CONFÉRENCE ÉCONOMIQUE AFRICAINE 2013

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CONFÉRENCE ÉCONOMIQUE AFRICAINE 2013
“L’INTÉGRATION RÉGIONALE EN AFRIQUE”
28-30 octobre 2013, Johannesburg, Afrique du Sud
Thème:
Economie sociale et
régionale en Afrique
solidaire,
secteur
informel
et
intégration
Résumé :
En Afrique, il existe une multitude de petits commerçants qui doivent régulièrement
traverser des frontières pour écouler des marchandises. Ces derniers jouent un rôle
déterminant dans la souveraineté alimentaire et contribuent activement au
développement économique. Malheureusement, leur activité connait de sérieuses
difficultés à cause des exactions dont ils sont très souvent victimes dans les postes
frontières. Sur la base du constat que dans la plupart des cas ils opèrent
individuellement, sans qu’il s’agisse d’une solution définitive ou complète, nous
pensons qu’en s’associant, ces acteurs peuvent trouver des solutions efficaces et
efficientes à leur problème. Ils peuvent ainsi se constituer en coopératives et, à
travers elles, plaider pour une redéfinition des règles du commerce transfrontalier,
ainsi qu’une révision des pratiques.
Introduction
Dans la plupart des régions du monde, la construction d’une intégration
régionale constitue un axe important de la politique de développement. C’est
le cas notamment en Afrique. Toutefois, le plus important n’est pas le
nombre d’organisations, mais leur efficacité1.
Quoi qu’il en soit, il est impératif que des règles de droit communautaire
soient fixées afin de réglementer tous les aspects de l’intégration entre pays
membres d’une communauté donnée2, notamment les règles devant régir le
commerce et les activités économiques3.
Voir Doumbé-Billé (S), « La multiplication des organisations régionales en Afrique :
concurrence ou diversification ? », in Fau-Nougaret (M) (dir.), La concurrence des
organisations régionales en Afrique, l’Harmattan, 2009, pp. 15-28. Voir également la Figure 2
ci-dessous.
2 La question peut se poser également dans les relations entre pays membres de
communautés différentes.
3 voir Thiam (SM), Les institutions juridictionnelles dans l’espace communautaire ouest
africain, Mémoire de DEA, Université Cheick Anta Diop de Dakar, 2005.
1
1
Comme en droit national, il faudrait que les règles prévues soient adaptées
sinon elles resteraient inapplicables. C’est donc souvent à cause de
l’inadaptation des règles que l’informel nait et se propage4.
La notion de secteur informel est devenue une expression très usitée au fils
des années, mais dont l’usage reste marqué par l'absence d'une définition
acceptable de manière générale. Globalement, les auteurs partent de la
définition du secteur formel pour essayer d'appréhender la notion5. D’après
un auteur6, la réglementation économique édicte un certain nombre
d'obligations pour les opérateurs économiques7.
Ainsi, ceux qui n’évoluent
pas suivant ces canons sont considérés comme des acteurs du secteur
informel, par opposition à ceux du secteur formel qui observent la
réglementation en vigueur en matière d’exercice d’une activité économique
notamment8.
Or même si l’activité informelle peut contribuer, à sa façon à la construction
de l’intégration régionale, il est évident que son apport ne peut qu’être
limité9.
Les
acteurs
informels
qui
s’investissent
dans
le
commerce
transfrontalier peuvent devenir plus forts s’ils s’organisent. En procédant
ainsi, ils peuvent s’éloigner de l’informalité et devenir de véritables
opérateurs économiques, contribuant ainsi au développement de leur pays et
de
leur
communauté
économique.
C’est
dans
cette
perspective
que
l’économie sociale et solidaire pourrait jouer un rôle capital de structuration
et de coordination10.
D’après Defourny et Develtere, la notion d’économie sociale et solidaire
(ESS) peut se définir suivant une double approche juridico-institutionnelle et
normative. La première consiste à identifier les principales formes juridiques
Voir Kanchop (TN), Le secteur informel à l’épreuve du droit des affaires OHADA, Mémoire de
DEA, Université de Dschang, 2009.
5 Voir Lomami Shomba, L’économie informelle, Mémoire université de Kinshasa, disponible en
ligne : http://www.memoireonline.com/12/05/23/m_l-economie-informelle0.html
6 Voir Buabua wa Kayembe, La fiscalisation de l'économie informelle au Zaïre, PUZ, 1995, p.
10 (cité par Lomami Shomba, L’économie informelle, op. cit., idem).
7 Voir Lomami Shomba, L’économie informelle, op. cit., idem.
8 Voir Lomami Shomba, L’économie informelle, op. cit., idem.
9 Voir De Soto (H), L’autre sentier : la révolution informelle dans le tiers-monde, La
Découverte, Paris, 1994.
10 Voir Economie sociale et solidaire : notre chemin commun vers le travail décent, Guide 2011
de l’académie pour l’économie sociale et solidaire (Montréal 24-28 octobre 2011), pp. 1-16.
4
2
ou institutionnelles au sein desquelles s’organisent la plupart des activités.
Ces auteurs
pensent
précisément aux coopératives,
mutuelles
et
associations, « sans pour autant négliger différentes types d’initiatives qui,
dans les pays du sud surtout, n’ont pas un statut ou un label explicitement
coopératif, mutualiste ou associatif, mais se réfèrent à peu près aux mêmes
règles et pratiques ». Sur le plan normatif,
ils voient en l’ESS un
regroupement d’activités économiques exercées par des structures dont le
fonctionnement est rythmé par ces quatre principes : la finalité de service
aux membres ou à la collectivité, l’autonomie de gestion, le processus de
décision démocratique et la primauté de la personne et du travail sur le
capital dans la répartition des revenus11. L’ESS pourrait ainsi juguler
l’informel et contribuer plus activement à l’accroissement des échanges
intracommunautaires, et donc à l’intégration économique régionale.
Dans la grande famille des organisations de l’ESS telle que présentée cidessus,
nous
nous
limiterons
aux
coopératives12.
D’après
l’alliance
coopérative internationale (ACI), une coopérative est une association
autonome
de
personnes
volontairement
réunies
pour
satisfaire
leurs
aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs au moyen
d'une entreprise dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé
démocratiquement. Il s’agit d’un forme juridique d’entreprise créée comme
alternative au capitalisme afin d’aider les personnes écrasées par les ravages
du capitalisme, à trouver des solutions durables à leurs problèmes
quotidiens13.
Au regard de l’éthique qui gouverne le fonctionnement des coopératives, il y
a lieu de croire qu’elles peuvent être une solution à la désorganisation des
acteurs du commerce transfrontalier en Afrique qui, faute de pouvoir
respecter les règles prescrites, se dirigent le plus souvent vers l’informel.
Voir Defourny (J), Develtere (P), « Origines et contours de l’économie sociale au Nord et au
Sud », in Defourny (J), Develtere (P), Fonteneau (B), L’économie sociale au Nord et au Sud,
De Boeck Université, Paris-Bruxelles, 1999, pp. 25-50.
12 Pour plus de détails sur les autres organisations, voir Defourny (J), Develtere (P),
« Origines et contours de l’économie sociale au Nord et au Sud », op. cit., idem.
13 Voir Tchami (G), Manuel sur les coopératives à l’usage des organisations de travailleurs,
Bureau International du Travail, Genève, 2004, pp. 19 et ss..
11
3
I-
Un apport marginal du secteur informel dans l’intégration
régionale
A cause de l’incohérence des règles et des pratiques du commerce
transfrontalier, la plupart des opérateurs économiques se retrouvent dans
une certaine vulnérabilité. Ils deviennent donc obligés d’évoluer dans
l’informel,
ne
contribuant
que
marginalement
dans
le
commerce
du
commerce
transfrontalier.
A- L’incohérence
des
règles
et
des
pratiques
transfrontalier
L’informalité est une caractéristique majeure des économies africaines, y
compris dans le cadre des relations économiques transfrontalières. Plusieurs
aspects peuvent être étudiés14. Plus spécifiquement, nous voulons insister
sur le cas de petits commerçants15, de plus en plus nombreux, qui traversent
les frontières pour effectuer des échanges commerciaux16.
Le commerce transfrontalier informel est actuellement le facteur principal qui
relie les producteurs aux marchés17. L'échange transfrontalier constitue la
Dans un premier temps, l’on peut s’attarder sur le cas de plus grands opérateurs
économiques. Le Nigeria et le Bénin fournissent une illustration intéressante. En effet, plus de
80% de l’essence consommée au Bénin arrive du Nigéria en contrebande, limitant de fait les
ventes sur le marché officiel et le nombre de stations d’essence. Une telle réalité, entre pays
aussi proches géographiquement parait difficile à comprendre. L’explication se trouve dans les
différences entre les politiques commerciales des deux pays (Voir Golub (S), “Entrepôt Trade
and Smuggling in West Africa: Benin, Togo and Nigeria”, The World Economy, September
2012, pp. 1139–1161). Dans un second, l’on pourrait s’intéresser aux petits commerçants qui
traversent les frontières et, leur cas nous intéressera le plus.
14
Voir FMI, Afrique sub-saharienne : préserver la croissance dans un monde incertain,
FMI/Perspectives économiques régionales, Octobre 2012.
16 La plupart de ces commerçants vendent des denrées alimentaires, notamment des céréales,
légumineuses, légumes et fruits. Les quantités concernées sont petites et sont généralement
portées sur la tête. Le capital de démarrage est très faible (moins de 50 $) et provient
généralement de la famille. Peu de commerçants reçoivent des prêts d'une institution
financière. Voir International Alert, «La Traversée : Petit commerce et amélioration des
relations transfrontalières entre Goma (RD Congo) et Gisenyi (Rwanda)», Rapport Juin 2010.
17 Les commerçants transfrontaliers jouent un rôle primordial dans l’acheminement des biens
des zones de suffisance aux zones de pénurie. Leur activité permet aux agriculteurs de
connaitre des rendements plus élevés. Voir International Alert, «La Traversée : Petit
15
4
principale source de revenus pour un grand nombre de commerçants nonofficiels, qui transportent leurs produits agricoles d'un endroit à l’autre.
Cependant, on dénombre peu d'informations sur ces commerçants et les
conditions dans lesquelles ils évoluent18.
Une étude à été menée à ce sujet, et les résultats sont frappants : les
moyens de subsistance et les activités de ces commerçants (majoritairement
des femmes) sont actuellement mis à mal par des taux élevés de
harcèlement et de violence à la frontière ainsi qu'à une prédominance de
paiements non-officiels.
Figure 1 :
Fréquence des risques rapportée par les commerçants
transfrontaliers dans la région des Grands Lacs de l’Afrique
Source : Brenton (P) et al., « Les femmes pauvres qui pratiquent le commerce transfrontalier dans la région
des Grands Lacs de l'Afrique : des affaires à risque », op. cit., idem.
Il apparait donc que, au lieu de favoriser la croissance et le développement,
le commerce transfrontalier ne devient qu'un mode de survie pour ces
acteurs19. En réalité, le succès du commerce transfrontalier dépend de la
commerce et amélioration des relations transfrontalières entre Goma (RD Congo) et Gisenyi
(Rwanda)», op. cit., idem.
18
Voir Nancy Benjamin, Ahmadou Aly Mbaye, Les entreprises informelles de l’Afrique de l’ouest
francophone. Taille, productivité et institutions, AFD/Banque mondiale, 2012.
19 Il existe des différences considérables dans les prix des produits alimentaires de base entre
les marchés sur les côtés opposés des frontières, ce qui démontre la présence d’obstacles
importants empêchant le transport des biens et des personnes, d’un coté à l’autre des
5
capacité qu'ont les individus à franchir la frontière de manière systématique,
sans être soumis à des contraintes extralégales. En fait, les petits
commerçants ne refusent aucunement de se soumettre aux règles fixées, ou
aux paiements, lorsque ceux-ci sont prévus par la loi et régulièrement
perçus. Ce qu’ils condamnent, ce sont les abus et les maltraitances dont ils
sont victimes (voir tableau ci-dessus).
Ils ne demandent finalement qu’à être traités avec respect, la plupart d’entre
eux voulant être considérés comme des hommes ou des femmes d’affaires,
ou comme des entrepreneurs (neuses).
A tout considérer, l’imposition de sommes importantes et non-officielles, de
tarifs ou de frais démesurés peuvent ainsi produire des effets très négatifs
sur la stabilité du commerce transfrontalier, ainsi que sur la coexistence
pacifique entre peuples voisins. Ces réalités mettent en avant la forte
vulnérabilité à laquelle sont soumis les acteurs du commerce transfrontalier.
B- La vulnérabilité de l’acteur informel
L’économie
informelle
se
distingue
largement, faut-il
le
préciser, de
l’économie illégale ou de l’économie souterraine20. Il s’agit donc d’une
économie dont l’existence est connue et acceptée par les autorités étatiques,
ces dernières ayant tendance soit à l’ignorer complètement, soit à ne pas
suffisamment la prendre en compte lors de la mise en place de la
réglementation21. C’est ce qui fait croire que l’économie informelle relèverait
de la para-légalité.
Reprenant Hugues Dumont22 qui décrit la para-légalité en quatre dimensions,
une
auteure
reconstitue
sa
pensée
et
en
intègre
une
cinquième 23.
frontières. Voir Brenton (P) et al., « Les femmes pauvres qui pratiquent le commerce
transfrontalier dans la région des Grands Lacs de l'Afrique : des affaires à risque », Afrique –
Notes de politique commerciale, note 11, janvier 2011.
20 Voir Igué John Ogunsola,
Le Bénin et la mondialisation de l’économie. Les limites de
l’intégrisme du marché, Karthala, Paris, 1999, p. 209.
21 Voir De Soto (H), L’autre sentier : la révolution informelle dans le tiers-monde, op. cit.,
idem.
22 Voir Dumont (H), « Droit public, droit négocié et para-légalité », in Gérard (Ph), Ost (F),
Van De Kerchove (M), Droit négocié, droit imposé ?, Facultés universitaires St- Louis,
Bruxelles, 1996, pp. 457-489.
23 Voir Poirier (J), « Quand le ‘non-droit’ fait la loi : les accords de coopération et l’hypothèse
du pluralisme juridique »,
6
« Premièrement, la para-légalité désigne un ensemble de normes qu’un
mouvement social ou une élite considère comme légitimes et qu’ils
pratiquent effectivement. Deuxièmement, ces normes ne sont pas conformes
à des exigences fondamentales de la légalité étatique. Troisièmement, le
mouvement
social
ou
l’élite
en
question
milite
en
faveur
de
leur
reconnaissance par le droit positif. Quatrièmement, ces règles constituent un
système juridique à la fois parallèle et concurrentiel par rapport au système
du droit étatique. Cinquièmement, ce rapport de concurrence peut conduire
les normes para-légales à faire irruption dans ce système étatique et à s'y
imposer en tout ou en partie de manière stable ou précaire »24.
Quoi qu’il en soit, à l’analyse, la grande taille du secteur informel en Afrique
peut produire des effets négatifs aussi bien pour l’économie nationale que
transfrontalière25. En ce qui concerne les acteurs, dans la plupart des cas, on
note
des
difficultés
d’accès
au
crédit
bancaire,
aux
marchés
ou
à
l’approvisionnement en marchandises,.... Outre les surcouts qu’elle peut
engendrer, l’informalité ne permet pas aux acteurs de profiter des voies de
droit. A cet effet, il leur est impossible d’engager des procès commerciaux
ou, plus généralement, d’avoir ou d’offrir des garanties classiques. Ainsi, en
restant à la marge du droit, les acteurs du secteur informel subissent des
pertes, des abus et même des discriminations26.
L’informalité a également des effets négatifs pour l’économie en général27.
Les principaux d’entre eux sont la faible productivité, la diminution de
l’investissement, l’inefficacité du système fiscal, le freinage du progrès
technologique
et
une
série
de
difficultés
à
formuler
des
politiques
macroéconomiques28.
http://dev.ulb.ac.be/droitpublic/fileadmin/telecharger/theme_1/contributions/POIRIER-120070507.pdf
24 Voir Poirier (J), « Quand le ‘non-droit’ fait la loi : les accords de coopération et l’hypothèse
du pluralisme juridique », op. cit., idem.
25 Voir Brenton (P) et al., « Les femmes pauvres qui pratiquent le commerce transfrontalier
dans la région des Grands Lacs de l'Afrique : des affaires à risque », op. cit., idem.
26 Voir Kimabala Makiadi (A), Le secteur informel comme stratégie de survie des Congolais,
Mémoire de Maitrise, Université Kongo, 2008.
27 BIT, Travail décent et économie informelle, 90e session, conférence internationale du travail,
Rapport VI, 6e question à l’ordre du jour, 2002.
28 Voir Kanté (S),
Le secteur informel en Afrique subsaharienne francophone : vers la
promotion du travail décent, Bureau international du Travail, Genève, 2002.
7
En définitive, bien que le secteur informel soit le principal pôle de l’activité
économique en Afrique, il produit des effets néfastes aussi bien dans
l’ensemble de l’économie que sur le rendement de ses acteurs.
Ainsi, pour que le commerce transfrontalier puisse s’intensifier en Afrique et
contribuer ainsi à la consolidation de l’intégration régionale, plusieurs
solutions peuvent être proposées.
Il nous semble que la priorité doit être accordée à l'amélioration des
conditions à la frontière ainsi qu'au bon traitement des commerçants
transfrontaliers.
Ceci
aura
un
impact
important
sur
les
moyens
de
subsistance d'un grand nombre de personnes, majoritairement des femmes.
De plus, cela peut entrainer une augmentation des échanges transfrontaliers
ainsi qu’une plus grande accessibilité aux produits alimentaires à coût réduit.
Cette question de l’amélioration des conditions à la frontière dépendant plus
de la volonté politique, en attendant, les commerçants transfrontaliers
peuvent d’ores et déjà s’organiser. Ainsi, la mise en œuvre d'un cadre
stratégique qui permettrait à ces commerçants de se grouper devrait être
pensée. Ces derniers doivent s’organiser pour résoudre collectivement leurs
problèmes individuels : accéder plus facilement à l'information et au crédit
et assurer au mieux une meilleure représentation de leurs intérêts.
Le potentiel des coopératives peut être mis en évidence dans cette
perspective. Ainsi, en se regroupant, les commerçants transfrontaliers
pourraient devenir plus forts et, contribuer activement au plaidoyer et/ou au
lobbying en faveur d’une simplification de leurs activités transfrontalières.
II-
Une
contribution
potentiellement
plus
considérable
de
l’économie sociale et solidaire à l’intégration régionale
Dans la plupart des cas, les petits commerçants qui exercent le commerce
transfrontalier agissent en opérateurs individuels29.
Il nous semble qu’en
l’absence d’organisation, ces commerçants ont peu de chances d’améliorer
leurs conditions de travail. En s’associant autour de coopératives, ces
Voir Brenton (P) et al., « Les femmes pauvres qui pratiquent le commerce transfrontalier
dans la région des Grands Lacs de l'Afrique : des affaires à risque », op. cit., idem.
29
8
derniers augmenteraient ainsi leurs chances de trouver des solutions
durables à leurs problèmes quotidiens.
A- L’organisation des acteurs
Une seule main ne peut pas attacher un paquet, a-t-on coutume de dire en
Afrique30. Cela suppose que, en groupe, on peut trouver des solutions plus
efficaces et plus efficientes aux problèmes individuels que rencontrent
l’ensemble des membres d’un groupe ; d’où le recours à la formule
coopérative31.
Dans la plupart des cas, les coopératives ont joué un rôle déterminant au
moment où les hommes et les femmes se sont sentis humiliés et exploités
par une minorité qui détenait le capital. Elle se présente donc comme une
alternative face au capitalisme dominant et vise une humanisation de
l’activité socioéconomique32.
Les coopératives peuvent exercer leurs activités dans presque tous les
domaines de l’activité humaine : coopérative agricole, de consommateurs, de
services aux membres, de production, de commercialisation, de banque,...33
Dans notre cas, puisqu’il s’agit de petits commerçants voulant s’organiser, il
s’agit d’une coopérative de services aux membres. Dans ce cas, les petits
commerçants (fournisseurs) apportent des parts sociales en vue de former le
capital pour créer leur entreprise commune. Ainsi, grâce à leur entreprise
commune, ils pourront faciliter la commercialisation de leurs produits34.
La particularité de la coopérative réside dans la gouvernance. En effet, les
membres sont en même temps les propriétaires de leur entreprise et les
Voir Kounkou (D), Pour une renaissance de la tontine, L’Harmattan, Collection Théologie et
vie politique de la terre, 2008, pp. 57 et ss..
31 Voir Tchami (G), Manuel sur les coopératives à l’usage des organisations de travailleurs, op.
cit., idem.
32 Voir Lafleur (M), Merrien (A-M), Impact socio-économique des coopératives et des
mutuelles. Quand le passé inspire le futur : contribution des coopératives et des mutuelles à
un monde meilleur, Monographie, IRECUS, Université de Sherbrooke, 2012, p. 1.
33 Voir Saillant (JM), Théorie pure de la coopérative, Editions CIEM, Paris, 1983, pp. 45 et ss..
34 Voir Kamdem (E), Lutte contre la pauvreté à travers les entreprises démocratiques (une
personne, une voix) : les Institutions d’Aide Mutuelle et d’Auto Assistance, Organisation
internationale du travail, aout 2006.
30
9
bénéficiaires de ses services. On parle du principe de double qualité35. Un tel
principe n’existe pas dans les sociétés commerciales36. En plus, les décisions
se prennent suivant la formule « une personne - une voix », permettant ainsi
d’établir une égalité entre les membres, compte non tenu du moment de
l’adhésion ou du montant de la contribution à la constitution du capital
social37.
Ainsi, les ristournes, puisqu’on ne parle pas de dividende, sont distribués en
fonction non pas des mises dans le capital social, mais du travail accompli
avec la coopérative38.
Sur le plan idéologique, à travers la formation qui est un principe de base des
coopératives, les membres s’émancipent et apprennent ainsi les règles de
base de la participation démocratique et de la promotion des valeurs
humaines. En procédant ainsi, les coopératives contribuent à véhiculer l’idée
simple selon laquelle l’économie et le social peuvent être conciliés dans une
approche de repositionnement de l’homme, et non pas du capital, au centre
de l’activité socioéconomique39.
A l’externe, les coopératives peuvent s’organiser par filières et en faitières. Il
s’agit des unions, des fédérations et des confédérations qui fonctionnent
quasi suivant les mêmes principes40.
C’est conscient du potentiel des coopératives que les Nations Unies assignent
aux Etats de promouvoir cette forme d’organisation41. Sa capacité à apporter
Voir Tadjudje (W), « Le principe de double qualité dans les sociétés coopératives, un
mécanisme anticoncurrentiel ? », in Blanc (J) et Colongo (D) (dir.), Les contributions des
coopératives à une économie plurielle, Les cahiers de l’économie sociale, l’Harmattan, 2012,
pp. 227-242.
35
Voir Bridault (A), Gérer la vie démocratique d’une coopérative, Guide pratique
ORION, collection « Gestion d’une coopérative » no 1, mars 1998, p. 22.
36
Voir Kamdem (E), Lutte contre la pauvreté à travers les entreprises démocratiques (une
personne, une voix) : les Institutions d’Aide Mutuelle et d’Auto Assistance, op. cit., idem.
38 Voir Henrÿ (H), « La spécificité de l’affectation du résultat en coopératives : entre ristournes
et réserves impartageables. Panorama de droit comparé en Europe », La lettre du GNC no 357,
mars 2009, p 7.
39 Voir OCDE, Le secteur à but non lucratif dans une économie en mutation, OCDE, 2003.
40 Voir Tchami (G), Manuel sur les coopératives à l’usage des organisations de travailleurs, op.
cit., idem.
41 Voir Henrÿ (H), « Public international cooperative Law », in Cracogna (D), Fici (A), Henrÿ
(H), International Handbook of Cooperative Law, Springer, 2013.
37
10
des solutions à divers maux sociaux, même en période de crise, à été
démontrée42.
Grâce à la formule coopérative, au lieu que les petits commerçants se
présentent individuellement pour traverser la frontière et exercer leurs
activités, ils peuvent se regrouper à 5, 10, 20,... et agir comme une seule
personne. De même, des réseaux coopératifs transfrontaliers peuvent se
constituer et accroitre, par le fait même, leur force. En opérant ainsi en
groupe, nous pensons qu’ils peuvent atténuer les maux dont ils ont souvent
été victimes, en attendant que les pouvoirs publics, à travers des mesures et
des mises en application concrètes, apportent des solutions en vue de
faciliter leurs activités.
B- Le développement de l’économie et de l’intégration globale
Au-delà de s’organiser pour booster leur activité, que ce soit en coopératives
de base ou en faitières, les petits commerçants transfrontaliers doivent
également viser des coopérations et des partenariats, avec des mouvements
coopératifs des pays voisins ou non, afin d’intensifier les échanger et de
faciliter le commerce intra-africain. Ces coopérations et partenariats sont
plus aisés lorsque plusieurs pays partagent le même droit. C’est le cas des
pays de l’OHADA.
Il s’agit de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des
affaires. Cette organisation est née d’un traité signé à Port-Louis (Ile
Maurice), le 17 octobre 199343, avec pour objectif principal de construire une
communauté d’intégration juridique à travers l’harmonisation, ou mieux,
l’uniformisation du droit des affaires44. L’institution regroupe actuellement
Voir Kamdem (E), « Réponse de la formule coopérative aux défis du développement
économique et social de l’Afrique », Symposium international sur le cinquantenaire de
l’Afrique, Cotonou, 16-20 novembre 2010.
42
Ce traité a été révisé le 17 octobre 2008 à Québec lors du Sommet de la Francophonie. Les
modifications essentielles concernent l’introduction de l’Anglais, de l’Espagnol et du Portugais
comme langues de travail de l’OHADA, à côté du Français qui, jusque là, en était la seule. Il
faut aussi noter la consécration d’une conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement comme
organe. Pour plus de détails, voir Cartron (A-M), Martor (B), « Eclairages sur la révision du
Traité de l’OHADA », Cahiers de droit de l’entreprise, no 1, janvier-février 2010, pp. 31-36.
44 Voir Martor (B), Pilkington (N), Sellers (D), Thouvenot (S), Le droit uniforme africain des
affaires issu de l’OHADA, Litec, 2e édition, 2009, passim.
43
11
dix-sept Etats45. Le procédé utilisé pour uniformiser le droit des affaires est
l’adoption
d’actes
uniformes
dont
les
dispositions
sont
directement
applicables dans les Etats membres. Jusqu’ici, neuf actes uniformes ont déjà
été adoptés et portent sur diverses matières, et le dernier en date est l’acte
uniforme relatif au droit des sociétés coopératives. Il a été adopté le
15 décembre 2010 à Lomé au Togo et a été publié au journal officiel de
l’OHADA le 15 février 201146. Malgré ses imperfections, il constitue une
avancée notable pour les pays membres de cette organisation47.
Toutefois, il peut arriver que des pays voisins ne soient pas membres de la
même organisation et, de ce fait, ne partagent pas les mêmes règles de
droit. Une illustration est la Cameroun et le Nigéria.
Figure 2 :
Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Comores, Congo, République démocratique du Congo, Côte
d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Mali, Niger, République
centrafricaine, Sénégal, Tchad et Togo.
46 Voir Gatsi (J), Le droit OHADA des sociétés coopératives, L’harmattan, 2011, pp. 7 et ss..
47 Voir Hiez (D), Tadjudje (W), « The OHADA cooperative regulation in Africa », in Cracogna
(D), Fici (A), Henrÿ (H), International Handbook of Cooperative Law, Springer, 2013.
45
12
Dans cette perspective, il nous semble que l’Union africaine aurait pu jouer
un rôle minimal de construction de règles.
En effet, généralement, les communautés régionales se superposent,
certains de leurs membres étant parfois membres de plusieurs d'entre
elles48. La question de leur rationalisation a été posée pendant plusieurs
années — et ce fut le thème du Sommet de Banjul de 2006. En juillet 2007,
lors du sommet d'Accra, la Conférence a finalement décidé d'adopter un
protocole sur les relations entre l'Union africaine et les Communautés
économiques régionales. Ce protocole vise à faciliter l’harmonisation des
politiques et d'assurer la conformité avec le traité d'Abuja et le calendrier du
Plan d'action de Lagos49.
Dans cette perspective, à l’image des développements en droit européen,
une coopérative africaine pourrait être instituée. L'Union européenne s'est
intéressée aux coopératives et, comme elle a instauré le statut de la société
européenne (Règlement (CE) n° 2157/2001 du Conseil du 8 octobre 2001),
elle a par un règlement (Règlement (CE) n° 1435/2003 du Conseil du 22
juillet 2003) institué une société coopérative européenne50. Elle ne trouve
application que lorsque des coopératives ayant des activités dans plusieurs
Etats membres créent ensemble une société coopérative européenne51. Par
analogie au modèle de la coopérative européenne, la coopérative africaine
pourrait être initiée, ce qui pourrait servir les intérêts des commerçants qui
doivent traverser les frontières pour exercer leurs activités.
Plusieurs idées concordantes peuvent être proposées, afin d’améliorer le sort
des commerçants transfrontaliers, dont l’activité peut être un vecteur
important de renforcement de l’intégration régionale en Afrique. Ainsi,
Voir Doumbé-Billé (S), « La multiplication des organisations régionales en Afrique :
concurrence ou diversification ? », op. cit., idem.
49 Voir Doumbé-Billé (S), « La multiplication des organisations régionales en Afrique :
concurrence ou diversification ? », op. cit., idem.
50 Voir Soulage (S), « La Société coopérative européenne, un pas en avant essentiel pour le
développement de l’économie sociale européenne », Lettres d’Europe et Entreprises, no37,
mars 2007, pp. 25-27.
51 Voir Gros (L), « La société coopérative européenne: un nouveau modèle pour les groupes
coopératifs? », in Blanc (J) et Colongo (D) (dir.), Les contributions des coopératives à une
économie plurielle, Les cahiers de l’économie sociale, l’Harmattan, 2012, pp. 275-284.
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vivement que les petits commerçants se réunissent en coopératives et que la
formule coopérative, par les multiples avantages qu’elle offre, les aide à
renforcer le commerce transfrontalier et, par le fait même, la paix sociale, la
coexistence
pacifique
de
peuples
voisins
et,
finalement,
l’intégration
régionale.
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