chapitre un - The Foundation of Buddhist Thought

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CHAPITRE UN
QU’EST-CE QUE L’ESPRIT ?
Les deux approches : psychologique et épistémologique
1- L’origine de l’Abhidharma
2- Le contenu de l’Abhidharma
3- Le Pramanavarttika concerne l’épistémologie
4- Le Lo-rig : voie d’entrée dans les textes fondamentaux
Ce qu’est l’esprit et pourquoi il est important de l’étudier
1- Définition de l’esprit
2- Les deux raisons d’étudier l’esprit
a) Connaître la nature de notre esprit
b) Guérir notre esprit
3- La relation entre l’esprit et la matière
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CHAPITRE UN
QU’EST-CE QUE L’ESPRIT ?
Les deux approches : psychologique et épistémologique
Ce module est une introduction à la psychologie et à l’épistémologie bouddhiques, d’après deux textes
bouddhiques : l’Abhidharma et le Pramana. Je pense qu’il est important de considérer l’origine de ces
deux textes et de voir comment les érudits et les pratiquants les ont par la suite utilisés, dans le but de
développer les deux différentes approches visant à comprendre l’esprit : l’approche psychologique et
l’approche épistémologique.
De nombreux commentaires ont été écrits à partir de ces deux textes, notamment l’Abhidharmakosha et
le Pramanavarttika, qui sont ce que nous étudions dans les monastères. En plus de ces textes
appartenant aux soutras, il existe de nombreux textes tantriques qui approfondissent encore davantage
le sujet de l’esprit. Ils sont très importants mais également très complexes à étudier.
Bien que les deux textes ( l’Abhidharma et le Pramanavarttika) traitent tous deux de l’esprit, de sa
nature, de ses fonctions, et de la façon dont cela nous affecte dans notre vie quotidienne, leur approche
diffère légèrement. L’Abhidharmakosha aborde l’esprit du point de vue psychologique. Il identifie les
différents types de conscience qui se produisent dans notre vie quotidienne, en tenant compte du cadre
et des circonstances particulières qui les entourent, et considère en conséquence les effets qui sont
produits. Quant au Pramanavarttika, il décrit l’esprit d’un point de vue épistémologique : l’examinant en
termes de processus à travers lesquels il passe, en particulier comment il passe de l’ignorance à la
sagesse et des conceptualisations aux perceptions. ‘Conception’, dans ce contexte, signifie ‘la
conscience qui connaît ou qui appréhende les objets à travers des images mentales’, et la ‘perception’
est la ‘conscience qui appréhende les objets directement, sans aucune construction conceptuelle’.
Je n’ai pas beaucoup étudié la psychologie ni l’épistémologie occidentales mais, à travers mes lectures,
j’ai compris qu’il existe un profond désaccord relatif au fait de savoir si ces deux champs sont
susceptibles ou non d’œuvrer ensemble. Certains psychologues disent que c’est possible, alors que
d’autres disent le contraire, car étant deux disciplines différentes. Dans le bouddhisme, de telles
contradictions ou conflits n’ont pas lieu d’être.
1- L’origine de l’Abhidharma
L’ensemble des paroles du Bouddha est divisé en trois « corbeilles », appelées le Tripitaka. Avant que
l’Abhidharma Pitaka1 ne soit composé, environ trois cents ans après la mort du Bouddha, il existait déjà
des textes bouddhiques référencés comme le Vinaya Pitaka et le Soutra Pitaka.
Bien que les enseignements donnés dans chacune des Trois Corbeilles ne soient pas sans lien les uns
avec les autres, chacun met l’accent sur un point particulier. Les enseignements du Bouddha qui
portent sur les vœux monastiques et laïques, ou sur la façon d’administrer les monastères, sont
répertoriés dans le Vinaya Pitaka. Ceux dont l’accent est mis sur la façon de développer la
concentration (l’esprit concentré en un point) relèvent du Soutra Pitaka. La troisième Corbeille :
l’Abhidharma Pitaka, consiste essentiellement en comment développer la sagesse. Si nous ignorons
comment notre esprit fonctionne, comment pouvons-nous développer la sagesse et acquérir une
meilleure compréhension de la réalité ?
Dans la version tibétaine actuelle, dont il est dit qu’elle a été enseignée par le Bouddha, nous
possédons cent dix volumes, divisés en trois catégories selon leur sujet. Bien que je n’ai pas étudié les
1- Il existe quatre versions de l’Abhidharma : la version Théravada en 7 volumes ; la version Sarvastivada
également en 7 volumes mais complètement différente de la précédente ; une œuvre appelée leShariputraAbhidharma-soutra ; une exposition tardive du système Sarvastivada de l’Abhidharma qui sont
l’Abhidharmakosa de Vasoubandhou et l’Abhidharmasamuccaya d’Asanga qui continuent d’être étudié par les
bouddhistes tibétains.
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textes Pali de l’Abhidharma – dans la mesure où il n’en existe aucune version En tibétain – il semble
qu’il y a en Pali sept textes fondamentaux de l’Abhidharma qui sont d’origine – en ce sens qu’ils datent
du concile qui s’est tenu deux cents ans après la mort du Bouddha.
Certains érudits et méditants du Sri Lanka et de Thaïlande sont allés en Inde où ils ont traduit les textes
en Pali pour les ramener ensuite dans leur pays respectif. Plus tard, l’entière compilation des textes
indiens fut complètement détruite, c’est pourquoi nous nous appuyons sur ces textes Sri Lankais et
Thaïs.
Dans la tradition tibétaine (pas seulement celle des Guélougpa), nous étudions principalement le texte
de l’Abhidharma appelé l’Abhidharmakosha, composé par Vasoubandhou, un pandit indien qui vécut
aux 5ème ou 6ème siècle. Un autre texte est également étudié, composé par le frère spirituel de
Vasoubandhou, Asanga, qui s’appelle l’Abhidharmasamucchaya, ainsi que des commentaires variés.
2- Le contenu de l’Abhidharma
Le sujet des textes de l’Abhidharma que nous étudions dans les monastères tibétains concerne surtout
l’étude psychologique de l’esprit. Lorsque notre esprit est en activité, quels types de choses se
produisent en lui ? Lorsque certains états d’esprit apparaissent dans notre continuum mental, quels
types de comportements se produisent à l’extérieur, s’exprimant par la parole et le corps ? Certains
états d’esprit font que nous nous sentons paisible, calme et sage ; certains autres font que nous nous
sentons agités ou moroses. Donc, en examinant les états d’esprit que nous avons, nous les classons en
termes d’états d’esprit sages et d’états d’esprit perturbés.
La grosse différence que je vois entre la psychologie bouddhique et la psychologie occidentale réside
dans le but. Dans la psychologie bouddhique, le but majeur des textes consiste à chercher puis à traiter
la cause racine de notre souffrance, alors qu’il me semble que pour la psychologie occidentale, le but
est le plus souvent de guérir les symptômes et le déséquilibre immédiat.
Les huit chapitres de l’Abhidharmakosha de Vasoubandhou sont presque complètement consacrés à
l’esprit et ses fonctions, aux types de consciences que nous pouvons avoir et à combien peuvent
apparaître simultanément en un même instant. Il considère la manière dont nous pouvons développer
des consciences analytiques afin d’analyser l’esprit lui-même, plutôt que de voir seulement comment le
comportement et l’environnement ont un effet sur notre esprit.
Vous souvenez-vous des Quatre Sceaux que nous avons vu lors du module précédant consacré aux
Deux Vérités ? (tous les phénomènes composés sont impermanents ; tous les phénomènes contaminés
sont souffrance par nature ; tous les phénomènes sont vides d’existence propre ; le nirvana est la paix
véritable.) Il est très important de garder cela à l’esprit alors que l’on discute de l’esprit. Il ne s’agit pas
seulement d’une récitation ou d’un mantra – le sens de ces quatre affirmations doit être expérimenté.
Pour parvenir à la compréhension juste des quatre sceaux, samatha (ou calme mental) ne suffit pas,
nous devons le combiner avec l’esprit analytique. C’est la méthode décrite dans l’Abhidharma.
3- Le Pramanavarttika concerne l’épistémologie
Le texte du Pramana auquel nous nous référons principalement pour l’étude de l’épistémologie (ou
théorie bouddhique de l’esprit), est le Pramanavarttika. Vécurent deux brillants logiciens bouddhistes et
grands pratiquants, nommés Dignaga (480-540ap. J.C.) et Dharmakirti (600-660ap J.C.), dont le travail
constitue la base de l’épistémologie bouddhique et des théories de la logique que nous étudions.
Il semble qu’au temps du Bouddha et juste après, l’activité majeure des érudits bouddhistes fut
simplement d’établir le bouddhisme. Débattre avec ceux détenant d’autres croyances est venu plus
tard. Cependant, après deux cents ou trois cents ans, une fois que le bouddhisme fut bien établi en
Inde, ils commencèrent à affiner la pensée bouddhique et son approche, ainsi qu’à défendre et
expliquer leurs théories d’une manière précise et logique. Le style des enseignements se fonda
davantage sur la logique et le raisonnement et ces deux grands maîtres, Dignaga et Dharmakirti, mirent
l’accent sur la logique et la théorie de l’esprit.
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Le texte principal que nous utilisons pour étudier l’épistémologie et la logique dans les monastères est
le Pramanavarttika, composé par Dharmakirti. C’est un commentaire du texte de son maître Dignaga, le
Pramanasamucchaya qui traite de la logique et de la théorie de l’esprit. A l’origine, le texte de Dignaga
(qui est une compilation de nombreux courts extraits) parle de ce qu’est un esprit valide ou cognition et
de ce que nous pouvons faire pour avoir un esprit vraiment valide, c’est-à-dire libre des perturbations et
de la confusion.
Parce que nous sommes incapables de comprendre les phénomènes très dissimulés en employant la
logique, nous pouvons seulement en venir à les connaître grâce à la confiance en les paroles de
quelqu’un tel que le Bouddha. Donc, Dignaga discute également du fait de savoir si le Bouddha
historique est une personne et un enseignant valable et digne de confiance. Pour ce faire, nous devons
comprendre ses qualités intérieures plutôt que voir les apparences extérieures. C’est donc sur ces
aspects intérieurs de l’esprit du Bouddha que Dignaga a écrit.
Dharmakirti a écrit un commentaire du texte de son maître mais l’approche est assez différente du texte
de référence et il soulève des points que son prédécesseur n’a pas abordés. Il comporte quatre
chapitres entièrement versifiés.
Le premier chapitre traite des bienfaits de la logique, montrant comment elle accroît notre
compréhension de la réalité et sa capacité de transformer l’esprit conceptuel en un esprit de perception,
libre de toutes perturbations. Il dit également combien le Bouddha historique est fiable et digne de
confiance et argumente ce point en toute logique, en se fondant sur la réalisation du Bouddha des
Quatre Nobles Vérités. Il est largement reconnu comme étant le premier à avoir fait cela, et c’est un
sujet d’étude très important.
Son deuxième chapitre comporte environ deux cents versets dont la première partie explique
rationnellement comment quelqu’un peut développer la grande compassion. Cela peut prendre de
nombreuses vies, et c’est pourquoi une partie du chapitre traite également de la continuité de l’esprit de
vie en vie. La deuxième partie du deuxième chapitre emploie la logique pour traiter la manière dont les
Quatre Nobles Vérités fonctionnent et affectent nos vies quotidiennes, en particulier la Vérité du
Chemin, montrant comment notre esprit peut s’améliorer et se développer.
Les troisième et quatrième chapitres décrivent comment, pour le bien des autres, nous pouvons leur
expliquer logiquement les Quatre Nobles Vérités, de sorte qu’ils puissent dissiper leur ignorance et leurs
erreurs.
4- Le Lo-rig : voie d’entrée dans les textes fondamentaux
Deux des livres dont la lecture est recommandée, Connaître l’esprit et Mind and its functions, sont des
textes de Lo-rig. Ce qui se passe normalement dans le bouddhisme tibétain est qu’avant de commencer
des textes importants, tels que le Pramanavarttika ou l’Abhidharmakosha, les maîtres tibétains
composent un texte préliminaire, appelé texte d‘entrée ou d’introduction. Dans ce cas il s’agit du Lo-rig,
esprit (lo) et connaissance (rig), qui condense et catégorise toutes les choses au sein de textes les plus
compliqués qui soient à mémoriser pour les moines et les nonnes dans les monastères. Donc, le
Pramanavarttika et l’Abhidharmakosha constituent les sources principales pour l’étude de la
psychologie et de l’épistémologie bouddhique tibétaine, alors que Lo-rig est le texte que nous étudions
en guise d’introduction à ces textes.
Selon le bouddhisme, la psychologie et l’épistémologie doivent aller de pair et leur étude est
inséparable. La psychologie, en général, s’intéresse surtout à notre monde empirique, le monde
intérieur dont nous faisons l’expérience, plutôt qu’à la manière dont ce monde intérieur vient à exister.
Par cette expérience, une certaine analyse ou investigation peut être effectuée. Sans une
compréhension du monde dans lequel nous agissons et communiquons, il n’est pas possible de pouvoir
comprendre, par exemple, la première Noble Vérité : la Vérité de la souffrance. Or, comme nous l’avons
vu, il s’agit du point de départ.
L’épistémologie est la théorie de l’esprit et de la connaissance et son principal centre d’intérêt est de
savoir comment cette connaissance est apparue et comment nous pouvons la développer. En d’autres
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termes, elle considère ce qu’il y a derrière ce monde dont nous faisons l’expérience à travers nos sens
et de quelle manière nous pouvons le comprendre. Notre expérience quotidienne seule ne nous
conduira pas là. L’approche épistémologique va au delà de l’expérience, jusqu’à une compréhension de
la manière dont la connaissance ou sagesse se produit.
Guéshé Rabten, dans Mind and its functions dit que la compréhension épistémologique de l’esprit ne
devrait pas être séparée de l’aspect psychologique de l’esprit. Si notre étude de l’esprit était purement
théorique, il y aurait un risque que cela demeure un exercice intellectuel et que cela ne nous profite
jamais vraiment.
Traditionnellement, dans les textes tibétains du Lo-rig le côté épistémologique vient en premier et le
côté psychologique après. De plus, il est assez bref, énumérant simplement les différentes catégories.
Cependant, j’ai pensé qu’il serait mieux pour nous de discuter de l’esprit en considérant d’abord l’aspect
psychologique avant de voir l’aspect épistémologique.
Au monastère, on étudie l’esprit et les facteurs mentaux en trois temps différents. Lorsque j’étais là-bas,
nous, les jeunes moines entrions en classe de débat sur ce sujet lors de la troisième année, étudiant le
Lo-rig. Chaque collège possédait son propre commentaire. Pendant les trois ou quatre mois passés à
étudier ce sujet, ce que nous essayions principalement de faire était de mémoriser toutes les définitions
et les divisions, telles que celle des 51 facteurs mentaux. Comme nous étions encore très jeunes, nous
n’avions pas la faculté de faire l’expérience de ces différents types de perceptions. C’est pourquoi nous
ne faisions que les mémoriser, puis nous débattions un peu de choses très simples.
En un deuxième temps, nous étudiions l’esprit et les facteurs mentaux par le biais de l’Abhidharma, en
nous référant à l’Abhidharmasamuccaya d’Asanga ainsi qu’à l’Abhidharmakosha de Vasoubandhou, qui
entrent davantage dans les détails et dans la profondeur que le Lo-rig. Dans la mesure où ces deux
textes, ainsi que leurs commentaires, discutent d’une manière extensive de chaque perception et de
chaque facteur mental, ils sont étudiés beaucoup plus tard – certains monastères les laissent même de
côté jusqu’à quelques années seulement avant l’examen de guéshé.
Enfin, en troisième lieu, nous étudiions l’esprit et ses fonctions davantage d’un point de vue
épistémologique, en nous appuyant sur le Pramanasamuccaya de Dignaga, sur le Pramanavarttika de
Dharmakirti, et sur leurs nombreux commentaires. Ils sont l’objet de notre étude pendant deux mois
chaque année, depuis le moment où nous commençons sérieusement le programme d’études jusqu’à
notre diplôme de guéshé, passant un mois dans notre propre monastère et nous rassemblant le mois
suivant avec les deux autres monastères pour étudier et débattre.
Ce qu’est l’esprit et pourquoi il est important de l’étudier
1- Définition de l’esprit
« En général, on peut définir l’esprit comme une entité qui est par nature pure expérience,
c’est-à-dire ‘clarté et connaissance’. C’est la nature connaissante, l’action de connaître, qui est
appelée esprit : ceci n’est pas matériel. Mais ce qu’on entend par esprit comprend aussi des
niveaux grossiers, comme nos perceptions sensorielles…
Selon la science de l’esprit bouddhiste, ces phénomènes cognitifs sont connaissance par
nature, en raison de leur clarté fondamentale et innée qui sous-tend tous les phénomènes
(mentaux) cognitifs. Telle est… la nature fondamentale de l’esprit, la nature de claire lumière
de l’esprit. »
Extrait de Esprit-science de Sa Sainteté le Dalaï Lama (p.36).
Nous devons garder à l’esprit que, dans le bouddhisme, l’explication de la nature de l’esprit va changer
d’une école à l’autre.
L’Abhidharma et le Pramana appartiennent tous deux aux trois écoles inférieures, celles des
Vaibashika, des Sautrantika et des Cittamatra. Ce sont les écoles à partir desquelles Vasoubandhou,
Asanga et Dharmakirti ont fondé leurs explications de la vacuité. Par exemple, le point de vue d’Asanga
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concernant la vacuité est beaucoup basé sur la vue Cittamatra, de même que le sont ceux de
Dharmakirti et de Dignaga. Ils ne parlent jamais de la vacuité telle qu’elle est exposée par l’école
Madhyamika. D’un autre côté, L’école Madhyamika ne possède pas d’explication spécifique relative à
l’esprit et ses fonctions. Bien que leur théorie de la vacuité soit assez différente, l’ensemble de leurs
vues philosophiques concernant l’esprit et ses fonctions se fonde sur ces deux textes, avec seulement
quelques explications légèrement différentes par endroits.
Lorsque je regarde en arrière, je me rends compte que si je n’avais pas étudié de tels sujets, il m’aurait
été vraiment difficile d’apprécier pleinement les enseignements du Lam Rim et de comprendre le
processus de progression sur le chemin.
Afin de transformer notre esprit d’un état négatif à un état positif, il est de toute évidence très important
de connaître précisément ce qu’est ce que nous transformons.
Dans la citation ci-dessus, Sa Sainteté emploie la définition bouddhique usuelle de l’esprit, qui est
quelque chose qui est « clair et connaissant » (tib. sèl-ching rig-pa). L’esprit est quelque chose de non
matériel. Il dit également que la clarté fondamentale sous-tend toute activité cognitive. En d’autres
termes, sous-jacent à tout ce dont nous faisons l’expérience, il y a cet esprit connaissant et clair, cet
esprit de claire lumière.
Si nous divisons l’esprit en esprit principal et en facteurs mentaux (ce que nous verrons un peu plus
loin), l’esprit principal est passif mais clair et connaissant, alors que les facteurs mentaux qui lui sont
associés sont actifs. L’esprit principal est comparable à l’écran cinématographique lumineux et blanc ;
les facteurs mentaux sont les différentes images projetées sur cet écran avec leurs différentes couleurs
et formes.
Cette définition – clair et connaissant – peut être employée depuis l’école la plus inférieure jusqu’à celle
des Prasangika. Cependant, lorsque l’on en vient à définir ce que signifie ‘clair et connaissant’, les
explications diffèrent. Par exemple, dans le Tantrayana, la clarté est décrite en termes de nature
fondamentale de notre esprit qui est claire lumière. Or, il n’existe qu’une explication unique quant à ce
qu’est la claire lumière. La nature fondamentale de l’esprit peut également être décrite comme une
simple expérience. En tibétain, il s’agit de nyong-tsam ki-dak-nyi. Nyong signifie ‘expérience’ et tsam
signifie ‘simple’.
Lati Rimpoché, dans Connaître l’esprit (p.73), donne la définition de Guéshé Jamyang Chépa :
« La définition d’une conscience est un connaisseur. La définition d’une cognition est ce qui
est clair et connaissant. »
Si une conscience est un connaisseur et un esprit ou une cognition est ce qui est clair et connaissant,
alors ces trois termes, du point de vue bouddhique, sont synonymes.
Bien que nous utilisions différents termes En tibétain – lo signifie conscience et ché-pa signifie cognition
– ils se réfèrent en fait à des façons différentes de considérer une même chose : l’esprit. Les différents
termes amènent des images légèrement différentes dans notre tête.
2- Les deux raisons d’étudier l’esprit
Il y a deux raisons majeures d’étudier l’esprit. J’ai employé la métaphore bouddhique traditionnelle de la
maladie lorsque nous avons étudié les Quatre Nobles Vérités – pour guérir d’une maladie, nous devons
tout d’abord savoir de quoi il s’agit. C’est donc la raison pour laquelle le Bouddha a enseigné la Vérité
de la Souffrance en tant que première Noble Vérité. Or, c’est la même chose ici. Comment pouvonsnous guérir de nos perturbations, soigner notre esprit perturbé et aller jusqu’à réaliser son potentiel
illimité, si nous ne savons pas précisément ce qu’est l’esprit ? Aussi, comment pouvons-nous obtenir un
aperçu de cette chose qui est simple luminosité ? Comment faire pour voir l’écran blanc à travers toutes
les images confuses que nous projetons sur lui ? Et lorsque nous avons effectivement quelque idée
quant à la nature de l’esprit, comment pouvons-nous l’utiliser pour éliminer les états perturbés,
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déséquilibrés, et pour développer des états d’esprit positifs ? Comment pouvons-nous guérir notre
esprit ?
Donc, les deux raisons pour lesquelles il est si important d’étudier l’esprit sont les suivantes :
a- connaître la nature de notre esprit qui est simple expérience ou simple luminosité
b- guérir notre esprit, c’est-à-dire trouver une méthode thérapeutique pour transformer notre
esprit en un esprit entièrement positif.
Comme l’a dit Lama Yéshé (le fondateur du F.P.M.T.), dans Make your mind an ocean, votre esprit est
votre religion. Si la fonction de la religion est de nous rendre heureux et de se développer
spirituellement, alors cela peut tout simplement se faire en connaissant l’esprit. Par une compréhension
claire de l’esprit, il pourra être guéri .
Pour citer Lama Yéshé :
« Le seigneur Bouddha a dit que tout ce que vous devez savoir, c’est ce que vous êtes,
comment vous existez. Vous n’avez pas à croire en quoi que ce soit. Simplement comprendre
comment fonctionne votre esprit, comment l’attachement et le désir s’élèvent, comment
l’ignorance apparaît, et d’où viennent les émotions. Il est suffisant de connaître la nature de
tout cela ; cela seul peut apporter le bonheur et la paix.»
a- Connaître la nature de notre esprit
Comment pouvons-nous savoir que l’esprit est une simple expérience, une simple luminosité, une
simple clarté ? Nous pouvons seulement le savoir lorsque notre esprit est libre des objets extérieurs. Si,
par la méditation, nous pouvons nous débarrasser de tous les objets sensoriels – les bruits, les visions,
les pensées conceptuelles – alors, nous avons une chance d’avoir un aperçu de la nature véritable de
l’esprit. C’est seulement lorsque l’on éteint le projecteur que l’on peut voir l’écran derrière les images.
Donc, comment parvenir à faire cela ? Comment pouvons-nous libérer notre esprit des objets
extérieurs ? Les objets externes peuvent être des formes, des odeurs, des bruits, des goûts, des objets
tactiles ou ils peuvent être produits mentalement, telles que des sensations ou des pensées. Pour
comprendre la nature de l’esprit, nous devons nous libérer de tout cela, mais alors, que restera-t-il sur
quoi nous focaliser ? Une fois que tout est parti, l’esprit demeure en tant qu’objet de méditation. Seul
reste l’esprit lui-même. L’esprit est clair et connaissant. Il doit connaître quelque chose, il doit être
conscient de quelque chose, et si nous pouvons nous libérer de tous les objets sensoriels externes, il
s’occupe habituellement de lui-même, il devient conscient de lui-même.
Si nous souhaitons connaître un livre, il doit devenir l’objet sur lequel nous allons nous focaliser. Nous
devons le lire, le toucher, regarder sa couverture, faire tout ce qui est nécessaire pour le comprendre.
En ce qui concerne l’esprit, c’est exactement la même chose. Si nous souhaitons vraiment connaître la
nature de l’esprit, nous devons faire de l’esprit lui-même l’objet de notre focalisation. Est-ce possible ?
Ainsi que je l’ai dit, l’esprit ou la perception ne peut se produire sans un objet. Pour être clair et
connaissant, l’esprit doit avoir quelque chose à connaître – il doit être conscient de quelque chose. Qu’il
s’agisse d’une perception correcte ou complètement erronée, elle doit avoir un objet sur lequel se
focaliser.
Dans le bouddhisme, c’est quelque chose dont nous parlons beaucoup. L’esprit ne peut se manifester
de manière indépendante, sans un objet. L’esprit est décrit comme le sujet (ou l’agent), celui qui agit.
Afin de parler de ce type de phénomène, il y a une chose à faire. En effet, le sujet et l’objet sont
interdépendants. Sans l’un, il ne peut y avoir l’autre. Ainsi que l’a dit Guéshé Rabten :
« Tous les états d’esprit, qu’ils soient intellectuels, telles la discrimination ou la
reconnaissance, ou émotionnels, tels le désir et la haine, sont nécessairement des sujets ; ils ne
peuvent exister sans appréhender un objet particulier ».
Pour pouvoir parler d’un sujet, il doit y avoir un objet. Lorsque nous avons libéré notre esprit des objets
externes, alors l’esprit lui-même devient tout naturellement l’objet.
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Les techniques de méditation pour libérer notre esprit varient selon les différentes écoles et les
différents niveaux de pratique. Ici, n’oubliez pas, il ne s’agit pas seulement d’essayer de nous libérer
des objets extérieurs à notre corps et de la perception de notre corps, mais également de l’esprit
conceptuel, avec toutes ses pensées et ses rêves, parce que si nous utilisons notre esprit conceptuel
comme objet de focalisation, il s’y trouvera toujours des images.
Vous rappelez-vous les quatre types de généralités que nous avons vues lors du module relatif aux
Deux Vérités ? Il s’agit des généralités collectives, catégorielles, significatives et du son. Tant qu’une de
ces généralités demeure l’objet de focalisation de notre esprit, nous ne pouvons aller au-delà de la
conceptualisation et voir la nature véritable de l’esprit. L’objet sur lequel nous devons nous focaliser est
la simple expérience elle-même.
b- Guérir notre esprit
Nous devons connaître la nature de notre esprit si nous voulons le guérir.
Dans le Dhammapada, il est dit :
« L’esprit est le précurseur de [toutes] les conditions [néfastes]. L’esprit est le chef et elles sont ses
créations. Si, avec un esprit impur, on parle ou agit, alors la douleur nous suit d’aussi près que la
roue suit le sabot du bœuf.
L’esprit est le précurseur de [toutes les bonnes] conditions. L’esprit est le chef et elles sont ses
créations. Si, avec un esprit pur, on parle ou agit, alors le bonheur nous suit d’aussi près que notre
ombre qui jamais ne nous quitte. »
Rien de bon ou de mauvais ne nous arrive à moins que notre esprit ne le définisse comme tel. C’est
l’état de notre esprit seul qui détermine le bonheur et le malheur.
Sa Sainteté le Dalaï Lama, dans Esprit-Science (p. 30), dit :
« La compréhension de la nature de l’esprit et de son rôle est donc déterminante pour la
compréhension de l’expérience humaine et de la relation entre l’esprit et la matière. Nous
pouvons constater, par notre propre expérience, que l’état de notre esprit joue un rôle
prépondérant dans notre vie de tous les jours pour notre bien être moral et physique. Un esprit
calme et stable influe sur l’attitude ou le comportement vis à vis des autres.
En d’autres termes, si l’on maintient son esprit dans un état de calme, de tranquillité et de paix,
les perturbations causées par le contexte ou les conditions extérieures seront limitées. En
revanche, il est très difficile pour quelqu’un dont le mental est agité de rester calme et joyeux
même dans les meilleures conditions et entouré des meilleurs amis. Cela signifie que notre
attitude mentale est un facteur déterminant de nos expériences de joie et de bonheur ainsi que
de bonne santé. »
Remarquez que Sa Sainteté ne dit pas que si vous possédez un esprit calme, il n’est absolument rien
d’extérieur qui puisse vous perturber. Il se veut bien plus réaliste en disant que les facteurs externes
peuvent seulement vous causer des ‘nuisances limitées’. L’avez-vous remarqué dans votre propre vie ?
Quelque chose qui peut être la cause d’une agitation importante lorsque vous êtes dans un état
perturbé et qui peut paraître insignifiant lorsque vous êtes heureux.
Les deux petits fascicules de Lama Yéshé : Make your mind an ocean (en cours de traduction) et
Devenir son propre thérapeute, parlent de cela et valent vraiment la peine d’être lus. Vous pouvez les
trouver sur le site internet de Lama Yeshe Wisdom Archive (www.lamayeshe. org).
Dans Make your mind an ocean, il dit :
« Votre esprit est comme un miroir reflétant tout sans aucune discrimination. Si vous possédez
une sagesse-compréhension, vous pouvez contrôler le reflet que vous laissez apparaître dans le
miroir de votre esprit. Si vous ignorez ce qui se produit dans votre esprit, il va refléter toutes
les ordures qu’il va rencontrer. »
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En commençant à comprendre la relation qui existe entre notre esprit et les objets qu’il rencontre, nous
pouvons commencer à voir comment dépasser les états d’esprit qui nous perturbent et nous pouvons
commencer à guérir notre esprit.
3. La relation entre l’esprit et la matière
Guéshé Rabten donne une autre définition de l’esprit dans Mind and its functions (p.20) :
« Les caractéristiques qui définissent l’esprit sont la clarté et la cognition. Ici, clarté fait
référence à la nature de la conscience non-matérielle semblable à l’espace, c’est-à-dire son état
complètement dénué de couleur, de forme, de contours ou de dimension matérielle. »
Il nous faut être très clair quant à la différence entre ce qui est matériel et immatériel. Est-ce que ce qui
est matière, comme notre corps, peut devenir immatériel, comme l’esprit ? Et vice et versa, l’immatériel
peut-il devenir matière ? L’un peut-il aider l’autre à fonctionner en dépit du fait qu’ils s’excluent
mutuellement ou ne peuvent-ils en aucune façon être combinés ? Telles sont les sortes de questions
que nous devons nous poser alors que nous considérons le matériel et l’immatériel. Selon le point de
vue bouddhique, il est certain que la matière – notre forme – peut aider l’immatériel – notre esprit – à
fonctionner. Il existe un lien très étroit entre l’esprit et le corps. Mais l’un ne peut en aucune façon
remplacer l’autre ou être transformer en cet autre. L’esprit ne peut devenir matière et la matière ne peut
devenir esprit. L’esprit est pure expérience, rien de plus, et l’expérience n’est pas assimilable au
fonctionnement cérébral. Il n’y a absolument rien de physique là-dedans. Il est véhiculé par le physique
– la conscience visuelle est véhiculée par nos yeux physiques, par les nerfs, etc. – mais l’esprit luimême est simple clarté et connaissance. Pas plus que cela. Ce point est vraiment important.
L’esprit ne peut jamais devenir matière mais il existe un lien très étroit entre l’esprit et son objet matériel
d’engagement, en particulier si cet objet est notre propre corps. Il n’est absolument pas possible que
toutes nos consciences, en particulier nos cinq consciences sensorielles, puissent apparaître sans que
des objets matériels extérieurs ne les déclenchent. C’est catégorique. Dans le royaume du désir dans
lequel nous vivons, notre existence entière dépend et se focalise sur la matière.
L’approche principale de l’Abhidharma est psychologique plutôt qu’épistémologique, et lorsque nous
parlons de notre esprit du point de vue psychologique, nous parlons habituellement d’êtres comme
nous-mêmes, qui possèdent toutes leurs consciences sensorielles et qui peuvent avoir accès aux objets
sensoriels. Selon le bouddhisme, il existe également des êtres dépourvus de ces facultés. Les
royaumes du samsara sont, par conséquent, divisés en trois catégories qui sont le royaume du sans
forme, celui de la forme et celui du désir. Nous nous trouvons dans le royaume du désir dans la mesure
où nous sommes des êtres qui possédons toutes les consciences sensorielles pouvant percevoir des
objets sensoriels. Dans le royaume du sans forme, il n’y a pas de matière et donc, pour fonctionner,
l’esprit des êtres de ce royaume n’a pas besoin de support matériel extérieur tel qu’un objet.
Dans notre royaume, cependant, le lien entre l’esprit et la matière est très fort. Si vous observez le lien
entre la colère (esprit) et la laideur (matière), vous verrez que, bien que je puisse être en colère en ce
moment précis, cette condition mentale ne peut jamais se transformer en un visage laid, qui est une
chose physique. Même si mon visage esquisse une grimace qui me donne un air laid, l’esprit lui-même
ne peut devenir le visage. En revanche, ma colère peut être la cause pour moi d’avoir un visage ou un
corps laid dans le futur. Le lien est aussi étroit que cela. Et même si cela ne se manifeste pas de cette
manière, le résultat karmique de la colère, selon le bouddhisme, sera de faire l’expérience d’un
environnement déplaisant ou rude, ou de naître dans un endroit où il y a la guerre. L’esprit peut affecter
la matière aussi étroitement, l’inverse est également vrai. Même de nos jours en Occident, nous
commençons à entrevoir le lien étroit entre l’esprit et la matière dans le domaine des maladies
psychosomatiques. Le bouddhisme dirait qu’elles sont dues au lien karmique étroit existant entre l’esprit
et la matière.
9
Le commentaire de Kalachakra parle de l’origine de l’univers qui proviendrait de quelque chose appelé
une particule d’espace (tib. : nam-khé dul). Si nous remontons de plus en plus loin dans le passé, selon
les enseignements du Kalachakra, la particule primordiale est une particule de matière qui a causé
l’apparition de l’univers entier : esprit et matière. C’est la substance originelle, quelque chose qui n’est ni
l’esprit ni la matière, mais qui a donné naissance aux deux. S’il en est ainsi, cela montre à quel point la
relation entre l’esprit et la matière est étroite.
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CHAPITRE DEUX
L’ESPRIT PRINCIPAL ET LES FACTEURS MENTAUX
L’esprit principal et les facteurs mentaux – vue d’ensemble
1- L’esprit principal
2- Les cinq similitudes entre l’esprit principal et les facteurs mentaux
a- Base similaire
b- Durée similaire
c- Aspect similaire
d- Référent similaire
e- Substance similaire
3- Les six esprits principaux (ou 6 consciences principales)
4- Deux consciences principales ne peuvent opérer au même moment
5- Bodhicitta est un esprit principal
6- Définition des facteurs mentaux
7- L’ordre selon lequel les facteurs mentaux apparaissent
a- L’ image mentale
b- La reconnaissance
c- Le désir
d- L’accomplissement
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Les facteurs mentaux omniprésents
1- Le contact
2- Le discernement
3- La sensation
a- Comment la sensation conditionne et comment elle est conditionnée
4- L’intention
a- La tendance à la vue du soi
b- La tendance de par l’accoutumance
c- La tendance à saisir l’existence
d- La tendance à la répétition
5- L’attention
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Les facteurs mentaux déterminant l’objet
1- L’aspiration
2- La détermination
3- La mémoire
4- La concentration
5- L’intelligence
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CHAPITRE DEUX
L’ESPRIT PRINCIPAL ET LES FACTEURS MENTAUX
L’esprit principal et les facteurs mentaux – vue d’ensemble
« Il y a deux raisons pour lesquelles il est important de comprendre la nature véritable de
l’esprit. La première concerne le fait qu’il existe un lien étroit entre l’esprit et le karma.
L’autre est que notre état d’esprit joue un rôle crucial dans notre expérience du bonheur et de
la souffrance. »
Esprit-Science de Sa Sainteté le Dalaï Lama (p.30)
« Si vous n’examinez pas votre esprit au moyen de l’introspection de la sagesse-connaissance,
vous ne verrez jamais ce qu’il contient. Sans vérifier par vous-même, peu importe que vous
parliez beaucoup de votre esprit et de vos émotions, vous ne comprendrez jamais que votre
émotion de base est l’égocentrisme et que c’est ce qui fait que vous ne pouvez trouver de
repos. »
Devenir son propre thérapeute de Lama Thoubtèn Yeshe (p. 9)
Dans le premier chapitre, j’ai parfois parlé de ‘l’esprit’, et parfois « des esprits » au pluriel. Possédonsnous plus d’un esprit ? Oui et non. Nous avons un esprit, mais au sein de notre esprit, il peut y avoir de
nombreux autres « esprits ». Par exemple, nous pouvons nous sentir jaloux alors que nous sommes
également en train de regarder la télévision. Ces deux sont des aspects de notre esprit qui peuvent
opérer au même moment. La fonction principale de la psychologie bouddhique est d’identifier ces
esprits et de les classifier, de sorte de pouvoir les traiter de manière efficace.
La division principale parmi ces différents esprits est celle existant entre l’esprit principal et les facteurs
mentaux. L’esprit principal, En tibétain, est simplement appelé sèm (citta en Sanskrit), alors que les
facteurs mentaux sont sèm lè djoungwè tcheu (caittasikadharma en Sanskrit). Traditionnellement,
l’esprit principal peut être divisé en six types et les facteurs mentaux en cinquante et un. Quelle
différence existe-t-il entre ces deux différents types d’esprit. Selon la psychologie bouddhique tibétaine,
l’esprit principal (ou primaire) est comme une sorte de toile et les facteurs mentaux sont les couleurs
posées sur cette toile.
Dans Mind and its functions, Guéshé Rabten, qui utilise le synonyme « esprit primaire » pour ce que
j’appelle esprit principal, dit :
« Tout d’abord, nous devrions comprendre que l’esprit primaire et les facteurs mentaux qui
l’accompagnent, opèrent en conjonction les uns avec les autres. »
Cela veut dire que sans les facteurs mentaux, l’esprit principal (ou primaire) ne peut fonctionner.
L’exemple classique est celui du roi et de ses ministres. Le roi (l’esprit principal), est simplement là,
alors que les ministres (les facteurs mentaux) font le travail. Guéshé Rabten emploie un autre exemple :
« L’esprit primaire est comme la main et les facteurs mentaux comme les doigts, la paume,
etc. »
Employer le terme ‘principal’ ou ‘primaire’ indique qu’il doit également y avoir quelque chose de
secondaire. N’est-ce pas ? Lorsque nous parlons d’école primaire, cela implique qu’il y a aussi une
école secondaire. Ici, le terme suggère le fait que les facteurs mentaux sont secondaires à l’esprit
principal ou primaire ou qu’ils en dérivent. Faites attention à ce point. Ils sont, en fait, des aspects de
l’esprit, mais en aucun cas ne lui sont accessoires. Ils sont des fonctions qui conditionnent l’état de
clarté et de conscience fondamentales de ‘l’esprit’.
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Si nous pensons à l’esprit principal en tant qu’écran de cinéma ou en tant que toile de fond, et aux
facteurs mentaux comme ce qui va sur cette base, nous pouvons alors voir que l’esprit principal n’est ni
positif, ni négatif. Cependant, la couleur donnée à l’esprit principal par les facteurs mentaux est ce qui
détermine si notre ‘esprit’ dans son ensemble est positif ou négatif. L’esprit principal est ce à quoi il est
fait référence lorsque nous disons que l’esprit a la nature de simple luminosité. Enlevez les facteurs
mentaux de l’esprit principal et il devient « incolore ».
1- L’esprit principal
« Un esprit primaire est défini comme étant une cognition primaire qui s’établit au moyen de son
appréhension de la présence fondamentale de l’objet. La fonction de l’esprit primaire n’est pas
d’être spécifiquement concernée par un des aspects du champ objectal. Il s’agit plutôt d’une
simple conscience des données qui lui sont présentées. »
Mind and its functions de Guéshé Rabten
Alison, la directrice du centre de Jamyang, entre. Je sais immédiatement que c’est elle. Le fait de la
reconnaître est une fonction de l’esprit et il s’agit, par conséquent, d’un facteur mental. L’esprit principal
est plus élémentaire que cela. Il n’est que la simple conscience qu’un possible objet de connaissance –
une simple entité – se trouve là. Il n’y a rien de plus que cette simple conscience : pas d’étiquette, pas
de discrimination, pas d’émotion. Ici, lorsqu’il est dit que « la fonction de l’esprit principal n’est pas d’être
spécifiquement concernée par un des aspects du champ objectal, » cela signifie que nous ne sommes
concernés par aucune des nombreuses autres choses qui se produisent habituellement lors du
processus de reconnaissance – l’accent, l’intérêt, l’attitude, les sentiments que créent cette conscience,
l’étiquette « bonne » ou « mauvaise », les mémoires passées, les projections futures. L’esprit principal
lui-même ne donne pas d’étiquette ni ne sème la pagaille ; il est simplement conscient de la simple
entité.
Mais c’est rarement aussi simple que cela. Selon le bouddhisme, il y a toujours de nombreux autres
processus qui se produisent au même moment. Ce sont les facteurs mentaux qui font donc tout le reste.
Peut-être que « élémentaire » serait un meilleur qualificatif pour cet esprit, car il n’est pas ‘primaire’
avec des facteurs mentaux qui lui seraient secondaires ou dérivés, ni ‘principal’ avec des facteurs
mentaux qui seraient accessoires. ‘Elémentaire’ suggère quelque chose qui n’est pas sophistiqué ou
pas complexe. L’esprit principal, pourtant, n’est pas une ‘base’ en tant que telle, ce pour quoi ce terme
pose également problème.
2- Les cinq similitudes entre l’esprit principal et les facteurs mentaux
« Ce sont les facteurs mentaux qui sont individuellement responsables de la sélection et du
développement de l’esprit principal. L’esprit principal opère toujours en conjonction avec un
certain nombre de facteurs mentaux. Un objet n’est jamais connu par un esprit principal dépourvu
de tout facteur mental ou par un facteur mental qui n’accompagnerait pas l’esprit principal. »
Pour le dire plus simplement, les facteurs mentaux accomplissent les différentes fonctions de l’esprit.
Comme il est dit dans la citation de Guéshé Rabten, de la même manière que le reste de la main sert
de base pour les doigts, les facteurs mentaux sont les doigts individuels de la main de l’esprit principal.
La fonction de l’esprit principal (ou primaire) est simplement d’être là, comme base pour les actions des
facteurs mentaux et, de la même façon que les doigts ne peuvent fonctionner en étant séparés de la
main, les facteurs mentaux ne peuvent fonctionner indépendamment de l’esprit principal. L’esprit
principal doit toujours être présent en tant que base pour toutes les activités mentales que nous avons.
N’ayez pas l’impression que l’esprit principal et les facteurs mentaux, bien que connectés les uns aux
autres, sont des entités complètement différentes. Lati Rimpoché, dans Connaître l’esprit (p. 62),
montre qu’ils sont une même entité en donnant la liste de leurs cinq similitudes.
13
abcde-
base similaire
durée similaire
aspect similaire
référent similaire
substance similaire
a- base similaire
L’esprit principal et les facteurs mentaux qui lui sont associés sont produits en dépendance de la même
base. C’est, par exemple, pour ce qui concerne ma conscience visuelle, le fait que tous deux sont
produits en dépendance de l’objet qui perçoit, la base – c’est-à-dire l’organe visuel lui-même. (l’organe
visuel, dans le bouddhisme, n’étant pas le globe oculaire, mais une forme subtile).
b- durée similaire
L’esprit principal et les facteurs mentaux qui l’accompagnent apparaissent, demeurent et cessent
simultanément. De la même manière que les Deux Vérités sont une même entité mais des isolés
différents, parce qu’elles apparaissent, demeurent et cessent ensemble.
c- aspect similaire
Ils sont générés sous le même aspect. Si la conscience visuelle est générée sous l’aspect du bleu, les
facteurs mentaux sont aussi générés sous l’aspect du bleu.
d- référent similaire
Ils observent le même objet. Cela signifie que l’esprit principal et les facteurs mentaux observent le
même objet. Ce n’est pas comme si l’esprit principal observait une chose, les facteurs mentaux en
observaient une autre.
e- substance similaire
L’esprit principal et ses facteurs mentaux associés sont une même entité substantielle. Les mêmes
choses qui produisent la conscience primaire visuelle produisent également les facteurs mentaux omniprésents qui lui sont associés.
3- Les six esprits principaux
Le bouddhisme tibétain adore les listes. L’étude de l’esprit principal et des facteurs mentaux peut
sembler comme étant faite de listes et de listes, aussi, je vous en prie, restez patients. Si vous pouvez
commencer à avoir le sentiment de quelle façon l’esprit peut être morcelé en différents types et donc,
commencez à être capable de différencier ces esprits quand ils apparaissent dans votre vie
quotidienne, c’est vraiment très, très utile.
La première liste est assez simple. Selon la plupart des écoles bouddhiques tibétaines, il existe six
esprits principaux possibles, correspondant à chacune des consciences sensorielles, plus la conscience
mentale.
Dans Mind and its functions (p.102), Guéshé Rabten dit :
« Il existe deux types d’esprits primaires : les esprits primaires sensoriels et les esprits
primaires mentaux… Les esprits primaires sensoriels sont exclusivement des perceptions,
alors que les esprits primaires mentaux peuvent être aussi bien conceptuels que perceptifs. »
Donc, les six esprits principaux sont :
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a- esprit principal visuel (œil)
b- esprit principal auditif (oreille)
perceptif
c- esprit principal olfactif (nez)
Esprits principaux sensoriels
d- esprit principal gustatif (langue)
e- esprit principal tactile (corps)
f 1- esprit principal mental perceptif
conceptuel
f 2- esprit principal mental conceptuel
Esprit principal mental
Pour chacun de nos organes sensoriels existe un esprit principal correspondant. Le sixième esprit
principal est celui du mental qui peut être un esprit soit perceptif, soit conceptuel. Nous définissons un
esprit perceptif comme quelque chose qui est direct et n’a pas d’intermédiaire – il n’y a rien qui se
trouve entre l’esprit et l’objet – et un esprit conceptuel est quelque chose d’indirect et qui utilise un
intermédiaire – quelque chose (une image mentale) se trouve entre l’objet et l’esprit.
Quant aux cinq consciences sensorielles, l’esprit principal est toujours une perception directe. L’esprit
principal de la conscience visuelle perçoit son objet purement et simplement ; il n’a pas la capacité de
conceptualiser à son propos.
Cela a-t-il un sens pour vous ? Lorsque nous voyons quelque chose, la conscience visuelle l’enregistre.
C’est direct, sans aucun concept. Il en va de même pour les quatre autres esprits principaux sensoriels.
La conscience visuelle voit simplement les couleurs et les formes sans donner d’étiquette, à la suite de
quoi l’esprit principal conceptuel dit : « bleu », « rond », « joli », etc. C’est la façon dont cela fonctionne
en général, les consciences sensorielles percevant directement l’objet et la conscience mentale
concevant quelque chose – étiquetant et conceptualisant à son propos.
La conscience mentale, cependant, peut également être un esprit de perception directe. Elle a la
capacité de percevoir mentalement un objet directement, mais à quelle fréquence la conscience
mentale directe opère-t-elle vraiment dans nos vies quotidiennes ? Très peu. En effet, nos consciences
sensorielles, telles que la conscience visuelle, sont des perceptions directes – cela ne représente
aucune difficulté – mais en ce qui concerne les personnes telles que vous et moi, je puis dire que toutes
nos consciences mentales ne sont que conceptuelles. Il existe toujours quelque type de généralité
impliquée avec la conscience mentale.
Cela n’est pas pour dire que tous les esprits principaux sensoriels sont corrects alors que les toutes
consciences mentales sont erronées d’une certaine façon. Tous les six esprits principaux peuvent être
des esprits principaux valides ou des esprits principaux erronés. L’œil affecté de jaunisse qui voit tout
jaune est un esprit principal erroné, alors que les concepts mentaux peuvent être valides, même si ce
ne sont pas des perceptions directes.
4- Deux esprits principaux ne peuvent opérer au même moment
Il est possible d’avoir de nombreux facteurs mentaux opérant simultanément mais, bien qu’il existe plus
d’une sorte d’esprit principal, il n’est pas possible que deux d’entre eux opèrent simultanément.
Selon l’Abhidharmakosha, à un moment donné, au sein de notre continuum mental, il y aurait quelque
part entre cinq et trente-deux facteurs mentaux – le nombre varie – mais il est largement reconnu que
des six esprits principaux, seulement un (auquel s’associent des facteurs mentaux) peut opérer à un
moment donné. L’esprit principal de l’œil et l’esprit principal de l’oreille ne peuvent opérer
simultanément ; il en va de même pour l’esprit principal de l’oreille et l’esprit principal mental.
Cela signifie qu’alors qu’un esprit principal est concentré sur un objet, un autre esprit principal ne peut
être également concentré. Pour cet autre esprit principal, l’objet apparaît mais n’est cependant pas
établi, comme quand vous êtes tellement absorbés par la lecture d’un livre que vous ne remarquez pas
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du tout la circulation qu’il y a dehors. Mais cela nous semble pourtant ne pas se passer ainsi. Nous
avons le sentiment que nous pouvons facilement regarder la télévision et l’écouter tout en même temps.
Il nous semble qu’il y a deux esprits principaux qui opèrent simultanément. Ce qui se produit, en fait, est
que l’esprit passe de l’esprit principal de l’œil à l’esprit principal de l’oreille, et inversement, si
rapidement que nous sommes dans l’illusion que les deux opèrent ensemble.
5- Bodhicitta est un esprit principal
Des deux « ailes de l’oiseau » qui nous élèvent jusqu’à l’Eveil (la sagesse et bodhicitta), la sagesse est
celle qui comprend la vacuité d’existence inhérente. Il s’agit d’un esprit qui réalise la nature véritable de
la réalité. Cela n’est guère lié à l’aspect émotionnel de notre vie.
Bodhicitta, d’un autre côté, a beaucoup à voir avec nos émotions. Nous ressentons de la compassion
pour les autres. Cet esprit compatissant très solide ne se trouve pas présent au tout début, il est coupé
des choses dont nous faisons l’expérience ; il se construit doucement, constitué de différents facteurs
mentaux.
Si cela est vrai en ce qui concerne la compassion, alors c’est également vrai pour l’esprit véritable de
bodhicitta. Bodhicitta est un esprit principal, non un facteur mental, mais pour que cet esprit principal
puisse apparaître, il dépend du développement de facteurs mentaux positifs. Pour qu’il y ait bodhicitta,
la grande compassion est développée en nous en travaillant avec différents facteurs mentaux. De là
vient une bodhicitta authentique.
Par exemple, l’aspiration à l’atteinte de l’Eveil complet pour le bien de tous les êtres – ce facteur mental,
ce désir– doit se trouver présent. A présent, notre esprit principal lui-même ne possède pas cette
qualité, mais lorsque les facteurs mentaux œuvrent ensemble dans ce sens, notre esprit principal en
vient à prendre cette forme.
Que bodhicitta soit ou non un esprit principal constitue un sujet de discussion majeur entre les érudits
tibétains et même indiens. La raison pour laquelle bodhicitta est un esprit principal est que c’est le
résultat, le point culminant de deux types différents d’aspiration (ou de compréhension). Le premier est
la compréhension du fait que tous les êtres vivants ont besoin d’atteindre l’Eveil complet et que pour les
y aider, la meilleure chose que nous puissions faire est d’atteindre nous-mêmes l’Eveil. Le second est la
compréhension de notre propre situation et le souhait de nous en libérer.
Il est très intéressant de constater que le fait de n’avoir qu’une seule aspiration n’est pas bodhicitta.
Vouloir se libérer des deux obscurcissements n’est pas bodhicitta, et souhaiter devenir éveillé pour le
bienfait de tous les êtres vivants n’est pas bodhicitta non plus. Bodhicitta consiste en ces deux
aspirations conjointes. Or, seul l’esprit principal peut parvenir à cela. Deux facteurs mentaux provenant
de deux causes substantielles différentes ne peuvent se produire ensemble mais le résultat de ces deux
aspirations séparées constitue cet esprit principal unique qu’est bodhicitta.
Donc, dans un certain sens, une bodhicitta authentique doit avoir deux aspects différents. Un aspect
consiste à voir ce dont les êtres vivants ont besoin pour être libérés du samsara, et à cette fin, se
déterminer à atteindre l’Eveil. L’autre aspect est de voir ce que le pratiquant peut faire pour lui ou ellemême et se résoudre ainsi à éliminer tous les obscurcissements. Nous analyserons ce second point
très important lors du prochain module.
Ce dont nous avons besoin d’être sûr ici, est de bien comprendre la différence entre un esprit principal
et un facteur mental, de sorte que lorsque nous parlerons des moyens pour atteindre bodhicitta, lors du
module suivant, il n’y aura aucune confusion.
6- Définition des facteurs mentaux
Le terme tibétain pour ‘facteur mental’ est sèm-lè djung-wè tcheu qui signifie ‘qui vient de l’esprit’ (en
Sanskrit on dit caittasikadharma). C’est à relier à la définition psychologique occidentale, où Jung
emploie le terme ‘produit dans l’esprit’. Nous pouvons utiliser la métaphore citée plus haut, qui dit que
l’esprit principal est l’écran de cinéma blanc et lumineux et les facteurs mentaux les images qui sont
‘produites’ sur cet écran.
16
Cela revient à dire plus ou moins la même chose que la définition :
« Un facteur mental est défini comme une cognition qui appréhende une qualité spécifique de
l’objet et qui a une influence sur l’état d’esprit primaire, colorant son caractère et activant son
potentiel à se manifester par une activité externe. »
La métaphore du roi et de ses ministres est également employée. L’esprit principal est très passif,
comme un roi ou une reine calme et aimable, mais il a un grand nombre de ministres, dont certains sont
très actifs, d’autres non ; certains sont très bons, d’autres sont plus méchants. Même si le roi ou la reine
n’est pas impliqué(e), les sujets le (la) verront autrement, coloré(e) par les activités des différents
ministres. Lorsque nous sommes en colère ou heureux, nous avons le sentiment que c’est notre esprit
tout entier qui est en colère ou heureux. Alors qu’en fait, nous faisons l’erreur de prendre l’influence de
ce facteur mental particulier pour l’esprit tout entier. Il est très important de savoir cela quand nous
commençons à essayer de travailler sur nos émotions.
L’esprit principal semblable à un roi est l’exemple que mon professeur employait habituellement et que
j’affectionne beaucoup. Je me souviens clairement de lui m’en parlant. J’étais un adolescent de quinze
ans mais depuis, cet exemple m’est resté. Il m’a montré que bien que (comme le roi) l’esprit principal
dirige, ce sont les facteurs mentaux (les ministres) qui sont les plus puissants à influencer notre vie
quotidienne.
Généralement parlant, il existe un nombre incalculable de facteurs mentaux, chacun ayant une fonction
spécifique pour traiter une qualité particulière de l’objet. Cependant, le Lo-rig en énumère cinquante et
un, qui sont répartis en six groupes, de façon à présenter clairement ceux qui sont les plus importants.
En les examinant de cette manière, on peut vraiment commencer à voir comment chacun opère dans
notre vie. Les six groupes sont les suivants :
1- omniprésents (5)
2- déterminant l’objet (5)
3- vertueux (11)
4- perturbations racines (6)
5- perturbations secondaires (20)
6- changeants (4)
(Les nombres font référence au nombre traditionnel de facteurs mentaux à l’intérieur de chaque
division.) Le nom décrit la fonction de chaque facteur mental. Donc ‘omniprésent’ nous dit que ces
facteurs mentaux doivent toujours se trouver présents ; ‘perturbations racines’ sont ces facteurs
mentaux qui sont la cause racine de tous nos problèmes ; ‘changeants’ sont ceux qui peuvent être
positifs ou négatifs en dépendance du contexte, etc.
7- L’ordre selon lequel les facteurs mentaux apparaissent
Avant que nous n’examinions les facteurs mentaux eux-mêmes, je mentionnerai brièvement l’ordre
selon lequel ils apparaissent dans notre esprit.
Imaginez qu’un voleur veuille dérober un objet à son voisin. Il y a quatre étapes dans le vol :
abcd-
L’image mentale
la reconnaissance
le désir
l’accomplissement
a- L’image mentale
Tout d’abord, le voleur doit avoir une sorte d’image mentale où l’objet apparaît à l’esprit. Ici, nous ne
parlons pas du désir de voler l’objet, mais seulement d’une image mentale de l’objet lui-même.
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b- La reconnaissance
Ensuite, le voleur doit savoir que l’objet se trouve dans la maison de son voisin, qu’il vaut la peine d’être
volé et qu’il a un moyen de le faire. Il y a une reconnaissance de l’objet et du fait qu’il se trouve là. A ce
stade, les facteurs mentaux commencent vraiment à se mettre en action.
c- Le désir
Après la reconnaissance de l’objet, l’étape suivante est le désir. Non seulement l’objet est là, mais il le
veut. La saisie est présente maintenant, et avec cela de nombreux autres facteurs mentaux. Un certain
sentiment de peur peut être là car le voleur a besoin de voler l’objet et c’est risqué, ou peut-être qu’il
éprouve un sentiment de plaisir alors qu’il anticipe le fait de posséder bientôt l’objet. De très nombreux
facteurs mentaux peuvent apparaître à partir de cette saisie initiale. Cela peut se produire en cinq
minutes, en une heure ou cela peut même prendre une semaine ou plus ; il y a un ordre d’apparition,
mais l’échelle de temps peut varier considérablement.
d- L’accomplissement
Ensuite, depuis le vouloir et les autres sentiments – peur, nervosité, plaisir, etc. – le voleur dérobe
finalement l’objet et il y a un sentiment d’accomplissement.
Peu importe ce qui se passe, et combien de temps (plus ou moins long) il faut pour que cela se
produise, cet ordre d’apparition est invariable. Tout peut se passer en quelques secondes, ce qui
n’empêche pas que, selon le bouddhisme, ces différents facteurs mentaux sont toujours impliqués. Il est
facile de constater cet ordre séquentiel en action à travers des exemples grossiers de saisie et
d’aversion, mais cela ne concerne pas seulement l’anatomie du désir grossier : cela se produit même
pour les formes très subtiles à chaque fois que l’esprit s’engage dans un objet.
Les facteurs mentaux omniprésents
Esprit principal
Les cinq facteurs mentaux qui doivent être présents avec chaque esprit principal sont :
1- la sensation
2- le discernement
3- l’intention
4- le contact
5- l’attention
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(Lati Rinpoché place l’attention avant le contact.) En tibétain, ce groupe est appelé kun-dro, ce qui est
généralement traduit par ‘toujours présents’ ou ‘omniprésents’ – kun signifie ‘tout’ et dro signifie ‘suivre’
ou ‘aller’. Littéralement, cela signifie que ces cinq facteurs mentaux vont ou accompagnent toutes les
consciences (esprits). Que l’esprit dure un long moment ou une seconde seulement, ces cinq facteurs
mentaux sont, cependant, impliqués. Certains érudits emploient le terme ‘d’unités’. L’esprit principal
plus ces cinq facteurs mentaux omniprésents forment ensemble une ‘unité d’esprit’. S’il manquait l’un
de ces cinq facteurs mentaux, une unité d’esprit ne serait pas fonctionnelle. L’esprit principal ne peut
opérer par lui-même.
Si notre esprit est comparé à une peinture à l’huile, l’esprit principal représente la toile blanche et les
facteurs mentaux sont les couleurs et les formes peintes sur cette toile et qui forment la scène.
Je me suis récemment rendu à la galerie d’art moderne Tate à Londres. Le bâtiment lui-même est
étonnant, mais certaines choses qui se trouvent à l’intérieur ne le sont pas moins. Je suis quelqu’un
plutôt hermétique à ces choses et n’ai pas l’esprit tourné vers l’art. Une des choses que j’ai vues est un
énorme tas de déchets – des chaussures, des boîtes de coca, des bouteilles de détergeant, des
couvercles rouillés, etc. – tout cela assemblé en un cube parfait de ma hauteur, placé au milieu de la
pièce. Vous pourriez dire que ces différents détritus sont les facteurs mentaux.
Les cinq consciences sensorielles sont toujours des perceptions, parce que leur fonction est
exactement comparable à celle d’un miroir. Lorsqu’elles entrent en contact avec un objet, elles ne font
que le réfléchir. Elles n’interprètent pas. L’esprit principal mental, d’autre part, possède le potentiel de
donner certaines interprétations, de formuler quelque jugement tel que ‘juste’ ou ‘faux’, etc.
La sensation, le discernement, l’intention, le contact et l’attention sont appelés les facteurs mentaux
omniprésents parce qu’on les trouve accompagnant chaque esprit primaire, aussi bref ou subtil qu’il
soit.
Dans Esprit-science, Sa Sainteté le Dalaï Lama dit :
« Il est donc important de comprendre que, lorsque nous parlons de l’esprit, nous parlons d’un
réseau extrêmement enchevêtré de phénomènes et d’états mentaux divers. Grâce aux
possibilités d’introspection des qualités de l’esprit nous pouvons, par exemple, observer les
pensées précises qui l’habitent à un moment donné, les choses auxquelles il est attaché, les
intentions que nous avons, etc. Quand, par exemple, dans un état méditatif, vous êtes en train
de méditer et de vous exercer à la concentration, vous appliquez constamment cette faculté
d’introspection pour analyser si votre attention est concentrée sur l’objet de méditation, si un
relâchement est survenu, si vous êtes distrait, etc. Dans une telle situation, vous utilisez
différents types de facteurs mentaux ; ce n’est pas comme si un seul esprit était en train de
s’observer lui-même. Vous utilisez plutôt différents types de facteurs mentaux pour observer
l’esprit. »
Ce que dit Sa Sainteté est que lorsque nous observons notre esprit, nous employons en fait de
nombreux facteurs mentaux différents. Il dit très clairement que de nombreux événements mentaux se
produisent lors d’une action ou d’un événement même simple en apparence.
1- Le contact
Chaque facteur mental omniprésent possède ses propres traits distinctifs Le premier est le contact, dont
la fonction consiste seulement à rencontrer l’objet, à entrer en contact avec lui. Il doit y avoir contact,
sans quoi l’esprit ne peut se connecter avec l’objet.
C’est ce que fait le contact. Lorsque vous y penser, c’est logique. Comment un esprit peut-il connaître
un objet sans entrer en contact avec ? Pour téléphoner à un ami, vous devez prendre le téléphone et
faire le numéro. Cet élément est similaire au téléphone – il n’a pas d’autre fonction que celle de
contacter l’objet. Une fois le contact établi, l’élément suivant peut noter les caractéristiques de cet objet.
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2- Le discernement
L’esprit a pris contact avec l’objet, mais ne s’est pas encore fait une idée de ce que c’est. Pour cela, le
discernement est nécessaire. La fonction du discernement est de prendre note des caractéristiques de
l’objet. Il identifie l’objet et ainsi, constitue la base pour la mémoire. Si nous n’avions aucun
discernement, il ne serait pas possible de distinguer un objet d’un autre, ni de le reconnaître d’une fois à
l’autre.
Posséder un bon discernement aide à améliorer notre mémoire et à renforcer notre vigilance. Assez
souvent, notre esprit s’engage dans un objet grâce à l’élément du contact, mais à cause de la faiblesse
du discernement, il éprouve des difficultés à l’identifier, ou si nous l’identifions, nous ne pouvons nous le
rappeler plus tard. Le discernement est toujours là, mais il est parfois très faible.
3- La sensation
Après que l’esprit soit entré en relation avec l’objet et l’ait identifié, l’élément suivant apparaît. La
sensation est très importante et doit accompagner n’importe quel esprit. Il s’agit de l’un des aspects les
plus forts de tout esprit. Lorsque nous avons discerné un objet, l’esprit est attiré vers lui, depuis
l’attraction la plus modérée à la soif la plus intense, ou il ressent de la répulsion à un degré plus ou
moins grand. Même une sensation neutre est une sensation.
La sensation est un facteur mental omniprésent qui goûte la saveur de l’objet. Sans la sensation, c’est
comme manger une nourriture sans en avoir le goût.
Guéshé Rabten définit la sensation comme suit :
« Une cognition distincte qui est une expérience soit de plaisir, soit de douleur, soit
d’indifférence (c’est-à-dire un état qui n’est ni agréable ni douloureux). »
Pensez-vous que dès lors que nous sommes conscient, nous avons toujours des sensations ? Je le
pense en effet. Bien que la sensation soit un événement mental, elle est associée de façon très étroite
aux esprits principaux sensoriels. L’esprit principal visuel peut seulement voir un coucher de soleil mais
c’est la sensation qui en ressent la saveur. Nous vivons dans le royaume du désir et sommes
continuellement submergés par des objets sensoriels, c’est pourquoi il est tout naturel que la sensation
soit dirigée vers ces objets sensoriels.
Des trois royaumes – du désir, de la forme et du sans forme – le type de sensations que nous avons n’a
rien à voir avec celles associées au royaume de la forme, dans la mesure où notre esprit est trop
grossier. Il n’y a pas de place pour l’émergence d’esprits plus subtils. Imaginez que nous n’ayons pas
les cinq consciences sensorielles. Eprouverions-nous des sensations ? De notre point de vue, il semble
que presque toutes les sensations n’auraient plus lieu.
a- Comment la sensation conditionne et comment elle est conditionnée
Nous connaissons tous la sensation à un certain niveau – « Je me sens heureux », « Mes sentiments
ont été blessés », etc. – mais à un autre niveau, très peu d’entre nous reconnaissent comment notre vie
est réglée par l’élément sensation de notre esprit. Il est important de savoir dès le début que la
sensation peut être conditionnée par d’autres facteurs, et que la sensation elle-même conditionne, elle
peut conditionner d’autres choses. En d’autres termes, la sensation peut affecter non seulement nos
autres attitudes mentales mais également nos activités mentales, verbales et physiques. Donc, la
sensation conditionne d’autres choses et elle est également conditionnée.
Le bouddhisme dit que la sensation – plaisante, déplaisante et neutre – peut aussi bien être associée à
nos consciences sensorielles qu’à notre conscience mentale. Cependant, en général, pour les gens
ordinaires tels que nous, la sensation associée à notre conscience mentale n’est pas très active. Pour
nous, notre sensation est beaucoup plus associée à nos consciences sensorielles. Même quand nous
avons un sentiment de joie au souvenir d’un événement passé, bien que ce soit une mémoire et dès
lors une conscience mentale, cet état mental, pourtant, est apparu à cause de son association avec des
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consciences sensorielles. Nous nous souvenons d’un magnifique coucher de soleil ou d’une parole de
colère, d’un parfum agréable ou de la morsure désagréable d’un insecte – qui sont toutes des
consciences sensorielles.
Si la sensation est conditionnée, qu’est-ce qui la fait se produire ? Voici, une nouvelle fois, une autre
liste. Il est dit que quatre conditions sont la cause de la production de la sensation. Ce sont :
- la condition naturelle
- l’entraînement
- la disposition mentale
- la personnalité
La condition naturelle
La première est très simple. Dès lors que l’esprit rencontre un objet, il y a ce potentiel naturel d’aller à
sa rencontre ou de s’en éloigner. Même à un niveau vraiment très subtil, il y aura naturellement un
certain degré d’attraction ou de répulsion.
L’entraînement
La condition suivante est l’entraînement. Nous sommes influencés par ce que nous apprenons, c’est
pourquoi notre entraînement modifiera nos sensations. Cela peut être négatif – à l’armée on vous
entraîne à être agressif – mais lorsque le terme « entraînement » est employé au sens habituel
bouddhique, il me semble qu’il revêt un aspect plus positif. Si nous pouvons atténuer notre ignorance
grâce à l’entraînement, à travers l’étude, il devient évident que l’entraînement sera bénéfique.
La disposition mentale
Ensuite vient la disposition mentale. Cette condition se réfère au fait que nous sommes nés dans ce
royaume spécifique à cause de nos karmas passés et, par conséquent, nous avons le potentiel de
ressentir les objets sensoriels. C’est parfois appelé ‘la nature de la renaissance’ car l’endroit où nous
sommes nés affecte le type de sensations que nous avons. Par exemple, si nous prenons naissance
dans le royaume du sans forme, les sensations sensorielles en sont naturellement absentes, du fait qu’il
n’existe pas d’objets sensoriels en ce lieu.
La personnalité
La dernière, la personnalité, fait une énorme différence. Si une personne est très bonne et très
attentionnée, il est évident qu’elle aura des sensations différentes de quelqu’un de très peu réceptif et
manquant d’égards vis à vis des autres. De cette manière, notre personnalité conditionne nos
sensations.
Ce sont les quatre choses qui conditionnent la sensation mais, d’autre part, les sensations
conditionnent tout ce que nous faisons. Par exemple, avec la disposition mentale (ou nature de la
renaissance), si un être naît dans une situation vraiment infortunée, telle que celle de naître en tant
qu’animal, où il existe une grande souffrance mais aucune capacité mentale pour la comprendre, alors il
lui est impossible de développer le sentiment de compassion. De même, si la personnalité d’une
personne est très agressive, agitée et manquant de considération, même si elle souhaite méditer, ce
sera impossible, parce qu’elle n’aura pas une personnalité propice à la méditation. A l’inverse, si nous
essayons de méditer pour développer la compassion et que ce sentiment apparaisse avec une grande
force, cela aura, bien entendu, une influence sur ce que nous faisons.
A un niveau plus subtil, la manière dont nous nous sentons vis à vis d’un objet est conditionnée par
chacun de ces quatre facteurs. Disons que je place un gâteau à la banane devant un groupe d’amis. Il
est probable que la plupart d’entre nous pensera simplement qu’il s’agit d’un délicieux gâteau et qu’il en
voudrait bien une part. Mais dans ce groupe, il peut cependant y avoir des sensations variables.
Quelqu’un ne souhaitera peut-être pas en prendre de crainte de grossir. Quelqu’un d’autre est peut-être
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allergique à la farine et se sent triste parce qu’il ne peut manger de gâteau aux bananes que pourtant il
adore. Ou, peut-être, en raison des produits utilisés ou des campagnes menées contre les dangers de
la suralimentation, quelqu’un pourra encore refuser de prendre du gâteau. Il s’agit de la sensation
conditionnée par l’entraînement. Quant à moi, j’aime les gâteaux, mais pas trop ceux qui sont très
sucrés comme celui là, car je n’ai pas été élevé dans ce type de culture. Cela peut donc être dû à mes
dispositions mentales ou à un entraînement – depuis l’enfance, il n’est pas dans mes habitudes de
manger des tas de sucreries - aussi le sentiment que j’éprouve à l’égard de ce gâteau peut ne pas être
aussi fort que celui des autres personnes.
La sensation est en nous à tous moments ; elle nous influence, nous dirige et est dirigée par les
conditions. Il est très important d’observer la sensation.
4- L’intention
L’intention, le facteur mental omniprésent suivant, est également appelé ‘volition’. C’est l’élément qui
coordonne et dirige l’activité de chacun des autres éléments au sein d’un esprit principal relatif à un
objet spécifique. Cela signifie qu’une fois que la sensation est là, l’intention coordonne cette sensation
afin de diriger notre esprit dans une certaine direction.
Ainsi que Guéshé Rabten le dit :
« L’intention est le véritable principe de l’activité. C’est le karma lui-même. Qu’une action
soit mentale, verbale ou physique, l’élément formateur qui en est initialement responsable et
qui accumule des tendances et des empreintes sur l’esprit est l’intention. »
L’intention est l’élément déclencheur initial des actions du corps, de la parole et de l’esprit qui amène
les résultats à se produire dans le futur, comme le fait de planter une toute petite graine donnera, avec
le temps et sous certaines conditions, une plante.
L’intention a un peu de la saveur de la motivation, mais soyez prudent. Nous utilisons un terme différent
En tibétain pour dire motivation et ce terme semble, à mes yeux, plus grossier. L’intention fonctionne à
un niveau plus profond. Quel que soit l’objet, si mon esprit n’en a pas l’intention, il ne peut se diriger
vers un l’objet.
C’est donc quelque chose de vraiment énorme ; Il s’agit de la cause de tous nos plaisirs et peines à
venir. C’est ce qui plante la graine qui va mûrir en tant que nos joies et malheurs futurs.
Lorsque notre esprit se focalise sur une certaine chose, il a besoin d’une certaine direction dans
laquelle aller ; il a besoin de quelque chose à poursuivre. C’est comme à un rond point : il y a de
nombreuses directions que l’on peut prendre. Pour prendre la décision de la direction à suivre, il y a la
volition ou l’intention. Mais, encore une fois, il ne s’agit pas d’une décision hasardeuse, il existe des
raisons pour lesquelles nous choisissons une chose plutôt qu’une autre. Ici, nous sommes
principalement en train de parler du karma.
D’où provient cette intention ? Pourquoi empruntons-nous un chemin plutôt qu’un autre ? Depuis des
temps sans commencement, nous avons amassé des empreintes karmiques sur notre courant de
conscience et ce sont elles qui dictent nos intentions. En tibétain, le terme est pak-tchak. Il existe de
nombreuses traductions : latences, tendances, empreintes karmiques, propensions, dispositions.
Il est très important de comprendre comment, du fait de pak-tchak, les empreintes karmiques, l’intention
agit pour nous guider dans une direction particulière. C’est parce que nous avons ces empreintes
karmiques spécifiques sur notre courant de conscience qu’une intention particulière (ou volition) est
créée.
Prenez un exemple très simple. Du fait que nous sommes nés dans ce royaume, pourvus de ces
consciences sensorielles, c’est la tendance naturelle de la conscience visuelle que de regarder les
formes. S’il n’y avait aucune tendance karmique, cela ne se produirait pas. C’est un processus naturel.
La conscience visuelle regarde les formes ; la conscience auditive écoute le son. Selon le bouddhisme,
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ce n’est pas seulement parce que l’œil a le pouvoir de voir – sa fonction biologique – il existe également
une tendance karmique qui est la cause pour que l’œil voit les formes.
A nouveau, avec pak-tchak (les empreintes karmiques) on distingue quatre types différents :
a- la tendance de la vue du soi
b- la tendance de par l’accoutumance
c- la tendance à saisir l’existence
d- la tendance de la répétition
a- La tendance de la vue du soi
Le premier est appelé dak-tè pak-tchak En tibétain. Dak signifie ‘soi’, tè signifie ‘vue’. C’est donc la
tendance de la vue du soi. Durant cette vie, mais également depuis des vies passées incalculables,
nous nous sommes considérés d’une certaine façon. La tendance de la vue du soi nous amène à faire
une distinction très nette entre nous-mêmes et les autres et, de ce fait, à avoir une saisie du soi très
forte, non seulement dans cette vie mais cela, vie après vie.
Tout au long de nos différentes existences, il y a eu ce sentiment de ce qu’est le soi – sentiment plus
inné qu’intellectuel. Dès lors que l’on rencontre quelqu’un, il y a cette séparation innée : moi et lui. C’est
tellement naturel, tellement instinctif. Cette vue du soi déteint sur tout ce que nous faisons, cela donne
de la force à notre intention.
A cause des empreintes karmiques, notre volition ou intention va sans équivoque dans une certaine
direction. Imaginez qu’à un rond-point vous puissiez prendre deux routes : l’une est visiblement
dangereuse et l’autre est sûre. Il est certain que vous choisirez celle qui est sûre. Nous prenons une
telle décision parce que la vue du soi est très puissante ; nous voulons tout naturellement nous
préserver. Cette vue du soi, dak-tè pak-tchak, nous fait prendre la décision.
b- la tendance de par l’accoutumance
Il existe une autre traduction qui est « la propension de l’habitude », mais je ne suis pas certain que cela
renvoie très exactement à la signification présente. En tibétain, on parle de rik-tun-gyi pak-tchak; rik
signifie ‘genre’ et tun ‘similaire’, ce qui fait que nous pouvons probablement parler, également, de
tendance du « même genre » pour le distinguer de la quatrième catégorie que j’ai appelé ‘la tendance à
la répétition’. Ces deux sont assez semblables mais comprennent cependant quelques différences.
Par exemple, notre conscience visuelle qui voit du bleu crée une tendance à voir du bleu plus tard.
Ayant vu du bleu, si l’œil entre en contact avec une chose comprenant de nombreuses couleurs
différentes d’une densité à peu près égale, il se dirigera naturellement vers le bleu. Il a l’habitude
d’appréhender le bleu et c’est pourquoi il suit cette habitude, plutôt que d’appréhender initialement une
autre couleur. Dans notre esprit, il existe de nombreuses empreintes karmiques des choses très
similaires que nous avons faites d’innombrables fois. Nous avons ainsi construit l’habitude. Par
exemple, lorsque nous voyons une voiture bleue et ensuite un autobus bleu, le bleu que nous avons vu
en premier sur la voiture a laissé une tendance qui fait que, de tous les véhicules que nous croisons sur
la route, seul le bus bleu retient notre attention. Avoir vu la voiture bleue laisse indubitablement une
empreinte et à partir de là, voir le bus bleu et remarquer son bleu est plus aisé.
Donc, rik-tun-gyi pak-tchak consiste en la tendance (que nous avons dans notre continuum mental) qui
s’est déposée antérieurement du fait d’avoir fait de façon répétitive de nombreuses choses similaires.
Certaines personnes n’ont pas du tout l’idée que tuer ou nuire aux autres est erroné. En fait, elles
semblent conduites à accomplir ce genre d’actions. Peut-être que pour ces personnes, leur volition est
conduite dans cette direction parce qu’elles ont fait ce type d’actions à de très nombreuses reprises. A
cause de ces schémas récurrents créés depuis des vies sans nombre, elles sont incapables de ne pas
reproduire l’action. Je n’appellerai pas cela une ‘habitude’, parce que l’habitude a davantage à voir avec
les activités physiques ou verbales. Ici, nous sommes en train de parler de latences mentales qui nous
poussent à faire ces actions.
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c- La tendance à saisir l’existence
La troisième catégorie s’appelle si-pè yèn-lak pak-tchak En tibétain. Si-pè signifie samsara, yang-lak
signifie branche. Donc, cette tendance a à voir avec notre saisie de l’existence et avec notre souhait de
re-exister lorsque nous sentons que nous sommes mourants.
Vous souvenez-vous des Douze Liens d’origine interdépendante que nous avons vu dans le module
relatif aux Quatre Nobles Vérités ? Le neuvième lien est la saisie et le dixième est l’existence. Le
neuvième lien est la force qui nous relie à notre vie suivante. Il se passe que, lorsque la saisie se
produit au sein du processus, cela active tous les karmas que nous avons accumulés pendant notre vie
et détermine le type de vie que nous allons avoir dans la suivante. Nous avons ce type de tendance à
re-exister ; nous voulons re-exister, renaître encore et c’est cette tendance qui détermine notre
renaissance et le type d’existence que nous avons.
d- La tendance de la répétition
La dernière catégorie est appelée ngueun-djeu-ki pak-tchak en tibétain. Lorsque certains types de
pensées se produisent, ils laissent la tendance pour que le même type de pensées se produise à
nouveau. Par exemple, quand notre conscience visuelle voit une personne, une pensée peut s’ensuivre
comme : « il est bien ». Cette pensée laisse une certaine tendance à penser plus tard à propos de
quelque chose d’autre que c’est « bien ». Ecouter une musique agréable peut faire que nous nous
sentions calme et relaxé, aussi, alors que nous sortons dans la rue plus tard, nous ne sommes pas
dérangés par la circulation. C’est dû au fait de la tendance laissée sur notre courant de conscience par
la musique . Les pensées qui sont répétées encore et encore laissent une certaine tendance. Des
schémas de pensées sont ainsi construits et nous constatons qu’ils reviennent encore et encore.
La deuxième tendance a davantage à voir avec la perception directe sensorielle et avec la tendance
qu’à l’esprit de se focaliser sur des objets similaires ; celle-ci concerne plus les pensées conceptuelles
et la façon dont elles créent des habitudes sur notre courant de conscience.
5- L’attention
Le dernier facteur mental omniprésent est l’attention. Il sert à ce que les éléments de l’esprit principal
puissent se focaliser sur un objet spécifique à l’exclusion d’autres. Il aide également à garder l’objet
devant l’esprit.
L’esprit ne doit pas seulement entrer en contact, identifier, avoir des sensations et des intentions vis à
vis d’un objet, il doit également rester sur l’objet, ne serait ce que l’espace d’une seconde. Cette
capacité à demeurer sur l’objet est l’attention. Avec toutes les informations sensorielles que nous
recevons à tous moments, pensez à ce que ce serait si nous ne pouvions pas nous focaliser sur un
objet particulier à l’exception des autres. L’esprit doit, par conséquent, avoir cette fonction.
La pratique et le développement de cet élément conduit à des états d’absorption ou de concentration.
Nous avons tous de l’attention, mais à quel degré d’intensité ? Nous pouvons développer l’attention
jusqu’à atteindre le stade de la concentration en un point.
Ces cinq éléments agissent ensemble que nous fassions des choses positives, négatives ou neutres.
En eux-mêmes, ils ne sont ni vertueux ni non vertueux. Où que se trouve l’esprit, et quelle que soit
l’action qu’il accomplisse, ces cinq éléments sont présents. C’est la raison pour laquelle on les appelle
les facteurs mentaux omniprésents.
Ils sont toujours là, mais cela ne signifie pas qu’ils le sont de façon toujours évidente. Que nous soyons
conscients d’eux ou pas, leur activité sous-tend tout ce que nous faisons.
En y réfléchissant, nous pouvons voir qu’il est aisé de se rendre compte pourquoi il ne peut y avoir
d’esprit sans eux.
S’il n’y a pas de sensation, il ne peut y avoir d’expérience de l’objet, aussi comment pourrait-il y avoir un
esprit qui « connaît » l’objet ? Sans discernement il n’y a rien à propos de l’objet sur quoi l’esprit puisse
s’appuyer, dans la mesure où il n’aurait pas de critère pour discerner une chose d’une autre. Sans
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l’intention, l’esprit ne peut se mouvoir en direction de l’objet, de sorte qu’il n’y aurait pas de rencontre
entre l’esprit et l’objet. Pour qu’il y ait rencontre, il y a contact, ce qui fait que si le contact manque, il n’y
a pas de rencontre. Donc, si n’importe lequel de ces facteurs mentaux est absent, l’esprit principal ne
peut fonctionner.
Le prochain groupe que nous allons examiner est celui des facteurs mentaux déterminants l’objet, qui
ont à voir avec le degré d’intensité avec lequel nous nous engageons dans un objet. Mais, si vous
prenez en considération une période de vingt-quatre heures, il existe de nombreuses occasions
pendant lesquelles l’esprit n’est pas activement engagé. Cependant, même quand l’esprit n’est pas
complètement engagé vers un objet, ces cinq facteurs mentaux omniprésents doivent être là.
Les facteurs mentaux déterminants l’objet
Des six subdivisions à l’intérieur des 51 facteurs mentaux, le deuxième groupe comprend les facteurs
mentaux déterminants l’objet. Ils sont :
1- l’aspiration
2- la détermination
3- la mémoire
4- la concentration
5- l’intelligence
Afin que notre esprit puisse s’engager plus complètement dans un objet particulier ou une fonction, ce
deuxième groupe est nécessaire, les facteurs mentaux « déterminants l’objet » (Tib. yul-ngè). Ils ont
besoin de confirmer ou de déterminer l’objet associé à notre esprit principal.
1- Aspiration
Le premier de ces facteurs mentaux déterminant l’objet est l’aspiration. L’aspiration est l’intention que
nous avons à l’égard d’un objet, qu’il s’agisse de le garder ou de le rejeter. Ce facteur mental est le
souhait d’obtenir l’objet, de le rencontrer à nouveau, de ne pas être séparé de lui. C’est le souhait de
faire une activité spécifique et il porte un intérêt très vif à ce processus. Il peut être généré sans pour
autant avoir nécessairement de l’attachement ou de la saisie pour l’objet. Sa fonction est d’agir comme
base pour l’enthousiasme, qui tient une part importante dans notre pratique bouddhique.
Par exemple, si nous entendons dire qu’il est véritablement possible que le samsara ait une fin, nous
devenons vraiment intéressés par cet accomplissement et aspirons à cela. Notre aspiration devient
forte. Bien que le facteur mental de l’intelligence soit impliqué, à ce stade il se peut qu’il ne soit que très
faible. Ce n’est que plus tard que nous aurons besoin d’analyser profondément pour savoir si la
libération est vraiment possible ou pas. Alors l’intelligence devra être suffisamment forte et, bien que
l’aspiration doive encore se trouver présente, elle ne prédominera plus sur l’intelligence.
2- La détermination
Si l’aspiration représente l’intention d’avoir l’objet, alors la détermination situe cet esprit à un niveau plus
élevé – ayant l’objet, vous désirez le garder. Le travail de la détermination est de stabiliser et de détenir
l’objet. Il voit que l’objet établi a des qualités qui sont valables (souvenez-vous que cela peut être positif
ou négatif) et, à cause de cela, la détermination dirige l’esprit vers l’objet avec plus de force. Il a la
fonction de chérir l’objet ainsi que d’assurer la remémoration de ce dernier.
En tibétain, le mot est meu-pa. Alors que je regarde les différents objets qui se trouvent sur ma table, si
je veux diriger mon esprit vers un objet spécifique entre tous, mon mala par exemple, la détermination
doit être présente. Il se doit d’y avoir un certain degré de détermination du mala qui me permette de me
focaliser sur le mala plutôt que sur quoi que ce soit d’autre.
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3- La mémoire
La mémoire (tib. : dun-pa) est la capacité de l’esprit à retourner à l’objet. C’est différent de la
détermination en ce qu’elle a en plus un sentiment de conviction – c’est assez intense. Sans cela, nous
ne pourrions jamais connaître un objet plus d’un moment et, bien sûr, il n’y aurait pas de souvenir
possible. Si la mémoire d’une expérience est intense, alors il sera assez facile, plus tard, de répéter
l’expérience. La mémoire agit comme base pour le facteur mental suivant : la concentration.
La mémoire est également appelée ‘application continue’, au sens où elle retourne de manière
répétitive à l’objet, non pas nécessairement à un moment ultérieur, comme c’est le cas pour le souvenir,
mais momentanément. Elle amène l’esprit et le lie à l’objet ; elle engage la pensée vers l’objet et
continue à demeurer sur lui.
Par exemple, lorsque vous allez dans une gompa, le fort encens tibétain possède un parfum qui le
distingue des autres. Si c’est la première fois que vous rencontrez cette odeur, vous n’êtes pas en train
de vous la ‘remémorer’, mais elle va être stockée dans votre mémoire. Ensuite, dès lors que vous
sentirez ultérieurement cet encens, une partie de vous sera de retour dans la gompa. C’est votre
mémoire qui vous y ramène. Si vous associez ce parfum à la paix et au bonheur, alors ce sentiment
apparaîtra dans votre esprit. Si vous êtes allergique à l’encens, vous pouvez ne vous rappeler que
d’éternuer !
4- La concentration
Bien que le terme habituellement employé soit ‘concentration’, je souhaiterai décrire ce facteur mental
établissant l’objet comme la capacité à demeurer sur un objet. Concentration, au sens où nous
employons ordinairement le terme, semble quelque peu trop fort. Il s’agit, ici, de l’esprit qui reste sur
l’objet. C’est la fonction qui fixe fermement notre esprit sur un objet, qu’il soit vertueux ou non vertueux.
Il est capable de demeurer en un point sur le même objet pendant un certain laps de temps qui peut
être très momentané ou plus soutenu.
La longueur du temps que nous pouvons demeurer sur un objet dépend beaucoup du lien que l’on a
avec l’expérience elle-même. Par exemple, en ce qui concerne la sensation (appartenant aux facteurs
mentaux omniprésents), si nous essayons de nous focaliser sur le souhait de nous libérer du samsara
et que la sensation ne soit pas vraiment présente, il sera assez facile de voir notre esprit se mouvoir
vers un autre objet. Avec tous ces facteurs mentaux, notre esprit est une chose multi-fonctionnelle. Je
n’ai aucun problème à faire se mouvoir mon esprit d’un objet à un autre, j’en ai plutôt à ce qu’il demeure
sur un objet !
5- L’intelligence
De même que pour la compréhension usuelle de la concentration, si nous utilisons le terme
‘intelligence’ dans la vie courante, il semble suggérer l’opposé de stupide. Or, dans ce contexte, c’est
trop fort pour décrire ce facteur mental. Ici, nous parlons de la capacité de l’esprit à examiner les
caractéristiques de l’objet et à déterminer sa valeur. C’est le facteur mental qui décide, qui possède un
certain niveau de certitude.
A l’opposé des facteurs mentaux omniprésents qui sont toujours là, que nous soyons focalisés ou non
sur un objet, ces facteurs là ne fonctionnent pas de la sorte. Leur présence dépend de comment nous
explorons l’objet que notre esprit appréhende. La présence ou non d’un facteur mental tel que
l’aspiration – et son degré d’intensité – dépend vraiment de nous. Il est dit, traditionnellement, qu’avec
un esprit qui fonctionne normalement, ils n’ont pas à être présents. Ma compréhension est que c’est
plus théorique qu’exact, car s’il y a la moindre focalisation (et, à moins d’avoir perdu connaissance, on
est toujours focalisé sur quelque chose), alors tous ces cinq facteurs mentaux opèrent. Ils agiront,
cependant, à des degrés d’intensité différente – certains plus intensément que d’autres. Peut-être
l’aspiration est-elle très importante mais l’intelligence faible, ou le contraire.
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Est-ce que l’un de ces facteurs mentaux peut être complètement absent du fonctionnement normal de
notre esprit ? Mon sentiment est que ce n’est pas possible. J’argumenterai en disant que même lorsque
notre esprit commence à se tourner vers un nouvel événement ou objet, il n’existe pas un instant où
l’un d’eux est totalement absent. Par exemple, même si la mémoire n’est présente qu’à un niveau
tellement faible que nous ne soyons pas capable de nous souvenir de l’évènement plus tard, elle est
pourtant là. Parfois, l’intensité de la mémoire est très élevée, alors que la concentration est faible et
parfois, c’est le contraire. Pour être en mesure d’avoir un esprit principal souhaitant constamment et
avec vigueur atteindre la libération, ces cinq facteurs mentaux déterminant l’objet doivent être fortement
associés à cet esprit.
Le fait d’être conscient ou pas de ces facteurs mentaux dépend de la durée pendant laquelle ils se
produisent dans notre courant de conscience. Par exemple, si le premier facteur, l’aspiration (disons,
l’aspiration à atteindre la libération), demeure un certain moment, il se peut que nous reconnaissions sa
présence. Cela dépend beaucoup de sa durée et de la fréquence avec laquelle elle apparaît en nous.
Les termes eux-mêmes semblent suggérer des esprits vertueux, alors que ces facteurs mentaux (tels
que les facteurs mentaux omniprésents) ne sont intrinsèquement ni vertueux, ni non-vertueux. Si vous
lisez le livre de Guéshé Rabten, vous les trouverez tous expliqués du point de vue de l’esprit vertueux. Il
s’agit d’une explication qui s’adresse pour beaucoup aux pratiquants. Il dit que nous devrions utiliser
notre aspiration afin de développer notre esprit d’une manière positive, afin que nous devenions une
personne meilleure.
Il est important de réaliser, pourtant, que les cinq peuvent être positifs, négatifs ou neutres. Lorsque le
facteur mental est associé au positif, il peut devenir positif, et lorsqu’il est associé au négatif, il peut
devenir négatif. Par exemple, l’esprit qui cherche à voler quelque chose a besoin d’une sorte
d’aspiration, de mémoire et d’intelligence. Il est également possible d’aspirer au meurtre de quelqu’un et
d’avoir la concentration alors que l’on est en train de commettre cet acte.
Les facteurs mentaux déterminant l’objet sont des activités psycho-cognitives qui constituent le
mécanisme de base de notre conscience. Il nous est difficile de voir opérer ce mécanisme. Nous
sommes confus à cause de notre culture et du langage et tendons à considérer un facteur mental
secondaire comme un esprit principal. Nous disons : « Je suis en colère » ou « Je suis heureux » et, du
fait du langage, nous ressentons que nous sommes cette colère. Pour comprendre que ce n’est pas le
cas, nous devons aller plus loin que ces émotions de base qui opèrent à un niveau grossier et regarder
fonctionner les niveaux plus profonds de l’esprit. Voir comment ces facteurs mentaux déterminant l’objet
opèrent – qu’ils soient positifs, négatifs ou neutres – peut nous donner une perspicacité d’une valeur
infinie concernant le fonctionnement véritable de l’esprit et rendre plus aisé notre travail sur les
émotions perturbatrices.
Soyez vigilant ! Il peut sembler que ces cinq facteurs mentaux déterminant l’objet apparaissent dans un
certain ordre, l’un étant construit à partir du précédant. En fait, il n’y a pas d’ordre d’apparition. Je pense
que l’ordre dans lequel ils apparaissent dépend beaucoup des circonstances et des conditions externes.
Par exemple, si nous avons une intense aspiration à faire quelque chose, il y a de fortes chances que
nous puissions générer de l’enthousiasme pour cela. Si nous nous engageons dans l’analyse de la
vacuité, il se peut que nous soyions inspirés par le sujet. Plus nous analysons et plus nous sommes
inspirés. Il existe un lien et, bien que très souvent l’aspiration vienne en premier, il n’existe pas
véritablement d’ordre défini.
27
CHAPITRE TROIS
LES FACTEURS MENTAUX NON VERTUEUX
page
Les trois subdivisions
28
La première subdivision et les trois facteurs mentaux non vertueux racine
1. l’ignorance
2. l’attachement
3. la colère
31
La deuxième subdivision
35
La troisième subdivision
1. Observer les facteur mentaux individuels
a) dérivés de l’attachement
b) dérivés des trois perturbations racines à la fois
c) dérivés de l’attachement et de l’ignorance
d) dérivés de l’ignorance
e) dérivés de la colère
2. Comment les perturbations secondaires sont acquises
3. Chercher l’origine dans notre propre continuum mental
4. Où est la colère ?
37
38
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40
41
43
CHAPITRE TROIS
FACTEURS MENTAUX NON VERTUEUX
s Première
Subdivision
Confusion fondamentale du soi,
des choses et événements
Ignorance de la relation la plus
subtile de la loi de cause à effet
Les esprits de cette zone sont
enracinés très profondément dans
notre psyché, parfois seulement
sous forme d’un potentiel, pourtant,
ils sont la pulsion principale qui
entraîne le fonctionnement de tous
les autres esprits négatifs.
Généralement, tous les êtres nonéveillés possèdent ces esprits.
L’existence et les fonctions de ces
esprits ne dépendent pas du système
nerveux physique ou du cerveau.
Ego-centrisme
ignorance
attachement
colère
Deuxième
Subdivision
Ignorance de la relation subtile de la
loi de cause à effet
égoïsme
Saisie,
mécontentement




Les esprits de cette zone sont tout
à fait grossiers en termes de leur
existence et de leurs fonctions.
Quelques uns de ces esprits
peuvent seulement s’élever sur la
base de certaines croyances. Ces
esprits agissent comme un pont
entre les esprits des première et
troisième zones.
Vue extrême
Vue de supériorité
Vues qui considèrent les disciplines
morale et spirituelle insatisfaisantes
comme suprêmes
Vues erronées
Vers troisième subdivision
29
Agitation
aversion
Deuxième Subdivision
Troisième Subdivision
- Vue extrême
- Vue de supériorité
- Vues qui considèrent les disciplines morale et
spirituelle insatisfaisantes comme suprêmes
- Vues erronées
Les esprits de cette zone
sont très grossiers en
termes de leur apparition
et fonctionnement. Leur
survenue dépend
beaucoup du système
nerveux physique et de
notre environnement
social.
Saisie
mécontentement
Agitation
aversion
Ignorance de la relation grossière de la loi de cause à effet
Dérivés de
l’attachement
- autosatisfaction
- attachement
- excitation
- avarice
- recherche de
la gloire*
- obsession*
- peur de la
perte*
- anxiété*
Dérivés des
trois
- distraction
- négligence
- manque de
considération
pour autrui
- absence de
scrupule
- prétention
- -malhonnêteté*
- - irrespect*
- -dissimulation*
Dérivés de
l’attachement
et de
l’ignorance
- passions
irrationnelles*
- esprits
socialement
influencés
- préjugés*
- passion pour
le pouvoir*
Dérivés de
l’ignorance
- léthargie
- oubli
- inattention
- paresse
- manque de foi
- sensation
d’impuissance*
- désillusion*
- culpabilité*
- haine de soi*
- chagrin*
- auto-trahison*
- sousestimation de
soi*
- dépression*
Ces facteurs mentaux marqués d’un astérisque ne se trouvent
pas dans la liste traditionnelle des 51 facteurs mentaux, mais ont
été ajoutés pour montrer comment ils sont reliés aux listes
traditionnelles.
30
Dérivés de la
colère
-
suffisance
colère
vengeance
courroux
rancune
jalousie
cruauté
ressentiment*
revanche*
Les trois subdivisions
Pendant le reste de ce module, nous considérerons tous les autres facteurs mentaux qui constituent
notre esprit, la manière dont ils s’élèvent, dont ils nous affectent et comment nous pouvons agir sur eux.
Comme je l’ai dit auparavant, tous nos facteurs mentaux - ou activités mentales - (on en énumère
traditionnellement 51) peuvent être inclus en six groupes. Nous avons étudié les deux premiers, les
facteurs mentaux omniprésents et les facteurs mentaux déterminant l’objet. Je pense que le sujet que
nous allons aborder vous paraîtra plus familier ; il s’agit des émotions et sentiments positifs et négatifs
avec lesquels nous vivons quotidiennement. Ils peuvent être positifs, négatifs ou variables. Les négatifs
– ou non vertueux- sont divisés en deux groupes, ceux qui sont à la racine du problème : les
perturbations racines ; et ceux qui proviennent de celles–ci : les perturbations secondaires.
Donc, pour reprendre la liste traditionnelle, nous avons :
a) 5 facteurs mentaux omniprésents
b) 5 facteurs mentaux « déterminant l’objet »
c) 11 facteurs mentaux vertueux
d) 6 perturbations racines
e) 20 perturbations secondaires
f) 4 facteurs mentaux variables
Je traiterai des facteurs mentaux positifs, des perturbations racines et secondaires, mais n’aborderai
pas les quatre facteurs mentaux variables. Ceux-ci sont des facteurs mentaux qui peuvent être positifs,
négatifs ou neutres en dépendance des autres facteurs mentaux concomitants. Ces quatre sont le
sommeil, le regret, l’examen général et l’analyse précise. Voir dans The mind and its Functions de
Gueshé Rabten, p. 121-123, pour une description plus précise de ces facteurs mentaux.
Comme vous pouvez le voir dans le tableau précédent, il y a en réalité beaucoup plus de 20
perturbations secondaires.
Dans ce chapitre nous allons étudier les facteurs mentaux nocifs, ceux qui sont la cause de tous nos
problèmes, anxiétés, etc., nous allons observer ce qui ne va pas et l’analyser pour voir d’où cela
provient. « Pourquoi suis-je jaloux ? » « Pourquoi est-ce que je me sous-estime tellement ? » Il n’est
plus là question de concepts philosophiques abstraits mais de souffrances et problèmes que nous
rencontrons concrètement dans nos vies quotidiennes.
Pour en venir à bout il nous faut regarder aussi profondément que possible. C’est pour cette raison que
j’ai décidé, plutôt que de simplement reprendre les listes de façon traditionnelle, de diviser ces facteurs
mentaux en trois subdivisions, allant du moins grossier au plus grossier niveau d’état d’esprit. Je pense
que cela aidera à clarifier la façon dont un état d’esprit en entraîne un autre, et par conséquent
comment nous pouvons les traiter au mieux.
La première subdivision est le niveau le plus profond de l’esprit. Les états d’esprit non vertueux de cette
zone sont les plus complexes et les plus difficiles à éliminer. Ces esprits sont la cause des facteurs
mentaux de la deuxième zone, qui, à leur tour, sont la cause des facteurs mentaux de la troisième zone,
le niveau de l’esprit sur lequel nous travaillons généralement.
L’anxiété, le ressentiment, la sous-estimation de soi-même, la dépression, la peur de la perte,
l’obsession – sont tous des facteurs mentaux de la troisième subdivision. Pour les traiter de façon
efficace nous devons savoir d’où ils viennent, quelle est leur racine. Pour ce faire il nous faut considérer
les deux autres subdivisions. Il est possible de les étudier de deux manières. Une manière est de
prendre n’importe quel facteur mental dans le tableau de la troisième zone puis de remonter à son
origine.
Par exemple, d’où vient le besoin de prendre sa revanche ? Si vous regardez le tableau de la troisième
zone, vous verrez qu’il est placé dans le cadre intitulé « dérivés de la colère » . Bien qu’il y ait de
nombreux aspects à cet esprit revanchard, il s’agit principalement d’un esprit coléreux. D’où vient cet
esprit coléreux ? Remontez encore et vous voyez qu’il est dû à l’ignorance du niveau grossier de la loi
31
de cause à effet, qui elle-même vient d’un état d’esprit qui appartient à la deuxième subdivision, dans ce
cas l’agitation et l’aversion. Bien que les mots « agitation » et « aversion » puissent ne pas nous
sembler aussi forts que le mot « revanche », ils en sont la racine, parce qu’ils sont installés plus
profondément en nous – et ils ont la capacité de produire un esprit qui désire la revanche.
Mais, à leur tour, l’agitation et l’aversion sont produits par un des esprits les plus profondément
enracinés de la première subdivision, la colère. Nous en arrivons maintenant à la racine même de tous
nos problèmes, à l’aversion (la colère) déclenchée par notre confusion fondamentale sur la façon dont
les choses –le soi, les phénomènes et les évènements- existent véritablement. Les esprits de la
troisième subdivision sont comme les vagues au dessus d’un océan. La cause réelle de la turbulence
est en dessous.
Bien que dans le tableau ils soient répartis dans des cases en dépendance de l’esprit duquel ils
dérivent, les distinctions entre les groupes ne sont pas si nettes en réalité – leur objectif est simplement
de servir de guide. Le principal déclencheur de la revanche, par exemple, peut être la jalousie causée
par l’attachement. Nous devons garder cela à l’esprit quand nous observons les perturbations mentales
séparément.
La première subdivision et les trois facteurs mentaux non vertueux racines
La seconde manière d’étudier ces esprits est de passer de la première subdivision à la troisième. Nous
pouvons regarder comment la cause de tous nos problèmes, notre confusion fondamentale, crée les
perturbations de base, comme la colère et l’attachement, qui à leur tour mènent aux émotions
profondément ancrées, comme l’aversion et le désir, desquelles s’élèvent toutes les autres émotions
perturbatrices.
Quand on essaie de faire face à nos problèmes immédiats, il est très difficile de voir cela. Mais si nous
regardons suffisamment profondément, nous verrons qu’il y a trois raisons de base à nos problèmes
d’aujourd’hui. Ce sont les trois facteurs mentaux non vertueux racines, qu’on nomme aussi les trois
perturbations racines ou les trois poisons. Ce sont :
1. l’ignorance
2. l’attachement
3. la colère
L’attachement c’est quand nous nous agrippons à des choses qui corroborent notre sentiment de
permanence ; l’aversion ou la colère c’est quand nous repoussons les choses qui nuisent à notre
sentiment de permanence et l’ignorance c’est quand nous ignorons les choses qui ne font ni l’un ni
l’autre.
Traditionnellement, on énumère six facteurs mentaux non vertueux racines, les trois autres étant
l’orgueil, la vue perturbée et le doute perturbé, mais comme toutes découlent de quelque manière de
l’ignorance, nous pouvons pour le moment les laisser de côté. (Pour plus d’explications voir the Mind
and its Functions de Gueshé Rabten p. 142-151). Ces trois : l’ignorance, l’attachement et la colère, vont
d’une manière ou d’une autre nourrir tous les autres facteurs mentaux non vertueux de notre continuum
mental.
A l’intérieur des trois subdivisions il y a de nombreux degrés pour chaque esprit nocif. La colère peut
être du niveau le plus grossier dans la troisième subdivision mais dans la première subdivision elle est
d’un niveau plus subtil, il s’agit d’une aversion plus fondamentale. C’est l’esprit qui repousse un objet
parce que cet objet heurte d’une certaine manière son sens de la permanence.
En partant de la première subdivision vous verrez que cette confusion fondamentale à propos de la
manière dont le soi, les choses et les évènements existent crée l’ignorance de la plus subtile relation de
la loi de cause à effet. A partir de cette ignorance, l’égocentrisme se développe. Nous considérons le
soi comme permanent et concret, et à cause de cela il nous faut défendre cette situation irréelle. Ceci
se passe de trois manières. Si quelque chose semble soutenir notre sens de permanence, l’esprit s’en
rapproche. Ainsi, à partir de « égocentrisme », dans le tableau, une flèche est dirigée vers
32
« attachement ». Il s’agit là cependant d’une forme très subtile d’attachement. Pour parler en général, il
s’agit d’une attraction envers un objet motivée par l’égocentrisme.
De la même manière, l’esprit rejette tout ce qui va à l’encontre de son sens de permanence. Ceci se
manifeste comme la plus subtile forme d’aversion, un rejet de l’objet, qui est « colère » sur le schéma.
Les états d’esprit de la première subdivision sont vraiment enracinés très profondément. Vous pouvez
les considérer comme un potentiel, qui n’est pas nécessairement actif à un niveau conscient. Ces
esprits sont ceux de tous les êtres non-éveillés, y compris les êtres du royaume du sans forme qui n’ont
pas de corps physique.
Malgré tous les progrès de la technologie moderne, je doute fort qu’elle soit capable de détecter si ces
esprits de confusion fondamentale existent ou non.
1. l’ignorance
Il est très important de comprendre ce qu’est l’ignorance parce que dans leurs enseignements, les
maîtres bouddhistes nous disent toujours que la racine de toutes nos souffrances est « l’ignorance ».
Dans tant d’enseignements il est affirmé qu’elle est la cause principale qui nous emprisonne dans un
état non-éveillé. Nous avons entendu cela si souvent que nous pourrions commencer à croire que c’est
un cliché et ne jamais ressentir la nécessité de vraiment aller au fond de ce que cela signifie.
Comme nous l’avons étudié dans la Vérité de l’Origine dans le module des Quatre Nobles Vérités
(p.34), l’ignorance est de deux types :
a) innée
b) acquise
La forme d’ignorance la plus subtile fait partie du type inné parce que, selon le bouddhisme, vie après
vie nous tendons de façon naturelle à agir d’une manière très similaire. De nouveaux types d’ignorance,
d’un autre côté, naissent à partir de causes sociales et de l’apprentissage – c’est ce à quoi il est fait
référence en parlant « d’ignorance acquise intellectuellement » - et celle-ci entre en jeu dans la
troisième division, à un niveau bien plus grossier.
L’ignorance qui, de façon innée, appréhende de manière erronée le soi comme existant
indépendamment ou de façon inhérente est appelée la vue fausse de la collection transitoire (ou saisie
du soi personnel). Cette vue fausse innée est la racine de l’existence cyclique.
Si nous pouvions vraiment voir d’où viennent notre attachement et notre colère, nous verrions que leur
cause est cette confusion fondamentale quant à la manière dont les choses et les évènements existent.
Considérant les choses comme permanentes et indépendantes, nous établissons une forte distinction
entre nous-mêmes et le monde extérieur, une distinction qui en fait n’existe pas. C’est notre ignorance
élémentaire et, tenant cela pour vrai, l’esprit doit défendre sa position en s’agrippant à tout ce qui peut
affermir cette position et en rejetant tout ce qui peut l’ébranler. De cette manière, bien que les trois
perturbations racines soient considérées comme égales, l’ignorance peut aussi être considérée comme
la cause de l’attachement et de la colère.
Je n’approfondirai pas ici le sens du mot « ignorance », parce que nous le verrons encore plus loin
quand nous étudierons la vacuité. Brièvement, cependant, cette ignorance innée s’élève parce que
nous avons la notion que notre « moi » existe d’une façon objective, indépendante, trouvable. Selon le
bouddhisme, pendant des vies et des vies innombrables nous avons cru en un soi substantiel et avons
agi comme s’il existait un tel soi. Presque à chaque seconde nous avons agi à travers cette croyance,
bien que très souvent inconsciemment. Cette croyance est une propension très puissante qui nous
accompagne de vie en vie et est la cause principale qui fait que nous restons des êtres non-éveillés.
Cette notion innée déclenche l’ignorance de la relation la plus subtile de la loi de cause à effet (comme
dans le tableau, première subdivision). C’est l’ignorance de :
 la nature ultime du soi et des évènements, et
 la relation subtile de la loi de cause à effet.
La vue fausse du soi a, à certains degrés, la notion d’une existence permanente du soi. Chacune des
quatre écoles philosophiques que nous étudions dans le bouddhisme tibétain a une interprétation
33
différente de l’ignorance fondamentale de par leurs différentes conceptions de la manière dont le soi
existe. Cependant, elles sont toutes d’accord sur le fait que les êtres non-éveillés ont une ignorance de
la loi subtile de cause à effet.
Cette ignorance est le premier des Douze Liens d’Origine Dépendante (voir le manuel de cours Les
Quatre Nobles Vérités p.49). Il se peut que quelqu’un soit libre de tous les onze autres liens et libre du
samsara mais ait encore ce lien de l’ignorance. S’étant libéré du karma négatif, le second lien, il est
hors du samsara, il est donc un arhat, mais il n’est pourtant pas encore un être éveillé parce qu’il a
encore cette empreinte subtile de perturbation.
2. l’attachement
L’attachement peut s’élever envers n’importe quel objet. Il y a de nombreux niveaux différents
d’attachement ; certains sont très subtils et cependant peuvent agir en tant que motifs de base, et
certains sont très grossiers et on peut comprendre facilement qu’il s’agit d’attachement.
Comme le dit Gueshé Rabten :
« L’attachement se développe parce que nous concevons de manière erronée un objet comme
étant plus attractif et agréable qu’il ne l’est réellement. »
L’esprit exagère le caractère attractif d’une chose ou d’un évènement et il s’ensuit un fort intérêt et un
désir pour cet objet. L’attachement est une conception fausse qui peut s’élever par rapport à tout objet.
Pour alimenter l’attachement pour un objet, il n’est pas nécessaire que celui-ci ait un caractère attractif
essentiel – ce facteur mental peut facilement projeter une fausse image sur un objet et s’y agripper,
désirant ardemment posséder cet objet.
En tant que condition contributrice, l’attachement agit pour la production continuelle du
mécontentement. Nous exagérons l’attrait de l’objet. Comme l’attachement s’intensifie, il en résulte que
si l’objet n’est pas obtenu au moment voulu la situation peut nous devenir intolérable. Et si nous
possédons l’objet, la peur de le perdre peut advenir.
Même si l’objet est obtenu, il est de la nature de l’attachement de se transformer tôt ou tard en
insatisfaction – l’objet ne suffit plus ou n’est plus assez bien. Soit c’est ce qu’il advient, soit l’esprit
développe de l’attachement pour autre chose. Le processus peut prendre différentes formes mais le
schéma de base est celui d’un désir de plus en plus insatiable.
Si on remonte le processus, nous trouvons que l’attachement a pour origine l’ignorance fondamentale
de la façon dont le soi et les choses existent véritablement.
2. la colère
« Colère » semble désigner quelque chose de très grossier, mais certaines formes de colère sont très
subtiles – « l’antipathie » peut s’élever par rapport à une personne ou un nom, même si nous ne nous
souvenons pas de les avoir jamais connus. La colère exagère les qualités déplaisantes d’un objet.
Gueshé Rabten définit la colère comme :
«un facteur mental distinct qui, en référence à un des trois objets, agite l’esprit en étant
incapable de supporter l’objet ou en projetant de lui causer du tort. Il a la fonction de déranger et
d’agiter l’esprit. Il agit en tant que base pour tourmenter à la fois soi-même et les autres et il est une
condition contributrice à l’accroissement de la souffrance et de ses causes…
Il nous amène à voir certaines personnes ou choses sous un éclairage très désagréable, en surexagérant cet aspect déplaisant… frustration et désespoir en résultent».
Le carburant principal de la colère est l’inconfort mental. Il est mieux compris en tant que sentiment
d’insatisfaction perpétuel, sous-jacent, quelque chose qui n’a pas besoin d’être ressenti au niveau
conscient. C’est ce sentiment qui nous harcèle continuellement que quelque chose n’est pas tout à fait
bien. Cette sensation d’insatisfaction sous-jacente donne naissance à la frustration et quand cela
34
advient, les conditions sont réunies pour une explosion soudaine de colère quand les choses ne vont
pas comme nous le souhaitons.
Si vous vous rappelez les trois types de souffrances que nous avons étudiés dans les Quatre Nobles
Vérités (la souffrance de la souffrance, la souffrance du changement et la souffrance omniprésente)
l’inconfort mental dont nous parlons fait partie de la souffrance omniprésente. Elle se situe
habituellement à un niveau très subtil plus qu’à un niveau conscient – c’est ce sentiment que quelque
chose n’est pas tout à fait bien, un sentiment de vide. C’est la souffrance subtile qui envahit tout ce que nous
faisons.
La Deuxième Subdivision
Deuxième Subdivision
Ignorance de la relation subtile de la
loi de cause à effet
Les esprits de cette zone sont tout à fait
grossiers en termes de leur existence et
de leurs fonctions. Quelques uns de ces
esprits peuvent seulement s’élever sur la
base de certaines croyances. Ces
esprits agissent comme un pont entre les
esprits des première et troisième zones.
égoïsme
Saisie,
mécontentement
- Vue extrême
- Vue de supériorité
- Vues qui considèrent les disciplines
morale et spirituelle insatisfaisantes comme
suprêmes
- Vues fausses
Agitation
aversion
Dans le tableau il est dit de la deuxième division que ces esprits sont relativement grossiers en termes
de leur existence et fonctions. Il nous est possible, à nous gens ordinaires de les comprendre, mais pas
sans investigation ; ils sont généralement trop subtils et profonds. Par inférence, à travers l’analyse et le
raisonnement nous pouvons arriver à la compréhension qu’ils sont erronés.
La deuxième subdivision est à mi-chemin entre les première et troisième zones et constitue donc un
pont entre les deux. Ce qui submerge actuellement nos sens et notre conscience, ce sont les esprits de
la troisième zone. Ceux dont nous avons besoin pour être conscients de ce qui se passe et les contrôler
sont les esprits de la première subdivision. Pour faire cela il nous faut passer par la deuxième
subdivision.
Les différences dans les subdivisons sont des différences de subtilité de l’esprit. Dans la troisième
subdivision, nous pouvons comprendre la loi de cause à effet seulement à partir des apparences
extérieures. Nous voyons quelqu’un de riche et qui a une vie heureuse et nous pouvons remonter à la
cause qui est le fait qu’il a un bon travail et une personnalité plaisante. Nous voyons les causes et
conditions immédiates de cette vie mais ce que nous ne voyons pas, ce sont les causes de ces choses.
Les esprits de la deuxième subdivision sont plus subtils et notre compréhension de la loi de cause à
effet l’est aussi. Ici nous pouvons voir que son style de vie riche et sa personnalité agréable ont des
35
causes dans ses vies précédentes, comme la générosité. Une analyse approfondie nous apportera une
compréhension de la loi subtile de cause à effet qui opère dans la deuxième subdivision. La
compréhension de l’impermanence et du karma qui appartient à la première subdivision, cependant, est
incroyablement subtile. Il est dit que seuls les bouddhas ont cette sorte de compréhension.
Dans la troisième subdivision, nous sommes confus parce que nous ne comprenons pas clairement la
situation. Pourquoi faisons nous constamment ces erreurs ? Pourquoi ce mécontentement est-il
toujours présent ? Il nous faut remonter jusqu’aux empreintes qui ont causé ces esprits et nous
commencerons à les voir plus clairement. Pour cela il nous faut regarder la deuxième zone.
Ces trois groupes de facteurs mentaux dans la seconde zone – l’égoïsme, - la saisie et le
mécontentement et – l’agitation et l’aversion, sont des types d’esprits similaires à ceux de la première
subdivision mais plus grossiers. Inversement, ils sont plus subtils que les esprits similaires dans la
troisième subdivision. Ils se manifestent très spontanément dans notre vie. Nul besoin de nous dire de
désirer quelque chose, nul besoin de nous dire d’être mécontents quand les choses vont de travers, nul
besoin de nous dire d’être égoïstes, d’avoir des soucis et des peurs. Si nous, gens ordinaires, faisons
un peu attention, nous serons capables de voir ces esprits qui opèrent dans nos vies par opposition aux
esprits de la première subdivision qui sont trop profonds et subtils pour que nous en prenions
conscience.
Ma compréhension est que, pour passer de la troisième subdivision à la seconde il nous faut avoir
quelques explications au sujet des vies précédentes et futures. Simplement considérer l’influence de
cette vie-ci ne nous aidera pas à comprendre pourquoi ces facteurs mentaux se manifestent si
spontanément. Ils ne sont pas déclenchés par des évènements de cette vie mais on peut remonter à
leur origine dans les empreintes ou tendances qui sont sur notre courant de conscience depuis
d’innombrables vies précédentes. A cause des habitudes d’égoïsme, de mécontentement et de saisie,
ces esprits se sont développés et intensifiés à travers des vies et des vies jusqu’à ce que, maintenant,
ils se manifestent spontanément dans notre vie.
Je pense que c’est là la différence entre les esprits de la seconde et de la troisième subdivision.
Beaucoup des facteurs mentaux de la troisième subdivision viennent juste d’être développés dans cette
vie-ci, ils viennent des circonstances externes telles que l’environnement, les amis auxquels nous
sommes associés, l’endroit où nous vivons. Comparés aux esprits de la deuxième subdivision, ces
esprits de la troisième sont très grossiers. D’un autre côté, peu importe combien nous sommes attentifs,
sans certaines réalisations il est très difficile pour nous de voir que les esprits de la seconde subdivision
sont en train d’opérer et sont vraiment en train de nous causer souffrances et problèmes.
Si vous étudiez le tableau, vous verrez qu’à partir de l’égoïsme certaines vues s’élèvent. Elles sont
énumérées ainsi :
 vue extrême
 vue de supériorité
 vues qui considèrent les disciplines morale et spirituelle insatisfaisantes comme
suprêmes
 vues fausses
Ce sont toutes des vues erronées qui se manifestent très facilement si nous sommes ignorants de la
relation subtile de cause à effet.
Par exemple, prenez la deuxième, la vue de supériorité. Nous pouvons générer cette sorte de vue de
nombreuses façons différentes. Nous pouvons penser que nous sommes supérieurs aux autres ou plus
importants ou que notre culture et ses idées et possessions matérielles sont supérieures à celles des
autres cultures. Vous pouvez voir combien il est facile d’entretenir ces vues et combien nous-même et
tant de gens le font.
De la même manière, par rapport aux vues qui considèrent les disciplines morale et spirituelle
insatisfaisantes comme suprêmes, vous pouvez voir combien nombreux sont ceux qui étant sur une
voie spirituelle pensent que seule leur voie est véridique alors que toutes les autres sont inférieures ou
fausses.
36
De nombreux groupes religieux pensent cela mais il en est de même dans un contexte séculier. Ici, en
Angleterre, qui pour parler franchement n’est pas un pays religieux, beaucoup de gens pensent que les
personnes qui ont des convictions religieuses ont subi un lavage de cerveau, sont stupides et
superstitieuses. Etre cynique et anti-religieux est considéré comme un comportement supérieur. J’ai
remarqué cette attitude en suivant des discussions au sujet de la religion à la télé. Les gens qui ne sont
pas religieux semblent toujours avoir une attitude qui indique qu’ils pensent en savoir bien plus que
ceux qui le sont.
Comme je vis ici, j’ai vu de nombreuses personnes qui ne croient en aucun système religieux. Ils ont un
travail correct, un costume et un porte-documents, une voiture et ils pensent que c’est la manière
suprême de vivre et que ceux qui suivent une voie spirituelle le font seulement parce qu’ils ne peuvent
réussir dans les affaires. Il est très facile d’être persuadé qu’ils ont raison parce que la majorité croit
cela. Si nous ne sommes pas à la hauteur de leurs standards il est facile de penser que nous sommes
des ratés. Ceci aussi est une vue fausse.
Si nous sommes ignorants de la relation de cause à effet, il est très facile de développer ces sortes de
vues erronées et nous pouvons facilement nous faire prendre au piège. D’un autre côté, si nous
sommes vraiment conscients de la relation de cause à effet, cette vue erronée ne sera pas générée.
Même si nous rencontrons des personnes charismatiques qui essaient de nous convaincre que leur
vue, leur enseignement, leur religion, sont supérieurs à tous les autres, ou que les vues des autres sont
complètement erronées, nous serons toujours capables de faire la différence entre ce qui est juste et ce
qui est faux.
Vous pouvez lire les définitions de chacune des vues erronées dans the Mind and its Functions de
Gueshé Rabten (p. 147-149) et dans le manuel de cours en Annexe I du premier module.
Si vous lisez des textes de l’Abhidharma vous verrez l’accent qui est mis sur l’ignorance et quelle large
part elle joue dans tous les différents niveaux des états mentaux qui contrôlent nos vies. Vous verrez
aussi comment les niveaux les plus grossiers d’ignorance entraînent les niveaux les plus grossiers de
saisie, de mécontentement, d’agitation et d’aversion, aussi bien que de vues erronées.
La Troisième Subdivision
Les esprits que nous allons étudier maintenant sont traditionnellement appelés les facteurs mentaux
non vertueux secondaires parce qu’ils découlent des facteurs mentaux racines. Les esprits de la
seconde subdivision s’élèvent souvent à cause de croyances. Les facteurs mentaux de la troisième
subdivision dépendent très fortement de notre système nerveux physique et de notre situation sociale –
du type de société dans lequel nous avons été éduqués, de notre environnement et de notre
développement physique. Alors que les esprits de la seconde subdivision sont dits être plutôt grossiers,
les esprits de la troisième sont dits être très grossiers en termes de leur survenue et de leur
fonctionnement.
A partir de cette ignorance de la relation grossière du karma j’ai divisé les autres esprits en cinq
groupes (comme dans le livre de Gueshé Rabten) pour des raisons de commodité plutôt que parce
qu’ils sont strictement différenciés par quelque particularité. Bien qu’ils aient différentes fonctions et
différents impacts, ces groupes sont en fait très reliés les uns aux autres. Un esprit d’un groupe peut
déclencher un esprit d’un autre groupe. Par exemple, la jalousie peut causer un sentiment de désespoir,
le préjugé peut mener à l’irrespect. D’où vient le désir de vengeance ? Il est possible qu’il vienne de la
colère éprouvée quand on est blessé par quelqu’un, il est possible qu’il vienne de l’attachement, ou
encore il pourrait se produire quand nous sommes dans un état très dépressif.
Tous ces facteurs mentaux peuvent se produire seulement quand nous avons des niveaux très
grossiers d’ignorance de la loi de cause à effet. Même si intellectuellement nous savons tout cela,
habituellement nous ne pouvons éviter cette sorte d’ignorance. Quand nous nous asseyons et y
pensons et voyons que c’est erroné, nous continuons cependant à le faire, parce que l’habitude est trop
forte et que notre conviction à propos du karma est trop faible. Ce qui permet à ces facteurs mentaux de
s’élever.
37
1. Observer les Facteurs mentaux individuels
Les esprits de cette zone
sont très grossiers en termes
de leur apparition et
fonctionnement. Leur
survenue dépend beaucoup
du système nerveux physique
et de notre environnement
social.
Troisième Subdivision
Ignorance de la relation grossière de la loi de cause à effet
Dérivés
de
l’attachement
Dérivés des trois
- autosatisfaction
- attachement
- excitation
- avarice
- recherche de
la gloire*
- obsession*
- peur de la
perte*
- anxiété*
- distraction
- négligence
- manque de
considération pour
autrui
- absence de
scrupule
- prétention
- malhonnêteté*
- irrespect*
- dissimulation*
Dérivés de
l’attachement et
de l’ignorance
- passions
irrationnelles*
- esprits
socialement
influencés*
- préjugés*
- passion pour le
pouvoir*
Dérivés de
l’ignorance
Dérivés de la
colère
- léthargie
- oubli
- inattention
- paresse
- manque de foi
- sensation
d’impuissance*
- désillusion*
- culpabilité*
- haine de soi*
- chagrin*
- auto-trahison*
- sous-estimation
de soi*
- dépression*
- suffisance
- colère
- vengeance
- courroux
- rancune
- jalousie
- cruauté
- ressentiment*
- revanche*
Je ne vais pas parler de tous ces points. Vous pouvez voir sur le tableau qu’il y a plus que les 20 perturbations secondaires
de la liste traditionnelle (j’ai marqué les supplémentaires d’un astérisque) et je suis sûr que vous pourriez encore en ajouter à
la liste si vous le vouliez. La dépression ne s’y trouvait pas, traditionnellement. Peut-être que les gens ne faisaient pas de
dépression il y a quelques centaines d’années ! Vous trouverez le terme « sans espoir » dans les textes, donc pour moi la
dépression entre dans ce groupe car elle vient de ce sentiment de non-espoir.
a) dérivés de l’attachement
La case à l’extrême gauche du tableau se rapporte aux perturbations qui découlent
de l’attachement ou sont un niveau grossier d’attachement. L’auto-satisfaction
est bien sûr l’idée que « je suis supérieur » comme pour la soif de pouvoir.
C’est facile à voir.
38
Dérivés de l’attachement
auto-satisfaction
attachement
excitation
avarice
recherche de la gloire*
obsession*
peur de la perte*
- anxiété*
b) dérivés des trois perturbations racines à la fois
Mais même la distraction et les autres facteurs mentaux du second groupe sont
des sortes d’attachement. Gueshé Rabten les appelle des « perturbations
Dérivés des trois
mentales dérivées des trois poisons mentaux à la fois » (p.159) mais comme pour
distraction
beaucoup de ces perturbations il peut y avoir une ou plusieurs causes racines.
négligence
manque de
Quelle est la différence entre la prétention et l’impudence? La prétention semble
considération pour
venir d’un fort sens du je. C’est un sentiment de supériorité qui ne prend pas en
autrui
compte les sentiments des autres. Selon le bouddhisme, il vient d’un profond
absence de scrupule
manque de respect pour les droits des autres. A cause de ce manque de
prétention
considération pour les autres, le danger est grand de développer une attitude
malhonnêteté*
irrespect*
nuisible. Le manque de considération pour les autres est l’un des principaux
dissimulation*
obstacles au développement de la compassion.
L’impudence (le fait de ne pas ressentir de honte), d’un autre côté, vient du
manque de considération pour soi-même. S’il n’y a pas de respect pour soi-même
alors ce facteur mental entrera en jeu. C’est un facteur mental très dangereux. S’il
opère nous sommes alors capables de faire n’importe quoi pour causer peines et
difficultés à soi-même et à autrui. Il n’y a de respect ni pour notre propre vie
actuelle ni pour celles du futur.
Une personne dénuée de scrupules pourra suivre n’importe quels esprits s’élevant dans son continuum
mental, sans considération pour les conséquences. Considérant cela, quelques érudits contemporains
de l’Abhidharma ont mentionné qu’Hitler et d’autres mégalomanes ont causé des souffrances énormes
à cause d’un manque total de respect de soi. Il est très intéressant de considérer le terme tibétain, ngotsa mé-pa. Ngo signifie visage, tsa chaud et mé-pa absence. Littéralement, le sens du terme est donc
«absence de visage chaud » - vous ne ressentez pas la chaleur sur votre visage (i.e. vous ne rougissez
pas), il n’y a pas de sentiment de prendre soin de vous-même. L’impudence est un facteur mental très
intéressant.
En contraste, trèl mé-pa, le manque de considération pour autrui, n’est pas un manque de respect
envers soi-même mais envers les autres – au sens le plus large cela se réfère à tous les êtres. (La
prétention comporte également un manque de considération pour les autres mais c’est une attitude plus
complexe).
Traditionnellement, les maîtres spirituels, nos parents et amis et les gens qui sont très bons pour nous
sont mentionnés en connexion avec cette attitude. Nous avons un manque de respect pour eux ; peu
importe combien d’efforts ils font pour nous aider, nous ignorons complètement leur bonté. S’il vous
manque cette sorte de respect pour les autres, ce facteur mental entre en jeu et cause beaucoup de
difficultés et de souffrances.
c) dérivés de l’attachement et de l’ignorance
Ce groupe au centre se rapporte à un niveau très grossier d’attachement et d’ignorance.
Les préjugés contiennent un élément de colère mais leur caractère principal est
l’ignorance et l’attachement. Les esprits de ce groupe diffèrent du suivant en ce qu’ils
sont principalement connectés à nos attitudes mentales. L’esprit influencé par les vues
fausses de notre société est un esprit irrationnel qui cause de nombreux problèmes. Ce
sont des niveaux extrêmement grossiers d’esprit qui peuvent provoquer
de nombreux autres états d’esprit perturbés.
Les préjugés raciaux sont un esprit subissant l’influence de la société et ils entraînent
souvent l’irrespect, la haine et la cruauté. Pourquoi cet esprit se produit-il ? Il peut y avoir
beaucoup de raisons. La crainte en est une. Habituellement, ceux qui ont une attitude
raciste ont peur de perdre leur identité ou quelque avantage perçu. L’orgueil, la saisie du
soi et la haine de soi peuvent aussi alimenter le racisme.
39
Dérivés de
l’attachement et
de l’ignorance
- passions
irrationnelles*
- esprits
socialement
influencés
- préjugés*
- passion pour le
pouvoir*
d) dérivés de l’ignorance
Le groupe qui commence avec la léthargie est également reliée à l’ignorance. Ce
sont des esprits, tels que la lourdeur d’esprit, l’oubli et la paresse qui ont
complètement perdu leur énergie, leur clarté et leur intensité. Ils ont complètement
sombré. Avec l’orgueil ou la colère il y a une intensité mais d’une manière néfaste.
Ici il n’y a pas d’intensité.
Le chagrin se trouve également ici, parmi les autres esprits qui ont perdu leur force.
Mais le chagrin n’est-il pas un esprit très puissant ? Ce peut l’être. Et il peut aussi
être fortement relié à l’attachement. Quand nous éprouvons du chagrin parce qu’un
parent est mort cela a souvent un rapport avec un sentiment de perte. Nous
sommes attachés à lui et maintenant il est parti. Ces groupes ne sont donc pas
rigoureusement précis.
Le chagrin est mêlé à beaucoup d’autres esprits, mais les sensations de base du
chagrin sont la confusion et l’inutilité et celles-ci sont liées à la lourdeur d’esprit. Quand
le World Trade Centre a été détruit par des terroristes, de nombreuses personnes ont
dit se sentir « à plat » et désorientées pendant plusieurs jours. C’est seulement plus tard
que les nombreuses autres émotions complexes se sont manifestées. Le chagrin est
cette sensation d’être à plat (ou vidé) .
d) dérivés de la colère
Les attitudes du dernier groupe découlent de la colère. Quand les facteurs mentaux de
ce groupe se manifestent, nous, personnes ordinaires, comprenons de toute évidence
qu’ils sont très déplaisants. Ils causent problèmes et difficultés, cependant, certains,
comme la colère, semblent parfois offrir un soutien. Mais si nous regardons bien, nous
verrons que leur résultat est toujours à l’opposé, nous causant souffrance et difficultés.
Ces facteurs mentaux – la colère, la jalousie, le ressentiment, etc. – sont tous en nous,
attendant de se manifester. Il suffit juste que les causes et conditions extérieures soient
là. Une des choses positives à propos de ce groupe est que ces états d’esprit sont très
faciles à reconnaître quand ils se manifestent, à l’opposé du groupe des dérivés de
l’attachement, dont, mis à part certains types d’attachements grossiers qui « sautent aux
yeux », nous ne sommes généralement pas conscients. Si nous sommes attentifs, nous
pouvons habituellement observer comment les esprits de ce groupe fonctionnent.
Dérivés de
l’ignorance
- léthargie
- oubli
- inattention
- paresse
- manque de foi
- sensation
d’impuissance*
- désillusion*
- culpabilité*
- haine de soi*
- chagrin*
- auto-trahison*
- sous-estimation
de soi*
- dépression*
Dérivés de la
colère
- suffisance
- colère
- vengeance
- courroux
- rancune
- jalousie
- cruauté
- ressentiment*
- revanche*
2. Comment les perturbations secondaires sont acquises
Les évènements mentaux de la troisième subdivision ont souvent quelque chose à voir avec notre
environnement et notre éducation. Très généralement, si nous avons eu une enfance pénible, il y a de
fortes chances pour que nous ayons ces niveaux grossiers d’esprits nocifs, alors que si nous avons eu
une enfance choyée et heureuse c’est moins probable.
Bien que, bien sûr, ces perturbations soient connectées à nos empreintes karmiques antérieures, elles
sont pourtant reliées très fortement à cette vie ci –comment nous avons été élevés, comment nous avons
été éduqués, combien nous avons d’informations permettant de traiter ces problèmes mentaux. Elles ne
sont pas innées de la même manière que les esprits des autres subdivisions.
Par exemple, le stress et la dépression peuvent être le résultat de la façon dont notre société fonctionne
et de la manière dont elle nous conduit dans un tel état, mais je pense tout de même qu’ils sont tous
deux reliés à l’ignorance.
Le stress et la dépression viennent souvent du surmenage. Nous travaillons beaucoup, n’avons pas
assez de temps pour se relaxer, on n’a même pas le temps de réfléchir à ce qui se passe dans notre vie.
Nous voulons le bonheur et nous pensons que le confort et les possessions sont le chemin du bonheur
40
alors nous travaillons dur pour les obtenir et créons tellement de stress que cela nous rend totalement
déprimés et malheureux. Il y a de toute évidence ici un niveau très grossier d’ignorance qui est à l’œuvre.
C’est la même chose pour les autres formes d’ignorance comme la forte dépendance au tabac. Il y a
bien un élément physique mais il y a aussi un très fort attachement psychologique. Nous en connaissons
tous les dangers et pourtant il y a un fort désir, ignorant, de fumer. J’espère que je ne vexe pas ceux qui
ont une dépendance au tabac. C’est à chacun de choisir. J’ai moi-même d’autres dépendances comme
regarder la télévision. Je ne peux m’arrêter. Je sais que c’est mauvais pour mes yeux, je sais que je
gaspille mon temps, mais pourtant je ne peux m’arrêter.
Ces choses sont très grossières. Ces obsessions – ces évènements mentaux- ne viennent pas de nos
vies antérieures ; ils ne se sont pas développés au cours de vies et de vies passées à regarder la
télévision !
Les psychologues occidentaux disent souvent que la dépression peut découler de traumatismes subis
dans l’enfance. Parce que certains n’ont pas eu une enfance normale ou ont eu des problèmes sociaux,
la dépression a, suite à cela, dominé leur vie. Mais quelles sont les raisons sous-jacentes du
développement d’un facteur mental de cette sorte ? Du point de vue bouddhiste ces conditions certes
contribuent bien à se retrouver dans cette situation mais la cause principale est qu’ils ne reconnaissent
pas les niveaux grossiers de cause à effet au sein d’eux-mêmes et au sein des gens qui les entourent.
Les personnes qui sont portées sur l’alcool peuvent comprendre que si elles boivent et s’enivrent, elles
vont perdre la tête et faire un beau gâchis. Elles peuvent très bien comprendre cela et l’avoir présent à
l’esprit mais quelque chose de plus profond les pousse. Elles n’ont pas une compréhension profonde de
la cause réelle de leur dépendance. Si elles l’avaient, alors elles pourraient avoir assez de conviction
pour essayer de changer. Quand je dis comprendre, je ne parle pas seulement de la compréhension
intellectuelle que boire cause des problèmes mais d’une compréhension réellement profonde de l’origine
de cette dépendance.
Il est trop facile, dans la psychiatrie occidentale, de mettre tous les torts sur les parents ou sur les
circonstances extérieures ; il nous faut aller plus loin. Des parents qui ne savent vraiment pas comment
survivre quotidiennement transmettront ces problèmes à leurs enfants. Ils ne seront pas capables
d’élever correctement leurs enfants et ceux-ci hériteront de ces problèmes.
Puis, bien sûr, les enfants eux-mêmes auront aussi cette sorte d’ignorance due aux antécédents
familiaux, à la façon dont ils furent éduqués, et cela causera encore plus de confusion. Quand ces
problèmes hérités de l’enfance sont ajoutés à leur confusion héritée de vies antérieures, il y a encore
plus de possibilités de tomber dans des situations très pénibles.
Ces problèmes, comme la dépression ou la sous-estimation de soi, sont si profonds qu’il est difficile de
penser d’une manière différente. Il y a de nombreux enseignements bouddhistes qui peuvent aider, mais
si nous en discutons avec un ami non-bouddhiste, mon sentiment est que de lui parler de la très
précieuse renaissance humaine est une des choses les plus utiles quand quelqu’un se sous-estime. Ce
qui ne signifie pas lui donner les enseignements traditionnels, en énumérant les huit libertés et les dix
attributs¹³, mais plutôt de lui donner un cadre qui montre que quels que soient nos problèmes nos vies
ont cependant un potentiel si grand. Ce n’est pas la peine d’utiliser les concepts bouddhistes tels que la
renaissance. Décrivez simplement combien cette vie est précieuse. Elle est précieuse. Elle possède ces
capacités et qualités incroyables.
3. Chercher l’origine dans notre propre continuum mental
En ce moment même, nous ne sommes pas en colère, nous n’avons aucun préjugé racial. Cela signifie til que nous sommes totalement libres des problèmes qui sont cités sous le titre de « ignorance de la
relation grossière de la loi de cause à effet »?
Quand on regarde comment ces problèmes découlent de la seconde subdivision qui elle-même est
causée par des esprits de la première subdivision, il est facile de voir que, bien que ces esprits ne se
manifestent pas qu’au moment présent, nous avons tous le potentiel de les développer. Nous ne
sommes pas libres de l’attachement et de l’aversion très subtils de la première subdivision. Bien sûr que
41
non ! Nous ne sommes pas des bouddhas, nous ne sommes pas complètement satisfaits. Donc, si nous
avons ces perturbations subtiles, nous avons le potentiel pour les perturbations plus grossières. Bien
qu’à présent nous n’ayons pas de sentiments tels qu’une forte malveillance ou prétention, il est pourtant
possible que ces facteurs mentaux s’élèvent.
Nous ne sommes pas déprimés, notre vie va bien, nous avons un nouveau travail et suffisamment
d’argent à la banque. Cependant, aussi longtemps que nous aurons cette ignorance fondamentale
(première subdivision) nous pourrons développer l’égoïsme (seconde subdivision). Aux côtés de
l’égoïsme, il est très facile de retrouver la déception, la colère et la frustration, qui vont entraîner la
dépression. Il est donc très bon d’analyser nos états d’esprits, et de remonter à leurs causes.
Une chose importante qui découlera de cette sorte d’analyse est de comprendre que quelque soit notre
état d’esprit, sa cause première n’est pas une condition extérieure. Nous pouvons nous sentir
désespérés parce que nous ne réussissons pas notre vie, nous pouvons être très affligés de la mort d’un
être aimé, mais le point crucial est de voir que ce sont seulement les conditions qui ont permis à cet état
d’esprit de se déclencher et que la cause principale est intérieure. C’est nous qui nous sommes vraiment
piégés nous-mêmes dans cette situation, nous en sommes l’instigateur principal. Les conditions
extérieures sont là, mais c’est nous-mêmes qui avons ouvert la porte pour tomber dans le piège.
Je ne dis pas que nous avons accueilli avec joie ces situations mais nous nous sommes ouverts à elles.
Nous leur sommes vulnérables parce que nous ne comprenons pas la relation de cause à effet à
l’intérieur de cette vie même, sans parler de la façon dont elle opère d’une vie à l’autre.
Simplement en ce qui concerne cette vie-ci, nous avons besoin d’identifier combien forte est l’influence
que notre société a sur nous. Regardez quelle part de notre vie est dédiée à des choses qui n’ont rien à
voir avec notre survie ou notre bien-être physique ou mental. Quand nous voyons toutes ces choses que
la société considère comme importantes nous pensons que nous n’en avons pas suffisamment, ou que
celles que nous avons ne sont pas suffisantes. Nous devenons jaloux ou développons un esprit de
compétition. Il est si facile de nous rendre de plus en plus prisonniers de ce cercle vicieux. Avoir un
certain confort est okay mais considérez tous ceux qui sont obsédés par leur statut social et leurs
possessions – la grande maison, la voiture onéreuse. Etre en bonne santé est bien mais tant de gens
dépensent une fortune pour s’entraîner dans des clubs de gymnastique hors de prix.
Quand nous nous méprenons ainsi sur la réalité il est très facile de devenir obsédé. Et puis, quand notre
obsession nous déçoit, comme cela doit arriver tôt ou tard, il est très possible de faire alors une
dépression.
Identifier de manière erronée les causes de notre bonheur et de notre malheur accroîtra notre souffrance.
Je vous suggère de considérer la troisième subdivision et d’en faire ressortir les problèmes mentaux que
vous pensez avoir. Je ne pense pas qu’il soit là question d’enseignements bouddhistes. Simplement,
considérez vos propres problèmes et essayez de penser comment vous pouvez efficacement en venir à
bout.
Prenez un ou deux facteurs mentaux qui vous causent de la souffrance, puis, comme pour une
expérience, remontez à leur source. Faites une méditation analytique pour rechercher quelle est la cause
de ce facteur mental. Regardez quelle est l’énergie la plus subtile qui l’a causé. Puis regardez ce facteur
mental et essayez de voir d’où il vient. Voyez jusqu’où vous pouvez aller en remontant à l’origine de votre
problème.
Prenez la dépression comme exemple. J’ai entendu ce terme des centaines de fois depuis que je suis en
Occident mais je n’ai pas encore saisi ce qu’il signifie réellement. J’ai rencontré des gens qui sont dans
cet état dépressif, mais quand nous en parlons il n’y a pas de réponse claire quant à la raison de cet état.
Quel est le lien ? Quelle est la cause principale ? Il est vraiment difficile d’aller au fond du problème.
Généralement parlant, j’ai entendu dire que les gens qui sont dans cet état ne veulent pas parler ou
manger et ne peuvent plus dormir. Ce sont les symptômes. Très souvent quand les gens sont déprimés il
n’y a pas d’énergie dans l’esprit et donc il n’y a pas d’énergie pour analyser réellement la situation et
trouver comment s’en sortir. Ils sont souvent sous médicaments, ce qui les aide à vivre mais qui rend une
guérison à long terme encore plus difficile.
42
J’ai connu deux ou trois personnes qui se forçaient à venir aux sessions de méditation et faisaient de
simples méditations sur le souffle. Maintenant ces personnes vont très bien. Elles ne prennent plus
aucun médicament et sont vraiment sorties de cet état. Je pense que c’est parce qu’elles ont fait en sorte
de trouver l’espace de commencer à comprendre leur esprit et, à partir de là, ont réussi à résoudre leurs
problèmes. Bien que, bien sûr, elles ne soient pas consciemment remontées à la source de leurs
problèmes à travers les subdivisions, elles doivent avoir recherché les causes des problèmes immédiats
pour les résoudre, puis recherché les causes plus profondes pour les traiter également. C’est en fait ce
que nous venons d’étudier ici avec les trois subdivisions.
4. Où est la colère ?
Nagarjuna, dans son texte « Les Stances Fondamentales », (Mulamadhyamakakarika) dit que
l’ignorance est partout présente dans notre conscience de la même manière que notre conscience
corporelle est partout présente dans notre corps. De cette façon, l’ignorance recouvre complètement nos
consciences mentales et sensorielles.
Considérant tous ces différents états mentaux je peux voir que, bien que je dise « je suis en colère », en
réalité c’est erroné. Nous sommes dupés par le langage, qui nous dit « je suis en colère » c’est-à-dire, je
suis identique à ma colère, je = colère. Bien sûr, il n’en est pas ainsi. La colère est juste un évènement
temporaire qui se passe dans notre continuum mental mais nous voyons le ‘vrai’ je comme étant
identique à la ‘vraie’ colère. Ceci me montre vraiment combien est profonde notre confusion au sujet des
événements qui se produisent dans notre existence.
Cette colère que nous percevons se produit au niveau le plus grossier de notre esprit, dans la troisième
subdivision, mais on peut remonter à son origine jusqu’au niveau le plus subtil, dans la première
subdivision. On peut voir alors qu’elle se produit à cause de notre incompréhension fondamentale de la
nature des choses et des évènements. Nous percevons les choses impermanentes -telles que notre
corps, notre « je », nos possessions- comme ayant une sorte de permanence et nous pensons qu’il y a
une sorte de « je » tangible, solide, trouvable. Quand nous disons que nous sommes en colère, nous
ressentons qu’il y a un « je » réel et une colère « réelle ». De la même manière, nous croyons que nos
possessions et les autres objets matériels sont la source de notre bonheur, et plus nous les considérons
de cette manière, plus ils nous dupent.
Si nous commençons à considérer notre colère, ou n’importe quelle émotion que nous ressentons,
comme un évènement mental impermanent, qui se produit dans notre continuum mental, en perpétuel
changement, d’une entité qui est simplement étiquetée « je », cela nous aidera à mettre en morceaux
nos concepts solides et leur emprise sur nous. Bien évidemment nous étudierons cela plus profondément
dans notre module sur la vacuité.
43
CHAPITRE QUATRE
LES FACTEURS MENTAUX VERTUEUX
page
Les esprits positifs de la première subdivision
1- Les facteurs mentaux vertueux de la première subdivision
a) non-attachement
b) non-haine
c) non-ignorance
46
2- Avoir la vue correcte de la vacuité
Les esprits positifs de la deuxième subdivision
48
1- le Noble Chemin Octuple dans la deuxième subdivision
2- compassion et confiance en soi
3- Comprendre la loi de cause à effet est nécessaire pour développer une compassion véritable
Les esprits positifs de la troisième subdivision
1- les esprits que nous pouvons développer dès à présent
a) la bienveillance
b) le calme
c) l’optimisme
d) la confiance
e) l’attention
f) l’équanimité
2- Le Noble Chemin Octuple dans la troisième subdivision
3- Travailler pour des buts à long terme
44
50
50
53
54
CHAPITRE QUATRE
LES FACTEURS MENTAUX POSITIFS
Troisième Subdivision
Effort juste
Action juste
Parole juste
Moyen d’existence juste
 Nécessite une compréhension claire de
la loi de cause à effet
Deuxièm e Subdivision
Attention juste Concentration juste
 bienveillance
 confiance
 Besoin de rechercher l’information correcte
 Constante attention aux actions de nos corps,
parole et esprit
Première Subdivision
Vue juste Pensée juste
 attention
optimisme
 joie
 bonté aimante
 non attachement
 non haine
 non ignorance
 compassion
 altruisme
 équanimité
Etat de calme
 s’efforcer à agir de façon juste
 action pour le long terme
 Nécessité de connaître la façon correcte de pourvoir
aux besoins tels que la nourriture,
des amis, un nom et un endroit pour vivre.
45
Les esprits positifs de la première subdivision
1. les facteurs mentaux vertueux de la première subdivision
Gueshé Rabten dans The Mind and its Functions (p. 125-136) explique la liste traditionnelle des onze
facteurs mentaux vertueux comme : la foi, le respect de soi, la considération pour autrui, le
détachement, la non-haine, la non-confusion, l’enthousiasme, la souplesse, la conscience morale,
l’équanimité et la non-violence. Je pense que je simplifierai cette liste en la condensant en les opposés
des trois poisons. Mon sentiment est que tous nos esprits vertueux racines peuvent être inclus dans :
a) le non-attachement
b) la non-haine
c) la non-ignorance.
De la même manière que nous pouvons placer les facteurs mentaux non vertueux dans les trois
subdivisions en dépendance de leurs degrés de subtilité ou de grossièreté, nous pouvons faire la même
chose pour les esprits vertueux. Avant que nous puissions vraiment développer les esprits positifs des
première et seconde subdivisions, il faut que nos états mentaux de la troisième subdivision soient bien
établis. Ils sont la base sur laquelle les esprits positifs des autres subdivisions se développeront. C’est
très important à savoir. Avant de pouvoir développer la compassion, il nous faut avoir développé
l’équanimité et l’attention, à un certain degré. Il nous faut donc initialement travailler sur les esprits de la
troisième subdivision.
Mais bien que les esprits positifs de la troisième subdivision soient puissants pour contrer les niveaux
grossiers de difficultés mentales des facteurs mentaux non vertueux de la troisième subdivision, ils n’ont
pas d’action efficace sur ceux qui sont plus profondément enracinés. La bienveillance ou un état d’esprit
calme ne sont pas de véritables antidotes à notre attitude « égo-centrée ».
Quand le bouddhisme parle des trois principaux facteurs mentaux sains – le non-attachement, la nonhaine et la non-ignorance – il explique en fait la nature fondamentale de notre esprit. La nature
élémentaire de notre esprit est libre d’attachement, de haine et d’ignorance.
a) non-attachement
Naturellement, le non-attachement est l’opposé de l’attachement. Pouvons-nous développer le nonattachement envers quelque chose d’aussi cher pour nous que notre corps ? Le bouddhisme dit que
oui. Ce qui n’implique pas de négliger notre corps et notre santé. Le non-attachement envers notre
corps viendra naturellement quand nous commencerons à comprendre la nature de ce corps. Observer
tous les aspects du corps dont nous ne sommes pas normalement conscients (voir qu’il est fait de chair
et d’os recouverts de peau, reconnaître simplement sa nature, comprendre sa réalité) nous aidera à
développer le non attachement envers ce corps. Donc, non-attachement signifie en réalité
« comprendre sa nature ».
En plus que d’être simplement une collection de parties, la nature du corps est aussi d’être en perpétuel
changement. Au fur et à mesure que le temps passe, je peux voir de plus en plus de rides sur mon
visage et j’ai de plus en plus de cheveux gris. J’ai une photo de moi à l’âge de neuf ans en pension.
Mes mains étaient si petites, maintenant elles sont immenses ; et ma peau était si souple mais
maintenant elle est rugueuse. Même à un niveau subtil, mon corps change tout le temps. A partir de la
compréhension de la nature des choses le non-attachement va se développer, de manière naturelle.
Peut-être possédons-nous un bel objet, une antiquité ou autre chose. En observant ses parties et son
impermanence nous pouvons arriver à comprendre sa nature plutôt que de voir seulement combien il
est coûteux ou combien les autres l’admirent. Et nous pouvons commencer à voir son autre aspect :
peu importe sa beauté ou sa valeur, il a le potentiel de nous apporter de la souffrance.
De la même manière mon corps peut m’apporter de la souffrance. Peut-être qu’aujourd’hui je me sens
bien et en forme mais il est possible que d’ici une heure j’ai une migraine. Tous les objets qui ont le
potentiel de nous apporter du plaisir ont aussi le potentiel de nous apporter souffrance, soucis et peurs.
46
Plus l’objet que nous possédons est coûteux et plus nous craignons qu’il soit détruit ou volé. C’est la
nature de notre esprit et la relation que nous avons avec les objets.
Gueshé Rabten appelle le non-attachement « détachement » et il dit que c’est un esprit qui :
« nous donne la capacité de voir plus clairement et objectivement et de ce fait de concentrer
notre attention et notre énergie sur l’accomplissement de buts vraiment valables… C’est l’esprit qui
nous retient d’un investissement compulsif dans les objets grâce à la compréhension de sa véritable
nature. »
Le non-attachement est la connaissance de la nature de notre esprit et, grâce à cela, la capacité de ne
pas suivre notre tendance habituelle et de ne pas nous retrouver complètement sous l’emprise de
l’attachement. Peut-être que l’autre traduction, le détachement, peut alors être un peu trompeuse. Pour
moi celle-ci suggère un rejet de l’objet, ce qui est une forme d’aversion.
Le non-attachement n’est pas un état dénué de sensation. Il n’en est pas ainsi. C’est un esprit qui
fonctionne à part entière, qui opère totalement, mais pour lequel il n’y a pas de saisie envers les choses
telles que nos possessions, nos amis ou notre propre corps. Notre esprit perçoit l’objet sans aucune
saisie. Il y a une sensation bien sûr, il y a un sentiment, mais il n’y a pas de saisie et l’on ne désire pas
avoir encore plus.
b) non-haine
De nouveau, la non-haine est une des qualités élémentaires de notre esprit. Quand nous disons que
notre esprit est libre de haine, nous parlons de l’esprit qui n’a pas de sentiment d’aversion ou de
discrimination, considérant certains êtres comme des amis, certains comme des ennemis et d’autres
comme des étrangers. Cet esprit a la qualité d’amour, pas seulement envers soi-même mais aussi
envers les autres, sans aucune discrimination. Il a la compréhension des souffrances des autres et la
compréhension du bonheur authentique.
La non-haine est la meilleure qualité de notre esprit – plus cette qualité augmente, plus nous
développons l’amour. Nous obtiendrons véritablement la paix de l’esprit seulement quand nous aurons
développé la non-haine. Ce qui ne signifie pas que nous devrions simplement nous soumettre aux abus
et à l’exploitation de ceux qui nous font souffrir, ni que nous devrions accepter la souffrance et la peine
sans nous poser de questions. Nous n’avons pas à devenir un paillasson. D’un autre côté, dans tout ce
que nous faisons, il nous faut protéger nos intérêts et ceux des autres, de façon égale, sans partialité,
ce qui ne peut être fait que si nous avons dans notre cœur une non-haine authentique.
c) non-ignorance
La non-ignorance est la sagesse. Etre libre de la confusion est une des qualités fondamentales de notre
esprit. Il y a de nombreux niveaux différents de confusion dans notre esprit mais ici nous parlons du
niveau de confusion le plus profond, le plus subtil. La non-ignorance c’est être libre de cette confusion
mais ce n’est pas un esprit passif ; il est plein de sagesse et de compréhension et un tel esprit est très
clair et actif.
Gueshé Rabten l’appelle non-confusion et dit que c’est :
« un facteur mental distinct qui s’élève soit d’une disposition innée, soit de l’étude, de la
réflexion ou de la méditation. Il agit comme un remède à l’ignorance et accompagne l’intelligence
ferme qui analyse minutieusement la nature véritable des objets…
(La sagesse) est une clarté et une acuité d’esprit qui élimine la confusion vis à vis d’un objet
particulier. »
La sagesse n’est pas identique à l’intelligence bien qu’elles soient toutes deux souvent associées.
47
2. Avoir la vue correcte de la vacuité
Dans le bouddhisme tibétain, la sagesse est la compréhension de la nature de la réalité – que toutes les
choses sont vides d’existence inhérente. De manière ultime, il nous faut nous attaquer à la source de
nos problèmes, particulièrement à la confusion fondamentale à propos du soi, des choses et des
évènements. Cette confusion est plus que l’ignorance de la loi de cause à effet ; elle est vraiment la
notion fausse innée du soi. L’instrument ultime pour traiter avec cette sorte d’esprit erroné est la
compréhension correcte de la vacuité. Sans cet esprit réellement très puissant, c’est très difficile.
Cette compréhension de la vacuité, cette sorte de réalisation, pourra se développer uniquement quand
notre esprit sera stable, clair, facilement concentré et aiguisé. A partir de ce point de départ, il nous faut
effectuer une forte analyse intellectuelle. « Est-ce que les choses et les évènements existent tels qu’ils
apparaissent ou y a-t-il discordance entre leur apparence et leur mode d’existence véritable ? Ils nous
apparaissent comme dotés d’un caractère très inhérent mais est-ce correct ? » C’est avec cette sorte
de processus intellectuel, allié à la concentration, que la réalisation de la vacuité sera obtenue. La
nature fondamentale de notre esprit est libre de toutes conceptualisations. Pour atteindre l’état où tous
les esprits conceptuels sont complètement éliminés de notre esprit, nous avons besoin de toutes les
qualités mentales vertueuses que nous avons développées dans la seconde et troisième subdivision.
Particulièrement pour ceux qui veulent suivre le bouddhisme Mahayana, la sagesse qui réalise la
vacuité doit être combinée avec l’esprit altruiste ou compassion. Quand ces deux vont de pair, le
résultat sera l’Eveil complet. La sagesse qui réalise la vacuité, seule, ne nous amènera pas aussi loin.
Elle nous amènera jusqu’au nirvana mais pas plus loin.
Quand nous comparons les enseignements Mahayana et Théravada, ils soulignent des points tout à fait
différents. Dans les enseignements Mahayana la motivation principale est d’être bénéfique aux autres ;
nous essayons de centrer notre pratique sur cela. La motivation principale dans la tradition Théravada
est la libération. Il semble donc qu’il y ait une nette différence du côté des enseignements. Mais en ce
qui concerne les pratiquants, pris individuellement, cependant, il est difficile de réellement déterminer
qui est un véritable pratiquant mahayaniste et qui est un pratiquant théravadin. Il se peut que quelqu’un
étudie, pratique et récite tous les textes les plus élevés du Mahayana mais ne soit pas un véritable
Mahayaniste, et il se peut aussi que quelqu’un ne se dise même pas bouddhiste mais pratique pourtant
les enseignements bouddhistes du Mahayana.
Les esprits positifs de la deuxième subdivision
1. le Noble Chemin Octuple dans la deuxième subdivision
Vous verrez que sur le tableau au début du chapitre 4, j’ai classé chaque entraînement du Noble
Octuple Sentier dans une des subdivisions. Dans la troisième subdivision, il nous faut être attentifs à
nos actions verbales et physiques, alors que dans la seconde subdivision nous devons aller plus loin ;
nous avons besoin des entraînements utilisés pour centrer l’esprit : l’attention et la concentration.
L’attention ici consiste à être attentif à la nature de l’impermanence, à être constamment conscient que
tous les phénomènes contaminés, y compris notre corps et notre existence, ont la nature d’apporter la
souffrance.
De la même manière, la concentration juste est plus que d’avoir un esprit calme, doux, confiant et
optimiste. C’est plus que d’être seulement libre des distractions grossières et de la lourdeur d’esprit ; il
s’agit d’un esprit qui peut facilement se concentrer sur ce qu’il veut, avec clarté et stabilité.
Cette sorte d’esprit est nécessaire pour vraiment développer la compassion et l’altruisme (dans la
deuxième subdivision) et la réalisation de la vacuité (dans la première). Pour développer ces qualités,
nous avons besoin d’une concentration vraiment bonne, capable de se centrer aisément sur ce que
nous voulons et d’y rester aussi longtemps que nous le désirons avec à la fois clarté et intensité.
Cet esprit de la seconde partie est l’esprit de shiné ou shamatha, l’esprit qui est totalement libre de la
lourdeur, de la léthargie subtile. Très souvent, quand nous focalisons notre esprit, bien qu’il soit
concentré il n’y a pas d’intensité. Le relâchement et la léthargie sont encore présents. Mais quand nous
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obtenons le calme mental véritable, au moment même où il y a concentration sur l’objet, il y a une
intensité très claire et très vive.
2. Compassion et confiance en soi
La bonté aimante, l’altruisme et la compassion sont importants dans la seconde subdivision parce qu’ils
contrent le facteur mental nocif correspondant de la seconde subdivision, l’égocentrisme ou le fait d’être
concerné uniquement par soi-même, qui est un des éléments mentaux principaux qui nous causent des
problèmes. L’esprit égo-centré, égoïste, est amené et créé par l’ignorance de la relation de la loi de
cause et effet. Pour traiter avec cette sorte d’esprit où notre propre bienfait vient toujours en premier,
sans considération pour les sentiments et pensées des autres, la seule solution est un de ces esprits :
la bonté aimante, l’altruisme ou la compassion.
Plusieurs des attitudes néfastes de la troisième subdivision – peur de la perte, préjugés, etc. –
découlent de cet esprit égoïste. Ils ne sont pas toujours actifs ; ils peuvent être totalement inconscients.
Ils peuvent sembler ne pas opérer dans notre vie mais ils restent pourtant présents, dirigés par
l’égoïsme. Si nous voulons nous débarrasser même des effets subconscients de ces esprits, nous
devons développer les antidotes, la bonté aimante, la compassion et l’altruisme.
Nous devons bien faire la distinction entre l’égocentrisme et la confiance en soi. Le bouddhisme dit que
l’égocentrisme est un esprit erroné mais cela n’a rien à voir avec la confiance en soi. Sans confiance en
ce que nous faisons, comme par exemple notre pratique, nous ne réaliserons pas ce que nous voulons
réaliser. La Bouddhéité ou le nirvana ou des choses temporaires comme un esprit paisible ne peuvent
être réalisés sans la confiance.
De même, quand les écrits bouddhistes traditionnels disent que la source de toutes les souffrances et
problèmes est l’égocentrisme, ils ne préconisent pas la négligence de soi. Se négliger soi-même est
erroné. Rappelez-vous le soutra que nous avons cité dans le module des Quatre Nobles Vérités, le
Dhammacakkappavattana-sutta, où le Bouddha dit « les deux extrêmes devraient être abandonnés ».
Un de ces deux extrêmes est la négligence de soi.
Il est donc très important de comprendre ce que signifie dans le bouddhisme l’égocentrisme qui est la
source de toutes les souffrances. Ce n’est ni la confiance en soi, ni la négligence de soi.
Avec l’égocentrisme il y a une très forte notion de soi, le sentiment que le soi est quelque chose
d’indépendant, quelque chose de trouvable. Et avec cette notion erronée vient un besoin de protéger ce
soi, ce qui se fait en négligeant les droits des autres et les sentiments, pensées et bonheurs des autres.
Pour venir à bout de cette fausse notion de soi, la bonté aimante, la compassion et l’altruisme sont très
importants. Nous parlerons de la manière de les développer dans le prochain module mais ici il est bon
de connaître l’enchaînement – de savoir qu’afin de développer l’esprit de compassion de la seconde
subdivision il nous faut d’abord avoir développé les facteurs mentaux positifs de la troisième.
3. Comprendre la loi de cause à effet est nécessaire pour développer la véritable
compassion
Pour développer une compassion envers les autres ou soi-même vraiment authentique, sincère, il est
nécessaire que nous ayons une compréhension claire de la loi de cause à effet. Sans celle-ci notre
compassion pourrait être émotionnelle plutôt que réelle.
Quelle est la différence ? Quand nous rencontrons des gens en proie à des difficultés physiques ou
mentales, nous éprouvons un certain sentiment pour eux, nous souhaitons qu’ils soient libérés de ces
difficultés. Mais cette compassion est très limitée. Nous ne ressentons tristesse ou compassion que
quand
nous
voyons
des
gens
en
proie
à
des
problèmes
grossiers.
La compassion dont il est question dans le bouddhisme ne se situe pas seulement à ce niveau. La
véritable compassion implique de vraiment prendre conscience du potentiel qu’ont tous les êtres de
souffrir. Ce potentiel est toujours présent que nous soyons en train de faire face à des problèmes
superficiels ou non. Habituellement, nous ne ressentons pas de compassion pour les gens qui ont du
bon temps, n’est-ce pas ? Voir des gens aller à la plage, naviguer sur un gros yacht, se faire bronzer et
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toutes ces choses ne nous fait pas normalement éprouver de la compassion ; en fait nous éprouvons
plutôt de l’envie ou de la jalousie. C’est la preuve que nous n’avons pas compris que tous ces gens ont
le potentiel d’éprouver l’éventail tout entier des souffrances mentales et physiques. Nous ne voyons pas
qu’il est en fait tout à fait possible qu’ils souffrent mentalement bien davantage que ceux qui ne sont pas
dans une telle situation extérieure « fortunée ».
Il nous est nécessaire d’éprouver une compassion réellement authentique, sans aucune discrimination,
sans prendre en compte l’arrière plan ni la situation superficielle. Pour avoir ce genre de compassion il
nous faut acquérir une bonne compréhension de la loi de cause à effet. Si nous l’acquérons cela nous
aidera à développer une compassion authentique, impartiale. C’est important, n’est-ce pas ?
Selon le bouddhisme, la compassion partiale – où nous divisons les êtres sensibles en ceux pour
lesquels nous éprouvons de la compassion et ceux pour qui nous n’en avons pas – n’est pas la
compassion véritable mais fait partie de l’attachement. Si nous avons des sentiments différents envers
certains groupes alors quelque chose n’est pas correct. Comprendre vraiment la loi de cause à effet
nous montrera comment chaque être sensible a le même potentiel de souffrir et nous aidera à
développer une compassion véritable et impartiale.
Les esprits positifs de la troisième subdivision
1. Les esprits que nous pouvons développer maintenant
Pour obtenir l’éveil, il nous faut donc avoir la réalisation directe de la vacuité et bodhicittta, et, pour avoir
celles-ci, il nous faut la compassion, la bonté aimante et la concentration. Ce sont des esprits des deux
premières subdivisions, mais nous sommes ici dans la troisième. Que devons nous faire à ce point ?
J’ai mis les sortes d’esprits positifs qu’il nous faut développer maintenant dans le cercle extérieur du
tableau.
a) la bienveillance
La bienveillance ne consiste pas seulement à montrer un visage souriant aux autres quoi que nous
ressentions, mais à développer au plus profond de soi un caractère chaleureux, amical, envers soimême autant qu’envers autrui.
Je pense que la bienveillance est vraiment très efficace pour contrer les problèmes très grossiers tels
que le sentiment de solitude ou la peur de la perte. Cela crée un fort lien social avec la société dans
laquelle nous vivons et fournit un support émotionnel pour nous-mêmes et les gens avec lesquels nous
entrons en contact. Au départ il se peut que nous devions nous forcer un peu et nous pousser à sortir
dans la société, mais d’une certaine manière c’est la meilleure pratique bouddhiste. Après tout, nous
avons pris le vœu d’aider tous les êtres, comment donc pourrions-nous ne serait-ce que commencer à
le faire sans entrer en contact avec eux ? Il y a de nombreuses pratiques bouddhistes mais les plus
inspirantes sont la bonté aimante et la compassion envers autrui et ces deux pratiques se développent
à partir de la bienveillance.
L‘exclusion sociale est un problème important à notre époque. J’ai lu un article d’un psychologue
occidental qui explique pourquoi en Occident il y a de plus en plus de problèmes de dépression et de
solitude. De tous les facteurs qu’il abordait, le plus fort à mes yeux était le manque d’appartenance que
beaucoup d’entre nous ressentent actuellement.
Dans le passé il y avait l’église ; les gens appartenaient à une église particulière et cela entraînait un
sentiment de communauté. Mais de nos jours cette sorte d’appartenance sociale devient de moins en
moins courante. Les contacts sociaux sont très importants pour contrer la solitude. Il nous faut faire
l’effort d’avoir des relations avec d’autres personnes. Pas seulement pour avoir du bon temps mais pour
des raisons plus profondes, afin de sentir que nous faisons partie du monde.
Mais comment s’en sortent les méditants qui partent dans les montagnes ? Ils peuvent sembler être très
seuls. Je pense que s’ils méditent correctement, ils ne sont pas vraiment seuls. Dans le bouddhisme
tibétain nous avons toutes sortes de visualisations, nous visualisons tous les bouddhas et bodhisattvas
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et tous les êtres sensibles autour de nous. Pour les personnes qui méditent vraiment intensément, ces
visualisations vont au delà de la simple imagination, elles sont des sensations très vivantes. Ces
méditants ressentent profondément que tous les êtres vivants les entourent et participent réellement à
la pratique. Avec tant de gens rassemblés dans sa grotte, comment le yogi pourrait–il se sentir seul ?
J’ai connu plusieurs moines qui avaient été en retraite pour plusieurs années, mais je n’ai jamais perçu
aucun sentiment de solitude chez eux.
Faire partie d’une communauté est donc très important pour nous soutenir et pour stabiliser nos
émotions, sans osciller d’un extrême à l’autre, de la surexcitation à la dépression. Pour cela la
bienveillance est très importante.
b) le calme
Bien sûr une sensation de calme est importante. Regardez comment notre esprit court après les objets
actuellement. Nous sommes si facilement obsédés par les choses, exagérant leurs qualités. Cette
obsession est l’opposé du calme, c’est un esprit en état d’agitation. La saisie et l’obsession font perdre
son équilibre à notre esprit. Le calme combiné à l’attention est le bouton qui va s’épanouir en la fleur du
calme mental (shiné).
c) l’optimisme
Si vous lisez des textes bouddhistes comme le lam-rim, un point très important est mis en valeur, c’est
combien notre vie est précieuse : cette «précieuse renaissance humaine ». Si nous pouvons vraiment
prendre conscience de l’opportunité unique et merveilleuse que nous avons en ce moment même, nous
nous sentirons naturellement très optimistes. Je trouve l’optimisme très utile pour contrer les problèmes
mentaux grossiers comme la sous-estimation de soi. Bien sûr, actuellement nos vies ont toutes des
aspects négatifs mais il n’y a pas que cela. Si nous considérons vraiment, honnêtement, notre situation,
nous verrons beaucoup d’aspects qui poussent à l’optimisme. Comprendre les énormes possibilités que
nous avons nous sortira naturellement de la dépression ou de la sous-estimation dont nous souffrons.
Selon le bouddhisme, le potentiel humain est immense, étonnant. Pas seulement ce que nous pouvons
voir de nos yeux – toute cette technologie avec laquelle nous vivons – mais le potentiel de nos esprits.
Nous pouvons voir que beaucoup d’êtres ont une très grande sagesse et un esprit très vaste. C’est vrai.
Je ne parle pas des décades ou des siècles passés. Même dans nos vies nous pouvons rencontrer de
nombreux maîtres merveilleux qui ont une grande sagesse et une grande compassion. Ce sont eux
aussi des êtres humains – ce ne sont pas des anges ; ils ne viennent pas d’une autre planète – ce sont
des êtres humains comme nous. Ils ont développé ces grandes qualités en se servant d’un corps
semblable au notre. Les techniques qu’ils ont utilisées et les textes qu’ils ont lus sont les mêmes que
ceux que nous utilisons.
Il est trop facile de s’appesantir sur les aspects négatifs de notre existence. Bien sûr il y a des
problèmes dans la vie de chacun, bien sûr il y a un côté sombre. Mais il est important de relativiser les
choses et de voir tous les aspects positifs de notre vie. De là se développera un grand sentiment
d’optimisme.
Comme vous le savez, il y a quelques années des psychologues occidentaux et des érudits
bouddhistes se sont rencontrés avec Sa Sainteté le Dalaï Lama. Quand quelqu’un a dit qu’en Occident,
beaucoup de gens avaient des problèmes de haine envers eux-mêmes, Sa Sainteté a été choquée. Il
n’avait jamais entendu dire qu’on pouvait se haïr soi-même. Bien sûr, des gens ont dû avoir cette haine
d’eux-mêmes au Tibet, mais ce n’était pas un problème majeur. De nos jours, en Occident, c’est en
train de devenir un problème de société important.
Les gens qui souffrent de cette sorte de sous-estimation d’eux-mêmes ne voient pas du tout la situation
telle qu’elle est en réalité. Si c’était le cas ils verraient que, peu importe combien ils sont pauvres ou le
nombre de problèmes extérieurs auxquels ils doivent faire face, le potentiel de l’esprit humain est
énorme. L’optimisme peut être une vraie solution à ce genre de problème.
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d) la confiance
La confiance vient aussi de la connaissance de notre côté positif. Ce peut être la confiance en soi ou ce
peut être la confiance en autre chose. De toute évidence, dans le bouddhisme, il nous est nécessaire
d’avoir confiance en le Bouddha, le Dharma et la Sangha. Vous pouvez appeler cela refuge ou foi mais
c’est le sentiment qu’ils ne nous laisseront pas tomber.
Je trouve très utile d’être simplement conscient de la manière dont les choses changent constamment.
Parfois, quand je me sens un peu déprimé à cause de certaines situations, alors je pense que toutes les
choses sont en perpétuel changement et cela me remonte le moral. Je peux voir que si je fais un effort
pour transformer ce qui me trouble cela fera une différence. Les choses changeront. Naturellement, la
situation changera, de toute manière, puisque tout est impermanent, mais j’ai la capacité de la faire
évoluer vers la situation la meilleure pour moi. Je trouve cette sorte de prise de conscience très
encourageante.
e) l’attention
Bien sûr, l’attention est vraiment très importante. On nous dit tout le temps que l’attention est nécessaire
pour développer notre méditation mais elle est également vitale pour traiter avec les émotions
grossières de la troisième subdivision. Le ressentiment, la colère, le désir de revanche – ces états
d’esprit ne peuvent survivre si nous pratiquons l’attention. Simplement être attentif est une pratique très
puissante. Nous prendrons clairement conscience de nos actions. Simplement être conscients de ce
que nous pensons agira comme un miroir et nous donnera l’espace de regarder ce qui se passe dans
nos pensées.
Simplement s’asseoir et être présent avec vos corps et esprit est attention. Sans amener à l’esprit
aucune pensée du passé ou aucun plan pour le futur, être simplement présent, dans l’instant. Par
exemple, dans la tradition Théravada, il y a une pratique qui est appelée la marche méditative qui
consiste à simplement marcher et faire attention à ses pas. Simplement cela. C’est très simple ; il n’y a
aucune explication philosophique. Nous devons comprendre que le point crucial est d’être avec notre
esprit, ici et maintenant.
Cela vous semble t-il un travail difficile ? Heureusement pour nous, nous avons de quoi nous sortir de
cela. Nous pouvons rendre notre esprit très occupé en nous remémorant toutes les histoires passées,
en faisant des plans pour le futur et en rêvassant. Nous n’avons pas le temps de penser à maintenant !
Avoir un esprit qui saute sans cesse du passé au futur est très malsain. Je ne dis pas que nous ne
devons pas avoir de souvenirs ou qu’il n’est pas besoin de préparer le futur, mais vivre constamment
avec ce qui s’est passé avant et ce qui pourrait arriver ensuite n’est pas réaliste. Les souvenirs du
passé et les rêveries sur le futur polluent notre esprit.
L’antidote est de pratiquer l’attention. Simplement pratiquer l’attention à notre marche ou aux sons
s’avère vraiment très bénéfique pour nous. Quelques personnes peuvent ne pas aimer s’asseoir et
méditer. La méditation étant devenue très à la mode, d’autres méthodes ont été développées, comme la
peinture méditative. Pourquoi pas ? En Asie, nous chantons certains mantras dans le but de concentrer
l’esprit donc pourquoi pas faire de la peinture ? Je suis sûr que beaucoup de gens savent déjà assez
bien que l’attention est une solution immédiate à des problèmes de la troisième subdivision comme
l’obsession, le manque de respect et la sous-estimation de soi.
f) L’équanimité
Ici, l’équanimité fait référence à un esprit très tranquille, libre de rêveries et de souvenirs. L’équanimité
consiste simplement à expérimenter ce qui se passe au moment même, sans mettre d’étiquettes telles
que douleur ou plaisir.
Certaines des qualités positives de l’esprit de la troisième subdivision sont associées à notre côté
émotionnel – comme la bienveillance ou l’optimisme – et d’autres sont associées à notre côté cognitif –
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comme l’équanimité ou l’attention. Un côté développe notre santé émotionnelle et l’autre nous aide à
vraiment comprendre le travail de l’esprit et, à partir de là, à améliorer ses qualités positives et à réduire
celles qui entraînent de la souffrance.
2. le Noble Chemin Octuple dans la troisième subdivision
Les choses que j’ai sélectionnées comme facteurs mentaux positifs dans la troisième subdivision
correspondent à quatre des entraînements du Noble Chemin Octuple: Effort Juste, Parole Juste, Action
Juste et Moyens d’existence Justes. Comme nous l’avons vu dans les Quatre Nobles Vérités, suivre le
Noble Octuple Sentier nous mènera à la cessation de la souffrance. La cessation peut être celle des
niveaux grossiers ou des niveaux subtils de souffrance. Ici, dans la troisième subdivision, ces facteurs
positifs traitent des niveaux grossiers de souffrances mentales.
L’attention, par exemple, réduira un tas d’activités négatives associées à notre parole (Parole Juste) et
à nos actions physiques (Action Juste). Sans l’attention nous ne serions pas conscients de ce qui se
passe dans notre vie quotidienne et ainsi nous commettrions de nombreuses actions physiques,
verbales ou mentales qui amèneraient des problèmes à nous-mêmes et aux autres. L’attention viendra
seulement quand quelque chose nous causera un choc. Par exemple, si notre partenaire nous quitte,
nous pleurons, « Qu’est-ce que j’ai fait ? ». Mais si nous avions été attentifs nous n’aurions pas besoin
de nous poser cette question.
La bienveillance a vraiment à voir avec les Moyens d’existence Justes. Si nous avons une attitude
amicale envers notre entourage, bien sûr nous ne voudrons pas leur faire de mal et, si nous y
réfléchissons bien, cela implique de gagner notre vie d’une manière qui ne leur soit nuisible d’aucune
façon, environnementale, économique aussi bien qu’émotionnelle.
Il est nécessaire que nous développions l’Effort Juste, qui consiste à ressentir de la joie quand on
s’engage dans des actions vertueuses. Pour cela nous avons besoin de faire la différence entre
appliquer des efforts à accomplir des actions erronées et appliquer des efforts à accomplir des actions
justes. Quand nous comprendrons les différences entre les résultats de ces actions nous ressentirons
de façon naturelle une grande joie à accomplir des actions vertueuses. J’aime vraiment les vers de la
« L’offrande au maître spirituel » (Gourou Pouja) à ce sujet :
« En bref, les êtres puérils oeuvrent à leur seul profit,
les bouddhas exclusivement à celui d’autrui.
Comprenant ce qui distingue ici erreur et vertu,
j’implore votre grâce afin d’être capable de m’échanger contre autrui ».
L’effort est un des éléments principaux, essentiel pour obtenir le résultat désiré parce qu’il nous donne
l’impulsion pour aller jusqu’au bout. Sans l’énergie pour continuer, le résultat semble lointain et, afin de
garder une bonne énergie, afin que l’effort soit soutenu, nous avons besoin d’éprouver un sentiment de
joie. Nous pouvons voir qu’il en est ainsi dans nos vies ordinaires ; si quelqu’un n’est pas heureux dans
son travail il sera incompétent et inefficace et il risque fort de quitter ce travail pour trouver quelque
chose d’autre.
L’Institut Chènrézig en Australie avait invité un homme d’affaires prospère de la région à donner une
conférence sur sa façon de diriger son entreprise. Il a dit que si quelqu’un veut diriger une entreprise
avec succès il doit en premier lieu faire en sorte que ses employés soient heureux. Ce ne sont pas les
bénéfices mais le bonheur des employés qui vient en premier. Cela veut dire que les employés feront
du bon travail, resteront et qu’à long terme l’entreprise prospérera. Nous devons être heureux ou nous
n’aurons pas l’énergie pour faire le travail, nous n’aurons pas d’enthousiasme.
C’est la même chose pour notre pratique spirituelle. Quelles que soient les pratiques que nous faisons,
il nous faut la joie pour les faire. Si nous éprouvons de la joie cela nous aidera à continuer. Le premier
chapitre du Bodhicaryavattara de Shantideva est dédié aux bénéfices de bodhicitta. Il est plein de vers
tels que celui-ci :
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« Il est comme l’élixir suprême qui produit de l’or
Car il transforme le corps impur que nous avons pris
En le joyau sans prix d’une Forme de Bouddha
C’est pourquoi saisissez fermement l’Esprit d’Eveil. »
Lire ce chapitre est très inspirant. Le premier des facteurs mentaux déterminant l’objet est l’aspiration.
Si nous avons quelque idée de ce qu’est bodhicitta et que nous réfléchissons sur le fait qu’il serait
merveilleux de posséder cet esprit, cela nous donnera une grande joie et une forte aspiration pour
continuer, peu importe combien le but peut sembler distant.
Si nous pouvons avoir un goût, une sensation, de cette sorte d’expérience, notre pratique en sera
grandement facilitée. Nous avons vraiment besoin de considérer le long terme. Tous ces grands êtres
qui sont devenus des bouddhas ont été auparavant exactement comme nous.
Il nous faut rechercher la solution à tous nos problèmes mais je suspecte bien souvent que nous ne le
faisons pas, moi-même y compris. J’ai été dans un monastère pendant dix-neuf ou vingt ans et après
cela je suis venu en Occident et j’ai enseigné de nombreuses années, mais malgré cela, quand je
rencontre des problèmes communs de la vie quotidienne, je ne fais que rechercher des solutions
temporaires. Comme de prendre un aspirine pour ne plus avoir mal à la tête quand je devrais en
rechercher la cause. Et quand le problème a disparu je continue comme si de rien n’était.
Mais si nous faisons des efforts pour les choses correctes nous en tirerons, sans aucun doute,
bénéfice, et à partir de là nous développerons de la joie et ce sentiment de joie nous aidera à continuer.
3. Travailler pour des buts à long terme
Notre but est la compassion sincère, donc, pendant que nous faisons des efforts pour développer ces
esprits de la troisième subdivision pour nous débarrasser de nos problèmes immédiats, il nous faut
garder à l’esprit nos objectifs à long terme. Si nous pensons que bien que pour le moment nous faisons
différentes choses pour traiter ce problème mental particulier ou cet autre, notre véritable but à long
terme est bien plus grand, cela nous aidera à ne pas nous décourager.
Développer une véritable compassion prendra longtemps. Nous ne le pourrons pas si nous ne nous
rappelons pas, tout le temps, que bien que pour le moment nous développions des qualités positives –
l’attention, le calme, un bon caractère, la bienveillance – notre but véritable à long terme est la
compassion ou bodhicitta.
C’est pourquoi, dès le début, il est important d’avoir une forte motivation à long terme et de voir que ces
attitudes positives que nous sommes en train de développer actuellement sont une partie d’un plan bien
plus grand. Il n’existe pas de solution qui puisse résoudre tous nos problèmes, immédiatement. Il nous
faut planifier différentes solutions, selon des angles différents, et les mettre ensemble, lentement,
lentement.
Etre simplement très conscients de nos actions et de nos attitudes n’est pas vraiment suffisant pour
éliminer la racine de la colère ou de l’attachement. L’attention nous montrera le tableau– ce qui se
passe dans nos activités ou pensées – mais l’attention elle-même n’est pas le principal antidote à ces
facteurs mentaux non vertueuxdes première et seconde subdivisions tels que l’attachement, la colère et
la jalousie. Les facteurs mentaux positifs de la troisième subdivision sont la véritable fondation, la base ;
à partir de ceux-ci, nous pouvons développer d’autres facteurs mentaux qui sont les vrais antidotes.
En écoutant des érudits et des pratiquants contemporains et en lisant leurs livres, une chose me saute
souvent aux yeux : c’est qu’ils offrent de bonnes solutions à court terme pour résoudre nos problèmes
mentaux immédiats. Il y a cependant un risque que, si toute notre énergie est mise dans ces besoins
immédiats, cela n’ira pas plus loin. Bien sûr, il est nécessaire que nous résolvions les problèmes de
stress, de dépression, de sous-estimation et autres auxquels nous avons à faire face maintenant même,
et pour les traiter des méditations simples sur l’attention ou l’équanimité peuvent aider. Mais selon le
bouddhisme cela seulement ne suffit pas. Nous devons aller plus loin.
La méditation sur l’attention soulage le stress et la dépression, mais est-ce la seule chose que le
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bouddhisme enseigne ? Cela pourrait être une solution très temporaire plutôt qu’une solution à long
terme.
Quand vous commencerez à mieux comprendre l’esprit du point de vue de la perspective bouddhiste,
vous trouverez que quand les non-bouddhistes vous parlent de leurs problèmes – nous avons tous des
problèmes ! – il vous faudra faire attention à la manière dont vous allez exprimer les idées bouddhistes.
Il vous faut être honnête, sans pour autant les effrayer. Si vous leur dites qu’ils ont des problèmes qui
sont profondément enracinés, qui vont durer longtemps, qui ont pour cause des empreintes karmiques
accumulées dans de nombreuses vies, cela va les désespérer et ils vont probablement se sauver !
D’un autre côté, les notions de ce chapitre tombent sous le sens bien qu’elles ne soient pas communes.
Elles n’ont rien à voir avec la religion et si vous maîtrisez la situation habilement vous pouvez vraiment
aider les autres. Il est bon de parler des solutions immédiates à des besoins immédiats mais en même
temps il est important d’au moins laisser quelques « empreintes », comme on dit. Il est bon de leur
montrer que le bouddhisme n’enseigne pas que des solutions temporaires à des problèmes temporaires
mais traite aussi de la racine même des problèmes profonds.
Il est important de donner aux autres un goût du message bouddhiste dans son intégralité. Je ne dis
pas que vous devez les convertir au bouddhisme mais il est important de faire comprendre aux gens
intéressés qu’à l’intérieur du bouddhisme nous pouvons trouver des solutions à nos problèmes les plus
profonds. Le bouddhisme a la capacité de traiter avec la cause fondamentale aussi bien qu’avec les
conditions plus immédiates.
La médecine tibétaine travaille sur le même principe qui est de traiter la cause fondamentale plutôt que
les symptômes. (Bien qu’on l’appelle « médecine tibétaine » certains de ses aspects viennent d’Inde et
de Chine). Même si les médecins tibétains diagnostiquent nos problèmes physiques plutôt que nos
problèmes mentaux ils font intervenir ces mêmes trois poisons dont on a parlé : l’ignorance, la haine et
l’attachement.
Les livres qui traitent de l’esprit selon la perspective occidentale, comme Esprit-Science, notent que les
gens qui ont des personnalités colériques ont sans aucun doute des vies plus courtes que les gens qui
ont un caractère plus paisible. Bien que cela ne soit pas très précis, je pense qu’il est tout à fait vrai
que, quand nous sommes en colère, des changements chimiques ont lieu sans aucun doute dans notre
corps et l’affectent. C’est pourquoi, quand les médecins tibétains enseignent la médecine tibétaine, ils
commencent par montrer comment ces trois poisons entraînent les trois maladies principales qui, ellesmêmes, entraînent tous les autres maux.
Il y a donc similarité entre la façon dont la colère, l’attachement et l’ignorance opèrent dans notre
monde mental et la façon dont, au même moment, dans le monde physique, les substances chimiques
de notre corps réagissent en connexion avec ces trois mêmes perturbations.
(Voir également comment la méditation et la prière peuvent affecter notre cerveau dans un article paru
dans le magazine Mandala –sept-nov. 2001 (p. 91) Scientists find Biological reality behind religious
experience. Cet article est également reproduit sur le site web Foundation of Buddhist Thought).
Donc, les facteurs mentaux positifs de la troisième subdivision sont la solution à nos besoins
temporaires, ils peuvent nous libérer de nos problèmes mentaux temporaires. Ils sont aussi le point de
départ si nous voulons développer notre esprit davantage, en développant les facteurs que vous pouvez
voir dans la seconde subdivision, la bonté aimante, la compassion et l’altruisme.
Ces esprit positifs de la troisième subdivision sont vitaux pour se développer spirituellement, même s’ils
sont difficiles à cultiver. Nous avons besoin d’informations, nous avons besoin de comprendre ce qu’ils
sont vraiment et pourquoi ils sont importants. Même si nous avons sans aucun doute un grand potentiel,
si nous manquons d’information nous ne « démarrerons » pas, rien ne nous poussera vraiment à
développer ces esprits. C’est pourquoi les enseignements sont si importants.
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CHAPITRE CINQ
LE FONCTIONNEMENT DE L’ESPRIT
EPISTEMOLOGIE, LE PROCESSUS DE L’ESPRIT
Comment notre conscience investit l’objet.
1.Le classement des objets en quatre – Comment l’esprit appréhende les objets.
a) l’objet apparaissant
b) l’objet principal
c) l’objet conçu
d) l’objet référent
2. Les quatre densités : Comment les objets trompent l’esprit.
a) la densité de continuité
b) la densité du tout
c) la densité de fonction
d) la densité d’objet
3. Le processus pour parvenir à connaître un objet.
La division septuple.
1. Les consciences erronées
a) la source de l’erreur existe dans l’objet
b) la source de l’erreur existe dans la base de perception
c) la source de l’erreur existe dans la situation
d) la source de l’erreur existe dans la condition immédiate
e) la source de l’erreur existe dans les empreintes karmiques
f) la source de l’erreur existe dans l’accoutumance répétée à une mauvaise
compréhension du soi, des choses et des évènements.
2. Les doutes
3. Les consciences auxquelles l’objet apparaît mais n’est pas authentifié
4. Les suppositions correctes
5. Les cognitions consécutives
6. Les cognitions inférentielles
a) les cognitions inférentielles avérées.
7. Les perceptions directes
a) les perceptions directes mentales
b) les perceptions directes yogiques
Les différences de processus du point de vue de la sagesse et de la méthode.
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CHAPITRE CINQ
LE FONCTIONNEMENT DE L’ESPRIT
EPISTEMOLOGIE, LE PROCESSUS DE L’ESPRIT.
Comment notre conscience investit l’objet
Dans les chapitres précédents nous avons considéré la nature de l’esprit. Nous avons examiné l’esprit
dans une perspective psychologique, en dressant la liste des différents facteurs mentaux et autres, et
en les étudiant. Ce chapitre considère l’esprit sous un angle épistémologique, envisageant le processus
de l’esprit, et les manières dont notre esprit connaît.
Il est réellement très important pour un pratiquant de savoir comment l’esprit s’engage dans différents
types d’objets et quels processus s’établissent. Certains sont positifs, d’autres assez négatifs selon le
type d’esprit que nous avons et le genre d’objet dans lequel il s’engage. Etant averti, nous pouvons
savoir comment canaliser notre esprit de la façon la plus positive.
1. Le Classement des objets en quatre ~ Comment l’esprit appréhende les objets.
Certains objets n’apparaissent qu’à un esprit conceptuel, d’autres qu’à la perception et d’autres encore
aux deux. Ces objets de conscience sont classés en quatre catégories suivant la façon dont notre esprit
les appréhende. Par exemple, un objet conçu ne peut apparaître qu’à un esprit conceptuel, car, comme
son nom l’indique c’est un objet qui a été conçu, et c’est ce que fait l’esprit conceptuel. Un esprit
conceptuel n’appréhende jamais son objet directement.
Il peut sembler que l’esprit rencontre quatre objets différents de quatre manières différentes, mais en
fait ce n’est pas le cas. Ici nous traitons de la façon dont l’esprit interprète un objet, donc ce n’est pas
nécessairement l’objet qui change, mais il s’agirait plutôt d’une même chose interprétée de différentes
façon, selon l’esprit.
Ce n’est pas similaire à la division des deux vérités où un objet est soit une vérité ultime, soit une vérité
relative. Ici nous ne parlons des objets que dans la perspective de la vérité relative.
Le classement des objets en quatre est :
a) L’objet apparaissant ( tib : nang-yul)
b) L’objet principal ( tib : djouk-yul)
c) L’objet conçu ( tib : chèn-yul)
d) L’objet référent ( tib : mik-yul )
Comme je l’ai mentionné dans les deux vérités, les termes « objet » et « existant » sont synonymes. Si
quelque chose est un objet, il doit exister ; s’il existe, c’est un objet. Les non-existants ne sont pas des
objets. Mais cela ne signifie pas que tout ce qui apparaît à nos esprits est un objet. L’exemple tibétain
typique est « les cornes du lapin ». Nous pouvons avoir ce genre d’image dans notre tête mais ce n’est
pas un objet parce que ça n’existe pas. Si la nuit est très claire et que nous levons les yeux vers la lune,
si nous plissons les yeux très fermement, nous pouvons peut-être voir deux lunes. Il n’y a pas deux
lunes. Bien qu’elles apparaissent à notre esprit, ce ne sont pas des objets car ce ne sont pas des
existants.
Il est important d’établir cette distinction entre des objets qui existent vraiment et des choses qui
apparaissent à notre esprit comme des objets mais qui ne sont en fait pas des objets car elles n’existent
pas, tout particulièrement quand nous considérons des idées telles que la saisie du soi. L’esprit de
saisie du soi, saisit le soi comme un objet très solide, indépendant et identifiable. En fait ce type de soi
n’existe absolument pas, donc ce n’est pas un objet.
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Ici, à strictement parler, un objet se réfère à quelque chose qui existe.
a) L’objet apparaissant
La première catégorie d’objets que l’esprit rencontre est l’objet apparaissant. Par exemple, un objet
apparaissant peut être un vrai livre ou simplement l’image mentale d’un livre. Parfois notre conscience
sensorielle corporelle perçoit un objet – il « apparaît » à notre conscience visuelle, ou à notre
conscience auditive – et parfois c’est une image mentale qui apparaît à notre conscience mentale.
L’objet apparaît à notre conscience mais cela ne signifie pas que notre conscience l’appréhende.
Lorsque ma conscience visuelle balaye ma chambre du regard, la chambre entière lui apparaît : le lit, la
table et les chaises, les étagères de livres, le tapis, la fenêtre, le radiateur, tout ce que l’organe de l’œil
embrasse. Toutes ces choses apparaissent à la conscience visuelle mais ma conscience visuelle
n’appréhende pas nécessairement tout séparément.
Disons qu’on se trouve au sommet d’une colline et que l’on regarde la vallée en bas. Toute la vallée
nous apparaît, mais nous ne notons probablement pas chacun de ses aspects : le ruisseau, le village,
les arbres, les champs. Le fait qu’on ne remarque pas le cheval dans le champ ne signifie pas que cet
objet n’apparaît pas à la conscience visuelle. Dans une certaine mesure, notre conscience mentale
apporte un genre de validation à ce qui est perçu par notre conscience visuelle, mais elle n’appréhende
pas nécessairement tout ce qui apparaît à cette conscience visuelle.
Ceci peut se produire également pour la conscience mentale. Si vous fermez les yeux et que vous
pensez à votre chambre, une certaine image mentale apparaît. C’est une image, une image générique,
qui peut être parfois claire ou non et à laquelle peuvent être associés de nombreux autres esprits – des
sentiments, des émotions, des pensées se rapportant au fait qu’elle est en désordre. Donc, bien que
l’image générique de la chambre soit l’objet apparaissant, elle peut ne pas être l’objet principal de
l’esprit, ou même ne pas être appréhendée.
b) L’objet principal
Le second s’appelle l’objet principal. C’est l’objet principal de la cognition, l’objet dans lequel l’esprit
s’implique en tout premier lieu.
Si nous sommes en train de parler à un ami au cours d’une fête, bien que nos consciences sensorielles
perçoivent de nombreux objets, c’est l’expression du visage de notre ami qui est l’objet principal de
notre conscience visuelle et la conversation celui de la conscience auditive. Notre oeil entre en contact
avec de nombreux autres objets visuels et notre ouïe avec de nombreux autres sons, mais ceux-là sont
les objets principaux de chacune des consciences.
Il en va de même pour la conscience mentale ou pour toute conscience sensorielle physique. Depuis
que ce cours a débuté, le souci principal de ma conscience mentale est de savoir si ça va vous aider à
vous développer spirituellement. Au moment présent, quoiqu’il en soit, l’objet principal de ma
conscience mentale est ce paragraphe, et le fait de savoir s’il est clair pour vous. Donc, l’objet principal
est la chose sur laquelle nous nous focalisons immédiatement.
N’est-ce pas ainsi que notre esprit fonctionne ? Parfois des objets apparaissent à nos consciences,
apparaissent simplement, sans être vraiment authentifiés, mais à d’autres moments, notre esprit se
focalise sur un objet qui devient un objet principal.
Ce peut être le même objet. Il peut y avoir une radio en fond sonore quelque part, pendant que nous
faisons nos devoirs. La musique n’est qu’un objet apparaissant. Puis quelqu’un vous demande le titre
de la chanson qui passe à la radio. Vous vous arrêtez et écoutez. Le même objet devient l’objet
principal.
Pour toutes les catégories de cette classification en quatre points, ce n’est pas nécessairement l’objet
qui change, mais la façon dont notre esprit perçoit l’objet.
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c) L’objet conçu
Le troisième est l’objet conçu. Le mot « conçu » nous dit que cet objet n’apparaît qu’à un esprit
conceptuel. Ce n’est qu’au sein de la structure conceptuelle que l’esprit peut concevoir son objet, par
opposition à le percevoir. Il est logique qu’un objet conçu n’apparaisse pas à une perception directe.
En tibétain nous disons di-tang di yeul, qui se traduit littéralement par « ceci est ceci, cela est cela ».
Ce qui signifie donner un genre d’étiquette à quelque chose, telle que « ceci est une table », « ceci est
un homme », « ceci est une femme », « ceci est une maison » etc.
Il n’y a que l’esprit conceptuel qui puisse le faire. La perception directe ne le peut pas. Elle ne possède
pas cette fonction de désignation. Elle appréhende simplement l’objet sans étiquettes.
Si par exemple, je contemple l’impermanence de ma voiture. J’ai en tête une image de ma voiture, c’est
l’objet apparaissant. En même temps, si je contemple vraiment de manière sincère et authentique la
nature de ma voiture, c’est-à-dire son impermanence, c’est cela l’objet principal. L’impermanence est
également l’objet conçu, parce que c’est une pensée conceptuelle.
d) L’objet référent
Le dernier est l’objet référent pour toute cognition donnée. C’est l’objet de base auquel l’esprit se réfère
ou sur lequel il se concentre tandis qu’il appréhende certains aspects de cet objet. Il n’y a qu’une légère
différence entre l’objet référent et l’objet apparaissant.
Si je regarde un livre, l’objet apparaissant à ma conscience visuelle est le livre dans son entier. Il est
possible que je le perçoive entièrement, mais il est possible que non. Mon objet principal peut être le
nom de l’auteur ou l’image sur la couverture. Quoiqu’il en soit, l’objet référent est également le livre, tant
que je me réfère à cet objet. Ce n’est pas l’objet sur lequel je me concentre, et ce n’est pas l’objet dans
son entier de ma conscience visuelle, mais c’est le domaine principal de ma concentration. Guéshé
Rabten explique cela parfaitement dans « The Mind and its Functions » (page 91).
Cette classification des objets en quatre se rapporte aux quatre manières principales dont l’esprit peut
s’engager dans un objet et non à quatre types différents d’objets. Ceci est un point important. Les
distinctions ci-dessus ne sont pas établies du côté des objets eux-mêmes mais par rapport à leur
position dans une situation cognitive donnée. C’est-à-dire que bien que quelque chose puisse être
l’objet apparaissant d’un esprit particulier, il peut être l’objet conçu d’un autre, l’objet principal d’un autre
encore, et ainsi de suite.
2. Les Quatre Densités – Comment les objets trompent l’esprit.
Notre esprit peut être trompé par un objet, n’étant pas capable de le connaître tel qu’il est réellement.
L’objet dupe l’esprit d’une certaine façon. Ceci n’est bien sûr pas imputable à une quelconque intention
de l’objet mais à la façon dont l’esprit le voit. D’une manière générale, nous n’arrivons pas à
comprendre les objets clairement et correctement parce que les objets possèdent quatre densités.
Elles sont :
a) la densité de la continuité
b) la densité du tout
c) la densité de la fonction
d) la densité de l’objet
Il n’y a pas que les consciences sensorielles qui peuvent être trompées par un objet, ces densités
peuvent également duper notre conscience mentale. Le mot « densité » n’est pas utilisé En tibétain
mais il décrit l’impression que nous avons lorsque nous parlons de ce concept. Le mot tibétain utilisé
nyour-wa signifie littéralement « rapide ». L’exemple traditionnel qui illustre que notre esprit est
facilement troublé est celui d’une flèche tirée qui traverse un épais paquet de très nombreuses feuilles
de papier. A l’œil nu, il semble que la flèche a instantanément fait un trou à travers le papier, mais en
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fait, elle est passée à travers chacune des feuilles séparément, une par une. A cause de la vitesse de la
flèche, il semble qu’il n’y ait qu’un trou, plutôt qu’une série, et il ne semble pas y avoir de succession du
tout. Notre perception a été dupée.
a) la densité de continuité
La première, la densité de continuité se réfère à la manière dont nous interprétons mal un objet, parce
que nous voyons une succession mais que nous pensons à tors que c’est continu. Nous sommes
troublés car l’espace entre le premier évènement et le second est si infime que nous les voyons comme
continus. Un exemple de ceci que nous rencontrons quotidiennement est celui des films. Chaque
seconde d’un film est constituée de 24 photogrammes et chacun est une image immobile. Puisqu’on les
fait passer très rapidement à travers un projecteur, il semble que l’image bouge.
L’exemple traditionnel est celui d’un bâton d’encens allumé que l’on fait tourner dans l’obscurité – en
Occident vous utiliseriez des feux de bengale. Vous pouvez voir un cercle continu de lumière, même si
bien entendu il n’y en a pas. Donc du côté de l’objet il y a un grand potentiel pour duper notre esprit.
Ceci fonctionne non seulement pour notre conscience visuelle mais pour toutes nos autres
consciences.
Un bon exemple que nous utilisons dans les débats, illustre comment le son trompe la conscience
auditive. Il y a très longtemps même avant que nous possédions toute technologie sophistiquée,
Darmakirti dans les débats soutenait que le son consistait en ondes vibratoires se déplaçant dans l’air.
C’est pourquoi dans les débats à propos de l’impermanence, le son est souvent le premier exemple
utilisé. Nous pensons que le son est réel et continu alors que ce ne sont vraiment que des vibrations
contre notre tympan.
Si les objets possèdent ce potentiel de tromper nos consciences sensorielles, nous devrions être
vigilants ou attentifs. Nous devrions essayer de voir comment cela se produit, non seulement pour nos
consciences sensorielles mais aussi pour notre conscience mentale.
b) la densité du tout.
La seconde densité, la densité du tout, est assez semblable à la première. Voici un exemple simple :
Qu’est-ce que c’est ? Un triangle ? En êtes-vous sûr ? Ce n’est pas un triangle complet, car si vous
regardez attentivement, le trait de la base n’est pas fermé. Pour que ce soit un triangle, toutes les lignes
doivent se toucher.
De la même façon, ceci paraît être circulaire mais ne l’est pas car la ligne n’est pas fermée. Nous
voyons ce que nous pensons être un tout, et nous le saisissons en tant que tout, alors que ce n’en est
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pas un. Bien sûr ce sont là des exemples très simples qui ne sont pas très significatifs en eux-mêmes,
mais dans la vie quotidienne nous faisons souvent ce genre d’erreur, ce qui peut nous mener à être
malheureux.
c) la densité de fonction
La troisième, la densité de fonction se rapporte à la façon dont nous voyons une série complexe
d’actions comme une fonction. Monter les escaliers, nous apparaît être une action, mais si on l’analyse
c’est une série compliquée de nombreuses fonctions.
Un autre exemple est celui de se trouver dans un bateau qui avance et de penser que c’est le paysage
qui avance. Peut-être que pour nous, être assis dans un train lorsqu’il quitte la gare est un meilleur
exemple. N’avez-vous pas l’impression que vous êtes à l’arrêt et que ce sont les murs et les personnes
sur le quai qui sont en mouvement ? C’est cela la densité de la fonction.
d) la densité d’objet.
Reculez et observez ces points. Vous ne voyez pas une série de points, mais la lettre T. En regardant
de plus près, nous pouvons voir que ce sont des points, mais de loin, ils paraissent être une seule
chose, une lettre constituée d’une ligne horizontale et d’une ligne verticale. C’est la densité d’objet. Un
autre exemple que vous voyez chaque jour est celui d’une photo dans le journal. Elle paraît être d’un
gris continu ou d’un seul ton, mais si vous regardez de près vous verrez qu’elle n’est constituée que de
petits points.
Il y a des similitudes entre la densité de la continuité et la densité de l’objet, mais elles présentent
aussi des différences. La densité de la continuité concerne les évènements séquentiels qui paraissent
être continus ou simultanés. La densité de l’objet concerne les objets qui sont constitués de parties qui
apparaissent comme étant un tout.
Nous voyons même la couleur comme une couleur pure, unique alors qu’elle se compose de
nombreuses différentes couleurs. Le vert est du bleu et du jaune. Même le rouge est un composé. Notre
œil ne peut pas percevoir les différentes couleurs, il accepte la couleur simplement comme une. C’est
cela la densité de l’objet.
La compréhension de la densité de la continuité nous aide à de ne plus saisir les choses
impermanentes comme permanentes. Nous commettons cette erreur parce que nous ne comprenons
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pas bien cette continuité. Il est si habituel de dire à des amis que nous n’avons pas vu depuis
longtemps qu’ils n’ont pas changé du tout. Bien que nous n’affirmions pas qu’ils soient permanents,
dans le fond de notre esprit se trouve un sentiment de permanence. En fait nous sommes confus à
propos de la continuation de cette personne. Il en va de même pour la densité de l’objet, les parties d’un
objet nous paraissent être une chose, ou pour la densité de la fonction, une série d’évènements
apparaît être un événement unique. Les choses nous dupent tout le temps.
Ce qui ne signifie pas que ce sont des illusions complètes ou qu’elles ne fonctionnent pas du tout. Elles
fonctionnent. La couleur verte fonctionne comme un objet véritable. Je ne dis pas que notre esprit est
complètement faux parce que nous appréhendons la verdeur comme une, alors qu’elle se compose de
nombreuses couleurs différentes. Il y a quoiqu’il en soit un élément d’illusion dans cette verdeur. En
réalité, elle se compose de couleurs différentes mais elle fonctionne en tant que simple verdeur. Nous
devons réfléchir à ce propos.
Les enseignements traditionnels ne mentionnent pas ces densités. Elles sont discutées en relation avec
les perceptions erronées, en tant que perceptions erronées de la conscience visuelle, illustrées par
l’exemple de l’illusion du cercle provoqué par un bâton d’encens allumé que l’on fait tournoyer, ou par
celui des arbres qui paraissent se déplacer quand nous nous trouvons dans un bateau qui se déplace.
D’une certaine façon l’idée des quatre densités paraît pédante. Si vous souhaitez peindre complètement
votre pièce en vert, vous n’allez pas dans un magasin de peinture pour discuter que le vert n’est pas
vert du tout mais qu’il se compose de nombreuses couleurs. Il fonctionne en tant que vert et c’est tout
ce que vous avez besoin de savoir. Mais à un autre niveau ces enseignements peuvent nous être très
très utiles dans notre vie quotidienne. Si nous les gardons à l’esprit, lorsque les choses apparaissent
devant nous – des bonnes choses, des mauvaises, quel que soit ce qui apparaît – nous ne devrions
pas les saisir immédiatement, ni leur attribuer immédiatement une étiquette. Ceci nous aidera à prendre
un peu de distance par rapport à ce qui nous cause tant de mécontentement. Ne pas sauter
immédiatement pour donner une sorte d’étiquette à toute chose, nous donne de l’espace, crée un
espace entre nous et l’objet. Cet espace est très précieux pour comprendre la réalité.
Lama Yéshé offre une méditation simple mais efficace dans Make Your Mind an Ocean :
« La méditation marche parce que ce n’est pas une méthode qui nécessite que vous croyiez en quelque
chose, mais c’est plutôt une méthode que vous pouvez mettre en action par vous même. Vous testez,
vous observez, votre propre esprit. Si quelqu’un vous fait souffrir, que votre égo commence à faire
mal, au lieu de réagir, regardez simplement ce qui se passe. Pensez comment le son ne fait que sortir
de la bouche de la personne, entrer dans votre oreille et causer de la douleur dans votre cœur. Si vous
pensez à cela d’une façon adéquate, ça vous fera rire ; vous verrez combien il est ridicule d’être affecté
par quelque chose d’aussi peu substantiel. Alors votre problème disparaîtra –pouf ! Juste comme ça.
En pratiquant de cette manière, vous découvrirez à travers votre propre expérience la façon dont la
méditation aide et comment elle offre des solutions satisfaisantes à tous vos problèmes. La méditation
ce n’est pas des mots, c’est de la sagesse. »
Nous avons besoin de l’espace que nous donne la méditation pour voir comment nous sommes dupés
par ces quatre densités et pour reconnaître les fortes inclinations de nos propres schémas mentaux.
3. Le processus pour parvenir à connaître un objet.
Passer de la confusion à propos d’un objet, puis commencer à le voir clairement et correctement et
enfin le comprendre réellement, complètement, est un processus. En général l’esprit parvient à
connaître un objet en commençant avec un concept. Par exemple, l’esprit qui s’approche d’une
connaissance subtile de l’impermanence traversera des étapes progressives vers une compréhension
intuitive de plus en plus profonde. L’ordre que suit habituellement le processus cognitif est le suivant :
a) relâchement de sa prise sur les notions de soi et des choses comment étant permanents.
b) doute tendant vers le fait que soi-même et les choses sont impermanents.
c) supposer correctement que soi-même et les choses sont impermanents.
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d) cognition inférentielle de l’impermanence subtile de soi-même et des choses.
e) perception directe de l’impermanence subtile de soi-même et des choses.
Il est très facile de « connaître » un crayon, c’est-à-dire d’avoir une conscience qui le voit directement et
correctement, mais il y a beaucoup d’objets tels que l’impermanence pour lesquels ça ne peut se
produire de cette façon. C’est à cela qu’il est fait référence lorsqu’il est dit que l’on doit desserrer sa
saisie de la permanence jusqu’à la perception directe de l’objet subtil qu’est l’impermanence.
Pour l’instant, par rapport à un objet caché tel que l’impermanence, notre esprit est une conscience
erronée qui perçoit instinctivement que les choses sont permanentes. Nous devons relâcher cette saisie
et commencer à douter qu’elles le soient. Ce doute « tendant vers le fait » est un esprit très sain. Nous
ne savons pas, mais pensons que peut-être les choses ne sont pas permanentes.
Ensuite, à travers l’étude et la réflexion, notre esprit commence à présumer pertinemment que les
choses sont impermanentes. De là, germe une « connaissance inférentielle », qui est un esprit qui ne
connaît pas encore directement l’objet (impermanence) mais qui le connaît par inférence. C’est un
esprit très puissant. A travers lui nous pouvons atteindre finalement le stade final où nous avons une
perception directe de l’objet.
Ce processus (de la conscience erronée au doute, à la supposition, à l’inférence, qui devient ensuite
une réalisation directe claire) est associé à la sagesse plutôt qu’à la méthode. Afin de développer la
compassion et la bodhicitta nous devons comprendre la souffrance, ce qui implique ce processus, mais
le développement propre de l’émotion de la compassion ne le requiert pas.
La division septuple.
Une façon plus sophistiquée de considérer les cinq étapes du processus pour parvenir à connaître un
objet est l’analyse de l’esprit divisée traditionnellement en sept. Les sept types d’esprit sont :
1) les consciences erronées
2) les doutes
3) les consciences auxquelles l’objet apparaît mais n’est pas authentifié
4) les suppositions correctes
5) les cognitions consécutives
6) les cognitions inférentielles
7) les perceptions directes
Souvent l’ordre est inversé, mais comme il est utile de voir comment progresser de la conscience
erronée vers l’esprit qui perçoit directement la vacuité, je suivrai cet ordre.
1) Les consciences erronées.
On trouve divers synonymes pour ce type d’esprit : conscience erronée ou fausse, cognition erronée ou
fausse. Puisqu’elles peuvent être soit des consciences conceptuelles soit des consciences nonconceptuelles, Guéshé Rabten les sépare en deux catégories mais j’ai le sentiment que nous parlons ici
des mêmes caractéristiques de l’esprit, aussi ne les traiterai-je pas séparément.
Guéshé Rabten dit :
« Une cognition qui appréhende son objet d’une façon erronée, est la définition d’une cognition
erronée. Ce type de cognition est trompée quant à son objet principal. »
Bien qu’une conscience sensorielle directe puisse percevoir de façon erronée un objet, ce sera
généralement très superficiel. L’exemple traditionnel est celui de voir tout jaune à cause de la jaunisse,
mais un exemple plus pertinent aujourd’hui serait celui de porter des lunettes de soleil. Par contre les
consciences erronées au niveau conceptuel, telles que la croyance en un soi permanent, etc, peuvent
être assez profondes.
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Une conscience qui suppose correctement peut être une conscience erronée par le fait que « supposer
correctement » signifie supposer qu’une chose est correcte qu’elle le soit ou non. (pour une explication
plus claire, se reporter à la catégorie des suppositions correctes).
La définition indique que la conscience « est trompée quant à son objet principal ». Parmi les quatre
types d’objets qui apparaissent à notre conscience, il s’agit ici de l’objet principal, l’objet principal sur
lequel l’esprit est centré.
Dans le bouddhisme Mahayana on trouve une méditation pour réduire notre attachement appelée
« méditer en pensant que tout l’espace est couvert d’os et de choses déplaisantes ». En réalité l’espace
n’est pas couvert de choses déplaisantes, mais en pratiquant cette méditation, en imaginant encore et
encore, on parvient finalement à un certain stade où sans essayer consciemment, lorsqu’on ouvre les
yeux, on peut tout voir ainsi.
Cela soulève donc une question. Est-ce que c’est une conscience erronée puisqu’elle ne voit pas les
choses telles qu’elles sont en réalité ? C’en est une, mais elle est très efficace pour réduire
l’attachement, ce qui est le but de la méditation. Bien qu’elle soit erronée quant à ce que perçoit la
conscience, d’un autre côté, elle est utile.
Qu’elles soient conceptuelles ou non-conceptuelles, il existe six sources d’erreur.
Elles sont :
a) la source de l’erreur existe dans l’objet.
b) la source de l’erreur existe dans la base de perception
c) la source de l’erreur existe dans la situation
d) la source de l’erreur existe dans la condition immédiate
e) la source de l’erreur existe dans les empreintes karmiques
f) la source de l’erreur existe dans l’accoutumance répétée à une mauvaise compréhension du
soi, des choses et des évènements.
a) La source de l’erreur existe dans l’objet.
Ceci se rapporte de très près aux quatre densités (voir page 58). Ici la source de l’erreur existe dans
l’objet, tels les points qui nous semblent être une lettre T. C’est la manière dont l’objet existe qui trompe
notre esprit plutôt qu’un quelconque schéma de pensée. En voyant les points notre esprit donne
l’étiquette (ou le nom) « ligne » et ainsi c’est un esprit erroné à deux titres. Premièrement il y a l’esprit
non-conceptuel qui est dupé par l’objet et deuxièmement il y a l’esprit conceptuel qui « étiquette » ligne
plutôt que points.
Il y a également la propriété qu’ont les objets d’apparaître, de demeurer et de cesser dans des périodes
de temps très courtes mais que à cause de la densité de la continuité nous les percevons comme
continus et ne changeant pas. Nous voyons la même table aujourd’hui que celle que nous avons vue
hier, et pour notre esprit, elle n’a pas changé du tout.
b) La source de l’erreur existe dans la base de perception.
Sans un objet, un esprit ne peut apparaître. Mais si nous considérons ce que nous désignons par le
terme « unité d’esprit » (l’ensemble composé de l’esprit principal et des facteurs mentaux), nous nous
apercevrons que l’esprit opère avec un préjugé, qu’il soit négatif ou positif, qui est appelé la relation
dominante.
Au sein de notre esprit à tout moment se présentent un esprit principal et de nombreux facteurs
mentaux : toujours présents, qui authentifient l’objet, etc. Parmi les facteurs mentaux, il y en a toujours
un qui prédomine. Par exemple, si nous sommes très en colère ce facteur mental colore tous les autres.
C’est le facteur mental dominant, la relation dominante.
En raison de cette base erronée de perception, l’objet est perçu incorrectement.
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c) La source de l’erreur existe dans la situation.
Il y a peut être une situation qui colore notre esprit et qui le transforme en conscience erronée. Peut-être
à cause de ce que croit la société et de son influence sur nous, nous considérons certaines choses
comme indésirables. Il est très important de regarder cela.
Il y a également certaines choses qui affectent notre esprit en raison de l’intervalle de temps. Par
exemple quelque chose qui s’est produit il y a 2000 ans aurait été très évident alors, mais est devenu
maintenant très obscur, c’est ce que nous appelons « un objet caché ». Imaginez une table célèbre, très
précieuse qui existait il y a 2000 ans. Pour les gens de cette époque c’était une chose très évidente ; ils
pouvaient la voir, la toucher. Mais à cause de l’intervalle de temps important la table est pour nous un
objet caché. Nous ne pouvons ni la voir, ni la toucher car elle n’existe plus. Ce qui était un objet évident
est devenu un objet caché à cause de l’intervalle de temps.
J’utilise la table comme exemple afin d’amener à ce qui est réellement important dans le bouddhisme.
Dans le bouddhisme, nous croyons aux vies antérieures. Je crois que j’ai eu un nombre incalculable de
vies antérieures mais je ne peux voir ces vies, je ne peux être en contact avec elles. La vie actuelle
n’est pas dissimulée, elle est évidente, mais la vie antérieure est pour moi un objet caché. En raison du
temps et des circonstances, de grands changements se sont produits - pratiquement tout de ma vie
passée a disparu, à part certaines choses très subtiles. Mon corps physique antérieur, mes souvenirs,
ma conscience perceptive, tous mes liens, tout est perdu. Tout ce qui reste selon le bouddhisme, est la
conscience très subtile.
Puisque ma situation a changé, ma vie antérieure est un objet caché et il y a un risque pour qu’elle
puisse devenir une source de déception qui peut affecter mes croyances, et la façon dont je vois les
choses. Au temps de ma vie passée, elle n’était pas un objet caché – elle était très évidente – mais
maintenant elle est cachée et pourtant elle m’influence d’une manière que je ne peux percevoir. Donc il
est possible que la situation puisse devenir une source de méprise. Nous parlons ici de la source
d’erreur existant dans la situation.
d) La source de l’erreur existe dans la condition immédiate.
La situation en tant que source d’erreur peut exister également dans des conditions immédiates. Une
situation peut colorer ce que nous pensons même si elle s’est passée il y a juste quelques semaines, ou
même quelques minutes. Par exemple si quelqu’un vient juste de se mettre en colère après nous, bien
que cette colère puissante n’est plus là, elle affecte notre façon de voir les choses. C’est ce qu’on
appelle une situation immédiate ou condition immédiate – immédiate, dans ce contexte, signifie il y a
quelques minutes, ou même il y a un an.
e) La source de l’erreur existe dans les empreintes karmiques.
Bien sûr les empreintes karmiques sont très importantes. La motivation racine de tout ce qui se passe
dans notre esprit est due aux empreintes karmiques. Si la motivation sous-jacente est l’ignorance de la
manière dont les choses existent, ceci « imprègnera » toutes nos actions de corps, de parole et d’esprit.
Selon le bouddhisme nous possédons cinq consciences sensorielles car nous sommes nés dans ce
royaume doté de tous les objets sensoriels. Les êtres d’autres royaumes, d’un autre côté, n’ont pas de
consciences sensorielles car ils ont pris renaissance dans un royaume qui n’a pas d’objets sensoriels.
La manière dont nous percevons les choses, et même le fait de percevoir des choses est dû à notre
karma et peut être une cause de tromperie.
L’exemple traditionnel – une des discussions préférées des Cittamatrin et des philosophes du
Madhyamika – est celui des trois types d’êtres regardant un verre de liquide. En raison de leurs
dispositions karmiques qui sont très différentes, le dieu voit du nectar pur, l’être humain voit de l’eau
mais le préta – l’esprit avide – voit du pus. C’est dû aux propensions karmiques qu’ils possèdent dans
leurs courants de conscience. Ils regardent un verre de liquide, et non trois, mais ils verront tous des
choses différentes. Je suis quelqu’un de très sceptique aussi ne suis-je pas vraiment certain de cela,
mais l’exemple est sensé.
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Si je discutais de cela avec mon professeur, affirmant que ce n’est qu’un simple verre d’eau peu importe
ce que les autres en pensent, il répondrait que ce n’est pas aussi simple que cela. Nous pensons que
c’est une boisson, rien de plus, mais que penser des êtres qui vivent dans cette eau ? La perçoivent-ils
comme une boisson ? Pour eux c’est leur demeure. Peut-être n’ont-ils pas de concepts compliqués
comme nous, mais pour eux c’est une demeure plutôt qu’une boisson. Ils la voient assez différemment
en raison de leur karma.
Un exemple peut-être plus simple est la façon dont des personnes différentes voient une même
personne. Pour l’une c’est une grand-mère, pour l’autre une tante et pour la troisième c’est sa femme.
Elle est la même personne mais à cause de la situation des gens qui la regardent, elle apparaît
différemment. Chacun a raison à certains égards mais il y a méprise car aucune n’est l’image complète
de cette personne.
f) La source de l’erreur existe dans l’accoutumance répétée à une mauvaise compréhension du soi, des
choses et des évènements.
Ceci se réfère à la source innée d’erreur qui existe en nous en raison d’habitudes prises au cours des
nombreuses vies, concernant notre façon de nous percevoir, de percevoir les choses et les évènements
et qui est répétée encore et encore. En d’autres termes, on parle ici de la tendance ou graine que nous
possédons tous à percevoir le soi comme possédant une nature intrinsèque, une nature indépendante
et auto-suffisante. De la même façon nous tendons à considérer que les choses et les évènements tels
que notre corps, nos sensations, notre discrimination, etc. – nos agrégats – ont une nature intrinsèque.
Cette source de tromperie, que nous possédons tous, est enracinée très profondément.
2. Les doutes.
La seconde partie de la division septuple est les doutes. Connaître l’Esprit dit qu’ils sont :
« des types de consciences différenciés essentiellement par leur qualité d’indécision ou de division
entre deux points. Le doute peut tendre vers l’un ou l’autre côté de la balance, ou il peut être totalement
indécis, mais il est toujours accompagné d’un élément d’incertitude. »
Le doute qui tend vers le fait est néanmoins un premier pas très puissant pour affaiblir l’intensité d’une
forte adhésion à une vue erronée. C’est le départ du processus de mouvement qui s’achemine vers le
développement d’une compréhension juste.
Aryadeva dit dans ses 400 Stances que, même si nous n’avons que peu de mérite, le doute que les
produits soient permanents et la suspicion qu’ils ne le soient pas est un esprit très profond.
« Même par le simple fait d’avoir des doutes, l’existence cyclique est taillée en pièces. »
Dans la progression qui nous conduit de la conscience erronée à la perception directe, le doute est un
des premiers types de consciences que nous voulons éliminer mais, au début, les doutes sains qui
tendent vers le fait sont en fait des consciences positives. Par exemple, douter que cette vie soit la
seule que nous ayons et se demander s’il y a une vie prochaine, peut nous amener à y penser, à faire
des recherches et ainsi produire un résultat positif.
Malgré tout c’est dangereux, car le doute est un état d’esprit instable. Si nous investigons pour savoir
s’il y a une vie future et que nous assistons à une conférence très intéressante au cours de laquelle
l’intervenant explique qu’il n’y a pas de vie après la mort pour telle et telle raison, nous pourrions
commencer à le croire, ce qui du point de vue du bouddhisme est un résultat négatif.
Donc le doute peut nous conduire soit vers des choses positives, soit vers des choses négatives.
Rencontrer l’explication ou la philosophie juste est très important car à ce stade nous sommes très
vulnérables. Si nous rencontrons la mauvaise théorie et que nous ne l’analysons pas rationnellement à
la lumière de notre propre expérience, nous pourrions être conduits vers le mauvais résultat.
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Dans le bouddhisme tibétain, on parle beaucoup de l’importance de la dévotion au gourou. J’ai le
sentiment que ce qui est plus important que la dévotion, c’est de rencontrer la bonne personne, car
c’est elle qui nous donnera la bonne information.
Douter, être sceptique à propos de quelque chose est relativement sain mais il est essentiel de ne pas
conclure dans un état de doute. Si notre recherche spirituelle est enlisée à une étape de doute alors
nous n’avons pas vraiment la vision claire pour savoir où aller. C’est comme si nous étions aveugles.
3) Les Consciences auxquelles l’objet apparaît mais n’est pas authentifié.
La catégorie suivante de la division septuple est également importante car c’est une conscience que
nous avons très fréquemment. « La conscience à laquelle l’objet apparaît mais n’est pas authentifié »
est comme le fait de marcher dans une ville, comme le fait d’aller d’Oxford Circus à Tottenham Court
Road à Londres. Lorsque nous arrivons à destination, bien que nous aillons vu de nombreuses choses,
nous nous en souvenons à peine. Peut-être qu’un seul objet particulier a attiré notre attention mais nous
avons même du mal à nous le rappeler. Si nous pouvions vérifier notre esprit sur 24 heures, la plupart
de son contenu tomberait dans cette catégorie. Nous faisons notre pratique de Dharma chaque jour,
mais il n’y a rien de solide. Cette catégorie exprime la pauvreté de notre attention.
Soyez honnête avec vous-même. A l’heure actuelle dans le cours des Fondements de la Pensée
Bouddhique, vous avez étudié Les Quatre Nobles Vérités, Les Deux Vérités et maintenant la
psychologie bouddhique. Qu’avez-vous réellement retenu ?Je sais que vous investissez beaucoup
d’énergie et que vous essayez de vous concentrer mais la persévérance ou la stabilité de l‘attention ne
font-elles pas défaut ?
Considérez de nouveau la rue de cette ville. Bien sûr nous faisons attention - nous ne survivrions pas
un seul jour, si ce n’étais pas le cas – mais puisqu’il y a tant d’objets sensoriels à appréhender, tant de
décisions à prendre, rien n’est retenu, donc, alors que nous atteignons la fin de la rue, nous ne pouvons
nous souvenir de ce qui est arrivé.
Habituellement quand nous écoutons ou lisons du Dharma, nous faisons attention mais nous ne
revenons pas constamment à l’essentiel et c’est pourquoi nous perdons le rythme, le lien.
4) les suppositions correctes.
La dernière des consciences non-connaissantes est la supposition correcte. Selon la définition, c’est :
Une cognition conforme à la réalité qui conçoit son objet d’une manière faillible.
Dans Connaître l’Esprit, il est dit :
« [Ces] consciences parviennent à leurs conclusions soit sans raison, d’une façon contraire au
raisonnement correct, ou basées sur un raisonnement correct mais sans l’amener à sa pleine
conclusion… En raison de la faiblesse de la base sur laquelle elle est générée, la supposition correcte
n’est pas une forme de connaissance fiable puisqu’elle n’est pas irréfutable ; on pourra facilement
perdre la force de sa conviction, comme par exemple lorsqu’on sera confronté à une personne qui
présente avec force un point de vue opposé. »
Si la majorité de nos consciences appartiennent à cette dernière catégorie – des consciences
auxquelles l’objet apparaît mais n’est pas authentifié – je pense que 95% des consciences pour
lesquelles l’objet apparaît, appartiennent à ce type d’esprits. Ici nous authentifions l’objet mais
seulement en tant que supposition. Cette conscience peut être positive, négative ou neutre et c’est un
pas important vers le développement de l’esprit même de perception directe c’est pourquoi il est très
important de savoir ce qu’elle signifie.
De nombreux maîtres ont dit que pour la plupart d’entre nous, la plus grande partie de notre
compréhension du Dharma relève de la catégorie des suppositions correctes. S’il en est ainsi, il y a un
grand risque que nous en arrivions à un stade où toute notre expérience du Dharma finisse par devenir
une simple supposition, si nous ne poussons pas un peu plus loin. Il est trop facile de simplement
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écouter et accepter. Nous entendons le Dharma, cela nous paraît sensé, mais il nous reste à faire un
pas de plus, jusqu’au point où il devient irréfutable.
Cet esprit tire sa conclusion sans qu’elle soit fondée sur aucune raison, ou en la basant sur une raison
incorrecte. En général, c’est parce que quelqu’un nous l’a dit ou bien parce que nous l’avons lu, et cela
nous semble juste – nous n’amenons aucun de nos raisonnements personnels ou aucune de nos
expériences dans notre compréhension. Ou bien même si nous utilisons quelque raison ou expérience,
nous n’examinons pas suffisamment jusqu’au point final où s’établit une compréhension complète et
claire. Cet esprit s’arrête avant cela, il suppose simplement, sans savoir.
J’ai trouvé très utiles les subdivisions de cet esprit que Guéshé Rabten utilise dans The Mind and its
Functions1.
Très souvent nous supposons, sans reconsidérer parce que c’est une croyance de notre
culture. Nous parvenons à prendre de nombreuses décisions sur la simple base de notions culturelles
admises.
Prenez l’exemple dans ma propre expérience de ma mère. Elle est très religieuse. Elle récite toujours
de nombreux mantras et de nombreuses prières matin et soir, mais si vous la questionnez à propos des
Quatre Nobles Vérités, elle n’en a aucune compréhension. Même sans cela, elle a cru toute sa vie à la
loi de cause à effet - si je fais quelque chose de mal, cela apportera un mauvais résultat, si je fais
quelque chose de bien, il y aura un bon résultat. Ce genre de croyance lui a été transmise
culturellement par ses parents qui lui disaient lorsqu’elle était enfant de ne pas faire certaines choses.
Nous possédons de très très nombreux adages dans notre vie quotidienne tels que : « même si tu
parviens à me tromper, tu ne peux tromper la loi de cause à effet. »
Cet esprit est appelé « supposition correcte ». Si je vous demandais si vous pensez que votre corps est
permanent, vous répondriez « Non ! » sans hésitation. A ce stade il y a un sentiment de justesse.
Et voilà donc un point important. Vous supposez que quelque chose est correct – ce qui ne signifie pas
forcément que ça l’est. Le point à propos de cet esprit, est votre supposition. Même pour ceux qui
agissent de façon déloyale envers les autres, s’ils ont le sentiment que c’est acceptable, soit par
croyance culturelle, soit parce que c’est accepté socialement, alors pour eux, c’est « une supposition
correcte ». Le critère de « correction » de la supposition correcte n’a rien à voir avec le fait que ce soit
un esprit positif ou non, cela a à voir avec le fait que l’esprit suppose que c’est correct.
Il est important de savoir cela car nous faisons tant de choses négatives parce que nous supposons
simplement que c’est correct, sans vraiment utiliser notre intelligence pour analyser plus avant. La
personne dans les affaires qui fait du profit sans tenir compte de la souffrance d’autrui, a un sentiment
de justesse. La conclusion qu’elle tire est que c’est acceptable, mais la conclusion est tirée sans être
basée sur une raison ou une expérience juste. C’est pourquoi on l’appelle « supposition correcte ». En
tibétain, le terme qui désigne ce type d’esprit est tak-tchik-tou nyé-pa. Ce qui signifie « dire que c’est
juste sans hésitation ». Que le sujet soit juste ou non, l’esprit lui-même croit qu’il est correct.
Puisque la supposition correcte est un postulat établi sur des croyances culturelles ou sur le fait d’avoir
entendu quelque chose, elle n’a pas le pouvoir de reconnaître (identifier) vraiment l’objet.
Prenons l’exemple d’une supposition correcte de l’impermanence. Si nous demeurons à cette étape,
nous ne réaliserons jamais l’impermanence car nous ne pourrons jamais passer sous le niveau
superficiel. Et en raison de cela, bien que l’esprit suppose qu’il y ait impermanence, il n’a pas le pouvoir
d’éliminer les malentendus profondément enracinés à propos de la permanence du corps, des biens ou
du soi. Nous devons l’amener bien au-delà de ce niveau, au point où il peut vraiment commencer à agir
en tant qu’antidote à nos perturbations.
supposition correcte sans raison, supposition correcte fondée sur une raison opposée, supposition correcte fondée sur une
raison qui ne conduit à aucune conclusion, supposition correcte fondée sur une raison hors de propos, supposition correcte
fondée sur une raison parfaite mais non établie
1
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Généralement dans le bouddhisme tibétain on parle de trois sagesses. La première est la sagesse qui
vient de l’écoute. Ainsi l’esprit qui suppose correctement que notre corps est impermanent, appartient à
cette sagesse.
Cet esprit est vraiment utile seulement si il mène à la seconde étape, la sagesse de la contemplation,
qui porte la sagesse ou la compréhension acquise par l’audition, à un niveau plus profond en la
contemplant, l’analysant, la ressassant encore.
La troisième sagesse, la sagesse acquise par la méditation peut amener la perception yogique directe.
Méditation, ici se réfère à la méditation en un point, l’absorption ou la méditation de placement. Par la
contemplation, nous atteindrons un certain point et ensuite nous arrêterons l’analyse et laisserons
l’esprit s’absorber dans ce point.
C’est ce que nous visons, mais si nous nous arrêtons simplement au premier niveau, avec une
supposition correcte, ce n’est pas vraiment dangereux mais ce n’est pas non plus très bénéfique. Ce
n’est qu’un truc superficiel pas très stable. Même si nous acquérons le type de sagesse obtenu par
l’écoute elle peut être très, très facilement détruite par d’autres explications contradictoires.
Par exemple, bien que nous pensions que notre « je » soit impermanent, il est possible que nous lisions
un livre sur l’hindouisme, merveilleusement écrit, qui soutient que le « je » est permanent. Les
arguments sont très convaincants, et la confusion nous gagne, et nous pensons « Oui, mon « je » est
permanent.» C’est aussi une supposition correcte. « Correcte » se rapporte plutôt à la conclusion,
lorsque votre esprit croit fermement que c’est juste.
Pour parler grossièrement, le bouddhisme affirme que le « je » est impermanent et l’hindouisme affirme
qu’il est permanent, mais c’est une explication simpliste.
En 1985, s’est tenu à Séra un séminaire consacré principalement aux vues Cittamatrin. De nombreux
éminents érudits non-bouddhistes exposèrent leur vue du « je », c’était très différent de ce qu’expliquent
les textes bouddhiques à propos des théories hindoues du « je ». Traditionnellement, les textes
bouddhiques disent que les Hindous affirment que le « je » est permanent et se servent de cet exemple
pour illustrer les vues erronées, mais ce que nous avons entendu au cours du séminaire était beaucoup
plus subtil, même en considérant les vues les plus hautes des Prasangika, c’était très semblable aux
vues bouddhiques et acceptable en général.
Lorsque nous avons lu les descriptions des philosophies non-bouddhiques, il nous semblait que leurs
croyances et leur manière de présenter leurs vues étaient complètement erronées, mais en fait, quand
nous avons discuté en face à face, il n’y avait pratiquement rien à réfuter à part l’obtention de l’éveil luimême.
Après le séminaire nous avons beaucoup discuté. Nous sommes parvenus à une conclusion, c’est que
bien qu’il y ait de nombreuses présentations des théories non-bouddhiques dans la littérature
bouddhique, pratiquement aucun des auteurs bouddhiques n’avait rencontré un pratiquant nonbouddhiste. Ils ont utilisé des textes indiens comme sources, qui étaient très difficiles à comprendre et
de là ils en ont tiré leurs conclusions. De plus la raison de se référer aux croyances non-bouddhiques,
était de les réfuter, donc bien sûr ils n’étaient pas à la recherche de vues correctes.
5) Les cognitions consécutives.
Les trois dernières divisions, de la division septuple sont des cognitions ou consciences qui
« connaissent » ou perçoivent vraiment l’objet.
Les cognitions consécutives peuvent être des perceptions directes ou des pensées conceptuelles telles
que les cognitions inférentielles. Elles sont différentes des autres consciences en ce qu’elles ne sont
plus le premier moment de conscience. Par exemple, pour une cognition inférentielle, un esprit qui
perçoit son objet par inférence, le premier moment de cet esprit est ce que nous désignons par
cognition inférentielle avérée. A la suite de cela, le second moment de cet esprit n’est plus une cognition
inférentielle avérée, mais devient une cognition inférentielle consécutive. La cognition avérée n’est
toujours que le premier moment.
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Il en va de même pour la perception directe. La conscience visuelle – la perception directe visuelle –
voit un crayon. Au premier moment, c’est ce qu’on appelle une perception directe avérée. Les moments
subséquents de l’esprit voyant ce crayon ne sont plus des perceptions directes avérées mais des
perceptions directes consécutives.
Une cognition consécutive est le résultat d’un moment précédent de conscience. Par la force du premier
moment de cognition, conceptuel ou perceptif, le second moment de conscience est généré. Il est
simplement induit par le premier moment.
Ceci est un classement théorique plutôt que pratique qui n’est pas si important pour notre pratique du
Dharma.
6) Les cognitions inférentielles.
Le sixième type de cognition dans la division septuple est la cognition inférentielle. Elle réalise l’objet,
comme le fait la perception directe, mais pas à travers une perception directe. La définition issue de
Connaître l’Esprit est :
« Une cognition inférentielle est un type de conscience conceptuelle qui réalise, ou qui parvient
irréfutablement à, un objet de compréhension qui ne peut être réalisé initialement par une perception
directe. Générée au point culminant d’un processus de raisonnement, elle est dite être produite en
dépendance d’un signe correct qui lui sert de fondement. »
Une cognition inférentielle réalise infailliblement son objet de cognition et, en tant que telle, est une
forme de connaissance aussi fiable qu’une perception directe. Toutefois, tandis qu’une perception
directe entre en contact directement et sans erreur avec son objet, une cognition inférentielle n’est
capable d’entrer en contact seulement qu’avec des choses qui ne sont pas évidentes à la perception
directe. De nombreux points, tels que l’impermanence subtile ou le non-soi de la personne ou des
phénomènes sont en ce moment cachés à notre expérience immédiate et ne peuvent être compris que
par une cognition conceptuelle.
Une cognition inférentielle de ces choses ne surgira pas dans nos esprits simplement par la prière ou
par le fait d’endurer certaines épreuves physiques. Elle doit être cultivée à travers un processus de
raisonnement exact.
Dans Connaître l’Esprit, vous verrez que l’inférence est divisée en trois catégories :
a) l’inférence par adhésion
b) l’inférence par ce qui est communément reconnu
c) l’inférence par le pouvoir du fait
La seconde est fondée culturellement et n’est pas si importante pour nous, mais je vais traiter
brièvement des deux autres.
Nous pouvons savoir certaines choses facilement, d’autres sont plus cachées, et nous avons de
nombreux doutes quant à leur existence. Donc d’une certaine façon, nous pouvons dire que tous les
phénomènes peuvent être répartis en 3 catégories : manifeste, caché (ou imperceptible) et très caché
(complètement imperceptible) . (Nous avons déjà étudié cela au cours du chapitre quatre à propos des
Deux Vérités, dans la partie sur la réalisation des Deux Vérités.)
Des choses telles que un crayon ou une main sont des phénomènes évidents (manifestes). Voir ce
crayon ou ma main correctement est assez facile ; nous n’avons pas besoin de dépendre de quelque
chose pour les voir. Mais bien que ma main se trouve devant moi et que je puisse la voir clairement,
comprendre son impermanence nécessite quelque chose de plus. Donc l’impermanence est un
phénomène caché (imperceptible).
Mais il existe un autre type de chose qui est un phénomène très caché (complètement imperceptible).
Comment expliquez-vous la couleur de la peau ou des yeux en Occident ? Je suppose que vous utilisez
la technologie pour rechercher l’ADN ou que vous expliquez cela en termes de biologie ou de
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génétique. Ce qui peut expliquer comment cela s’est produit mais non pourquoi. D’un point de vue
bouddhique, quelle est la cause principale qui fait que je possède cette main particulière, qui est de
cette forme et de cette couleur ? Quand ai-je accumulé la cause pour avoir cette main ? Je dois avoir
accumulé les causes pour avoir cette main, sinon je ne l’aurais pas, et donc il doit bien y avoir un
moment où ceci s’est produit. Quand ? Et quelles étaient ces causes ? Si je crois au karma, alors ces
choses ont dû se produire, mais elles nous sont très imperceptibles. Parmi les trois niveaux, c’est très
évident, je peux voir ma main, mais cette main possède des caractéristiques, telles que l’impermance,
qui sont cachées. Pour le comprendre j’ai besoin d’aide, comme par exemple l’utilisation de la logique.
La logique affirme que ma main est impermanente parce qu’elle est produite par des cellules, etc, qui
mourront. Quant aux caractéristiques complètement imperceptibles (très cachées) : bien que nous
puissions comprendre l’impermanence, car nous pouvons comprendre les cellules, quelles sont les
causes des cellules ? La logique ne répond pas à ce genre de questions.
Donc, parmi les trois types d’inférence, les phénomènes manifestes et les phénomènes cachés
peuvent être authentifiés à travers l’inférence par le pouvoir du fait, pour les phénomènes extrêmement
cachés (complètement imperceptibles) on a recours au premier type : l’inférence par adhésion.
Afin de pouvoir prouver que la cause de ma main est due au fait qu’au cours de ma vie antérieure j’ai
accumulé telles et telles causes et conditions, à telle et telle occasion, je dois m’appuyer sur ce que
quelqu’un a affirmé, et non sur le pouvoir du fait. Je dois m’en remettre à quelqu’un qui a le pouvoir de
me le dire. D’habitude nous prenons le Bouddha comme source fiable. C’est le pouvoir de l’adhésion
(de la croyance), croyance n’est pas un mot tellement approprié. Avoir confiance en cette personne
pour différentes raisons me paraît plus juste.
Au lieu d’avoir une foi aveugle, nous devons examiner attentivement. Premièrement le Bouddha peut-il
savoir ces choses ? Si nous croyons qu’il est libre de toute perturbation, alors nous pouvons générer la
confiance qu’il peut voir tous les phénomènes, mêmes ceux qui sont extrêmement cachés.
Deuxièmement, s’il sait tout cela, y a-t-il une raison pour qu’il me mente à ce propos ? Puisque nous
croyons que le Bouddha est affranchi de toute pensée égoïste, alors à quoi bon mentir ? Il n’a rien à
gagner en mentant. Si j’examine minutieusement, je m’apercevrai qu’il en est ainsi, c’est pourquoi, s’il
me disait que j’ai réuni les causes de cette main à telle et telle période, j’aurais confiance dans le fait
qu’il le sache et dans celui qu’il dise la vérité.
Bien que le Bouddha l’ait enseigné, nous ne pouvons voir comment la générosité de cette vie libèrera
de la pauvreté dans la vie prochaine. En réalité, qui sait si c’est vrai ou pas ? Mais nous avons constaté
que tant de ses enseignements sont vérifiables, nous avons examiné et décidé qu’il n’avait pas de
raisons de mentir, et c’est pourquoi dans ce domaine extrêmement caché, nous nous sentons assurés
de nous fier à lui.
Il a aussi enseigné combien cette renaissance humaine est rare et précieuse. On ne trouve nulle part
d’enregistrement informatique de ce que j’ai fait pour créer cette renaissance, mais nous pouvons nous
fier aux paroles du Bouddha à ce propos. Ce que nous essayons de comprendre se situe au-delà de
notre capacité de compréhension, - il n’y a pas d’explication rationnelle – mais en nous appuyant sur
cette confiance nous pouvons établir une compréhension et à partir de là, poursuivre vers des niveaux
plus profonds. Sans cela il serait très difficile de réaliser la rareté de cette vie humaine actuelle.
Ce genre de processus de pensée est là. Il se produit fréquemment dans notre vie. Dans les centres du
Dharma, Il est agréable d’entendre les gens dire que c’est leur karma lorsqu’ils ont un problème. Peutêtre qu’auparavant ils disaient : « Dieu sait ». Il est assez difficile de voir le karma, mais à travers
l’écoute (des enseignements), la lecture de livres et le fait de croire ce que les personnes érudites ont
appris à ce sujet, quelque chose pénètre à un niveau plus profond même si nous ne le comprenons pas
complètement.
a) Les cognitions inférentielles avérées.
Cette « cognition inférentielle » est très, très importante dans la tradition tibétaine, et particulièrement
dans l’école des guélougpa. C’est à cause de la forte conviction que pour avoir une perception yogique
71
directe, pour réaliser l’impermanence ou le non-soi directement, la cognition inférentielle est cruciale.
C’est seulement après avoir réalisé des phénomènes subtils tels que l’impermanence et le non-soi, par
inférence, qu’on peut les réaliser directement. L’école Guéloug affirme que l’on parvient à l’esprit non
conceptuel de la perception directe uniquement par la cognition inférentielle avérée – un esprit
conceptuel-. Puisqu’on considère que c’est si important, on trouve de nombreux textes d’érudits, tels
ceux de Dharmakirti, qui montrent le fonctionnement de la cognition inférentielle.
Il est facile de dire « mon corps est impermanent parce que c’est un produit » mais quels en sont les
mécanismes ? Comment ce processus de pensée se produit-il, comment devient-il finalement une
cognition inférentielle avérée ?
C’est un vaste sujet. Dans la cour des débats, nous l’appelons tha-rig, ce qui signifie « compréhension
logique ».
Dans le bouddhisme tibétain le système logique prend en compte le processus épistémologique et n’est
pas une forme de logique pure et abstraite comme les mathématiques. Ce n’est jamais un simple
processus objectif ; mais c’est également un processus subjectif. Un mathématicien dirait « 2 + 2 = 4 »
et s’arrêterait là. Puisque tout ce que nous étudions dans le bouddhisme tibétain a trait à la façon dont
on peut développer son esprit jusqu’à son potentiel maximum, une règle abstraite telle que celle-ci ne
nous paraîtrait pas si bénéfique. On aurait tendance à dire, « 2 + 2 = 4, pour un esprit éveillé est une
vérité relative » ou quelque chose de cet ordre. A moins qu’il y ait un avantage à comprendre la manière
subjective dont l’esprit interprète les phénomènes, c’est de peu d’intérêt pour nous. Le processus
épistémologique doit être également impliqué.
Donc la cognition inférentielle avérée est un esprit conceptuel. Mais c’est un esprit qui a perçu son objet
(tel que l’impermanence des phénomènes) par une inférence avérée à un niveau suffisamment profond
pour que, au moyen du calme mental et de la vue pénétrante, cette inférence puisse être convertie en
un esprit qui réalise directement ce phénomène.
7) Les perceptions directes.
La dernière catégorie de la division septuple concerne les perceptions directes. Lati Rinpoché les défini
comme étant des connaissants :
« Libres de conceptualisation et non-erronés. Etre libre de conceptualisation indique qu’une telle
conscience appréhende son objet directement, sans l’usage d’une image mentale… Qu’elle soit nonerronée, signifie qu’aucun élément erroné n’entre en jeu dans ce qui lui apparaît. »
Comme vous pouvez le voir d’après la définition, une perception directe est un esprit libre de
conceptualisation. Par exemple, lorsque notre conscience visuelle voit un crayon, elle le voit
directement. Entre la conscience visuelle et le crayon, lui-même, il n’y a rien. La conscience visuelle
entre en contact directement avec l’objet et le perçoit. Aucune image mentale n’est présente, c’est
pourquoi on l’appelle « libre de conceptualisation ».
Pour l’esprit conceptuel qui pense à un crayon, l’objet (le crayon) n’est pas directement perçu. Entre
l’objet lui-même et la pensée, se trouve l’image du crayon, donc la pensée est produite en dépendance
de l’image. La conscience visuelle voit le crayon directement, aussi est-elle produite en dépendance du
contact avec le crayon même .
La seconde moitié de la définition affirme que cette cognition n’est pas erronée. Ici, « non-erronée »
signifie qu’il n’y a pas d’élément erroné impliqué dans ce qui apparaît à la conscience. L’apparition du
crayon à la conscience visuelle est sans défaut. Ce qui apparaît est le vrai crayon. La pensée
conceptuelle, d’un autre côté, est erronée dans le fait qu’elle n’appréhende pas le crayon véritable, mais
l’image du crayon. L’image du crayon ne peut écrire une lettre – ce n’est qu’une simple image. Un esprit
qui est une perception directe est donc libre d’erreurs.
« Non-erroné », dans la définition, concourt également à éliminer les cognitions fausses qui ne sont pas
conceptuelles mais qui ne sont pas non plus des perceptions directes. Parfois certaines consciences
sensorielles voient ou entendent des choses de façons totalement erronées, en raison de causes
72
temporaires. Un exemple traditionnel, est celui que nous avons évoqué précédemment, lorsque d’un
bateau en marche les arbres paraissent se déplacer. En réalité, nous sommes celui qui se déplace, et
non les arbres, mais nous avons cette conscience erronée. Bien que ce soit une conscience directe, ce
n’est pas une perception directe, car elle n’est pas non-erronée.
Dans lo-rig on trouve quatre types de perceptions directes.
a) les perceptions directes sensorielles
b) les perceptions directes mentales
c) les perceptions directes auto-connaissantes (ou auto-perception)
d) les perceptions directes yogiques
Les perceptions directes sensorielles fonctionnent avec nos cinq consciences sensorielles. Les
perceptions directes mentales, d’un autre côté, sont des perceptions directes qui ne font pas partie des
consciences sensorielles. Les perceptions directes auto-connaissantes ne sont pas acceptées par le
Madhyamika et particulièrement par l’école Prasangika, mais sont affirmées par les écoles inférieures
telles que Cittamatra et Sautrantika. Comme elles ne sont pas très importantes pour nous, je n’en
parlerai pas, ni des perceptions directes sensorielles qui s’expliquent d’elles-mêmes.
Si vous souhaitez plus de détails à ce propos, consultez Connaître l’Esprit de Lati Rinpoché. Je
voudrais approfondir un peu les perceptions directes mentales et les perceptions directes yogiques.
a) Les perceptions directes mentales ;
Les perceptions directes mentales sont assez importantes. Dans les textes, il est expliqué qu’il y a deux
types différents de perceptions directes mentales. L’une a lieu tout à la fin de chaque perception directe
sensorielle, telle que la conscience visuelle qui voit les couleurs, les formes, les contours ou bien la
perception directe auditive qui entend un son. Juste à la fin de cette conscience sensorielle, juste avant
que les autres pensées commencent à surgir, en un moment très, très bref, cette perception mentale
directe se produit.
Par exemple, lorsque nous voyons une table avec notre conscience visuelle directe, nous, personnes
ordinaires, ne pouvons reconnaître ce moment car il est très rapide – presque instantanément notre
processus de pensée donne l’étiquette. Mais entre la perception et la conception, il y a toujours un
moment très, très bref qui est une perception mentale directe. Le moment est trop court pour que nous,
personnes ordinaires, puissions le connaître et ne pouvant le connaître, nous ne pouvons l’utiliser.
Le second type de perception directe mentale est appelé généralement clairvoyance. On trouve
différents types de clairvoyance, tels que voir directement l’esprit ou les vies passées d’autrui. Ce
genre de perception directe est développé à partir de shamatha ou calme mental, que l’on nomme
parfois esprit de stabilisation, sam-tèn.
b) Les perceptions directes yogiques.
Une perception directe yogique peut être définie comme :
« L’esprit d’un arya qui est non-trompeur et libre de conceptualisation, et qui est produit en
dépendance de la concentration unifiée du calme mental et de la vision pénétrante, qui est sa condition
souveraine. »
Le développement de perceptions directes yogiques est un des buts principaux de l’entraînement
méditatif. Bien que nous possédions la capacité de percevoir directement et sans effort des choses
telles que les formes et les sons par nos consciences visuelles ou auditives, nous n’avons pas cette
faculté face à des phénomènes profonds comme l’impermanence subtile et le non-soi. Au début,
lorsque nous contemplons un objet subtil comme l’impermanence, nous ne pouvons commencer à le
comprendre qu’en utilisant la logique. Je suis certain que nous en sommes tous à ce stade maintenant.
Quand nous méditons sur ce sujet, nous pouvons avoir le sentiment que tout change constamment. Ce
n’est pas vraiment une image, comme une visualisation du Bouddha, mais c’est une image mentale. A
partir de notre analyse logique de la situation, nous obtenons cette image dans notre tête, du
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changement rapide qui arrive à toutes choses. En réitérant cette méditation, cette image mentale
conceptuelle fait de plus en plus partie de notre esprit jusqu’à transcender la conceptualisation et
devenir une perception directe. C’est une perception directe yogique – nous avons réalisé l’objet
directement.
Contrairement à la clairvoyance qui est un aboutissement qui n’est pas propre aux pratiquants
bouddhistes, les perceptions directes yogiques ne surviennent que dans le continuum mental des êtres
supérieurs (arya), des pratiquants qui ont atteint le troisième parmi les cinq chemins, celui de la vision.
Elles ne sont obtenues que par l’entraînement de l’esprit à percevoir directement des choses comme
l’impermanence ou le non-soi.
Bien qu’elles partagent certains traits avec nos perceptions directes sensorielles, comme le fait d’être
libres de conceptualisation et celui d’être non-erronées, la différence est que les perceptions directes
yogiques ne se produisent que par entraînement. Ainsi vous pouvez constater que parmi les
perceptions directes, certaines sont de simples esprits ordinaires, comme nos consciences sensorielles
ordinaires, et certaines sont des esprits élevés tels que les perceptions directes yogiques.
C’est là qu’une compréhension claire de tout le processus d’entraînement de l’esprit est si importante.
Le but d’obtenir une perception directe yogique qui réalise quelque chose telle que l’impermanence,
paraît impossible sans voir qu’il y a des étapes définies et accessibles qui vont nous y mener.
De la conscience fausse qui voit tout comme permanent, par la lecture et l’écoute, nous commençons à
avoir des doutes qui deviennent des consciences que, par exemple, les phénomènes composés sont en
fait impermanents. Cela devient avec le temps, une supposition correcte, puis une cognition
inférentielle.
Ce sont tous des esprits conceptuels. Comment pouvons-nous changer une pensée en perception
directe, qui soit ce qu’est la perception directe yogique ? Nous devons développer le calme mental et
ensuite la vision pénétrante, d’abord séparément puis ensemble. Même le concept est difficile !
Cette union n’est pas une perception directe yogique mais l’outil nécessaire pour atteindre la perception
directe yogique. Avec elle, nous pouvons développer des réalisations non seulement de
l’impermanence mais aussi de la vacuité et de bodhicitta.
Rappelez-vous que j’ai dit que dans une perception directe, il n’y a rien entre l’objet et la perception,
tandis que dans une cognition conceptuelle, il y a une image qui la sépare de l’objet.
En utilisant l’outil qu’est l’union du calme mental et de la vue pénétrante – c’est un esprit qui à la fois est
en méditation profonde et qui a une compréhension puissante de l’objet – nous pouvons aller au delà
de la conscience tributaire des images mentales. Lorsque nous séparons
notre esprit de l’image générique, nous demeurons avec une perception directe de cet objet très subtil,
l’impermanence.
Quand nous sommes passés par ce processus et que nous atteignons la réalisation complète, elle ne
dégénèrera jamais ; elle restera toujours stable, même de vie en vie. C’est en cela que cet esprit de
perception directe yogique est spécial.
Les différences de processus du point de vue de la sagesse et de la méthode.
En examinant la division septuple de l’esprit, nous observons le processus que nous devons développer
en vue de l’Eveil. De consciences erronées, nous progressons vers le doute, vers une supposition
correcte, jusqu’à une perception directe de la façon dont les choses sont réellement. Toutefois, il y a
une différence de processus du point de vue de la sagesse et de la méthode. Comme vous le savez,
lorsque nous travaillons l’aspect de la sagesse, nous traitons de faits, comme la vacuité ou
l’impermanence. Par contre quand on commence à développer le côté de la méthode, comme la grande
compassion et bodhicitta, nous ne traitons pas vraiment de faits.
De nombreux textes expliquent qu’avec la compréhension de la vacuité ou de l’impermanence, ces
esprits qui sont initialement des pensées conceptuelles peuvent devenir des perceptions directes alors
que nous ne sommes pas encore des êtres éveillés. En d’autres termes, nous pouvons percevoir ces
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objets directement avant d’avoir atteint l’Eveil. D’un autre côté, la compassion et bodhicitta sont des
esprits conceptuels, ce ne sont pas des perceptions directes, et ces deux ne se transformeront pas en
perceptions directes avant que nous ayons atteint l’Eveil complet. (Nous considèrerons la différence
entre la grande compassion et bodhicitta, dans le prochain module.) Il y a de nombreuses discussions
quant à la raison de ceci et il est important de savoir pourquoi nous devons attendre jusqu’à l’Eveil
complet.
C’est à cause de l’objet. Chaque esprit doit avoir un objet et l’objet d’un esprit développant une
réalisation de la vacuité, est cette vacuité. L’objet d’un esprit développant une réalisation de bodhicitta,
est la souffrance de tous les êtres sensibles. Nous pouvons parvenir à voir directement la vacuité,
disons de notre corps. C’est difficile, mais pas impossible. Mais avant d’avoir un esprit omniscient,
comment pouvons-nous parvenir à connaître toute la souffrance de chacun des êtres vivants ? C’est
impossible, ne croyez-vous pas ?
Souvenez-vous dans le module des Deux Vérités, j’ai parlé des différentes durées nécessaires, selon
les enseignements du Mahayana, pour qu’un pratiquant du soutrayana atteigne la libération et pour
qu’un pratiquant du bodhisattvayana atteigne l’Eveil. Lorsque vous réalisez la vacuité directement, vous
pouvez continuer pour atteindre la libération, mais si votre but est l’Eveil, alors votre méditation se
centrera sur la souffrance de tous les êtres sensibles. Avoir une compréhension directe de l’Eveil est
impossible tant que vous n’avez pas atteint l’Eveil, vous-même.
Le dicton tibétain est : afin de jeter quelqu’un au milieu du bassin, vous devez allez un petit peu dans le
bassin, vous-même. Afin d’avoir une compréhension directe de l’Eveil, vous devez vous-même avoir
atteint l’Eveil, sinon ça ne pourra jamais arriver.
Les deux volets de la sagesse et de la méthode doivent être développés. Dans les premières étapes,
bien qu’ils soient tous deux des esprits conceptuels, il y a différentes façons de les développer. Nous
pouvons assez facilement transformer l’un en perception directe mais l’autre non.
Je ne suis pas en train d’affirmer que l’objet de la grande compassion ou de bodhicitta ne peut être
réalisé avant l’éveil, mais il ne peut être réalisé directement. Dans le contexte de la division septuple il
ne deviendra pas une perception directe.
Si vous lisez les textes du Lam Rim, les sujets du calme mental et de la vue pénétrante viennent après
bodhicitta. Dans le bouddhisme tibétain, et particulièrement dans la présentation des guélougpa, nous
n’abordons pas vraiment cela au cours des étapes initiales, mais mon sentiment est que sans cela nous
ne pouvons pas vraiment percer le mur vers les réalisations directes. Sans le calme mental et la vision
pénétrante, une cognition inférentielle ne deviendra pas une perception directe.
La perception directe de la vacuité ou de l’impermanence commence au sentier de la vision (le
troisième des cinq chemins) ou juste après. En atteignant ce stade, nous fermons la porte aux
renaissances dans l’existence cyclique. Ce qui signifie que nous ne reprendrons jamais naissance, de
manière non délibérée, par le pouvoir du karma et des émotions perturbatrices ; nous sommes libres de
leur pouvoir, mais ça ne signifie pas que nous ayons atteint l’Eveil.
Nous fermons la porte aux renaissances dans le samsara parce qu’à ce stade nous avons obtenu la
réalisation directe de la vacuité, lorsque toutes ces perceptions directes (de l’impermanence, de la
vacuité, etc…) se produisent ensemble. On n’arrache pas simplement une réalisation, et quand on l’a
obtenue, on recommence, en arrache une autre et l’obtient. Elles doivent toutes venir ensemble.
Nous avons toujours les « souillures » des karmas précédents, mais pour que ces anciens karmas nous
poussent à nouveau dans le samsara, ils ont besoin d’émotions perturbatrices nouvelles. Et puisqu’elles
ne sont pas présentes, c’est ça, les karmas demeurent sous forme de graines.
L’esprit qui agit ainsi est une perception directe, mais très différente des perceptions directes
sensorielles normales. Nos consciences sensorielles fonctionnent normalement sous l’effet de trois
forces – l’objet, l’organe sensoriel et la conscience – mais ici ce n’est pas le cas. Par le processus et par
l’entraînement, nous gagnons un stade qui est débarrassé de ces images.
C’est un esprit très subtil et il y a un risque, particulièrement aux niveaux supérieurs de méditation sur la
vacuité et l’impermanence, que nos sensations deviennent totalement équanimes (équanimité dans le
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sens d’immobilité et d’absence de sensation plutôt que d’éprouver le sentiment que tous les êtres
sensibles sont semblables dans leurs souffrances et dans leurs droits.) Lorsque de grands pratiquants
de la libération individuelle parviennent à un certain niveau, nombreux sont ceux qui passent leurs vies
entières dans cet état. En fait, de nombreux soutras pour la plupart mahayana parlent d’éons dans cet
état. Donc, si nous transformons notre réalisation de sagesse en un état d’absorption, nous risquons de
finir dans cet état sans progresser.
Notre but est l’éveil complet et nous devons le garder à l’esprit. Pour développer notre sagesse nous
avons besoin d’une analyse intellectuelle acérée de la nature de la réalité, associée à une concentration
profonde. Toutes deux proviennent de la compréhension de l’esprit. Le côté émotionnel de notre esprit
est tout aussi important : l’esprit qui éprouve une profonde compassion envers tous les êtres sensibles
et qui est capable de devenir un esprit principal de bodhicitta. Comment pouvons-nous développer cet
esprit tandis que nous essayons encore de faire face aux facteurs mentaux grossiers de la troisième
subdivision?
Ainsi vous voyez combien tant pour le côté de la sagesse que pour celui de la méthode de notre
pratique, une compréhension de l’esprit et de ses processus est vitale.
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LECTURES SUPPLEMENTAIRES
EMOTION ET COMPASSION
Ce chapitre est extrait des enseignements donnés initialement par Guéshé Tashi à BPG, l’école Bouddhique d’été de
Leicester en 2000, et qui est paru dans « Buddhism Now » and « Gentle Voice ».
1. Les émotions et l’esprit.
Si l’esprit est vital à notre bonheur, nous devons vraiment comprendre comment il fonctionne, comment
différents types d’émotions surviennent, quelles sont leurs causes et leurs conditions et les
conséquences dans notre vie quotidienne. Même si nous pouvons le faire, nous sommes encore bien
loin de comprendre en profondeur l’esprit capable de devenir réellement compassion et c’est vraiment
le but que nous devrions poursuivre. Donc je donnerai ici une vue d’ensemble de la façon dont nous
pouvons développer un esprit compatissant à partir de l’esprit qui est actuellement dominé par les
émotions.
Nous nous rendons compte de ce qui se passe dans notre esprit à un niveau conscient, mais cela n’est
qu’une toute petite partie du tableau. Notre esprit fonctionne constamment, vingt-quatre-heures sur
vingt quatre, même pendant le sommeil. A l’état de veille, il y a encore toute une vie inconsciente dont
nous ne sommes pas conscient, où notre esprit fonctionne encore au niveau émotionnel et rationnel,
affectant profondément ce que nous sommes et ce que nous faisons.
La conscience sensorielle et la conscience mentale sont reliées. Les consciences mentales proviennent
des consciences sensorielles – nous voyons quelqu’un souffrir et nous éprouvons de la compassion - et
les consciences mentales peuvent générer des consciences sensorielles. Mais pour nous l’esprit le plus
puissant est la conscience mentale.
En ce moment, nous éprouvons tous parfois de l’amour pour nous-même et pour autrui et nous
éprouvons également l’opposé, le désir d’être plus distant. Ceci fait partie de notre vie, mais ce n’est
pas inexorable ; il existe une possibilité de changement. Comme nous le savons tous, tout est sujet au
changement, et bien que pour le moment les émotions positives et négatives paraissent faire partie de
notre caractère, nous sommes capables de développer le positif et de réduire et même d’éliminer le
négatif, si nous appliquons la solution adéquate.
Les émotions négatives ne paraissent pas avoir de fin, mais la réalisation qu’elles peuvent et qu’elles
vont changer, nous permet de regarder plus loin. Changent-elles accidentellement ou quelqu’un va-t-il
les changer pour nous ? Les choses ne changent que lorsque des causes et des conditions
particulières se rencontrent. C’est là le point important. Nous ne pouvons pas seulement attendre que
les choses s’améliorent.
Alors comment pouvons-nous changer des émotions indésirables comme la colère et l’attachement ?
Le fonctionnement de l’attachement est de vouloir quelque chose ou de vouloir plus. Et la colère est
aussi vouloir – vouloir éloigner, vouloir couper, partir. Selon le Bouddhisme, de telles émotions sont
indésirables parce qu’elles entraînent inévitablement un type de sentiment ou d’expérience désagréable
pour nous-mêmes et pour ceux qui nous entourent.
2. Préparer le sol fertile.
Afin de pouvoir gérer ces émotions négatives, la première chose à faire est de poser les fondations, et
les fondations, c’est shamatha. J’y fais habituellement allusion en tant que l’esprit fertile – le sol qui est
très riche. L’esprit de shamatha est calme et clair. C’est plus que de la simple clarté, qui en elle-même
ne possède pas d’énergie ; shamatha possède également de l’énergie à cause de sa clarté. Sans un tel
esprit nos efforts ne seront pas très efficaces.
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Il y a quelque temps, je regardais une émission consacrée à la nature dans laquelle on voyait un oiseau
africain vraiment beau, qui construisait un nid, j’ai été surpris de l’attention incroyable et du soin qu’il y
apportait. L’idée m’est venue alors que shamatha était comme ce nid qui était fait avec tellement de
soin et qui pouvait contenir des œufs et plus tard des petits – et qui en même temps était si beau. C’est
exactement shamatha. Si nous avons ce nid, shamatha, ensuite générer les qualités mentales comme
la compassion, la bonté aimante, ou autre, est très facile car le fondement est là.
Très souvent les gens disent qu’ils méditent, mais en fait ce qu’ils font c’est qu’ils ne pensent à rien ;
l’esprit est totalement éteint. C’est assez calme et agréable, particulièrement lorsqu’on est stressé, mais
en méditation, nous avons besoin au moins d’une certaine clarté. Sans cela notre méditation
s’apparente plus à de la relaxation.
3. Gérer la cause de l’émotion.
On pourrait croire que les émotions surgissent sans arrêt. Cependant en réalité, ce n’est pas le cas.
Quelle que soit la puissance de la colère, elle ne dure pas ni un mois, ni même une semaine, ni même
vingt-quatre heures. Le fait que la colère va et vient prouve qu’elle n’est pas continuellement agissante
dans notre esprit. Nous pouvons avoir l’impression que parce que nous sommes en colère maintenant,
nous sommes en colère tout le temps, mais non. Aucune émotion n’agit durant vingt-quatre heures ;
toutes vont et viennent. Si nous nous sentons désespérés parce que nous sommes dominés par une
émotion particulière, ce savoir nous aidera. Nous devons l’observer, même sans y mettre d’effort,
l’émotion s’arrêtera d’elle-même, donc si nous essayons, il y aura sans aucun doute un résultat.
Les émotions ne surviennent pas à cause d’une seule raison. Comme une toile d’araignée, toutes les
émotions qui surgissent en nous sont liées de telle sorte que lorsqu’on tire un fil, toute la toile vacille.
Lorsque nous réfléchissons à la cause de n’importe quelle émotion particulière, nous devons donc
considérer un tableau plus large. Ne prendre en considération qu’une cause et qu’un seul remède ne
marchera pas. Nous devons regarder l’ensemble , au delà des reproches extérieurs – à ‘ mes proches’,
‘mes parents’, ‘mes ennemis’, ‘mes objets’, ‘ma voiture’. Nous devons tourner le regard vers l’intérieur
et regarder comment nous réagissons à ce qui arrive. Si nous considérons un ensemble plus vaste, la
solution sera très efficace.
Donc la colère, ou toute émotion qui nous apporte de la douleur ou de l’inconfort, est le résultat de
l’union d’une variété de causes et de conditions. Une seule chose allumera la flamme et tout surgira,
mais le déclencheur n’est que la condition immédiate. La cause réelle, la façon dont l’esprit réagit aux
objets extérieurs, est très vaste. Nous pouvons facilement voir que le résultat de ce genre d’émotions
sera toujours déplaisant.
Nous devons savoir que le résultat est toujours déplaisant. Ce savoir en lui-même est très puissant.
Mais il ne peut provenir des enseignements du Bouddha ou de ce que les autres affirment, il doit venir
de notre propre expérience. L’expérience nous dira que des émotions identiques, même à l’encontre de
personnes différentes, à un moment différent, produira le même résultat général.
Bien que nous puissions ne pas être en colère, le simple fait de penser aux conséquences de la colère,
le simple fait d’y penser, aidera. Après environ quinze minutes de méditation sur les résultats de la
colère, il est possible que nous sortions et que nous ayons une expérience désastreuse mais cette
méditation aidera tout de même. Même si nous nous mettons encore passablement en colère, ce ne
sera pas aussi méchant qu’avant.
Bien sûr je m’exprime ici en termes très généraux. Nous devons d’abord établir le fondement et ensuite
considérer les causes dans un sens très large. Ensuite, nous devons considérer les résultats futurs –
les conséquences d’avoir ces émotions. Tout ceci est très utile mais ne sera pas encore suffisant pour
éliminer complètement ces émotions parce qu’elles sont si profondément enracinées. Pour les éliminer
nous devons recourir à quelque chose de plus que la connaissance des causes et des conséquences.
Les Tibétains ont une expression : « Vous pouvez voir les momos ( le plat préféré des Tibétains) dans
la vitrine, mais ils ne rempliront jamais votre estomac. » Nous pouvons voir les momos dans la vitrine ;
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ils semblent délicieux ; nous pouvons peut-être même les sentir. Mais ils n’aideront jamais à soulager
notre faim si nous les laissons dans la vitrine. La seule manière est de les manger. Simplement
regarder des causes et des conditions revient en fait à les regarder derrière la vitrine. Nous devons les
manger. Le fait de manger est le seul antidote, la seule manière de gérer ces émotions qui nous font
souffrir.
4. La pyramide des Trois Entraînements.
Comment obtenir cet esprit calme, clair et concentré qui fera face efficacement à nos émotions ? La
méditation seule ne le produira pas. C’est un sujet complexe car l’esprit est complexe. Le fait est que
nous devons regarder notre style de vie dans son ensemble, notre façon de vivre.
Dans le module des Quatre Nobles Vérités, j’ai mentionné l’éthique (shila) comme étant un facteur
important. Sans cela il est très difficile d’obtenir un esprit calme, quels que soient nos efforts et le
temps que nous consacrons à ce processus. Une vie réellement éthique dépend des trois
entraînements, éthique, concentration et sagesse.
Dans la tradition tibétaine, cet enseignement est illustré par la roue du Dharma, mais parfois je trouve
utile de le voir sous la forme d’une pyramide. La base de la pyramide est la dimension éthique sur
laquelle reposent les deux côtés – sur un côté se trouve la méditation ou concentration, sur l’autre la
vue profonde ou sagesse. La méditation et la sagesse ne peuvent tenir que s’il y a cette base, ce
fondement éthique.
Lorsque nous parlons d’éthique, nous parlons de normes universellement acceptées et donc un
comportement éthique doit concerner autrui. S’il n’ y a que « moi », il n’y a pas grand chose à dire à
propos de l’éthique. Les cinq préceptes laïques, par exemple, sont tous en lien avec la vie et les
sentiments d’autrui. L’émotion concerne invariablement autrui, par conséquent, afin d’apprendre
comment fonctionnent nos émotions nous devons tenir compte des pensées et des sentiments d’autrui.
Regarder simplement en nous, peut nous rendre très rigide.
La moralité, donc, est la base de la pyramide. Et les deux côtés – la sagesse et la concentration –
reposent sur elle, mais elles dépendent également l’une de l’autre. Sans sagesse, la méditation ne peut
se tenir ; elle s’écroulerait tout simplement. D’après ma propre expérience, j’ai découvert que le simple
fait de me rappeler que tout change est une aide véritable. Ainsi, la compréhension ou la sagesse ou la
vue pénétrante – quelle que soit la façon dont vous souhaitez l’appeler – est importante pour
l’enrichissement de la méditation afin que notre concentration ne disparaisse pas quand nous sommes
confrontés à des difficultés.
Un comportement éthique, la sagesse et la concentration affectent ensemble notre vie spirituelle, mais
bien qu’il ne soit pas question d’attendre que nous rendions parfait un aspect de notre vie avant de
procéder au suivant, il y a un ordre déterminé, comme la pyramide – d’abord la base, puis les deux
côtés. L’émotion est spontanée ; elle peut surgir apparemment sans raison ou en tant que résultat d’une
petite chose, parfois si fortement que nous ne pouvons la contrôler. D’un autre côté, la sagesse est un
processus lent fondé sur une analyse rationnelle.
Ainsi ces deux consciences paraissent presque complètement opposées : l’une spontanée,
continuellement fluctuante, et imprévisible, et l’autre prévisible, qui n’est ni fluctuante, ni spontanée.
Pourtant la sagesse aidera l’émotion. Elle ne peut rien, en plein milieu de l’émotion ; tandis que nous
sommes très en colère, l’esprit est envahi et il n’y a pas d’espace pour que la sagesse nous mette en
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garde. Ce n’est que lorsque la colère a diminué que nous pouvons prendre du temps pour penser à ses
désavantages, d’une façon très simple. Avec sagesse, nous pouvons analyser. Que fait la colère ? Elle
nous fait perdre notre belle expression et nous rend rouge et laid. Nous disons des choses que nous ne
dirions pas normalement, etc. Il n’est pas nécessaire qu’on nous dise ce qui se passe lorsque nous
sommes en colère ; nous en connaissons les désavantages – nous en avons tous fait l’expérience.
Utiliser la sagesse, c’est prendre en considération ces choses à l’avance et avec compréhension. Sans
aucun doute ce sera profitable.
Regarder notre émotion perturbatrice alors que nous sommes calmes, sera sûrement une aide pour au
moins réduire l’intensité de l’émotion quand elle surviendra.
5. L’amour universel – Le potentiel ultime de l’esprit.
La sagesse est également utile, en conjonction avec les émotions positives. Si nous voulons
encourager une attitude plus ferme d’attention, de bonté aimante ou de toute émotion qui implique de
se préoccuper d’autrui, et si nous souhaitons avoir une certaine stabilité, alors la sagesse est
nécessaire.
Bien que nos émotions soient toujours concernées par autrui, cela ne signifie pas que nous devrions
nous négliger. Cela signifie par contre, que sans tenir compte des autres, il est très difficile de parler de
son propre bonheur. Notre propre bonheur est absolument lié à autrui. En fait, il n’y a pas de bonheur
sans avoir d’égard pour les sentiments des autres êtres. Et de là vient la compassion.
Encore une fois, la compassion n’est pas que pour autrui ; il s’agit également d’éprouver de la
compassion pour notre propre bien-être. Nous éprouvons tous de la compassion, mais elle peut être
assez faible et parfois relativement partiale et discriminatoire. Il s’agit donc d’amener de la compassion
dans notre vie et de la rendre impartiale. Pourquoi ? Car nous voulons tous le bonheur, la paix et la
satisfaction. Ce n’est pas une affirmation philosophique, c’est un fait. Nous le voulons tous. Je ne pense
pas qu’il y ait quoique ce soit de mauvais à vouloir satisfaire cette aspiration profonde ; en fait, comme
Sa Sainteté le Dalaï Lama le dit souvent, nous avons tous droit au bonheur. Et comment l’obtenonsnous ? En tenant compte des autres êtres. Ceci est crucial. Il est très difficile de réaliser le bonheur en
son for intérieur sans se préoccuper des autres êtres. Pourquoi ? Parce qu’un comportement éthique
est toujours lié à autrui et l’esprit rationnel, l’esprit émotionnel, tous les états d’esprit fonctionnent avec
un objet. Sans objet, l’esprit seul ne peut fonctionner.
A ce stade je ne parle pas de compassion dans le sens de pouvoir considérer les difficultés d’autrui,
mais uniquement en termes de satisfaction de ses sentiments les plus profonds. Sans résoudre ce qui
se passe en soi, il est très difficile de comprendre ce qui ce passe pour qui que ce soit d’autre. En fait
c’est impossible. Le Bouddha a dit : « Quel qu’il soit celui qui s’aime, ne nuit jamais aux autres. » Si
nous ne savons comment nous aimer alors il est difficile d’aimer autrui. Ceux qui savent exactement ce
qui leur cause de la douleur ou du bonheur – pas intellectuellement mais du fond du cœur – sauront
qu’il en est exactement de même pour autrui.
Comme vous le savez, lorsque le Bouddha a parlé de la Première Noble Vérité, dukkha, il ne parlait
pas seulement de se frapper le crâne avec une canne – Douleur ! ceci est dukkha ! Non, il faisait
référence à quelque chose de bien plus profond que cela. Et donc avec amour. Lorsqu’il a dit,« Quel
qu’il soit celui qui s’aime, ne nuit jamais aux autres,» il se référait à un amour doté de compréhension.
C’est un type d’amour qui est profond ; qui n’est en rien superficiel.
Mais actuellement, lorsque nous pensons en termes d’être compatissant avec soi-même, cela implique
un « moi », un « je ». Nous devons comprendre ce « je ». Et ceci nécessite de la sagesse, une vue
profonde. S’aimer, très profondément, requiert une grande compréhension. En sanskrit le terme qui
désigne ce genre d’amour est maitri, en Pali, c’est metta. Ce type d’amour authentique n’est en aucune
façon émotionnel ; il est fondé sur la compréhension, la compréhension de la nature de notre vie.
Dukkha est présente tout le temps. Quel que soit le genre de vie que nous menons, peu importe que
nous soyons riche ou célèbre, que nous soyons bien éduqué, il y a toujours ce sentiment insidieux, au
fond de nous, que quelque chose ne va pas. Vous pouvez être un businessman prospère, pourtant au
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lit le soir, votre esprit ressasse des choses qui ne vont pas. J’ai entendu parlé récemment de Bill Gates,
un des hommes les plus riches du monde, et des problèmes qu’il a eu quand le gouvernement lui a
ordonné de scinder l’empire Microsoft en deux. Je ne suis pas en train d’affirmer qu’il a eu tort de se
battre, je ne le condamne pas – peut-être qu’à sa place, j’aurais fait la même chose – mais l’angoisse
qu’il a vécue que profondément en lui, indique qu’il y a un vide. S’il possède tous ces millions et n’est
pourtant pas encore pleinement satisfait, quand le sera-t-il ? Mais c’est la nature de l’esprit.
Donc, nous devons nous aimer. Réaliser que quel que soit notre style de vie, au fond de nous demeure
quelque chose qui ne sonne pas comme il faut, est une compréhension véritable. Ce sentiment, je le
partage, vous le partagez, tout le monde le partage ( à moins, bien sûr que vous ne soyez un être
éveillé). Selon le Bouddhisme, c’est un sentiment universel parmi tous les êtres sensibles. Et dans ce
contexte il n’y a aucune différence entre le pauvre et le riche, celui qui est en bonne santé et celui qui
ne l’est pas, le jeune et le vieux, l’Orient et l’Occident, - nous sommes tous pareils. Comme ce serait
bien d’être vraiment libéré de ce sentiment insidieux. C’est cela l’amour, l’amour réel. Ce n’est pas de
l’attachement.
6. Comprendre la condition humaine.
Nous pouvons générer un amour véritable, sage, car en tant qu’êtres humains nous possédons une
grande capacité d’accomplir des choses. De manière générale, nous sous- utilisons, ou utilisons mal
notre esprit et une grande partie de notre énergie passe à imiter les autres. Ceci conduit invariablement
à un sentiment d’échec, car nous ne pouvons copier ce que font les autres de façon satisfaisante. Il
nous faut nous souvenir que nous possédons ce grand potentiel de développer notre esprit.
Il y a quelques temps, j’ai entendu parler d’une dame âgée de quatre-vingt douze ans qui venait de
commencer à prendre des cours de français. J’ai été stupéfait ! Elle était là dans sa quatre-vingt
dixième année qui voulait apprendre une nouvelle langue. J’ai pensé que c’était vraiment merveilleux.
Plutôt que de penser qu’elle était tout simplement trop vieille pour quoi que ce soit, elle souhaitait que
sa vie humaine soit aussi pleine que possible.
Ce genre de chose est très important, et tout particulièrement quand on en vient à la pratique du
Dharma. Nous pouvons consacrer du temps à l’esprit, souhaitant l’améliorer de plus en plus. C’est un
genre de saisie, mais il n’y a rien de mal à vouloir améliorer la vie, pas dans ce contexte dharmique.
Cela va au moins dans le sens du Dharma donc ça ne m’importe pas !
Je trouve très important de nous rappeler constamment que nous sommes des êtres humains, que
nous sommes capables d’apprendre des choses nouvelles, et que nous pouvons améliorer les choses
quelle que soit la situation.
Donc nous avons besoin de la pyramide, la base ferme de l’éthique sur laquelle nous construisons notre
méditation et notre sagesse. De là nous pouvons commencer à voir combien notre bonheur est lié
inexorablement à celui d’autrui. Et de plus, que nous sommes tous liés dans cette existence
conditionnée. Le Bouddha a dit que notre existence possède trois caractéristiques – souffrance,
impermanence et non-soi. Le soi ne peut être trouvé en tant que phénomène indépendant. Sans cette
compréhension, l’amour pour soi pourrait être seulement de l’attachement et si c’est le cas, alors
l’amour pour autrui est sans aucun doute de l’attachement.
Lorsque le Bouddha a évoqué la souffrance, il voulait que nous comprenions. Bien que nous puissions
savoir logiquement combien la vie est imprévisible, puisque notre compréhension n’atteint pas un
niveau profond, alors lorsque quelque chose d’inattendu survient nous sommes choqués. Si nous
pouvions avoir cette compréhension profonde, toutefois, le choc ne serait pas – nous pourrions même y
faire quelque chose.
Nos vie changent tout le temps. Que nous le voulions ou pas. Il n’y a rien dans cette existence qui soit
indépendant du corps, des émotions, de la sagesse, ou de quoi que ce soit. Si nous comprenons
vraiment cela, alors l’amour pour soi sera pur et pourra être facilement dirigé vers les autres. Ce n’est
pas qu’un fantasme. Ce genre de développement mental existe et il y a des gens qui ont le cœur,
l’esprit, d’envisager plus que leurs simples besoins. S’il existe des personnes comme cela, pouvons81
nous être pareils ? C’est une question d’apprendre à l’ être. Nous devons tourner notre esprit dans cette
direction et alors nous ne penserons plus constamment à « moi » tout seul, mais également aux autres
êtres.
Bien que nos problèmes individuels puissent être différents, nous sommes tous semblables par le fait
que nous souffrons tous et que pourtant aucun d’entre nous ne le souhaite. C’est la condition
universelle. Nous la possédons tous que nous le réalisions ou non. Parfois à Jamyang, je suggère en
plaisantant que chacun se rende à la station de métro la plus proche, prenne le premier train et se
demande :
« Est-ce que j’éprouve cette insatisfaction insidieuse, maintenant ? » Je garantis que 99% diraient oui.
Et peut-être 1% dirait : « Non, je me sens parfaitement bien. » Mais peut-être que ces personnes
doivent penser plus profondément !
Nous partageons tous ce sentiment d’insatisfaction. Dans ce sens, mon meilleur ami et la personne que
je n’aime pas sont parfaitement semblables. Bien que superficiellement j’ai des liens différents avec les
gens, fondamentalement tout le monde est identique. Je pense que c’est le genre de compréhension
qui nous aidera à ouvrir vraiment notre cœur.
Ce genre de compréhension est de la sagesse et il nous aide à éviter et à éliminer ces états
d’insatisfaction. Nous pouvons les éviter temporairement en prenant la détermination de ne pas les
provoquer – par exemple en prenant les préceptes pour un jour – mais le potentiel est de glisser à
nouveau vers ces états. Nous pouvons décider ne pas nous mettre en colère, mais sans une
compréhension profonde de la cause, le simple fait d’éviter la colère ne sera pas efficace. Nous devons
examiner d’où vient la colère, la racine. Afin de traiter la racine, nous avons cependant besoin de
sagesse. La méditation seule ne nous mènera pas si loin ; elle n’ira pas à la racine. La sagesse
associée à la méditation et à un comportement éthique nous y conduira.
7. Développer la bonté aimante pour les autres.
Il est très important d’avoir de la bonté aimante, même si c’est seulement à un niveau intellectuel plutôt
que pratique. Sa Sainteté le Dalaï Lama plaisante souvent en disant que c’est seulement après avoir
acquis un sens réel de bonté aimante pour autrui qu’il a pu se reposer vraiment nuit et jour. C’est ce
qu’il dit et je trouve que c’est très touchant.
Maintenant, nous est-il possible d’éprouver le genre d’esprit qui se soucie des autres – de leurs
sentiments, de leurs pensées, de leurs droits – dans la même mesure que nous nous soucions de nousmêmes ? ( Nous pourrions dire qu’en fait il y a des gens qui ne se soucient pas vraiment d’eux-mêmes.
Mais à un niveau profond nous prenons tous soin de nous-même ; automatiquement. Il n’est
absolument pas nécessaire de se programmer pour cela, c’est assez spontané.) Est-il possible alors
d’étendre cette attention à autrui ? Si c’est impossible, il est inutile d’essayer ; nous pourrions
abandonner d’emblée. Mais nous pouvons entraîner notre esprit à le faire. Effectivement, le premier pas
consiste à réaliser que nos esprits peuvent apprendre.
Dans le Bodhicaryavattara, le grand maître indien Shantideva, souligne que nous possédons cette idée très
puissante « ceci est mon corps ». A cause de cela, quand le corps souffre, nous trouvons que c’est
insupportable et nous essayons de le soulager de diverses façons. Mais si nous remontons à l’origine
du corps, nous réaliserons qu’au commencement il ne nous appartient pas vraiment. D’où vient-il ? De
nos parents – de l’ovule et du spermatozoïde. Bien sûr, le corps est relié à nos émotions, à notre esprit,
etc, mais en ce qui concerne le corps physique seul, en réalité il n’est pas vraiment ‘mien’. L’esprit peut
apprendre cela.
Shantidéva dit également que nous pouvons apprendre à notre esprit à sentir que nous sommes
semblables aux autres êtres sensibles. Avec de l’entraînement, nous pouvons lâcher les étiquettes
« moi » et « toi » et voir simplement tout le monde – y compris « moi »- comme des êtres sensibles, qui,
parce qu’ils sont doués de sensations, veulent le bonheur, mais ne l’ont pas et souhaitent éviter la
souffrance, mais en font l’expérience. Il se sert du corps comme exemple de la façon dont nous
pouvons nous entraîner à cela. Quand j’ai un problème physique, je dis que mon corps est en mauvaise
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santé et qu’il a besoin d’un traitement. En fait, il peut ne s’agir que de mon petit doigt qui me cause du
soucis, mais j’ai le sentiment que mon corps entier ne va pas. Pourtant, si je contemple uniquement ma
main droite ou ma tête, ou n’importe quelle autre partie de mon corps, où se trouve ce ‘corps’ dont je
prends soin ? Ce n’est pas qu’une abstraction, le sentiment est , « mon corps n’est pas bien ! » - c’est
une émotion réelle. Si notre esprit peut apprendre à penser en ces termes, alors il peut également
apprendre à penser en termes d’ « êtres sensibles » plutôt qu’en termes de « moi » et « toi ».
La première chose est de voir qu’il n’y a pas de différence entre nous et les autres êtres sensibles. Pour
l’instant, il semble y avoir un fossé énorme entre « moi » et « toi », même si nous nous comportons
bien, et c’est ce fossé que nous devons réduire et éliminer.
Eprouver un véritable bonheur en nous-même dépend des autres et sans cet esprit de bonté aimante et
de compassion envers les autres, je ne pense pas que nous puissions avoir un bonheur authentique,
quelles que soient les autres pratiques que nous fassions.
Ainsi amener notre esprit à un niveau d’équanimité est une étape importante. (Nous étudierons cela
dans le prochain module consacré à Bodhicitta.)
8. La pensée juste.
Dans le Noble Sentier Octuple, il y a la pensée juste. Nombre d’entre nous peuvent comprendre le
moyen d’existence juste, la parole juste et l’action juste, mais qu’est-ce que la pensée juste ? Est-ce
une attention constante pour son propre bien-être ? Il n’y a rien de particulièrement mal à cela, mais la
pensée juste est assurément plus que cela. Je pense que nous pouvons et que nous devons aller audelà d’un intérêt constant pour soi-même. Sans tenir compte des sentiments et des pensées d’autrui,
nous ne pouvons nous occuper de ce sentiment fondamental, profond et insidieux, que les choses ne
sont pas comme il faut. Faire des choses pour les autres équivaut à les faire pour sa propre famille.
Tous les êtres sensibles sont notre propre famille, mais ce n’est pas notre façon de penser en ce
moment.
Si nous pouvions avoir ce sentiment d’égalité envers nous-mêmes et envers tous les autres êtres
sensibles, alors nous pourrions sans aucun doute développer le souhait de faire quelque chose pour
autrui. Je ne parle pas de changer le monde, ce qui est impossible et irréaliste, mais simplement d’être
attentionné envers autrui. C’est une façon de changer. Au cours d’une période de vingt-quatre heures
consacrons-nous seulement dix minutes aux autres d’une manière sincère ? L éventualité est que
durant la majorité de ces vingt-quatre heures, nous sommes absorbés par ce que nous allons manger,
par là où nous allons aller, par les choses que nous allons faire, etc. Je ne dis pas que nous le faisons
consciemment, mais dans l’ensemble c’est notre attitude générale. Pouvons-nous changer cela ?
Pouvons-nous réduire légèrement cette tendance? Nous devons débuter au niveau mental. S’engager
dans des activités extérieures pour les autres sans cette préparation pourrait facilement mener à
s'épuiser.
Nous pouvons consacrer du temps à apprendre à méditer, à centrer son esprit, à se concentrer et nous
pourrions également apprendre à changer nos attitudes – ce qui ne suggère pas que nous nous
baladons toujours en causant des douleurs et des difficultés aux autres – mais inconsciemment, nos
journées sont dédiées dans l’ensemble à nous-mêmes. C’est quelque chose qui doit assurément
changer.
Eprouver même un petit peu de compassion pour quelqu’un d’autre, apporte tellement de bonheur. Je
pense que nous en avons tous fait l’expérience. Disons qu’en chemin pour notre travail, nous
rencontrons un étranger qui a sérieusement besoin d’aide et nous l’aidons spontanément. Ce jour-là,
sans aucun doute, nous connaîtrons une joie intérieure profonde.
J’ai pour habitude depuis fort longtemps de passer chaque matin quelques minutes, à décider de faire
de mon mieux durant cette journée, peu importe que je sois fatigué ou que j’ai à faire. De même, le soir,
juste avant d’aller au lit, je prends une minute ou deux pour réfléchir à ce que j’ai fait, pas en examinant
la journée minute après minute, mais en examinant chaque partie de la journée. Si j’ai réussi à faire
quelque chose pour quelqu’un – ce peut-être quelque chose d’insignifiant ou même d’accidentel – il y a
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sans aucun doute un sentiment de joie. Je ne sais pas si c’est l’égo, mais il n’y a pas de doute qu’il y a
un sentiment de joie. Ce qui indique que le type d’esprit qui est réellement attentionné pour autrui est
un esprit joyeux. Par un bon entraînement, dans lequel l’intérêt pour soi est absent, faire des choses
pour les autres sans tenir compte de leur lien avec nous, sans tenir compte de leur milieu, est de la
bonté aimante.
Quand nous parlons d’avoir bon cœur authentique, les gens parfois comprennent mal et pensent que
cela signifie que nos droits et nos sentiments seront négligés, mais c’est absolument faux. Sa Sainteté
le Dalaï Lama aime plaisanter : « si vous êtes vraiment une personne égoïste intelligente, vous devez
chérir les autres. C’est la façon de combler vos souhaits.» C’est comme une plaisanterie, mais c’est une
très bonne suggestion. Plus nous contemplons ceux qui nous entourent, plus les changements vont
commencer à se produire. Oui, bien sûr, nous aimons notre famille, et il est normal de vouloir être
attentionné pour ses enfants, ses parents, etc, mais cette attention peut être étendue aux autres
également. Si nous avons le même type d’esprit pour tous les êtres, alors de grands changements
commenceront à se développer dans notre comportement.
Lorsqu’on parle d’être bénéfique aux autres, bien sûr, il n’est pas nécessaire d’aller immédiatement
dans des endroits étranges, ou de voyager loin, on peut commencer par ceux qui nous sont proches,
que nous avons sous la main. Physiquement il y a une limite à notre contribution au monde. Au plus
profond de nous-mêmes, pourtant, à un niveau mental, nous pouvons faire plus. C’est pourquoi
comprendre l’esprit et son potentiel est si important. Tandis que nous apprenons à nous dédier
mentalement aux autres, cela deviendra petit à petit une partie spontanée de nos vies, un esprit
principal, au lieu d’être une émotion. Cet esprit se nomme compassion.
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