre
puis une voie de communication indispensables. Plutôt que de compter l'Indochine au nombre de ses
objectifs militaires, Tokyo a tout
intérêt à faire de ce pays un allié,
même contraint et forcé. Une série
d'accords, négociés sous la menace, a donc donné à l'armée japonaise des bases et garnisons
qui seront un tremplin d'abord, un
relais ensuite, dans sa marche
victorieuse vers l'Ouest et vers le
Sud.
A partir de 1943, la contreoffensive des alliés accroît le rôle
de l'Indochine dans la stratégie
nippone et laisse percevoir le moment où l'Union sera entraînée
dans la tourmente.
Le commandement militaire
français prépare, donc, les plans
pour une bataille, de jour en jour,
plus certaine. Des contacts ont
été pris avec Alger et des liaisons
sont établies avec les organismes
de soutien installés par la France
Libre aux Indes et en Chine méridionale.
Il apparaît, clairement et très vite,
que l'affrontement contre un adversaire imbriqué dans le dispositif
des garnisons indochinoises et
qui prendra l'initiative des opérations en toute supériorité de
moyens, ne peut, sous peine de
destruction certaine, revêtir les
formes d'un combat classique.
Les plans, établis par Hanoï et
Calcutta et approuvés par Alger,
envisagent, donc, l'organisation et
l'aménagement, dans l'Indochine
de l'intérieur, de zones de repli et
de recueil vers lesquelles décrocheront et s'esquiveront des détachements mobiles, couverts par la
résistance et le sacrifice des garnisons et citadelles. Ces zones
aménagées seront, par la suite,
des refuges et des bases pour une
guérilla destinée à harceler le Japonais et à menacer ses communications.
Toute une organisation clandestine est ainsi mise en place à partir
de l'été 1944, en complément des
réseaux de renseignements au bénéfice des alliés, qui existaient depuis 1942.
Le territoire est réparti en six organisations dépendant du Service
Action établi à Calcutta, et dans
lesquelles s'intègre la hiérarchie
de l'armée d'Indochine.
1
Le Délégué de la Résistance, désigné le 11 septembre 1944 par le
Gouvernement provisoire de Paris, est le général Mordant, ancien
commandant supérieur qui vient
de prendre sa retraite. L'amiral
Decoux, longtemps tenu à l'écart,
est informé de ces activités au
cours du mois d'octobre. Il reçoit,
Iel9 novembre, un envoyé du général De Gaulle, le gouverneur de
Langlade, qui le confirme temporairement dans ses fonctions.
Durant tout l'automne et l'hiver,
les zones de recueil sont reconnues,
les groupements sont constitués, les
dépôts d'approvisionnement "mille
hommes, cent jours" sont mis en
place. De Calcutta, par les appareils britanniques de la Force 136
du SOE, sont parachutés clandestinement du personnel spécialisé,
des armes et munitions, des
moyens de transmission et des
matériels les plus divers ainsi que
trois commandos de guérilla. Au
3 mars 1945, en cent vingt-etune opérations réussies sur deux
cent vingt tentées, parviennent ainsi en Indochine : cinquante neuf
personnes, deux cent vingt-trois
appareils de transmission. 4 400
armes individuelles, 140 armes
collectives, quatre tonnes d'explosif, des équipements et des médicaments.
Malheureusement les événements se précipitent. Au sol, les
moyens pour répartir ces approvisionnements venus du ciel sont
insuffisants et la discrétion n'est
souvent pas la vertu première
des exécutants.
Le coup de force du
9 mars.
Fin 1944, les forces américaines,
implantées aux Philippines dont elles poursuivent la conquête, ne se
trouvent plus qu'à mille deux cents
kilomètres du littoral Indochinois et
contrôlent facilement la Mer de
Chine méridionale. Elles font peser
sur la péninsule la menace d'un
débarquement qui, réalisé, couperait définitivement les communications entre le Japon et son théâtre
d'opération du Sud. Dans de telles
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conditions, pour Tokyo, l'Indochine
revêt maintenant une importance
capitale. A ces conditions de stratégie locale s'ajoute le fait que les
activités de résistance n'échappent pas aux Japonais et que le
Gouvernement français, rétabli
dans sa capitale, est issu d'une
France Libre qui avait déclaré la
guerre au Japon dès 1941. L'attitude de Saigon, au cas d'un débarquement américain, est donc
incertaine si ce n'est douteuse.
Le 14 septembre 1944, Tokyo a
commencé les études préparatoires pour "un coup de force" contre
une présence française trop longtemps tolérée en Asie, suivi, selon l'une des hypothèses retenues, par une proclamation de
l'indépendance du Viet Nam avec
Ngo Dinh Dien comme Premier
ministre.
2
Début décembre, l'armée de Canton occupe le Kouang Si et opère sa
liaison avec les troupes nippones
d'Indochine. Le 20 décembre, cellesci passent de l'état de "troupes d'occupation" à l'état "d'armée en campagne" qui devient la 38ème Armée aux
ordres du général Tsuchihashi avec
un PC à Saigon. Dorénavant, l'Indochine n'est plus la base arrière du
front birman, elle est, elle-même,
un front de guerre. Après le raid
meurtrier, exécuté le 12 janvier
1945 par l'aviation américaine sur
les côtes indochinoises, la conférence suprême sur la conduite de la
guerre décide, le 17 janvier, puis
confirme, le 1er février, l'exécution d'un
coup de force, le plus tôt possible.
Le conflit de principe qui oppose les
chefs militaires, partisans, pour des
raisons de sécurité, du maintien de
l'Indochine sous un régime d'administration militaire, aux diplomates
des Affaires Etrangères, partisans
d'accorder l'indépendance aux trois
Etats, pour concrétiser l'idée de la
Libération de la "plus grande Asie"
du joug colonial du Blanc, est tranché, le 26 février, au bénéfice de la
thèse pour l'indépendance immédiate.
Pendant ce temps, les vingt-cinq
mille hommes des forces nippones
(21ème division et 34ème brigade) sont
renforcés. La 37ème division venant de
Chine s'installe dans le Nord-Tonkin,
une 7ème brigade apparaît à Saïgon
et la 2ème division de Birmanie s'implante au Cambodge. Début mars,
soixante-cinq mille Japonais se
trouvent sur le territoire : dix-huit
mille au Tonkin, douze mille dans
le Nord et Centre-Annam. quatre
mille dans le Sud-Annam, vingt-huit
mille en Cochinchine et six mille au
Cambodge. Des petites garnisons
s'installent, également, dans le
Laos, à Xieng Kouang, Thakek et
Savannaket. Aux portes de l'Indochine, se rapprochent de la frontière
la 22ème division dans le Kouang Si et
la 4ème en Thaïlande, c'est-à-dire dixhuit bataillons prêts à intervenir.
Près de cent mille hommes, bien
équipés et aguerris, peuvent, ainsi,
à leur initiative, fondre sur les
soixante cinq mille soldats francoindochinois, dispersés dans un dispositif parfaitement connu, démunis
de matériels modernes, handicapés
par la présence des familles. La
balance des forces penche de façon
inégale...
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Du côté français, dès la fin février,
les informations et les indices sur
l'imminence d'une attaque japonaise ne manquent pas. Pris entre
le souci de déclencher une alerte
générale et celui d'éviter tout incident ou provocation, le commandement demeure hésitant.
Seules. quelques mesures de sécurité sont prises localement comme
"l'exercice d'alerte" décidé, le 8
au soir, pour la division du Tonkin.
Dans la soirée du vendredi 9
mars, après un simulacre d'ultimatum irrecevable, le Gouverneur général et son entourage sont capturés, tandis que, du Nord au Sud,
avec une simultanéité presque parfaite, l'armée nippone attaque les
garnisons de l'armée d'Indochine.
Par surprise toujours, par ruse
sou-, vent, par traîtrise parfois, cet
assaut, en toute supériorité, désorganise le commandement, s'empare des forts et citadelles; isole les
postes et casernements. La résistance, selon les conditions locales,
dure de quelques heures à quelques
jours. Il serait trop long de citer tous
ces combats désespérés conduits
avec courage et abnégation. De
nombreux récits ont fait connaître la
fin dramatique de ces soldats pris
au piège et auxquels aucune issue
n'était offerte.
Les détachements mobiles, lorsqu'ils étaient bien préparés et
correctement orientés sur leur mission, parviennent à se constituer, à
se dérober à l'emprise de l'adversaire et à entreprendre le mouvement qui doit les conduire vers les
zones prévues. Dans le Nord, la
proximité de la Chine alliée constitue
un refuge possible au cas où un
maintien sur le sol indochinois deviendrait impossible. Les colonnes
et groupements de la division du
Tonkin et du Nord-Laos mènent, effectivement, un difficile combat retardateur et les plus chanceux, au
nombre de 5700 dont 3200 Indochinois, franchissent la frontière chinoise en avril et mai 1945. Dans le
centre et dans le sud, la situation
est différente et sans issue. Les
détachements tentent, néanmoins, de rejoindre les refuges reconnus mais encore peu préparés.
Commence, alors une dramatique
survie sous un climat éprouvant,
dans une nature inhospitalière, au
milieu d'une population parfois
hostile, dans un dénuement presque total, sous la traque d'un adversaire mobile qui surgit de partout, survie qui s'achève par une
longue agonie dans un combat
inégal ou dans l'épuisement le
plus absolu.
Pour Paris et Calcutta, longtemps,
l'Indochine ne répond plus…
Le bilan précis des pertes subies
est impossible à établir. Les estimations généralement admises donnent les chiffres de 1262 tués et
857 disparus pour les seuls Européens et plus d'un millier pour les Indochinois.
Le service action de Calcutta s'efforce, cependant, de poursuivre les
parachutages d'approvisionnements
et de personnels au profit des commandos de guérilla mis en place au
cours de l'hiver. Dans un Laos ami,
au milieu d'une population loyale,
ceux-ci, en effet, sont passés à
l'action et ont échappé à la destruction. Le 16 avril, des maquis francolao reçoivent l'ordre de se mettre en
sommeil pour sauvegarder leur potentiel. Ils représentent une force
non négligeable de trois cents Français et de deux cents Laotiens, disposant, au signal donné, d'une réserve
mobilisable de plusieurs centaines
d'hommes, et maintenant, ainsi, tous
les signes d'une présence française.
L'Indochine après le
coup de force.
Les conséquences du coup de force
nippon sont, néanmoins, dramatiques et irréparables pour la
France, tragiques et sources d'instabilité pour les Etats de l'union. Au
moment où il amorce son déclin,
l'Empire du Mikado porte un coup
mortel à la présence de I'homme
blanc en Asie. Ce sera sa victoire
posthume.
En quelques heures, tout ce qui est
aux couleurs de la France disparaît.
L'armée est brisée, l'administration
et les services publics sont désorganisés. Gouverneurs, résidents, administrateurs, fonctionnaires et notables français sont écartés si ce
n'est poursuivis et incarcérés.
3
Sur l'injonction des Japonais, l'empereur Bao Daï, le roi Norodom Sibanouik et le roi Sisavang Vang dénoncent les traités de protectorat et
proclament l'indépendance de leur
pays, respectivement, les 11 et 13
mars et le 8 avril. Le Blanc, le Français en particulier, ressent toute
l'humiliation d'une telle situation.
L'Indochinois, un instant étonné, est
vite tenté par l'aventure qui lui est
offerte dans un climat de désordre et
de xénophobie.
Les nouveaux gouvernements,
aux mains des nationalistes, sont
rapidement compromis car installés
par celui qui, dans peu de mois, sera
le vaincu du conflit mondial. Au vide
français succédera, en effet, le vide
japonais. Dans l'ombre de la clandestinité se forge l'outil révolutionnaire
qui, dans un combat prudent, s'arrache, maintenant, le monopole de la
résistance contre l'occupant nippon,
en liaison avec les alliés américains
et chinois. A l'heure de la capitulation
de Tokyo, la vague révolutionnaire
du Viet Minh, profitant d'un état de
désordre et de la vacance du pouvoir, submergera le Viet Nam dans
un mouvement que rien ne pourra
arrêter. Elle s'impose au pays
comme la seule autorité digne et
capable de restaurer la souveraineté nationale. Elle suscitera dans
les états voisins du Cambodge et du
Laos l'éclosion de partis, frères dans
la même idéologie, pour la
conquête du pouvoir.
Le RC4 dans le nord de l’Indochine
Kunning, la France prépare un retour qui s'annonce difficile. Militairement, une force expéditionnaire se
constitue péniblement. Elle est,
dans l'immédiat, impossible à
transporter faute de moyens. Politiquement, un projet pour un nouveau statut des états protégés fait
l'objet de la déclaration gouvernementale diffusée le 24 mars, il ne répond ni à la situation du moment,
ni aux aspirations des dirigeants
Indochinois.
A l'été 1945, cette impuissance
militaire et cette inadaptation politique de la France prolongeront les
effets du vide qu'à provoqué le coup
Du côté de Paris, de Calcutta, de de force japonais.
Ainsi, le 9 mars 1945 marque bien la
fin d'une époque. L'ère d'une nécessaire décolonisation approche. La
situation est, malheureusement,
trop difficile pour aborder, en
toute sérénité, les étapes d'un
processus pacifique pour l'harmonie des relations entre la France et
l'Indochine et pour le bien-être des
peuples. Ce sera, bien au contraire,
dans un climat de violence et
sous l'emprise de régimes totalitaires et inhumains, que naîtront à
l'indépendance les états indochinois, après bien de sang versé
de part et d'autre.
colonel (er) Hesse d'AIzon.
9 mars 1945 en Indochine
E
n ce printemps 1945, dans un
monde où, pendant six années, les
destructions de toute nature, les déportations, les exterminations, les
souffrances, les deuils se sont accumulés, la victoire des alliés se dessine.
En Europe, le saillant des Ardennes
est réduit; les alliés, franchissent le
pont de Remagen, pénètrent en Allemagne; l'Alsace et la Lorraine sont
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libérées; Budapest est occupée par
les forces soviétiques.
En Extrême-Orient, les Américains sont à Manille, luttent avec
acharnement à Iwo-Jima, s'apprêtent à débarquer à Okinawa, aux
portes du Japon tandis que les Britanniques, en Birmanie, sont en vue
de Rangoon.
Comment l'Indochine Française,
pratiquement coupée de sa métropole depuis l'été 1940 a-t-elle subsisté dans cette période difficile,
toute d'expectative, de complexité
jusqu'à cette date du 9 mars 1945
qui marquera l'attaque des forces
japonaises sur notre territoire et
qui aura, pour son avenir, des conséquences dramatiques ?
Il faut remonter à l'Armistice de
juin 1940, en France et suivre chronologiquement les événements de cette
période de cinq années qui suivit,
pour tenter de comprendre, tant sur
le plan diplomatique que militaire,
son évolution.
4
Rappelons les brièvement :
19-20 juin 1940 - Le général Catroux, gouverneur général de l'Indochine depuis 1939 accepte, sous
la pression japonaise, de laisser
une mission de contrôle nippone
s'installer à la frontière sinotonkinoise pour interdire le ravitaillement, américain ou autre,
transitant par le port de Haïphong vers la Chine avec laquelle le Japon était en guerre
non déclarée. Le gouverneur général, qui sait que l'Indochine ne
peut attendre aucun secours de
l'extérieur, est, le 20 juin 1940,
relevé de ses fonctions par le gouvernement de Vichy. Il remet ses
pouvoirs entre les mains de
l'amiral Decoux, commandant les
forces navales d'Extrême-Orient.
Du bateau, qui le ramène en
France, il profite de l'escale anglaise de Singapour pour rejoindre
la France Libre.
Le 2 août 1940, le gouvernement
japonais adresse un ultimatum à
Vichy, réclamant, entre autres, le
libre passage de ses troupes de
Chine sur le territoire indochinois.
Un accord politique franco-japonais
sera signé à Tokyo sur le passage
des troupes nippones en Indochine.
Le Japon, de son côté reconnaît la
souveraineté française sur ce territoire. Cet accord sera concrétisé
par la signature, à Hanoï, le 22
septembre 1940 d'une convention
militaire permettant le passage
des troupes japonaises en Indochine, ce qui n'empêcha pas l'armée japonaise de Canton, sans
doute pas informé des termes
exacts de l'accord, de descendre en
force sur le Haut-Tonkin et de se
heurter, le 23 septembre, à la
garnison française de Langson,
qui fut mise en déroute (les pertes
s'élevèrent, du côté français, à cent
cinquante morts dont quinze officiers).
Ce fut le deuxième acte des rapports franco-japonais.
Mais, presque aussitôt, la
France doit faire face à une nouvelle épreuve : l'agression thaïlandaise. Dans les derniers mois de
1940, invoquant de vieilles revendications sur le Cambodge et sur
le Laos oriental, soutenu par le
Japon, la Thaïlande bombarde
les villes frontières en novembre
1940 et engage les hostilités. Nous
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Langson : Le monument aux victimes du 9 mars
subissons des revers terrestres le
16 janvier 1941 à Yang Dan Kuon
mais la Marine Française remporte
une véritable victoire à Ko Chang, le
17 janvier 1941 où elle détruit une
grande partie de la flotte thaïlandaise. Un traité de paix est signé, le
9 mai 1941, à Tokyo.
Le Laos est amputé de deux provinces sur la rive droite du Mékong
et le Cambodge des deux provinces de Battambang et de Kompong Thom.
Le troisième acte de l'intervention
japonaise en Indochine se situera
le 14 juillet 1941 lorsque de nouvelles exigences de leur part tenteront d'obtenir des facilités militaires dans le sud de la péninsule ;
elles aboutiront à l'accord KatoDarlan, donnant accès aux troupes japonaises sur tout le territoire et reconnaissant, en même
temps, le principe d'une défense
commune. Le Japon renouvelle sa
reconnaissance de la souveraineté
française sur l'Indochine.
Le 8 décembre 1941, l'attaque
japonaise sur Pearl-Harbor entraîne l'entrée en guerre des Américains. Les forces japonaises, volant de victoires en victoires, déferlent sur les Philippines, sur Bornéo, sur Guam, sur Hongkong, pénètrent en Birmanie. Le 15 février
1941, les Anglais capitulent à Singapour. Au printemps 1942, les
Indes néerlandaises puis Battan
aux Philippines déposent, à leur
tour, les armes.
Juin 1942 - La bataille de Midway,
qui voit une écrasante victoire
américaine, marquera le tournant
de la guerre dans le Pacifique. Le
reflux japonais se poursuivra en
1943 et en 1944.
5
. En Indochine les liaisons fréquentes
entre le gouvernement français, en
guerre avec le Japon depuis 1941,
et les responsables français d'Indochine s'intensifient, aboutissant à
une organisation des services de renseignements et d'action, à l'état embryonnaire depuis 1940.
Au printemps 1945, les Américains
ont réoccupé Manille et poursuivent
leur avance dans le Pacifique. Les
Anglais sont aux portes de Rangoon.
Le 9 mars 1945, trois cents superforteresses B 29 bombardent Tokyo
avec deux mille tonnes de projectiles incendiaires, faisant plus de cent
mille victimes. Les forces japonaises, basées en Indochine, attaquent les forces françaises d'Indochine.
Aurait-on pu prévoir le coup de force
du 9 mars 1945 ? Sans hésitation et,
sur ce point, toutes les informations
parvenues depuis le confirment et on
peut répondre affirmativement et
pour plusieurs raisons : les effectifs
japonais étaient passés, en Indo-
Les calcaires de Choben
chine, de huit mille hommes en janvier 1945 à soixante mille hommes au
début de mars 1945.
La politique du gouvernement français avec l'organisation de la résis-
tance locale fut certainement un des
éléments déterminants de la décision japonaise.
Le professeur Shiraïshi, de l'université d'Osaka a souligné, après la
guerre, que si le Japon avait trouvé
les accords passés sur l'Indochine
tout à fait satisfaisants, lui permettant de concentrer ses forces sur
d'autres théâtres d'opérations et
laissant à la France le soin de la
gestion du pays, le gouvernement
japonais n'excluait pas que, si la situation l'exigeait, il emploierait son
armée contre l'Indochine.
Il faut souligner aussi que les campagnes de Birmanie et des Philippines touchent à leur fin et que le 12
janvier 1945, la Task Force 38, forte
de quatre-vingt-dix neuf navires,
venant des Philippines, frappa avec
une grande efficacité (plus de quarante bâtiments japonais furent coulés) de Quang Ngai à Poulo Condor,
inquiétant le haut état-major nippon
qui constata que la flotte américaine
avait une totale maîtrise de la mer
et en particulier de la mer de Chine
et qu'un débarquement américain sur
l'Indochine, devenue "front de guerre"
n'était peut-être pas à exclure, les
forces françaises pouvant lui apporter un soutien total.
C'est le 26 février 1945 que le
Conseil Supérieur japonais décida
de passer à l'action.
Le colonel Le Cocq, assassiné le 9 mars 1945
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6
Quelles furent les forces
en présence ?
Les forces japonaises s'élevaient, au début de mars 1945 à
soixante-cinq mille hommes, la
moitié étant concentrée au Tonkin
et au nord et au centre Annam. La
37ème division, venant de Chine
s'était installée au Nord Tonkin,
"marquant" tout particulièrement
Langson et ses environs. L'armée japonaise était une armée
moderne, rodée au combat de
brousse par sept années de
guerre, dotée d'une aviation puissante, de chars, de lanceflammes. Le dispositif nippon est
articulé sur les deux groupements
français : celui de Langson aux
ordres du général Lemonnier et
celui du Fleuve Rouge - Rivière
claire aux ordres du général Alessandri.
L'armée française d'Indochine
avait un effectif de soixante mille
hommes dont quinze mille
"Européens". Ce fut surtout un
conflit franco-japonais, l'intervention des Indochinois n'a pas
été en rapport avec leurs effectifs
sous les armes. Si la plupart d'entre eux ont été écartés des combats ou s'y sont dérobés, on ne
saurait méconnaître les mérites de
quelques milliers demeurés dans
nos rangs et oublier ceux qui,
parmi eux, sont morts pour la
France. Le personnel européen, qui
a reçu, entre 1940 et 1941, un apport de cadres, est usé par un
séjour qui, pour certains, dépasse sept années. Mais que dire
de l'armement et des équipements
qui sont plus proches de ceux de
la guerre de 1914-1918 que ceux
de la guerre de 1939-1945. Nos
moyens d'artillerie (65 - 75 - 155)
qui constituaient notre armement
le plus moderne durent être détruits par les colonnes qui prirent la
brousse. L'armée d'Indochine a
"hérité" d'un armement de 1918 :
fusil 8 m/m - FM et mitrailleuse
Hotchkiss - mortiers "stocks". La
qualité des munitions, toutes très
anciennes et travaillées par l'humidité est déplorable. Nos moyens
sont complétés par quelques automitrailleuses de 1936, des chars
FT de 1918, des avions de chasse
Morane 406, mis à la retraite
faute de pièces de rechange, de 3
Postes 25 qui rendirent les plus
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La baie d’Along
grands services à la colonne Alessandri ; la belle flotte française est
réduite à néant : la réquisition japonaise et les destructions opérées par l'aviation américaine
ayant laissé, sur l'eau, deux petites unités.
C'est ainsi que nos forces engagent le combat, le 9 mars 1945,
au soir, après que l'amiral Decoux, à Saïgon, ait repoussé un
ultimatum japonais. Par surprise,
par ruse, bien dans leurs traditions guerrières, les troupes japonaises s'emparent des forts et
des citadelles, isolent les postes,
réduisent la résistance en quelques jours.
Il serait trop long de citer les
hauts faits de courage, de sacrifices qui marqueront la défense de
l'armée française d'Indochine et
le calvaire qu'elle a enduré.
Peut-on en rappeler les principaux ?
C'est le sacrifice du général Lemonnier, ancien élève de l'Ecole
Polytechnique, magnifique combattant de la 1ère guerre mondiale
qui, à la tête de la 3ème brigade, résistera pendant 24 heures dans
la citadelle de Langson ; à bout de
munitions, submergé, le général
Lemonnier, fait prisonnier, refusera
par deux fois de signer la capitulation des éléments qui poursuivent
encore la lutte à l'extérieur de
Langson. Avec le résident Auphèlle,
il sera décapité au sabre dans les
grottes de Ky Lua. Une plaque et
le nom donné par la ville de Paris à
une avenue rappellent à tous cet
héroïque sacrifice.
Dans le même temps, c'est la défense de Hanoi où l'ennemi accorde les honneurs de la guerre,
c'est celle de Langson où sur les
Forts, les derniers combattants
sont massacrés en chantant la
"Marseillaise", c'est à Hanoï, au
Tonkin, où le capitaine Régnier, refusant la capitulation, rejoint le chevalier d'Assas dans la légende.
C'est la lutte, pied à pied, sur plus
de mille cinq cents kilomètres de
pistes de brousse de la colonne Allessandri, du Delta tonkinois au Yunnam chinois, c'est l'action des
maquis d'Annam, du Laos, du
Cambodge, de Cochinchine qui tinrent la brousse, seuls sans
moyens, dans les pires conditions,
c'est la Marine d'Indochine, celle de
Cochinchine comme celle de Baie
d'Along qui poursuivit sans relâche
le combat jusqu'à la capitulation
japonaise, c'est le combat héroïque, à Tien Yen, des aviateurs,
sans avion, qui se battirent au
corps à corps et succombèrent à la
charge des baïonnettes, c'est le
martyre que connurent ceux qui
furent internés dans les camps de
déportation ou connurent les sinis7
tres geôles de la Kempétai, semblables à celles abhorrées de la
gestapo nazie.
française d'Indochine d'avoir lutté
jusqu'à l'extrême limite de ses
moyens.
Il faut également se souvenir de
certains éléments qui, après avoir
combattu en Indochine, poursuivirent la lutte en Chine du Sud jusqu'à la capitulation japonaise en
liaison avec les troupes de guérilla
chinoises voire avec des éléments américains. Les tombes de
nos camarades qui reposent encore aujourd'hui en terre chinoise
témoignent de la volonté de l'armée
On ne peut mieux conclure le récit du calvaire enduré par notre armée d'Indochine que de citer le colonel Hesse d'Alzon :
"Tout au long de ces cinq longues
années, l'isolement physique et la
solitude morale, l'usure des matériels et la pénurie des approvisionnements, s'ils affaiblissent inexorablement le potentiel militaire de
cette armée, ne parviennent pas à
venir à bout de sa ténacité".
Enfin : "la vigueur mise par l'armée nippone à poursuivre ses colonnes et à traquer ses maquis,
la volonté qu'elle manifeste à réduire ses citadelles et parfois à
massacrer ses survivants, sont un
témoignage sur la valeur de cette
armée et un hommage involontaire
rendu à son esprit de résistance".
colonel (er) Olivier Dussaix.
Paru dans l’Ancre d’Or Bazeilles
N° 284 janvier-février 1995
© FNAOM-ACTDM / CNT-TDM
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