La Chine et le monde depuis 1949 Enjeu central : La puissance: la puissance est la capacité d’influence sur un autre état/acteur. Cette puissance est souvent mesurée en terme de force militaire ou politique, c’est le hardpower. Mais la puissance peut aussi être culturelle, dans ce cas on parle de softpower ou économique. Ce sont les trois principaux types de puissance. Ce chapitre cherche à montrer comment la Chine devient de plus en plus puissante depuis 1949 à travers ces trois angles de vue. è Peut-on dire que la Chine, à l’issue d’un parcours totalement différent que celui des Etats-Unis incarne désormais la notion de puissance ? Plan du cours : I. II. La Chine communiste de Mao (1949-1976) L’essor de la puissance chinoise (1976-nos jours) Introduction: de l’apogée à la domination étrangère (1919-1949) : • • • • • • La Chine a joué un rôle culturel majeur dans l’histoire de l’humanité. Jusqu’au XVIIIe siècle, elle est la première puissance économique mondiale et elle est à l’origine de grandes inventions qui vont beaucoup influencer la révolution industrielle en occident (boussole, papier…) Toutefois, au cours du XIXe siècle, qui est jusqu’à aujourd’hui surnommé le « siècle de la honte », elle entre en déclin alors que les nations occidentales s’industrialisent et constituent des empires coloniaux. Les Européens et le Japon imposent même leur tutelle sur une partie du territoire chinois : par exemple le Royaume-Uni obtient Hong Kong en 1842. Dès le début du XXe siècle, apparaît un mouvement nationaliste qui cherche à moderniser la Chine à partir du modèle occidental et à se défaire de la domination coloniale. Durant les années 1920, deux partis politiques dominent la vie politique : o Le Guomindang (GMD), parti qui a aboli l’Empire. Il cherche à consolider l’Etat et restaurer le prestige de la Chine contre les puissances occidentales. Dès 1926, il est dirigé par Chiang Kai-Shek. o Le Parti Communiste Chinois (PCC) fondé en 1921 et qui cherche à créer un régime sur le modèle soviétique. Dès 1927 il est dirigé par Mao Zedong. Entre 1927 et 1945 a lieu une guerre civile entre les communistes et les nationalistes du GMD. Elle fait une pause pendant la Seconde Guerre mondiale puis reprend en 1945, alors que la Chine sort de la guerre victorieuse et obtient un siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU au coté de ses alliés. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement de Chiang Kai-Shek est caractérisé par une corruption généralisée. Les paysans qui vivent sous son 1 • contrôle sont frappés de lourdes taxes et de corvées, puis par une famine (2 à 3 millions de morts). Au Nord du pays, par contre, Mao a procédé à des réformes agraires (confiscation des terres des grands propriétaires pour les offrir aux paysans) et une diminution des impôts. Le culte de Mao commence à se diffuser dans toute la Chine. Grace au soutien des paysans et à la popularité de Mao, le PCC parvient à vaincre le GMD qui s’exile sur l’île de Taiwan en 1949. Mao proclame le 1er octobre 1949 la naissance de la République Populaire de Chine (RPC). Chiang Kai-Shek reste le chef d’une autre république de Chine, située à Taïwan, qui est armée et protégée par les Etats-Unis et qui occupe le siège de la Chine à l’ONU. 1. La Chine communiste de Mao : un Etat totalitariste en quête de puissance (1949-1976) Entre 1949 et 1976, la Chine s’affirme petit à petit comme une puissance mais seulement en terme de hardpower, le softpower et l’économie demeurent très limités. a. La Chine sous l’influence soviétique Hardpower : • En 1949, alors que la Guerre Froide vient de commencer, la Chine n’est pas une puissance politique. Toutefois, entre 1949 et 1951 Mao parvient à unifier le pays et à limiter les désordres intérieurs (carte). Hong Kong reste anglaise et Taïwan sous la domination du GMD. • Mais la Chine n’est pas une puissance et elle souffre de problèmes économiques. Elle passe donc rapidement sous la domination des deux blocs : o D’un coté, le Guomindang à Taiwan est reconnu et protégé par les gouvernements du bloc occidental. o D’un autre, la Chine Populaire de Mao choisit de « pencher d’un seul côté », une expression pour dire qu’elle s’engage du côté de l’URSS contre le bloc capitaliste. Elle signe ainsi un traité « d’amitié, d’alliance et d’assistance mutuelle » avec l’URSS début 1950. Ce traité assure à la Chine une aide financière et technique. L’Union Soviétique ouvre des bases militaires en Chine. • La Chine est l’allié principal de l’URSS en Asie. Elle joue ainsi un rôle majeur dans divers conflits de la Guerre Froide. Elle s’engage dans la Guerre de Corée (1950-53) au côté de l’armée nord-coréenne (sous influence soviétique) en déroute devant une intervention de l’ONU. Entre 1946 et 1954 elle soutient les Vietminh (communistes vietnamiens) dirigés par Hô Chi Minh contre la France et les Etats-Unis (Guerre d’Indochine). Elle aide aussi les « khmers Rouges », un mouvement politique communiste, à s’emparer du pouvoir au Cambodge en 1975. • Mao met en place un régime totalitaire : le seul parti politique autorisé est le PCC, un culte de la personnalité entoure la figure de Mao, des camps de travail sont organisés pour « rééduquer » les dissidents politiques (ce sont les laogaï, l’équivalent des goulags soviétiques), la censure est généralisée… 2 Puissance économique : Le système économique adopté par Mao dès 1953 est calqué sur le modèle soviétique : mise en place de plans quinquennaux (document de planification économique fixant des objectifs de production sur une période de cinq ans), les terres des grands propriétaires sont collectivisées, les entreprises industrielles sont nationalisées (elles ne sont plus privées mais appartiennent à l’Etat). Ces initiatives visent à redresser l’économie du pays qui est très mauvaise, donc à ce moment-là, la Chine n’est clairement pas une puissance économique. Au niveau culturel, la Chine a un softpower quasi inexistant. b. L’affirmation politique Maoïste (1955-1978) • • • • • • A la mort de Staline, en 1953, commence une politique de « déstalinisation » en URSS, qui s’intensifie en 1956-1957 avec l’arrivée au pouvoir de Nikita Khrouchtchev. 1 million de prisonniers politiques sont libérés, des procès sont entamés contre les proches de Staline, le culte de la personnalité autour de Staline, mais surtout son usage de la terreur pour maintenir le pouvoir (déportations massives, arrestations arbitraires…) est dénoncé. Mao, qui lui aussi fait reposer son pouvoir sur un culte de la personnalité et qui était proche de Staline déplore les politiques de déstalinisation. Il critique Khrouchtchev parce qu’il adopte la politique de la coexistence pacifique avec les Etats-Unis. Il accuse les soviétiques d’être des impérialistes. Les relations avec l’URSS se dégradent de plus en plus : en 1960 Moscou rappelle ses conseillers et en 1962, elle met fin à son aide économique (rupture officielle entre les deux pays). En 1955 a lieu la Conférence de Bandung qui réunit 29 pays d’Asie et d’Afrique qui choisissent de former le mouvement des pays non-alignés (qui choisissent de s’allier ni avec l’URSS ni avec les Etats-Unis). o En froid avec l’URSS, la Chine prend une part active dans cette conférence qui marque le retour de la Chine dans les relations internationales et le début de ses politiques de hardpower. La présence de la Chine à Bandung est un événement important dans l’affirmation politique du pays puisque jusque-là, c’est Taïwan qui représente la Chine dans les grandes réunions internationales, et non la RPC. o La Chine cherche à s’imposer comme une puissance avant tout régionale ou à l’échelle du Tiers-Monde, et non à l’échelle mondiale. o Pour cela, elle se pose en modèle anti-impérialiste et anti-occidental (elle soutien les luttes de décolonisation). Elle propose une troisième voie et se présentant comme modèle pour les Etats qui refusent l’alignement à l’URSS ou aux Etats-Unis. Dans les années 1960, le hard power de la Chine est de plus en plus confirmé. Non seulement les non-alignés, mais également certains pays occidentaux comme la France reconnaissent la RPC sur le plan diplomatique. Elle obtient l’arme nucléaire en 1964. Dès 1971 les Etats-Unis acceptent de renouer des liens diplomatiques avec la Chine dans l’espoir de diviser le bloc communiste pour mettre fin à la guerre au Vietnam plus rapidement. La même année, la RPC remplace donc Taiwan au Conseil de Sécurité de l’ONU (siège qui confère beaucoup de puissance politique) et en 1972, le Président Nixon fait une visite diplomatique en Chine. 3 Finalement, les Etats-Unis finissent pas reconnaître diplomatiquement la RPC en 1978. c. Un nain sur les plans sociaux et économiques Puissance économique : En mai 1958, cherchant à proposer un modèle de communisme indépendant et alternatif, Mao lance le « Grand Bond en Avant » pour moderniser l’économie chinoise. Les communes populaires sont généralisées (regroupement de villages en unités de production agricole et industrielle où la vie de famille et privée est proscrite). Les paysans sont mobilisés pour réaliser des grands travaux et produire de l’acier. Cette initiative tourne à la catastrophe car les paysans n’ont plus le temps de s’occuper des récoltes. Entre 1959 et 1961, entre 18 et 23 millions de chinois meurent de faim. La puissance économique n’avance donc pas vraiment. Softpower : • Ainsi, dans les années 1950 et jusqu’à la fin des années 1960, la Chine bénéficie d’une bonne réputation à l’échelle internationale, surtout parmi les intellectuels qui trouvent dans le maoïsme une bonne alternative aux modèles occidentaux et soviétiques. Mais petit à petit, l’autoritarisme du régime de Mao qui ne respecte pas les libertés individuelles et réprime fortement les dissidents politiques, se fait de plus en plus visible et le modèle chinois perd de son attractivité. • En 1957, pour améliorer l’image du parti, Mao décide de donner plus de liberté d’expression et lance le mouvement des Cent Fleurs, encourageant les « bons communistes » à dénoncer les responsables des injustices et des difficultés internes au pays. Les critiques sur le parti sont tellement nombreuses que Mao est contraint d’étouffer le mouvement et plus d’un million de chinois sont finalement sanctionnés (déportations dans les campagnes). • Suite à l’échec du Grand Bond en Avant, Mao doit se retirer, tandis que les lopins de terre individuels et la vie de famille sont à nouveau autorisés. Pour reconquérir le pouvoir, Mao lance la Grande Révolution Culturelle (1966) : il mobilise la jeunesse contre les nouveaux dirigeants taxés d’anti-communistes. Les jeunes ouvriers et les étudiants forment des « gardes rouges » qui sillonnent le pays, dénonçant les révisionnistes (les cadres qui remettent en question le système de Mao). Cet épisode fait des centaines de milliers de morts, tandis que 16 millions de chinois sont envoyés en rééducation. La Chine passe donc de modèle attractif à modèle très critiqué à partir de la fin des années 1960, donc son softpower ne se développe pas non plus. 4 2. L’essor de la puissance chinoise (1976-nos jours) a. L’affirmation progressive de la puissance économique : • • • • • • • • A la mort de Mao en 1976, la Chine est commence gentiment à être influente en Asie, et elle est toujours loin d’être une puissance mondiale. Le pays est rural et sous-industrialisé, un tiers de la population vit dans la pauvreté. En 1978, Deng Xiaoping remplace Mao. Pour sortir de cette précarité économique, il opte pour l’économie de marché, tout en maintenant un communisme de façade. Il lance les « quatre modernisations » (1978-1979): o Agriculture : usage libre et individuel de la terre pour les paysans. o Industrie : création de 4 Zones Economiques Spéciales (ZES) où les investissements financiers étrangers sont autorisés et permettent des transferts de technologie (puis de plus en plus de régions sont transformées en ZES : en 1988 toutes les villes du littoral puis en 1990 les villes des régions frontalières). o Commerce : réouverture des frontières, débuts du libre-échange. L’industrie est orientée vers les exportations de produits manufacturés. o Société : c’est en 1979 qu’est lancée la politique de l’enfant unique dans le but de stabiliser la croissance démographique et d’améliorer le niveau de vie des Chinois. Le parti valide le principe d’« économie socialiste de marché » en 1992. Durant les années 1990, la Chine est l’ « atelier du monde ». De nombreuses entreprises occidentales se délocalisent en Chine pour produire avec une maind’œuvre bon marché. L’arrivée de capitaux étrangers relance la croissance économique qui connaît des taux d’environ 10% par an depuis 1980 (1993, la Chine connait un record : 13% de croissance). Une classe moyenne de plusieurs millions de personnes voit le jour. L’entrée à l’OMC en 2001 parachève la libéralisation de l’économie chinoise. La Chine devient le principal partenaire de discussion des Etats-Unis dans la gouvernance économique mondiale. La Chine fait aussi partie du G20. en 2010, elle devient la deuxième puissance économique du monde. En 2011 elle devient le premier exportateur mondial et le deuxième importateur. Du coup, son économie est en excédent, ce qui lui permet de prêter de l’argent aux autres pays. Aujourd’hui la Chine est appelée le « créancier du monde ». La Chine dispose de plus en plus de Firmes Transnationales qu’elle délocalise vers le reste du monde (en particulier l’Afrique et les autres pays du Sud). En ce sens, elle est un important émetteur d’Investissements Directs à l’Etrangers, qui sont parmi les principaux flux financiers qui caractérisent la mondialisation. Malgré ses succès économiques, la Chine demeure un des pays les plus inégalitaires au monde. b. Le hardpower : avancées et limites Avancées : • Si la puissance économique de la Chine est indéniable (2e PIB mondial), le pays cherche encore à affirmer sa puissance diplomatique, militaire et politique. En 1984 est signé un accord pour la rétrocession de Hong-Kong, rétrocession qui a 5 • • • lieu en 1997. La démocratie est laissée en place à Hong-Kong : on dit de la Chine actuelle qu’elle est formée par « un pays et deux systèmes ». Toutefois, la Chine revendique encore l’île de Taiwan, et pour elle, elle n’a donc pas encore réussi à récupérer l’entièrement du territoire qui lui avait été pris au XIXe siècle. En 2001, la Chine fonde l’Organisation de Coopération de Shanghai avec la Russie et quatre pays d’Asie centrale. Il s’agit d’une alliance militaire qui cherche à faire le contrepoids de l’OTAN et donc de renforcer la puissance politique et économique de l’Asie du Centre et de l’Est face à la superpuissance des Etats-Unis et de leurs alliés. On peut donc clairement dire que la Chine est une puissance régionale en Asie de l’Est (carte). Elle dispose du 2e budget militaire du monde même si son armée souffre d’un retard technologique. Elle dispose de nombreuses bases navales dans l’Océan Indien pour assurer son approvisionnement en pétrole du Proche et Moyen-Orient. Elle possède l’arme atomique, ainsi qu’un siège au Conseil de Sécurité de l’ONU. Par ailleurs, l’importance de la Chine comme un potentiel leader du TiersMonde a augmenté car dorénavant elle exerce une grosse influence économique sur les pays du Sud en tant qu’investisseur : elle est le premier investisseur en Afrique, faisant ainsi concurrence aux anciennes puissances coloniales européennes. Elle s’affirme aussi de plus en plus en Amérique Latine et en Asie Centrale. Limites : • Toutefois, la puissance politique de la Chine est encore limitée à l’échelle internationale et ce pays ne cherche pas à s’impliquer dans toutes les crises internationales (elle n’a pas une ambition interventionniste aussi grande que les Etats-Unis). Par ailleurs, elle attise la méfiance des pays voisins à cause d’une série de litiges frontaliers avec le Vietnam et l’Inde, des revendications d’îles en mer de Chine qu’elle se dispute avec le Japon, et de son soutien à la Corée du Nord. • Par ailleurs, l’image de la Chine est ternie par des tensions politiques internes : o Dans les années 80, chez son voisin soviétique, la dictature s’affaiblit avec la Glasnost et la Perestroika (deux mouvements de réformes lancées par Gorbatchev dès 1985). Ce vent de liberté trouve un écho en Chine où les étudiants protestent en 1989. Le pouvoir enverra l’armée pour réprimer le mouvement, avec notamment le massacre de la place Tian’anmen, le 4 juin 1989 qui fera 2000 victimes. o De nombreuses violations des droits de l’homme par le régime chinois sont régulièrement dénoncées. Par ailleurs, internet est censuré, ce qui révèle une absence de liberté d’expression. o Le pays est également traversé par des tensions avec des minorités qui veulent l’indépendance comme les tibétains et les Ouïgoure (une minorité musulmane). c. Le softpower: avancées et limites • Le softpower chinois se caractérise par la diffusion internationale de l’image d’une Chine moderne dont les succès économiques sont hors du commun. Ainsi, 6 • • • le pays est entré dans le club des puissances spatiales en lançant ses premiers vols habités en 2003 et son premier engin lunaire en 2013. En 2008, la Chine obtient l’organisation des Jeux Olympiques à Pékin et, en 2010, celle de l’exposition universelle à Shanghai. Ce sont des événements culturels d’une grande importance internationale et la capacité de la Chine à les exposer témoigne de sa nouvelle puissance. La Chine cherche à développer son softpower et son influence dans le monde est croissante : elle crée des Instituts Confucius (actuellement il y en a 300 répartis dans 80 pays) pour enseigner la langue et l’histoire chinoise. Toutefois, la Chine a un softpower limité par l’image plutôt négative que les autres pays ont sur elle. Ainsi, elle n’est pas à même de fournir un Chinese Way of Life aussi attractif que les Etats-Unis car son système politique répressif effraie, sa société est trop inégalitaire et son développement accéléré a des conséquences très néfastes sur l’environnement : la Chine est le premier émetteur de gaz à effet de serre, la pollution et la gestion de l’eau et des déchets sont calamiteux. 3. Conclusion : Si elle est clairement une grande puissance, la Chine n’est pas encore un superpuissance capable de rivaliser avec les Etats-Unis : si ses succès économiques sont réels, son modèle culturel, idéologique et politique est peu attractif, sa puissance militaire reste surtout régionale. 7