08-nutri12-dietetique 22/12/04 17:49 Page 41 DIÉTÉTIQUE FLORE INTESTINALE Les probiotiques et les prébiotiques Si l’attention et les mesures de prévention pour prévenir et traiter de nombreuses maladies se sont surtout portées sur l’équilibre alimentaire, il a été montré qu’il fallait prendre en compte le fonctionnement de l’intestin, lieu où s’effectue l’assimilation des nutriments. La flore intestinale est un élément essentiel, puisqu’elle interagit avec l’organisme : modulation du système immunitaire, rôle métabolique, synthèse de vitamines… Cette flore mérite d’être connue puisque certains médicaments, pathologies, modes de vie peuvent la perturber, par contre certains aliments ou compléments alimentaires peuvent l’améliorer. Dr Paule Nathan* L’INTESTIN, ORGANE DE DÉFENSE Le tube digestif est en contact avec des microorganismes extérieurs, bactéries, virus, produits toxiques, par l’intermédiaire de la muqueuse intestinale faite de villosités et de microvillosités réparties sur 300m2, soit l’équivalent d’un court de tennis. Son système de défense élaboré associe la flore intestinale, le système immunitaire intestinal et le mucus. L’intestin est le premier organe lymphoïde, il contient dans sa muqueuse 70 % des cellules immunitaires lymphoïdes de l’organisme. Le système immunitaire intestinal protège l’organisme contre les bactéries présentes dans le système digestif et contre les micro-organismes pathogènes via la synthèse d’anticorps, les immunoglobulinesA sécrétoires (S-IgA). Le système immunitaire intestinal intervient aussi dans les réponses immunes suppressives, intervenant lors du contact avec les protéines alimentaires. Il existe ainsi une tolérance orale de ces protéines étrangères. En cas de dysrégulations, les réponses immunes ne sont plus réprimées provoquant des réactions inflammatoires, sources d’allergies alimentaires ou de maladies inflammatoires chroniques du tube digestif. la partie terminale de l’intestin grêle et au niveau du colon. ■ Constitution Constituée par environ cent mille milliards de bactéries, regroupées en 500 espèces, essentiellement des bactéries anaérobies, la flore intestinale est un véritable écosystème qui associe : - Une flore résidente, une flore saprophyte présente à l’état physiologique dans les intestins, composée d’une flore dominante et d’une flore sous-dominante. La flore dominante est constituée d’une vingtaine d’espèces différentes présentes à des concentrations élevées, plusieurs milliards par millilitre, de bacilles gram(bactéroïdes), gram+ (eubactérium, bifidobactérium, catenabactérium), et de cocci gram+ (peptostreptococcus, ruminococcus, veillonella, acidaminococcus, méthanobrevibacter smithil). La flore sous-dominante est constituée par quelques millions de bactéries par millilitre, avec des entérobactéries, des streptocoques, des lactobacilles. Cette dernière peut être pathogène lorsqu’elle se multiplie. se fait dès la naissance, elle se crée à partir de la flore vaginale et fécale de la mère et des bactéries de l’environnement. C’est elle qui va stimuler la maturation du système immunitaire intestinal de l’enfant. ■Rôles Ses rôles sont multiples et chacun est essentiel. • Effets sur le système immunitaire La flore intestinale module la réponse des IgA sécrétoires vis-à-vis des micro-organismes pathogènes et des bactéries. Elle développe les mécanismes de la tolérance immune vis-à-vis des protéines alimentaires et des bactéries intestinales. Au niveau périphérique, elle stimule la phagocytose protectrice contre l’infection et la synthèse des cytokines nécessaires à la réponse immune. • Effet de barrière Elle protège le tube digestif et l’organisme de l’implantation et de la multiplication des bactéries exogènes. - Une flore de passage, polymorphe qui, sauf circonstances pathologiques, ne s’implante pas dans le tube digestif. • Effet de production d’éléments essentiels Elle participe à la synthèse de produits dérivés ayant un rôle bénéfique : vitamines B, K, B9 (acide folique). Le développement de la flore intestinale • Effet de détoxication LA FLORE INTESTINALE La flore intestinale se situe surtout dans * Nutritionniste, endocrinologue, diabétologue, Paris 41 Nutritions & facteurs de risque - Décembre 2004 - Vol. 2 eee 08-nutri12-dietetique 22/12/04 17:49 Page 42 DIÉTÉTIQUE eee Elle peut dégrader les substances toxiques exogènes ou produites in situ, et module les effets des toxines émises par les microorganismes pathogènes. ■Facteurs de déséquilibre Ils sont variés : les traitements médicamenteux (antibiotiques, laxatifs irritants, antituberculeux, chimiothérapie, pour certains les contraceptifs oraux…), les germes pathogènes (salmonelles…), les modifications du transit (constipation, diarrhée…), le déséquilibre alimentaire et la dénutrition, le vieillissement physiologique. La mauvaise hygiène de vie et les stress sont fortement suspectés. Tous ces facteurs peuvent concourir à une sensibilité accrue aux infections, à des troubles digestifs fréquents et à l’augmentation de la fréquence des allergies alimentaires. LES PROBIOTIQUES ■Définition Probiotique provient du grec pro bios, soit littéralement : « en faveur de la vie ». Les probiotiques sont des micro-organismes vivants non pathogènes, qui, lorsqu’ils sont ingérés en quantité déterminée et suffisante sous la forme de médicaments ou de produits alimentaires, exercent une influence positive sur la santé ou la physiologie de l’hôte. Ils transitent sans se multiplier dans les intestins (1). Leur rôle est d’améliorer les fonctions de la flore intestinale. Mis à part la levure probiotique employée comme médicament (saccharomyces boulardii), les probiotiques sont principalement des bactéries lactiques. On dispose actuellement de probiotiques d’origine humaine qui ont une résistance supérieure vis-à-vis de l’écosystème digestif peu accueillant (pH acide de l’estomac, sels biliaires dans l’intestin grêle). Ils ont aussi, semble-t-il, une capacité d’adhésion supérieure à la muqueuse intestinale, adhésion essentielle pour la stimulation du système immunitaire. ■Des micro-organismes connus depuis longtemps C’est en 1907 qu'Elie Metchnikoff, Prix Nobel de médecine et inventeur du yaourt moderne, établit une relation entre la longévité des bulgares et leur consommation de produits laitiers fermentés. En 1974, le terme probiotique fut proposé pour désigner, en alimentation animale, les souches microbiennes utilisées pour limiter l’effet des antibiotiques et renforcer leur efficacité. Depuis, les études sur l’homme se sont multipliées et les probiotiques ont leur place en prévention et en thérapeutique. ■Origine Les probiotiques se trouvent dans les produits alimentaires fabriqués par l’homme, contenant des souches bactériennes d’origine humaine : bifidobactéries, lactobacilles acidophiles, caséi… Ces souches bactériennes sont contenues dans les produits laitiers fermentés, yaourts et laits fermentés, certains fromages, mais aussi les salaisons (charcuteries). Le lactococcus lactis est présent dans le fromage blanc, le yaourt contient du lactobacillus vulgaris ou bulgaricus et du streptococcus thermophilus, un lait fermenté contient du lactobacillus bulgaricus, du streptococcus thermophilus et du lactobacillus casei. De nouvelles bactéries ont été introduites dans les yaourts et les laits fermentés du fait de leurs effets reconnus bénéfiques pour la santé. Ces bactéries, pour exercer leur action, doivent être ingérées vivantes. Il faut donc que ces produits soient conservés au froid de leur fabrication jusqu’à leur consommation. • En gastro-entérologie - Certains probiotiques sont capables de moduler la réponse immunitaire du tissu lymphoïde présent dans la muqueuse intestinale. - Ils exercent un rôle trophique sur la muqueuse intestinale, les probiotiques aident à la maintenir fonctionnelle. - Dans la maladie de Crohn (inflammation chronique de l’intestin), les probiotiques permettent de restaurer l’effet barrière en rapport avec l’action bénéfique de la flore intestinale. - Ils neutralisent un certain nombre de substances toxiques ou carcinogènes. - Ils permettent une réduction des signes de colopathie du fait de la dégradation facilité des fibres par les bactéries apportées par les probiotiques. - Ils améliorent l’intolérance au lactose. Affection relativement fréquente, elle est due à une mauvaise digestion du lactose et est exacerbée par la présence de colopathie. Les probiotiques améliorent l’intolérance au lactose par l’action digestive de la β-galactosidase active apportée par les bactéries du yaourt. Il semblerait que la bactérie puisse répondre au signal que représente le lactose, en synthétisant de nouveau une β-galactosidase active. C’est ainsi que le yaourt est mieux digéré que le lait du fait de la présence de ferments lactiques : lactobacillus bulgaricus et streptococcus thermophilus. - Ils limitent les diarrhées consécutives à un traitement antibiotique. - Ils permettent une diminution de l’incidence des diarrhées infectieuses chez l’enfant. Certaines souches de lactobacillus réduisent la durée de la diarrhée et améliorent les symptômes. L’effet est surtout net pour les diarrhées à rotavirus. ■Bénéfices santé (2) • Sur le système immunitaire On note une production accrue d’immunoglobuline A (IgA) et de cytokines, une augmentation du nombre des cellules immunocompétentes, une stimulation de la phagocytose. L’action se fait sur le système immunitaire intestinal et général de l’organisme. Nutritions & facteurs de risque - Décembre 2004 - Vol. 2 42 • Protection vis-à-vis des micro-organismes pathogènes - Ils participent à renforcer l’effet barrière de protection. - Ils s’opposent à l’implantation des microorganismes pathogènes par compétition sur les sites d’adhésion microvillositaires. - Ils exercent une action antibactérienne directe par la production de bactériocines 08-nutri12-dietetique 22/12/04 17:49 Page 43 DIÉTÉTIQUE et indirecte par la création d’un environnement défavorable à l’implantation des micro-organismes pathogènes. • Sur l’allergie et l’eczéma atopique Sous probiotiques, on observe une réduction de la fréquence, de l’intensité et de la durée des poussées d’eczéma atopique. • Sur la sphère urogénitale Lors d’un déficit de lactobacilles en rapport avec une modification de la sphère génitale, les probiotiques permettent de restaurer une flore et de réduire les infections urogénitales, surtout les candidoses. • Les études en court Elles portent principalement sur la prévention des infections oto-rhino-laryngologiques (ORL) et trachéobronchiques, et sur la diminution du taux de cholestérol. En effet, les probiotiques auraient un effet bactériostatique ou bactéricide vis-à-vis de l’hélicobacter pylori en empêchant son adhésion sur la muqueuse intestinale. Ils auraient un rôle de prévention vis-à-vis de cette infection, mais cette pleine action mérite d’être démontrée. Des études sont en cours pour estimer leurs actions dans la prévention des cancers du colon. Il a été montré in vitro que certains probiotiques ont un effet puissant sur la réduction de la carcinogenèse. ■Précautions d’usage Les effets bénéfiques des probiotiques sont démontrés par des études sérieuses bien documentées, ils sont nombreux. Les propriétés sont souches-dépendantes, ainsi les résultats ne sont valides que pour la ou les souches étudiées. Les produits mis à la disposition des patients doivent contenir un produit vivant et métaboliquement actif. Ils doivent être consommés régulièrement en quantité suffisante. Ils bénéficient d’une très bonne innocuité puisqu’aucune toxicité n’a été rapportée à ce jour. cides d’origine végétale ou synthétique, mais ils peuvent être d’origine animale ou microbienne, ou issus de peptides ou de lipides. « Les plus connus sont les fructanes, polymères du fructose parmi lesquels on trouve l’inuline, présente dans plusieurs végétaux (oignon, ail, asperges, artichauts, bananes, certaines céréales…) et généralement extraite des tubercules de chicorée, et les fructo-oligosaccharides (FOS) produits soit par hydrolyse de l’inuline, soit par biosynthèse à partir de saccharose et de fructose ». D’autres oligosaccharides possèderaient aussi des activités prébiotiques mais les preuves sont encore insuffisantes. ■Actions LES PRÉBIOTIQUES Les prébiotiques ne sont pas des organismes vivants. On appelle prébiotiques « des substrats non digestibles qui atteignent le gros intestin et y “nourrissent” de façon spécifique certaines bactéries coliques, considérées comme bénéfiques, favorisant ainsi leur croissance et leur métabolisme» (3). Leur action est complémentaire de l’action des fibres alimentaires et des probiotiques. ■Origine La plupart des prébiotiques sont des glu- Effets bénéfiques des probiotiques alimentaires (2) - Effets cliniques : préventifs et thérapeutiques Effets sur l’allergie/eczéma atopique : démontrés Effets sur les diarrhées infectieuses : démontrés Effets sur le risque lié à Hélicobacter pylori : à confirmer - Effets sur les fonctions physiologiques Digestion du lactose : démontré Effet sur la constipation : démontré Effets sur les marqueurs de l’immunité : démontrés Participe à la stimulation du système immunitaire : sans doute - Effets hypothétiques Rôle dans la prévention des cancers : ? Rééquilibrage de la microflore : ? - Attention Les effets dépendent des souches, l’extrapolation à toutes les souches d’une même espèce est abusive. 43 • Effets sur la flore intestinale - Ils modulent l’équilibre entre les populations bactériennes dominantes chez l’enfant et chez l’adulte ce qui accroît les effets métaboliques de la flore et influence les activités enzymatiques impliquées dans le fonctionnement des bactéries coliques. - Ils modifient la composition bactérienne. Ils agissent en augmentant sélectivement la concentration fécale des bactéries produisant de l’acide lactique : les bifidobactéries chez l’homme. L’effet dure pendant toute la période que dure l’ingestion du produit, puis diminue progressivement à son arrêt. - Ils assurent une protection vis-à-vis des agents pathogènes. Ils augmentent la résistance à la colonisation par des microorganismes pathogènes. - Ils modifient le pH intestinal. Les acides organiques produits par les bifidobactéries abaissent le pH intestinal, ce qui crée un climat défavorable à la prolifération des germes pathogènes. De plus, la diminution du pH entraîne la solubilisation des minéraux en particulier le calcium,ce qui améliore leur absorption par la muqueuse colique. Au contraire, le pH acide insolubilise les sels biliaires réduisant leur absorption et augmentant leur excrétion fécale. L’acidité inhibe la conversion fécale des acides biliaires primaires en acides secondaires, Nutritions & facteurs de risque - Décembre 2004 - Vol. 2 eee 08-nutri12-dietetique 22/12/04 17:49 Page 44 DIÉTÉTIQUE eee facteurs de risque du cancer colorectal. - Ils exercent des effets sur les activités enzymatiques de la flore. - Ils ont une action positive sur l’effet barrière. On évoque une stimulation des capacités de défense de la barrière intestinale. • Effets sur les fonctions intestinales Ils augmentent la masse bactérienne des fèces et la teneur des selles en eau liée aux bactéries. On note une exonération facilitée ainsi qu’une augmentation de la fréquence d’émission. Cet effet semble plus net chez le sujet légèrement constipé. • Effets sur les diarrhées infectieuses de l’enfant Les probiotiques, aussi bien chez les enfants que chez les adultes, permettent de limiter les symptômes associés, comme la fièvre, et améliorent le bien-être pendant les épisodes de diarrhéiques. • Effets sur les maladies coliques Les propriétés anti-inflammatoires et anti-cancéreuses sur la muqueuse colique demandent à être confirmées chez l’homme. LES SYMBIOTIQUES Ils sont composés d’un probiotique et d’un prébiotique. EN CONCLUSION Probiotiques et prébiotiques méritent d’être mieux connus, les études en cours permettront de certainement de les considérer comme un véritable soin et un agent de prévention puissant. Une chose est sûre, la flore intestinale est un élément essentiel de notre organisme, un véritable organe à part entière avec sa fonction, ses régulations, ses facteurs d’équilibre. Nous devons inciter nos patients à revoir leur mode de vie, à consommer des aliments riches en bactéries lactiques. Les médecins doivent connaître les signes qui peuvent orienter vers un déséquilibre au décours de leur traitement. La nutrition prend ici toute sa dimension. A suivre… ■ MOTS-CLÉS DIGESTION, INTESTIN, SYSTÈME IMMUNITAIRE, IGA SÉCRÉTOIRES, MICRO-ORGANISMES, SOUCHES BACTÉRIENNES BIBLIOGRAPHIE 1. Fuller R. Probiotics in man and animal. J Appl Bactériol 1989 ; 66 : 365-78. 2. Cortier G. Probiotiques : adaptation à l’environnement digestif. Cahier de Nutrition et de Diététique 2003 ; 38 : 355-62. 3. 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