« Les Ateliers de Philosophie-AGSAS ®» (se) penser avec les autres à l’école, le départ d’une aventure Témoignage C’est en 1996 qu’Agnès Pautard, enseignante à Lyon, a initié avec Jacques Lévine1,- psychanalyste et philosophe de l’éducation-, une pratique innovante : les Ateliers de Philosophie-AGSAS ®. Entretien mené par Liliane Chalon, avril 2013 LC : Nous nous sommes rencontrées en 1998 dans la circonscription où, en tant qu’Inspectrice de l’Education Nationale, j’avais largement ouvert cette pratique aux enseignants. Avant que ce que vous appeliez les « Ateliers Philo », puis « Communauté de chercheurs de la maternelle au collège» ne démarre, comment faisais-tu penser les enfants dans ta classe de grande section à Lyon ? AP : En fait je ne me suis jamais posé la question de cette manière : comme tout débutant, au sortir de la formation initiale à l’Ecole Normale en 1975, je fus dans l’obligation expresse de penser par moimême au service de ma classe. Rude expérience que celle de s’autoriser à penser, et à penser dans l’urgence. Je vais rebondir sur le verbe penser, parce que c’est effectivement la clé de voûte de ma démarche pédagogique : stimuler les processus de penser sans figer le regard sur des productions, du point de vue du sujet. Pour illustrer mon cheminement, je vais prendre ici la métaphore des contes, -ces trésors d’humanité où l’alliance et la réflexion viennent toujours à bout des énigmes de la vie-. Faire classe c’était comme avancer sur les pas du héros à la faible lueur de mes cours théoriques, avec la ruse inventive du Petit Poucet perdu dans la forêt et responsable du sort de ses frères, mais aussi avec la sage détermination de la fillette face à la Baba-Yaga, la redoutable sorcière russe, ou encore avec la naïveté insouciante de Boucle d’Or … Forêt dangereuse, où cependant tous les chemins étaient possibles, car alors il n’y avait guère de consignes officielles pour la maternelle. Chercheuse dans l’âme je me sentais libre de me concentrer sur cette question pédagogique basique et prioritaire : « Dans ma classe, et au vu de mes missions d’enseignante, comment faire pour que ça se passe au mieux, non seulement pour le groupe, pour chacun mais aussi pour moi ? » La première étape a consisté à penser un cadre pour la classe, le groupe-classe et les élèves. C’est grâce à Tierno, 5 ans, rencontré lors de mon premier stage en responsabilité, que j’ai compris : il est vital de concevoir un cadre explicite, rigoureux et souple, distinguant les règles de la loi. Ce cadre juste reposant sur la parole donnée (« faire ce qu’on dit et dire ce qu’on fait2 »), est contenant pour le groupe et pour chacun, à la fois sécure, par ses repères fiables (temps, espace, relation, sens des apprentissages, progrès), et parce qu’il est porteur de projets. Ce cadre permet de faire face aux conflits et d’accueillir les imprévus. Bref un cadre rassurant pour tous, élèves, parents et enseignant, garanti par la ferme bienveillance et les encouragements de ce dernier. Carnet de bord : ce jour-là, Tierno fait encore un énorme caprice voulant faire ce qu’il veut quand il veut ; il perturbe les activités, et pour lui, les autres (dont moi) sont des gêneurs. A bout, je m’emporte contre lui, une vraie colère qui n’a rien à voir avec « faire la grosse voix ». Juré, ce sera la dernière de ma carrière et je me pose cette question : comment anticiper et gérer autrement une situation explosive ? La crainte des débordements bloque la pensée, l’émotion court-circuite les bonnes intentions, c’est connu. Je prends conscience que pour pacifier la classe je dois trouver la bonne place, et endosser la responsabilité de ma fonction de surplomb, la fonction tutélaire qui permet d’exercer l’autorité sans abus ni arbitraire, de me positionner au milieu et non au centre du groupe. Comme le disait Jacques Lévine, c’est un engagement de l’enseignant pour la civilisation et par la parole, contre la barbarie. Donc, un tel cadre posé, articulé à des séances d’apprentissages structurées, sollicitantes et ouvertes, on peut imaginer que la classe va bien fonctionner. Or non. 1 2 Jacques Lévine, un nouveau regard sur l’enfant, revue Enfance Majuscule n°109, 2009. Fernand Deligny, citation de mémoire 1 LC : je me doute bien qu’il manque ce qu’il y a de vivant et d’humain dans toute pédagogie !? AP : en effet, ma deuxième prise de conscience ce fut de faire le deuil de l’élève idéal pour pouvoir considérer l’enfant dans chaque élève, prendre en compte les intelligences multiples et la fameuse hétérogénéité. Comment cela est-il arrivé ? La surprise pour moi est venue des demandes singulières, « hors sujet », formulées directement ou pressenties à travers leurs comportements devant les autres ou les apprentissages. Et j’ai alors compris que lorsque l’enfant pose sa question, et accède à une demande c’est gagné pour l’élève qu’il devient ! Que sinon, il ne peut penser pour lui, se montre bloqué, envahi, perturbé, embarrassé -tout comme Perceval, en échec dans sa quête car retenant passivement ses questions devant le Graal pourtant à sa portée. Il n’ose pas poser sa question. Or, au fond, que demandent les enfants à l’école sinon comprendre la même chose que le Petit Poucet, Boucle d’Or ou les autres : comment vivre, grandir, comment s’en sortir face aux obstacles et aux choses inconnues ; sur qui et sur quoi compter ? A mes collègues, je parlais maladroitement de « l’enfant entier, unique », expression englobant pour moi l’enfant, son environnement, son devenir en tant que personne et en tant qu’élève ; mon IEN de ma pédagogie de l’encouragement. M’est venue une réponse basique, un peu mégalomaniaque : susciter chez tous l’envie de venir à l’école, tout simplement. J’ai misé sur des expériences pédagogiques vivantes et variées, pour que chacun se sente, à mon insu, concerné là où il en est. C’est bien là le problème : l’enseignant peut évaluer des connaissances mais ne peut savoir où en est chacun dans son désir d’apprendre, même face à des dispositifs d’apprentissage favorisant la réussite, la confiance et l’estime de soi, l’autonomie, l’initiative, la responsabilité et les échanges. Je me suis donc engagée naturellement sur les chemins de traverse, autant de détours pour aider à penser « mine de rien ». Il y a tant de façons de penser ! Penser c’est se décentrer, peser le pour et le contre pour faire des choix à soi, pour remettre en question, pour résoudre un problème ou créer du neuf ... On pense de différentes manières, avec les émotions, le corps, les mains, les oreilles, les yeux … ; on pense avec les codes, les images, les mots, les concepts, les rêves … ; on pense seul, on pense avec les livres, la nature, un crayon en main ou en parlant avec d’autres … Penser peut être difficile, dangereux, défendu tout autant que jubilatoire. Penser - étymologiquement - c’est faire des liens entre ça ET ça. Par conséquent, en tant qu’enseignant ou en tant qu’élève, c’est penser la vie de la classe Et sa place, penser l’école Et la famille, penser ses progrès scolaires ET sa croissance, penser les dangers/obstacles Et les solutions, penser avec son corps Et sa tête, penser soi ET les autres, la partie ET le tout, le désir ET la contrainte, la cause ET les effets ... Mais une chose est sûre : ça se passe au mieux quand « ça » pense. LC : On ne peut forcer personne à apprendre ; même avec les plus habiles stratégies, parfois ça ne marche pas. Alors, concrètement comment les amenais-tu à penser par eux-mêmes, -ce qui est en fait l’objectif premier de l’Ecole ? AP : on y vient ! Avec le recul, trois médiations pédagogiques me semblent fondamentales aujourd’hui, puisque fondées sur le développement et les besoins de l’enfant. Je les ai créées chaque fois à partir d’une situation posant problème à un élève : huit ans après mes débuts ce fut Titou 3, puis dans la foulée l’album de croissance, et enfin en 1996 les Ateliers de Philosophie. 3 - L’objet transitionnel collectif en GS de maternelle, mémoire de licence universitaire 2002 - L’accompagnateur de croissance, article de la revue n°9 de l’AGSAS, « Je est un autre » 1999 - La classe-Titou, article d’octobre 1996 publié dans Je est un autre, pour un dialogue pédagogiepsychanalyse, Jacques Lévine, Jeanne Moll, ESF, 2001 2 Première médiation : ce Titou, que j’ai qualifié d’« objet transitionnel collectif », est un pantin fabriqué collectivement, de la taille des élèves. Il permet de penser la transitionnalité près de soi, à fleur de peau et à bas bruit, d’oser une relation rassurante avec soi-même, de vivre l’altérité et mettre en mots l’affectivité, les émotions, notamment les peurs. Max a 6 ans, il se colle toute la journée à l’un ou à l’autre, provoquant bien souvent du rejet. Tom reste isolé en récréation. Zelma, cinquième d’une fratrie de huit, suce son pouce, obstinément ailleurs. Julio, l’enfant des rues adopté depuis peu, hispanophone, cherche les autres en poussant sans cesse de petits cris. Et tous ceux qui en GS apportent encore leurs doudous … Au vu de ces comportements de résistance et d’évitement, on comprend que l’enjeu pour certains est l’engagement, pour d’autres l’apaisement. Titou appartient à tous et à chacun, confident toujours disponible, totem familier du groupe-classe durant toute l’année. Il peut recevoir sans dommage câlins et coups, ce qui procure réconfort et contenance aux enfants qui, grâce à lui, tissent naturellement des relations entre eux. Il remplit cette fonction d’accompagnateur de croissance en leur transmettant mon désir de les voir grandir. Tom me dit « j’aime bien Titou, je joue avec lui dans la cour et les autres viennent», et Max demande à l’emmener dans nos déplacements, lui chuchotant des secrets. Zelma l’a invité chez elle à midi. Et moi je m’en sers comme guide et initiateur pour partir à la découverte du pays des sons. Une inspectrice s’étonne de voir Cécile écrivant à son bureau tout en étant très encombrée par Titou qu’elle tient à bras le corps ; la fillette lui répond « non, il ne me gêne pas, je lui apprends à écrire ! ». Là où ils en sont vous dis-je ! Quinze années d’expérience me permettent d’affirmer que cet objet est vecteur de socialisation et porteur de la dynamique de la classe, donnant une forme acceptable et modifiable aux affects qui bloquent la pensée . Mais faciliter l’expression des émotions ne suffit pas, il manque encore quelque chose : c’est le « Qui suis-je ? », abordé avec et autour de l’album de croissance pour que se pense l’identité, la place dans la famille et les évolutions (les progrès). Carla est en GS ; impulsive, butée, elle refuse toute règle et tout apprentissage. Collée à sa mère qui l’élève seule, elle ignore presque tout du père. La mère me dit devant sa fille qu’il vit dans la rue avec un diplôme de philo en poche, et que sa fille n’en sait rien ! Le monde de la mère semble trop étouffant, celui du père irreprésentable, l’accès au monde du père symbolique, -le monde des apprentissages scolaires- reste ainsi fermé. La rééducatrice du RASED dira que la pensée de Carla semble en panne, empêchée, dé-contenancée. Reconnue comme les autres dans son projet de grandir « malgré tout », Carla va pouvoir investir cette médiation en posant ses questions sur les origines, sur le vivant, sur le développement de tout humain, et se confronter aux limites du « c’est comme ça » de la vie. Faciliter l’expression des émotions, l’accès aux questions identitaires ne suffit toujours pas, il manque encore quelque chose : c’est le « Pourquoi le monde existe ? » Oui, « l’école répond à des questions que les enfants ne se posent pas, elle ne répond pas aux questions qu’ils évoquent.4 » comme l’a si bien écrit Michel Develay. Dernier maillon fort : les Ateliers de Philosophie-AGSAS ®, dispositif reconnaissant à tous la capacité de s’interroger sur le sens de son existence, de penser par soi même, pour soi-même et avec les autres les énigmes universelles de la vie. Ce rendez-vous régulier avec l’acte de penser ensemble de façon authentique enracine un nécessaire et lent travail d’humanisation, qui mûrit avec ces questions profondes. LC : Alors, comment la philosophie a-t-elle démarré dans ta classe ? Et comment démarrer quand personne ne pratique ? AP : comme j’ai tenté de l’expliquer, ce projet s’est inscrit dans cohérence et la continuité de ma réflexion, au moment où j’ai pu entendre ces questions d’élèves larges, spontanées et ouvertes (les 4 Donner du sens à l’école, Develay Michel, ESF, Paris, 1996 3 rêves / pourquoi on meurt ? / être des amis / la honte / le courage / est-ce que tout le monde est pareil ? …) ; j’ai partagé le défi avec Jacques Lévine, rencontré lors d’une animation pédagogique. C’est à partir d’un entrefilet dans un magazine que nous avons suivi la piste du québécois Matthew Lipman et de sa méthode d’entraînement à la pensée, conçue comme un enseignement. Nous avons été à la fois enthousiasmés et déçus, car ça ne correspondait ni au cadre de l’Ecole Primaire française, ni à mon projet initial : prendre en compte les questions des enfants sur la vie et leur permettre de réfléchir ensemble pour de vrai, sans discours ni exercices, car, que l’on soit enfant ou adulte, on ne pense pas pour penser, mais pour faire des choix personnels éclairés ! A partir de là, nous avons imaginé un protocole que j’ai mis en œuvre dans ma classe de grande section, chaque semaine dès janvier 1996 : un thème, une demie heure et un magnétophone, c’était parti ! Ce qui m’a encouragée ? C’est d’une part le vif intérêt des enfants : ça marchait avec leurs questions ou les miennes, et il faut dire que j’étais passionnée ! L’analyse conjointe et régulière des transcriptions de séances nous permettait de comprendre ce qui se passait. Partageant des hypothèses alimentées par nos trois champs théoriques, -psychanalyse, pédagogie et philosophie 5-, nous amassions peu à peu les éléments pour fonder ce qui n’existait pas encore. J’avais confiance dans cette respiration entre deux mondes, celui de l’Ecole et celui de la condition humaine, celui de l’élève et celui de l’être humain. J’avais la sensation de partir en voyage d’exploration au pays de la condition humaine … Seul on va plus vite, mais à plusieurs on va plus loin, c’est vrai ! Après c’est allé très vite : dès la rentrée 1996 et jusqu’en 2001, s’est mis en place à Lyon avec Dominique Senore (alors IEN dans l’enseignement spécialisé) le groupe de recherche initial (enseignants en Primaire, collèges, prison et RASED, formateurs à l’IUFM). Ce groupe a œuvré à l’élaboration des fondements théoriques des Ateliers de Philosophie-AGSAS ®, autrement dits les invariants de la « méthode ». En clair : l’expérience irremplaçable d’être à la source de sa pensée, l’expérience du statut d’interlocuteur valable et de co-chercheur, et la découverte du sentiment d’appartenance à la communauté humaine. Puis d’autres groupes se sont constitués autour de Jacques Lévine, avec chercheurs, praticiens et formatrices, pour approfondir les outils théoriques, notamment les étapes de la pensée de l’enfant. Dès 1997, j’ai pu engager des formations spécifiques auprès d’enseignants du Primaire. Pendant ce temps, d’autres méthodes, avec leurs objectifs spécifiques, sont peu à peu apparues, en particulier autour de Michel Tozzi. Quand on s’aventure ainsi, c’est comme dans les contes, il y a les alliés, mais aussi des pièges ; le dragon veille, car l’innovation trouble, donc il faut user de prudence et de discernement face aux curiosités des parents intrusifs pour garantir aux enfants la liberté de penser sans jugements extérieurs : « Qu’est-ce qu’a dit ma fille aujourd’hui ? ». Il faut user d’arguments convaincants sans tomber dans des justifications évaluationnistes : nécessaires efforts pour se faire entendre de l’institution qui a soutenu notre démarche des années plus tard 6. LC : Quels ont été tes premiers étonnements et tes premiers questionnements ? AP : ce que je pressentais a eu lieu, les enfants se sont saisis aussitôt de cet espace de pensée, et aussitôt je me suis sentie rassérénée et nourrie à mon tour. Etonnée je l’ai été vraiment ce jour-là : A propos du thème « la vie », un enfant explique que sa sœur jumelle est morte à sa naissance. Le micro continue de tourner dans un silence absolu. Quand vient le tour de Julia, une fillette effacée, elle dit simplement « c’est triste ». J’ai alors senti que nous étions tous là à égalité de dignité, liés par notre humaine condition. Sa parole généreuse a remis la pensée en route. En 5 Introduction à la philosophie, Karl Jaspers page 7 : « Un signe admirable du fait que l’être humain trouve en soi la source de sa réflexion philosophique, ce sont les questions des enfants. » 10/18, Plon 6 Rédaction d’une monographie « Penser et parler pour de vrai : qu’est-ce qu’une pensée authentique à l’Ecole ? » dans le cadre d’un dispositif académique, le Programme d’Aide et de Soutien à l’Innovation, Lyon, 2004. Cette action a vu la création du site spécifique : atelier.philo.free.fr 4 intervenant je n’aurais pas fait mieux. En restant silencieuse, je l’ai autorisée à être, à prendre sa place. J’ai compris alors qu’ils n’ont besoin ni de relance, ni de reformulation, ni du rappel du thème, et qu’on peut les laisser tranquillement se confronter « pour de vrai »au sens de la vie, et prendre en charge ce qui se passe. Etonnée aussi par leur sérieux, leur fierté à se montrer intelligents entre eux, leurs efforts à se comprendre mutuellement, « tu voulais dire que … », sans que moi je transmette des contenus : l’argumentation s’élabore dans l’authenticité des échanges entre pairs, entre sujets pensants. Etonnée de voir qu’ils se lancent. Ils osent essayer, sans crainte, là où ils en sont, -j’insiste -, parfois juste en reprenant une expression entendue, en faisant varier un mot dans la formulation d’un camarade, peu importe ; alors que, pour les apprentissages dits scolaires, la peur de l’erreur bloque tant d’enfants ! Etonnée encore des transformations dans ma façon de penser, passant du désir de vouloir trop bien faire à la posture de « faire en ne faisant rien », comme le dit Meirieu, -juste tenir le cadre. Il m’a fallu un peu de temps pour construire et approfondir un état d’esprit particulier, pour entrer dans la logique d’être au service de l’élaboration de la pensée de chacun dans le groupe ; pour accepter de suspendre ma parole afin que de la pensée authentique advienne chez les enfants, hors jugement ou pression ; pour accueillir tranquillement les moments de silence « habités ». Pour ne rien attendre au niveau des productions. Pour avoir confiance quoi qu’il arrive dans leur capacité à réfléchir pour eux-mêmes. Ils n’ont aucunement besoin d’un cornac ou d’une mère-poule, c’est Amar qui m’a donné cette leçon : Après la séance, peut-être un peu agacée, je lui demande pourquoi il n’a pas parlé. Il me répond, rouge de colère : « je n’ai pas parlé mais j’ai pensé dans ma tête ! ». A partir de là j’ai vraiment compris le sens de l’expression « sujet-pensant ». Quant à mes questionnements sur le dispositif lui-même, ils ont porté sur le fonctionnement : le protocole, les procédures, les variables, les termes utilisés pour le présenter (par exemple « neutralité bienveillante »), et l’observation d’éventuels effets à ne pas confondre avec les objectifs, sinon le sens de l’activité est détourné. LC : encore quelque chose à dire ? AP : Depuis que les Ateliers de Philosophie-AGSAS ® 7 sont invités à participer aux journées mondiales des Nouvelles Pratiques Philosophiques à l’UNESCO, aujourd’hui que nombre d’enseignants pratiquent en France et à l’étranger, qu’une nouvelle équipe de pilotage AGSAS continue le travail de recherche, de formation et de promotion, et que les conférences, interventions, et publications se multiplient, je ne peux que saluer l’ampleur de cette aventure humaine et intellectuelle ! Je suis pleine de gratitude pour tous les collègues qui ont fait, font et feront confiance au dispositif, 7 Et pour aller plus loin, voici une courte bibliographie pour les Ateliers de Philosophie AGSAS® (AGSAS : Association des Groupes de Soutien Au Soutien), entre autres : - L’atelier philosophie AGSAS, J. Lévine, A. Pautard, D. Senore, hors série de la revue Je est un autre, février 2001. - L’art de prendre son temps pour apprendre à penser autrement, Agnès Pautard n° 20, 2010. - Essai sur le monde philosophique de l’enfant, Jacques Lévine, AGSAS 2004 - L’enfant philosophe, avenir de l’humanité, id, ESF 2008 - JE est un autre, pour un dialogue pédagogie-psychanalye », J. Lévine, J. Moll, ESF, 2001, collection dirigée par P. Meirieu. - Essai sur le monde philosophique de l’enfant », Jacques Lévine, éd A.G.S.A.S, février 2004 - L’enfant philosophe, avenir de l’humanité, Jacques Lévine, ESF 2008 D’autres articles et les actutalités sur le site : agsas.free.fr 5 s’engageant dans un militantisme éthique et raisonnable, car je pense que si les manières de dire et faire changent dans la société et à l’école, le besoin de comprendre son environnement, de partager ses questions avec d’autres pour s’orienter et améliorer la vie seront toujours au cœur de l’humain. Je pense aussi, songeuse, à tous ces élèves, à tous ces enfants qui pensent et penseront ensemble, partout !!! Bonus : si nous revisitions les valeurs démocratiques avec nos Ateliers, la base ce serait la liberté de penser, le moyen ce serait l’égalité de dignité et le but, la fraternité et la solidarité. *** Pour illustrer, voici un extrait de la séance n° 5, avec la question d’un enfant de 5/6 ans : pourquoi le monde existe ? Selon la théorie des étapes de la pensée des enfants élaborée par Jacques Lévine, on pourra observer que les élèves en sont globalement à la pensée de l’émotion : ils expérimentent le devoir de se construire (c’est l’expression de la toute-puissance, caractérisée par l’expression de la dualité pire/merveilleux et le passage au « je ») posant que « la vie fonctionne comme je veux » tout en entrant pour certains dans un effort de différenciation : « la vie est comme elle est ». …. « - A : Si le monde existait pas, nous on n’existerait pas. - B : C’est normal que le monde existe, c’est le dieu qui l'a créé. - C : A et B, ils ont bien dit. - D : Le monde existe parce que dans l’espace, il s’est passé un grand boum et c’est à ce moment-là que la terre s’est formée. - E : C’est pas la bonne question qu’il avait dit, D. - D : Si, c’est la bonne réponse, parce que j’ai le livre de l’espace et dessus c’est écrit et c’est vrai. - F : Euh ... euh ... j' sais plus. - G : Le monde existe parce qu'on peut ... on peut vivre à cause du soleil parce que sinon, si y avait pas de soleil, on pourrait pas vivre, on pourrait pas exister. - H : Si ... si il existait pas, le soleil, y aurait pas de jour, et si elle existait pas la lune, y aurait pas de nuit. - D : Une fois, dans mon livre de l’espace, avec Papa, j’avais vu le grand boum, mais en fait, c’était pas le même grand boum ; en fait, c’était le même grand boum, mais en même temps, on avait vu le soleil qui se formait. - G : Euh, le monde existe, parce que, si le monde existait pas, y aurait pas de soleil, pas de ciel, pas de nuit, pas de lune, pas d’étoiles ; y aurait rien. Il y a tout, si y a la lune, et les étoiles, et le soleil, et le ciel, eh ben, on peut exister. - H : En Egypte, si y avait pas d'eau on mourrait de soif ; mais y a un petit peu d'eau qui va loin ; l’eau si elle existerait pas, l’eau, eh ben on boirait pas. -J:… - C : Euh, H il a pas dit la bonne question parce qu’il a parlé de soif, et la question, c’était « pourquoi le monde existe ? » - B : La question c’est : « Pourquoi le monde existe ? », je le répète pour H. - G : H ... eh ben, j’ai pas compris ce qu'il a dit, H. - H : Je vais le redire pour G parce qu’il n’a pas entendu. Elle vient de loin, l’eau, l’eau de l’Egypte et de Lyon, si y aurait pas d'eau, on boirait pas d'eau... - A : Le monde existe sinon rien n’existerait. - I : A, elle a bien dit, je suis d’accord. - B : C’est normal que le monde existe, sinon y aurait personne dans la ville. - C : C’est normal que le monde existe, sinon y aurait pas de personne qui existerait, et y aurait rien qui existerait ... 6