I. Les français face aux contraintes matérielles.

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Histoire politique
De la France
Au XXème siècle
IEP 1ère année / MMIII – MMIV
2ème Semestre
Chapitre 3 : La société française des années noires
Quelle a été l’attitude des français sous le régime de Vichy ? On va étudier trois éléments dans ce
chapitre : l’adaptation des français à une situation matérielle de plus en plus dégradée (1) ; l’attitude
vis-à-vis de la révolution nationale (2) ; et enfin la situation des populations exclues et internées (3).
I. Les français face aux contraintes matérielles.
A. Le poids des difficultés quotidiennes
Après le traumatisme de la défaite, l'armistice ne signifie pas un retour à une vie normale. La division
du pays en différentes zones (libre, occupée, interdite) pose problème ; des familles dispersées par
l'exode se retrouvent séparées. Il y a également le problème du maintien d'un million et demi de
prisonniers de guerre en Allemagne, ce qui génère des difficultés pour les familles.
L'économie française a été totalement ravagée après 1940. Après la rupture avec la GrandeBretagne, est instauré un blocus maritime qui empêche également le ravitaillement de la France par
son empire, ravitaillement déjà limité par l'armistice. C'est environ 15 % des approvisionnements
extérieurs qui disparaissent. L'économie est également pillée par l'occupant, qui avait un pouvoir
d'achat très fort grâce aux frais d'occupation et aux taux de change imposés, favorable au mark. C'est
ainsi que 15 à 20 % de la production française est détournée vers l'Allemagne. Le rationnement se
généralise à partir de l'automne 1940. Il concerne la nourriture mais aussi le tabac, le vin, les
vêtements, le chauffage. Pour accéder à ces produits, les français vont se voir distribuer des cartes de
rationnement. Chaque mois, les portions allouées à chaque catégorie d'ayants droits sans revues, et
toujours à la baisse. En septembre 1940, la ration de viande était de 360 grammes par semaine ; en
avril 1943, elle était de 120 grammes par semaine. Le carburant est réservé pour certaines
catégories, c'est-à-dire seulement pour les fonctionnaires, les médecins etc... Vichy met également en
place un appareil directeur de l'économie, cet appareil est de plus en plus lourd au fur et à mesure
que le rationnement s'accroît.
On assiste à une forte augmentation du poids des ministères techniques. Le ministère de l'industrie
passe d'une dizaine de fonctionnaires à plusieurs milliers. Dans chaque secteur économique, on met
en place des comités d'organisation. Ce sont des structures nouvelles d'un genre hybride, regroupant
à la fois des représentants de l'administration et du secteur privé. À la tête de ces comités : un
directeur nommé par l'état et un président issu du secteur privé. Ces comités répartissent les matières
premières entre les membres de la profession ainsi que l'énergie. Il surveille par ailleurs l'écoulement
de leur production. Pour les technocrates de Vichy, ce système est censé rationaliser l'économie et
est prévu pour durer dans l'après-guerre, ce qui sera le cas d'ailleurs.
Les campagnes semblent avoir été les moins touchées par le rationnement. L'agriculture vivrière est
encore forte, et on consomme pour l'essentiel les produits de la ferme. Dans les régions de
monoculture, comme le Languedoc par exemple, le monde rural est, comme les citadins, confronté
aux restrictions. Néanmoins, les agriculteurs manquent d'engrais et de carburant, ce qui provoque un
retour vers une agriculture très traditionnelle et manuelle dans certaines régions. Il existait également
des liens entre les campagnes et les villes ; on peut citer l'exemple des milliers de colis familiaux
envoyés de la campagne vers les villes.
On assiste aussi au développement de circuits parallèles : le marché noir. On retrouve sous cette
dénomination des situations très différentes : c'est le retour à une économie de troc dans le cadre de
solidarités familiales ou professionnelles, on la surnomme alors « le marché gris ». À côté de ces
marchés gris on va trouver des trafics plus organisés qui vont essayer de tirer profit de la situation de
pénurie. En 1943,1 kilo de beurre coûtait 43 FF sur le marché officiel. Sur le marché gris, ce même
kilo coûtait 70 FF le kilo, et sur le marché noir des villes 110 FF le kilo. Toutes ces pratiques
Histoire politique de la France au XXème siècle – Chapitre 3 : La société française des années noires.
entraînent des inégalités dans la société française, entre ceux qui disposent des produits, ceux qui ont
des revenus importants et puis ceux qui n'ont aucun des deux (ouvriers, retraités, fonctionnaires...). La
dégradation de la qualité de vie est proportionnelle au pillage de l'économie par l'occupant. La zone
sud est la moins touchée tandis que ce sont les régions de la zone interdite dans le nord-est, dont les
mines et usines sont intégrées dans l'appareil allemand, et dont une partie de la population est
envoyée en Allemagne pour travailler dès 1940, qui est la plus touchée. À cela, il faut ajouter pour ces
régions la crainte d'une annexion à l'Allemagne. Cette détresse morale se retrouve également chez
les prisonniers de guerre, qui sont 1 500 000 en Allemagne. Certains parviennent à s’échapper,
surtout dans les premières semaines, d'autres reviendront dans le cadre des échanges et de la
politique de la relève. Mais un million d'entre eux resteront prisonnier jusqu'en mai 1945. L'âge moyen
de ces prisonniers est de 30 ans. La moitié sont mariés, et le quart son père de famille. Ils sont
répartis sur tout le territoire allemand. Les officiers sont détenus dans des Oflag, et ne travaillent pas
conformément aux Conventions de Genève, tandis que les sous-officiers et soldats sont dans des
Oflag et sont intégrés dans des commandos de travail qui servent l’Etat nazi. L'évolution politique de
cette population est parallèle à celle de la société française. Au début, les soldats étaient favorables
au maréchal Pétain, ils ont créé des cercles Pétain dans les camps de prisonniers, cercles qui vont
disparaître vers 1942.
En France, la mortalité croit fortement pendant cette période, le taux de mortalité qui était de 15 pour
mille passa à dix-sept pour mille. Et ce sont surtout les populations les plus fragiles qui sont bien sûr
les plus touchées. Le taux de mortalité connaît également une inflation notable, il passe 68 pour mille
en 1940 à 115 pour mille en 1944. L'espérance de vie passe de 56 à 51 ans dans la même période.
La France n’a certes pas connu ce qu'ont connu la Pologne ou la Yougoslavie, mais elle sort quand
même affaiblie de la guerre sur le plan sanitaire. A l’occasion de la première conscription d'aprèsguerre, en 1945, 33% des conscrits sont déclarés inaptes pour cause sanitaire. Mais c'est également
pendant cette période, à partir de 1943, que la natalité reprend, ce qui va provoquer le baby-boom de
l’après-guerre. Avant 1940, les décès étaient plus importants que les naissances, la tendance
s’inverse à partir de 1942, où il y a 576 000 naissances, et en 1944 il y en a 630 000. Ce nombre de
naissances se stabilise ensuite aux alentours de 800 000 naissances par an à la fin des années 40.
Certains y voient le succès des politiques natalistes, et favorable à la famille, qui ont notamment été
reprises par Vichy. D'autres y voit un « instinct de survie » de populations menacées de disparaître.
Ce phénomène concerne par ailleurs tous les pays du nord-ouest de l'Europe, y compris la GrandeBretagne et la Suède, qui est neutre.
B. Les évasions culturelles dans les années noires.
La vie culturelle est un des paradoxes de cette période. Malgré la morosité de la vie quotidienne et les
nombreuses entraves à la liberté, la vie culturelle reste brillante et les Français sont avides de
consommation culturelle, notamment de livres (la fréquentation des bibliothèques a doublée à Paris
entre 1938 et 1942). Les livres deviennent ainsi très recherchés, mais le théâtre également connaît un
succès important dans cette période. La saison 1943-1944 accueille 800 000 spectateurs à Paris. Les
grands auteurs sont toujours joués pendant cette période : Guitry, Claudel... Mais aussi une nouvelle
génération apparaît : Sartre, Camus, Anouilh... On joue des pièces célèbres comme « les mouches »,
«huis clos », « malentendu », « Antigone ». Néanmoins, le cinéma reste l'activité culturelle préférée
des Français. En 1938, on a comptabilisé 220 millions de places vendues. En 1940, on en a vendu
300 millions, et 340 millions en 1943 (il faut noter que les salles étaient chauffées...). Comme toutes
les activités culturelles de l'époque, le cinéma est touché par les restrictions. Moins de 50 films sont
produits par an sous l'occupation en France. Aux contraintes matérielles s'ajoutent d'ailleurs des
contraintes politiques. Vichy a organisé une commission qui répartit les fonds et veille au respect de la
législation, notamment du Statut des juifs. En zone nord, les films anglo-saxons sont interdits, et
l'occupant crée une maison de production allemande : la Continental, qui noyaute le cinéma français
et prend la place du cinéma anglo-saxon. On trouve dans beaucoup de films des éléments de la
révolution nationale, comme par exemple dans « la fille du puisatier » de Pagnol, dans lequel les
discours de juin du maréchal Pétain fait l'objet d'une scène. Les films de Pagnol sont par ailleurs
également favorables à la campagne et aux politiques natalistes, mais ces thèmes trouvaient déjà leur
place dans les films de Pagnol avant-guerre.
La majorité des films vont occulter la réalité. En général, la guerre, les privations et l'environnement
international sont absents des oeuvres cinématographiques. On peut prendre pour exemple le succès
des « visiteurs du soir » en 1942, de Marcel Carné sur un scénario de Jacques Prévert, où il y a
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Histoire politique de la France au XXème siècle – Chapitre 3 : La société française des années noires.
aucune référence à la situation, même si après-guerre on a fait des relectures... Les allusions au
contexte sont parfois également involontaires, c'est l'exemple du film « le Corbeau » de Clouzot, dans
le script, traitant d'un village où sévit un mystérieux délateur, avait été écrit en 1937, film qui déplaît et
prend un tout autre sens dans un contexte de délation généralisée au cours de ces années noires.
Si les activités culturelles permettent l’évasion de cette période particulièrement sombre, l'expression
est également un moyen de refus et de contestation, comme le montre l'expansion du jazz dans ces
années, musique dénoncée par Vichy. On retrouve également des critiques politiques dans des
revues culturelles qui font entendre une autre voix que celle de la révolution nationale. C'est l'exemple
du journal culturel « Confluence » à Lyon qui publie les poèmes d'Aragon, ou du journal « Fontaine »
publié à Alger sous la responsabilité de Fouchet, qui publie son premier éditorial en 1940 dans lequel
il dit que la France n'a pas renoncé à son passé, et qui publient les poèmes de Paul Eluard,
notamment « Liberté ».
II. L'attitude des Français face à l'ordre nouveau.
A. La politique intérieure : les Français et la révolution nationale.
1) Les soutiens organisés.
On peut ici se référer à l'ouvrage d'Henri Amouroux : « 40 millions de pétainistes ». Ce titre a été
largement discuté par les historiens, et même critiqué, parce que même si le régime a fait un
consensus assez large, il n'y a jamais eu 40 millions de pétainistes ; d'ailleurs, la définition de
pétainistes est imprécise. Pierre Laborie, auteur de « L'opinion publique sous Vichy » propose de faire
la distinction entre maréchalisme et pétainisme. Le maréchalisme, c'est l'adhésion au vainqueur de
Verdun et au dernier des grands maréchaux de la grande guerre ; ce serait une confiance plus
sentimentale que politique. Les manifestations de ce maréchalisme se trouvent dans de nombreuses
lettres et dessins d'enfants retrouvés dans les papiers du maréchal. Mais tous les maréchalistes ne
sont pas pétainistes, ni favorables à la révolution nationale. Ce qu'ils veulent, c'est une vie normale et
non pas un ordre nouveau. Ils restent attachés à la république. Les pétainistes eux sont partisans de
la révolution nationale et de l'ordre nouveau. Les pétainistes correspondraient au noyau dur des
fidèles. D'autres historiens parlent de pétainistes actifs ou passifs, mais au fond, c’est la même
distinction.
Pour étudier le pétainisme, on va étudier les institutions politiques sous Vichy, et notamment les
conseils institués pour diffuser la révolution nationale. Il s'agit : du conseil national, des commissions
administratives départementales, et des conseils municipaux des communes de plus de 2 000
habitants, qui sont tous nommés par le régime. Quelle est la sociologie de ces pétainistes, quels
Français ont accepté de participer ?
On peut étudier la provenance des différents conseils des élites traditionnelles de la France. En 1940,
Pétain n'avait pas voulu quitter le territoire français pour ne pas priver le peuple de ses « défenseurs
naturels ». On retrouve dans ces assemblées nommées par le pouvoir central ces « défenseurs
naturels », c'est-à-dire des notables, de grands propriétaires ruraux pour les compagnies, des
professions libérales (médecins, pharmaciens, notaires...), des gens qui avaient une influence locale
avant-guerre, des battus du suffrage universel qui vont prendre leur revanche sur les élections
d'avant-guerre. On y retrouve aussi des chefs d'entreprise effrayés par le Front populaire de 1936. À
côté de ces pétainisme conservateurs, on peut noter le ralliement de certains partisans de gauche,
comme des instituteurs. On retrouve chez ces notables de gauche souvent un pacifisme d'anciens
combattants, favorable au discours d'Aristide Briand et anticommunistes... On peut citer comme
exemple Spinasse, maire d’Egleton, ministre sous le Front populaire, qui a voté les pleins pouvoirs à
Pétain, et qui est confirmé dans son poste à la tête de la mairie par Vichy. Il était ancien combattant,
pacifiste et anticommuniste ; il est un de ceux qui ont passé le pied à l'étrier à Jacques Chirac au
niveau local, lors de ses premières élections locales en Corrèze.
On peut aussi s'intéresser à la légion française des combattants, instaurée en août 1940 pour
assembler les anciens combattants des deux guerres. Ce mouvement est interdit en zone occupée,
mais il se développe largement en zone libre et dans l'empire. C'est une structure très hiérarchisée et
dirigée par un directoire national à Vichy, dont le directeur était entre 1940 et 1942 François Valentin.
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Histoire politique de la France au XXème siècle – Chapitre 3 : La société française des années noires.
Au niveau départemental, il y a des comités départementaux, et il y a également 10 000 sections
locales, qui quadrillent la zone sud. À l'origine, le recrutement de la légion était limité aux anciens
combattants, mais Vichy, en 1941, ouvre le recrutement aux volontaires de la révolution nationale ; ce
sont tous ceux qui se reconnaissent en ce régime même s'ils ne sont pas anciens combattants.
Cette étude sur la légion a été menée notamment par Paul Cointet. Son étude s'est surtout
concentrée sur l'élite, et notamment les 600 membres des comités départementaux. Du point de vue
sociologique, on peut noter une surreprésentation de la moyenne bourgeoisie. 60 % des membres
des ces élites légionnaires sont des propriétaires fonciers, membre de professions libérales ou de
petits commerçants. 40 % sont des fonctionnaires, les enseignants ou des salariés. Du point de vue
politique, ce personnel dirigeant de la légion est issu à 40 % de la droite conservatrice, à 15 % de la
droite libérale, à 18 % de la gauche radicale ou socialiste, et pour le reste, ils n'avaient pas
d'engagements avant-guerre. Cette répartition varie néanmoins selon les départements.
La base légionnaire est issue d'un recrutement de masse. Il y a environ 915 000 membres pour les
anciens combattants et 235 000 membres pour les volontaires à partir de 1941. La légion représente
environ 25 % de la population masculine adulte, soit un adulte sur quatre qui a rejoint ce mouvement
en zone libre. En Haute-Savoie, ce pourcentage de 42 %, il est de 39 % dans les Alpes-Maritimes, à
Alger ou à Oran. La légion est une institution puissante qui dispose d'un budget important, issu des
cotisations des membres mais aussi des subventions de Vichy. Entre 1940 et 1942, la légion est le
principal organe de propagande. Le 29 août 1941, elle fête son premier anniversaire, et c'est alors une
véritable fête nationale. La légion entend soumettre l'opinion publique, et elle se donne le droit de
contrôler l'administration, ce qui provoque de nombreux conflits avec l'administration préfectorale. À
partir de 1942, on assiste à une évolution contradictoire dans cette institution : en effet, les éléments
les plus modérés se retirent de la légion tandis qu’il y a un durcissement des partisans les plus
fervents du régime, et qui vont constituer une élite combattante : le service d'ordre légionnaire institué
en février 1942. C’est Joseph Darnand qui est nommé à la tête de ce service d'ordre. Il a notamment
milité dans un grand nombre de mouvements d'extrême droite. C'est de ce service d'ordre légionnaire
que sortira la milice, qui deviendra complètement indépendante de la légion.
2) Les soutiens spontanés : le soutien catholique.
L'église catholique a pendant longtemps apporté un soutien enthousiaste à Pétain et à la révolution
nationale. Cette attitude s'explique notamment par la doctrine de la soumission aux pouvoirs établis.
L'église catholique de France avait accepté bon gré mal gré les différents régimes au cours du XIXe
siècle, même si elle avait connu de gros problème avec la IIIe République, ce qui a eu pour
conséquence la séparation de l’Eglise et de l'Etat en 1905. Après 1918, les relations se normalisent
toutefois. Avec le régime de Vichy, ces relations se renforcent. L'église va prendre part aux louanges
faites au maréchal Pétain ; monseigneur Gerlier, évêque de Lyon, dira : « Pétain, c'est la France, et la
France aujourd'hui, c'est Pétain ». L'église apparaît pétainiste et apparaît adhérer à la révolution
nationale, mais elle semble également adhérer à l'idéologie de la révolution nationale, surtout en ce
qui concerne l'explication de la défaite par l'esprit de jouissance que la France doit expier par la
souffrance. C'est un des leitmotivs du discours pétainiste, et il plait beaucoup à l'église. Beaucoup de
catholiques se retrouvent par ailleurs dans la devise : « travail, famille, patrie ». Le discours social de
refus de la lutte des classes et du corporatisme ce qui rejoint la doctrine sociale de l'église. Celle-ci
espère également pouvoir profiter du nouveau régime pour en tirer les avantages que la IIIe
République lui avait refusés, notamment en ce qui concerne l'enseignement catholique. L'église va sur
ce point obtenir plusieurs satisfactions. Jacques Chevalier, ministre de l'éducation, va rendre aux
congrégations le droit d'enseigner, droit qui leur avait été retiré en 1904. Chevalier étudie également
les possibilités d'un enseignement religieux facultatif à l'école publique et annonce également des
subventions aux écoles privées. Son successeur, Jérôme Carcopino, est beaucoup plus nuancé, et
supprime notamment l'enseignement religieux, même facultatif, à l'école publique. La période 19401941 est un âge d’or pour les relations entre l'église catholique et le nouveau régime. D'ailleurs, en
août 1941, l'assemblée des évêques et des cardinaux rédige une lettre de soutien au régime, dans
laquelle ils expriment leur volonté de loyalisme envers lui, tout en précisant toutefois qu’ils ne veulent
pas lui être inféodé.
Après cette première période 1940-1942 où les relations sont au beau fixe, il faut souligner des
divergences. L'église n'accepte pas le principe d'un état autoritaire et il va y avoir des points de
désaccord, notamment sur le social : en octobre 1941, Vichy rédige une charte du travail qui prévoit la
mise en place d'un syndicat unique et obligatoire ce qui supposait la suppression de la CFTC
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Histoire politique de la France au XXème siècle – Chapitre 3 : La société française des années noires.
(syndicat chrétien). L'église va protester contre ce syndicalisme unique et obligatoire. L'assemblée
des cardinaux et des archevêques de France proclame son adhésion au pluralisme syndical tout
comme à la CFTC. Le même problème se pose pour les mouvements de jeunesse, l'église disposait
de nombreux mouvements, dont, entre autres, le scoutisme catholique. L'église catholique disposait
également d'organismes pour encadrer la jeunesse étudiante, ouvrières et agricoles regroupées dans
la CJF. Avec Vichy, ces mouvements sont censés passés sous le contrôle du commissariat général à
la jeunesse qui doit agrémenter ces mouvements, contrôler la formation des cadres en conformité
avec la révolution nationale. Les plus durs du régime veulent fondre ces différents mouvements dans
un seul mouvement de jeunesse. Cette perspective provoque l'opposition de l'église catholique qui
refuse la subordination de ses mouvements de jeunesse. L'entourage du maréchal sent cette
réticence et abandonnera l'idée de jeunesse unique pour parler de jeunesse unie.
Un autre point de divergence est le service du travail obligatoire établi en 1943 et qui oblige les
français à aller travailler en Allemagne. Vichy souhaitait que l'église encourage les jeunes catholiques
à effectuer ce STO. Mais l'église décevra ces attentes : il n'y a pas, selon elle, de devoir moral d'aller
travailler en Allemagne.
Sur tous ces points, l'église s'est exprimée de façon publique avec des textes, la plupart du temps pris
par les assemblées des cardinaux et des archevêques de France. Mais il n'y aura pas de prise de
position officielle et collective face au « Statut des Juifs », et elle calque en cela son attitude sur le
Vatican. Lors des grandes rafles de 1942 il n'y aura pas non plus de déclarations officielles, même si
six évêques Font part de leur indignation personnelle dans leur diocèse. C'est notamment le cas à
Toulouse, avec monseigneur Saliège, à Montauban, avec monseigneur Théas et à Lyon avec
monseigneur Gerlier. Cette protestation individuelle a provoqué l'entrée en résistance de nombre de
catholiques à cette date. On peut ainsi citer l'organe de presse « cahiers du témoignage chrétien »
fondé en 1941 à Lyon par le père Chevalier qui s'oppose au nazisme. On trouve aussi des catholiques
issus de la démocratie chrétienne dans les mouvements de résistance, c'est notamment le cas de
Georges Bidault, successeur de Jean Moulin à la tête du CNR. Ces démocrates-chrétiens fonderont
après-guerre le MRP, mais malgré ces actions, l'image de l'église d'après-guerre est entachée par
cette collaboration avec Vichy.
B. Les français face à la collaboration.
On peut s'appuyer sur l'ouvrage « la France à l’heure allemande » de Philippe Burrin. Ce titre signifie
que les français ont du passer à l’heure allemande mais aussi collaborer... Pour le plus grand nombre
de français, il y a un accommodement contraint face à l'occupant et face à Vichy. C'est une
soumission non choisie, à laquelle on ne peut échapper. On peut aussi se référer à la nouvelle de
Vercors : « le silence de la mer », publiée aux éditions de minuit, nouvelle dans laquelle Vercors
encourage les français à éviter tout contact avec les forces d'occupation. L'écrivain Jean Guéhenno
note dans son journal qu'il va jusqu'à refuser de croiser le regard des occupants. Un écrivain
allemand, Jünger, officier stationné à Paris a remarqué ce refus de contacts visuels, et a écrit : « Paris
est une ville sans regard ».
Une partie de la population va néanmoins passer de l'accommodation contrainte à l’accommodation
d'opportunité. Là encore, il y a plusieurs gradations, cela va du choix de l'allemand comme première
langue (à la veille de la guerre, l'allemand était choisi comme première langue par un tiers des
familles, entre 1942 et 1944 ce sera aux deux tiers) ; les expositions de propagande allemande ne
sont pas boycottées (« Le Juif et la France » recevra près de 200 000 visiteurs).
De cette accommodation d'opportunité, on passe à la collaboration encouragée par Vichy et amorcée
par le maréchal Pétain en 1940. Cette collaboration prend diverses formes dans la société française :
(1) la collaboration économique ; (2) la collaboration intellectuelle ; (3) les partis et mouvements de la
collaboration.
1) La collaboration économique.
Il y a trois niveaux de collaboration différente.
Parmi les responsables de l'économie dirigée, dans le cadre des comités d'organisation de
l'économie, on est à la limite de la collaboration d'état et de la collaboration privée. Ces comités
regroupent un commissaire d'état et différents industriels. La collaboration économique passe d'abord
par un échange d'expérience avec l'Allemagne, qui pratique l'économie dirigée depuis plus longtemps.
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Histoire politique de la France au XXème siècle – Chapitre 3 : La société française des années noires.
Les responsables français de ces comités vont en Allemagne pour apprendre plus. Ensuite, il y aura
des commandes allemandes. En 1943, les responsables du troisième Reich décident de transférer
vers les pays occupés les productions civiles, l'Allemagne devant se concentrer sur son effort de
guerre. Un certain nombre de responsables vont profiter de cette opportunité. C'est notamment le cas
de Pierre Pucheu, président du comité économique de l'industrie mécanique, favorable à cette
collaboration, selon lui une chance pour les travailleurs et l'économie française qui pourra ainsi se
reconstruire. Des accords de branche sont signés, notamment dans le domaine de l’aviation où les
allemands récupèrent les parts d'action anglaise. Les accords sont également signés dans le secteur
automobile avec François Lehideux, président du comité d'organisation du secteur automobile, le
neveu de Peugeot. Dans certains secteurs, la collaboration va jusqu'à la fusion et la constitution de
groupes franco-allemands. Toutes les sociétés françaises vont ainsi être regroupées dans le domaine
des colorants en une société : la Francolor, contrôlée à 51 % par IG-Farben, société allemande.
Au niveau des chefs d'entreprise eux-mêmes, des politiques de collaborations vont être mises en
place. C'est une logique d'entreprise qui l'emporte ici. Elle est marquée par une volonté de relancer
l'économie et d'assurer l'avenir en cas de victoire allemande. Certains vont accepter des commandes
allemandes, d'autres vont les solliciter... Tous les secteurs ne sont pas touchés de la même façon :
des comités houliers n’ont pas à collaborer : les sociétés pouvaient écouler leurs productions sur le
marché intérieur. Dans le secteur de la métallurgie, les carnets de commandes sont vides, mais il y a
plusieurs options différentes : Louis Renaud va opter pour la collaboration dès 1940, et chercher des
contrats allemands pour pouvoir continuer à produire. Dès 1943, il se dit même prêt à se lancer dans
la production militaire. Le groupe Michelin, lui, fait des choix différents : il est en difficulté, le
caoutchouc arrive de manière très irrégulière des colonies. L'Allemagne propose alors de fournir un
substitut chimique au caoutchouc en échange des filières à l'étranger du groupe. Malgré la pression
de Vichy, le groupe refuse cette collaboration. C'est souvent la politique d'entreprise qui l'emporte,
même si l'idéologie n'est pas toujours sans importance. Il y a une large frange d’industriels favorables
à la collaboration économique : le journal « la vie industrielle » transmet ces idées. Il y a également
des « déjeuners de la table ronde » tous les quinze jours au Ritz, à Paris, qui réunissent l'élite
politique et économique françaises et allemandes ainsi que quelques intellectuelles, tous favorables à
la collaboration. Un des fondateurs de ce groupe est Chambrun, un neveu de Laval. Ces déjeuners
sont interrompus en 1942 après le débarquement allié en Afrique du Nord. En 1942, ce sont quelques
7 000 entreprises qui effectuent des commandes allemandes civiles ou militaires. En 1944 ce sont
15 000 entreprises qui collaborent. Ils représentent deux millions d'ouvriers, et les secteurs les plus
sollicités sont les plus importants pour l’effort de guerre : automobile, aviation, construction navale...
75 % de la production de ces industries est exportée vers l'Allemagne. Dans le textile, c'est seulement
15 % de la production qui part outre-Rhin.
La dernière forme de collaboration économique se situe un niveau plus individuel. Ce sont les
intermédiaires utilisés par les Allemands, qui ont contribué au pillage de l'économie. Les Allemands
ont ouvert des bureaux d'achats qui ont un pouvoir d'achat énorme, notamment grâce aux frais
d'occupation. Le principal bureau est le « bureau Otto » qui emploie à la fin de la guerre plus de 400
personnes et dispose de trois hectares d'entrepôts à Paris. Une certaine quantité de ses biens part en
Allemagne, et une autre partie est destinée au marché noir français. Ce bureau va se servir
d’intermédiaires, comme Bonny et Lafont, qui vont être recrutés par la Gestapo pour former la
branche française de cette police secrète. Bonny et Lafont sont impliqués dans le marché noir, mais
aussi dans le démantèlement du mouvement « défense de la France ». Ils touchent 10 % des affaires
que l'Allemagne fait avec la France.
2) La collaboration intellectuelle.
On a mis en place un bureau de la propagande avec notamment une section littéraire à laquelle
participent Jünger et Heller. Ces services sont chargés de surveiller les imprimeurs, et leur arme la
plus importante est la gestion de l'approvisionnement en papier. Il y a de nombreux contacts avec les
éditeurs qui aboutissent à des accords qui reposent sur deux principes : établissement de listes de
proscription et autocensure. Les listes de proscription sont établies par l'occupant et indiquent quels
titres doivent être retirés des catalogues et des librairies. La première liste paraît en octobre 1940. On
précise qu'il s'agit de livres ayant « empoisonné l'opinion publique ». Elle sera suivie par deux autres
listes en 1942 et 1943. 800 auteurs et 2 000 titres disparaissent ainsi des librairies. Ce sont
essentiellement des auteurs antifascistes, Juifs ou communiste (Marx, Freud, Zweig, Mann, Maurois,
Malraux). Mais on y trouve aussi « Mein Kampf », trop explicite quant au projet de Hitler pour la
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Histoire politique de la France au XXème siècle – Chapitre 3 : La société française des années noires.
France. On a également établi des listes de prescription, les livres à encourager. La liste « Otto »
interdit des livres, tandis que la liste « Matthias » encourage certains livres, comme les auteurs
classiques allemands, les auteurs proches des nazis, les auteurs sympathisants de la collaboration...
Dans l'accord de 28 septembre 1940, les éditeurs s'engagent à l'autocensure et à ne pas publier des
livres néfastes ou opposés à l'occupant. Beaucoup d’auteurs vont s’adapter et continuent à publier :
Aragon, Eluard, Camus et Sartre, sans pour autant qu’on puisse les taxer de compromission. D'autres
auteurs vont écrire dans des journaux collaborationnistes, notamment Colette ou Marcel Aymé.
D'autres encore s'engagent à côté de la collaboration, parfois par opportuniste, comme Lucien
Rebatet qui devient célèbre. Son plus grand livre paraît en 1942 et Rebatet y continue à accuser les
Juifs de la décadence de la France. Pour Rebatet, seul un châtiment collectif peut expier leurs fautes.
Rebatet critique aussi l'église catholique et l’Action française. Ce livre a été vendu à 125 000
exemplaires... Chez d'autres écrivains, l'engagement se situe dans la lignée de leurs engagements
d'avant-guerre. Parmi les symboles des écrivains de la collaboration, on peut citer : Drieu la Rochelle,
obsédé par l'idée de la décadence après 1918. Dans les années 1930, il rencontre Otto Abetz qui était
attaché culturel à l'ambassade de Paris. En 1940, Otto Abetz pousse Drieu la Rochelle à reprendre la
« nouvelle revue française » qui avait cessé de paraître en juin 1940. En décembre 1940, cette revue
reparaît en tant que fidèle soutien de la collaboration. Y signent notamment Bonnard et Fabre-Luce.
La « nouvelle revue française » paraîtra jusqu'en 1943. Une autre grande figure des intellectuels
collaborationnistes est Robert Brasillach. Il est de la génération d’après Drieu la Rochelle, il est passé
par l’action française, et en 1937 il est rédacteur en chef de « Je suis partout » ou Rebatet était
critique de cinéma. Ce journal se caractérise par la violence de ses propos. Brasillach est fait
prisonnier en 1940, en 1941 il est libéré et reprend son poste. « Je suis partout » se caractérise par
son soutien à la révolution nationale. Brasillach va également prononcer des discours en Allemagne,
sur le front de l’est, et il est l'administrateur des éditions Rive Gauche, favorables à l'occupant. Il est
assidu à l’institut allemand. En octobre 1941, Brasillach participe avec d'autres intellectuels à un
congrès des auteurs européens en Allemagne, à Weimar.
3) Les partis et mouvements de la collaboration.
L'engagement dans la collaboration s'est souvent fait dans un cadre collectif. On a comptabilisé une
dizaine de partis participant à la collaboration, chacun se voulant parti unique... Quelques
groupuscules sont des mouvements qui se démarquent, comme le PPF (parti populaire français) de
Jacques Doriot. Le PPF avait été créé en juin 1936 en réaction au Front populaire. Il a connu son
heure de gloire en 1937 et en 1938, grâce à l'opposition de la droite contre le Front populaire. Il
rassemblait alors environ 100 000 militants. Le PPF apparaît comme un carrefour assez éclectique : il
regroupe transfuges du PCF et transfuges d'extrême droite. Ce parti se reconstitue dès l'été 1940, il
avait en effet été dissous. Il s’installe en zone occupée et en zone libre, ainsi que dans l’Empire. Il
dispose d'un organe de presse : « le cri du peuple » en zone occupée, « l'émancipation nationale » en
zone libre et « le pionnier » en Algérie. En 1940, il se reconstitue sur un noyau de 10 000 à 15 000
militants. À son point culminant, il en regroupera environ 50 000. Doriot va accepter les financements
allemands à partir de 1941. Il va d'abord défendre une ligne loyaliste vis-à-vis de Vichy : « je suis
l'homme du maréchal ». Mais à partir de 1942 et 1943, il se positionne surtout comme alternative au
pouvoir de Vichy. En novembre 1942, il organise un grand congrès, le « congrès de la prise du
pouvoir » dans lequel ils se déclare prêt à prendre le pouvoir. La date de ce congrès, le 8 novembre
1942, marquera le début du déclin du PPF.
Il y a également le rassemblement national populaire qui veut fédérer tous les partis
collaborationnistes. Ce mouvement est né de l'alliance entre Marcel Déat, agrégé de philosophie et
ancien combattants de la grande guerre, écrivain pacifiste, et qui était à la SFIO jusqu'en 1933 ; et
Deloncle, cagoulard, antirépublicain. Laval apporte son soutien à ce mouvement. Le discours du
rassemblement populaire veut faire la synthèse entre le discours socialisant de Déat et le discours
nationaliste de Deloncle. Ce mouvement s’aligne de plus en plus sur le nazisme, mais des
dissensions internes vont empêcher la constitution d'un grand parti. Ils appuient la collaboration
militaire. En novembre 1942, le PPF et le PNR s'entendent pour fonder la légion française de
volontaires pour la lutte contre le bolchevisme. Ils veulent aller se battre avec les Allemands sur le
front de l’est, avec la bénédiction de Pétain. 6 000 légionnaires vont ainsi partir, avec à leur tête
Doriot, seul responsable à s'engager. Ces combattants vont se battre sous l'uniforme allemand. Leur
aumônier est l’évêque Mayol de Luppé, ils seront regroupés dans les Waffen SS en 1944.
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Histoire politique de la France au XXème siècle – Chapitre 3 : La société française des années noires.
Quelle est la sociologie de ces mouvements de collaboration ? On ne peut pas prendre au pied de la
lettre les chiffres officiels, les historiens ont en effet établi une fourchette entre 150 000 et 250 000
Français qui se sont engagés dans ces mouvements. On a établi ces chiffres d'après les archives des
tribunaux chargés de l’épuration : c'est un phénomène essentiellement masculin et urbain, la région
parisienne regroupe la majorité de ses membres. Ils donnent une image déformée de la société : les
ouvriers et les paysans sont sous représentés, ils représentent seulement 27 % des effectifs, tandis
que les couches moyennes et supérieures sont surreprésentées : ils représentent plus de 71 %. Des
évolutions sont visibles selon la date de l'engagement. C’est au début de la période qu'on trouve la
domination des classes supérieures. Après, il y a un abaissement social, et il y a de plus en plus de
jeunes. 25 % des militants ont eu une activité politique avant-guerre en 1941, et 10 % seulement en
1943. Ces mouvements sont instables, avec un retrait progressif des notables. Ces militants vont
justifier leur engagement par la fidélité au maréchal Pétain, l'anticommunisme et la volonté d'un ordre
social nouveau. Cette minorité active est aux fondements d'un mouvement plus large. C'est en effet
plus d'un million de Français qui ont apporté un soutien plus ou moins passif à la collaboration.
III. La France de l’exclusion : les parias du régime.
A. Les populations juives face à la persécution.
1) Etat des lieux sur la question juive avant l’occupation.
A la veille de la seconde guerre mondiale, on estimait à plus de 300 000 personnes le nombre de juifs
en France (ce qui représentait environ 1% de la population française de l’époque). Un peu moins de la
moitié de cette population juive était véritablement de nationalité française ; l’autre moitié, plus
récente, était composée d’immigrés arrivés en France dans les années 1920 ou 1930 : juifs d’origine
allemande, autrichienne ou encore polonaise. Les immigrés d’origine récente avaient la spécificité
d’être marqués par les persécutions, l’exil et étaient attachés à la défense d’une culture spécifique et à
la préservation d’une « communauté juive de destin ». De leur côté, les juifs français privilégiaient
plutôt une vision individuelle et religieuse du judaïsme, vision qui a fait progressivement prôner une
certaine valeur de l’émancipation qui a conduit les juifs français à ne plus vraiment se considérer
comme appartenant à une communauté de destin mais à se considérer avant tout comme des
citoyens français ne se distinguant des autres citoyens que par leur religion. Cependant, alors que les
juifs tentaient de faire leur entrée dans la citoyenneté française, l’antisémitisme qui était apparu avec
l’affaire Dreyfus et qui s’était par la suite atténué dans les années 20 a fini par resurgir dans les
années 30 dans le discours politique de droite. Ce « regain » d’intérêt pour l’antisémitisme visait plutôt
au départ les juifs immigrés que les juifs français mais le mouvement anti-juif associé à l’esprit nazi
s’est très vite répandu.
2) La coopération occupé – occupant sur la politique antisémite.
C’est le vieux fond d’antisémitisme dreyfusard réactivé dans les années 30 par la droite, qui explique
– en partie – que le régime de Vichy ait pu mettre en place la politique antisémite qu’on lui connaît. En
1940, la tenaille antisémite s’est mise en place en France pour traquer les juifs : tenaille que
constituait la politique de l’occupé dans la zone sud (traque des juifs par le régime de Vichy) et la
politique de l’occupant dans la zone nord (traque des juifs par les allemands). Le bilan de cette
politique anti-juive s’est révélé assez désastreux sur le plan humain et a peu à peu nourri certaines
résistances au sein de l’opinion publique.
a) La traque des juifs par le régime de Vichy
Le but spécifique de Vichy était en premier lieu d’exclure les juifs de la société française, de les
enfermer dans une sorte de « ghetto juridique ». Pour satisfaire à cet objectif, le régime de Vichy a
défini en 1940 les populations qui seraient visées par la répression en définissant le « statut juif ». Le
premier « statut juif » a été défini en octobre 1940 et considérait comme juif « tout individu qui aurait
trois grands parents de race juive ou 2 grands parents de même race ou un conjoint juif ». Cependant
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Histoire politique de la France au XXème siècle – Chapitre 3 : La société française des années noires.
ce statut n’a pas été appliqué en ce sens que les juristes étaient incapables de définir
convenablement le terme de « race ». Pour ce faire, dans le deuxième « statut juif » de juin 1941, on
va remplacer le terme de « race » par celui de « religion » : Etait donc concerné par la répression
vichyste « tout individu qui aurait trois grands parents de religion juive ou 2 grands parents de même
religion ou un conjoint juif ». Une fois posé le « statut juif », le régime de Vichy s’est appliqué à mettre
en pratique sa politique antisémite en contribuant et en poussant à la création d’un univers
institutionnel spécifique aux juifs et constitué de deux institutions : le commissariat général aux
question juives qui a été créé en mars 1941 et l’Union Générale des Israélites de France (UGIF) qui a
été créée en octobre 1941. L’UGIF avait pour fonction de représenter les juifs auprès des autorités et
tous les juifs avaient l’obligation d’être affilié à cette institution. Toutes les organisations juives étaient
également tenues de passer sous la tutelle de l’UGIF. La création du commissariat général aux
questions juives et la création de l’UGIF faisaient partie pernicieusement de la stratégie de Vichy car
c’était une façon d’exclure les juifs du système institutionnel français et de les enfermer dans un
ghetto juridique tout en conservant l’apparence d’une aide étatique destinée au peuple juif. Peu à peu,
les juifs ont été retranchés de la Nation française à cause des deux institutions spécifiques présentées
ci avant. Parallèlement à cette politique de « ghettoïsation » (qui suppose une exclusion non explicite
des juifs par la mise en place d’un système institutionnel distinct de celui français), le régime de Vichy
a développé une politique d’ « aryanisation » (qui se manifeste par une exclusion explicite et pour
ainsi dire législative des juifs). En Octobre 1940, alors qu’est fixé le premier « statut juif », les
illustrations de « l’aryanisation » (épuration ethnique) sont nombreuses : les juifs étaient notamment
exclus de la fonction publique, des métiers du spectacle ou du journalisme. L’accès des juifs aux
professions libérales était limité par un numerus clausus. L’aryanisation s’en est également prise aux
biens juifs et le 22 juillet 1941, le régime de Vichy s’est emparé des entreprises, des biens et des
valeurs réputées juives. Des administrateurs provisoires ont alors été placés à la tête des entreprises
juives. Ces administrateurs étaient nommés par le commissariat général et étaient chargés de gérer
les biens et entreprises juifs et de préparer les ventes de ces derniers à un nouveau propriétaire
« aryen ». L’administrateur touchait 10% de la vente, le reste de la somme était versé sur un compte
bloqué, les anciens propriétaires ne pouvaient recevoir que moins de 10% de la somme. On était avec
le système d’administration provisoire en présence d’un processus de spoliation légale qui a permis
un enrichissement de la place d’administrateur provisoire.
b) la traque des juifs par les allemands.
En zone occupée, les allemands ont ajouté leur propre politique discriminatoire en plus du régime de
Vichy. En Septembre 1940, les commerçants juifs doivent spécifier la mention « affaires juives » dans
leurs magasins. En Décembre 1941, une amende de 1 000 000 000 de francs est réclamée par les
allemands à l’organisation juive de zone occupée et la spoliation vichyste de la zone sud trouve ainsi
un écho avec la spoliation nazie de la zone nord. En 1942, une étape est franchie avec la décision de
l’extermination des juifs. En Mai 1942, l’occupant impose aux juifs le port de l’étoile de David (étoile
jaune) qui va permettre à la gestapo de repérer plus facilement les juifs et qui va contribuer à la
multiplication du nombre des rafles.
c) Un bilan humainement désastreux.
L’historien Klarsfeld a démontré que 75 721 juifs de France avaient été déportés et que cette
population déportée était aux 2/3 composées de juifs étrangers et au 1/3 composée de juifs français.
Le chiffre le plus douloureux, c’est que cette population comptait 11 000 enfants. Selon Klarsfeld,
moins de 2700 juifs déportés ont finalement réussi à échapper par la suite à l’extermination (≈ 3,6 %).
d) Un sursaut face à l’horreur du génocide.
Quelle a été l’attitude des juifs face à l’antisémitisme ? Au début, les juifs refusaient de croire que le
régime français allait les abandonner puis face à la coopération expresse du régime de Vichy avec
l’occupant, on a vu se développer par la suite une énorme incompréhension (notamment chez les
anciens combattants juifs) qui a rendu plus amer encore le sentiment de la défaite. Cependant, la
question juive ne faisait pas l’unanimité des représentants de Vichy et faisait pour ainsi dire toujours
débat. La question de la création de l’UGIF déchirait plus particulièrement les notables de Vichy entre
l’idée d’une institution qui aide véritablement le peuple juif et l’idée d’une institution qui exclue et livre
aux allemands les juifs. Le débat a été tranché avec la création en 1942 du conseil d’administration de
l’UGIF qui a finalement décidé de mener une politique d’assistance tout en restant sous le contrôle de
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Histoire politique de la France au XXème siècle – Chapitre 3 : La société française des années noires.
la gestapo (C’est à ce titre que de nombreux responsables de l’UGIF finiront en 1944 par être à leur
tour déportés). En plus de l’UGIF, en 1942, les initiatives se sont multipliés pour faire face à la
persécution : filières de survie, associations caritatives officielles (assistance d’institutions comme
l’UGIF) ou clandestines (associations de création de faux papiers). En 1942, l’effort d’arrière plan de
sauvegarde des juifs trouvait un accueil de plus en plus favorable dans l’opinion française et
parallèlement le concept d’antisémitisme, avatar de l’occupant, indignait et révoltait de plus en plus
(notamment au moment des grandes rafles). Par ailleurs, certains juifs se sont investis dans la
résistance : parmi les plus célèbres on distingue Cassin, Aubrac, Levy… Dans leurs témoignages
d’après guerre, ces juifs résistants se définissaient avant tout comme des citoyens qui avaient
combattu au nom d’idéaux politiques et patriotiques (tels que les droits de l’homme) et non au nom
d’une spécificité religieuse. En définitive, ils se réclamaient d’être des « résistants juifs et non juifs
résistants ». Cependant, malgré ce qui a été dit précédemment, certains groupes de résistance ont
tout de même été créés sur la base d’une défense de la spécificité juive : on pense à la MOI (Main
d’Oeuvre Immigrée) qui regroupait dans une même structure les juifs d’Europe orientale et occidentale
tout en manifestant ses affinités pour le Parti Communiste. La MOI a notamment participé à la
publication de tracts qui appelaient les juifs à refuser le recensement ou qui prévenaient également de
l’imminence des rafles (plus précisément en juin 1942). Autre groupement, on pense aussi au
Mouvement des éclaireurs israélites de France qui faisait partie de la résistance et qui a participé à la
création d’un maquis juif dans la région du Tarn. On pense enfin à l’organisation juive de combat qui
se réclamait du sionisme et qui a aussi participé à la création d’un maquis juif dans le Tarn. Les deux
maquis du « Mouvement des éclaireurs israélites de France » et de « l’Organisation juive de combat »
ont joué un rôle important dans la suite des évènements et notamment dans la libération de la ville de
Castres.
B. La France des camps
1) Avant Vichy
Les premiers camps d’internement ont ouvert en France à la fin des années 1930. Ces derniers
étaient destinés à « l’internement des étrangers indésirables ». Le décret de Novembre 1939 sur la
question visait non seulement les étrangers mais aussi plus généralement tous les suspects pouvant
représenter un danger pour la sécurité nationale. C’est en février 1939 précisément, qu’ont été
ouverts les camps français de Rieucros, de Gurs ou encore de Rivesaltes. Au début, par peur des
espions, on internait beaucoup de réfugiés anti-nazis qui avaient fui l’Allemagne ou l’Autriche pour se
réfugier en France. En septembre 1939, au lendemain du pacte germano-soviétique, les autorités
françaises ont été aussi amenées à interner des communistes.
2) Pendant Vichy
La politique d’internement française a cependant beaucoup changé avec l’avènement du régime de
Vichy. On est peu à peu passé d’une logique d’exception (interner les opposants extrémistes) à une
logique d’exclusion (interner tous les types d’opposants, qu’ils soient extrémistes ou modérés = il
s’agissait de lutter massivement contre l’anti-France). Le régime de Vichy entendait – par sa nouvelle
politique d’internement – démontrer à l’occupant sa capacité à faire régner l’ordre par l’exercice d’une
répression impitoyable. La loi du 3 septembre 1940 prévoyait à cet effet, l’internement des individus
dangereux pour la sécurité publique. Cette loi avait pour particularité de supprimer les garanties
juridiques (= plus de possibilité de recours) de la législation antérieure. La loi du 4 octobre 1940 a par
la suite précisé que les ressortissants étrangers de race juive pouvaient être internés par simple
décision préfectorale : cette loi est très importante car c’était la première fois que les juifs étaient
directement visés par la législation sur l’internement (ceci s’inscrit dans la politique d’aryanisation
décrite dans le A). Suite à ces deux lois, on a dénombré, à la fin de 1940, entre 50 000 et 60 000
personnes internés en France. Les ¾ des populations internés dans les camps français étaient des
juifs étrangers. La population concentrationnaire s’est considérablement développée en 1941 – 1942
avec la multiplication des rafles et les victoires contre la résistance. Pour être précis, la population
concentrationnaire s’est développée en se diversifiant : on trouvait des internés raciaux (juifs,
tziganes), des internés mentaux (fous), des prisonniers politiques (communistes, gaullistes,
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Histoire politique de la France au XXème siècle – Chapitre 3 : La société française des années noires.
résistants). En 1941, plusieurs milliers de ces internés ont été envoyés dans des camps d’internement
du sud algérien pour libérer des places dans les camps français qui ne faisaient plus à une certaine
saturation. Les conditions de vie dans les camps étaient déplorables : le froid et la maladie y étaient
les deux plus grandes plaies. Pour exemple, à Gurs, on avait dénombré 600 morts pour le premier
hiver qui succédait à la défaite de la France. Les associations caritatives étaient autorisées à aider les
internés mais en 1942 ces associations ont pu mesurer les limites de leur action lorsque a été mise en
place une nouvelle politique de déportation ne faisant plus prôner l’exclusion mais mettant en avant
l’extermination. On peut donner l’exemple en France du camp d’internement de Drancy qui était une
véritable interface vers le camp d’extermination d’Auschwitz en Pologne. Ce n’est qu’en 1945
véritablement, que la France se rendra compte de l’horreur des camps nazis et de l’horreur de la
collaboration du régime de Vichy.
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