LA CONCEPTION MARXISTE DE L’HISTOIRE: LE MATERIALISME HISTORIQUE « La production économique et l’organisation sociale qui en résulte nécessairement pour chaque époque de l’histoire constituent la base de l’histoire politique et intellectuelles de cette époque… » Engels définit ainsi le matérialisme historique qui est le postulat de toute philosophie marxiste. Le matérialisme historique est l’extension à l’Histoire de la conception philosophique marxienne sur la nature et l’homme : le matérialisme dialectique. « L'histoire de toute société jusqu'à nos jours est l'histoire de luttes de classes », c’est avec cette phrase que Marx ouvre son Manifeste du Parti communiste, l’Histoire comme une relation, une connaissance des faits relatifs au passé des sociétés humaines mais aussi la suite de ses faits, semble chez Marx être le fruit d’un combat des hommes au sein de rapports sociaux de production. C’est donc le système de production de « matérielle » de la vie qui selon Marx va « déterminer le processus social, politique et intellectuel de la vie ». A un mode de production correspond une structure sociale. Nous nous attacherons donc à expliquer dans un premier temps les concepts préalables qui ont permis l’émergence de la philosophie marxiste de l’Histoire, puis dans un second temps à exposer la théorie du matérialisme historique. Biographie de Karl Marx : Philosophe, économiste, mais aussi historien, l’approche de Karl Marx se trouve au carrefour de la philosophie allemande (Hegel, Feuerbach), du socialisme utopique français (Saint-Simon, Fourier) et de l'économie politique britannique (Smith, Ricardo). Sa doctrine philosophique part de l'homme comme être agissant et non comme être pensant.. Karl Marx développe une philosophie basée sur la lutte des classes (exploitants et exploités) qui est le moteur de l'histoire. Le matérialisme dialectique se caractérise par le primat de l'histoire (tout évolue), le progrès venant de contradictions résolues, l'action réciproque des choses les unes sur les autres, le progrès par bonds, par crises brusques et soudaines (révolutions). Le prolétariat doit s'organiser à l'échelle internationale afin de s'emparer du pouvoir et, après une période de transition (dictature du prolétariat), conduire à l'abolition des classes et 'avènement de la société communiste. Karl Marx crée avec Engels la Ligue des communistes en 1847 et rédige avec lui le "Manifeste du parti communiste". Après l'échec de la Révolution allemande en 1848, il s'exile à Londres où il mène en parallèle son activité militante (animation de la première "Internationale ouvrière") et la rédaction de son œuvre majeure, "Le Capital", qu'il laisse inachevée. Ses théories ont été reprises après sa mort sous une forme dogmatique, le marxisme, pour servir de fondement aux mouvements socialistes et ouvriers de la fin du XIXème et du début du XXème siècle. I. L’I DEALISME , LE MATERIALISME ET LE MATERIALISME DIALECTIQUE : LES PREALABLES . L’Idéalisme et Le Matérialisme : la question de la conscience humaine Le matérialisme, et donc en parallèle le matérialisme historique, se forme en rejet de l’idéalisme allemand. Ce courant philosophique de Kant à Hegel en passant par Fichte ne veut concevoir l'être, l'existant, qu'au travers de la pensée, tous ce qui est peut se résumer à la pensée. Poussant à son paroxysme l’autonomie de l’esprit par rapport à la matière, Hegel abouti à l’idéalisme absolu selon lequel toute chose fait partie du processus global de réalisation de l’Idée Pure. Le problème est que cette conception amène à justifier des positions très religieuses et conservatrices. Pour contrer ces conclusions des philosophes comme Feuerbach vont s’atteler à proposer une théorie en réaction avec l’idéalisme : le matérialisme. Ainsi pour Feuerbach ce ne sont pas les idées qui mènent le monde. Les idées ne sont que des produits de la conscience humaine et toutes les idées, même l’idée de Dieu, s’expliquent à partir de l’homme. La conscience humaine, elle-même, n’est que le produit du cerveau humain, de la matière. En conséquence l’esprit serait le reflet des conditions matérielles qui le produisent. Selon ce courant la seule réalité est la réalité matérielle, perceptible par les sens. Les êtres et desseins supérieurs sont des constructions religieuses : des « reflets fantastiques » de son propre être que s’est crée l’Homme. Les matérialistes rejettent toute idée d’essence qui précède l’être et par là toute conception d’une conscience transcendante à la nature humaine. Le Matérialisme Dialectique : Fondement de la pensée marxiste et du marxisme La conception dialectique (méthodologie héritée d’Hegel : la triade « thèse antithèse synthèse ») s’oppose à la conception métaphysique. Une vision dialectique du monde est une vision d’un monde comme mouvement perpétuel, comme lutte entre différentes forces, une réalité « en devenir » grâce aux contradictions engendrées puis surmontées. Au contraire la représentation métaphysique est une représentation « fixe » où le monde est prédéfini. Marx et Engels quand ils établissent leur théorie du matérialisme dialectique, empruntent la méthode dialectique de Hegel et la philosophie matérialiste de Feuerbach. La méthode dialectique de Hegel est fondamentalement différente de celle de Marx et d’Engels, et comme nous venons de la dire aboutit à des conceptions opposées de la réalité. Marx dira « Ma méthode dialectique, non seulement diffère par la base de la méthode hégélienne, mais elle en est même l'exact opposé. Pour Hegel le mouvement de la pensée, qu'il personnifie sous le nom de l'idée, est le démiurge de la réalité, laquelle n'est que la forme phénoménale de l'idée. Pour moi, au contraire, le mouvement de la pensée n'est que la réflexion du mouvement réel, transporté et transposé dans le cerveau de l'homme » Karl Marx : Le Capital. En effet si chez Hegel la dialectique s’applique à l’Idée Pure qui est en mouvement, pour Marx la pensée n’est que le produit d’un organe matériel de notre corps fini : la pensée. C’est à partir du matérialisme de Feuerbach que Marx entreprend en effet de redresser la philosophie de Hegel, de la « remettre sur pieds », c’est à dire de substituer à l’idéalisme un réalisme matérialiste : « Ce n’est pas, dit Marx, la conscience des hommes qui détermine leur existence ; c’est inversement leur existence sociale qui détermine leur conscience ». D’autre part c’est à partir de la dialectique hégélienne, Marx transforme le matérialisme mécaniste qu’il trouve chez Feuerbach. En effet, la dialectique hégélienne comprend la loi de l’action réciproque. Si Feuerbach disait que l’homme était un produit de la matière et des conditions où il vit. Marx, par cette loi de l’action réciproque ajoute que l’homme agit sur la matière et peut modifier, par son travail, les conditions de son existence. Ainsi le matérialisme mécaniste ne considérait l’homme que comme un reflet passif du monde, le matérialisme dialectique le met en position de changer le monde. Cependant La méthode dialectique hégélienne « retournée contre ellemême » devient la justification des revendications révolutionnaires. En effet si la réalité est le produit d’un mouvement perpétuel alors il ne peut plus y avoir de vérité absolue, définitive ou sacralisée. La dialectique, parce qu’elle fait de la contradiction le moteur de l’histoire, révèle en effet chez Marx sa vocation profondément révolutionnaire : la société actuelle engendrera, à partir de ses contradictions intimes, un monde nouveau. . Mode de production ANTIQUE FEODAL CAPITALISME SOCIALISME Etats des techniques Archaïque, outillage rudimentaire « moulin à bras » « machinisme développé, moulin à vapeur » Développement sans entraves des forces de production Types Esclavage Servage Salariat, Disparition de COMMUNISME Société rapports sociaux Classes lutte séparation du producteur et du propriétaire des moyens de production, division du travail en Changements politiques Maîtres esclaves et des classes, abolition de la propriété privée du capital, division du travail d’abondance : « à chacun selon ses besoins » Abolition de la division du travail Seigneurs Bourgeois et Fin progressive de la lute des et serfs prolétaires classes Révoltions et Révolution sociale Démocraties et dictature Bourgeoises du prolétariat Dépérissement De l’Etat Source : cours TES, Branthomme et Rozé, Edition Hachette, 1995 II. La vision marxiste de l’histoire : le matérialisme historique Tandis que l’expression « matérialisme dialectique » désigne la théorie générale du monde chez Marx et Engels, on emploie souvent l’expression « matérialisme historique » pour désigner l’application de cette théorie à l’histoire des sociétés humaines. Le moteur de l’Histoire n’est plus l’Idée Pure comme chez Hegel, mais la lutte au sein des rapports sociaux de production. Chaque société est déterminée par ses conditions matérielles d’existence et des rapports de productions qui sont corrélés à son niveau de développement : c’est l’infrastructure. A cette infrastructure se superpose une superstructure juridique, politique, intellectuelle c'est-à-dire un corpus « idéologie » justificatif. a) forces productives. La conception matérialiste de l’histoire selon Marx part de deux constats. - La caractéristique essentielle de l’homme est qu’il produit lui même ses moyens de subsistances (à la différence des animaux). Le premier fait historique est la production des moyens permettant de satisfaire ces besoins. La production de la vie matérielle est une condition fondamentale de toute histoire qui doit être remplie. - Le deuxième constat est le travail. C’est l’activité qui permet à l’homme de produire ces moyens. Et de l’activité du travail, se distingue trois éléments. o La force de travail : qui est l’ensemble des facultés physiques et intellectuelles d’un homme, mis en œuvre. o L’instrument de travail : outils, instruments et infrastructure que l’homme utilise pour produire ses moyens de subsistance. o L’objet du travail : nature elle–même. Les deux derniers forment les moyens de production. Marx désigne l’ensemble des éléments fondamentaux de la relation homme-nature par le biais le travail sous le nom de forces productives. . Pour Marx, la clef de l’évolution des sociétés humaines est donnée par le développement des techniques et des conditions de production, qu’il nomme « forces productives ». Un certain état des forces productives (par exemple, au Moyen Age, le moulin à eau, au XIXe siècle, la machine à vapeur) explique le régime social de la production, la division des « classes sociales » - tout ce que Marx appelle les « rapports de production » (par exemple, au Moyen-Age, le régime féodal avec le serf et le seigneur au XIXe siècle, le capitalisme avec bourgeois et prolétaires) b) Rapports sociaux de production et classes sociales. L’homme ne peut survivre individuellement, le rapport entre l’homme et la nature est aussi un rapport social, car les hommes doivent s’organiser entre eux. Marx parle des rapports sociaux de production qui sont constitués par le type de propriété des moyens de production. Les rapports sociaux de production sont avant tout déterminés par la manière dont les hommes produisent c’est à dire par leurs forces productives. Selon Marx l’origine des classes sociales se fait au travers des relations entre les forces productives et les rapports sociaux de production. On voit l’apparition d’une division sociale du travail, et elle va accentuer la différenciation entre les hommes. Exploitation systématique de l’homme par l’homme. Les relations deviennent des rapports entre les classes sociales. Les classes sociales sont déterminées par la place qu’elles occupent dans le système de production sociale. c) Infrastructure et superstructure. Forces productives et rapport de production constituent l’infrastructure de la société. Marx parle d’infrastructure pour désigner l’organisation économique de la société, appelé aussi base économique. Et celle-ci comprend la société humaine. Il s’y distingue trois éléments que Marx définit sous le terme de superstructure. - Élément politique : selon Marx l’État n’a pas toujours existé et est apparu dans des conditions historiquement déterminée par l’apparition des classes sociales. L’État a pour fonction de perpétuer le mode de production de l’époque. État est représenté par la classe sociale dominante qui possède les moyens de production. État est un instrument de domination d’une classe sur une autre. - Élément juridique : il est la garantie juridique qui fonde l’exploitation de l’homme par l’homme. L’instance juridique : exprime à travers les lois le type d’appropriation des moyens de production par une classe sociale déterminée à une époque précise. - Élément idéologique : Ceux sont les manières les hommes nouent entre eux des relations et ces relations détermine l’idéologie qui domine l’époque. Pour Marx les idées de la classe dominante sont celle déterminée pour l’époque. C’est à partir de son infrastructure qu’on expliquera les idées juridiques, politiques, philosophiques, religieuses, les créations artistiques par lesquelles la société prend une conscience plus ou moins déformée d’elle-même. En effet, les conflits de classes, eux même relatifs à un certain moment du développement des techniques, s’expriment à travers les diverses manifestations de l’esprit humain, qui constituent ce que Marx appelle les superstructures. Par exemple, l’idéologie libérale des révolutionnaires de 1789 n’est, pour un marxiste, que le reflet des intérêts de la grande bourgeoisie (comme en témoigne le droit à la propriété, considéré alors comme l’un des « droits de l’homme »). Les différents types d’infrastructure et de superstructure déterminent différents types de mode de production. De plus Marx détermine plusieurs mode de production. (cf tableau). Conclusion : Cette conception matérialiste permet une analyse de l'histoire, des luttes sociales et des évolutions économiques et politiques fondées sur leurs causes matérielles, et avant l'histoire des classes sociales, de leurs rapports, et de leur évolution. Karl Marx fait l'homme un produit de son activité. Le résultat de son histoire est déterminé par les conditions économiques : "Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie sociale, politique et intellectuelle en général." (Critique de l'économie politique, 1859)