Corrigé du devoir sur la violence

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Corrigé T. Lanfranchi
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VIOLENCE ET VIE POLITIQUE (70 AVANT J.-C. À 73 APRÈS J.-C.)
Introduction
Rapportant l’assassinat de Caius Gracchus en 133, Plutarque écrit : « ce fut, d’après
les historiens, la première sédition à Rome depuis la chute de la royauté à être réglée par le
sang et le meurtre de citoyens ». Il est incontestable que le déchaînement de violence
déclenché par Scipion Nasica contre l’aîné des Gracques marqua un tournant dans la vie
politique romaine, qui, a posteriori, semble s’être alors engagée dans une spirale de violence
qui dura plus d’un siècle. D’une certaine façon, à partir de ce moment, violence et vie
politique formèrent un couple indissociable au cœur même de l’évolution politique de Rome.
De quel type de violence s’agissait-il toutefois ?
Pour désigner la violence, les Romains ne connaissait que le mot uis, qui désigne en
réalité la force et, par extension, la force employée contre quelqu’un. Pour le Romain, la
violence était donc d’abord physique et c’est bien elle que l’on retrouve dans le processus qui
mena Rome d’une République à une monarchie. Si la sociologie ou l’anthropologie nous ont
familiarisé avec d’autres type de violence (telle la violence symbolique théorisée par Pierre
Bourdieu), le sujet proposé invite plutôt à interroger la place prise par les violences physiques
dans l’histoire romaine. Un tel sujet invite donc à s’intéresser à la violence politique, et non à
tous les types de violences comme les violences criminelles ou familiales. Il propose de se
pencher sur les violences ayant pour objectif des effets politiques. C’est important car un
groupe social quelconque ne peut se former et durer que s’il contrôle l’exercice de la violence
ou les poussées de violence. La gestion de la violence est un donc un élément clef du devenir
d’un ordre social, ce que la fin de la République romaine illustre de façon éclatante.
Or la violence est un phénomène ancien du jeu politique romain (qu’on pense à
l’assassinat de Remus par son frère Romulus), qui prit une importance de plus en plus grande
à l’issue de la crise gracquienne et du bain de sang qui la suivit. L’irruption de l’assassinat
politique comme mode de règlement des conflits fut la grande nouveauté introduite par cette
crise. Ce faisant, on peut se demander si l’on n’assista pas à une transformation progressive
du rôle de la violence : d’arme politique, elle devint un substitut à la politique avant que le
Prince ne tente d’en confisquer l’exercice. Cette tentative de confiscation de la violence dans
un souci d’apaisement fait alors évidemment penser à la définition que donne Max Weber de
l’État : l’entité qui dispose du monopole de la violence légitime. Cette confiscation de la
violence serait-elle le signe de l’émergence d’une authentique entité étatique à Rome ? Ce
n’est nullement certain car ce monopole sur la violence fut loin d’être parfaitement maîtrisé
au départ. La violence persista sous l’Empire en dépit des tentatives impériales pour en
contrôler les manifestations. Le résultat le plus visible fut, dans un premier temps, l’apparition
de phénomènes de violence interne à la cour, là où se concentrait le pouvoir et qui révèle ce
lieu de concentration du pouvoir (complot, recours aux délateurs, procès politiques). De la
sorte, plus que sur l’émergence ou non d’un authentique État romain, l’évolution des
phénomènes de violence, permet de questionner la nature même du pouvoir romain et la
transformation des institutions traditionnelles en une monarchie masquée : le principat
augustéen.
C’est pourquoi nous suivrons ici un plan chronologique, le mieux à même de dérouler
les évolutions successives des processus de violence ainsi que leurs conséquences dans la vie
politique du monde romain. De la sorte, après une première partie consacrée à la montée des
processus de violence entre 70 et l’éclatement de la guerre civile en 49, nous analyserons
successivement les phénomènes de violence durant les guerres civiles avant d’interroger leurs
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évolutions et leur mutation sous le principat augustéen. En effet, en dépit des prétentions
pacificatrices de son fondateur Auguste, l’Empire se caractérise moins par une disparition de
la violence que par sa mutation et son déplacement, déplacement intimement liée à l’évolution
du pouvoir romain. Et c’est bien là tout le paradoxe d’un tel processus : la violence ne
pourrait-elle finalement pas être génératrice d’ordre social ?
1. La République face à la montée des violences
1.1. Les violences inter-aristocratiques
Il s’agit des violences politiques les plus évidentes. Elles débutent avant le programme
(cf. les Gracques ou l’affrontement Marius/Sylla) et se poursuivent en s’accentuant durant la
période couverte par le programme. Elles sont bien sûr liées à l’exacerbation de la
compétition politique. Mais dire cela ne suffit pas : il faut rappeler que cette exacerbation de
la compétition politique s’explique aussi par des facteurs plus profonds. Si on veut les
résumer, on pourrait citer :
• L’afflux de richesses dû aux conquêtes méditerranéennes.
• L’influence des figures monarchiques hellénistiques qui deviennent un nouveau
modèle pour les hommes politiques romains.
• L’accroissement interne de la compétition par l’augmentation du nombre de candidats
pour le même nombre de postes ou presque (cf. la réforme de Sylla qui augmente le
nombre de magistrats inférieurs comme les questeurs mais pas le nombre de consuls).
Les méthodes traditionnelles de luttes (comme les procès ou la mobilisation des
réseaux classiques de l’aristocrate romain lambda) ne suffisent plus. Possibilité d’évoquer le
précédent désastreux de Marius et de Sylla qui se sont affrontés jusqu’à la mort pour le
pouvoir mais il ne faut pas passer trop de temps là-dessus car c’est en dehors de la fourchette
chronologique du sujet. Le plus intéressant dans la tentative syllanienne pour empêcher que
cette violence se reproduise est qu’elle fut totalement inefficace. La compétition
potentiellement violente reprend de plus belle durant le Ier siècle comme le montre la
conjuration de Catilina en 63. Ne pouvant accéder au consulat par l’élection, Catilina essaye
en effet de s’en emparer par la force. Catilina avait déjà été candidat en 67 pour 66 mais sa
candidature avait été annulée pour une affaire de concussion (en 67, il avait été propréteur en
Afrique où il s’était montré assez corrompu). Puis, en 65, suite à l’échec de sa première
tentative d’accès au consulat, il avait essayé de faire assassiner les consuls. Ce fut un échec
mais il ne fut jamais inquiété pour ce complot. Il recommença en 63.
Un bon indice de ces processus de violence est la multiplication des procès de ambitu
et de ui durant le dernier siècle de la RR. Les procès donc contre les pratiques de corruption et
de violence. En 56, par exemple, Cicéron défend l’ancien tribun de la plèbe, P. Sestius, accusé
de ambitu et de ui et il retourne l’accusation de violence contre les accusateurs.
Ces violences aristocratiques passent aussi par la mobilisation de clientèle. De la sorte,
elles s’étendent petit à petit à toute l’Italie. Là encore, la conjuration de Catilina est un bon
exemple du phénomène. En effet, la faction de Catilina comportait les personnes suivantes :
• Au sommet un nombre important de nobles et de sénateurs.
• Beaucoup de jeunes gens de la noblesse.
• Des notables des colonies et des municipes.
• D’anciens soldats de Sylla aussi, qui n’ont pu conserver leurs terres, qui sont ruinés et
qui voient là une occasion de refaire leur patrimoine.
• Des paysans libres et, au moins au départ, la plèbe urbaine alléchée par les discours
populares des conjurés.
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On voit l’effet d’entraînement lié aux intérêts que peuvent avoir ce genre de conflit.
L’Italie est les municipes sont de la sorte indirectement touché, par les jeux d’alliance et de
clientèle. Mais la violence ne se résumait pas aux luttes interaristocratiques.
1.2. Les violences collectives ou populaires
Elles sont nombreuses. Dans une étude sur les années 80-50, Paul Vanderbroeck a
recensés 92 actions collectives dont 62 avaient une dimension de violence (Popular
leadership and collective behaviour in the late roman republic (ca. 80-50 B.C.)). Ces
violences populaires sont de plusieurs types.
Il s’agit d’abord d’émeutes lors de procès pour influencer le procès. En 67 par
exemple, deux frères, les Cominii sont contraints d’abandonner leur accusation contre
C. Cornelius, alors tribun de la plèbe, sous la menace de bandes de partisans de ce dernier. En
54, Asinius Pollion qui attaquait en justice C. Porcius Cato fut attaqué par des bandes de
clients de ce dernier et ne dut son salut qu’à Licinius Calvus, le défenseur de Cato dans ce
procès ! Cela pouvait aller encore plus loin : en 58, P. Vatinius, aidé d’hommes de main,
attaqua le préteur pour empêcher le tirage au sort du jury.
Ce peut être ensuite des émeutes politiques pour influencer la vie politique (c’est-àdire durant la tenue des assemblées). Plusieurs exemples peuvent être cités. En 67, le peuple
fait pression pour l’adoption de la loi Gabinia confiant à Pompée son commandement
exceptionnel contre les pirates. Un sénateur qui s’emporte contre le projet de loi manque ainsi
de peu être assassiné par la foule en colère (cf. le fameux épisode du corbeau tué par les cris
de colère chez Plutarque). En 55, près du temple de Castor, le tribun Sestius veut indiquer au
consul que les auspices sont défavorables (il voulait faire obstruction à la tenue de
l’assemblée) et il est attaqué par une bande armée aux ordres de Clodius. Dernier exemple en
55, lors de la présentation de la lex Trebonia de prouinciis consularibus, Caton s’oppose à la
loi. Trebonius veut le faire mettre en prison mais une large foule le défend. L’examen de la loi
est reporté au lendemain et ses défenseurs font occuper le forum toute la nuit pour empêcher
Caton et ses alliés de venir le lendemain. Ils viennent quand même et sont chassés par la force
(là il y a des morts).
Il y a enfin le cas des émeutes alimentaires. Là aussi les exemples sont nombreux. En
57, durant une flambée des prix, Clodius soulève la foule de Rome et des bagarres violentes
éclatent. Cela aboutit à ce que Pompée reçoive la cura annona pour 5 ans. Clodius réessaye la
même chose en 56. Globalement, la décennie 50 voit une lourde agitation sur ce thème et des
mesures régulières pour contrer ce problème.
L’intérêt est ici de se demander si ces agitations populaires sont toujours spontanées
ou si elles sont au contraire manipulées. Très clairement, dans le cas des émeutes autour des
questions de grain en 58-56, Clodius est à la manœuvre. Mais dans le cas des violences pour
influer sur les procès, l’influence aristocratique est également évidente. Ces violences
populaires ne peuvent donc pas être totalement déconnectées des violences
interaristocratiques. De même, P. Vanderbroeck a montré qu’ils s’agissait de violences assez
organisées : des bandes bien dirigées, avec une division des tâches et une foule moins active
qui suit. Nous sommes donc loin de la violence spontanée. Le rôle du leader était essentiel et
les objectifs étaient clairs, comme le montre l’exemple de 55 avec occupation du forum la nuit
et les différentes tentatives menées par chacun des camps.
Toutefois notons que, dans ces cas, les morts sont finalement assez rares : on est plus
dans la violence verbale, l’intimidation et les bagarres même si les rixes dégénérèrent parfois.
Il s’agit donc plutôt de cris, de bousculades et d’échanges de coups, mais plus dans une
volonté d’intimidation que dans une volonté d’élimination physique. Ces violences populaires
peuvent, enfin, avoir un caractère symbolique. On peut citer deux cas intéressant :
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•
Le bris des faisceaux. C’est une très ancienne manifestation de colère du peuple à
Rome dont on a des mentions dès le début de la République et qu’on retrouve à la
période qui vous concerne. Pendant son consulat avec César, Bibulus fut une fois
attaqué de la sorte : on brisa les faisceaux de ses licteurs et on lui vida un panier
d’ordures sur la tête à en croire Plutarque. Une mésaventure similaire était arrivée à
Gabinius en 58. On peut aussi avoir la possibilité inverse du don des faisceaux,
comme à Pompée en 52.
• Autre cas symbolique : jeter des pierres à des statues. En 55, la foule s’en prend ainsi à
la statue de Pompée pour son comportement vis-à-vis de Caton le Jeune. En 48, après
la défaite de Pharsale, les statues de Pompée et Sylla furent également prises à partie
par la foule. Les soldats de Pison qui n’avaient pas reçu leur paye détruisirent aussi sa
statue. On retrouve ce type d’action sous l’Empire !
Il y a donc une large gamme d’actions qui montre l’implication du peuple de Rome
dans ces phénomènes de violence. C’est moins vrai dans les municipes.
1.3. Les tentatives d’endiguement de la violence
Le grand problème de Rome face à cette violence c’est qu’elle ne disposait à la base
pas des moyens ordinaires d’un État moderne pour la réprimer : il n’y a pas de police à Rome
et ce qui en tiendrait lieu repose sur la coercition des magistrats. Quand le système politique
entre en crise, les possibilités d’endiguer la violence issue de cette crise sont donc ellesmêmes problématiques puisqu’elles devraient en toute logique dépendre des institutions
mêmes qui sont en crise (cf. travaux de W. Nippel là dessus). La crise politique entraîne donc
de facto une crise du management de la violence, engageant un espèce de cercle vicieux. Les
institutions traditionnelles ont quand même essayé de résoudre le problème. Il y eut au moins
trois directions différentes d’action.
Les tentatives d’endiguement de la violence passèrent d’abord par des lois de
répression de la violence politique. C’est seulement durant le premier siècle que la violence
devient un crimen, caractérisée comme tel et puni par la loi. Les Romains n’en avaient pas
ressenti le besoin auparavant. Mentionnons :
• Une première loi de ui avait été adoptée en 78/77 : la lex Lutatia de ui qui entrainait un
procès pour usage illicite de la violence. Les dispositions exactes de la loi ne sont pas
connues.
• En 76, le préteur pérégrin ajouta à son édit un iudicium de damno ui hominibus
armatis coactiue dato (et ui bonorum raptorum) : il introduisait ainsi une action contre
les dommages effectués avec violence et par bandes armées. Cette action augmentait
en particulier les peines encourues. Les actions en justice pour violence couvraient
désormais un plus grand nombre de cas et pour des peines plus sévères.
• Suivit une lex Plautia de ui, de date inconnue, mais entre 78 et 63. Cette loi créa une
quaestio permanente pour les actes de violence. Les coupables encouraient désormais
la peine d’exil. Il y avait donc aggravation par rapport à la loi Lutatia.
• En 52, une loi de Pompée institua une cour spéciale pour juger les violences survenues
alors et, en particulier, la mort de Clodius. Ce tribunal spécial jugea selon une
procédure simplifiée et aggrava encore les peines.
Il y a donc une tentative d’endiguement de la violence par la législation même si ce ne
fut pas un franc succès.
Mais cela ne se limite pas à cela. Il y eut aussi une volonté de contrôler et d’affaiblir
les lieux de mobilisation. On peut donc mentionner ensuite les lois d’interdiction des collèges
ou des associations de carrefour, remises en cause par Clodius lors de son tribunat.
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Enfin, il y avait la possibilité de mesures plus radicales comme la déclaration d’hostis
et le SCU, mis au point pour la première fois contre les Gracques mais qui faisait désormais
partie de l’arsenal : le SCU fut utilisé contre Catilina en 63. Il y a là un paradoxe héritier des
Gracques et de Sylla : pour réprimer la violence, il y a création de nouvelles formes de
violence comme la proscription et le SCU qui exacerbe le niveau général de violences dans la
société romaine. On retrouve le cercle vicieux dont je parlais plus haut et c’est bien le
meilleur signe d’un effondrement des moyens traditionnels de contrôle de la violence
politique. Cet effondrement total des moyens traditionnels de gestion de la violence se lit
encore mieux dans l’éclatement des guerres civiles en 49.
2. Les guerres civiles ou la violence comme fin en soi ?
Il n’est pas anodin que la guerre civile ait été précédée d’une des plus importantes
poussées de violence que connu Rome en 53-52. Il faut donc repartir de là.
2.1. Des entrepreneurs de la violence ?
Là il faut faire un sort au cas Clodius/Milon. Je ne vais pas y revenir mais vous devez
analyser l’émergence de ces figures et leur inventivité. En particulier l’utilisation des formes
de sociabilités urbaines pour organiser la violence. Clodius fut tribun en 58. Il était en
particulier contre l’interdiction des compitalia : ces fêtes de carrefours qui avaient été
interdites dans les années précédentes car elles étaient considérées comme des foyers de
trouble et de sédition. En 58, Clodius les fait célébrer. Il est aussi à l’origine d’une loi sur les
collèges qui rétablit les possibilités d’associations de ce type, encadrées depuis peu à cause
des violences qu’elles généraient. Il rétablit en particulier les collèges compitalices (qui
s’occupent des compitalia). Les optimates réagissent par la surenchère, en mobilisant
notamment Milon.
Il faut montrer aussi l’indépendance de ces personnages. Clodius travaille pour lui, pas
pour César même s’ils peuvent avoir occasionnellement des intérêts communs.
2.2. Le conflit armé : régler la violence par la violence ?
La compétition quitte définitivement le champ politique pour le champ de bataille.
Multiplication des guerres entre romains dont la finalité est bien politique. Le précédent SyllaMarius est rejoué d’abord avec la marche de César sur Rome en 49 puis pour régler les
oppositions après la mort de César. Donc là, vous pouvez brièvement rappeler les différentes
étapes :
• Guerre de Pompée contre César.
• Puis guerre entre les héritiers de César : guerre de Modène, guerre de Sicile, guerre
entre Antoine et Octave.
En fait, de 49 à 31, longue convulsion militaire avec un seul petit intermède lorsque
César est vainqueur. Un très haut degré d’intensité de violence est atteint. Le résultat
immédiat est un bain de sang : une très large partie de l’aristocratie romaine est décimée lors
de ces guerres successives, ce qui va avoir évidemment des conséquences sociologiques à
plus long terme. Et même à court terme. R. Syme estimait ainsi que si Octave réussit à
manœuvrer comme il le fit, c’est par manque de consulaire de renom au Sénat. Par ailleurs,
les armées prennent également une influence de plus en plus importante dans le jeu politique
romain. Enfin, ces 20 ans de guerres entraînent une certaine lassitude dans le peuple romain
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qui prépare son acceptation du changement de régime. Il faut donc mentionner les
conséquences humaines de ce cycle de violences.
Si vous le voulez, vous pouvez mentionner l’exacerbation d’une violence dans la
diatribe avec le cas des Philippiques mais ce n’est pas le plus important.
2.3. La proscription : une politique de la terreur ?
Il faut alors faire un sort à la 2e proscription. Rappel de ce qu’est la proscription : une
liste de trois cents noms de personnes à éliminer et dont les biens seraient confisqués (à raison
de cent noms pour chacun des trois, se répartissant à égalité entre sénateurs et chevaliers). La
2de proscription a laissé un souvenir particulièrement sanglant, plus que la première. D’où la
question, peut-on y voir une politique de la Terreur ? Ce qui a frappé était en particulier le
caractère ouvert des listes : ils s’étaient laissé la possibilité d’ajouter des noms. On connaît
aussi le sort de Cicéron dont la tête et les mains sont exposées.
Nous sommes toutefois loin d’une furie déchaînée. Il faut souligner la dimension
économique de la 2e proscription et le cynisme de ses acteurs, à commencer par Octave luimême qui en profita pour se procurer sa maison du Palatin. Il y a donc une utilisation tout à
fait raisonnée de la violence et de la terreur, avec un but économique très net : cf. Appien. Ce
n’est ni plus ni moins qu’une continuation de la politique par d’autres moyens qui témoigne
du degré de violence atteint par la société romaine.
Il n’en demeure pas moins qu’on atteint ici un paroxysme dans la violence qui marqua
très certainement l’esprit des Romains. Ce peut être le bon moment pour mentionner le
développement d’un certain écœurement de la violence chez les Romains. C’est en germe
chez Salluste avec sa vision très pessimiste de la République romaine (pensez au début de la
conjuration de Catilina) et cela éclate chez Horace ou Virgile. L’utopie cicéronienne du
cedant arma togae a montré toute son inanité et cette lassitude de la violence explique aussi
l’acceptation du pouvoir impérial.
La victoire d’Octave à Actium en 31 ouvre une nouvelle ère qu’il convient d’analyser
pour finir.
3. L’Empire : apaisement ou déplacement des phénomènes de
violence ?
3.1. Une volonté de pacification évidente
Évidemment, il faut dans cette sous-partie, faire un sort à l’entreprise pacificatrice
augustéenne. Vous pouvez commencer par l’aspect idéologique de ce phénomène. Auguste
s’est présenté comme celui qui avait réussi à pacifier l’empire. Cette assertion est une portion
tout à fait importante du soubassement idéologique du principat. Elle lui fournit une partie de
sa légitimité (confiscation du pouvoir contre paix et sécurité en gros) et s’incarne dans une
propagande artistique très active. Il faut mentionner bien sûr l’Ara Pacis mais aussi la
thématique de l’âge d’or, liée au chant séculaire d’Horace. Cela se voit cependant même dans
la statuaire si on pense à l’Auguste de Prima Porta et à sa cuirasse avec le roi Parthe Phraatès
IV qui remet à Tibère les enseignes perdues par Crassus. Au-dessus, le ciel avec le soleil
(avec son quadrige à gauche) et l’aurore (à droite). Au-dessous : la terre avec sa couronne
d’épis, Apollon sur un griffon à gauche et Artémis sur un cerf à droite. À gauche de Tibère, la
femme assise représente la Dalmatie ou les Celtibères. À droite la Gaule : ces deux femmes
sont affaissées, en position de vaincues. Un rappel des victoires donc, mais aussi des succès
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de la diplomatie pacifique avec le cas des enseignes, placés au centre d’une représentation
cosmique, qui inscrit la pacification augustéenne dans une sorte de pacification universelle et
cosmique. La pacification est donc bien un discours idéologique et artistique, mais ce n’est
pas que cela.
Il y a en effet une volonté de pacification augustéenne très nette, pas seulement un acte
de propagande. Cette volonté s’incarne dans une réorganisation administrative qui concerne
d’abord la ville de Rome. Auguste prend acte des problèmes liés à l’absence de police ou de
corps de sécurité du même ordre dans une ville d’un million d’habitants. Il décide de remédier
à cette situation et il faut citer la création de corps armés pour sécuriser la ville de Rome.
Réorganisation également de l’annone pour éviter les émeutes liées au problème de
ravitaillement à Rome. Il faut donc évoquer la création des trois grandes préfectures :
• On doit d’abord mentionner la préfecture de la ville (créée en 26 avant J.-C., mais
avec des nominations seulement à partir de 13 avant J.-C. et devenue permanente avec
Tibère en 27 après J.-C.). Le préfet est un ancien consul qui atteint là un des sommets
de la carrière sénatoriale. Le préfet de la ville a d’abord des fonctions de police diurne
en étant à la tête des cohortes urbaines. Il a également des fonctions judiciaires avec la
juridiction criminelle en première instance et il peut ainsi décharger les cours des
préteurs. Petit à petit, il est devenu en quelque sorte le chef de l’administration de la
ville de Rome. Il siège dans le forum de la paix construit par Auguste, à l’intérieur du
temple de la paix. On y a d’ailleurs trouvé les fragments du grand plan en marbre de
Rome. Le préfet dispose de troupes pour l’aider dans sa mission : les cohortes
urbaines.
• La préfecture des vigiles ensuite (créée en 6 après J.-C.) et assisté par les cohortes des
vigiles. Il est chargé de la sécurité nocturne de la ville, de la gestion des incendies, de
la surveillance des bains et des termes. Le préfet est à la tête des vigiles et est de rang
équestre. Il dispose d’une antenne à Ostie pour protéger les entrepôts de l’annone.
• La préfecture de l’annone (organisée entre 8 et 14 après J.-C.). C’est un poste
absolument stratégique puisqu’il est responsable de l’approvisionnement en blé de
Rome. Des armateurs privés assurent le transport des cargaisons de blé et ils
bénéficient d’avantages en contrepartie. Les denrées arrivent à Ostie et sont
acheminées par bateliers à Rome. La distribution est du ressort du préfet (de rang
équestre) et de ses services au portique Minucius. C’est là que les titulaires de rations
se voient remettre leurs parts. Le poste est également occupé par un chevalier en fin de
carrière.
Il faut cependant aussi analyser la législation augustéenne en la matière. Il faut
mentionner d’abord sa loi Iulia de iudiciis publicis et celle de iudiciis privatis de 17 avant J.C. Ces lois réforment les quaestiones perpetuae. Mais il y a surtout une lex Iulia de ui publica
et priuata qui reprend les dispositions des lois similaires antérieures et sanctionne d’exil les
coupables de ce crimen. Auguste réorganise l’arsenal législatif en la matière et ne dessère pas
l’étau des peines.
3.2. De nouvelles formes de violences : purges politiques, loi de majesté
et conspirations
Cette volonté de pacification ne doit pas occulter le fait que la violence ne disparaît
nullement sous l’Empire. Mais ce qui est intéressant c’est qu’elle subit en fait plutôt un
déplacement des lieux ou elle s’exerce, une transformation dans ses modalités, le tout étant
révélateur de l’évolution même du régime. Les purges politiques sont un bon premier indice.
Elles persistent et elles ont lieu sous tous les empereurs. Il ne faudrait pas croire que les
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purges politiques sont uniquement le fait des mauvais empereurs comme Caligula ou Néron.
Durant son règne, Claude fit exécuter au moins 335 aristocrates (si l’on en croît Suétone), à
commencer par Cassius Charea, le meurtrier de Caligula. Le violence demeura donc
consubstantielle à l’empire mais à un autre niveau : le Prince essaye en effet de s’en assurer le
monopole. Il fut très loin d’y arriver.
Une façon de contrôler la violence grâce à un outil discrétionnaire fut la
transformation de la loi de majesté (qui protégeait sous la République la majesté du peuple
romain) en instrument de protection de l’empereur. Elle punit désormais les atteintes à la
majesté de l’empereur et la définition de ce crime est laissée suffisamment floue pour
permettre d’accuser à peu près qui l’on veut. Cette loi fut très vite détournée de ses objectifs
initiaux. Le cas de Séjan est ici emblématique. Séjan se trouvait avoir développé une tactique
bien à lui pour combattre ses adversaires. Il se trouvait à la tête d’une véritable petite
entreprise de dénonciation. Et il l’utilisait pour ce qu’il voulait. En 25, Cremutius Cordus,
historien qui s’était moqué du fait d’avoir mis une statue de Séjan dans le théâtre de Pompée
sauvé des flammes se trouva accusé et victime d’un procès pour lèse-majesté. Il préféra se
laisser mourir de faim plutôt qu’être condamné. Ses livres furent condamnés à l’autodafé. Il
utilisait ainsi ses clients pour attaquer ses ennemis politiques. En 26 encore, Claudia Pulchra,
cousine et amie d’Agrippine I fut accusée d’adultère et de maléfices contre l’empereur par
Domitius Afer. Il mobilisa donc des délateurs pour faire usage détourné de la loi de majesté
pour asseoir son pouvoir dans l’entourage du Prince. Ce détournement de la loi de majesté,
tout comme les purges politiques précitées, sont révélateurs du processus de concentration du
pouvoir qui déplace la violence là où se trouve le pouvoir. Ces nouvelles violences sont
révélatrices de la transformation de l’état romain en une monarchie et sont aussi révélatrices
de la personnalisation de la vie politique. C’est dans l’entourage du Prince que tout se joue, ce
qui explique aussi la concentration des violences dans cet entourage.
D’ailleurs, par réaction aux purges et aux abus de la loi de majesté, vous pouvez finir
par mentionner l’existence des conspirations. Elles furent nombreuses et il faut en citer au
moins une ou deux. Il y en a contre Auguste dès 44 avant J.-C. (celle de Q. Gallius), mais il y
en a d’autres et c’est surtout avec ses successeurs qu’on en retrouve :
• Libo Drusus sous Tibère (16, échec).
• Cassius Chaerea contre Caligula en 41 (ça réussit).
• Conjuration de Pison contre Néron (65, échec).
Ces conjurations sont aussi le signe des évolutions du pouvoir impérial.
3.3. Des oppositions violentes ?
Enfin vous devez évoquer les oppositions éventuellement violentes au nouveau
pouvoir. Il s’agit ici essentiellement des révoltes contre le pouvoir central romain. En Italie,
situation finalement assez calme. Y compris à Rome même où les révoltes de la plèbe urbaine
disparaissent du fait de l’efficacité du dispositif mis en place par Auguste. Ce n’est pas tout à
fait le cas en provinces où des révoltes contre l’autorité impériale se font jour. Et elles ne sont
pas si anodines que cela. Il faut en mentionner plusieurs à défaut de pouvoir toutes les
analyser :
• Tacfarinas en Afrique (17-24)
• Florus et Sacrovir en Gaule (21)
• Soulèvements en Thrace (25)
• Révoltes des Clites en Cappadoce (36)
• Agitation en Judée (39-40)
• Insurrection en Maurétanie (42)
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•
•
•
•
Nouvelle agitation en Judée (52)
Révolte de Boudicca en Bretagne (61)
Révolte des juifs (66 à 73 pour la chute de l’ultime bastion juif à Massada)
Révolte de Vindex en Gaule (68)
Premier constat : sans être négligeables, elles ne sont pas non plus si nombreuses que
cela. Deuxième constat : elles sont toutes dans des régions périphériques, d’intégration
relativement récente dans l’Empire. Comme s’il y avait une forme de déplacement de la
violence d’une part dans les plus hautes sphères du pouvoir (cf. paragraphe précédent) et
d’autre part sur les zones frontalières de l’Empire, là où la présence romaine fait face à un
irrédentisme persistant (par exemple avec le cas des juifs) ou est là depuis trop peu de temps
pour être encore bien acceptée (gaule ou Bretagne). Cela pose le problème plus général de
rôle de la force dans le maintien de l’Empire romain. On voit qu’elle ne joue qu’à la marge et
que, au bout du compte, ce n’est pas elle qui préside à l’intégration véritable dans l’empire.
Elle sert bien sûr, mais dans une certaine mesure car l’Empire n’aurait pu tenir uniquement
sur une coercition militaire généralisée. C’est d’ailleurs pourquoi ces violences se
développent dans ces zones là : le système impérial fondé sur la combinaison du pouvoir
central et de l’autonomie municipale (système qui fit la réussite de l’empire) n’était pas
encore à l’œuvre dans ces régions.
Conclusion
Repartir des principaux éléments que vous avez voulu démontrer. Il faut conclure en
montrant qu’on a effectivement affaire à une période violente, et dont la violence suit les
évolutions de la vie politique. Les transformations des formes de la violence reflètent d’une
certaine façon les transformations des formes de la vie publique romaine. Vous pouvez aussi
interroger le caractère plus ou moins intrinsèquement violent de la vie politique romaine.
Mais il faut le faire sans tomber dans des analyses psychologisantes qui paraitront vite de peu
d’intérêt. Vous pouvez le faire en partant de l’opposition historiographique sur les formes du
politique à Rome entre ceux qui privilégient le consensus et ceux qui privilégient la dissensio.
Toute une école historiographique explique en effet que le régime républicain romain chercha
à produire du consensus et était organisé pour produire ce consensus et empêcher les
violences. À l’inverse, quelqu’un comme Claudia Moatti a souligné la permanence des
conflits politiques, parfois violents, au cœur de la vie publique romaine. Et effectivement, le
consensus était peut-être plus un idéal qu’une réalité, particulièrement durant le dernier siècle
de la vie politique. Est-ce à dire alors que la violence peut-être un moteur de l’évolution
politique ? Assurément, de là à en faire un moteur positif, c’est plus difficile.
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