Article pour lancer la réflexion avant les échanges du 21 octobre Séminaire « Politique de la Compétence » Jean-Paul Martin Directeur des Etudes du Cafoc de Nantes Cafoc de Nantes – page 1 Les compétences clés au cœur des processus de changement Depuis que la Communauté Européenne a formulé la perspective des compétences clés, en 2000 lors du sommet de Lisbonne et que les Etats comme les collectivités publiques se sont emparés de cette thématique (socle commun en France, appels d’offres des DRTEFP puis de Régions en 2009) nombreuses sont les prises de positions des professionnels comme des chercheurs qui rendent peu lisible cette thématique. Entre ceux qui considèrent que c’est la main-mise des employeurs sur la formation ou que nous assistons à un nouvel effet de mode (après les technologies de l’information et l’individualisation des parcours), ceux qui voient conforter leurs approches disciplinaires et ceux qui posent l’hypothèse d’un changement de paradigme pour penser l’éducation et la formation, il est difficile d’identifier les enjeux et les lignes de fractures entre les protagonistes. Ce texte se veut une contribution au débat d’un collectif d’acteurs, le CAFOC de Nantes, engagés depuis plusieurs décennies pour promouvoir une formation qui favorise l’autonomisation des personnes comme des organisations. Trois séries de questions sont posées à propos de la thématique des compétences clés : - la première est relative aux raisons de l’émergence de cette notion ; - la seconde relève de la notion même de compétence car, avant d’être clé, ce sont bien des compétences que l’Europe définit ; - la troisième traite de la méthode pour les développer en formation et plus généralement au travail. 1. Pourquoi maintenant l’émergence des compétences clés ? Dire que la société dans laquelle nous vivons évolue, se transforme est une réalité admise par chacun. Dire qu’elle exige de ses membres de nouvelles ressources pour comprendre, se situer et agir dans un tel contexte est également un objet d’accord. Hier le « lire, écrire, compter » constituait le minimum pour vivre dans ce monde. Aujourd’hui, de nouveaux éléments apparaissent indispensables pour ne pas s’exclure ou être exclu. Si certains conservatismes misent sur l'ignorance pour conserver leurs privilèges, nombreux sont les clairvoyants qui aujourd'hui considèrent que l'ignorance est plus que jamais un handicap majeur pour la société entière. Les entreprises et les organisations en général ont besoin de personnes qui sachent réfléchir, analyser, s’adapter, coopérer, etc. Ainsi, en mars 2000, le Conseil européen de Lisbonne a assigné à l’Union européenne l’objectif stratégique « de devenir l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale ». Pour cela, les systèmes européens d’éducation et de formation doivent s'adapter tant aux exigences de la société de la connaissance qu'à la nécessité d’améliorer le niveau et la qualité de l'emploi. Cafoc de Nantes – page 2 Loin d’être une utopie, le développement des compétences nouvelles au regard du « lire, écrire, compter » est une nécessité économique et politique. Cela ne signifie pas la fin des inégalités mais leur déplacement au-delà de ce premier seuil. Quelles compétences définir ? Les organisations internationales puis les Etats ont fait des propositions qui peu à peu se sont précisées. Il s’agit là d’un processus évolutif qui connaîtra encore des transformations. Le tableau ci-dessous entend tracer les étapes essentielles et présenter les différentes propositions. 1997 Déséco1 (OCDE) Trois types de compétences Se servir d’outils de manière interactive - Utiliser le langage, les symboles et les textes - Utiliser le savoir et l’information - Utiliser les technologies Interagir dans des groupes hétérogènes - Etablir de bonnes relations avec autrui - Coopérer, travailler en équipe - Gérer et résoudre des conflits 2000 Stratégie de Lisbonne Une orientation générale 2002 Conseil de Barcelone Définir les nouvelles compétences de base dont l’éducation et la formation tout au long de la vie doivent permettre l’acquisition. Capacités à lire, écrire, calculer (compétences fondamentales) La communication dans la langue maternelle Compétences de base en mathématiques, sciences et technologies La communication en langue étrangère Un programme de travail 2006 Recommandation du Parlement européen Huit compétences clés La compétence mathématique et les TIC et leur utilisation compétences de base en sciences et Apprendre à apprendre technologies Ce cadre devrait inclure : TIC, culture technologique, langues Compétences sociales étrangères, esprit d’entreprise et Esprit d’entreprise 2 aptitudes sociales Culture générale3 La compétence numérique Apprendre à apprendre Les compétences sociales et civiques Agir de façon autonome - Agir dans un contexte global - Elaborer et réaliser des projets de vie et des programmes personnels - Défendre et affirmer ses droits, ses intérêts, ses limites et ses besoins L’esprit d’initiative et d’entreprise La sensibilité et l’expression culturelle 1 Définition et sélection des compétences - projet de l’OCDE Conclusions de la présidence. Conseil européen de Lisbonne – 23, 24 mars 2000, point 26 3 Programme de travail détaillé sur le suivi des objectifs des systèmes d’éducation et de formation en Europe (2002/C 142/01) 2 Cafoc de Nantes – page 3 Des déclinaisons nationales ont vu le jour. Le tableau ci-dessous en présente quelquesunes. Royaume-Uni Six Key skills (compétences clés) Ecosse Suisse Canada (Québec) Cinq core skills (compétences essentielles) Six compétences Huit compétences (compétences essentielles) Communication Communication orale et écrite Traiter l’information Application des nombres Numératie (utilisation des informations graphiques) Organiser Technologies de l’information Technologies de l’information Résoudre des problèmes Coopération Résolution de problèmes (raisonnement critique, planification et organisation, examen et évaluation) Travailler en équipe Amélioration de l’apprentissage et de la performance individuelle Calcul Rédaction Communication orale Travail d’équipe Encadrer Communiquer Résolution de problèmes Lecture (des textes) Utilisation de documents Coopération (travailler avec d’autres personnes) Formation continue (savoir comment apprendre, comprendre son propre style d’apprentissage, savoir comment obtenir l’accès à divers documents, à diverses ressources) Capacité de raisonnement (résolution de problèmes, prise de décisions, pensée critique, planification et organisation du travail, utilisation particulière de la mémoire, recherche de renseignements). Informatique Cafoc de Nantes – page 4 Trois observations peuvent être réalisées. Un raisonnement en termes de compétences et non de connaissances : les instances internationales formulent les ressources que chacun devrait pouvoir acquérir et desquelles dépend le succès de tout apprentissage ultérieur non pas en termes de contenus ou de savoirs mais de compétences. Un élargissement progressif des domaines de compétences. A été préféré le terme de « compétences clés » à celui de « compétences de base », jugé trop restrictif, car généralement compris comme faisant référence à une maîtrise de base de la lecture, de l’écriture et du calcul et à ce qui est, selon le cas, appelé « compétences de survie » ou « compétences de vie ». Le terme « compétence » a été considéré comme se référant à une combinaison d’aptitudes, de connaissances, de dispositions et d’attitudes, incluant aussi bien l’envie d’apprendre que le savoir-faire. Les « compétences clés » ont trait à trois exigences de la vie auxquelles il convient de satisfaire : - épanouissement personnel et développement tout au long de la vie (capital culturel) : les compétences clés doivent permettre de poursuivre dans la vie des objectifs individuels, motivés par des intérêts et des aspirations personnels, et par le désir de continuer à apprendre durant toute la vie ; - citoyenneté active et intégration (capital social) : les compétences clés doivent permettre à tous de devenir des citoyens actifs participant à la société ; - capacité d’insertion professionnelle (capital humain) : pour permettre à tout un chacun d’obtenir un travail décent sur le marché de l’emploi. Deux lignes directrices : donner les ressources pour que les personnes comprennent et agissent. Tous les textes internationaux comme nationaux identifient deux types d’éléments : d’une part des outils intellectuels relevant du langage, des mathématiques ou de l’informatique et, d’autre part, des comportements liés à la vie dans la cité comme coopérer, résoudre des problèmes, organiser, etc. Certes, le lecteur attentif notera des incohérences dans ces textes et pourra regretter que tel ou tel domaine de compétence soit formulé sous les habits des savoirs, que telle expression (capacité individuelle innée4) peut être en contradiction avec l’idée même de formation. Si « c’est dans le détail que se cache le diable », ce serait une erreur de jugement de réduire l’orientation générale à ces éléments, tant est forte l’approche centrée sur la notion de compétence. 4 Recommandation du Parlement européen – 30/12/2006 – « Sensibilité et expression culturelles » quatrième paragraphe relatif aux aptitudes Cafoc de Nantes – page 5 2. Comment définir ces compétences clés ? L’union européenne a adopté la définition suivante : les compétences clés constituent un ensemble transposable et multifonctionnel de connaissances, d’aptitudes et d’attitudes nécessaires à tout individu pour son épanouissement et développement personnel, son intégration sociale et sa vie professionnelle. Elles devraient être acquises au terme de la période obligatoire d’enseignement ou de formation et servir de base à une poursuite de l'apprentissage dans le cadre de l'éducation et la formation tout au long de la vie. La définition souligne que les compétences clés devraient être transférables, donc applicables à diverses situations et contextes, et multifonctionnelles en ce sens qu’elles puissent être utilisées pour atteindre plusieurs objectifs, résoudre des problèmes et pour accomplir des tâches différentes. Les compétences clés conditionnent la performance adéquate dans la vie, l’emploi, et de futurs apprentissages. Cette définition est objet de débats entre les chercheurs et les professionnels car elle s’ancre sur le terme de compétence qui est récent dans l’histoire des idées de l’éducation comme de la formation et souvent sujet de controverses. Dans l’expression « compétence clé », il y a le terme compétence : mot tabou, attracteur étrange ou outil pour organiser la formation ? Parce que formulé dans le cadre de la gestion des ressources humaines dans les entreprises, le mot compétence est tout à la fois un mot tabou symbole du libéralisme et de la déréglementation des relations sociales et un attracteur étrange au cœur de multiples approches en sciences humaines (psychologie, sociologie, ergonomie, …). Reconnaissons que ce terme est bien apparu dans le monde de l’entreprise, après le mouvement de 1968 en France, avec deux usages différents : - le premier, porté par les salariés, insiste sur les écarts entre le travail prescrit et le travail réel, ce dernier étant plus riche et creuset de la valeur ajoutée de l’opérateur ; - le second, porté par les employeurs, pour substituer aux conventions collectives une relation personnalisée entre employeur et salarié conduisant à une négociation individuelle des rémunérations et conditions de travail. Reconnaissons également qu’il entend traduire l’idée assez banale de ce qu’est un professionnel. En tant qu’homme ou femme de la situation, c’est celui ou celle qui mobilise les ressources adéquates en matière de connaissances, de techniques, de tours de main pour résoudre un problème posé. Ces ressources sont des connaissances ou savoirs mais également des expériences, c’est-à-dire des actions réalisées, analysées et mémorisées. Cafoc de Nantes – page 6 Les débats Les auteurs (Gillet, Le Boterf, Perrenoud, Meignant, etc…) s’accordent pour considérer que la compétence mobilise plusieurs types de connaissances, qu’elle s’applique à une famille de situations et qu’elle renvoie à un agir juste en situation complexe. Elle se veut fédératrice unissant la réflexion et l’action et se conçoit comme la capacité à mobiliser des ressources cognitives diverses pour affronter un problème complexe et inédit. La réflexion ou cognition est subordonnée à l’action, elle-même finalisée par un problème à résoudre. Cinq éléments sont au cœur des débats. Le premier concerne les fondements théoriques de cette notion. Si elle a envahi peu à peu le monde des organisations, des décideurs, de la formation, de l’éducation puis des sciences du même nom, elle est référée aux théories psychologiques classiques (constructivisme, cognition située, etc.) sans posséder véritablement une assise sur des concepts spécifiques. Les plus critiques des auteurs considèrent qu’elle « fait figure de caverne d’Ali Baba conceptuelle5 » et que d’une certaine façon, elle est l’habit neuf d’une notion fort ancienne, l’intelligence conçue comme l’aptitude à s’adapter à des situations nouvelles ! Le deuxième relève du caractère utilitariste de la compétence cher au monde anglosaxon par opposition au caractère « humaniste » du savoir de la tradition européenne. Il s’agit là du procès classique fait à la compétence au service du patronat, dédouanant facilement le savoir qui serait par nature au service de tous et non de la reproduction des inégalités ! Le troisième traite du caractère inédit des situations. Ainsi pour Marcel Crahay, la logique de la compétence véhicule une idolâtrie de la flexibilité quand elle refuserait au chirurgien qui réussit pour la quarantième fois une transplantation cardiaque le qualificatif de compétent. Ce chercheur belge constate que dans la vie courante, les situations ordinaires sont les plus nombreuses et qu’elles requièrent des microadaptations des façons de faire d’une part et que les situations extrêmes, de crise, sont rares et qu’elles donnent lieu à un développement d’expertises particulières dans le monde du travail d’autre part. Or l’approche de la compétence érigerait en fonctionnement normal le traitement des situations de crise. Le quatrième relève des familles de situations et de la question traditionnelle de l’œuf et de la poule. En effet, si une famille de situations nécessite pour être résolues une procédure (ou un ensemble de procédures spécifiques), au-delà de l’habillage de ces situations, quels éléments déterminent ces familles : les procédures à utiliser ou les caractéristiques qui requièrent ces procédures ? 5 M Crahay, « Dangers, incertitudes et incomplétudes de la logique de la compétence en éducation » Revue française de pédagogie, n°154, 2006, p.97-110 Cafoc de Nantes – page 7 Complémentairement, la nature des compétences clés est également soumise au questionnement : entre « résoudre un problème » et « effectuer un calcul algébrique », des différences sont soulignées pour distinguer des compétences générales pour lesquelles l’action est connue mais l’objet sur lequel porte cette action reste dans l’ombre et des compétences spécifiques mieux ciblées mais de portée moindre. Cette nature des compétences clés est aussi disséquée sous l’angle du transfert, c’est-à-dire de leur mobilisation dans des contextes différents. Et les auteurs6 insistent sur les différences entre la résolution de problèmes techniques et celle de problèmes relationnels (résoudre les premiers ne garantit pas le fait de pouvoir résoudre les seconds !). Enfin le dernier objet, peut-être l’essentiel, est exprimé ainsi : « une des principales dérivées de l’approche par compétences est la relégation des savoirs au rayon des garnitures intellectuelles »7. Résumons nos observations Produite par les instances internationales puis reprise par les Etats, la notion de compétence clé entend traduire l’exigence de culture que chaque citoyen doit s’approprier pour évoluer dans la société actuelle, souvent qualifiée de « société de la connaissance ». Cette exigence s’élabore au travers de compétences qui permettent aux personnes de comprendre et d’agir dans un univers complexe. Elle fait l’objet au sein des chercheurs de débats théoriques et méthodologiques qui l’opposent à l’approche plus classique des contenus à transmettre. Aujourd’hui, parmi les formateurs, certains arguments sont repris et d’autres avancés, qui traduisent une perplexité devant l’action. Quels sont ces arguments ? Nous pouvons les classer en trois catégories. - 6 7 Pour certains, les compétences clés sont les habits nouveaux des savoirs ou des compétences de base, en un mot, une version new look de la fameuse trilogie du « lire, écrire, compter » avec son vernis de culture numérique (utiliser l’ordinateur et internet). Rien de neuf donc sous le soleil ! Complémentairement, des positions insistent sur un discours patronal qui gagnerait du terrain, d’autres considèrent que certaines de ces compétences clés sont de l’ordre du bon sens et donc, même sans se l’avouer relèveraient de l’inné (ce qui exclurait l’intervention de la formation : apprend-on aux gens à respirer ?) ; enfin le choix même des compétences clés, leur formulation est objet de remarques en regrettant qu’il n’ait pas été effectué de façon transparente (ah, l’anonymat des experts qui ont conseillé la communauté européenne). Notamment, Bernard Rey, « Les compétences, oui, mais ce qui compte, c’est de faire apprendre » M Crahay, « Dangers, incertitudes et incomplétudes de la logique de la compétence en éducation » Revue française de pédagogie, n°154, 2006, p.97-110 Cafoc de Nantes – page 8 - Pour d’autres, les compétences clés, c’est la traduction moderne des approches disciplinaires fondatrices. Le « français », c’est maintenant la communication dans sa langue maternelle, la « Vie sociale et professionnelle », les compétences sociales et civiques, « l’art appliqué », la sensibilité culturelle. Il s’agit là d’un processus d’assimilation décrit par Jean Piaget, qui vise à agir sur l’environnement, à transformer l’inconnu en connu pour pouvoir le traiter. Ces acteurs ne nient pas l’évolution mais pour la traiter la réfèrent à ce qu’ils réalisent déjà. - D’autres acteurs, enfin, considèrent qu’il s’agit d’une transformation radicale, une nouvelle façon de faire mais qu’elle pose beaucoup de problèmes, de différents ordres. Cafoc de Nantes – page 9 3. Un problème reconnu par tous mais des solutions qui requièrent l’innovation Si de tout temps l’éducation s’est donnée pour mission de transmettre des connaissances avec l’ambition de doter les individus d’outils intellectuels qui leur soient profitables dans leur vie professionnelle, personnelle et citoyenne, nombreux sont les observations qui montrent qu’elle ne joue pas pleinement son rôle. Que l’on se réfère au nombre de jeunes sortant du système sans qualification ou au fait que pour de nombreux jeunes les connaissances sont des idées « inertes », vides de sens. On peut parler de fossilisation des savoirs quand ceux-ci ne sont pas rattachés à des situations ou à des problèmes, qu’ils apparaissent utiles pour répondre aux questions scolaires mais pas à celles de la vie. Plus préoccupant, des recherches8 révèlent que des jeunes développent des réflexions personnelles en rupture avec l’éducation qu’ils reçoivent. Ils disposeraient d’un double répertoire de connaissances, celles acquises à l’école et celles qu’ils se sont construits de façon autonome ou en interaction avec leurs pairs. Ce second répertoire serait plus ancré, mieux assimilé mais en décalage avec les conceptions scientifiques. Une perspective nouvelle Au CAFOC de Nantes, nous pensons que les compétences clés exigent une transformation des pratiques et qu’elles requièrent de mobiliser un processus d’accommodation, c'est-à-dire de changement pour intégrer cette nouveauté. Nous identifions trois enjeux majeurs. Le premier relève de l’ingénierie pédagogique. Si l’on peut enseigner des savoirs (et nos institutions sont fondées pour cela) en les didactisant, on ne peut développer des compétences qu’en proposant des situations qui les mobilisent. Rappelons des évidences. Il est utile de connaître les mouvements de la brasse pour nager mais cet apprentissage ne peut se réaliser qu’en nageant. Si le savoir est utile, l’action est indispensable pour développer la compétence. Certains objecteront que l’Ecole ne forme pas que des incapables. C’est vrai et heureusement mais elle fonctionne sur la base de la séparation des éléments (les disciplines) laissant le plus souvent à l’individu le soin de faire la synthèse en dehors de la formation. Ces compétences clés nous imposent de rompre avec une façon classique de concevoir la formation, celle structurée par les disciplines qu’elles soient scolaires ou universitaires. Parce que les compétences se réfèrent à des situations sociales, professionnelles ou personnelles, elles nécessitent d’être développées en formation à partir, non pas de simples exercices de reproduction ou d’application, mais d’activités qui mobilisent des savoirs et des techniques « en situation ». Dès lors, les savoirs ne sont non plus une fin en soi ou une condition pour accéder à un niveau supérieur de formation mais des ressources utiles pour traiter des situations variées. 8 Notamment les travaux de Vergnaud, « L’enfant, la mathématique et la réalité » ou de Viennot, « Le raisonnement spontané en dynamique élémentaire » Cafoc de Nantes – page 10 Cette approche impose de construire les activités d’apprentissage en s’appuyant sur des situations choisies pour l’étendue de leur complexité et de définir les compétences dans toutes leurs dimensions, c’est-à-dire en faisant émerger de la manière la plus exhaustive qui soit l’ensemble de leurs ingrédients composites comme autant d’objets d’apprentissage : les outils cognitifs mobilisés, les modes de raisonnement, les concepts, méthodes, savoirs ou attitudes… Le second relève de la relation et de l’animation pédagogiques. En effet, développer des compétences requiert la mise en œuvre d’une posture, de démarches et de questionnements très différents de ceux requis par la transmission des savoirs. Il s’agit moins d’interroger (au sens où l’on veut vérifier une donnée) que de questionner pour découvrir une façon de procéder. Il s’agit moins de fournir des informations en amont que d’engager une réflexion sur l’action réalisée. Il s’agit moins de contrôler un résultat que d’évaluer un processus. Le formateur est moins un transmetteur qu’un médiateur des apprentissages. Cet enjeu requiert de la part des formateurs un professionnalisme avéré qui dépasse le bon sens pratique pour fonder l’usage de techniques spécifiques. Le courant de l’éducabilité cognitive offre ces techniques qu’il s’agit aujourd’hui de déployer dans un cadre nouveau. Enfin le troisième enjeu traite de l’ingénierie des dispositifs. En effet, pour développer ces compétences, il est indispensable de penser l’organisation en cohérence avec ces apprentissages. Cette conviction prend appui sur les observations que nous réalisons lors de nos interventions à propos des dispositifs et des pratiques déployés au sein des organismes. Un exemple parlant : dans l’organisme X doté d’un centre de ressources bien documenté, les ressources sont disposées dans les armoires non accessibles aux personnes sans autorisation. Les formateurs limitent au maximum les déplacements au nom de la concentration nécessaire et insistent beaucoup sur le caractère individuel des évaluations. Bien évidemment des apprentissages s’effectuent dans un tel contexte, mais la question à se poser est celle du lien entre ces éléments descriptifs et les visées pédagogiques poursuivies réellement au-delà des intentions et des déclarations. C’est la raison pour laquelle nous prônons des organisations autonomisantes qui soient cohérentes avec les compétences qu’elles entendent développer. La détermination des activités, des règles qui régissent les relations, la disposition des lieux, la planification des temps sont autant d’éléments à travailler pour développer la communication, la coopération, l’esprit d’initiative ou la sensibilité culturelle. Un puissant levier pour réconcilier les publics et l’acte d’apprendre Depuis Pierre Bourdieu, nous savons que pour certains publics, le savoir est un moyen de distinction sociale alors que pour d’autres, il est vecteur d’exclusion. Penser la formation par rapport aux situations à traiter, quels que soient les champs dans lesquels elles s’inscrivent, c’est offrir une nouvelle perspective de motivation pour acquérir les ressources indispensables pour participer avec lucidité au monde qui nous entoure. Oui, mais diront certains, voilà une conception bien utilitariste des savoirs, bien réductrice des connaissances à l’utilité immédiate de l’action. L’argument a du poids, il ne faut pas le nier à une période où certains ne sont préoccupés que par le court terme et la rentabilité immédiate. Cafoc de Nantes – page 11 Pour nous, penser en termes de situations, les articuler aux compétences ne dit rien du chemin à parcourir, du comment faire. Au contraire d’une approche réductrice et utilitariste, nous pensons que l’approche par les compétences doit être fondée sur deux paramètres : - une conception ouverte des situations, celle qui conjuguent des situations à l’action et des situations qui interrogent la compréhension, - une articulation entre action et réflexion, entre le faire et la réflexion sur le faire pour en identifier les principes, les limites et les questions posées. L’approche compétence sera ce que les acteurs de la formation en feront. Opter pour une approche réductrice et utilitariste consisterait à simplifier les situations choisies et à réduire à leur portion congrue les compétences. Il incombe au contraire aux acteurs de la formation d’une part de scruter des situations mobilisant particulièrement telle ou telle compétence clé et d’autre part de ne négliger aucun de ses constituants. C’est à ces deux conditions que les formateurs pourront construire des activités d’apprentissage permettant le développement de la compétence telle que nous l’avons définie. Des défis à relever Les appels d’offres comme les discours se multipliant à propos des compétences clés, nous constatons que les interprétations sont de plus en plus restrictives : - se centrer sur les quatre premières compétences et occulter les quatre dernières, - limiter les publics concernés aux personnes sans qualification ou de très faible niveau, - réduire les compétences clés aux savoirs de base et donc à des aspects techniques (grammaire, opérations mathématiques, …), - considérer le champ du travail comme exclusif, en supprimant les champs sociaux et personnels, - confondre la compétence « apprendre à apprendre » avec une modalité pédagogique « auto-formation guidée ». Quant aux pratiques déployées, si certains formateurs et organismes se sont lancés dans l’innovation, beaucoup, légitimés par les interprétations ci-dessus, reproduisent l’approche disciplinaire et considèrent que transmettre des savoirs et développer des compétences, c’est la même chose ! Développer ces compétences nécessite d’engager une rupture épistémologique et de considérer que les dispositifs, pratiques et outils d’hier ne sont pas les plus appropriés pour répondre aux défis d’aujourd’hui. Mieux comprendre comment les adultes mobilisent des ressources en fonction de l’analyse de situations à laquelle ils procèdent, mieux comprendre les difficultés et leurs erreurs est une nécessité pour tous. C’est aujourd’hui un défi à relever. Un travail d’ingénierie est indispensable pour décliner les huit domaines de compétences, produire un référentiel opérationnel et construire les situations qui permettent d’explorer la compétence dans toutes ses dimensions et à différents niveaux d’exigence. Cafoc de Nantes – page 12 Un travail sur la relation pédagogique est également à conduire pour centrer les interactions sur l’action et son analyse. Enfin, et simultanément, il s’agira de reconsidérer les organisations actuelles pour les rendre autonomisantes. Pour relever ces défis, tous les organismes ont des atouts et des points faibles. Pour les uns, la centration sur la personne, la pédagogie active devraient être conjuguées avec une maîtrise accrue des didactiques. Pour les autres, cette maîtrise des didactiques doit être, non plus une fin en soi, mais être mise au service du développement des compétences individuelles et collectives. Le changement est un « formidable processus à se poser des questions ». A chacun de s’en emparer individuellement et collectivement. Pour le CAFOC de Nantes Jean-Paul MARTIN Encart Savoirs de base, compétences clés : quelles articulations ? Bien évidemment, ces expressions ne sont pas étrangères l’une à l’autre mais elles ne sont pas synonymiques. La lutte contre l’illettrisme a longtemps fait référence aux « savoirs de base » en insistant sur les apprentissages techniques à faire réaliser aux personnes, en matière de décodage des écrits, de formulation des idées, d’utilisation des opérations mathématiques. Ces savoirs sont indispensables mais ils ne sont qu’un élément constitutif de certains domaines des compétences clés. Prenons deux exemples. Le domaine de compétence mathématique comprend « une bonne connaissance des nombres, des mesures et des structures, des opérations fondamentales, … » pour « résoudre divers problèmes de la vie quotidienne ». Il doit développer « une attitude positive qui repose sur le respect de la vérité et sur la volonté de trouver des arguments et d’en évaluer la validité ». Le domaine de compétence « Communication dans la langue maternelle », inclut « la connaissance du vocabulaire, d’une grammaire fonctionnelle et des mécanismes langagiers » pour avoir des « interactions linguistiques appropriées et créatives dans toutes les situations de la vie sociale et culturelle, dans l’éducation et la formation, au travail, à la maison et pendant les loisirs ». Deux lectures restrictives sont possibles : la première, la plus répandue est de réduire et/ou de confondre la compétence aux savoirs qu’elle mobilise ; la seconde serait de développer la compétence en minimisant les ressources qu’elle requiert. Cafoc de Nantes – page 13