Politique de la Compétence - Académie de Nancy-Metz

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Article pour lancer la réflexion
avant
les échanges du 21 octobre
Séminaire « Politique de la Compétence »
Jean-Paul Martin
Directeur des Etudes du Cafoc de Nantes
Cafoc de Nantes – page 1
Les compétences clés au cœur
des processus de changement
Depuis que la Communauté Européenne a formulé la perspective des compétences
clés, en 2000 lors du sommet de Lisbonne et que les Etats comme les collectivités
publiques se sont emparés de cette thématique (socle commun en France, appels
d’offres des DRTEFP puis de Régions en 2009) nombreuses sont les prises de
positions des professionnels comme des chercheurs qui rendent peu lisible cette
thématique. Entre ceux qui considèrent que c’est la main-mise des employeurs sur la
formation ou que nous assistons à un nouvel effet de mode (après les technologies de
l’information et l’individualisation des parcours), ceux qui voient conforter leurs
approches disciplinaires et ceux qui posent l’hypothèse d’un changement de paradigme
pour penser l’éducation et la formation, il est difficile d’identifier les enjeux et les lignes
de fractures entre les protagonistes.
Ce texte se veut une contribution au débat d’un collectif d’acteurs, le CAFOC de
Nantes, engagés depuis plusieurs décennies pour promouvoir une formation qui
favorise l’autonomisation des personnes comme des organisations.
Trois séries de questions sont posées à propos de la thématique des compétences
clés :
- la première est relative aux raisons de l’émergence de cette notion ;
- la seconde relève de la notion même de compétence car, avant d’être clé, ce
sont bien des compétences que l’Europe définit ;
- la troisième traite de la méthode pour les développer en formation et plus
généralement au travail.
1. Pourquoi maintenant l’émergence des compétences clés ?
Dire que la société dans laquelle nous vivons évolue, se transforme est une réalité
admise par chacun. Dire qu’elle exige de ses membres de nouvelles ressources pour
comprendre, se situer et agir dans un tel contexte est également un objet d’accord. Hier
le « lire, écrire, compter » constituait le minimum pour vivre dans ce monde.
Aujourd’hui, de nouveaux éléments apparaissent indispensables pour ne pas s’exclure
ou être exclu. Si certains conservatismes misent sur l'ignorance pour conserver leurs
privilèges, nombreux sont les clairvoyants qui aujourd'hui considèrent que l'ignorance
est plus que jamais un handicap majeur pour la société entière. Les entreprises et les
organisations en général ont besoin de personnes qui sachent réfléchir, analyser,
s’adapter, coopérer, etc.
Ainsi, en mars 2000, le Conseil européen de Lisbonne a assigné à l’Union européenne
l’objectif stratégique « de devenir l'économie de la connaissance la plus compétitive et
la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable
accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus
grande cohésion sociale ». Pour cela, les systèmes européens d’éducation et de
formation doivent s'adapter tant aux exigences de la société de la connaissance qu'à la
nécessité d’améliorer le niveau et la qualité de l'emploi.
Cafoc de Nantes – page 2
Loin d’être une utopie, le développement des compétences nouvelles au regard du
« lire, écrire, compter » est une nécessité économique et politique. Cela ne signifie pas
la fin des inégalités mais leur déplacement au-delà de ce premier seuil.
Quelles compétences définir ? Les organisations internationales puis les Etats ont fait
des propositions qui peu à peu se sont précisées. Il s’agit là d’un processus évolutif qui
connaîtra encore des transformations. Le tableau ci-dessous entend tracer les étapes
essentielles et présenter les différentes propositions.
1997
Déséco1
(OCDE)
Trois types de
compétences
Se servir d’outils de
manière interactive
- Utiliser le langage,
les symboles et les
textes
- Utiliser le savoir et
l’information
- Utiliser les
technologies
Interagir dans des
groupes hétérogènes
- Etablir de bonnes
relations avec autrui
- Coopérer, travailler
en équipe
- Gérer et résoudre
des conflits
2000
Stratégie de
Lisbonne
Une orientation
générale
2002
Conseil de Barcelone
Définir les nouvelles
compétences de base
dont l’éducation et la
formation tout au long
de la vie doivent
permettre l’acquisition.
Capacités à lire, écrire,
calculer (compétences
fondamentales)
La communication
dans la langue
maternelle
Compétences de base
en mathématiques,
sciences et
technologies
La communication en
langue étrangère
Un programme de
travail
2006
Recommandation du
Parlement européen
Huit compétences clés
La compétence
mathématique et les
TIC et leur utilisation
compétences de base
en sciences et
Apprendre à apprendre technologies
Ce cadre devrait
inclure : TIC, culture
technologique, langues Compétences sociales
étrangères, esprit
d’entreprise et
Esprit d’entreprise
2
aptitudes sociales
Culture générale3
La compétence
numérique
Apprendre à apprendre
Les compétences
sociales et civiques
Agir de façon
autonome
- Agir dans un contexte
global
- Elaborer et réaliser
des projets de vie et
des programmes
personnels
- Défendre et affirmer
ses droits, ses
intérêts, ses limites
et ses besoins
L’esprit d’initiative et
d’entreprise
La sensibilité et
l’expression culturelle
1
Définition et sélection des compétences - projet de l’OCDE
Conclusions de la présidence. Conseil européen de Lisbonne – 23, 24 mars 2000, point 26
3
Programme de travail détaillé sur le suivi des objectifs des systèmes d’éducation et de formation en Europe
(2002/C 142/01)
2
Cafoc de Nantes – page 3
Des déclinaisons nationales ont vu le jour. Le tableau ci-dessous en présente quelquesunes.
Royaume-Uni
Six Key skills
(compétences clés)
Ecosse
Suisse
Canada (Québec)
Cinq core skills
(compétences
essentielles)
Six compétences
Huit compétences
(compétences
essentielles)
Communication
Communication orale
et écrite
Traiter l’information
Application des
nombres
Numératie (utilisation
des informations
graphiques)
Organiser
Technologies de
l’information
Technologies de
l’information
Résoudre des
problèmes
Coopération
Résolution de
problèmes
(raisonnement
critique, planification
et organisation,
examen et
évaluation)
Travailler en équipe
Amélioration de
l’apprentissage et de
la performance
individuelle
Calcul
Rédaction
Communication orale
Travail d’équipe
Encadrer
Communiquer
Résolution de
problèmes
Lecture (des textes)
Utilisation de
documents
Coopération
(travailler avec
d’autres personnes)
Formation continue
(savoir comment
apprendre,
comprendre son
propre style
d’apprentissage,
savoir comment
obtenir l’accès à
divers documents, à
diverses ressources)
Capacité de
raisonnement
(résolution de
problèmes, prise de
décisions, pensée
critique, planification
et organisation du
travail, utilisation
particulière de la
mémoire, recherche
de renseignements).
Informatique
Cafoc de Nantes – page 4
Trois observations peuvent être réalisées.
Un raisonnement en termes de compétences et non de connaissances : les instances
internationales formulent les ressources que chacun devrait pouvoir acquérir et
desquelles dépend le succès de tout apprentissage ultérieur non pas en termes de
contenus ou de savoirs mais de compétences.
Un élargissement progressif des domaines de compétences. A été préféré le terme de
« compétences clés » à celui de « compétences de base », jugé trop restrictif, car
généralement compris comme faisant référence à une maîtrise de base de la lecture,
de l’écriture et du calcul et à ce qui est, selon le cas, appelé « compétences de survie »
ou « compétences de vie ».
Le terme « compétence » a été considéré comme se référant à une combinaison
d’aptitudes, de connaissances, de dispositions et d’attitudes, incluant aussi bien l’envie
d’apprendre que le savoir-faire. Les « compétences clés » ont trait à trois exigences de
la vie auxquelles il convient de satisfaire :
- épanouissement personnel et développement tout au long de la vie (capital culturel) :
les compétences clés doivent permettre de poursuivre dans la vie des objectifs
individuels, motivés par des intérêts et des aspirations personnels, et par le désir de
continuer à apprendre durant toute la vie ;
- citoyenneté active et intégration (capital social) : les compétences clés doivent
permettre à tous de devenir des citoyens actifs participant à la société ;
- capacité d’insertion professionnelle (capital humain) : pour permettre à tout un chacun
d’obtenir un travail décent sur le marché de l’emploi.
Deux lignes directrices : donner les ressources pour que les personnes comprennent et
agissent. Tous les textes internationaux comme nationaux identifient deux types
d’éléments : d’une part des outils intellectuels relevant du langage, des mathématiques
ou de l’informatique et, d’autre part, des comportements liés à la vie dans la cité comme
coopérer, résoudre des problèmes, organiser, etc.
Certes, le lecteur attentif notera des incohérences dans ces textes et pourra regretter
que tel ou tel domaine de compétence soit formulé sous les habits des savoirs, que telle
expression (capacité individuelle innée4) peut être en contradiction avec l’idée même de
formation. Si « c’est dans le détail que se cache le diable », ce serait une erreur de
jugement de réduire l’orientation générale à ces éléments, tant est forte l’approche
centrée sur la notion de compétence.
4
Recommandation du Parlement européen – 30/12/2006 – « Sensibilité et expression culturelles » quatrième
paragraphe relatif aux aptitudes
Cafoc de Nantes – page 5
2. Comment définir ces compétences clés ?
L’union européenne a adopté la définition suivante : les compétences clés constituent
un ensemble transposable et multifonctionnel de connaissances, d’aptitudes et
d’attitudes nécessaires à tout individu pour son épanouissement et développement
personnel, son intégration sociale et sa vie professionnelle. Elles devraient être
acquises au terme de la période obligatoire d’enseignement ou de formation et servir de
base à une poursuite de l'apprentissage dans le cadre de l'éducation et la formation tout
au long de la vie.
La définition souligne que les compétences clés devraient être transférables, donc
applicables à diverses situations et contextes, et multifonctionnelles en ce sens
qu’elles puissent être utilisées pour atteindre plusieurs objectifs, résoudre des
problèmes et pour accomplir des tâches différentes. Les compétences clés
conditionnent la performance adéquate dans la vie, l’emploi, et de futurs
apprentissages.
Cette définition est objet de débats entre les chercheurs et les professionnels car elle
s’ancre sur le terme de compétence qui est récent dans l’histoire des idées de
l’éducation comme de la formation et souvent sujet de controverses.
Dans l’expression « compétence clé », il y a le terme compétence : mot tabou,
attracteur étrange ou outil pour organiser la formation ?
Parce que formulé dans le cadre de la gestion des ressources humaines dans les
entreprises, le mot compétence est tout à la fois un mot tabou symbole du libéralisme et
de la déréglementation des relations sociales et un attracteur étrange au cœur de
multiples approches en sciences humaines (psychologie, sociologie, ergonomie, …).
Reconnaissons que ce terme est bien apparu dans le monde de l’entreprise, après le
mouvement de 1968 en France, avec deux usages différents :
- le premier, porté par les salariés, insiste sur les écarts entre le travail prescrit et
le travail réel, ce dernier étant plus riche et creuset de la valeur ajoutée de
l’opérateur ;
- le second, porté par les employeurs, pour substituer aux conventions collectives
une relation personnalisée entre employeur et salarié conduisant à une
négociation individuelle des rémunérations et conditions de travail.
Reconnaissons également qu’il entend traduire l’idée assez banale de ce qu’est un
professionnel. En tant qu’homme ou femme de la situation, c’est celui ou celle qui
mobilise les ressources adéquates en matière de connaissances, de techniques, de
tours de main pour résoudre un problème posé. Ces ressources sont des
connaissances ou savoirs mais également des expériences, c’est-à-dire des actions
réalisées, analysées et mémorisées.
Cafoc de Nantes – page 6
Les débats
Les auteurs (Gillet, Le Boterf, Perrenoud, Meignant, etc…) s’accordent pour considérer
que la compétence mobilise plusieurs types de connaissances, qu’elle s’applique à une
famille de situations et qu’elle renvoie à un agir juste en situation complexe. Elle se veut
fédératrice unissant la réflexion et l’action et se conçoit comme la capacité à mobiliser
des ressources cognitives diverses pour affronter un problème complexe et inédit. La
réflexion ou cognition est subordonnée à l’action, elle-même finalisée par un problème à
résoudre.
Cinq éléments sont au cœur des débats.
Le premier concerne les fondements théoriques de cette notion. Si elle a envahi peu à
peu le monde des organisations, des décideurs, de la formation, de l’éducation puis des
sciences du même nom, elle est référée aux théories psychologiques classiques
(constructivisme, cognition située, etc.) sans posséder véritablement une assise sur des
concepts spécifiques. Les plus critiques des auteurs considèrent qu’elle « fait figure de
caverne d’Ali Baba conceptuelle5 » et que d’une certaine façon, elle est l’habit neuf
d’une notion fort ancienne, l’intelligence conçue comme l’aptitude à s’adapter à des
situations nouvelles !
Le deuxième relève du caractère utilitariste de la compétence cher au monde anglosaxon par opposition au caractère « humaniste » du savoir de la tradition européenne. Il
s’agit là du procès classique fait à la compétence au service du patronat, dédouanant
facilement le savoir qui serait par nature au service de tous et non de la reproduction
des inégalités !
Le troisième traite du caractère inédit des situations. Ainsi pour Marcel Crahay, la
logique de la compétence véhicule une idolâtrie de la flexibilité quand elle refuserait au
chirurgien qui réussit pour la quarantième fois une transplantation cardiaque le
qualificatif de compétent. Ce chercheur belge constate que dans la vie courante, les
situations ordinaires sont les plus nombreuses et qu’elles requièrent des microadaptations des façons de faire d’une part et que les situations extrêmes, de crise, sont
rares et qu’elles donnent lieu à un développement d’expertises particulières dans le
monde du travail d’autre part. Or l’approche de la compétence érigerait en
fonctionnement normal le traitement des situations de crise.
Le quatrième relève des familles de situations et de la question traditionnelle de l’œuf
et de la poule. En effet, si une famille de situations nécessite pour être résolues une
procédure (ou un ensemble de procédures spécifiques), au-delà de l’habillage de ces
situations, quels éléments déterminent ces familles : les procédures à utiliser ou les
caractéristiques qui requièrent ces procédures ?
5
M Crahay, « Dangers, incertitudes et incomplétudes de la logique de la compétence en éducation » Revue
française de pédagogie, n°154, 2006, p.97-110
Cafoc de Nantes – page 7
Complémentairement, la nature des compétences clés est également soumise au
questionnement : entre « résoudre un problème » et « effectuer un calcul algébrique »,
des différences sont soulignées pour distinguer des compétences générales pour
lesquelles l’action est connue mais l’objet sur lequel porte cette action reste dans
l’ombre et des compétences spécifiques mieux ciblées mais de portée moindre. Cette
nature des compétences clés est aussi disséquée sous l’angle du transfert, c’est-à-dire
de leur mobilisation dans des contextes différents. Et les auteurs6 insistent sur les
différences entre la résolution de problèmes techniques et celle de problèmes
relationnels (résoudre les premiers ne garantit pas le fait de pouvoir résoudre les
seconds !).
Enfin le dernier objet, peut-être l’essentiel, est exprimé ainsi : « une des principales
dérivées de l’approche par compétences est la relégation des savoirs au rayon des
garnitures intellectuelles »7.
Résumons nos observations
Produite par les instances internationales puis reprise par les Etats, la notion de
compétence clé entend traduire l’exigence de culture que chaque citoyen doit
s’approprier pour évoluer dans la société actuelle, souvent qualifiée de « société de la
connaissance ».
Cette exigence s’élabore au travers de compétences qui permettent aux personnes de
comprendre et d’agir dans un univers complexe.
Elle fait l’objet au sein des chercheurs de débats théoriques et méthodologiques qui
l’opposent à l’approche plus classique des contenus à transmettre.
Aujourd’hui, parmi les formateurs, certains arguments sont repris et d’autres avancés,
qui traduisent une perplexité devant l’action. Quels sont ces arguments ?
Nous pouvons les classer en trois catégories.
-
6
7
Pour certains, les compétences clés sont les habits nouveaux des savoirs ou des
compétences de base, en un mot, une version new look de la fameuse trilogie du
« lire, écrire, compter » avec son vernis de culture numérique (utiliser l’ordinateur
et internet). Rien de neuf donc sous le soleil ! Complémentairement, des
positions insistent sur un discours patronal qui gagnerait du terrain, d’autres
considèrent que certaines de ces compétences clés sont de l’ordre du bon sens
et donc, même sans se l’avouer relèveraient de l’inné (ce qui exclurait
l’intervention de la formation : apprend-on aux gens à respirer ?) ; enfin le choix
même des compétences clés, leur formulation est objet de remarques en
regrettant qu’il n’ait pas été effectué de façon transparente (ah, l’anonymat des
experts qui ont conseillé la communauté européenne).
Notamment, Bernard Rey, « Les compétences, oui, mais ce qui compte, c’est de faire apprendre »
M Crahay, « Dangers, incertitudes et incomplétudes de la logique de la compétence en éducation » Revue
française de pédagogie, n°154, 2006, p.97-110
Cafoc de Nantes – page 8
-
Pour d’autres, les compétences clés, c’est la traduction moderne des approches
disciplinaires fondatrices. Le « français », c’est maintenant la communication
dans sa langue maternelle, la « Vie sociale et professionnelle », les
compétences sociales et civiques, « l’art appliqué », la sensibilité culturelle. Il
s’agit là d’un processus d’assimilation décrit par Jean Piaget, qui vise à agir sur
l’environnement, à transformer l’inconnu en connu pour pouvoir le traiter. Ces
acteurs ne nient pas l’évolution mais pour la traiter la réfèrent à ce qu’ils réalisent
déjà.
-
D’autres acteurs, enfin, considèrent qu’il s’agit d’une transformation radicale, une
nouvelle façon de faire mais qu’elle pose beaucoup de problèmes, de différents
ordres.
Cafoc de Nantes – page 9
3. Un problème reconnu par tous mais des solutions qui requièrent
l’innovation
Si de tout temps l’éducation s’est donnée pour mission de transmettre des
connaissances avec l’ambition de doter les individus d’outils intellectuels qui leur soient
profitables dans leur vie professionnelle, personnelle et citoyenne, nombreux sont les
observations qui montrent qu’elle ne joue pas pleinement son rôle. Que l’on se réfère
au nombre de jeunes sortant du système sans qualification ou au fait que pour de
nombreux jeunes les connaissances sont des idées « inertes », vides de sens. On peut
parler de fossilisation des savoirs quand ceux-ci ne sont pas rattachés à des situations
ou à des problèmes, qu’ils apparaissent utiles pour répondre aux questions scolaires
mais pas à celles de la vie. Plus préoccupant, des recherches8 révèlent que des jeunes
développent des réflexions personnelles en rupture avec l’éducation qu’ils reçoivent. Ils
disposeraient d’un double répertoire de connaissances, celles acquises à l’école et
celles qu’ils se sont construits de façon autonome ou en interaction avec leurs pairs. Ce
second répertoire serait plus ancré, mieux assimilé mais en décalage avec les
conceptions scientifiques.
Une perspective nouvelle
Au CAFOC de Nantes, nous pensons que les compétences clés exigent une
transformation des pratiques et qu’elles requièrent de mobiliser un processus
d’accommodation, c'est-à-dire de changement pour intégrer cette nouveauté. Nous
identifions trois enjeux majeurs.
Le premier relève de l’ingénierie pédagogique. Si l’on peut enseigner des savoirs (et
nos institutions sont fondées pour cela) en les didactisant, on ne peut développer des
compétences qu’en proposant des situations qui les mobilisent. Rappelons des
évidences. Il est utile de connaître les mouvements de la brasse pour nager mais cet
apprentissage ne peut se réaliser qu’en nageant. Si le savoir est utile, l’action est
indispensable pour développer la compétence. Certains objecteront que l’Ecole ne
forme pas que des incapables. C’est vrai et heureusement mais elle fonctionne sur la
base de la séparation des éléments (les disciplines) laissant le plus souvent à l’individu
le soin de faire la synthèse en dehors de la formation. Ces compétences clés nous
imposent de rompre avec une façon classique de concevoir la formation, celle
structurée par les disciplines qu’elles soient scolaires ou universitaires. Parce que les
compétences se réfèrent à des situations sociales, professionnelles ou personnelles,
elles nécessitent d’être développées en formation à partir, non pas de simples
exercices de reproduction ou d’application, mais d’activités qui mobilisent des savoirs et
des techniques « en situation ». Dès lors, les savoirs ne sont non plus une fin en soi ou
une condition pour accéder à un niveau supérieur de formation mais des ressources
utiles pour traiter des situations variées.
8
Notamment les travaux de Vergnaud, « L’enfant, la mathématique et la réalité » ou de Viennot, « Le raisonnement
spontané en dynamique élémentaire »
Cafoc de Nantes – page 10
Cette approche impose de construire les activités d’apprentissage en s’appuyant sur
des situations choisies pour l’étendue de leur complexité et de définir les compétences
dans toutes leurs dimensions, c’est-à-dire en faisant émerger de la manière la plus
exhaustive qui soit l’ensemble de leurs ingrédients composites comme autant d’objets
d’apprentissage : les outils cognitifs mobilisés, les modes de raisonnement, les
concepts, méthodes, savoirs ou attitudes…
Le second relève de la relation et de l’animation pédagogiques. En effet, développer
des compétences requiert la mise en œuvre d’une posture, de démarches et de
questionnements très différents de ceux requis par la transmission des savoirs. Il s’agit
moins d’interroger (au sens où l’on veut vérifier une donnée) que de questionner pour
découvrir une façon de procéder. Il s’agit moins de fournir des informations en amont
que d’engager une réflexion sur l’action réalisée. Il s’agit moins de contrôler un résultat
que d’évaluer un processus. Le formateur est moins un transmetteur qu’un médiateur
des apprentissages.
Cet enjeu requiert de la part des formateurs un professionnalisme avéré qui dépasse le
bon sens pratique pour fonder l’usage de techniques spécifiques. Le courant de
l’éducabilité cognitive offre ces techniques qu’il s’agit aujourd’hui de déployer dans un
cadre nouveau.
Enfin le troisième enjeu traite de l’ingénierie des dispositifs. En effet, pour développer
ces compétences, il est indispensable de penser l’organisation en cohérence avec ces
apprentissages. Cette conviction prend appui sur les observations que nous réalisons
lors de nos interventions à propos des dispositifs et des pratiques déployés au sein des
organismes. Un exemple parlant : dans l’organisme X doté d’un centre de ressources
bien documenté, les ressources sont disposées dans les armoires non accessibles aux
personnes sans autorisation. Les formateurs limitent au maximum les déplacements au
nom de la concentration nécessaire et insistent beaucoup sur le caractère individuel
des évaluations. Bien évidemment des apprentissages s’effectuent dans un tel
contexte, mais la question à se poser est celle du lien entre ces éléments descriptifs et
les visées pédagogiques poursuivies réellement au-delà des intentions et des
déclarations. C’est la raison pour laquelle nous prônons des organisations
autonomisantes qui soient cohérentes avec les compétences qu’elles entendent
développer. La détermination des activités, des règles qui régissent les relations, la
disposition des lieux, la planification des temps sont autant d’éléments à travailler pour
développer la communication, la coopération, l’esprit d’initiative ou la sensibilité
culturelle.
Un puissant levier pour réconcilier les publics et l’acte d’apprendre
Depuis Pierre Bourdieu, nous savons que pour certains publics, le savoir est un moyen
de distinction sociale alors que pour d’autres, il est vecteur d’exclusion. Penser la
formation par rapport aux situations à traiter, quels que soient les champs dans lesquels
elles s’inscrivent, c’est offrir une nouvelle perspective de motivation pour acquérir les
ressources indispensables pour participer avec lucidité au monde qui nous entoure.
Oui, mais diront certains, voilà une conception bien utilitariste des savoirs, bien
réductrice des connaissances à l’utilité immédiate de l’action. L’argument a du poids, il
ne faut pas le nier à une période où certains ne sont préoccupés que par le court terme
et la rentabilité immédiate.
Cafoc de Nantes – page 11
Pour nous, penser en termes de situations, les articuler aux compétences ne dit rien du
chemin à parcourir, du comment faire. Au contraire d’une approche réductrice et
utilitariste, nous pensons que l’approche par les compétences doit être fondée sur deux
paramètres :
- une conception ouverte des situations, celle qui conjuguent des situations à
l’action et des situations qui interrogent la compréhension,
- une articulation entre action et réflexion, entre le faire et la réflexion sur le faire
pour en identifier les principes, les limites et les questions posées.
L’approche compétence sera ce que les acteurs de la formation en feront. Opter pour
une approche réductrice et utilitariste consisterait à simplifier les situations choisies et à
réduire à leur portion congrue les compétences. Il incombe au contraire aux acteurs de
la formation d’une part de scruter des situations mobilisant particulièrement telle ou telle
compétence clé et d’autre part de ne négliger aucun de ses constituants. C’est à ces
deux conditions que les formateurs pourront construire des activités d’apprentissage
permettant le développement de la compétence telle que nous l’avons définie.
Des défis à relever
Les appels d’offres comme les discours se multipliant à propos des compétences clés,
nous constatons que les interprétations sont de plus en plus restrictives :
- se centrer sur les quatre premières compétences et occulter les quatre dernières,
- limiter les publics concernés aux personnes sans qualification ou de très faible
niveau,
- réduire les compétences clés aux savoirs de base et donc à des aspects
techniques (grammaire, opérations mathématiques, …),
- considérer le champ du travail comme exclusif, en supprimant les champs
sociaux et personnels,
- confondre la compétence « apprendre à apprendre » avec une modalité
pédagogique « auto-formation guidée ».
Quant aux pratiques déployées, si certains formateurs et organismes se sont lancés
dans l’innovation, beaucoup, légitimés par les interprétations ci-dessus, reproduisent
l’approche disciplinaire et considèrent que transmettre des savoirs et développer des
compétences, c’est la même chose !
Développer ces compétences nécessite d’engager une rupture épistémologique et de
considérer que les dispositifs, pratiques et outils d’hier ne sont pas les plus appropriés
pour répondre aux défis d’aujourd’hui. Mieux comprendre comment les adultes
mobilisent des ressources en fonction de l’analyse de situations à laquelle ils procèdent,
mieux comprendre les difficultés et leurs erreurs est une nécessité pour tous. C’est
aujourd’hui un défi à relever.
Un travail d’ingénierie est indispensable pour décliner les huit domaines de
compétences, produire un référentiel opérationnel et construire les situations qui
permettent d’explorer la compétence dans toutes ses dimensions et à différents niveaux
d’exigence.
Cafoc de Nantes – page 12
Un travail sur la relation pédagogique est également à conduire pour centrer les
interactions sur l’action et son analyse.
Enfin, et simultanément, il s’agira de reconsidérer les organisations actuelles pour les
rendre autonomisantes.
Pour relever ces défis, tous les organismes ont des atouts et des points faibles. Pour
les uns, la centration sur la personne, la pédagogie active devraient être conjuguées
avec une maîtrise accrue des didactiques. Pour les autres, cette maîtrise des
didactiques doit être, non plus une fin en soi, mais être mise au service du
développement des compétences individuelles et collectives.
Le changement est un « formidable processus à se poser des questions ». A chacun de
s’en emparer individuellement et collectivement.
Pour le CAFOC de Nantes
Jean-Paul MARTIN
Encart
Savoirs de base, compétences clés : quelles articulations ?
Bien évidemment, ces expressions ne sont pas étrangères l’une à l’autre mais elles ne
sont pas synonymiques. La lutte contre l’illettrisme a longtemps fait référence aux
« savoirs de base » en insistant sur les apprentissages techniques à faire réaliser aux
personnes, en matière de décodage des écrits, de formulation des idées, d’utilisation
des opérations mathématiques. Ces savoirs sont indispensables mais ils ne sont qu’un
élément constitutif de certains domaines des compétences clés.
Prenons deux exemples.
Le domaine de compétence mathématique comprend « une bonne connaissance des
nombres, des mesures et des structures, des opérations fondamentales, … » pour
« résoudre divers problèmes de la vie quotidienne ». Il doit développer « une attitude
positive qui repose sur le respect de la vérité et sur la volonté de trouver des arguments
et d’en évaluer la validité ».
Le domaine de compétence « Communication dans la langue maternelle », inclut « la
connaissance du vocabulaire, d’une grammaire fonctionnelle et des mécanismes
langagiers » pour avoir des « interactions linguistiques appropriées et créatives dans
toutes les situations de la vie sociale et culturelle, dans l’éducation et la formation, au
travail, à la maison et pendant les loisirs ».
Deux lectures restrictives sont possibles : la première, la plus répandue est de réduire
et/ou de confondre la compétence aux savoirs qu’elle mobilise ; la seconde serait de
développer la compétence en minimisant les ressources qu’elle requiert.
Cafoc de Nantes – page 13
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