4 La paralysie du nerf abducens VIe paire crânienne Dr Arnaud Sauer1, Pr Claude Speeg-Schatz1 Introduction La paralysie du nerf abducens (VI) est la plus fréquente des paralysies oculomotrices. Le VI innerve un seul muscle oculomoteur : le droit latéral. La paralysie du VI entraîne un déficit ou une paralysie de l’abduction, à l’origine d’une diplopie binoculaire horizontale. Les étiologies sont variées et nécessitent un bilan orienté. Le pronostic dépend de l’étiologie, mais est bien souvent favorable, avec une grande majorité de récupération spontanée. Figure 1 - Paralysie du VI droit : ésotropie et paralysie de l’abduction de l’œil droit. Diagnostic clinique La paralysie du VI se caractérise par une atteinte du muscle droit latéral, empêchant l’abduction de l’œil paralysé. Parallèlement, le muscle antagoniste, le droit médial, devient dominant et entraîne un strabisme paralytique convergent ou ésotropie (Fig. 1). Au verre rouge, la diplopie binoculaire est de type homonyme (non croisée) horizontale, augmentant dans le regard latéral du côté atteint et de loin. Un torticolis est retrouvé tête tournée du côté paralysé (1,3). Le test de Hess-Lancaster est un test rouge-vert qui permet de faire le diagnostic de l’œil et des muscles paralysés et de reconnaître les hyperactions musculaires secondaires à la pa- 1 Opthalmologie NHC, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg. Figure 2 - Paralysie du VI droit : test de Hess-Lancaster. Le cadre est plus petit dans le champ temporal de l’œil droit par rapport au côté gauche. ralysie. Il consiste en un relevé graphique de l’oculomotricité dans les différentes positions du regard. L’œil paralysé a un cadre plus petit que la normale (par hypoaction du muscle paralysé), l’œil controlatéral a un cadre plus grand que le normale (par hyperaction de l’agoniste controlatéral suivant la loi de Hering). Ainsi dans une paralysie du VI, le cadre sera plus petit dans le champ temporal de l’œil atteint par rapport au côté sain (Fig. 2) (1, 2). Pratiques en Ophtalmologie • Mai 2011 • vol. 5 • numéro 44 L’examen clinique sera complété par un examen neurologique complet comprenant une analyse systématique de l’ensemble des paires crâniennes et par un examen ophtalmologique, notamment un fond d’œil recherchant un œdème papillaire associé. Formes cliniques On distingue habituellement les formes congénitales des formes acquises. 125 DOSSIER LES PARALYSIES OCULOMOTRICES LES PARALYSIES OCULOMOTRICES DOSSIER Les paralysies congénitales du VI sont rares. Il existe une forme bénigne du nourrisson, unilatérale, le plus souvent spontanément résolutive dans les six premiers mois de vie. Les formes bilatérales s’intègrent le plus souvent dans des formes syndromiques complexes. Les deux formes les plus classiques sont le syndrome de Möbius et le syndrome de Stilling-Duane. des paralysies du VI, mais il est en fait une atteinte congénitale du VI. Il atteint plus souvent les filles et l’œil gauche. La majorité des cas sont sporadiques, mais des formes héréditaires sont rapportées dans la littérature et plusieurs mutations sont impliquées. Des anomalies associées sont présentes chez un quart des patients environ. Le syndrome de Möbius Etiologies des paralysies du VI Le syndrome de Möbius associe une diplégie faciale, une paralysie bilatérale de l’abduction et souvent des anomalies générales (malformations des extrémités, atteintes des dernières paires crâniennes, retard mental). Dans la majorité des cas, le syndrome de Möbius résulte d’anomalies vasculaires prénatales du tronc cérébral (1). Le syndrome de Stilling-Duane Celui-ci est une atteinte congénitale du VI, liée à une agénésie complète ou partielle du noyau et du tronc du VI, associée à une innervation aberrante du droit latéral par des fibres destinées au droit médial. Le tableau clinique comporte du même côté une paralysie de l’abduction et une rétraction du globe lors de l’adduction. La fente palpébrale s’élargit lors de l’abduction en raison de la contraction des obliques. Elle se rétrécit en adduction par une rétraction du globe dans l’orbite liée à l’association de la co-contraction des deux droits horizontaux et de l’effet "corde de rappel" du droit latéral fibrosé (2). Le syndrome de Stilling-Duane est habituellement décrit comme un syndrome de restriction et un diagnostic différentiel 126 Chez l’enfant, on évoquera principalement les étiologies congénitales, traumatiques et tumorales (4). Les principales causes chez l’adulte comprennent les maladies vasculaires, les traumatismes et les tumeurs cérébrales (1, 3, 5). Des atteintes isolées transitoires sont retrouvées aussi au cours des maladies infectieuses, fébriles et après vaccinations. Les HTIC primaires ou secondaires sont souvent responsables d’une paralysie du VI bilatérale car ce nerf présente un trajet long à la base du crâne, donc sensible aux variations de pression cérébrale. D’autres signes cliniques comme un œdème papillaire de stase bilatéral, des acouphènes et des éclipses visuelles sont alors souvent retrouvés. Dans les atteintes nucléaires, on retrouve souvent une atteinte d’une ou plusieurs autres paires crâniennes et une paralysie de la latéralité du regard. Les causes sont principalement ischémiques, tumorales ou par démyélinisation. L’atteinte du VI dans l’espace sous-arachnoïdien est dite "non localisatrice". Des étiologies variées sont évoquées : inflammatoires (SEP, lupus ou sarcoïdose), tumorales, traumatiques et infectieuses (maladie de Lyme, syphilis…). Dans le sinus caverneux, la sémiologie est souvent plus riche avec des associations à un syndrome de Claude-Bernard Horner homolatéral, une paralysie du III et/ou du IV ou une atteinte du trijumeau. Les étiologies sont diverses : tumorales, vasculaires (thromboses et anévrismes de la carotide interne, fistules carotido-caverneuses), ischémiques (maladie de Horton et diabète), inflammatoires (sarcoïdose, tuberculose et syndrome de Tolosa-Hunt), infectieuses et traumatiques (1, 6). Diagnostics différentiels Le principal diagnostic différentiel est représenté par l’atteinte myogène du muscle droit latéral dont les principales étiologies sont la myasthénie, les myosites, rarement les myopathies dysthyroïdiennes. Les traumatismes, par lésion directe du muscle et/ ou incarcération musculaire et les spasmes en convergence peuvent poser aussi le problème du diagnostic différentiel (1, 5). Conduite à tenir devant une paralysie acquise du VI Chez l’enfant Les examens complémentaires doivent avant tout éliminer une tumeur intracrânienne. Une IRM cérébrale, ou à défaut un scanner, doit être pratiquée dans les meilleurs délais. Si l’imagerie cérébrale est normale, une ponction lombaire, à la recherche d’une cause infectieuse ou inflammatoire, sera indiquée (4). Pratiques en Ophtalmologie • Mai 2011 • vol. 5 • numéro 44 Chez l’adulte de moins de 50 ans En cas d’atteinte non traumatique, isolée du VI, il est nécessaire de pratiquer un bilan neuroradiologique. S’il est négatif, des examens sanguins à la recherche d’un syndrome inflammatoire et une consultation neurologique avec ponction lombaire sont demandés (1). Chez l’adulte de plus de 50 ans Après 50 ans, la maladie de Horton doit être recherchée (VS en urgence) et un bilan cardiovasculaire est réalisé afin d’éliminer les facteurs de risque comme une HTA ou un diabète. En dehors de ces causes, l’atteinte du VI isolée, le plus souvent d’origine vasculaire, se résout généralement en 6 à 8 semaines et ne nécessite pas d’exploration supplémentaire. Il n’y a pas d’indication à un bilan neuroradiologique (1). Les atteintes bilatérales imposent un bilan neuroradiologique. En cas de normalité, une ponction lombaire avec prise de pression à la recherche d’une HTIC est indiquée (1). Principes de la prise en charge Le traitement étiologique, parfois urgent (compression anévrysmale, Horton…), est indiqué devant toute paralysie oculomotrice. Les mesures mises en place par l’ophtalmologiste dépendent de la gêne ressentie par le patient (diplopie invalidante) et du moment de cette prise en charge. La majorité des paralysies du VI va s’arranger spontanément entre 6 semaines et 6 mois. À la phase aiguë de la paralysie, une occlusion de l’œil atteint est souvent proposée afin de supprimer la diplopie. Si l’acuité visuelle le permet, on réalise une occlusion alternante, systématique chez l’enfant en raison du risque d’amblyopie. Quand l’angle de déviation est stable et peu important (maximum 2025 dioptries) des prismes à bases temporales peuvent être posés devant l’œil paralysé ou répartis sur les deux yeux. Après 3 à 6 mois d’évolution, un traitement par toxine botulique peut être proposé. L’injection réalisée dans le droit médial homolatéral à la paralysie permet de limiter sa contracture et de soulager la diplopie persistante. Les résultats sont controversés selon les études (7). L’effet secondaire principal est la survenue d’un ptosis transitoire par diffusion de la toxine. En cas de persistance après 6 à 12 mois d’évolution, la chirurgie est le traitement de choix. Le protocole est guidé par un test de duction forcée. Si l’œil paralysé passe la ligne médiane, le traitement repose sur l’association recul du droit médial-résection du droit latéral. Si l’œil ne passe Pratiques en Ophtalmologie • Mai 2011 • vol. 5 • numéro 44 pas la ligne médiane, une technique de transposition musculaire type "Hummelsheim" par déplacement des droits verticaux fonctionnels, est indiquée. Conclusion Les paralysies du VI regroupent un grand nombre d’étiologies. Le pronostic dépend de la cause et de l’âge de survenue. Il est souvent favorable chez l’adulte après 50 ans avec une grande majorité de récupération spontanée. Chez l’adulte jeune et l’enfant, les causes tumorales et inflammatoires sont les plus fréquentes et le pronostic ainsi plus variable. n Mots-clés : Paralysie du VIe, Nerf abducens Bibliographie 1. Cochard-Marianowski C, Roussel B, VignalClermont C. Paralysies oculomotrices. EMC Ophtalmologie.Paris : 2008, 21-500-A-10. 2. Espinasse-Berrod M. Strabologie : approches diagnostique et thérapeutique. Atlas en ophtalmologie Paris: Elsevier-Masson 2004 : 124-72. 3. Blaustein BH. Ocular motility dysfunction Ocular manifestations of neurologic disease St Louis,1996 : 111-126. 4. Merino P, Gómez de Liaño P, Villalobo JM, et al. Etiology and treatment of pediatric sixth nerve palsy. J AAPOS 2010 ; 14 : 502-5. 5. Goodwin D. Differential diagnosis and management of acquired sixth cranial nerve palsy. Optometry 2006 ; 77 : 534-539. 6. Vignal C, Miléa D. Neuro-ophtalmologie Atlas en ophtalmologie Paris : Elsevier-Masson 2002 : 188-211. 7. Rowe FJ, Noonan CP. Botulinum toxin for the treatment of strabismus. Cochrane Database Syst Rev 2009 : CD006499. 127 DOSSIER LES PARALYSIES OCULOMOTRICES