C h a p i t r e 2 Les fondements des échanges internationaux I Le libre-échange A. Les théories traditionnelles du commerce international B. Les nouvelles théories du commerce international C. Le libre-échange en débat II Le protectionnisme A. Les instruments du protectionnisme B. La justification du protectionnisme C. Les coûts du protectionnisme epuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’ouverture des économies aux échanges internationaux s’est accompagnée d’une phase de croissance économique sans précédent. Les faits semblent ainsi vérifier les effets positifs quant au bien-être mis en avant par les théoriciens du libre-échange. Ces auteurs vont fournir diverses explications complémentaires sur l’intérêt de la spécialisation et ses effets sur l’économie mondiale. Pourtant, malgré de nettes avancées, le libre-échange n’est pas encore une pratique totalement généralisée, même parmi les pays les plus libéraux comme les États-Unis. Le protectionnisme a été et reste préconisé par d’autres auteurs. Il est généralement présenté comme un moyen nécessaire à la mise en place d’une politique de développement dans les pays du tiers-monde ou à la reconversion de secteurs industriels dans les pays développés. De nombreuses controverses subsistent sur les avantages et les inconvénients respectifs de ces deux politiques. D @ I N T E R N E T www.fr.wikipedia.org/wiki/acceuil (rubrique société) 39 I Le libre-échange 1 Le libre-échange est une doctrine économique qui préconise la liberté des échanges internationaux de biens, de services et de capitaux. Il s’oppose donc à toutes formes d’entraves qui limiteraient le commerce international. Selon cette théorie, la spécialisation qui en résulte permet aux différents pays d’être plus efficients et contribue à la richesse des nations. 1 1. Quel est l’avantage reconnu au libre-échange ? 2. Bénéficie-t-il à tous les pays de manière identique ? 3. Des freins au libre-échange existent-ils toujours ? A Les théories traditionnelles du commerce international Ces théories considèrent que les nations se spécialisent dans les productions pour lesquelles les coûts sont les plus bas. La division internationale du travail qui en résulte permet de parvenir à une situation optimale. 1. La théorie des avantages absolus (A. Smith) Les avantages de la spécialisation et de l’échange international ont été mis en évidence à la fin du XVIIIe siècle par Adam Smith (1723-1790), auteur classique anglais. Il fonde son analyse sur les avantages absolus de coût qu’un pays peut posséder sur un autre pays : – Un pays a intérêt à se spécialiser dans la production des biens pour lesquels ses coûts de fabrication sont plus faibles qu’à l’étranger et à importer ceux pour lesquels ses coûts sont plus élevés. – Cette spécialisation permet la réalisation d’une production mondiale optimale puisque les biens sont produits là où les coûts sont les plus bas, et met en place une division internationale du travail (DIT) entre les différentes nations. La théorie des avantages absolus comporte cependant un inconvénient majeur : comment un pays dont les coûts de production sont plus élevés pour tous les biens peut-il commercer ? 2. La théorie des avantages comparatifs (D. Ricardo) CP Un autre économiste anglais, David Ricardo (1772-1823), complète la théorie de Adam Smith : – Un pays a toujours intérêt à se spécialiser dans la production pour laquelle il possède un avantage relatif, c’est-à-dire un avantage le plus élevé en termes de coût ou un désavantage le moins élevé. – La spécialisation et le commerce international sont expliqués par des coûts et donc des techniques de production différentes. – Les nations obtiennent, grâce à l’échange international, une quantité de biens plus importante que celle dont elles disposaient sans échange. Elles bénéficient ainsi d’un gain de bien-être. 3. La théorie des dotations de facteurs (Heckscher et Ohlin) Deux auteurs suédois, Eli Heckscher (1919) et Bertil Ohlin (1930), poursuivant la théorie ricardienne, ont cherché à expliquer la configuration des échanges. Selon eux, les avantages comparatifs ne proviennent pas uniquement de la productivité du travail mais de l’ensemble des facteurs de production (capital, terres, ressources minérales) dont dispose un pays. Les Canadiens exportent, par exemple, des produits forestiers vers les ÉtatsUnis, non parce que les bûcherons canadiens sont plus efficaces que les bûcherons américains, mais parce que le Canada est richement doté en ressources forestières. David Ricardo (1772-1823) © Rue des Archives. Économiste classique anglais, auteur Des principes de l’économie politique et de l’impôt (1817). Théoricien de l’économie de marché, il développe les travaux de son prédécesseur, Adam Smith. Sa théorie de l’échange international demeure le pilier du libre-échangisme. En écho à la fameuse « main invisible » de Smith, il écrivait : « Dans un système de parfaite liberté du commerce, chaque pays consacre naturellement son capital et son travail aux emplois qui lui sont le plus avantageux. La recherche de son avantage propre s’accorde admirablement avec le bien universel. » Chapitre 2 40 Les fondements des échanges internationaux 1 La problématique du libre-échange [ Le commerce a été un moteur de la croissance au cours du demi-siècle écoulé… L’essor des échanges internationaux ces vingt dernières années, deux fois plus rapide que celui du PIB mondial réel (6 % contre 3 %), a accéléré l’intégration économique et relevé les niveaux de vie. Beaucoup de pays en développement ont pris part à ce processus, qui leur a permis de resserrer l’écart qui les sépare des pays riches et de devenir, en tant que groupe, un acteur important du commerce mondial. Leurs échanges ont augmenté plus vite que ceux des autres groupes et leurs relations commerciales ont profondément changé par rapport au schéma traditionnel Nord-Sud. Ils assurent désormais près d’un tiers du commerce mondial, beaucoup d’entre eux ont fortement accru leurs exportations de produits manufacturés et de services, et 40 % de leurs exportations vont aujourd’hui à d’autres pays en développement. Toutefois, bon nombre de pays à faible revenu n’ont toujours pas intégré l’économie mondiale – sous l’effet conjugué de contraintes externes et internes – et les plus pauvres d’entre eux ont même vu leur part des échanges mondiaux diminuer. En dépit de cet acquis, le système commercial mondial doit encore relever de formidables défis. ] Premièrement… la protection restera élevée et concentrée sur des domaines qui présentent un intérêt particulier pour les pays en développement. Dans l’agriculture, seuls des progrès limités ont été accomplis dans la réduction des droits élevés et des subventions qui faussent les échanges. Deuxièmement, suite aux progrès de l’in- tégration économique et au recul des tarifs douaniers et des restrictions quantitatives à l’importation, l’attention s’est déplacée vers d’autres obstacles au commerce qui touchent aux politiques nationales, tels que les subventions industrielles, les droits de la propriété intellectuelle ou, plus récemment, l’investissement et la politique de la concurrence. ■ Anne MC GUIRK, « Le programme de Doha », Finances et développement, septembre 2002. PRATIQUE 1. Montrez que la théorie des avantages absolus ne Les coûts comparatifs Pour démontrer sa théorie, D. Ricardo présente la situation suivante qui exprime les conditions de production de deux produits – le vin et le drap – par deux pays – le Portugal et l’Angleterre : peut être explicative d’échanges internationaux dans le cas présent. 2. Calculez le coût total de production d’une unité Production d’une unité de vin Production d’une unité de drap de vin et de drap pour chacun des pays, puis le coût total pour les deux pays, dans l’hypothèse d’une absence de spécialisation et d’échanges. Portugal 80 heures de travail 90 heures de travail 3. Expliquez pourquoi le Portugal va se spécialiser Angleterre 120 heures de travail 100 heures de travail dans le vin et l’Angleterre dans le drap. 4. Calculez le coût total de production de deux • Le Portugal a besoin de 80 heures de travail pour produire une unité de vin et de 90 heures pour fabriquer une unité de drap. • L’Angleterre a besoin de 120 heures de travail pour produire une unité de vin et de 100 heures pour fabriquer une unité de drap. unités de vin par le Portugal et de deux unités de drap par l’Angleterre, puis le coût total pour les deux pays dans l’hypothèse d’une spécialisation et d’échanges internationaux. 5. Déduisez de ces calculs les gains que permet l’échange international. 6. Comment ces gains peuvent-ils se répartir entre les deux pays ? Partie I 41 Les relations économiques internationales Les pays vont se spécialiser et exporter des produits qui nécessitent des facteurs de production relativement abondants chez eux (et donc peu coûteux) et importer des produits recourant à des facteurs de production relativement rares (et donc onéreux). 2 1. Que signifie « avoir des dotations factorielles peu différentes » ? 2. Définissez les notions de commerce international interbranche et intrabranche. B Les nouvelles théories du commerce international Ces nouvelles théories se démarquent des théories traditionnelles et cherchent à expliquer les échanges de produits similaires entre les pays. L’existence d’économies d’échelle et la recherche de différenciation de firmes oligopolistiques, l’unification croissante du marché mondial et les stratégies des firmes multinationales en sont les déterminants principaux. 1. Économies d’échelle et commerce international 3 Les économies d’échelle (ou rendements croissants) expriment une réduction du coût moyen du produit lorsque la quantité fabriquée augmente. Les firmes les plus efficaces dans un type de production ont donc intérêt à se spécialiser, à accroître leur volume de production pour réduire leur coût. Elles se trouvent alors plus compétitives et peuvent exporter leur production. À terme, seules les plus grosses firmes resteront efficientes et formeront un marché mondial oligopolistique. économiques qui ne sont pas pris en compte par les théories traditionnelles du commerce international. 3 méthodo Il apparaît de plus en plus que les théories traditionnelles sont incapables d’expliquer les caractéristiques du commerce international actuel. 2 En particulier, la théorie des coûts comparatifs est explicative des échanges dits « interbranches » alors qu’aujourd’hui, plus de la moitié des échanges sont « intrabranches ». À la suite de nombreux autres auteurs, Paul R. Krugman met particulièrement l’accent sur les économies d’échelle et la différenciation des produits pour expliquer ces échanges. 3. Relevez et expliquez les phénomènes 1. Définissez la notion d’économie d’échelle et illustrez-la en recourant au tableau ci-contre. 2. Expliquez le mécanisme qui permet une amélioration du bien-être par le biais des échanges internationaux. 3. En supposant qu’en autarcie les niveaux de production nationaux, compte tenu du marché intérieur, soient de 5 gadgets pour la Grande-Bretagne et de 10 gadgets pour les États-Unis, décrivez le mécanisme qui se mettra en œuvre en cas d’ouverture des frontières. 2. Marchés oligopolistiques et différenciation des produits Sur ces marchés oligopolistiques, les firmes cherchent à différencier leurs produits pour bénéficier d’une situation de monopole. De la sorte, des produits de variétés différentes peuvent être proposés aux consommateurs et font l’objet d’échanges intrabranches : certains consommateurs français achèteront des véhicules Renault mais d’autres préféreront Fiat ou BMW… ; des consommateurs italiens ou allemands achèteront des véhicules Peugeot… 3. La stratégie des firmes multinationales 4 L’influence des firmes multinationales est absente des analyses traditionnelles du commerce international. Or, le développement des firmes multinationales a un impact important sur les échanges internationaux en générant des flux déterminés par les stratégies mises en œuvre : – Lorsqu’il s’agit d’assurer une présence sur les marchés étrangers, l’implantation d’une firme aura pour effet de réduire les flux d’échanges internationaux initiaux (production sur place et réduction des exportations du pays d’origine). – Toutefois, aujourd’hui, les échanges entre les filiales de groupes multinationaux représentent plus du tiers du commerce mondial. Les raisons sont multiples : taux d’imposition différents selon les pays, spécialisation des filiales, coût de la main-d’œuvre, etc. Chapitre 2 42 Les fondements des échanges internationaux 2 Les insuffisances des théories traditionnelles ◗ Contrairement aux enseignements de la théorie traditionnelle, le commerce international se développe le plus entre les nations les plus développées dont les dotations factorielles sont peu différentes. Il s’agit donc d’un commerce entre nations très peu différenciées les unes des autres, alors que la théorie traditionnelle met au contraire en avant le rôle des caractéristiques différentes des nations pour expliquer l’échange international. ◗ La part du commerce international intrabranche, qui existe lorsqu’un pays importe et exporte simultanément les mêmes biens dans le commerce mondial, est très significative et est la plus dynamique. La théorie traditionnelle n’a pas d’explication à proposer d’un tel phénomène qui est incompatible avec sa vision de la spécialisation internationale. ◗ La théorie traditionnelle ne laisse aucune place aux firmes multinationales et au commerce intrafirme dans son schéma, puisque ce sont les nations et elles seules qui échangent. Cependant, les échanges entre des filiales de firmes multinationales implantées dans des pays différents représentent plus du tiers du commerce mondial de marchandises dans les années 1980. Le commerce international est dit interbranche si la nation considérée exporte des biens différents de ceux qu’elle importe, par exemple le vin et le drap dans l’exemple de David Ricardo. En revanche, l’importation et l’exportation simultanées de vin (ou de drap) est une situation de commerce intrabranche. Les études empiriques menées dans ce domaine montrent premièrement que la part du commerce intrabranche atteint, dans les années quatre-vingt, environ 50 % du commerce international des pays développés et deuxièmement que ce pourcentage a cru significativement depuis les années 1960. M. RAINELLI, La Nouvelle Théorie du commerce international, coll. « Repères », La Découverte, 2003. 3 E Économie d’échelle et commerce international n pratique beaucoup d’industries sont caractérisées par des économies d’échelle (on parle aussi de rendements croissants) : la production est alors d’autant plus efficiente que l’échelle sur laquelle elle est faite est importante. Lorsqu’il y a des économies d’échelle, le fait de doubler les intrants (1) dans une industrie augmente la production de cette industrie de plus du double… Nous pouvons utiliser cet exemple pour voir comment les économies d’échelle donnent naissance à un échange international. Imaginons un monde composé de deux pays, l’Amérique et la Grande- Bretagne, qui ont tous deux la même technologie pour la production de gadgets. Supposons en outre qu’au départ chaque pays produit 10 gadgets. Le tableau montre que ceci demande 15 heures de travail dans chaque pays : dans le monde entier, 30 heures de travail sont utilisées pour pro- duire 20 gadgets. Supposons maintenant que nous concentrions la production mondiale de gadgets dans un seul pays, par exemple l’Amérique, où nous continuons à employer 30 heures de travail. Dans un seul pays, ces 30 heures de travail peuvent produire 25 gadgets. Ainsi, en concentrant la production en Amérique, l’économie mondiale peut, avec la même quantité de travail, produire 25 % de gadgets en plus. ■ P. R. KRUGMAN, M. OBSTFELD, Économie internationale, De Boeck Université, 1996. 1. nda : intrants = facteurs de production. Relation des intrants à la production dans une industrie hypothétique Production Intrants de travail (heures) Intrant moyen de travail 5 10 15 20 25 30 10 15 20 25 30 35 2 1,5 1,33 1,25 1,2 1,16 Partie I 43 Les relations économiques internationales 4 Des entreprises C Le libre-échange en débat multinationales pour un marché mondial ? À terme, les théoriciens du libre-échange considèrent que le commerce mondial permet une amélioration globale du bien-être des pays participant aux échanges. Pourtant de nombreuses questions restent controversées. 1. Le libre-échange est-il un facteur de croissance pour tous les pays ? 5 L’échange international est favorable à la croissance de l’économie mondiale. La division internationale du travail accroît l’efficacité des firmes, et la concurrence mondiale incite à l’amélioration de la productivité. Toutefois, les gains réalisés au niveau mondial ne sont pas nécessairement bien répartis entre les différents pays. Les nouveaux pays industrialisés ont su bénéficier d’une stratégie de développement axée sur l’insertion dans l’économie mondiale. En revanche, ces dernières années ont été marquées par un appauvrissement relatif de nombreux pays du tiers-monde. L’ouverture des échanges doit donc être accompagnée d’une politique de développement très volontariste. 2. La libéralisation des échanges est-elle un facteur de chômage ? 6 La concurrence internationale est devenue plus vive avec l’ouverture progressive des frontières. En France, par exemple, de nombreux secteurs économiques (sidérurgie, textile, habillement, etc.) ont subi la concurrence de pays dits « émergents » où les coûts de production sont nettement plus bas. La conséquence a été la destruction de plusieurs centaines de milliers d’emplois. Le libre-échange engendre donc un coût social important pour certaines régions. Par contre, de nouveaux débouchés se créent dans d’autres secteurs où la France reste compétitive (aéronautique, industries agricoles et alimentaires, automobile, etc.). Le commerce international a donc pour effet de transformer la structure productive du pays. 3. Commerce international et environnement 6 De nombreux auteurs s’interrogent sur le coût écologique de l’expansion du commerce mondial. Pour bénéficier au maximum de leurs avantages comparatifs, les pays producteurs de matières premières ont tendance à intensifier leur production avec des conséquences négatives graves pour l’environnement : épuisement de ressources naturelles non renouvelables (pétrole, minerais) ou surexploitation de ressources renouvelables (poissons, eau, etc.). Deux logiques peuvent être à l’origine du développement international des firmes. ● La première est d’accéder au marché : une implantation facilite toujours le développement des ventes. Elle rend les clients plus confiants et permet de mieux connaître le marché local. Elle incite les décideurs publics à adopter un comportement plus favorable. La seconde raison est de produire plus efficacement. Dans un contexte où le coût des transports et des télécommunications est orienté à la baisse, les firmes cherchent à profiter des avantages comparatifs des différentes régions du monde. Mais on se tromperait en pensant que la division internationale du travail entre sites disséminés dans de multiples pays du monde est le modèle le plus répandu. 4 1. Identifiez les deux causes majeures de l’implantation des firmes multinationales. 2. Relevez-en les conséquences sur la localisation des firmes. 5 1. Le libre-échange est-il favorable à la croissance ? 2. Pourquoi le libre-échange est-il II Le protectionnisme un « vecteur » d’inégalités ? Comment pourrait-on y répondre ? Le protectionnisme est à la fois une doctrine et une politique économiques. Il vise à favoriser la production nationale et à décourager la concurrence étrangère. Malgré les avantages généralement reconnus au libre-échange, le protectionnisme reste une pratique courante. A Les instruments du protectionnisme 7 Les pratiques protectionnistes visent à défavoriser les importations de produits étrangers et à encourager les exportations des firmes nationales. On distingue trois grands types d’instrument : les barrières tarifaires, les barrières non tarifaires et le protectionnisme monétaire. Chapitre 2 44 Les fondements des échanges internationaux ● Certes, les investissements en direction de l’Asie se sont spectaculairement développés durant les années 1990, mais la raison n’en était pas seulement la faiblesse des salaires locaux. La Chine s’est effectivement spécialisée dans la vente à bas prix de sa main-d’œuvre aux firmes étrangères. Mais une grande partie des multinationales qui ont investi dans la région étaient surtout attirées par la croissance rapide de la zone et par la progression du pouvoir d’achat des populations. Plutôt que de délocalisations, il vaudrait mieux parler de relocalisation : l’Asie est devenue un des pôles moteurs du développement du capitalisme. ■ Philippe FRÉMEAUX, in « L’état de l’économie en 2000 », Alternatives économiques, hors-série n° 44, 2e trimestre 2000. 5 La liberté profite au plus fort L ’ ouverture des marchés contribue effectivement à rendre l’économie plus productive : la mise en concurrence fait disparaître les producteurs les moins efficaces, et l’élargissement des marchés encourage une spécialisation qui engendre des économies d’échelle. Mais cette belle mécanique profite d’abord aux plus forts, qu’il s’agisse des individus, des firmes, des territoires ou des pays. L’ouverture des frontières favorise un mouvement de polarisation de la richesse. Cela peut se lire au niveau des pays (les nations les plus développées concentrent les activités à haute valeur ajoutée), des territoires (au profit des grandes métropoles), des firmes (les multinationales accèdent à tous les marchés et organisent à leur profit la division internationale du travail), et des hommes (les plus qualifiés profitent de l’ouverture tandis que les moins qualifiés sont mis en concurrence). Le libre-échange est donc un vecteur d’inégalités quand aucune règle commune ou aucune politique compensatoire ne vient en tempérer les effets. À l’inverse, il peut se révéler profitable lorsqu’il met en concurrence des agents économiques aux performances voisines, et que des mécanismes collectifs redistribuent une partie des gains d’efficacité qui en résultent, des gagnants vers les perdants, afin de les aider à se remettre à niveau. Autrement dit : on peut trouver avantageux d’acheter des produits textiles à bas prix, mais on doit aussi accepter de payer les impôts nécessaires pour faciliter la reconversion des salariés victimes des délocalisations. ■ Philippe FRÉMEAUX, Alternatives économiques, hors-série n° 59, 1er trimestre 2004. Partie I 45 Les relations économiques internationales © Pierre Bessard, Rea. ● En pratique, le développement international des firmes vise surtout à tirer les bénéfices classiques liés à la dimension. Elles peuvent ainsi allonger les séries produites et bénéficier d’économies d’échelle croissantes. Elles disposent de meilleurs rapports de force avec leurs fournisseurs et leurs distributeurs et d’une plus forte notoriété vis-à-vis du consommateur final. En termes organisationnels, on observe surtout des spécialisations par produit, chaque usine fabriquant intégralement un produit ou une gamme de produits pour sa région, voire pour l’ensemble du monde. La libre circulation des marchandises permet d’allonger les séries de chaque établissement, tout en apparaissant aux yeux des consommateurs et des États comme une marque « locale ». ● En bonne logique, les firmes transnationales devraient plutôt chercher à vendre dans les pays riches, là où sont les principaux marchés, et produire dans les pays pauvres, où les salaires sont les plus bas. Cette logique s’applique à de nombreux produits, comme les chaussures de sport, la confection, l’assemblage électronique… Mais elle ne doit pas être généralisée. Les activités mettant en œuvre des équipements coûteux et une main-d’œuvre qualifiée demeurent localisées dans les régions les plus développées. Là sont les savoir-faire pour produire et les marchés les plus vastes. ● Et puisqu’on peut produire pour l’ensemble du marché mondial à partir d’un seul point de la planète, certaines firmes n’ont même plus besoin de multiplier les implantations : Microsoft concentre la quasitotalité de ses activités à Seattle. 1. Les barrières tarifaires Elles consistent à élever artificiellement le prix d’un produit importé en lui imposant une taxe appelée « droit de douane ». En rendant plus chers les produits étrangers, cette pratique cherche soit à en réduire la consommation nationale, soit à l’orienter vers des produits nationaux devenus plus compétitifs. 2. Les barrières non tarifaires Elles regroupent un nombre important de mesures qui produisent des effets directs ou des effets indirects beaucoup plus insidieux sur le volume d’importations : – Les contingents (ou quotas d’importations) fixent des limites quantitatives maximales à l’importation de catégories de produits. – Les barrières techniques sont mises en place par l’obligation de respecter certaines « normes » de qualité ou labels. Ces normes contraignent généralement les entreprises étrangères à fabriquer des séries plus courtes et donc plus coûteuses destinées aux exportations vers le pays qui dicte ces normes. Les délais d’homologation sont aussi très longs. – Les barrières administratives ont pour objet d’accroître le coût du produit ou de rallonger les délais d’entrée sur le territoire national par des formalités administratives lourdes et pénalisantes. – Les restrictions volontaires d’exportation sont des mesures par lesquelles les pouvoirs publics d’un pays importateur s’entendent avec ceux d’un pays exportateur en vue de restreindre le volume d’exportation de ce dernier. Elles résultent généralement de pressions du pays importateur, le terme « volontaire » signifiant simplement qu’il s’agit d’accords bilatéraux. Ces mesures se sont multipliées ces deux dernières décennies. – Les subventions à l’exportation, versées par l’État, permettent aux entreprises nationales qui en bénéficient de réduire artificiellement leurs coûts et d’abaisser leur prix de vente à l’étranger. 6 1. Analysez les causes du déclin de l’emploi industriel. 2. Analysez les conséquences de la recherche de compétitivité à tout prix. 3. Justifiez l’interrogation de l’auteur sur le coût écologique de l’accroissement des échanges internationaux. 7 Expliquez le mode de fonctionnement des mesures protectionnistes présentées dans le texte. 3. Le protectionnisme monétaire (ou dumping monétaire) Cette forme de protectionnisme, très pratiquée par les NPI pour assurer leur décollage industriel, consiste à maintenir la parité de la monnaie nationale à un cours artificiellement bas pour être compétitif sur les marchés mondiaux et favoriser les exportations. B La justification du protectionnisme Le protectionnisme est justifié pour permettre le développement ou la reconversion d’industries nationales qui ne supporteraient pas la concurrence étrangère. 1. La protection des « industries dans l’enfance » (F. List) Cette théorie est proposée par Friedrich List (1789-1846), économiste allemand de la seconde moitié du XIX e siècle. La mise en place de mesures protectionnistes par un pays est justifiée par la construction d’avantages comparatifs dans certaines industries « naissantes » qui n’ont pas encore les moyens de soutenir la concurrence des autres pays industrialisés. En effet, lorsqu’un pays veut se lancer dans la production d’un nouveau bien, celle-ci ne peut être compétitive en raison de sa taille limitée (économie d’échelle insuffisante), des délais d’apprentissage nécessaires et des coûts fixes importants à amortir. L’État doit donc protéger cette industrie le temps qu’elle soit en mesure d’affronter la concurrence internationale. Le dumping est une pratique qui consiste, pour une entreprise, à vendre à un prix inférieur à son coût de revient. Les subventions à l’exportation ou des monnaies sous-évaluées, en abaissant artificiellement le coût du produit, correspondent à un dumping déguisé. Chapitre 2 46 Les fondements des échanges internationaux 6 Les coûts du libre-échange e développement des importations en provenance des pays émergents est-il un facteur de chômage et de montée des inégalités dans les pays riches ? Certains économistes et l’opinion publique ont popularisé cette thèse au cours des années 1990, quand le développement des importations en provenance d’Asie s’est accompagné d’un fort déclin de l’emploi industriel dans nos pays, notamment dans les secteurs employant une importante maind’œuvre peu qualifiée (confection, chaussure, jouet, assemblage électronique). En fait, si certains secteurs ont payé un lourd tribut à la concurrence des pays à bas salaires, le déclin de l’emploi industriel s’explique plus sûrement par les gains de productivité observés dans l’industrie, qui permettent une baisse des prix relatifs de ses productions, obligeant ainsi la demande à se tourner toujours plus vers les services, où l’emploi s’accroît rapidement. ■ La mondialisation des firmes constitue néanmoins un puissant accélérateur de la mise en concurrence des territoires et donc des salariés. Certes, au fur et à mesure que L 7 progresse le rattrapage, les salaires s’élèvent dans les pays en développement pour se rapprocher de ceux pratiqués dans les pays développés, mais le maintien durant une longue période d’écarts de coûts salariaux supérieurs à l’écart des productivités a eu, et aura encore, des conséquences sur l’évolution des structures économiques des pays riches. ■ Si l’ouverture des frontières débouche sur une compétitivité à tout prix, fondée sur la recherche du moindre coût, notamment via des politiques économiques restrictives et une pression à la baisse sur les salaires, la demande intérieure ne peut augmenter. Les gains de productivité permis par l’élargissement du marché n’engendrent pas une croissance qui bénéficie à tous : chaque pays tente d’exporter son chômage chez l’autre. Les politiques de désinflation compétitive menées par les pays européens durant les deux dernières décennies ont ainsi montré combien la guerre commerciale pouvait conduire à brider la croissance. L’ouverture n’est bénéfique que pour autant que les poli- tiques économiques nationales et leur coordination permettent d’assurer une croissance de l’activité. On est enfin en droit de s’interroger sur le coût écologique de l’expansion continue du commerce de marchandises, facilitée par le trop faible prix des énergies fossiles. Est-il logique de vendre de l’eau minérale française aux États-Unis ou d’importer de la bière du Mexique ? ■ Le développement des échanges n’est donc pas en soi synonyme de progrès : autant l’accès de tous aux médicaments ou aux équipements de production permettant d’économiser le travail et la peine apparaît comme un plus pour l’humanité dans son ensemble (pour autant que ceux qui en ont besoin aient les moyens d’y accéder, ce qui n’est pas le cas), autant le monde à la fois uniforme et inégalitaire qu’engendrerait un libre-échange sans règles apparaît peu désirable. Stéphanie LAGUERODIE, Philippe FRÉMEAUX, « Le libre-échange est-il bon pour le développement ? », Alternatives économiques, n° 191, avril 2001. Les formes du protectionnisme Pays industriels, et pays en développement payent un lourd tribut au protectionnisme. Selon diverses sources, dont la Banque mondiale (2002), la levée des obstacles au commerce des marchandises dégagerait… de 250 à 620 milliards de dollars par an, dont une part comprise entre un tiers et la moitié irait aux pays en développement. Pourtant, le protectionnisme persiste, sous des formes différentes et dans des proportions plus fortes que ne le révèlent les références traditionnelles à la moyenne des taux (1) applicables à la nation la plus favorisée (NPF). En effet, ces moyennes ne reflètent pas les droits spécifiques et contingents tarifaires, les mesures de rétorsion commerciale (droits antidumping) ou les effets des normes d’environnement et règlements techniques. Elles ne permettent pas non plus de saisir l’impact des crêtes tarifaires ou de la progressivité des droits ou d’autres mesures qui, en faisant peser l’incertitude sur l’accès au marché, découragent les exportations. ◗◗◗ Crêtes tarifaires. Bien que les droits moyens sur les produits industriels soient tombés entre 6 et 14 % pour les membres de la Quadrilatérale – Canada, États-Unis, Japon et UE – les lignes tarifaires sont sujettes à des crêtes (droits supérieurs ou égaux à 15 %). Au Canada et aux États-Unis, les crêtes tarifaires se concentrent sur les textiles et vêtements ; dans l’UE et au Japon, elles visent l’agriculture, les produits alimentaires et les chaussures. ◗◗◗ Les pays industriels et les pays en développement jouent sur la progressivité des droits de douane. Pour protéger un secteur de son industrie manufacturière ou de transformation, le pays importateur impose des droits peu élevés sur les matériaux importés qu’utilise ce secteur et des droits élevés sur les produits finis qui concurrencent la production nationale. Il fait ainsi obstacle aux pays qui essaient de renforcer leur capacité technologique en les décourageant de développer leur industrie de transformation et de diversifier leurs exportations, les condamnant à rester dépendants de produits de base aux prix souvent volatils. ◗◗◗ Normes. Les normes et règles jouent un rôle important dans le commerce, car elles assurent la qualité, la sécurité et la compatibilité technique des produits et des processus de production. Cela dit, elles sont parfois plus contraignantes qu’il ne faudrait, et certains en abusent pour alourdir les coûts de leurs concurrents potentiels. Entre 1996 et 1999, les pays à revenu faible ou intermédiaire ont notifié qu’ils ne pouvaient pas satisfaire aux obligations sanitaires et phytosanitaires sur plus de 50 % de leurs exportations potentielles de poisson, viande, fruits et légumes dans l’UE. On a pu dire que ces mesures sont des obstacles plus importants que les droits de douane et les contingents. ■ Hans-Peter LANKES, « Ouvrir les marchés aux pays en développement », Finances et développement, vol. 39, n° 3, septembre 2002. 1. Il s’agit de la moyenne des taux des droits de douane appliqués, les crêtes correspondent à des taux très supérieurs à cette moyenne (nda). Partie I 47 Les relations économiques internationales Ces politiques sont appliquées tant par les pays du tiers-monde qui engagent une politique de développement que par les pays industrialisés quand ils sont contraints de reconvertir des secteurs industriels vieillissants. Historiquement, les États-Unis et l’Allemagne au XIX e siècle, le Japon pendant les années 1950-1970 ont développé leur industrie à l’abri de barrières protectionnistes. 2. « La politique commerciale stratégique » 8 James Brander et Barbara Spencer justifient, dans les années 1980, l’application par un État d’une « politique commerciale stratégique » dans le cadre de marchés mondiaux oligopolistiques. Ainsi, un pays peut avoir intérêt à soutenir une entreprise nationale pour pénétrer sur un marché lorsque la production d’un bien : – procure de fortes économies d’échelle ; – se situe sur un marché où la taille critique (1) ne permet l’existence que de quelques firmes (2) ; – permet la réalisation de surprofits (3) dont l’entreprise nationale aidée pourra bénéficier. 8 1. Poursuivez l’analyse de chaque situation de la première matrice des gains (sans aide à Airbus) commencée dans la note des auteurs (nda). 2. Expliquez la raison qui conduit Airbus à ne pas produire sans aide, alors que Boeing est déjà présent sur le marché (premier cas). 3. Décrivez chaque situation de la deuxième matrice des gains (deuxième cas) (avec aide à Airbus). 4. Expliquez la raison qui conduit Airbus à entrer sur le marché, alors que Boeing est déjà présent (deuxième cas). 9 Comment les coûts du protectionisme s’expliquent-ils ? C Les coûts du protectionnisme 9 Pour les auteurs libéraux, les effets du protectionnisme sont néfastes globalement pour l’économie. 1. Une perte de bien-être Les effets sont favorables pour certains agents économiques mais défavorables pour d’autres. Les effets sont positifs : – pour les firmes nationales de la branche qui bénéficie des mesures protectionnistes. Selon leur situation, ces firmes peuvent soit majorer leurs marges, soit devenir compétitives par rapport aux firmes étrangères. Au total, le surplus du producteur s’accroît ; – pour l’État qui perçoit les droits de douane. Les effets sont négatifs : – pour tous les agents (consommateurs mais aussi entreprises) qui doivent payer un prix plus élevé pour obtenir le produit taxé et qui vont donc réduire leur consommation ; – de manière générale, la perte de bien-être subie par les consommateurs est supérieure aux gains dont bénéficient certaines entreprises et l’État. 2. Un frein à la capacité d’adaptation des industries nationales En étant protégées, les industries nationales ne sont pas incitées à innover pour réduire leurs coûts ou pour présenter de nouveaux produits. Des entreprises nationales subsistent artificiellement alors qu’il serait plus profitable que les fonds investis s’orientent vers de nouveaux secteurs. Finalement, le protectionnisme retarde les mutations et les reconversions industrielles au prix d’un coût très élevé. 1. Taille nécessaire pour qu’une entreprise soit rentable. 2. Marché oligopolistique. 3. Profits supérieurs à ce qui serait obtenu sur un marché de concurrence parfaite. Chapitre 2 48 Les fondements des échanges internationaux La politique commerciale stratégique : Airbus contre Boeing 8 Premier cas ● Supposons qu’on envisage de construire un nouveau type d’avions de transport qui représente un marché potentiel de 210 millions de dollars. Si la fabrication exige un investissement de 110 millions de dollars, le bénéfice escompté par Boeing sera de 100. Mais si une autre firme (Airbus) se lance sur le marché, chacune devant faire le même investissement initial alors qu’elles se partageront le marché, elles perdront chacune 5 millions de dollars. Dans ces conditions, il est peu probable qu’Airbus entre sur le marché. ■ Boeing Produit Produit Ne produit pas bénéfice Airbus : – 5 bénéfice Boeing : – 5 bénéfice Airbus : 100 bénéfice Boeing : 0 bénéfice Airbus : bénéfice Airbus : bénéfice Boeing : Airbus 0 Ne produit pas bénéfice Boeing : 100 0 0 NDA : cette matrice des gains se lit de la manière suivante : ■ Zone haut/Gauche : dans l’hypothèse où Boeing et Airbus produisent le nouveau type d’avion, ils réalisent chacun une perte de 5 millions de $ ; Zone bas/Gauche : dans l’hypothèse où Boeing produit le nouveau type d’avion mais pas Airbus, le bénéfice d’Airbus est 0 et le bénéfice de Boeing est de 100 millions de $. ■ Second cas Supposons maintenant que les gouvernements européens versent à Airbus une subvention de 25 millions de dollars. Il devient alors profitable pour Airbus d’entrer sur le marché, que Boeing se maintienne ou non. Il est probable également que, face à une telle offensive, Boeing se retire du marché car il perdrait 5 millions de dollars dans l’affaire. Dans ce dernier cas, les gouvernements européens, en investissant 25 millions de dollars, auront permis à Airbus de réaliser 125 millions de dollars de bénéfices. ■ ● Frédérique SACHWALD, in Philippe CABIN, L’Économie repensée, Sciences humaines, 2000. Boeing Aide de 25 M de $ à Airbus Airbus Produit Produit Ne produit pas bénéfice Airbus : 20 bénéfice Boeing : – 5 bénéfice Airbus : 125 bénéfice Boeing : 0 On comprend alors que les gouvernements européens perçoivent un intérêt à aider leur firme à entrer sur le marché. Le modèle est un argument fort en faveur d’une subvention, même si elle vicie les règles du jeu du commerce international. Le modèle Brander-Spencer a donc pu être considéré comme un encouragement à l’adoption d’une « politique commerciale stratégique » qui constitue une forme d’interventionnisme en faveur des industries nationales. Le coût du protectionnisme 9 L e régime de protection avantage la recherche de rentes plutôt que la compétitivité économique. Les droits de douane et certaines autres protections non tarifaires assurent la rentabilité des entreprises qui produisent en remplacement des importations. La demande de protection se maintiendra, voire se renforcera, si cette rentabilité est menacée par les progrès techniques et économiques réalisés à l’extérieur ou si une hausse des coûts est enregistrée à l’intérieur du pays concerné. L es subsides et les avantages apportés aux exportations produisent les mêmes effets de gaspillage et de sclérose. Étant financés par les prélèvements obligatoires, ils ont pour effet immédiat une diminution du pouvoir d’achat, et donc une réduction de la demande domestique, dont les effets négatifs sur la croissance et l’emploi peuvent venir compenser, voire dépasser, les effets positifs induits, à court terme, par les protections sur les entreprises exportatrices. Lahsen ABDELMALKI, René SANDRETTO, « Les effets contrastés de la libération de échanges », in Benoît FERRANDON, Mondialisation et commerce mondial, coll. « Les Cahiers français », n° 325, La Documentation française, Mars-Avril 2005. Partie I 49 Les relations économiques internationales ZO O M Le libre-échange est-il réellement profitable à tous ? Les pays pauvres doivent d’abord compter sur eux-mêmes. 2 Les pays qui se sont bien débrouillés récemment ont réussi grâce à leurs propres efforts. L’aide et les marchés n’ont joué en la matière qu’un rôle mineur. Prenons l’exemple d’un pays en développement disposant d’un accès libre et préférentiel au marché de son grand voisin, qui se trouve être l’économie la plus puissante au monde. Supposons que ce pays soit capable d’envoyer des millions de ses citoyens travailler de l’autre côté de la frontière, reçoive un énorme volume d’investissements étrangers et soit intégré aux chaînes de production internationales. […] La mondialisation ne pourrait se présenter sous de meilleurs auspices. Considérons maintenant un second pays. Celui-ci doit faire face à un embargo commercial sur le plus grand marché mondial, ne reçoit ni aide étrangère ni soutien de la part du monde occidental. Si ces handicaps extérieurs n’étaient pas suffisamment débilitants, on peut y ajouter une économie qui érige ellemême des barrières contre le commerce international (commerce d’État, taxes à l’importation et restrictions quantitatives).Ces pays existent : il s’agit du Mexique et du Vietnam. Examinons maintenant les performances économiques de ces deux pays. Depuis la signature de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) en décembre 1992, l’économie mexicaine a connu une progression annuelle moyenne d’à peine plus de 1 % par tête. Le Vietnam, cependant, a connu une progression annuelle de 5,6 % par tête depuis les balbutiements de ses réformes économiques en 1988 et le rétablissement des relations diplomatiques avec les États-unis en 1995, et a connu depuis une croissance rapide et continue au rythme de 4,5 %. Le Vietnam a vu sa pauvreté baisser de façon spectaculaire, tandis que le Mexique a connu une chute des salaires réels. Ces pays ont fait l’expérience d’un décollage prononcé du commerce international et des investissements étrangers, mais la situation est contrastée dans le domaine le plus important : l’amélioration des niveaux de vie, surtout pour le plus pauvres. Ce que ces exemples démontrent c’est que les efforts intérieurs éclipsent les autres éléments dans la détermination des fortunes économiques d’un pays. Tout ce que le marché américain avait à offrir au Mexique n’a pas pu contrebalancé les conséquences des erreurs politiques sur le marché intérieur, particulièrement […] d’étendre les gains de productivité obtenus dans les activités tournées vers l’exportation au reste de l’économie. Ce qui compte le plus reste l’adoption par un pays d’une stratégie de croissance appropriée. Sans aucun des avantages dont a bénéficié le Mexique, le Vietnam a poursuivi une stratégie centrée sur la diversification de son économie et sur l’amélioration des capacités de production locales. Les expériences d’après-guerre étayent le constat de l’importance majeure des politiques domestiques. La Corée du Sud a décollé au début des années 1960, non pas lorsque l’aide étrangère était à son summum, mais quand elle a commencé à se tarir. Taïwan n’a pas bénéficié d’aide étrangère ni d’accès privilégié à certains Marchés. Doc Doc 1 Un autre monde est-il n matière de commerce international, les contestataires n’ont pas tort de dénoncer l’hypocrisie des pays du Nord qui militent pour mettre à bas les protections des pays en développement alors qu’eux-mêmes ne s’ouvrent que parcimonieusement aux produits exportés par ces derniers. De même lorsqu’ils s’élèvent, de plus en plus énergiquement, contre ces subventions du Nord aux exportations de produits agricoles, souvent ruineuses pour le Sud. Ainsi, par exemple, la Côte-d’Ivoire produit la viande de bœuf à 1,84 euro le kilo contre 2,65 euros pour l’Europe. Mais, une fois les subventions de la Politique agricole commune (PAC) encaissées, l’Europe y vend son bœuf à 1,58 euro, ce qui, bien sûr, met à mal l’élevage local. E ◆ De même, on cite souvent l’exemple du coton américain qui reçoit 5 milliards de dollars de subventions qui bénéficient à moins de 25 000 producteurs : la conséquence n’est autre que la ruine de pays africains comme le Mali ou le Bénin dont plus de la moitié de la population est concernée par cette production. ◆ C’est à bien d’autres niveaux du commerce international qu’on trouve ces dérives qui deviennent de plus en plus insupportables aux pays qui les subissent. Toutefois, celles-ci sont, dira-t-on, bien peu de chose par rapport aux bénéfices énormes qui résultent de la libération des échanges tant du côté des consommateurs, avec les baisses de prix qui accroissent leur bien-être, que des producteurs eux-mêmes. Ces derniers, s’il n’y avait pas cet aiguillon permanent de la concurrence internationale, sombreraient dans la routine et les retards de productivité. D’ailleurs, on sait bien aujourd’hui que les pays qui demeurent « fermés » sont ceux qui stagnent et parfois même affament leurs populations (Corée du Nord, Cuba). Il ne saurait, dès lors, être question de remettre en cause l’énorme travail de démantèlement des entraves aux échanges entrepris avec le GATT, il y a maintenant presque un demi-siècle. […] ◆ Dès lors, pourquoi ne pas tenir compte, disent les contestataires, de tous les coûts externes que crée le développement exponentiel du commerce Dani RODRIK, Le Monde du 20 septembre 2005. Chapitre 2 50 Les fondements des échanges internationaux Doc 3 Mondialisation des échanges et environnement possible ? international et qui diminuent sensiblement le gain global net de l’échange et que sont : la consommation d’énergie (le fret maritime exige une énergie à peu près égale à celle qui est nécessaire à deux pays comme le Brésil et la Turquie), les risques de saturation des grandes voies maritimes, les atteintes à l’environnement et à la biodiversité, les fermetures de sites et le chômage induit, etc. L’altermondialisation doute, dès lors, de l’intérêt à poursuivre toujours plus avant dans la voie de l’ouverture. Pourquoi – et jusqu’où – multiplier, par exemple, ces convois « croisés » de porteconteneurs qui transportent, en fait, à peu de chose près les mêmes biens, avec les risques que l’on sait de catastrophes maritimes ? De même, est-il bien rationnel de conduire des millions de paysans mexicains (avec l’Aléna) ou indiens (demain avec l’OMC) à la ruine, au prétexte d’accepter l’entrée du maïs américain en franchise ? De la même façon, jusqu’où les paysans de Gambie ou du Sénégal doivent-ils acheter à bas prix les caissettes d’abats de poulet américain au détriment de l’élevage local ? Qui prendra alors en charge les coûts sociaux de ces populations dont une partie viendra grossir les masses qui s’agglutinent autour des grandes villes ? Ne faudrait-il pas, dans cette ligne, intégrer au calcul économique les avantages de tous ordres de produire au pays ? ■ Henri BOURGUINAT, « L’Altermondialisation : essai d’évaluation », Commentaire sur la mondialisation, Problèmes économiques, n° 2875, La Documentation française, 11 mai 2005. La mondialisation fait l’objet de vives critiques, fondées sur des considérations sociales, politiques, culturelles ou environnementales. Les critiques adressées à la mondialisation dans ses relations avec l’environnement se résument, lorsqu’on les synthétise, à deux assertions principales. m Premièrement, la mondialisation aurait pour effet de donner un avantage compétitif aux pays les moins rigoureux en matière d’environnement, ce qui aurait pour effet de conduire, soit à des délocalisations d’entreprises industrielles, soit à un recul des normes environnementales dans les pays développés. m Deuxièmement, l’ouverture économique, en stimulant la croissance, conduirait à une aggravation insoutenable des émissions de polluants et des pressions sur le milieu naturel. […] On a employé l’expression de « dumping environnemental » pour décrire ce phénomène : les États rivaliseraient pour attirer des firmes multinationales en adoptant des normes environnementales moins rigoureuses. […] La mobilité croissante des facteurs de production entre pays fait craindre que la capacité d’action des États en matière environnementale ne soit considérablement réduite. Dès 1988, les économistes Baumol et Oates ont proposé une modélisation des conséquences de la libéralisation des échanges entre deux pays qui appliquent des normes environnementales différentes. m La démonstration de Baumol et Oates suggère que l’application de normes environnementales dans les pays développés transformerait les pays en développement en lieux d’accueil des activités polluantes. Les pays en développement deviendraient ainsi, selon ce modèle, des « havres de pollution » (traduction de l’anglais pollution havens). Les politiques environnementales nationales perdraient de leur portée, du fait des délocalisations d’activité. L’effet du libre-échange sur la pollution serait géographiquement différencié : les émissions polluantes se réduiraient au Nord, mais augmenteraient au Sud. L’effet global serait cependant négatif pour l’environnement, du fait de l’abandon des technologies propres, et de l’augmentation de la demande pour les produits à bas coûts fabriqués dans les pays du Sud. m Naturellement, les États développés victimes des délocalisations seraient découragés de renforcer leurs normes environnementales (« paralysie réglementaire »), voire pourraient s’engager dans une « course au moins-disant » environnemental (race to the bottom) pour retrouver un avantage comparatif dans certaines productions industrielles. Dans l’un et dans l’autre cas toutefois (formation de « havres de pollution », ou « course au moins-disant » environnemental), l’environnement mondial pâtirait de la libéralisation des échanges. ■ Serge LEPELTIER, « Mondialisation : une chance pour l’environnement ? », Les rapports du Sénat, rapport n° 233, mars 2004. 1. Comparez les situations et les résultats des pays pris en exemple. (Doc 1) 2. Quelles conclusions peut-on en tirer à propos des conséquences du libre-échange sur la croissance ? (Doc 1) 3. Relevez les mesures protectionnistes pratiquées par les pays du Nord, quels sont leurs effets sur les pays du Sud ? (Doc 2) 4. Quels sont les « coûts externes » générés par le développement du commerce international et non pris en compte sur un plan économique pour évaluer les gains de l’échange international ? (Docs 2 et 3) Partie I 51 Les relations économiques internationales Prépa BTS examen Travail méthodologique 2 Ouverture commerciale et développement 1 Ouverture et croissance : vont-ils de pair ? un lien discutable Ce sont indiscutablement F. Rodriguez et D. Rodrik (1999) qui, au terme d’un vaste travail de synthèse théorique et de vérifications économétriques, expriment le plus grand doute sur l’existence d’une relation explicite entre ouverture, croissance et bienêtre : « nous sommes sceptiques sur le fait qu’il y ait un rapport général et non ambigu entre ouverture commerciale et croissance. Il y a des raisons de penser que ce rapport est contingent et qu’il dépend à la fois de caractéristiques internes à de nombreux pays, mais aussi de caractéristiques externes à ces derniers […]. Les politiques commerciales peuvent avoir des effets positifs sur le bien-être sans affecter le taux de croissance économique. Réciproquement, même si les politiques qui entravent le commerce international ont pour effet de réduire la croissance économique, elles ne réduisent pas nécessairement le niveau du bien-être ». Le succès de la libéralisation commerciale passe donc aussi, et sans doute d’abord, par des actions d’envergure sur les structures de production et la qualité des institutions. Un système commercial (acteurs, marchés et institutions) performant est celui qui forme un ensemble harmonieux avec les enchaînements économiques, les processus techniques et les systèmes de valeurs qui caractérisent chaque nation, toutes choses qui confèrent au développement sa véritable signification. I. Bensidoun et A. Chevallier (2002) soulignent à juste titre que : « la capacité des gouvernements à mettre en œuvre les réformes macro et microéconomiques qui doivent accompagner l’ouverture (réforme fiscale, amélioration de l’accès des entreprises au financement, réforme juridique, …) est tout aussi essentielle que l’ouverture elle-même. Dans la mesure où elle se traduit par une plus grande exposition aux chocs, l’ouverture réclame des ajustements macroéconomiques qui peuvent être entravés par la faiblesse des institutions chargées de la gestion des conflits d’intérêts ». Pour les économistes orthodoxes, le libre-échange favorise l’enrichissement de tous; chaque pays tend à se spécialiser dans les productions pour lesquelles il est le plus efficace. Ce qui lui permet de vendre plus et d’accroître son pouvoir d’achat en achetant à d’autres ce qui est produit ailleurs à moindre coût au lieu de le produire lui-même. C’est pourquoi le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ont poussé la quasi-totalité des pays du Sud à libéraliser leurs échanges extérieurs. C’est peu dire que tous les pays n’ont pas réussi leur développement ! Cette constatation empirique commence à être reconnue par les économistes : l’ouverture commerciale est une condition nécessaire au développement (aucun pays ne s’en est sorti par l’autarcie), mais elle est très loin d’être suffisante. Elle est nécessaire parce qu’elle permet d’obtenir, en contrepartie, un accès aux marchés des pays riches et d’acheter les biens d’équipement nécessaires au développement. Mais elle peut aussi empêcher la diversification progressive du tissu productif national, soumis à la concurrence des producteurs plus efficaces du reste du monde. Chaque État doit donc mettre en œuvre des politiques adaptées en matière de formation et de développement des infrastructures, ainsi qu’un soutien à l’offre locale et à l’accueil de l’investissement étranger. II devra y parvenir dans un contexte où les pays du Nord continuent à réguler le commerce international dans un sens défavorable au Sud. Les barrières tarifaires qu’ils imposent découragent la transformation des produits par les pays du Sud : ainsi, une fève de cacao, selon qu’elle est brute, légèrement transformée ou prête à faire du chocolat, est taxée respectivement à 0,5 %, 9,7 % et 30,6 % par l’Union européenne. Par ailleurs, les subventions accordées aux producteurs européens encouragent une offre abondante qui tire les prix vers le bas : en 2001-2002, les États-Unis, l’Europe et la Chine ont ainsi distribué 6 milliards de dollars de subventions à leurs producteurs de coton, l’équivalent du montant des exportations mondiales de coton sur la période ! Tout cela ne facilite pas la diversification des économies du Sud. D’autant que les pays pauvres ressentent bien plus fortement les contrecoups des soubresauts de l’économie mondiale. Certes, l’émergence de plusieurs pays en Asie et en Amérique latine montre que le pari n’est pas impossible, mais cette émergence réclame plus qu’une simple ouverture aux grands vents des échanges. Dès lors, faut-il croire ou ne pas croire aux vertus de la libéralisation des échanges ? Alternatives économiques, n°225, mai 2004. Lahsen ABDELMALKI, René SANDRETTO, « La nouvelle géographie du commerce international », in Benoît FERRANDON, Mondialisation et commerce mondial, coll. « Les Cahiers Français », n° 325, La Documentation française, Mars-Avril 2005. Développement structuré Le libre-échange favorise-t-il la croissance ? (Pour traiter votre sujet, vous prendrez appui sur la partie méthodologique dont les documents et les questions posées vous fournissent à la fois les éléments pour rédiger votre introduction et le développement.) 1. Quels sont les mécanismes qui permettent de dire que le libre-échange est favorable à la croissance et au bien-être ? 2. Montrez pourquoi l’ouverture au commerce mondial est une condition nécessaire à la croissance mais pas suffisante. Quelles sont les autres politiques qui doivent être mises en œuvre ? 3. Pourquoi les conditions actuelles ne sont-elles pas favorables aux pays en développement ? Chapitre 2 52 Les fondements des échanges internationaux