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Fabrice Melquiot
Biographie
Fabrice Melquiot vient d’une petite ville de Savoie, Modane, où il est né en avril 1972. Après avoir obtenu
un baccalauréat audiovisuel, il suit une formation d’acteur sous la direction de Julie Vilmont puis travaille
effectivement en tant qu’acteur au sein de la Compagnie des Millefontaines, dirigée par Emmanuel
Demarcy-Mota .
Parallèlement il écrit. En 1998 ses premiers textes pour enfants Les Petits Mélancoliques et Le jardin de
Beamon sont publiés à l'Ecole des loisirs et diffusés sur France Culture. Il reçoit le Grand Prix Paul Gilson
de la Communauté des radios publiques de langue française et, à Bratislava, le Prix européen de la
meilleure oeuvre radiophonique pour adolescents.
Depuis quelques années il se consacre entièrement à l'écriture.
Perlino Comment (2001) inaugure la collection de théâtre jeunesse de l'Arche éditeur, suit Bouli Miro
(2002) mis en scène par Patrice Douchet, en tournée depuis deux ans. Bouli Miro a également été
sélectionné par La Comédie Française en décembre 2003 ; c'est le premier spectacle jeune public à être
présenté aux Français.
En 2002/2003, pour sa première saison à la tête de La Comédie de Reims, Emmanuel Demarcy-Mota
invite Fabrice Melquiot à le rejoindre comme auteur associé, membre du collectif artistique de La Comédie
et met en scène L'Inattendu et Le Diable en partage, au Théâtre de la Bastille (Paris) à La Comédie de
Reims et en tournée.
En 2004 le compagnonnage se poursuit avec la création de Ma Vie de chandelle, à La Comédie et Reims
et au Théâtre de la Ville (Paris).
En 2003 Fabrice Melquiot s'est vu décerner le prix SACD de la meilleure pièce radiophonique, le prix JeanJacques Gauthier du Figaro et deux prix du Syndicat National de la Critique pour Le diable en partage :
meilleure création d'une pièce en langue française et révélation de l'année.
Il écrit aussi de la poésie (Yazid de Stael, 2000) ; une nouvelle, La Semeuse, est parue en 2001 chez
L’Arche Editeur.
France Culture lui rend hommage en diffusant huit de ses pièces.
Ses textes sont traduits en allemand, en espagnol et en italien.
Bibliographie
Textes jeune public
-
Le Jardin de Beamon
-
Les Petits Mélancoliques
-
Perlino Comment
-
Bouli Miro
L’école des Loisirs, 1998
L’Ecole des Loisirs, 2000
Collection Théâtre jeunesse, L’Arche Jeunesse, 2001
1
Collection Théâtre jeunesse, L’Arche Editeur, 2002
Mise en scène de Patrice Douchet.
-
L’enfant Dieu
-
Catalina in fine
-
Bouli redéboule
-
L’Albatros
L’Ecole des Loisirs, 2003
Collection Théâtre jeunesse, L’Arche Editeur, 2005
Collection Théâtre jeunesse, L’Arche Editeur, 2005
Collection Théâtre jeunesse, L’Arche Editeur, 2005
Textes adultes
-
Percolateur Blues suivi de La Semeuse
-
L'Inattendu
-
Le Diable en partage
-
Kids
-
Autour de ma pierre il ne fera pas nuit
-
La Dernière Ballade de Lucy Jordan
-
Ma vie de chandelle
L’Arche Editeur, 2001
Diffusion sur France Culture, septembre 2001.
L’Arche Editeur, 2001
Mise en scène de Demarcy-Mota, 2002.
L’Arche Editeur, 2002
Mise en scène de Demarcy-Mota, 2002.
Prix SACD de la meilleure pièce radiophonique, 2003.
Prix Jean-Jacques Gauthier du Figaro, 2003.
Deux prix du Syndicat National de la Critique pour : meilleure création d'une pièce en langue française et révélation de
l'année, 2003.
L’Arche Editeur, 2002
L’Arche Editeur, 2002
L’Arche Editeur, 2002
L’Arche Editeur.
Mise en scène de Demarcy-Mota, 2004.
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BIBLIOGRAPHIE FOUILLEE
Textes jeunes public
-
Le Jardin de Beamon, 1999, L’école des Loisirs
Dans un jardin, un être étrange s'écrase. Dans sa chute, il casse un de ses talons aiguilles. Le propriétaire du jardin
apparaît. C'est le docteur Beamon. Il demande l'identité de son visiteur qui prétend s'appeler l'Ange-Lyre et qui
s'étonne de sa chute, lui qui a l'habitude d'assurer son pas. L'ange regarde le ciel. Il doit trouver le moyen de
remonter. En attendant, il discute avec le docteur et conclut assez rapidement que ce docteur est dingue, ce que
d'ailleurs Beamon ne nie pas. Beamon, recouvert de bandelettes, affirme qu'il fait des expériences sur lui-même. Il
voudrait changer de peau, devenir rou-ge, rouge météorite, un rouge très rare, celui de son innocence oubliée,
perdue. L'ange ne sait comment l'aider. Mais voilà qu'un homme apparaît, que l'Ange-Lyre reconnaît aussitôt : c'est
Lucifer, le prince des démons. Mais il a l'air épuisé, il est muni d'une valise de repentirs, il ne veut plus de ce
fardeau qu'il porte. Il cherche à atteindre la porte du ciel et, pour cela, il a besoin de l'aide de l'Ange-Lyre. En
attendant de convaincre l'ange de ses bonnes intentions, il aura affaire au docteur Beamon qui s'extasie sur un objet
que possède Lucifer : un gant de toilette rouge, rouge météorite, justement. Beamon veut ce gant, ce rouge. Il est
prêt à tout, y compris à donner son âme. C'est ce qu'il fera. Mais l'échange n'est guère convaincant. Une fois l'âme
enfermée dans une petite boîte, il supplie qu'on la lui rende. Il n'a pas eu le rouge qu'il voulait, le rouge météorite,
mais un rouge sang, commun, celui que tous les hommes peuvent avoir. Le temps presse. Lucifer et l'Ange-Lyre ne
savent comment se débarrasser de ce docteur dingue qui ne peut, sans âme, échapper à la mort qui le guette. Mais
voilà qu'une petite fille surgit dans le jardin. C'est grâce à elle que Beamon va arriver au terme de sa quête, et pour
la première fois aimer, danser, et avoir aux joues cette couleur rouge tant espérée, ultime cadeau pour son dernier
voyage.
- Perlino Comment, 2001, L’Arche Editeur, Collection Théâtre jeunesse.
Perlino Comment de Fabrice Melquiot raconte l'histoire d'une amitié entre deux garçons dans un quartier à Naples,
où il y a toujours du soleil. Mimmo entre dans la police et Perlino devient marchand de parasols. Mimmo se marie
avec Alicia, marchande de parapluies et Perlino construit une machine volante pour Alba. Les sentiments amoureux
prennent ici des couleurs méditerranéennes et le grand large semble décupler la fantaisie.
Perlino Comment a reçu à Bratislava en Slovaquie le Prix européen de la meilleure œuvre radiophonique pour
adolescents.
-
Bouli Miro, 2002, L’Arche Editeur, Collection Théâtre jeunesse
-
L’Enfant Dieu, 2003, L’Ecole des loisirs
-
Le Gardeur de silences, 2003, L’Arche Editeur, Collection Théâtre jeunesse
Bouli est un bébé gros comme son père Daddi Rotondo et miro comme sa mère Mama Binocla. Il grossit avec une
rapidité effrayante ce qui n'empêche pas sa cousine Petula de tomber amoureuse de lui. Les médecins préconisent
un régime sévère mais Bouli, gros de toutes ses peurs, prend encore plus de poids lorsque sa bien-aimée part pour
l'Espagne. Vient le jour où Bouli écrase presque ses parents et se met enfin à la gymnastique. Une nouvelle vie
commence ! Mais quelle vie !
Khalifa, un gosse de Dakar, arrive tout droit du ciel et constate qu’au paradis, c’est la panique. Dieu s’est sauvé, il a
décidé de faire du théâtre et nul ne sait où sont les clefs qui ouvrent les portes du Paradis. St Pierre, Noé, Mahomet
doivent lui trouver d’urgence un remplaçant. Ils pensent à son fils, c’est logique. Mais Jésus a trop de travail et
suggère un casting. Après tout, comme métier, Dieu, c’est pas sorcier.
Avec un humour mordant et débraillé, Melquiot nous livre un message alerte sur la tolérance.
Bien que l'art dramatique se décline en nombreuses définitions, il semble acquis que toutes les pièces (digne de ce
nom) transportent l'esprit de leur temps. Chez Fabrice Melquiot les titres sont déjà évocateurs : Le Diable en
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partage, Percolateur Blues ou ici Le Gardeur de silences. A première vue, on peut penser à quelqu'un qui sait se
taire ou, parce que "silences" est un pluriel, à une personne qui sait que la parole est d'argent et le silence est d'or.
En fait, il s'agit d'autre chose.
Melquiot nous présente un bruiteur à la retraite, qui faisait des feuilletons pour la radio et des documentaires. Il
inventait des bruits, il les capturait. C'était un chasseur de bruits sauvages. Il a tout enregistré, la moindre goutte
d'eau. Et pendant l'absence des parents, c'est sa petite-fille qui s'occupe de lui.
Il y a trois voix : celle du jour, celle du dedans et celle du passé ; la voix du jour est la voix de la conversation
courante ; la voix du dedans, c'est cet entretien intérieur qui constitue la pensée ; et le voix du passé, ce sont toutes
ces voix que Séraphin Huppe enregistra dans sa vie et qui traînent maintenant sous forme de cassettes en dessous
de son lit.
Le Gardeur de silences est un dialogue entre cet homme, qui attend la mort et sa petite-fille Saéna, qui ne voit pas.
Un dialogue à trois voix : le vieil homme et la petite-fille les utilisent comme autant d'instruments de musique.
Quand on a refermé le livre, on n'écoute plus de la même façon, ni les bruits, ni les silences. A une époque qui, de
toute évidence, est bruyante et où le silence n'a plus droit de cité.
Textes adultes
-
C'est ainsi mon amour que j'appris ma blessure / Le Laveur de visages / L'Actrice empruntée,
2004, L’Arche Editeur.
Les monologues ont une longue tradition au théâtre et ils peuvent revêtir les formes les plus diverses. Certaines
époques qui se souciaient peu ou différemment d'un rendu naturaliste du monde - le théâtre de Shakespeare mais
aussi de Strindberg avec son théâtre intime - s'accommodaient bien du monologue. Mais là il s'agissait de tirades
plus ou moins longues au sein même des pièces et non pas d'une pièce entière sous forme de monologue.
Les trois textes que Fabrice Melquiot nous propose ici n'ont rien à voir avec les monologues classiques. On peut les
appeler " pièces comme monologues " et en allant plus loin on peut y discerner une forme emblématique de
l'écriture contemporaine.
L'auteur ne choisit pas cette forme pour mieux s'accommoder des contraintes propres au théâtre (manque de
moyens) mais parce qu'elle correspond à un théâtre qu'on pourrait appeler celui de l'individu solitaire en quête d'un
autre, éminemment privé et situé dans des endroits très emblématiques de notre époque (aéroport ou garage par
exemple).
Dans C'est ainsi mon amour que j'appris ma blessure, au petit matin, après une nuit bien arrosée, un homme attend
dans l'aéroport de Madrid son avion. Une jeune femme est assise près de lui et l'homme nous livre, juste pendant le
temps d'attente, un flux d'observations où le désir prime peut-être sur la sensation de la perte mais où un manque
reste le leitmotiv.
Qu'est-il devenu au juste, l'homme, à notre époque ? Samuel Simorgh, dans Le Laveur de visage, vole des voitures
bien qu'il n'ait jamais cru qu'une voiture puisse tenir compagnie. Mais entre-temps il comprend les gens qui
bichonnent leur bagnole, qui communiquent avec la tôle, il comprend les caresses de ces types, les petits halos de
buée qu'ils distillent sur les merdes d'insectes pour mieux les gratter. Lui aussi cherche une femme - qui a fait sa
vie avec un autre.
Et dans L'Actrice empruntée, l'actrice cherche une relation impossible avec un public qui, par définition ne peut lui
répondre.
A chaque fois, cette demande d'autre échoue, mais sans drame, sans pathos : chez Fabrice Melquiot, l'humour est
une marque de fabrique, avec la poésie omniprésente.
-
Le Diable en partage / Kids, 2002, L’Arche Editeur
"Ce monde couvert de patries comme un homme est couvert de plaies." Aussi terrible qu'elle puisse paraître, cette
phrase de Bataille, mise en exergue, donne une image exacte de ce qui s'est passé en Yougoslavie.
Le Diable en partage est une pièce sur le destin des hommes et des femmes qui se sont vus confrontés à
l'éclatement de la Yougoslavie. Mais, avant tout, elle est un chant d'amour dans les guerres de tous les temps. Et la
guerre éclate au sein des familles dès lors qu'il y a, par hasard, deux personnes de croyance différente.
Kids, conséquence du travail de Melquiot sur le conflit yougoslave et initialement conçu comme un livret, est
entièrement "dédié" aux adolescents qui, après la guerre, se demandent comment vivre sans la guerre. À tous ces
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orphelins qui ont trouvé refuge dans les ruines et errent dans les rues. À tous ceux qui tâchent que cela ne se
reproduise plus.
-
L'Inattendu, 2001, L’Arche Editeur.
-
Ma vie de chandelle, 2004, L’Arche Editeur
-
Percolateur Blues / La Semeuse, 2001, L’Arche Editeur
L'Inattendu est le soliloque d'une femme qui pleure son amant disparu. Mais dans sa chambre à côté du Fleuve,
Liane dansante ne veut pas croire à sa disparition. Elle veut qu'il revienne et trouve sa solitude très mauvaise
cavalière. Pourquoi, se demande-t-elle, je suis sa veuve s'il n'est pas plus mort que moi? Dans des flacons bleu de
Prusse ou rouge Saturne, vert bouteille ou jaune sable, elle trouve des souvenirs et lit l'avenir. Jusqu'au jour où
Liane décide d'aller voir le monde comme il va, le monde qui déraille en Afghanistan, au Kosovo, en Somalie.
Jusqu'au jour où quelqu'un lui dit : Je peux peut-être vous rendre service ?
Le texte de Fabrice Melquiot est une complainte pleine de vie. Le style est poétique mais le propos de façon sousjacente politique. La vie qui souffle risque de souffler fort.
Tenir la chandelle, assister en tiers complaisant à une liaison, est une posture douteuse. Mi-dedans, mi-dehors, le
spectateur est condamné, sans véritable pouvoir de s'intégrer, à une passivité des plus mortelles. A un chauffeur de
salles, à un maître des applaudissements forcés, à quelqu'un qui était le spectacle en personne, on peut
difficilement distribuer ce rôle.
Mais chez Fabrice Melquiot le monde marche autrement : une configuration classique et même banale - un homme
tombe amoureux d'un autre homme qui est déjà lié à une femme - devient le tableau époustouflant d'un monde où
l'impact de la télévision est omniprésent. Où le spectateur de la télévision est devenu son ultime objet et où la téléréalité est devenue la réalité tout court.
Mais la pièce est si équivoque et l'image qu'elle donne de notre société si cruelle - tout en gardant sa douceur et
avec la poésie que est propre à l'auteur - qu'elle pourrait servir de miroir magique censé faire apparaître une vie
perdue.
Après L'Inattendu, Percolateur Blues et La Semeuse semblent changer de ton et jouent pourtant le même thème : la
quête de l'amour, la perte de l'autre.
"Et ce matin tu nages intacte dans un bras de mémoire, telle que je me souviens de Toi. Toi dans le vestibule de la
pension, la première fois. Toi, trois ans déjà." Il la sait maintenant dans une station balnéaire en Calabre et se
demande pourquoi il ne lui a jamais écrit. Peut-être parce qu'elle ne l'a pas fait non plus. Et puis il se met en route
car il sait aussi que ce n'est pas la recherche du bonheur qui est le grand mobile des actions des hommes, mais le
souhait inhérent à chacun des actes: "ne pas être celui que je suis".
Dès le premier instant, Fabrice Melquiot sait créer une atmosphère dense et pleine de surprises comme dans un vrai
film policier. Sauf que chez Melquiot, c'est la langue (et non les images), une langue d'aujourd'hui, à mi-chemin
entre poésie et dramaturgie, qui opère les travellings de notre imagination.
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La presse, articles et interviews
Le Théâtre Jeune Public selon Fabrice Melquiot
En 2003, le spectacle Bouli Miro, adaptation du texte de Fabrice Melquiot crée l’événement : pour la
première fois depuis sa création, La Comédie Française ouvre son répertoire à un spectacle jeune public.
L’écriture pour le jeune public selon Melquiot, à travers l’expérience de Bouli Miro :
Écrire pour le jeune public, qu’est-ce que cela veut dire ?
Je ne me suis jamais dit : j’écris pour ceux-ci plutôt que ceux-là. Je préfère le terme de textes accessibles
aux enfants. J’écris ce qui m’est nécessaire. Ces textes font partie pour moi d’un sillon de travail, une voie
sur laquelle je reviens souvent, comme pour me ressourcer. L’idéal de public, les salles que j’aime, c’est
un public mélangé, adultes et enfants, et je crois que Bouli Miro permet ça. Ce qui est important, c’est que
les enfants comme les grands puissent avoir leur propre niveau de lecture.
Quelles sont alors vos sources d’inspiration ?
Le désir de restauration de la place de l’enfance en moi. Aller revisiter ce territoire de l’enfance. C’est un
regard, un rapport au monde qui continue d’exister. Il est important d’aller attiser cet espace-là, où il y a
en même temps énormément de violence, de noirceur et d’enthousiasme. C’est un endroit très contrasté,
la terre d’enfance ! Je suis fasciné par le mystère que cela peut poser en moi. Il y a également le besoin
d’observation. Pour Bouli Miro, ce sont des enfants qui m’ont soufflé des idées.
J’ai besoin que chaque pièce soit un voyage intérieur. Certaines ont même pour ancrage un voyage réel
que j’entreprends. Mais ce sont toujours des histoires de sensations, de personnages. Je veux ignorer les
thèmes. Même si des “choses” reviennent régulièrement. Dans Bouli, il y a la différence, la difficulté
d’aimer, le voyage, la guerre, la solitude, la dépression… et beaucoup de rire et de légèreté aussi ! Mes
personnages existent vraiment dans mon univers invisible. Ils deviennent comme des amis que l’on
s’invente quand on est enfant pour ne pas se sentir seul. L’un d’eux s’appelle Bouli Miro.
Peut-on faire passer des messages, des points de vue, faire du théâtre “engagé” dans une pièce
accessible aux enfants ?
L’engagement pour moi est avant tout poétique. Même si des sujets graves sont abordés, il faut arriver à
ce que les personnages et la situation se retournent sur eux-mêmes, se moquent d’eux-mêmes. Le rire
doit être un vernis posé sur un plancher grave.
Le pire, c’est le gag. Pour moi, le rire est comme une porte dans laquelle on peut se coincer les doigts, qui
peut grincer et que l’on peut prendre dans la figure, ou qui peut être simplement grande ouverte.
L’engagement, il est là, surtout ne pas sous-estimer la capacité de réception d’un enfant.
Extraits d’un entretien avec Fabrice Melquiot paru dans
le Journal de La Comédie Française n°7, 2003.
Propos recueillis par Florence Lhermitte
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Fabrice Melquiot, un auteur doux furieux
Gilles Costaz
Fabrice Melquiot, trente ans, voit sa pièce « Bouli Miro » entrer à la Comédie-Française. Révélé par la
Comédie de Reims et Emmanuel Demarcy-Mota, il est de plus en plus joué en France et à l’étranger.
Portrait d’un rêveur éveilleur qui veut « cogner le public à la fiction ».
Grande carcasse rêveuse, le cheveu brun plutôt hirsute, la moustache et le collier dessinés au pastel,
Fabrice Melquiot est, à trente ans, l’auteur d’une dizaine de pièces, jouées ou éditées, et le lauréat d’un
certain nombre de prix réservés aux auteurs de théâtre. Depuis le succès, l’an dernier, de ses deux pièces,
l’Inattendu et le Diable en partage, mis en scène au théâtre de la Bastille et à Reims, il est l’étoile
montante de l’écriture dramatique française. Cette semaine, il entre à la Comédie-Française par une petite
porte prestigieuse : Christian Gonon met en scène, au Studio-Théâtre (la troisième salle du Français), son
Bouli Miro. C’est la première fois que notre grand théâtre national inscrit à son programme une pièce pour
le jeune public (formulation que Melquiot réfute, mais peu importe : il écrit pour tous, et tant mieux si les
enfants et les adultes croient que cela ne s’adresse qu’à eux). D’autres pièces sont traduites et montées
un peu partout. Allez en Espagne, au Chili, en Grèce, en Italie, et vous verrez Melquiot à l’affiche. Le temps
où l’on ressassait que le théâtre français n’intéressait plus les étrangers, hormis la sainte trinité de Koltès,
Reza et Schmitt, est révolu. Melquiot est arrivé, très doucement, au premier plan.
Ses succès ne semblent pas avoir inoculé en lui les virus de l’arrogance ou même de la certitude. « Je
m’étonne des échos et de la route de mes textes, dit-il. Cela me donne la confiance pour continuer de
douter et de faire grandir les audaces. » Mais il sait au moins qu’il a eu raison de prendre le risque de
changer de vie il y a quelques années. De père savoyard et de mère calabraise, Fabrice Melquiot était
acteur. Il a joué dans différentes équipes et puis rejoint la compagnie des Mille Fontaines, dirigée par
Emmanuel Demarcy-Mota. Dans cette troupe, il est resté huit ans. Tandis qu’il tenait divers rôles, il
écrivait. Demarcy-Mota repéra les premiers textes de ce jeune comédien, les éditions de l’Arche ne
tardèrent pas à s’y intéresser et à les publier. Devenu directeur de la Comédie de Reims, Demarcy-Mota
révéla au public deux d’entre elles et s’apprête à en monter une nouvelle, Ma Vie de chandelle, en avril
prochain.
Melquiot a complètement rompu avec son activité d’acteur. Mais Demarcy-Mota a su lui proposer une
collaboration idéale : à Reims, Melquiot fait partie des artistes associés ; à ce titre, il est membre du
comité de lecture et intervient dans la marche en avant de la maison, notamment en oeuvrant pour
l’élargissement du public. « Je n’ai plus de domicile, mais j’ai un port d’attache », dit Melquiot devenu
totalement nomade. Car son théâtre naît surtout de sensations éprouvées, de rencontres vécues lors de
voyages. Il est sans cesse en errance, a toujours près de lui l’encombrant sac de l’homme qui porte avec
lui sa maison (bourré de carnets et alourdi par un ordinateur).
Politis n°777
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Utopie amoureuse
Fabrice Melquiot, 30 ans, écrit des pièces-ipomées, comme ces belles plantes volubiles des régions
chaudes du globe. Voyage aux pays de l'utopie amoureuse.
Y aurait-il un phénomène Fabrice Melquiot ? Ce jeune auteur fait une entrée fulgurante et foisonnante en
théâtre. À croire que ses tiroirs regorgent de textes qui n'attendaient que d'être publiés. Ses premières
pièces pour enfants paraissent en 1988 à l'École des loisirs et sont diffusées sur France Culture. Il reçoit le
Grand Prix Paul Gilson de la Communauté des radios publiques de langue française et à Bratislava
(Slovaquie) le Prix européen de la meilleure oeuvre radiophonique pour adolescents. L'Arche publie
l'Inattendu, (voir MdA No36) en mars 2001.
Puis Percolateur blues et La Semeuse. L'Arche a même créé une section théâtre jeunesse pour éditer
Perlino Comment. Enfin, deux nouvelles pièces devraient paraître rapidement : Kids, du théâtre pour
musique imaginaire et Des anges dans les cheveux du Diable. Cinq pièces chez L'Arche, en à peine un an.
L'écrivain est prolixe. Son style très particulier est bien affirmé, et en même temps l'évolution de son
parcours d'écriture est déjà sensible. Comme si ce jeune écrivain de 30 ans, né en 1972 à Modane, en
Savoie, venait déjà de terminer un premier cycle de pièces de jeunesse.
Le style de Fabrice Melquiot dégage tout d'abord beaucoup d'énergie vitale et de fraîcheur. Il conserve une
profonde vibration avec le monde de l'enfance. C'est tellement atypique aujourd'hui que ça paraît culotté
ou naïf. Ainsi dans Perlino Comment (une pièce jeunesse), Perlino tombe malade et perd la mémoire. Pour
se guérir, il cherche à reconvoquer des "émotions pures" : "On ne vit bien qu'avec elles, avec leur
souvenir au moins. Le souvenir des émotions pures de quand on est petit. Sinon être grand est une chose
trop dure, c'est de l'escalade et on tombe, on se brise les jambes."
Dans La Semeuse et Percolateur blues, cette problématique-là est sous-jacente. Mais les personnages
sont avant tout confrontés à une quête amoureuse et à sa perte. Ils partent alors dans des voyages qui
résonnent comme des parcours initiatiques.
La Semeuse "sème" les mots de son amant qui vient de la quitter dans différents bars du sud de l'Europe,
à Modane, Turin ou Lisbonne. Des poèmes comme autant de pierres blanches sur la route de la perte
amoureuse. Avec au bout du voyage de nouvelles forces de combat, de vie.
La poésie et la musique sont proches de l'écriture de Melquiot. Il invente des associations de sons et
donne à entendre et à voir des images de voyageur aux aguets. Dans Percolateur blues Cyril parle des
taxis comme "des crocodiles à fleur de bitume" lorsqu'il "travelling en douce sur des vitrines oubliables".
Cyril est hanté par "Toi", une femme rencontrée trois ans plus tôt. Ces fantômes invisibles auxquels les
personnages n'arrêtent pas de s'adresser en silence, sont très présents chez l'écrivain. Cyril part en Italie,
terre apparemment mythique, sur les traces de son amour. À la poursuite de ses illusions, il va vivre des
histoires d'incendie et de mort. Le temps paraît disloqué comme dans un rêve, une peinture surréaliste ou
un cauchemar. Une scène d'amour avec la gardienne de l'Opéra, Elena Grandi, qui va mourir d'extase,
devient une vision de déluge. Ces épreuves surmontées, Cyril va laisser venir sa petite capitulation,
continuer à vivre sans ce besoin d'utopie extrême.
Les pièces à paraître semblent plus en rage avec le monde. Il y a toujours des personnages fous
amoureux, dépeints sans aucune mièvrerie. Mais Kids comme Des anges dans les cheveux du Diable se
déroulent pendant la guerre en Yougoslavie. Fabrice Melquiot connaît Sarajevo. Les personnages de Kids
sont des enfants orphelins, ceux Des anges... une famille où sont mêlés musulmans, serbe, déserteur et
militaristes. Les fleurs deviennent rouge sang…
Laurence Cazaux
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Les travellings de l'imagination – Percolateur Blues
Fabrice Melquiot peut se targuer de pratiquer une écriture marquée par le grand écran : vive, hachée,
elliptique, cette écriture déliée jongle avec les images et séduit à la faveur d'une jouissante et bondissante
naïveté. Incisif, laissant libre cours à une pensée vivace en perpétuel mouvement, Melquiot interpelle par
une fausse simplicité, car il s'agit ici dans Percolateur Blues d'un véritable travail de montage que de faire
coexister Cyril et Toi, personnage fantomatique qui plane au dessus de son auteur. Toi, fille errante, Nagra
(format d'enregistrement analogique utilisé par les ingénieurs du son et destiné au cinéma) toujours à
portée de main afin d'enregistrer le monde. Toi qui n'aura existé qu'une semaine, une misère dans la vie
d'un homme.
Elle meut pourtant Cyril à travers les décors interchangeables de cette fable sur l'impossible perte de
l'autre. Le souvenir rémanent, transparent, poisseux de cette jeune fille convoque tout ses sens.
L'implacable résurgence de sa moitié dans le quotidien l'empêche d'avancer. En cela le début du livre
n'est qu'un leurre. Car derrière une exubérance fortement prononcée se cache un homme d'une humilité
rare, qui a, qui plus est, le courage de s'avouer que le bonheur se trouve sans doute au milieu et non aux
extrémités. Vivant en de multiples rêves éveillés, tour à tour aux prises avec un gardien de phare vendeur
aux puces, puis avec une vieille femme dans un opéra tout de guingois, Cyril s'invente une réalité autre,
un ailleurs où puiser la force de continuer à vivre.
L'ellipse, figure emblématique du cinéma, Fabrice Melquiot en use à la perfection de sorte que fragments
de vies rapides et incisifs deviennent autant d'aventures romanesques. Il en va de même en ce qui
concerne l'abondante élision des pronoms personnels qui témoigne de l'envie d'en découdre et non d'un
étiolement dans la narration. La force du texte réside sans doute dans le mariage incongru d'une rage
canalisée par l'inhérente bienveillance de son auteur, sans pour autant inspirer une quelconque stylisation,
un maniérisme agaçant que l'on pourrait taxer de "jeunisme". Veilleur de nuit, Cyril l'est jusque dans sa
vie, toujours au chevet de l'absente, de l'être aimé, de l'évanescente qui a pris place en son coeur.
Tout comme Cyril dans Percolateur Blues, La Semeuse se trouve être un personnage atypique. A la
montagne ou en Italie, elle dégringole, trop attentive à se saouler de bière, à s'étourdir de café.
Orgueilleuse, désinvolte, parfois insipide, elle se purge tant bien que mal de son inconstant amant. Petit
Poucet vomissant son histoire amoureuse, elle remplace miettes de pains par poèmes disséminés tout au
long de son voyage et trace malgré elle la cosmogonie menant à son amant-pointillé. L'écriture cursive et
profondément poétique de Fabrice Melquiot insuffle un courant d'air frais sur une littérature moribonde
quant il s'agit d'aborder des thèmes aussi éculés que celui de l'utopie amoureuse.
L'efflorescence de ce jeune talent n'a pas échappé à L'Arche et il est fort à parier que dans les années à
venir Fabrice Melquiot ne veille plus seulement sur son aimée.
Philippe Beer-Gabel (novembre 2001)
Articles parus dans Le Matricule des Anges - © Le Matricule des Anges, ses rédacteurs et LeLibraire.com
9
Entretien réalisé par Zoé Lin
Fabrice Melquiot est un jeune dramaturge qui questionne la langue et le monde.
La position d’un auteur vivant :
C’est une des révélations de la rentrée théâtrale. Avec ses deux pièces, mises en scène par Emmanuel
Demarcy Motta, le public a découvert un jeune auteur, Fabrice Melquiot, à peine âgé de trente ans. JeanPierre Léonardini soulignait, dans ces mêmes colonnes le 23 septembre dernier, " son juste lyrisme " et
parlait d’un " poète qui ne se paie pas de mots".
Rencontre avec un jeune homme bien sous tous rapports.
A la fin du Diable en partage, vos deux personnages disent : " Il faut bien une chute. " Je vais tricher
parce qu’il faut bien un début. Si l’on faisait les présentations ?
Fabrice Melquiot : J’ai commencé le théâtre accidentellement à dix-sept ans. J’accompagnais un copain à
un cours d’art dramatique, j’ai bricolé un peu et la prof m’a encouragé à bricoler. J’ai suivi une formation
d’acteur à dix-huit ans et j’ai rencontré assez rapidement Emmanuel Demarcy Motta (le metteur en scène)
lors d’une audition pour Léonce et Léna. Nous avons travaillé ensemble pendant six ans.
Vous étiez donc acteur avant d’être auteur ?
Fabrice Melquiot : Pendant une dizaine d’années, puis j’ai arrêté, il y a deux ans, au moment où
Emmanuel préparait Marat-Sade. J’avais déjà écrit deux pièces, publiées à l’École des loisirs, et il m’a
semblé évident que je ne pouvais plus continuer à faire les deux. J’avais moins le désir de jouer, et
l’impression qu’il y avait beaucoup de choses à écrire. Je suis donc parti pendant deux ans, j’alternais
voyages et périodes d’écriture, et j’ai écrit une quinzaine de textes.
Comment vous est venu le désir d’écriture ?
Fabrice Melquiot : Depuis toujours, mais après avoir traversé comme acteur des grands auteurs et des
mots qui n’étaient pas les miens, après avoir porté ces mots, j’ai eu envie de creuser ma langue et mon
rapport au monde. Le travail d’acteur n’était pas assez satisfaisant, j’éprouvais le besoin de construire une
pensée, d’établir un rapport plus personnel aux mots... C’est sûrement aussi l’envie de dire des choses sur
le monde. Je crois qu’il faut être un petit peu inconscient pour partir écrire alors que tout se passait bien,
qu’il existait un accord artistique profond avec Emmanuel. Mais voilà. J’ai passé deux ans sans vraiment
savoir si un jour ce que j’écrivais toucherait quelqu’un, et puis si.
Vous parlez de votre langue. Quel rapport justement entretenez-vous avec l’écriture ?
Fabrice Melquiot : Il faut beaucoup écrire. J’ai écrit énormément, énormément de choses affreuses parce
qu’il faut se vider de beaucoup de langues invitées à l’intérieur de soi et qui ne sont pas tout à fait votre
propre langue. C’est une première étape avant de trouver ce rapport qui, pour moi, est une énigme
absolue. Je n’ai pas le culte du secret quant à la particularité de mon écriture mais cela doit rester une
chose mystérieuse. Je sais que tout ça se construit, mais je n’ai pas de rapport de technicien à l’écriture,
plutôt un rapport intuitif. Cela a été ma manière d’aborder le travail de l’acteur, c’est ma manière
d’aborder l’écriture, faire davantage confiance à des choses qu’on ne s’explique pas forcément.
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Dans le Diable en partage, la noirceur côtoie la tendresse, l’amour comme dans un combat étrange...
Fabrice Melquiot. L’idée de départ était d’écrire non pas une pièce de guerre mais une pièce d’amour, une
pièce d’amitié, une pièce où la dignité résiste à la guerre qui est là et qui rôde, hors champ, hors du
cadre, mais jamais vraiment à l’intérieur. Ce qui est donné à voir dans les scènes du Diable en partage,
c’est la résistance à tout ça. Cette mère qui tricote pour boucher les impacts de balles de la maison ; ce
père qui prend frénétiquement des notes dans son petit carnet pour surtout ne pas oublier comment c’était
avant... C’est l’endroit de résistance à tout prix, là où l’amour, la tendresse, l’amitié, la famille, la cellule
résistent au monde qui se désagrège. J’ai eu l’idée de cette pièce en lisant une coupure de presse qui
racontait l’histoire d’un déserteur serbe réfugié à Paris qui, en attendant qu’on lui accorde son statut de
réfugié politique, vivait de petits jobs au noir. Cette figure-là m’a fasciné et en même temps, j’ai compris,
a posteriori, à quel point j’étais passé à côté du conflit des Balkans au moment même de la guerre. J’avais
vingt ans, j’étais en plein dans ma formation d’acteur, et je ne pensais qu’à ça. Je n’ai pris conscience de
la guerre qu’après, et là, j’ai éprouvé le besoin de partir en Bosnie. J’ai rencontré Lorco et Elma, deux
personnes qui ont inspiré la pièce. Ils vivaient une histoire d’amour très puissante. Lorco, qui est devenu
un ami, est croate, donc catholique, Elma, sa fiancée, est musulmane bosniaque. Leur histoire, qui
rappelle celle de Roméo et Juliette avec leurs familles opposées à leur union, m’a donné envie d’écrire sur
eux, pour eux et à partir d’eux.
Vous êtes passé à côté de ce conflit dites-vous, mais comme beaucoup d’entre nous. Comme si personne
n’avait voulu voir cette guerre si proche et pourtant si loin, ressentir dans sa chair l’horreur. Votre pièce
met le doigt sur cette attitude, cet aveuglement collectif...
Fabrice Melquiot. Quand j’ai découvert la coupure de presse sur ce témoignage-là, j’ai commencé à lire
énormément, à revoir beaucoup de documents d’archives, et là, tu peux comprendre les mécanismes, les
faits objectifs de la guerre. Cela dit, il y a tout un champ imaginaire et un champ sensoriel que je n’arrivais
pas à investir avec juste des témoignages de papier. La rencontre physique avec ce territoire-là, avec ces
gens-là a été ma manière d’ancrer ce conflit en moi. J’ai d’abord une compréhension plus intuitive
qu’intellectuelle. Ma démarche était de ne pas porter de jugement ni de prendre une quelconque position
critique. Il s’agissait d’éviter d’écrire comme un Français sur cette guerre-là mais de me considérer
comme un passager clandestin de la mémoire de cette guerre-là. C’est une pièce qui parle de la perte
d’humanité, traque les failles des humanités. Ces personnes, déshumanisées, qui en arrivent à se
comporter comme des bêtes... Tout est dans la parole, on ne voit rien mais tout est suggéré.
Comme dans cette scène où une vieille dame est obligée de boire le sang de son mari...
Fabrice Melquiot : Je suis parti d’un témoignage réel mais comment déplacer la violence au théâtre ?
Comment donner à voir la barbarie d’un tel acte sur une scène de théâtre ? J’ai écrit cette scène, la
Berceuse, c’est-à-dire la petite histoire qu’on raconte aux enfants pour qu’ils s’endorment. L’un des deux
jeunes soldats représente tout un pan de la jeunesse qui, soudain, s’est retrouvée pris dans cet engrenage
sans savoir vraiment pourquoi elle se battait. Un personnage qui se fait complètement avoir par la guerre
et devient finalement une bête de guerre. Alors il raconte à son ami cette petite histoire comme une sorte
de rêve, mais c’est la seule scène où on les retrouve tous les deux sur la ligne de front : c’est un rêve
éveillé.
Tout comme je n’avais pas envie de représenter un viol parce que c’est là que le faux-semblant est le plus
évident au théâtre quand, soudain, la sexualité, la violence sont montrées de manière très brute. Je suis
persuadé que c’est dans la poésie que la violence doit se retrouve
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La force de suggestion du théâtre est ailleurs...
Fabrice Melquiot : Je crois. Alors une jeune fille qu’on oblige à quitter sa robe au théâtre c’est une
métaphore et cette métaphore porte en elle toute la violence d’un viol. C’est effectivement davantage la
poésie qui porte ça, la manière dont ça prend des chemins de traverse, le chemin de l’intimité et de la
délicatesse, parce que l’image du réel est toujours finalement plus puissante que ce qu’on peut
représenter sur une scène. C’est donc dans la langue et dans la poésie que réside la puissance.
Votre écriture travaille la langue, la poésie et le sens comme si le théâtre pouvait être le dernier refuge ou
le dernier acte de résistance devant la perte des idéaux...
Fabrice Melquiot : J’ai l’impression d’être dans un monde, une société, qui ne ressemble pas à ce que
j’attends de la vie. Dans le théâtre, par la proposition du poème, j’essaie de reconstituer une sorte de
micro société qui me correspondrait davantage. Le théâtre est l’espace d’une aventure collective, avec un
groupe de personnes qui se met à croire à un rêve ensemble. J’ai tellement le sentiment d’être dans une
société où chacun ne pense qu’à sa gueule et pousse sa petite bulle en avant pour pas trop se prendre de
coups... Je crois que l’écriture est motivée par rapport à l’existence, mais c’est insuffisant, la vie ne suffit
pas. D’où ce besoin de solitude aussi pour écrire mais si je fais du théâtre, c’est bien que j’éprouve le
besoin que ma solitude rencontre la solitude d’autres gens, que l’on puisse se dire : là, il y a un poème, un
rêve, allons-y, faisons exister cette chose-là et partageons-la avec d’autres.
Le Diable en partage bouleverse car il nous plonge dans une actualité immédiate. Alors que nous avons
été abreuvés de milliers d’images et de commentaires via les médias, le théâtre parvient à se glisser dans
un tout petit espace et à nous faire entendre autre chose...
Fabrice Melquiot : Par rapport à ce conflit, j’ai le sentiment qu’on est dans cette brèche dont vous parlez.
C’est une actualité suffisamment proche pour ne pas être encore dans l’histoire avec un grand " H ". C’est
exactement dans cette brèche que le théâtre peut dire des choses. Si l’on regarde la place consacrée au
procès de Milosevic ou aux élections en Serbie, elle est infime aujourd’hui. Pourtant, c’est un pays en
stand by, qui se reconstruit petit à petit mais qui ne sait pas faire avec la démocratie, qui n’a jamais
quasiment fait avec la démocratie. C’est à cet endroit que le théâtre doit prendre des risques. L’actualité
est toujours plus forte qu’une fiction et je n’ai pas envie de jouer une pièce sur la Bosnie. Le théâtre peut
semer, à la manière du Petit Poucet, les cailloux pour ne pas se perdre. · Sarajevo les théâtres vont rouvrir
leurs portes pour accueillir des spectacles qui sont là pour construire la mémoire de ce pays-là de la
même manière qu’un film comme No Man’s Land participe de cette démarche. Évidemment, c’est un
risque et le sujet est casse-gueule mais encore une fois je suis inconscient. Je ne calcule pas mais si ça
s’impose, il faut le faire ; si une rencontre a lieu avec une mémoire, un imaginaire, un champ sensoriel,
j’ai envie de m’y abandonner.
Beaucoup de jeunes gens qui ont vu la pièce en ressortent bouleversés parce qu’on est en présence d’un
théâtre de personnages où les traits sont assez précis et que, plus on va dans le détail et dans la
précision, plus on touche à l’universalité de cette histoire-là. Cette pièce me rend la perception du conflit
israélo-palestinien soudain plus intime.
On rit dans cette pièce. Comment ressentez-vous ces rires ?
Fabrice Melquiot : Il est vrai que les gens rient. L’endroit du rire croise celui de la violence. Le spectateur
éclate de rire et tout de suite après regrette d’avoir éclaté de rire. Cela arrive sur les choses les plus
graves comme le suicide du père. Je suis curieux de constater comment la cruauté se déplace jusque
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dans le public. Ce rire met le spectateur dans une position inconfortable constante, car il ne peut jamais
s’installer dans une émotion. En tant que spectateur j’aime ces moments où tu commences à rire et,
l’instant d’après, quelque chose de très grave vient te clouer. C’est une sorte d’idéal qu’il faut viser, faire
que le spectateur se retrouve sur un radeau sans savoir s’il va toucher terre.
On sent une vraie complicité avec Emmanuel Demarcy Motta qui se poursuit puisque vous êtes de
l’aventure à la Comédie de Reims ?
Fabrice Melquiot : Oui. Emmanuel a constitué à Reims un collectif artistique de direction auquel
j’appartiens et dans lequel je me suis engagé parce que cela m’intéressait de réfléchir à la position d’un
auteur vivant dans un théâtre aujourd’hui. Cela ne peut pas juste être un auteur qui écrit dans sa chambre
des textes et qui les envoie à un metteur en scène qui les monte. Il faut inventer, et inventer des choses
liées à l’écriture. J’ai mis en place un comité de lecture, c’est un des axes du travail. On invite des auteurs
à nous envoyer des textes, on les recueille et on les proposera à des comités de lecture lycéens. Ainsi une
classe de lycée prendra un texte en main et travaillera toute une année sur ce texte. Travailler pendant
une année, c’est imaginer par exemple des réalisations plastiques inspirées par le texte, c’est rencontrer
l’auteur et c’est, en fin de saison, organiser une grande journée au théâtre où tous les comités de lecture
se réuniraient avec tous les auteurs pour proposer une vingtaine de minutes de lecture de la pièce, mise
en voix par le prof et par les lycéens. Nous proposons qu’un autre comité, rattaché au théâtre
évidemment, retienne cinq textes qui seraient présentés lors d’une journée consacrée aux écritures
contemporaines.
Quant à la question de la transmission, des ateliers de pratiques artistiques, que ce soit sur du théâtre ou
sur de l’écriture, il s’agit d’installer des rencontres avec les auteurs. J’ai longtemps expérimenté cela en
Seine-Saint-Denis, et j’avoue que, pour moi, ces rencontres sont extrêmement enrichissantes. Il est très
stimulant d’organiser des rencontres d’auteurs car trop souvent les auteurs se réunissent autour de textes
déjà écrits. Je voudrais juste savoir s’il est possible que des auteurs se réunissent autour d’une écriture
qui n’existe pas encore, sans que cela soit une écriture collective, mais une envie partagée d’inventer un
souvenir commun sur une écriture qui serait entre guillemets " made in Reims ". J’ai contacté une
quinzaine d’auteurs qui sont très ouverts, ils sont partants pour cette aventure. Il s’agit de remettre un
petit peu en danger la position d’écriture.
Journal l'Humanité
Rubrique Cultures
Article paru dans l'édition du 28 octobre 2002.
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Interview de Fabrice Melquiot
par Jean-Louis Pinte
L’écriture est arrivée comment ?
Àa a toujours été en moi. Je ne m’explique pas vraiment. Dans ma famille, les livres, l’écriture ne tenaient
pas un place importante. C’était comme un secret entre moi et moi, une fascination pour les mots. Ecrire,
ça commence toujours un peu de la même manière. ON écrit des poèmes pour faire plaisir à sa mère et,
plus tard, pour des jeunes filles qu’on aime. Vraiment, je ne sais pas pourquoi j’écris, je n’ai pas envie de
me l’expliquer. C’est une énigme. L’écriture est toute ma vie dans laquelle je me sens un passager
clandestin.
La poésie tient une place prépondérante dans votre langage théâtral, pourquoi ?
La poésie m’a guidé vers le théâtre à travers Neruda, Aragon, Pessoa et beaucoup d’autres. Et puis Koltès.
J’ai toujours dans mon sac des oeuvres de poètes quand je voyage. Je pense que la vie est une création
poétique.
Cette poésie se traduit dans vos textes à travers les couleurs !
J’associe immédiatement une couleur à une émotion, un sentiment. Quand j’écris, j’essaie de proposer un
trait de couleur qui pourra servir au scénographe et au metteur en scène qui s’intéressera à mon texte.
Cela me permet de construire une pensée, de résister aux idées toutes faites.
Il y a un thème majeur dans votre théâtre : l’abandon.
Abandon est un mot que l’on peut subir, qui est lié à l’amour, au corps. C’est comme un prisme autour
duquel j’aime beaucoup travailler, comme j’en aime la musique. C’est aussi un univers un peu spectral. On
se retire de soi et du monde et on découvre des fantômes. J’ai plein de fantômes de vie à l’intérieur de
moi.
L’innocence compte aussi beaucoup pour vous ?
Un artiste doit toujours retenir l’innocence en lui, cette part d’enfance qui l’empêche de grandir. Je
revendique cette ingénuité, cette candeur de l’innocence. Ecrire, c’est comme jouer. C’est un geste des
origines qu’on va chercher très loin. »
pour le FIGAROSCOPE, le 02/10/02
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Autres propos tenus par la presse
« Pour Melquiot, la littérature et le théâtre sont les derniers bastions qui préservent et rappellent les
espaces à la dérive « où ce qui disparaît » c’est notre propre conscience et l’humanité toute
entière ». De la force et de l’émotion dans la lucidité. »
Véronique Hotte, La Terrasse n°100, septembre 2002, à propos du Diable en partage et de
L’Inattendu.
« Sa force : introduire la poésie dans le quotidien, faire du théâtre le lieu unique de la pensée. Une
écriture nocturne dont les mots sont comme des étoiles qui éclairent la vie. Poésie noire qui caresse
les blessures, avec un goût de pleurs, de sang, de rage et de colère. De grande tendresse aussi.
C’est comme un fleuve impétueux dont le lit est fait de sable doux. C’est dans ce flux et reflux que
vogue l’écriture de Melquiot. Texte d’une beauté sombre. »
Jean-Louis Pinte, Le Figaroscope, 02/10/02
« Fabrice Melquiot est également imprégné de cinéma. Par exemple, la structure de Ma Vie de
chandelle « emprunte au cinéma » (notamment par ses ruptures), « qui interroge le théâtre.
Présentation de la saison, La Comédie de Reims, 12/09/03.
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