Source : http://classes.bnf.fr/ecritures/arret/lesecritures/grec/02.htm

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Source : http://classes.bnf.fr/ecritures/arret/lesecritures/grec/02.htm
Les Grecs et l'écriture
par Anne Zali
Dans sa simplicité et sa précision, l'alphabet grec tel qu'il est constitué au VIIe siècle av. J.-C. est un
instrument efficace de notation de la parole et de la pensée. Mais loin de n'être qu'un outil de
mémorisation, l'écriture joue en Grèce entre le VIIe et le Ve siècle av. J.-C. un rôle décisif, à la fois
dans la constitution d'un espace de débat démocratique et dans l'invention de nouveaux objets
intellectuels.
Vers 650 av. J.-C., l'écrit fait son entrée dans la cité et commence, sous une forme monumentale, à
jouer un rôle central dans la conduite des affaires de l'État. Avec Solon ( note : homme d’Etat et
législateur athénien 640-558 av. JC), les lois de la cité sont mises par écrit et rendues publiques,
visibles et lisibles, au centre même de l'espace public : nul n'est censé ignorer la loi. À l'imposition de
la tyrannie succède l'autorité des lois. …La publicité donnée à la loi dans les endroits les plus en vue
de la cité fait de l'écrit la base même de la démocratie et permet à tout citoyen de prendre connaissance
des décisions de la cité et d'exercer un contrôle sur les modalités de leur application.
L'histoire politique de la Grèce ancienne est intimement liée aux développements de l'écriture. Ainsi,
en 403 av. J.-C. à Athènes, la chute des Trente Tyrans et le rétablissement de la démocratie coïncident
avec l'adoption par la Grèce d'un modèle unique d'alphabet: l'alphabet ionien. Son essor repose sur une
large alphabétisation des citoyens. C'est dans un souci de non-intervention de l'État que la mise en
œuvre du système scolaire est laissée à l'initiative privée : l'écriture en Grèce ne fera pas l'objet d'une
confiscation par le pouvoir.
… La pratique de l'ostracisme illustre bien le rôle indispensable de l'écriture dans le fonctionnement
de la démocratie : chaque citoyen en effet pouvait une fois par an écrire sur un tesson, ou ostracon, le
nom d'un personnage qui, d'après lui, prenait trop d'importance dans la vie publique. Si le même nom
apparaissait plus de six mille fois, on éloignait d'Athènes pour dix ans l'intéressé. De cette manière, la
cité se trouvait garantie par l'écriture du retour de la tyrannie.
Dans le domaine juridique, l'écriture des lois bouleverse l'exercice traditionnel du droit: il se fait plus
précis et moins arbitraire dès lors que les peines correspondant aux délits sont écrites et par là même
immuables. Tout citoyen peut consulter décrets et lois, et poursuivre ceux qui ne s'y conforment pas.
Devant la loi écrite, tous les citoyens sont égaux en droit.
Dans le domaine intellectuel, l'écriture permet l'invention de nouveaux objets et ce notamment dans
trois domaines: la géométrie, la géographie et la médecine, c'est-à-dire trois disciplines qui mettent au
centre l'activité graphique.
…
Dans sa simplicité, l'outil alphabétique rend l'écriture accessible à la majorité des citoyens. …
L'importance politique et sociale de l'écriture se mesure aux privilèges et aux marques d'honneur dont
les scribes font l'objet: ainsi à Athènes, au VIe siècle av. J.-C., le scribe donne son nom à l'année, il
marche en tête avec les premiers magistrats de la cité dans les sacrifices et les processions... Il gère les
affaires publiques, celles des dieux aussi bien que celles des hommes: dans la législation établie par
Solon, en effet, lois sacrées et règles de la vie civile cohabitent et les questions concernant le culte sont
débattues à l'Assemblée, souvent même elles y sont prioritaires.
L'écriture a en effet dans la Grèce ancienne une fonction religieuse importante, même si son origine
purement humaine, aux antipodes du modèle théocratique d'Israël, ne fait nullement intervenir la
puissance des dieux. Les textes de certaines décisions officielles déposées dans les sanctuaires sont
placés sous la protection des dieux. Leur mise en dépôt auprès du dieu les place hors d'atteinte. Ainsi,
les sanctuaires de Delphes conservent les actes d'affranchissement des esclaves, le dieu y apparaît
comme partie contractante fictive, la vente de l'esclave s'effectuant directement du maître au dieu.
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