UNIVERSITÉ PARIS VIII - VINCENNES SAINT-DENIS H ISTOIRE DES I NSTITUTIONS PREMIÈRE ANNÉE DE LICENCE Fascicule de Travaux Dirigés 2015 - 2016 BIBLIOGRAPHIE Manuels BASDEVANT-GAUDEMET (Brigitte), GAUDEMET (Jean), Introduction historique au droit XIII-XXe siècles, 3e éd., Paris, LGDJ, 2010. GAUDEMET (Jean), Les institutions de l’Antiquité, 7e éd., Paris, Précis Domat-Montchrestien, 2002. GUYOT (Olivier), RIGAUDIERE (Albert), SASSIER (Yves), Pouvoirs et institutions dans la France médiévale, t. I, Des origines à l’époque féodale ; t. II, Des temps féodaux aux temps de l’État, Paris, Armand Colin, coll. U, 1994. HAROUEL (Jean-Louis), BARBEY (Jean), BOURNAZEL (Eric), THIBAUD-PAYEN (Jacqueline), Histoire des institutions de l’époque franque à la révolution, 1ère éd. Paris, PUF, coll. Droit fondamental, 1987. LEMARIGNIER (Jean-François.), La France médiévale, institutions et société, Paris, A. Colin, coll. U, 1970. SAINT-BONNET (François), SASSIER (Yves), Histoire des institutions avant 1789, coll. Domat Droit Public, 2e éd., Paris, Montchrestien, 2006. SUEUR (Philippe), Histoire du droit public français, XVe-XVIIIe siècle, 2 vol., Paris PUF, Thémis, 1989 (rééd.). Monographies BARBEY (Jean), Être roi. Le roi et son gouvernement de Hugues Capet à Louis XVI, Paris, 1992. BARBEY (Jean), La fonction royale. Essence et légitimité d’après les Tractatus de Jean de Terrevermeille, Paris, 1983. BARBEY (Jean), BLUCHE (Frédéric), RIALS (Stéphane), Lois fondamentales et succession de France, Paris, PUF, 1987. GANSHOF (Frantz Louis), Qu’est-ce que la féodalité ?, 5e éd., Paris, Tallandier, “ Pluriel ”, 1982. HALPHEN (Louis), Charlemagne et l’Empire carolingien, Paris, Albin Michel, “ L’évolution de l’humanité ”, rééd. 1968. LEMAIRE (André), Les lois fondamentales de la monarchie française d’après les théoriciens de l’Ancien Régime, Paris, 1907. LEMARIGNIER (Jean-François), Le gouvernement royal aux premiers temps capétiens, Paris, Picard, 1965. 2 SÉANCE 1 Méthodologie 3 I. — MÉTHODE DU COMMENTAIRE DE TEXTE EN HISTOIRE DU DROIT (durée de l’exercice : 3 h.) Le commentaire de texte en histoire du droit doit impérativement se conformer aux règles suivantes : A / PRÉPARATION (durée de l’exercice : 1 h. 30) Elle commence par : 1. Une lecture approfondie du texte, crayon à la main (durée 20 mn). Il s’agit d’analyser le texte, en repérant ses principales articulations et en soulignant les mots et les notions essentielles qui feront l’objet de définitions dans le commentaire. En lisant le texte, il convient, sur des brouillons que l’on utilisera qu’au recto, de noter les idées principales contenues dans le texte et les connaissances acquises en cours auxquelles elles renvoient. À partir de cette analyse, on peut ensuite procéder à : 2. L’élaboration du plan (durée 40mn) a) Méthode d’élaboration. — Partant de l’analyse du texte et des notes prises au brouillon, l’élaboration du plan doit permettre la construction d’un devoir qui évitera deux écueils principaux : 1/ La dissertation, qui consiste à réciter le cours ou à exposer de manière théorique des questions qui se sont pas en rapport direct avec le texte. 2/ La paraphrase, qui consiste à répéter le contenu du texte sans l’analyser. Pour éviter ces travers, l’élaboration du plan doit être effectuée uniquement à partir du contenu du texte lui-même. Les idées jetées au brouillon doivent être numérotées et l’on doit ensuite tenter de faire entrer tous ces numéros dans les différentes parties du plan que l’on élabore. b) Règles d’élaboration. — Le plan doit respecter impérativement trois règles : 1 / Il doit d’abord à tout prix être organisé en deux parties. 2 / Il doit ensuite être parfaitement symétrique : si la première partie comprend deux paragraphes, la deuxième doit aussi en comprendre deux ; si la première en comprend trois — ce qui est le maximum possible — la deuxième en comprend également trois. 3 / Il doit enfin être équilibré : les parties et les paragraphes doivent être sensiblement de la même taille. Deux grands types de plan sont possibles : soit thématique, soit linéaire. — Le commentaire thématique consiste à choisir deux idées fortes du texte ou encore deux axes de réflexion (par ex. pourquoi / comment) à partir desquels sera organisé le commentaire. — Le commentaire linéaire, qui est la meilleure formule, mais la plus difficile, consiste à construire le commentaire en respectant scrupuleusement le plan du texte tout en prenant du recul par rapport à celui-ci. c) Règles de présentation .— Le plan du texte doit impérativement être apparent. Il faut donc donner aux parties et aux sous-parties des titres. Mais le devoir doit cependant pouvoir aussi être lu sans ces titres. En tête de chacune des parties, il faut par conséquent annoncer en une ou deux phrases les sous-parties. Par ex. : “ Après avoir abordé telle question (A), nous nous pencherons sur telle autre (B) ” ou encore “ Avant d’examiner tel problème (B), nous étudierons tel autre (A) ”. À la fin de chaque sous-partie, il faut aussi ménager une phrase de transition qui assure le lien avec la partie suivante. D’où cette présentation : I. TITRE II. TITRE Annonce des sous-parties du I Annonce des sous-parties du II A / Titre A / Titre Transition Transition B / Titre B / Titre Transition CONCLUSION 3. La rédaction de l’introduction (durée 30 mn) L’introduction est un élément capital du devoir : quantitativement, elle doit représenter 20 à 25% de l’ensemble. Elle comprend obligatoirement quatre points, nécessairement présentés dans l’ordre qui suit : 4 a) Présentation du texte et de l’auteur. — Il faut ici indiquer d’abord la nature du texte : normatif (capitulaire, ordonnance, extrait du Corpus juris civilis…) ; diplomatique (charte, notice, extrait de cartulaire…) ; narratif (chronique) ; littéraire (œuvre de fiction…) etc. On doit ensuite donner sa date et présenter son auteur, s’il est connu. b) Contexte historique du texte. — Le texte doit être replacé dans son contexte politique, économique, social et culturel de la manière la plus précise possible. On évitera à cette occasion la dissertation et le hors sujet en veillant notamment à ne pas évoquer des questions contemporaines du texte mais sans rapport direct avec son contenu. Cette mise en contexte du texte est l’exercice fondamental qui permettra de mettre en valeur les enjeux du texte. Elle permet d’éviter le double écueil de la dissertation sur le propos du texte et de la simple paraphrase. c) Problématique juridique et historique du texte. — Partant du contexte, il convient ensuite de mettre en exergue les problèmes de critique que pose le texte relativement à l’histoire du droit et des institutions. C’est à partir de ces problèmes qu’est bâti le plan, selon la manière indiquée ci-dessus. d) Annonce du plan. — Découlant naturellement de la problématique qui précède, l’annonce du plan, qui se fait en une ou deux phrases doit être à la fois parfaitement correcte du point de vue littéraire et sans aucune équivoque. Par exemple : “ Ainsi, ayant envisagé telle question (I), nous pourrons nous pencher sur telle autre (II) ”. À l’issu de cette préparation, le devoir se poursuit par la rédaction. B / LA RÉDACTION (durée de l’exercice : 1 h. 30) Le plan détaillé ayant été minutieusement établi, la rédaction du devoir ne pose aucune difficulté particulière de méthode. Quelques précautions s’imposent cependant. 1. D’abord, on doit veiller sans cesse à suivre le texte de près, afin de ne pas disserter au lieu de commenter. Pour ce faire, il est vivement conseillé de partir de très courtes citations ou de mots du texte que l’on reprend directement pour les commenter. 2. Ensuite, on doit absolument veiller à la rigueur de l’analyse historico-juridique. L’écueil principal à éviter est bien sûr l’anachronisme qui, nécessairement, entraîne une erreur d’interprétation. Deux règles permettent de l’éviter : a) À aucun moment il ne doit être fait allusion, dans le corps du devoir, à un fait ou un événement postérieur au texte commenté : pas plus qu’on ne peut expliquer le présent par l’avenir, on ne peut en effet expliquer le passé par le présent ou par des éléments plus récents que ceux sur lesquels on se penche. b) Tout jugement personnel, même neutre, doit être absolument banni : l’opinion personnelle du commentateur est par essence sans intérêt. 3. Enfin, il faut veiller à respecter les normes littéraires admises dans la présentation matérielle du commentaire. À ce propos, on peut rappeler que : a) L’emploi du futur dans le passé est strictement prohibé. b) Les majuscules s’emploient seulement en début de phrase, pour les noms propres et pour les institutions uniques lorsqu’il s’agit de choses, jamais lorsqu’il s’agit de personnes. On écrit donc l’Église, l’État, le Parlement, mais le roi, l’empereur, le pape… Lorsque l’institution est accompagnée d’un adjectif, celui-ci ne prend une majuscule que lorsqu’il est placé avant : le Tiers-État, mais les États généraux… Le mot saint ne prend une majuscule que lorsqu’il est appliqué à une fête, un lieu, une institution (la Saint-Jean, la commune de Saint-Cloud, la basilique Saint-Pierre), jamais lorsqu’il est employé comme prédicat : le roi saint Louis. Dans ce dernier cas, on ne l’emploie que lorsqu’il est indispensable pour identifier le personnage (on dit saint Louis, mais Thomas d’Aquin, Jeanne d’Arc etc.). Cas particuliers : Saint-Esprit, Sainte-Trinité, Saint-Office, Saint-Siège, Saint-Empire, SainteAlliance. On met aussi une majuscule aux noms des peuples (les Burgondes, les Francs) et aux noms des grandes périodes historiques : l’Antiquité, le Moyen Âge (sans trait d’union), l’Ancien Régime, la Révolution, l’Empire etc. Il est bon de rappeler également que les majuscules, contrairement à une légende fort répandue, doivent impérativement être accentuées à peine d’entraîner de regrettables confusions ; comment distinguer sans accent, par exemple : LES ENFANTS LÉGITIMÉS DE LOUIS XIV et LES ENFANTS LÉGITIMÉS DE LOUIS XIV ? c) Le millésime des rois de France, des empereurs et des papes doit impérativement être libellé en chiffres romains et non en chiffres arabes et il en va de même, en dépit d’une habitude aussi récente que déplorable, des siècles. Hormis ces cas et les dates, pour lesquelles on doit en revanche employer les chiffres arabes, tous les nombres doivent être écrits en toutes lettres. 5 d) Un devoir ne doit jamais être rédigé à la première personne du singulier. On évitera également le pluriel de majesté (nous verrons…) pour préférer la troisième personne (on peut constater…), le style indirect (il semble intéressant de voir…). À la fin du commentaire, il est possible aussi de rédiger une conclusion. Rédaction de la conclusion : elle doit nécessairement comprendre trois points. a) L’appréciation générale de la sincérité du texte. — Celle-ci doit se garder de toute analyse subjective et ne reposer que sur des données de méthodologie historique. On appréciera par exemple de manière fort différente un document normatif ou diplomatique et un document littéraire ou narratif. b) L’apport historique et juridique du texte. — Il s’agit ici de montrer dans quelle mesure le contenu du texte est original ou à l’inverse banal et de replacer cette originalité ou cette valeur d’exemple dans l’histoire générale du droit et des institutions. c) L’ouverture. — La dernière phrase de la conclusion doit être une porte ouverte sur l’avenir : les répercutions qu’a pu avoir le texte ou les institutions qu’il décrit dans la suite de l’histoire. II. — MÉTHODE DE LA DISSERTATION EN HISTOIRE DU DROIT (durée de l’exercice : 3 h.) La dissertation d’histoire du droit, comme le commentaire de texte, suit certaines règles impératives : A / PRÉPARATION (durée de l’exercice : 1 h. 30) Elle commence par : 1. Une analyse attentive du libellé du sujet (durée 20 à 30 mn) Chacun des mots employés, qui n’ont pas été choisis au hasard, doit retenir l’attention pour préparer le devoir. Après s’être assuré du sens exact du sujet proposé, il convient de noter, sur des feuilles de brouillon, toutes les idées qu’inspirent le thème proposé et, surtout, toutes les connaissances acquises en cours auxquelles celui-ci renvoie. À l’issue de ce premier temps de réflexion, on doit procéder à : 2. L’élaboration du plan (durée 30 à 40 mn) a) Méthode d’élaboration. — Le plan doit être élaboré en tenant compte à la fois du libellé précis du sujet proposé et des réflexions et connaissances que l’on a eu soin de noter au brouillon. L’écueil à éviter en priorité est la simple récitation mécanique de tout ou partie du cours relatif au thème proposé. Pour y parvenir, il est souhaitable de choisir un axe de réflexion de type dynamique. Plusieurs types de plan favorisent une telle démarche. À titre d’exemple : 1. Définition, 2. Régime juridique ; 1. Pourquoi, 2. Comment ; Plan dit “ à deux égard ” etc. Le second écueil à éviter est le hors sujet, qui consiste à déborder du cadre de réflexion imposé. La lecture attentive du libellé du sujet doit l’éviter, sachant que, souvent, celui-ci formule directement les éléments principaux d’un plan possible. Afin de vérifier la pertinence du plan, on prendra soin, à l’instar du commentaire de texte, de numéroter les idées et connaissances jetées au brouillon pour tenter ensuite d’intégrer ces numéros dans le plan projeté. b) Règles d’élaboration. — Le plan de la dissertation doit respecter les mêmes canons que le plan du commentaire et doit être : 1 / organisé en deux parties ; 2 / symétrique ; 3 / équilibré (cf. supra, Méthode du commentaire). c) Règles de présentation. — La dissertation, comme le commentaire de texte, doit comporter un plan apparent avec des parties et des sous-parties munies de titres, annoncées, pour les parties, en fin d’introduction, et, pour les sous-parties, en tête de chacune des parties, chaque sous-partie se terminant ici encore par une phrase de transition. 3. La rédaction de l’introduction (durée 30 mn) 6 Là encore, l’introduction constitue un élément capital qui doit représenter 20 à 25 % de l’ensemble du devoir. Comme le commentaire de texte, elle comprend toujours quatre points présentés dans l’ordre qui suit : a) Présentation du sujet. — Elle doit commencer par reprendre en exergue le libellé exact du sujet, entre guillemets, puis se poursuivre par une première analyse sommaire de la portée du thème proposé indiquant ce qu’il est nécessaire de traiter et, éventuellement, ce qui ne l’est pas. b) Contexte historique du sujet. — Il s’agit de replacer le thème de la dissertation dans son contexte général, en veillant toutefois à ne pas s’égarer vers des questions sans rapport avec l’objet principal du devoir. c) Problématique juridique et historique du sujet. — À partir du contexte présenté précédemment, il s’agit de dégager les questions essentielles que pose le sujet relativement à l’histoire du droit et des institutions, interrogations qui détermineront ensuite le plan. Attention : la problématique ne doit jamais être la répétition du sujet. Elle doit au contraire toujours mettre en lumière ses enjeux et suggérer une perspective de démonstration pour le plan qui s’annonce. d) Annonce du plan. — L’annonce du plan qui clôt l’introduction doit découler logiquement de la problématique qui a été exposée et, comme pour le commentaire de texte, être formulée en une ou deux phrases à la fois claires et littérairement correctes (cf. supra les exemples données pour le commentaire de texte). B / LA RÉDACTION (durée de l’exercice : 1 h. 30) La rédaction d’une dissertation offre, sur le fond, davantage de liberté qu’un commentaire de texte. Il convient cependant ici encore de veiller sans cesse à ne pas s’écarter du sujet. Il est aussi nécessaire d’éviter tout anachronisme en prêtant attention à ne pas traiter, dans le corps du devoir, d’éléments postérieurs à la période historique étudiée et en écartant systématiquement les jugements personnels qui, par nature, ne peuvent manquer d’être en décalage avec le thème de la dissertation. Les règles formelles, enfin, sont les mêmes que celles exposées supra pour le commentaire de texte. Pour plus de précisions sur la méthode de la dissertation et du commentaire de texte, voir : Brigitte BASDEVANT-GAUDEMET, Valérie GOUTAL-ARNAL, Corrigés d’examens : Histoire du droit et des institutions, Paris, LGDJ, 1997 (Nouv. éd. 2000). III. — MÉTHODE DE LA FICHE DE TEXTE EN HISTOIRE DU DROIT La fiche de texte consiste à établir, à titre d’exercice, un travail préparatoire au commentaire de texte à partir des documents divers contenus dans les fiches de TD pour lesquels il n’aura pas été demandé à l’étudiant de commentaires détaillés. Comme pour un commentaire de texte, il convient d’abord de lire le texte un crayon à la main, repérant les articulations, les notions et les mots essentiels qui méritent d’être définis ou commentés. Durant cet exercice, il est conseillé de noter aussi les idées qu’inspire le texte et les connaissances auxquelles il renvoie sur une feuille de brouillon. Il est ensuite nécessaire de rechercher, à partir de manuels et de dictionnaires : — l’auteur du texte ; — le contexte historique précis ; — la définition exacte de tous les termes inconnus. À partir de ce travail préliminaire, on doit rédiger ensuite au propre, sous forme de fiche, le canevas de ce que devraient être l’introduction et le plan du texte, en indiquant : a) La nature du texte, sa date et son auteur b) Le contexte historique c) La problématique juridique et historique d) Le plan qui serait suivi en cas de commentaire. 7 SÉANCE 2 L’Antiquité romaine 8 La généralisation de la citoyenneté romaine : Édit de Caracalla (212) Papyrus de Giessen (Éd. P.-F. GIRARD, Textes de droit romain, II, Camerino, 1977, p. 478-490, trad. J. GAUDEMET, Inst. de l’Ant., p. 309) L’empereur César Marc Aurèle Sévère Antonin a dit : « Maintenant, donc… il vaut mieux, en repoussant les plaintes et les libelles, rechercher comment je peux rendre grâce aux dieux immortels de m’avoir conservé sain et sauf… par une telle victoire. C’est pourquoi je pense pouvoir ainsi magnifiquement et pieusement donner satisfaction à leur majesté, si j’amène au culte des dieux les pérégrins chaque fois qu’ils entrent au nombre de mes sujets. Je donne donc à tous les pérégrins qui sont sur la terre le droit de cité romaine (tout genre de cité demeurant), exception faite pour les déditices […]. Cet édit augmentera la majesté du peuple romain quand sera accordé la même dignité à l’égard des autres pérégrins… » Le christianisme religion d’État : Édit de Thessalonique (380) Code Théodosien, 16, 1, 2 (trad. F. ROUMY) Les empereurs Gratien, Valentinien et Théodose, Augustes, au peuple de Constantinople. — Nous voulons que tous les peuples que gouverne la mesure de notre clémence se tournent vers cette religion que le divin apôtre Pierre a transmis aux Romains — ainsi que l’affirme une tradition qui, depuis lui, est parvenue jusqu’à maintenant — et qu’il est clair que suivent le pontife Damase et Pierre, évêque d’Alexandrie, homme d’une sainteté apostolique. De sorte que, en accord avec la discipline apostolique et la doctrine évangélique, nous croyions en la seule en la seule Divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, en une même majesté et une pieuse Trinité. Nous ordonnons que ceux qui suivent cette loi embrassent le nom de Chrétiens catholiques et que les autres, que nous jugeons déments et insensés, assument l’infamie du dogme hérétique, que leurs assemblées ne puissent recevoir le nom d’églises, qu’enfin ils soient châtiés, d’abord par la vengeance divine, ensuite par la décision que nous a inspiré le jugement céleste. Donné le 4 des calendes de mars à Thessalonique, Gratien Auguste étant consul pour la cinquième fois et Théodose Auguste pour la première fois. 9 SÉANCE 3 La royauté franque 10 La personnalité des lois MONTESQUIEU, De l’esprit des lois (1748) (in Œuvres complètes, Paris, Éditions du Seuil, 1965, Livre XXVIII, Chapitre 4 « Comment le droit romain se perdit dans le pays du domaine des francs, et se conserva dans le pays du domaine des goths et des bourguignons », p. 725-726.) Le pays qu’on appelle aujourd’hui la France, fut gouverné, dans la première race, par la loi romaine ou le code Théodosien, et par les diverses lois des barbares qui y habitaient. Dans le pays du domaine des Francs, la loi salique était établie pour les Francs, et le code Théodosien pour les Romains. Dans celui du domaine des Wisigoths, une compilation du code Théodosien, faite par l’ordre d’Alaric, régla les différends des Romains ; les coutumes de la nation, qu’Euric fit rédiger par écrit, décidèrent ceux des Wisigoths. Mais pourquoi les lois saliques acquirent-elles une autorité presque générale dans les pays des Francs ? Et pourquoi le droit romain s’y perdit-il peu à peu, pendant que dans le domaine des Wisigoths le droit romain s’étendit, et eut une autorité générale ? Je dis que le droit romain perdit son usage chez les Francs, à cause des grands avantages qu’il y avait à être Franc, barbare, ou homme vivant sous la loi salique ; tout le monde fut porté à quitter le droit romain pour vivre sous la loi salique. Il fut seulement retenu par les ecclésiastiques, parce qu’ils n’eurent point d’intérêt à changer. Les différences des conditions et des rangs ne consistaient que dans la grandeur des compositions, comme je le ferai voir ailleurs. Or, des lois particulières leur donnèrent des compositions aussi favorables que celles qu’avaient les Francs : ils gardèrent donc le droit romain. Ils n’en recevaient aucun préjudice ; et il leur convenait d’ailleurs, parce qu’il était l’ouvrage des empereurs chrétiens. D’un autre côté, dans le patrimoine des Wisigoths, la loi wisigothe ne donnant aucun avantage civil aux Wisigoths sur les Romains, les Romains n’eurent aucune raison de cesser de vivre sous leur loi pour vivre sous une autre : ils gardèrent donc leurs lois, et ne prirent point celles des Wisigoths. Le pouvoir du roi franc sur ses guerriers GRÉGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs, II, 27 (éd. ROBERT LATOUCHE, Paris, Les Belles lettres, 1995) Après ces événements Childéric étant mort, Clovis, son fils régna à sa place. Pendant la cinquième année du règne de ce roi, Syagrius, roi des Romains, fils d’Egidius, avait son siège dans la cité de Soissons que feu ledit Egidius avait possédée. Contre lui marcha Clovis (…) et il invite son adversaire à préparer le champ de bataille. Or celui-ci ne le refusa pas et n’eut pas peur de résister. Puis pendant qu’ils se battaient entre eux, Syagrius, voyant son armée écrasée, tourne le dos et se précipite dans une course rapide chez le roi Alaric à Toulouse (…). En ce temps beaucoup d’églises furent pillées par l’armée de Clovis, parce qu’il était encore enfoncé dans les erreurs du fanatisme. C’est ainsi que les troupes avaient enlevé d’une église un vase d’une grandeur et d’une beauté merveilleuses, avec d’autres ornements servant au ministère ecclésiastique. L’évêque de cette église envoya donc des messagers au roi pour lui demander que, si son église ne pouvait recouvrer les autres vases sacrés, du moins elle recouvrât celui-ci. Ce qu’entendant le roi dit au messager : « Suis nous jusqu’à Soissons parce qu’on devra y partager tout ce qui a été pris et lorsque le sort m’aura donné ce vase, j’exécuterai ce que le « pape » demande ». Puis arrivant à Soissons, où toute la masse du butin avait été placée au milieu, le roi dit : « Je vous prie, ô très valeureux guerriers, de ne pas vous opposer à ce que me soit concédé hors part ce vase ». Il faisait en effet allusion au vase mentionné ci-dessus. A ces mots du roi, ceux qui avaient l’esprit sain répliquent : « Tout ce que nous voyons ici, glorieux Roi, est à toi et nous sommes soumis à ta domination ». Fais donc maintenant ce qui convient à ton bon plaisir ». Or après qu’ils eurent ainsi parlé, un homme léger, jaloux et frivole, ayant levé sa hache, frappa le vase en criant à haute voix : « Tu n’auras rien ici que ce que le sort t’attribuera vraiment ». A ces mots qui stupéfièrent tout le monde, le roi contint son ressentiment avec une douce patience et prenant le vase il le rendit à l’envoyé ecclésiastique en gardant cachée dans son cœur sa blessure. Mais au bout d’une année il fit défiler toute sa phalange en armes pour inspecter sur le Champ de Mars la propreté de ses armes. Or tandis qu’il se dispose à passer en revue tous les hommes, il s’approche du briseur du vase à qui il dit : « Personne n’a apporté des armes aussi mal tenues que les tiennes, car ni ta lance, ni ton épée, ni ta hache ne sont en bon état ». Et saisissant la hache de l’homme, il la jeta à terre. Mais tandis que celui-ci s’était un peu incliné pour la ramasser, le roi levant les mains lui envoya sa propre hache dans la tête en disant : « C’est ainsi que tu as fait à Soissons avec le vase ». Quand l’homme fut mort, le roi ordonna aux autres de se retirer et par cet acte il leur inspire une grande crainte à son égard. 11 Le partage du royaume entre les fils à la mort du roi GRÉGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs, IV, 22 (éd. KRUSCH et LEVISON, MGH, SS rer. merov., I/1, p. 154-155 ; trad. IMBERT -SAUTEL, Hist. des inst.,I, p. 331) Chilpéric, après les funérailles de son père, reçut les trésors qui étaient amassés dans le domaine de Braine et s’étant tourné vers les Francs [qui pouvaient lui être] les plus utiles, se soumit ceux-ci, séduits par ses présents. Bientôt il entre dans Paris et occupe le siège du roi Childebert ; mais il ne lui fut par permis de le posséder longtemps, car ses frères se réunir pour l’en chasser ; c’est ainsi que les quatre [frères] — c’est-à-dire Caribert, Gontran, Chilpéric et Sigebert — procédèrent à un partage [du royaume] selon la loi. Le sort donna à Caribert, le royaume de Childebert avec, pour capitale, Paris ; à Gontran, le royaume de Clodomir avec, pour capitale, Orléans ; à Chilpéric, le royaume de Clotaire son père, avec, pour capitale, Soissons ; à Sigebert, le royaume de Thierry avec, pour capitale, Reims. Le comte, agent de l’administration royale MARCULFE, Formules, I, 8 (éd. K. ZEUMER, MGH, LL, V, p. 47-48 ; trad. IMBERT -SAUTEL, Hist. des inst., I, p. 340) Charte de duché, de patriciat ou de comté. — La perspicacité de la clémence royale est louée dans sa perfection pour ce qu’elle sait choisir entre tous les sujets ceux que distinguent leur mérite et leur vigilance et il ne convient pas de remettre une dignité judiciaire à quiconque avant d’avoir éprouvé sa foi et son zèle. En conséquence, comme il nous semble avoir trouvé en toi, foi et efficacité, nous t’avons confié la charge du comté, du duché ou du patriciat, dans tel pays, que Un tel, ton prédécesseur, paraît avoir assumée jusqu’à présent, pour l’assumer et la régir, en sorte que tu gardes toujours une foi intacte à l’égard de notre gouvernement, et que tous les peuples habitant là — tant Francs, Romains, Burgondes que toute autre nation — vivent et soient administrés par ta direction et ton gouvernement et que tu les régisses par droit chemin, selon leur loi et coutume, que tu apparaisses le grand défenseur des veuves et des orphelins, que les crimes des brigands et des malfaiteurs soient sévèrement réprimés par toi, afin que les peuples vivant dans la prospérité et dans la joie sous ton gouvernement aient à demeurer tranquilles ; et que tous ce que dans cette charge l’autorité du fisc est en droit d’attendre que tu l’apportes toi-même, chaque année, à nos trésors. 12 SÉANCE 4 La féodalité 13 L’Ordinatio imperii de 817 (éd. BORETIUS, MGH, Cap. reg. Franc., I, p. 270-273, n° 136 ; trad. IMBERT -SAUTEL, Hist. des inst., I, p. 382-384) Au nom du Seigneur Dieu et de notre Sauveur Jésus-Christ, Louis, par la divine Providence, empereur auguste. Comme nous avions réuni, au nom de Dieu, l’an huit cent dix-sept de l’Incarnation du Seigneur, indiction dix, et la quatrième année de notre règne impérial, au mois de juillet, dans notre palais d’Aix-laChapelle, selon l’usage accoutumé, une assemblée sacrée et la généralité de notre peuple pour traiter de l’utilité des églises et de tout notre empire, et que nous nous appliquions à ces [desseins], brusquement sous l’effet de l’inspiration divine, il arriva que nos fidèles nous invitèrent à traiter, selon l’usage de nos parents, de l’état de tout notre royaume et de la situation de nos fils, alors que nous étions en bonne santé et que Dieu nous concédait la paix de tout côtés. Mais quoique cette invitation fût faite en tout dévouement et fidélité, il ne nous a nullement paru [convenable] ni à nous ni à ceux qui ont l’esprit saint et sage, que pour l’amour et la grâce de nos fils, l’unité de l’empire qui nous a été conservé par Dieu, fût scindée par le partage des hommes, de peur qu’à cette occasion n’éclate un scandale dans la sainte Église et que nous ne commettions une offense envers celui au pouvoir de qui se trouvent les droits de tous les royaumes. C’est pourquoi nous avons pensé qu’il était nécessaire d’obtenir de lui, par des jeûnes, des prières et des largesses d’aumônes, ce que notre faiblesse n’osait pas [tenter]. Ces rites étant accomplis pendant trois jours, par la volonté du Dieu tout puissant, à ce que nous pensons, il se fit que nos vœux et ceux de tout notre peuple convergèrent pour le choix de notre bien-aimé fils aîné, Lothaire. En conséquence, la divine Providence a voulu nous manifester ainsi qu’à notre peuple que [notre fils] par un vœu commun, [devait être] selon l’usage solennel, couronné du diadème impérial et devenir notre associé et notre successeur, si Dieu le veut, à l’Empire. Quant à ses frères, Pépin et Louis, notre homonyme, il plut d’un commun conseil de les distinguer par le titre royal et de les établir dans les pays ci-dessous désignés, où après notre décès, ils exerceraient le pouvoir sous la puissance royale de leur frère aîné, selon les articles notés ci-dessous où se trouve renfermée cette condition que nous avons établie entre eux. Ces articles ont été déterminés avec la collaboration de tous nos fidèles pour l’utilité de l’empire et la conservation entre tous d’une paix perpétuelle ainsi que pour la sécurité de l’Église toute entière ; et eux déterminés [il a plu] de les consigner par écrit et de les confirmer par nos propres souscriptions manuelles de telle sorte qu’avec le secours de Dieu, comme tous ont agi d’un commun vœu, de même tous les conservent inviolablement pour leur paix perpétuelle et celle du peuple chrétien tout entier ; étant sauf en tout notre pouvoir impérial sur nos fils et notre peuple avec toute la soumission qui doit être témoignée au père par ses fils et à l’empereur et au roi par ses peuples. — 1. Nous voulons que Pépin ait l’Aquitaine, la Gascogne et toute la marche de Toulouse et en outre quatre comtés, c’est-à-dire, en Septimanie, celui de Carcassonne et en Bourgogne, ceux d’Autun, d’Avallon et de Nevers. — 2. De même nous voulons que Louis ait la Bavière, la Carinthie, la Bohême, le pays des Avars et des Slaves qui sont au-delà de la partie orientale de la Bavière, et en outre qu’il ait à sa disposition deux domaines impériaux dans le pays de Lauterhofen et d’Ingolstadt… — 18. Nous sollicitons encore le dévouement de tous notre peuple et l’assurance remarquable d’une foi sincère chez tous nos peuples pour que si, celui de nos fils qui succèdera par la volonté divine, disparaît de ce monde sans enfant légitime, en vue du salut de tous, de la tranquillité de l’Église et l’unité de l’Empire, on imite en choisissant l’un de nos enfants, s’ils survivent à leur frère, la condition que nous avions mise à sa propre désignation, de telle sorte que dans cet établissement, on recherche l’accomplissement d’une volonté non pas humaine mais divine. La cérémonie Serments prêté au nouveau comte de Flandre Guillaume, et investiture (1127) GALBERT DE BRUGES, Histoire du meurtre de Charles le Bon, Chap. 54 (éd. H. PIRENNE, Paris, 1891, p. 89) Le sept des ides d’avril, un jeudi, on fit à nouveau hommage au comte. Ces hommages firent accomplis de la manière suivante pour lui assurer la foi et la sûreté. En premier lieu, on fit hommage de la façon suivante : le comte demanda [au futur vassal] s’il voulait devenir son homme sans réserve, et celui-ci répondit : “ Je le veux ” ; puis ses mains étant jointes dans celles du comte, qui les étreignit, ils s’allièrent par un baiser ; en second lieu, celui qui avait fait hommage engagea sa foi en ces termes : “ Je promets en ma foi d’être fidèle, à partir de cet instant, au comte Guillaume, et de lui garder contre tous et entièrement son hommage, de bonne foi et sans tromperie ” ; en troisième lieu, il jura cela sur les reliques des saints. Ensuite, avec la verge qu’il tenait à la main, le comte leur donna les investitures à eux tous qui, par ce pacte, lui avaient promis sûreté, fait hommage et en même temps prêté serment. 14 Les obligations du vassal FULBERT DE CHARTRES, Lettre à Guillaume V d’Aquitaine (1020) (éd. Rec. des hist. des Gaules, X, p. 463 ; trad. GANSHOF, Qu’est-ce que la féodalité5, p. 135-36) Au très glorieux duc d’Aquitaine Guilhem, Fulbert, évêque. Invité à écrire sur la teneur de la fidélité, j’ai noté brièvement pour vous ce qui suit, d’après les Livres qui font autorité. Celui qui jure fidélité à son seigneur doit toujours avoir les six mots suivants présents à la mémoire : sain et sauf, sûr, honnête, utile, facile, possible. Sain et sauf, afin qu’il ne cause pas quelque dommage au corps de son seigneur. Sûr, afin qu’il ne nuise pas à son seigneur en livrant son secret ou ses châteaux forts qui garantissent sa sécurité. Honnête, afin qu’il ne porte pas atteinte aux droits de justice de son seigneur ou aux autres prérogatives intéressant l’honneur auquel il peut prétendre. Utile, afin qu’il ne fasse pas de tort aux possessions de son seigneur. Facile et possible, afin qu’il ne rende pas difficile à son seigneur le bien que celui-ci pourrait facilement faire et afin qu’il ne rende pas impossible ce qui eût été possible à son seigneur. C’est justice que le vassal s’abstienne de nuire ainsi à son seigneur. Mais ce n’est pas ainsi qu’il mérite son fief, car il ne suffit pas de s’abstenir de faire le mal, mais il faut faire le bien. Il importe donc que sous les six aspects qui viennent d’être indiqués, il fournisse fidèlement à son seigneur le conseil et l’aide, s’il veut paraître digne de son bénéfice et s’acquitter de la fidélité qu’il a jurée. Le seigneur aussi doit, dans tous ces domaines, rendre la pareille à celui qui a juré fidélité. S’il ne le faisait pas, il serait à bon droit taxé de mauvaise foi ; de même que le vassal qui serait surpris manquant à ses devoirs, par action ou par simple consentement, serait coupable de perfidie et de parjure. Les trois ordres de la société féodale ADALBÉRON DE LAON, Poème au roi Robert [le Pieux] (vers 1025) (éd. G. A. HÜCKEL, Bibl. de la fac. des lettres…. de Paris, t. XIII, 1901, p. 128-184 ; trad. E. POGNON, L’an mille, Paris, 1947, p. 225-226) Pour que la Res publica jouisse de la paix tranquille de l’Église, il est nécessaire de l’assujettir à deux lois différentes, définies l’une et l’autre par la sagesse, qui est la mère de toute vertu. L’une — la loi divine — ne fait aucune différence entre ses ministres ; selon elle, ils sont tous égaux de condition, si différents entre eux que la nature ou leur rang aient pu les faire naître ; un fils d’ouvrier n’est pas inférieur à l’héritier d’un roi. À ceux-là, cette loi clémente interdit toute vile occupation mondaine. Il ne fendent point la glèbe ; ils ne marchent pas derrière la croupe des bœufs ; à peine s’occupent-ils des vignes, des arbres, des jardins. Ils ne sont ni bouchers, ni aubergistes, pas plus que gardiens de porcs, conducteurs de boucs ou bergers ; ils ne criblent point le blé, ignorent la cuisante chaleur d’une marmite graisseuse ; ils ne font point trémousser les cochons sur le dos des bœufs ; ils ne sont pas blanchisseurs et dédaignent de faire bouillir le linge. Dieu leur a soumis par ses commandements le genre humain tout entier ; pas un prince n’en est excepté, puisqu’il est dit “ tout entier ”. La société des fidèles ne forme qu’un corps ; mais la Res publica en comprend trois. Car l’autre — la loi humaine — distingue deux autres groupes ; nobles et serfs, en effet, ne sont pas régis par le même statut. Deux personnages occupent le premier rang : l’un est le roi, l’autre l’empereur ; c’est leur gouvernement que nous voyons assurer la solidité de la Res publica. Il y en a d’autres dont la condition est telle que nulle puissance ne les contraint, pourvu qu’ils s’abstiennent des crimes réprimés par la justice royale. Ceux-ci sont les guerriers, protecteurs des églises ; ils sont les défenseurs du peuple, des grands comme des petits, de tous enfin, et assurent du même coup leur propre sécurité. La maison de Dieu, que l’on croit une, est donc divisée en trois : les uns prient (oratores), les autres combattent (pugnatores), les autres enfin travaillent (laboratores). Ces trois parties qui coexistent ne souffrent pas d’être disjointes ; les services rendus par l’une sont la condition des œuvres des deux autres ; chaune à son tour se charge de soulager l’ensemble. Ainsi, cet assemblage triple n’en n’ait pas moins un ; et c’est ainsi que la loi a pu triompher et le monde jouir de la paix. Mais aujourd’hui les lois tombent en ruines et déjà toute la paix a fui ; les mœurs des hommes s’altèrent, la structure de la Res publica s’altère. Roi, tu ne tiens à bon droit la balance de la justice, tu ne gouvernes le monde que si tu contiens avec les rênes des lois ceux qui glissent sur la pente du crime. 15 SÉANCE 5 Le droit coutumier 16 Le morcellement coutumier de l’époque féodale PHILIPPE DE BEAUMANOIR, Coutumes de Clermont en Beauvaisis (1283) (Texte adapté, J.-M. CARBASSE, Introduction Historique au droit, p. 131-132.) §1 : La grande espérance que nous avons en l’aide de Celui par qui toutes choses sont faites et sans qui rien ne pourrait être fait (…) nous donne envie de mettre tout notre cœur et notre intelligence au travail pour composer un libre grâce auquel ceux qui désirent vivre en paix puissent apprendre rapidement comment se défendre contre ceux qui les assigneront en justice à tort et pour mauvaise cause, et comment distinguer le droit du tort, selon l’usage et la coutume de Clermont en Beauvaisis. Et parce que nous sommes de ce pays-ci, et que nous nous sommes occupé de garder les droits et les coutumes de cette comté par la volonté du très haut et très noble homme Robert, fils du Roi de France, comte de Clermont, nous devons avoir le désir plus particulier d’écrire sur les coutumes de ce pays-ci plutôt que d’un autre ; et nous avons trois raisons principales qui nous y poussent. §2 : La première raison, c’est que Dieu a commandé que l’on aimât son prochain comme soi-même, et que les habitants de ce pays-ci sont notre prochain pour raison de voisinage et de naissance (« nacion ») (…). §3 : La seconde raison, c’st pour faire, avec l’aide de Dieu, quelque chose qui plaise à notre seigneur le comte et à ceux de son conseil ; car, s’il plait à Dieu, il pourra apprendre dans ce libre comment il devra garder et faire garder les coutumes de sa terre, la comté de Clermont, de sorte que ses hommes et le menu peuple puissent vivre en paix au-dessous de lui et qu’ainsi tricheurs et fripons soient démasqués et repoussés (« boutés arrière ») par le droit et la justice du comte. §4 : La troisième raison, c’est qu’il va de soi que nous avons mieux en mémoire ce que nous avons vu pratiquer et juger depuis notre enfance en ce pays-ci plutôt qu’en d’autres dont nous n’avons appris ni les coutumes ni les usages. §6 : Et (…) nous entendons appuyer principalement ce libre sur les jugement qui ont été rendus de notre temps en ladite comté de Clermont ; et aussi pour partie sur les clairs usages et claires coutumes qui y ont été de tout temps observés et pratiqués ; et pour partie, dans les cas douteux en ladite comté, sur les jugements rendus dans les châtellenies voisines ; et (enfin) sur le droit qui est commun à tous au royaume de France (…). §7 : (…) Il m’est avis, que ces coutumes qui sont maintenant en usage, il est bon et profitable de les écrire et de les enregistrer de façon qu’elles soient maintenus sans plus changer dorénavant ; car, comme les mémoires sont chancelantes et la vie des hommes courte, ce qui ‘est pas écrit est bientôt oublié. On le voit bien, les coutumes sont si diverses que l’on ne pourrait pas trouver au royaume de France deux châtellenies qui usent dans tous les cas d’une même coutume. (…) Chapitre I. - De l’office du Bailli § 29 : Quiconque entre en office de baillie doit jurer sur les (reliques des) saints qu’il gardera le droit de son seigneur et d’autrui, qu’il ne prendra rien pour faire droit ou faire tort et qu’il maintiendra une droite et loyale justice. Et quand il a fait ce serment, il doit œuvrer de manière à ne pas être parjure (…). § 31 : Parce que ce serait chose trop longue et trop pénible pour les hommes qui font les jugements de mettre en jugement tous les cas qui viennent devant le bailli, celui-ci doit s’efforcer d’expédier les affaires quand il sait ce qu’il faut faire selon la coutume, et quand la chose est claire et évidente. Mais ce qui est douteux, et les affaires importantes (« grosses querelles ») doivent être mises en jugement. Et il ne convient pas que l’on mette en jugement les cas qui ont déjà été jugés autrefois, même si le jugement a été fait par d’autres personnes, car l’on ne doit pas faire plusieurs jugements pour un même cas. (…) Chapitre XXIV. - De coutumes et d’usages § 683 : La coutume est prouvée de deux manières. C’est d’abord lorsqu’elle est générale dans toute la comté et qu’elle existe depuis longtemps que quiconque peut s’en souvenir sans contestation. (…) Et l’autre manière de reconnaître une coutume, c’est, lorsqu’il y a eu contestation sur une coutume alléguée par une partie, l’approbation de cette coutume en justice, comme il est advenu bien des fois en partages de succession et en autres querelles. Voilà les deux voies pour prouver une coutume. Et ces coutumes (prouvées), le comte est tenu de les garder et faire garder par ses sujets de telle façon que nul ne les corrompe. Et si le comte lui-même voulait les corrompre ou souffrait qu’elles fussent corrompues, le Roi ne le devrait pas souffrir, car il est tenu de garder et faire garder les coutumes de son royaume. 17 SÉANCE 6 La royauté capétienne 18 La fonction royale JONAS D’ORLÉANS, De l’institution royale (IXe siècle) La fonction de roi consiste à gouverner et régir le peuple de Dieu en équité et justice et en sorte que tous s’appliquent à cultiver la paix et la concorde. En conséquence, lui-même doit d’abord être le défenseur de l’Église et des serviteurs de Dieu. Son devoir est de favoriser avec sagacité le salut et le ministère des prêtres, il doit garder par ses armes et par sa protection, l’Église du Christ, défendre la misère, les veuves, les orphelines et tous autres pauvres et tous indigents. Sa crainte et son soin doivent être autant que possible d’empêcher d’abord l’injustice, ensuite, au cas où celle-ci se réaliserait, ne lui permettre de durer en aucune manière et ne laisser à personne l’espoir d’échapper ou l’audace de mal faire, mais que tous sachent que si quelque méfait par eux commis, parvient à sa connaissance, celui-ci ne demeurera ni sans châtiment, ni sans vengeance, mais que selon la nature du fait, s’établira la mesure du juste châtiment, c’est pourquoi le roi a été placé sur le trône du gouvernement pour mener à bien les jugements droits, de telle sorte que par lui-même il veille et s’informe afin que nul dans l’exercice de la justice qu’il administre, dans le cadre des fonctions à lui commises, ne s’écarte de la vérité et de l’équité. Il doit savoir en effet que la cause qu’il administre, dans le cadre des fonctions à lui commises, n’existe pas en tant que cause des hommes, mais comme cause de Dieu, à qui en raison de la fonction qu’il a reçue, il devra rendre des comptes au jour terrible du jugement. Le caractère électif de la royauté ADHÉMAR DE CHABANNES, Chronique (éd. J. CHAVANON, Paris, 1897, p. 205 ; trad. J. CALMETTE, Text. et doc. d’hist., II, p. 133) À cette époque, Aldebert, comte de Périgord, qui était le fils de Boson le vieux et d’une sœur de Bernard du nom d’Emma, avait porté la guerre sous les murs de Poitiers et se comportait en vainqueur. S’étant emparé aussi de Tours par un siège, il en avait reçu la soumission pour la donner à Foulques, comte d’Anjou. Mais ce dernier n’avait pas tardé à s’aliéner les habitants, et Eudes de Champagne était entré dans la place. Aldebert remit le siège devant la ville ; alors le roi Hugues et Robert on fils ne craignirent pas de le menacer d’une guerre ; ils lui tinrent ce propos : “ Qui t’as fait comte ? ” Aldebert de rétorquer : “ Qui vous a fait rois ? ”. Association au trône et suzeraineté SUGER, abbé de Saint-Denis (†1151), La Geste de Louis VI1, Chapitre III (Éd. et trad. Michel Bur, Imprimerie nationale Éditions, 1994) Ainsi le jeune et renommé Louis, agréable, aimable et bienveillant (au point que certaines gens le tenaient pour simple) devenait adulte. Illustre et courageux défenseur du royaume paternel, il pourvoyait aux intérêts des églises et, ce qui durant longtemps n’avait pas été dans les habitudes, veillait à la tranquillité du clergé, des travailleurs et des pauvres. Or il advint en ce temps que des différends surgirent à propos de certaines coutumes entre l’abbé de SaintDenis Adam et Bouchard, homme noble, seigneur de Montmorency. L’effervescence et l’irritation devinrent à ce point pénibles que, tout lien d’hommage rompu, les anciens alliés entrèrent en conflit par les armes, les combats et le feu. Le bruit de cette affaire parvint aux oreilles de Monseigneur Louis, qui, dans son indignation, eut peine à tolérer pareille chose. Sans retard, il fit semondre ce Bouchard à comparaître devant son père au château de Poissy pour y être jugé. Ayant perdu son procès, Bouchard ne voulut pas exécuter la sentence portée par jugement. On ne le retint pas : ce n’est pas la coutume des Français ; mais s’étant retiré, il vit bientôt quel dommage, quelle ruine mérite de la part de la majesté royale l’insubordination des sujets. En effet, le jeune et fameux prince porta immédiatement les armes contre lui et aussi contre ses alliés et complices, car Bouchard s’était adjoint Mathieu, comte de Beaumont, et Dreu de Mouchy, vaillants hommes et belliqueux [1101] ; il ravagea la terre de Bouchard et, détruisant les lieux fortifiés et les basses-cours à l’exception des donjons, la mit dans le pire état, l’accablant sous le poids des incendies, de la faim, des coups d’épée. De l’intérieur du château on faisait pareillement des efforts pour résister. Alors, avec les chevaliers français et flamands, ceux de son oncle Robert et les siens propres, il mit le siège tout autour. Par ces coups et d’autres semblables, écrasants pour Bouchard, il humilia celui-ci, le courba sous sa volonté et son bon plaisir, et apaisa, en obtenant satisfaction, la querelle qui avait causé les troubles. 1 Louis VI le Gros, roi de France (1108-1137), fils de Philippe Ier (1060-1108). 19 Procès verbal du couronnement de Philippe Ier (1059) L’an de l’Incarnation du Seigneur 1059, indiction douze, vingt-huitième du règne du roi Henri finissant ce jour, dix des calendes de juin, la quatrième année de l’épiscopat de Gervais ; le saint jour de Pentecôte, le roi Philippe a été sacré par l’archevêque Gervais dans l’église cathédrale, devant l’autel de Notre-Dame selon l’ordre suivant. La messe commencée, avant la lecture de l’épître le seigneur archevêque se tourna vers le roi et lui exposa la foi catholique, lui demandant s’il y croyait et s’il la voulait défendre. Sur sa réponse affirmative, on lui présenta la professio ; l’ayant acceptée, il en fit lui-même la lecture, bien qu’il ne fût alors âgé que de sept ans et il la souscrivit. Cette professio était ainsi : “ Moi Philippe, par la faveur de Dieu bientôt futur roi de France, en ce jour de mon ordination je promets devant Dieu et devant ses saints de conserver à chacun de vous le privilège canonique, la foi qui lui est due et la justice ; d’être leur défenseur autant que je le pourrai avec l’aide de Dieu, comme il est juste qu’un roi agisse en son royaume, en faveur de chaque évêque et de l’Église à lui commise ; d’accorder aussi au peuple qui nous est confié, de notre autorité, des lois conformes à ses droits ”. Cette lecture achevée, le roi déposa cette promesse entre les mains de l’archevêque, en présence d’Hugues de Besançon, légat du pape Nicolas II. Étaient également présent : Hermafroi, évêque de Sion, Mainard archevêque de Sens, Barthélémy, archevêque de Tours, Heddon évêque de Soissons, Roger, évêque de Chalons, Elinand, évêque de Laon, Baudoin évêque de Noyon, Riolant, évêque de Senlis, Lietbert, évêque de Cambrai, Guy, évêque d’Amiens, Aganon évêque d’Autun, Hardouin, évêque de Langres, Achard, évêque de Chalon-sur-Saône, Isembert, évêque d’Orléans, Imbert, évêque de Paris, Gautier, évêque de Meaux, Hugues, évêque de Nevers, Geoffroy, évêque d’Auxerre, Hugues, évêque de Troyes, Itier, évêque de Limoges, Guillaume, évêque d’Angoulême, Arnoul, évêque de Saintes, Werec, évêque de Nantes, enfin les abbés de Saint-Remi, Saint-Benoît-sur-Loire, Saint-Denis, etc. L’archevêque Gervais prit en main le bâton pastoral de saint Remi et exposa, au milieu du plus grand calme, pour quelles raisons il avait le droit d’élire et de consacrer le roi, depuis que saint Remi avait baptisé et consacré Clovis. Il montra ensuite comment le pape Hormisdas avait donné à saint Remi ce droit de consécration en même temps que la primatie de toute la Gaule et comment le pape Victor lui avait renouvelé ce privilège à lui et à son église. Alors avec le consentement de son père Henri, l’archevêque procéda à l’élection royale de Philippe. Après lui, les légats du Siège romain quoiqu’il eût été dit expressément que cette cérémonie pouvait avoir lieu sans l’assentiment du pape, les légats y assistèrent cependant pour faire honneur au prince et lui témoigner son affection. Après eux, l’archevêque et les évêques, les abbés et les clercs. Ensuite Gui, duc d’Aquitaine. Après, Hugues, fils et envoyé du duc de Bourgogne. Après, les envoyés du marquis Baudouin et ceux de Geoffroy, comte d’Anjou. Ensuite le comte Raoul de Valois, Herbert de Vermandois, Gui de Ponthieu, Guillaume de Soissons, Renaud, Roger, Manassé, Hilduin, Guillaume d’Auvergne, Aldebert de la Marche, Foulques d’Angoulême, le vicomte de Limoges. Après, les chevaliers et le peuple, tant grand que menu, donnant leur consentement d’une seule voix, approuvèrent en criant trois fois : “ Nous approuvons, nous voulons qu’il en soit ainsi. ” Alors Philippe rendit lui-même un précepte, comme avaient fait ses prédécesseurs, concernant les biens de Notre-Dame, le comté de Reims, les biens de Saint-Rémi et d’autres abbayes. Il le confirma et souscrivit. L’archevêque souscrivit également. Il l’établit grand chancelier comma avaient toujours fait ses prédécesseurs pour les archevêques de Reims. Il fut ensuite consacré. L’archevêque revint à son trône, fit apporter le privilège du pape Victor et en fit donner lecture en présence des évêques. Cette cérémonie s’accomplit dans le recueillement, sans trouble et sans que personne fit la moindre opposition. 20 SÉANCE 7 Les lois fondamentales du royaume 21 Chronique dite de Jean de Venette (vers 1345-1368) À la mort du roi Charles (IV), les barons furent convoqués pour traiter de la garde du royaume. En effet, comme la reine était enceinte et que l’on ne pouvait préjuger du sexe de l’enfant, personne n’osait, à titre précaire, assumer les prérogatives royales. Toute la question était de savoir à qui, par droit de proximité, devait être confiée la garde du royaume, surtout en raison du principe que dans le royaume de France la femme n’a pas accès personnellement au pouvoir royal. De leur côté, les Anglais déclaraient que leur jeune roi Édouard était le plus proche parent, en tant que fils d’une fille de Philippe le Bel (Isabelle) et par conséquent neveu du feu roi Charles. Si donc la reine ne mettait pas au monde un enfant mâle, ce prince devrait assumer la garde et même le gouvernement du royaume, plutôt que Philippe, comte de Valois, qui n’était que cousin germain du défunt. Nombre de juristes compétents en droit canon et en droit civil s’accordèrent cependant à déclarer qu’Isabelle, reine d’Angleterre, fille de Philippe le Bel et sœur du feu roi Charles, était écartée de la garde et de la conduite du royaume non en raison de son degré de parenté, mais à cause de son sexe : à supposer qu’elle eût été homme, la garde et le gouvernement lui eussent été attribués. La polémique devait se poursuivre quand fut posée la question du trône. Les Français n’admettaient pas sans émotion l’idée d’être assujettis à l’Angleterre. Or si le fils d’Isabelle avait quelque droit à alléguer, il tenait ce droit de sa mère : or, sa mère n’avait aucun droit. Il en allait donc de même du fils. Autrement c’eût été admettre que l’accessoire l’emportait sur le principal. Cette sentence ayant été retenue comme la plus sensée et adoptée par les barons, la garde du royaume fut donnée à Philippe, comte de Valois, et il reçut alors le titre de régent du royaume. Le « Honteux traité de Troyes » (Mai 1420) Charles par la grâce de Dieu, roi de France […] Premièrement que, pour ce que par l’alliance de mariage faite pour le bien de la dite paix en notre dit fils le roi Henri et notre très chère et très aimée fille Catherine, il est devenu notre fils […] — 6. Item, est accordé que tantôt après notre trépas et dés lors en avant, la couronne et le royaume de France, avec tous leurs droits et appartenances demeureront et seront perpétuellement à notre dit fils le roi Henri et ses hoirs. — 7. Item, que pour ce que nous sommes tenus et empêchés le plus du temps, par telle manière que nous ne pouvons en notre personne entendre ou vaquer à la disposition des besognes de notre royaume, la faculté et exercice de gouverner et ordonner la chose publique dudit royaume seront et demeureront, notre vie durant, à notre dit fils le roi Henri, avec le conseil des nobles et sages du royaume … — 12. Item, que notre fils labourera de son pouvoir, et le plutôt que faire se pourra profitablement, à mettre en notre obéissance toutes et chacunes villes cités et châteaux, lieux, pays et personnes dedans notre royaume, désobéissants à nous et rebelles, tenant le parti ou étant du parti vulgairement appelé du Dauphin ou d’Armagnac … — 29. Item, considéré les horribles et énormes crimes et délits perpétrés audit royaume de France, par Charles, soit-disant dauphin de Viennois, il est accordé que nous, ni notre dit fils le roi Henri, ni aussi notre très cher Philippe, duc de Bourgogne, ne traiterons aucunement de paix ou de concorde avec ledit Charles, ne ferons ou ferons traiter, sinon du conseil et assentiment de tous et chacun de nous trois et des trois États des deux royaumes dessus dits. 22 L’édit de Moulins (février 1566) 1. Le domaine de notre couronne ne peut être aliéné qu’en deux cas seulement, l’un pour apanage des puînés mâles de la maison de France, auquel cas il y a retour à notre couronne par leur décès sans mâles, en pareil état et condition qu’était ledit domaine lors de la concession de l’apanage, nonobstant toutes dispositions, possession, acte exprès ou taisible fait ou intervenu pendant l’apanage ; l’autre pour l’aliénation à deniers comptants pour la nécessité de la guerre, après lettres patentes pour ce décernées et publiées en nos parlements, auquel cas il y a faculté de rachat perpétuel. — 2. Le domaine de notre couronne est entendu comme celui qui est expressément consacré, uni et incorporé à notre couronne, ou qui a été tenu et administré par nos receveurs et officiers pendant l’espace de dix ans et est entré en ligne de compte. — 3. De pareille nature et condition sont les terres autrefois aliénées et transférées par nos prédécesseurs rois, à la charge de retour à la couronne, en certaines conditions de mâles ou autres semblables. — 4. Ne pourra notre domaine être baillé à ferme ou louage, sinon au plus offrant et dernier enchérisseur ; et ne pourront les fruits des fermes ou louages dudit domaine être données à quelque personne, ni pour quelque cause que ce soit ou puisse être ; pareillement ne seront baillés aucunes exemptions des paiements des droits appartenant et dépendant dudit domaine en quelque forme ou façon que ce soit. — 5. Défendons à nos cours de parlements et chambres des comptes d’avoir aucun égard aux lettres patentes contenant aliénation de notre domaine et fruit de celui-ci, hors des cas susdits, pour quelque cause et temps que ce soit, encore que ce fût pour un an, et leur est inhibé de procéder à l’entérinement et vérification d’icelles. Et ne sont tenues pour valablement entérinées celles qui auront ci-devant été octroyées, sinon qu’elles eussent été vérifiées tant en nos dites cours de parlements que chambres des comptes, et par chacune desdites cours et chambres : et ne sera par vertu de celles-ci aucune chose allouée aux comptes des officiers comptable dudit domaine. — 6. Ceux qui détiennent le domaine de notre couronne sans concession valable dûment vérifiée, autrement que dessus, seront condamnés et tenus rendre les fruits perçus depuis leur indue possession et jouissance : non seulement depuis la saisie qui sera faite depuis la réunion, mais aussi depuis leur jouissance ou de leurs prédécesseurs, sans qu’ils se puissent excuser de bonne foi, quelque titre ou concession qu’ils aient de nos prédécesseurs ou de nous […]. — 17. Les terres domaniales ne se pourront dorénavant aliéner par inféodation à vie, à long temps ou perpétuité, ou condition quelle que ce soit. Au contraire, elles se bailleront à ferme à notre profit comme nos autres terres et droits : et de pareille façon sera usé ès terres sujettes à retour à notre couronne, et ce sans préjudice des inféodations déjà faites, pour le regard desquelles enjoignons à nos procureurs de s’enquérir bien et diligemment de la cause et forme, pour en faire telle poursuite que de raison. Arrêt dit « Lemaistre » rendu le 28 juin 1593 par le Parlement de Paris Sur la remontrance ci-devant faite à la cour par le procureur général du roi et la matière mise en délibération, ladite cour, toutes chambres assemblées, n’ayant, comme elle n’a jamais eu, autre intention que de maintenir la religion catholique, apostolique et romaine et l’État royal et Couronne de France sous la protection d’un bon roi très chrétien, catholique et français, a ordonné et ordonne que remontrances seront faites cette après-dîner par Maître Jean Lemaistre, président, assisté d’un bon nombre de conseillers en ladite cour, à Monsieur le lieutenant général du royaume*, en présence des princes et officiers de la Couronne étant à présent en cette ville, à ce qu’aucun traité ne se fasse pour transférer la Couronne en la main de prince ou princesse étrangers ; que les lois fondamentales de ce royaume soient gardées et les arrêts donnés par ladite cour pour déclaration d’un roi catholique et français exécutés ; et qu’il ait à employer l’autorité qui lui est commise pour empêcher que, sous prétexte de la religion, la Couronne ne soit transférée en main étrangère contre les lois du royaume ; et pourvoir le plus promptement que faire se pourra au repos et soulagement du peuple, pour l’extrême nécessité en laquelle il est réduit. Et néanmoins, dès à présent, ladite cour déclare tous traités faits et à faire ci-après pour l’établissement de prince ou princesse étrangers, nuls et de nul effet et valeur, comme faits au préjudice de la loi salique et autres lois fondamentales de l’État. 23 L’édit de Marly pris par Louis XIV en Juillet 1714 Louis […]. L’affection que nous portons à notre très cher et bien-aimé fils Louis-Auguste de Bourbon, duc du Maine, et à notre très cher et bien-aimé fils Louis-Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse, nous a engagé à les légitimer et à leur donner le nom de Bourbon par nos lettres des mois de Décembre 1673 et novembre 1681 […]. Nous avons aussi estimé devoir les faire jouir des prérogatives et avantages dus à leur naissance en leur accordant au mois de mai 1694 des lettres pour tenir, eux et leur descendants en légitime mariage, le premier rang immédiatement après les princes de sang royal […]. Mais, voulant leur donner encore de plus grandes marques de notre tendresse et de notre estime, nous croyons devoir porter nos vues plus loin en leur faveur, en pourvoyant en même temps à ce que nous croyons être du bien et de l’avantage de notre État. Et quoique par le grand nombre de princes du sang dont la maison royale est présentement composée, il y ait tout lieu d’espérer que […] la couronne y demeurera pendant une longue suite de siècles, une sage prévoyance exige néanmoins de notre amour pour la tranquillité de notre royaume que nous prévenions les malheurs et les troubles qui pourraient y arriver, si tous les princes de notre maison royale venaient à manquer ; ce qui ferait naître des divisions entre les grands seigneurs du royaume et donnerait lieu à l’ambition pour s’assurer la souveraine autorité par le sort des armes et par d’autres voies également fatales à l’État. La crainte d’un si triste événement […] nous engage d’assurer à notre royaume des successeurs qui y soient déjà fortement attachés par leur naissance et de désigner ceux à qui cette couronne devra être dévolue dans les temps à venir, s’il arrivait qu’il ne restât pas un seul prince légitime du sang et de la maison de Bourbon pour porter la couronne de France ; nous croyons qu’en ce cas l’honneur d’y succéder serait dû à nos dits enfants légitimés et à leur enfants et descendants mâles nés en légitime mariage […]. Pour ces causes […], déclarons et ordonnons par le présent Édit, perpétuel et irrévocable, que si, dans la suite des temps, tous les princes légitimes de notre auguste maison de Bourbon venaient à manquer en sorte qu’il n’en restât pas un seul pour être héritier de notre couronne, elle soit dans ce cas dévolue et déférée de plein droit à nos dits fils légitimés et à leurs enfants et descendants mâles à perpétuité […], les déclarant par ces présentes capables, au cas seulement de manquement de tous les princes légitimes de notre sang, de succéder à la couronne de France exclusivement à tous autres… Claude Leprestre, Questions notables de droit, Paris, éd. 1663, p. 226-229. Après la mort de Louis le Hutin, laissant une seule fille de sa première femme et Clémence sa seconde femme, enceinte, les barons et seigneurs de la France ordonnèrent que Philippe, son frère, serait déclaré régent ; afin que, si Clémence accouchait d'un fils, il continuât la régence jusqu'à la majorité de l'enfant et que, si elle accouchait d'une fille, il fût déclaré roi […]. Le fils qui naquit de Clémence, nommé Jean, ne vécut que huit jours et Philippe fut reconnu roi. Eudes, duc de Bourgogne, voulut défendre le droit au royaume pour Jeanne (sa nièce), la fille de Louis le Hutin, alléguant que le droit lui ordonnait de succéder à son père qui n'avait ni fils, ni plus proche héritier qu'elle. La chronique non imprimée de ce temps écrit : « on lui opposa que les femmes ne devaient point succéder au royaume de France, sans pouvoir pourtant en apporter de preuves évidentes ». Cette chronique ne fait aucune mention de la loi salique […]. Charles le Bel, frère de Philippe, lui succéda au royaume en excluant les filles de Philippe qui ne lui en firent d'ailleurs aucune controverse. Mais après la mort de Charles le Bel, qui avait laissé sa femme enceinte (et accoucha d'une fille), la dispute se renouvela plus fort que jamais entre Philippe de Valois son cousin, et Édouard, roi d'Angleterre, son neveu. Philippe de Valois défendait son droit par la loi salique qui donnait la succession de la couronne au plus proche parent mâle du défunt. Édouard déniait la loi salique […]. Les raisons de l'un et l'autre ayant été entendues en assemblées des États généraux, au jugement desquels ils s'étaient remis, il y eut décision au profit de Philippe de Valois […]. 24 SÉANCE 8 La monarchie administrative 25 Pierre de l’Estoile, Journal - Extraits (vers 1345-1368) On fit aussi en ce temps, en France, un parti de la justice en l’édit de Paulet, tout propre pour la ruiner et l’abolir : car la dispense des quarante jours que les officiers achètent fera, comme dit quelqu’un, qu’ils se dispenseront aisément de bien faire, et feront porter injustement au peuple le tribut annuel qu’elle leur coûte, tout ainsi qu’ils ont déjà fait et font encore tous les jours : et encore que la dispense dise que c’est pour donner cœur aux officiers de bien servir, conservant par ce moyen leurs offices, si est-ce comme dit quelqu’un (qu’il y a apparence) qu’ils ne suivront jamais le sens de la lettre pour les garder plus longtemps ; mais s’en serviront à la même intention des partisans ; c’està-dire pour faire leur profit. Et c’est à craindre que les gens de bien même ne soient contraints d’en user ainsi, pour l’incommodité que cette rente et surcharge leur apportera. Il y a encore deux autres inconvénients (…) qui proviendront de cette dispense : c’est qu’elle rendra tous offices patrimoniaux aux officiers, et diminuera d’autant l’autorité du roi, les tirants du pouvoir de sa Majesté. L’autre inconvénient sera un vrai établissement de l’ignorance, et par conséquent, de toute confusion : car ils ont comme en héritage, par ce bon règlement, ce que par la science ils doivent acquérir. C’est une partie des raisons qui courent, et qu’on a fait entendre au roi même sur l’établissement de ce nouvel édit partisan. François Ier, Ordonnance sur le fait de la justice (Villers-Cotterêts, août 1539) in Isambert, Recueil général des anciennes lois françaises depuis l'an 420 jusqu'à la Révolution de 1789, Paris, Belin-Leprieur, 1828, t XlI, p.600-602, p.610-611. François (…) Sçavoir faisons à tous présens et advenir que, pour aucunement pourvoir au bien de notre justice, abréviation des procès et soulagement de nos sujets, avons, par édit perpétuel et irrévocable, statué et ordonné, statuons et ordonnons les choses qui s'ensuivent : 1. C'est à sçavoir que nous avons défendu et défendons à tous nos sujets de ne faire citer ni convenir les laïcs pardevant les juges d'Église ès actions pures personnelles, sur peine de perdition de cause et d'amende arbitraire. 2. Et avons défendu à tous juges ecclésiastiques de ne bailler ni délivrer aucunes citations verbalement ou par écrit, pour faire citer nosdits sujets purs lays èsdites matières pures personnelles, sur peine aussi d'amende arbitraire. (…) 4. Sans préjudice toutefois de la juridiction ecclésiastique ès matières de sacrement et autres pures spirituelles et ecclésiastiques, dont ils pourront connaître contre lesdits purs laïcs selon la forme de droit, et aussi sans préjudice de la juridiction temporelle et séculière contre les clercs mariés et non mariés, faisans et exerçans états ou négociations, pour raisons desquels ils sont tenus et ont accoutumé de répondre en cour séculière, où ils seront contraints de ce faire, tant ès matières civiles que criminelles, ainsi qu'ils ont fait par ci-devant. 5. Que les appellations comme d'abus, interjettées par les prêtres et autres personnes ecclésiastiques, ès matières de discipline et correction ou autres pures personnelles et non dépendantes de réalité, n'auront aucun effet suspensif ; ainsi nonobstant lesdites appellations et sans préjudice d'icelles, pourront les juges d'Église passer outre contre lesdites personnes ecclésiastiques. (…) 50. Que des sépultures des personnes tenans bénéfices sera faict registre en forme de preuve, par les chapitres, collèges, monastères et cures, qui fera foi et pour la preuve du temps de la mort, duquel temps sera fait expresse mention esdicts registres, et pour servir au jugement des procès où il seroit question de prouver ledit temps de la mort (…). 51. Aussi sera fait registres, en forme de preuve, des baptêmes, qui contiendront le temps et l'heure de la nativité, et par l'extraict dudict registre se pourra prouver le temps de la majorité ou minorité, et fera pleine foy à ceste fin (…). 53. Et lesquels chapitres, couvents et cures seront tenus mettre lesdicts registres par chacun an par devers le greffe du prochain siège du bailli ou sénéschal royal, pour y estre fidèlement gardés et y avoir recours quand mestier et besoin sera (…). 26 La séance du Parlement de Paris, dite « séance de la flagellation », du 3 mars 1766 Lorsque le roi a été monté sur les hauts-sièges ... s'étant assis et couvert il a dit : « J'entends que la présente séance ne tire pas à conséquence ... Messieurs, je suis venu moi-même répondre à vos remontrances. Monsieur de Saint-Florentin s'étant approché du roi, ayant mis un genou à terre, a pris des mains de S. M. la réponse, et ayant repris sa place, l'a fait passer au sieur Joly de Fleury, ... qui en a fait la lecture ainsi qu'il suit : […] Je ne souffrirai pas qu'il se forme en mon royaume une association qui ferait dégénérer en une confédération de résistance le lien naturel des mêmes devoirs et des obligations communes, ni qu'il s'introduise dans la Monarchie un corps imaginaire qui ne pourrait qu'en troubler l'harmonie. La magistrature ne forme point un corps, ni un ordre séparé des trois ordres du royaume ; les magistrats sont les officiers chargés de m'acquitter du devoir vraiment royal de rendre la justice à ses sujets, fonction qui les attache à ma personne et qui les rendra toujours recommandables à mes yeux. Je connais l'importance de leurs services : c'est donc une illusion, qui ne tend qu'à ébranler la confiance par de fausses alarmes, que d'imaginer un projet formé d'anéantir la magistrature et de lui supposer des ennemis auprès du trône; ses seuls, ses vrais ennemis sont ceux qui, dans son propre sein lui font tenir un langage opposé à ses principes ; qui lui font dire que tous les parlements ne font qu'un seul et même corps, distribué en plusieurs classes; que ce corps, nécessairement indivisible est de l'essence de la Monarchie et qu'il lui sert de base ; qu'il est le siège, le tribunal, l'organe de la Nation ; qu'il est le protecteur et le dépositaire essentiel de sa liberté, de ses intérêts, de ses droits; qu'il lui répond de ce dépôt, et serait criminel envers elle s'il l'abandonnait ; qu'il est comptable de toutes les parties du bien public, non seulement au roi, mais aussi à la Nation ; qu'il est juge entre le roi et son peuple ; que, gardien respectif : il maintient l'équilibre du gouvernement, en réprimant également l'excès de la liberté et l'abus de pouvoir ; que les parlements coopèrent avec la puissance souveraine dans l'établissement des lois ; qu'ils peuvent quelquefois, par leur seul effort s'affranchir d'une loi enregistrée et la regarder à juste titre comme non existante ; qu'ils doivent opposer une barrière insurmontable aux décisions qu'ils attribuent à l'autorité arbitraire et qu'ils appellent des actes illégaux, ainsi qu'aux ordres qu'ils prétendent surpris, et que, s'il en résulte un combat d'autorité, il est de leur devoir d'abandonner leurs fonctions et de se démettre de leurs offices, sans que leur démission puisse être reçue. Entreprendre d'ériger en principes des vérités si pernicieuses, c'est faire injure à la magistrature, démentir son institution, trahir ses intérêts, et méconnaître les véritables lois fondamentales de l'État ; comme s'il était permis d'oublier que c'est en ma personne seule que réside la puissance souveraine, dont le caractère propre est l'esprit de conseil, de justice, de raison ; que c'est de moi seul que mes cours tiennent leur existence et leur autorité ; que la plénitude de cette autorité, qu'elles n'exercent qu'en mon nom, demeure toujours en moi, et que l'usage n'en peut jamais être tourné contre moi; que c'est à moi seul qu'appartient le pouvoir législatif sans dépendance et sans partage ; que c'est par ma seule autorité que les officiers de mes cours procèdent, non à la formation, mais à l'enregistrement, à la publication, à l'exécution de la loi, et qu' il leur est permis de me remontrer ce qui est du devoir de bons et utiles conseillers; que l'ordre public tout entier émane de moi et les droits et les intérêts de la Nation, dont on ose faire un corps séparé du monarque, sont nécessairement unis avec les miens et ne reposent qu'en mes mains. Les remontrances seront toujours reçues favorablement quand elles ne respireront que cette modération qui fait le caractère du magistrat et de la vérité, quand le secret en conservera la décence et l'utilité, et quand cette voie si sagement établie ne se trouvera pas travestie en libellés, où la soumission à ma volonté est présentée comme un crime ... ; mais, si après que j'ai examiné, ces remontrances et qu'en connaissance de cause j'ai persisté dans mes volontés, mes cours persévéraient dans le refus de s'y soumettre, au lieu d'enregistrer du très exprès commandement du roi, formule usité pour exprimer le devoir de l'obéissance, la confusion et l'anarchie prendraient la place de l'ordre légitime, et le spectacle scandaleux d'une contradiction rivale de ma puissance souveraine me réduirait à la triste nécessité d'employer tout le pouvoir que j'ai reçu de Dieu pour préserver mes peuples des suites funestes de ces entremises… 27 SÉANCE 9 L’État moderne 28 Les attributs du pouvoir souverain GUY COQUILLE, Institution au droit français (éd. Œuvres, Paris, 1665, t. II, p. 2 ; texte adapté) Le roi est monarque et n’a point de compagnon en sa majesté royale. Les honneurs extérieurs peuvent être communiqués par les rois à leurs femmes, mais ce qui est de majesté représentant sa puissance et dignité réside inséparablement en sa seule personne. Aussi, en l’assemblée des États à Orléans, les gens du Tiers État n’estimèrent raisonnable que le titre de majesté fut attribué à la reine, veuve et mère du roi […]. L’un des principaux droits de la majesté et autorité du roi est de faire des lois et ordonnances générales pour la police universelle de son royaume. Les lois et ordonnances des rois doivent être publiées et vérifiées en parlement ou en autre cour souveraine, selon le sujet de l’affaire ; autrement les sujets n’en sont liés ; et, quand la cour ajoute à l’acte de publication que ç’a été de l’exprès mandement du roi, c’est une marque que la cour n’a pas trouvé l’édit raisonnable […]. L’autre chef de la majesté, autorité et dignité royale est d’interdire et commander la guerre contre autres seigneurs souverains, qui est une forme de justice. Quand un seigneur souverain refuse de faire raison à l’autre souverain, il est loisible de le contraindre à cette raison par la force des armes […]. L’autre droit royal est le domaine de la couronne […]. C’est aussi droit royal l’investiture que tous les évêques nouvellement institués doivent prendre du roi et lui prêtant serment de fidélité […]. L’autre droit de royauté est que le roi est protecteur et conservateur des églises de son royaume, non pas pour y faire lois en ce qui concerne le fait des consciences et la spiritualité, mais pour maintenir l’Église en ses droits et anciennes libertés […]. Faire monnaie d’or et d’argent ou de métaux mêlés et alloyés est aussi droit de royauté […]. Il y a une autre sorte de droit royal, qui consiste en octroi de grâces et dispenses contre le droit commun, comme sont les légitimations des bâtards, naturalisations des aubains et étrangers, anoblissement des roturiers, amortissements, rémissions pour homicides, concessions de privilèges à villes, communautés et universités, concessions de foires et marchés, concession de faire ville close avec forteresse et d’avoir corps et communauté […]. L’autre grand droit royal est qu’au roi seul appartient de lever deniers et espèces sur ses sujets. Les “ Trois propositions ” de Bossuet BOSSUET, Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte, III (Éd. in Œuvres…, éd. F. LACHAT, Paris, 1864 t. XXIII, p. 533-537) Ière PROPOSITION : L’autorité royale est sacrée. — Dieu établit les rois comme ses ministres et règne par eux sur les peuples. Nous avons déjà vu que toute puissance vient de Dieu. “ Le prince, ajoute saint Paul, est ministre de Dieu pour le bien. Si vous faites mal, tremblez ; car ce n’est pas en vain qu’il a le glaive : et il est ministre de Dieu, vengeur des mauvaises actions. ” Les princes agissent donc comme ministres de Dieu et ses lieutenants sur la terre. C’est par eux qu’il exerce son empire. “ Pensez-vous pouvoir résister au royaume du Seigneur, qu’il possède par les enfants de David ? ” C’est pour cela que nous avons vu que le trône royal n’est pas le trône d’une homme, mais le trône de Dieu même. “ Dieu a choisi mon fils Salomon pour le placer dans le trône où règne le Seigneur sur Israël. ” Et encore : “ Salomon s’assit sur le trône du Seigneur. ” Et enfin qu’on ne croit pas que cela soit particulier au Israélites d’avoir des rois établis de Dieu, voici ce que dit l’Ecclésiastique : “ Dieu donne à chaque peuple son gouverneur ; et Israël lui est manifestement réservé. ” Il gouverne donc tous les peuples, et leur donne à tous leurs rois, quoiqu’il gouverne Israël d’une manière plus particulière et plus déclarée. IIe PROPOSITION : La personne des rois est sacrée. — Il paraît de tout cela que la personne des rois est sacrée, et qu’attenter sur eux c’est un sacrilège. Dieu les fait oindre par ses prophètes d’une onction sacrée, comme il fait oindre les pontifes et ses autels. Mais même sans l’application extérieure de cette onction, ils sont sacrés par leur charge, comme étant les représentants de la majesté, députés par la providence à l’exécution de ses desseins […]. IIIe PROPOSITION : On doit obéir au prince par principe de religion et de conscience. — Saint Paul après avoir dit que le prince est le ministre de Dieu, conclut ainsi : “ Il est donc nécessaire que vous lui soyez soumis nonseulement par la crainte de sa colère, mais encore par l’obligation de votre conscience. ” C’est pourquoi “ il le faut servir, non à l’œil, comme pour plaire aux hommes, mais avec bonne volonté, avec crainte, avec respect, et d’un cœur sincère comme à Jésus Christ ” […]. C’est pourquoi saint Pierre dit : “ Soyez donc soumis pour l’amour de Dieu à l’ordre qui est établi parmi les hommes : soyez soumis au roi comme à celui qui a la puissance suprême, et à ceux à qui il donne son autorité comme étant envoyés de lui pour la louange, des bonnes actions, et la punition des mauvaises. ” Quand même ils ne s’acquitteraient pas de ce devoir, il faut respecter en eux leur charge et leur 29 ministère. “ Obéissez à vos maîtres, non seulement à ceux qui sont bons et modérés, mais encore à ceux qui sont fâcheux et injustes. ” Il y a donc quelque chose de religieux dans le respect qu’on rend au prince. Le service de Dieu et le respect pour les rois sont choses unies ; et saint Pierre met ensemble ces deux devoirs : “ Craignez Dieu, honorez le roi. ” Aussi Dieu a-t-il mis dans les princes quelque chose de divin. “ J’ai dit : Vous êtes des dieux, et vous êtes tous les enfants du Très-Haut. ” C’est Dieu même que David fait parler ainsi. De là vient que les serviteurs de Dieu jurent par le salut et la vie du roi, comme par une chose divine et sacrée. Urie parlant à David : “ Par votre salut et par la conservation de votre vie, je ne ferai point cette chose… ” C’est donc l’esprit du christianisme de faire respecter les rois avec une espèce de religion, que le même Tertullien appelle très bien “ la religion de la seconde majesté ”. Cette seconde majesté n’est qu’un écoulement de la première ; c’est-à-dire de la divine, qui pour le bien des choses humaine, a voulu faire rejaillir quelque partie de son éclat sur les rois. Jean BODIN, Les six livres de la République (1576) I, 1. La république est un droit gouvernement de plusieurs ménages et de ce qui leur est commun, avec puissance souveraine […]. Tout ainsi que le navire n’est plus que bois sans forme de vaisseau, quand la quille, la poupe et le tillac sont ôtés, aussi la République sans puissance souveraine qui unit tous les membres et partie d’icelle et tous les ménages et collèges en un corps n’est plus République […]. - 9. La souveraineté est la puissance absolue et perpétuelle d’une République […], elle n’a d’autre condition que la loi de Dieu et de la nature ne commande. Il faut que ceux-là qui sont souverains ne soient aucunement sujets au commandement d’autrui et qu’ils puissent donner loi aux sujets et casser ou anéantir les lois inutiles pour en faire d’autres, ce que ne peut faire celui qui est sujet aux lois ou à ceux qui ont commandement sur lui. C’est pourquoi la loi dit que le prince est absous de la puissance des lois et ce mot de loi emporte aussi en latin le commandement de celui qui a la souveraineté […]. Aussi voyons-nous à la fin des édits et ordonnances ces mots : “ Car tel est notre plaisir ”, pour faire entendre que les lois du prince souverain, ores qu’elles fussent fondées en bonnes et vives raisons, néanmoins qu’elles ne dépendent que de sa pure et franche volonté […]. Quant aux lois qui concernent l’état du royaume et l’établissement de celui-ci, d’autant qu’elles sont annexées et unies avec la couronne, le Prince n’y peut déroger, comme est la Loi salique, et quoi qu’il fasse, toujours le successeur peut casser ce qui aura été fait au préjudice des lois royales […]. - 11. La première marque du prince souverain, c’est la puissance de donner loi à tous en général et à chacun en particulier, qui est incommunicable aux sujets […]. Sous cette même puissance de donner et casser la loi sont compris tous les autres droits et marques de souveraineté […], comme décerner la guerre ou faire la paix, connaître en dernier ressort des jugements de tous magistrats, instituer et destituer les plus grands officiers, imposer ou exempter les sujets de charges et subsides, octroyer grâces et dispenses contre la rigueur des lois, hausser ou baisser le titre, valeur et pied des monnaies […]. - II, 1. Puisque nous avons parlé de la souveraineté et des marques et droits de celle-ci, il faut voir en toute République ceux qui tiennent la souveraineté pour juger quel est l’État […]. Il n’y a que trois États ou trois sortes de République, à savoir la monarchie, l’aristocratie et la démocratie : la monarchie s’appelle quand un seul à la souveraineté […] et que le reste du peuple n’y a que voir ; la démocratie ou l’état populaire, quand tout le peuple ou la plupart de celui-ci en corps a la puissance souveraine ; l’aristocratie, quand la moindre partie du peuple a la souveraineté en corps et donne loi au reste du peuple […]. - 2. Nous avons dit que la monarchie est une sorte de République en laquelle la souveraineté absolue gît en un seul Prince […] ; toute monarchie est seigneuriale ou royale ou tyrannique […]. La monarchie royale ou légitime est celle où les sujets obéissent aux lois du monarque et le monarque aux lois de la nature, demeurant la liberté naturelle et la propriété des biens aux sujets. La monarchie seigneuriale est celle où le prince est fait seigneur des biens et des personnes par le droit des armes et de bonne guerre, gouvernant ses sujets comme le père de famille ses esclaves. La monarchie tyrannique est celle où le monarque, méprisant les lois de nature, abuse des personnes libres comme d’esclaves et des biens des sujets comme des siens… 30