« Se battre pour des prunes» Tout enfant, je me délectais de prunes que je cueillais dans le jardin de ma grand-mère. Elle les appelait des damas. La variété existe encore, franc de pied, dans le village d'Offagne. Il m'a fallu cinquante ans avant d'avoir la curiosité de retrouver d'où ce nom pouvait bien venir: des Damas à Offagne ... Damas, capitale de la Syrie, ville de 1.361.000 habitants, évangélisée par saint Paul, célèbre pour sa grande mosquée; Damas, foyer du nationalisme arabe. Le damas est aussi une étoffe de soie ou de laine façonnée avec des fils de même couleur et dont l'enchevêtrement constitue un dessin. Cela a donné des étoffes damassées, c'est-à-dire fabriquées selon la même trame. Le damas est aussi un acier très fin, fondu à Damas avec lequel étaient fabriquées les armes damasquinées, c'est-à-dire incrustées de fins fils d'or ou d'argent. Ces armes devinrent la spécialité de Tolède quand les Arabes s'emparèrent de l'Espagne. Jusque-là, il me semblait avoir cherché pour des prunes et pourtant, je n'étais pas loin de la solution. Je me souvins d'un cours d'histoire sur les croisades. Une des multiples conséquences des croisades fut l'apparition en Europe de nouveaux produits: le sarrasin, le riz, le citronnier, l'abricot, l'asperge, le safran, la canne à sucre, l'acier trempé, les riches étoffes, les cuirs de luxe, les glaces, le papier chiffon ... Allez dire après cela que les guerres n'apportent rien! En 1148, Louis VII, roi de France, et Conrad III du Saint Empire font le siège de Damas, lors de la 2ème croisade. Lassé par la longueur du siège infructueux de la ville et plus encore par les infidélités de la reine Aliénor d'Aquitaine, qu'il a eu la malencontreuse idée d'amener en campagne avec lui, Louis VII renonce à la croisade. Les barons constatent que leurs hommes, plutôt que de combattre, ont surtout pillé tous les vergers de prunes du voisinage. De là l'expression, «nous sommes partis combattre pour des prunes ». Il semblerait même que c'était des abricots insuffisamment mûrs. Ces prunes, les damas, sont quelconques, allongées, farineuses, aigres, d'une couleur jaune-rougeâtre; le noyau reste collé à la chair. En marmelade, avec beaucoup de sucre, passe encore. Cependant, tout petit, je les trouvais délicieuses à l'instar des abricots de Damas. Anicet Fraselle Publié dans le Bulletin du Centre Nature Biologie, supplément au Bulletin l’Erable, cercle des Naturalistes de Belgique asbl, n°1, mars 1997