Recentralisation des compétences liées à l'aménagement du territoire et rôle des communes: pistes pour une politique d'aménagement du territoire et d'urbanisme au niveau local Quels enjeux pour l'aménagement du territoire en Wallonie? Mathurin Smoos - Juillet 2008 L'ampleur de l'évolution réglementaire relative à l'aménagement du territoire témoigne de l'importance croissante de cette matière au niveau de la régulation des activités humaines (logement, commerce, activités économiques, énergie, …) ainsi qu'au niveau de l'encadrement et de la gestion du sol et des ressources naturelles. L'aménagement du territoire est devenu aujourd'hui une des politiques majeures du développement sociétal. Protection des ressources naturelles, du patrimoine bâti ou non, gestion du paysage, de la mobilité, des besoins économiques, agricoles, résidentiels, publics, énergétiques, lutte contre la désurbanisation, etc. les enjeux issus de l'aménagement du territoire sont multiples et fondamentaux. Si les défis à relever sont nombreux, les trop fréquentes modifications réglementaires successives révèlent la difficulté de s'accorder sur une vision claire des réponses à apporter. Or, étant donné la spécificité des échelles de temps qui caractérisent l'efficacité des politiques d'actions sur le territoire, la stabilité réglementaire est indispensable pour assurer une bonne gestion et permettre un développement durable. Pour qu'une orientation claire, appuyée par une vision stratégique du futur de l'aménagement du territoire, soit établie de manière concertée, il devient essentiel de définir et de positionner la portée des rôles respectifs des pouvoirs locaux et régionaux en tenant compte que de par leur proximité avec les citoyens, de leur connaissance des lieux, de la transversalité de leurs compétences, les pouvoirs locaux jouent un rôle-clé en ces matières. Si la question de la place ou du rôle des communes dans l’aménagement du territoire, nous a semblé mériter une analyse approfondie aujourd’hui, ce n’est pas uniquement pour nous interroger sur les raisons du mouvement de balancier entre la centralisation et la décentralisation tel que décrit dans l’article Réformes du Cwatup, l’autonomie communale à l’épreuve du yoyo [1]. En effet, cette hésitation entre un modèle de gestion centralisée à l’échelon régional ou décentralisée au niveau local nous semble témoigner de la difficulté rencontrée par les législateurs successifs à s’émanciper de la loi de 1962 [2] et à définir un projet de gestion équilibré et ambitieux pour le territoire régional, au risque de se concentrer majoritairement sur les moyens plutôt que sur les objectifs. C’est une focale sur les objectifs qui nous semble à présent nécessaire. Nous sommes en effet convaincus que tout rééquilibrage devant aboutir à une autre répartition des rôles ne devrait être mû que par la volonté de répondre le plus adéquatement possible aux enjeux qui nous attendent. Pour guider la réflexion, il est nécessaire de relever les principaux enjeux qui concernent l'aménagement du territoire contemporain et d'en relever les questions-clés. Cet exercice permettra de dégager, dans un second temps, les moyens susceptibles de rencontrer les attentes découlant de ces enjeux. Ceci concerne, notamment, la place et le rôle des différents acteurs, leurs interactions et relations, la pertinence des instruments existants (schémas, plans, règlements, etc.), la portée de ces règlementations, la politique foncière, etc. qui seront abordés dans un prochain article. Les enjeux économiques En matière économique, la libre concurrence, la mondialisation et la forte fluidité des capitaux imposent des modifications régulières des outils d'aménagement du territoire pour répondre à la nécessité de disposer de lieux de production, de commerce et d'activité économique tout en tentant de maintenir un équilibre avec les autres activités et affectations du sol. Les réglementations d'aménagement du territoire se contentaient initialement uniquement de définir des affectations du sol. Progressivement, d'autres champs s'ouvrent pour intégrer les problématiques de mobilité, de transport des énergies et des réseaux de communication, de gestion des pollutions ou de protection environnementale. La concurrence entre certaines activités économiques ou autres activités humaines s'accroît (par ex.: difficulté de compatibilité entre tourisme et industrie lourde, impacts sanitaires des antennes gsm, qualité de vie et proximité d’un aéroport, etc.). La question de l’articulation entre la sphère économique et les sphères culturelles, environnementales et sociétales est certainement une des plus fondamentales que doit rencontrer la discipline de l’organisation du territoire pour garantir un développement durable. Si la Wallonie paye toujours un lourd tribut suite au déclin de ses grands bassins industriels, notamment visible au travers des nombreux stigmates parsemant ses paysages, certains atouts peuvent être valorisés au service d’un développement économique "durable". Les enjeux sociaux Les disparités territoriales en termes de pression foncière, d'accessibilité, de localisation géographique etc., créent des situations spécifiques et particulières. Le territoire régional n'est pas homogène. Au sein même des territoires communaux, les disparités peuvent être flagrantes. A l'échelle mondiale et européenne, les modes de vie poussent à l'individualisation plutôt qu'à la vie collective. En termes d'urbanisation et de planification, cela se traduit par un mitage des paysages, un usage non parcimonieux du sol et la création de "ghettos". Le coût de ces comportements est important pour la collectivité et crée une dette cachée. La répartition des équipements (hôpitaux, centres culturels, etc.) et le maillage de l’infrastructure (déplacements, communication, énergie, etc.) sont des questions stratégiques pour la qualité des services apportés à la population en regard de la maîtrise des finances publiques. L’évolution des besoins de la population (en rapport avec le vieillissement par ex.) et de la structure des coûts des infrastructures (liée entre autres aux prix de l’énergie) nécessite une veille constante et une faculté d’adaptation qui imposent une autre approche de la temporalité de l’aménagement du territoire. Garantir une offre de services équitables sur l’ensemble du territoire tout en maîtrisant les coûts: un défi qui ne peut être rencontré que par une planification à la fois suffisamment forte pour s’inscrire durablement et en même temps souple pour répondre à la vitesse d’évolution de notre société. Répondre aux besoins sociaux, c’est aussi anticiper les évolutions du parc de logements. Dans les prochaines années, le territoire régional sera vraisemblablement confronté à l’augmentation du nombre de logements, corollaire de l’augmentation du nombre de ménages [3]. Cette augmentation devra être planifiée afin de permettre une croissance harmonieuse et équilibrée au service de toutes les couches de population. Les enjeux environnementaux Les problématiques environnementales ont de plus en plus d'influence sur l'aménagement du territoire comme en témoigne la multiplication des périmètres de protection ou de restriction (Carte d'aléa d'inondation, périmètre de protection (SEVESO, Natura 2000, etc.), zones acoustiques, etc.). Les impacts environnementaux font également l'objet d'approches de plus en plus larges et visent des projets de taille de plus en plus restreinte (notice, évaluation, études d'incidences). Du point de vue réglementaire, la tendance actuelle est à l'augmentation de l'analyse et du traitement des interactions entre matières environnementales et d'aménagement. En matière de gestion des autorisations, la complexité technique et administrative va croissant. De manière plus fondamentale, au niveau de l’environnement, deux questions, parmi d’autres, devraient prendre une importance croissante dans les années à venir. Il s’agit tout d’abord de la question de la gestion de l’eau. Vu la raréfaction de cette ressource au niveau mondial, les conflits ayant la maîtrise de l’eau pour objet sont en croissance. Assez bien dotée en termes d’or bleu, la Wallonie devra certainement intégrer de manière encore plus importante cette question de la gestion de l’eau dans ses futures politiques d’aménagement. A l’heure du redéploiement agricole mondial, le grignotage des terres agricoles est une des autres préoccupations à ne pas négliger. La question ne doit pas être uniquement abordée en termes de superficie cultivable (même si, la plupart du temps, ce sont des terres utilisées pour l’agriculture qui sont urbanisées, indépendamment de leur statut juridique) mais doit également s’intéresser au potentiel agricole en fonction de la qualité pédologique des sols et de l’évolution des méthodes d’exploitation, peu axée sur de petites parcelles éparpillées. En ces matières comme dans d’autres (la protection de la biodiversité par ex.), les défis de l’aménagement du territoire résident dans la limitation de la fragmentation des habitats et des milieux et dans la gestion de la cohabitation des activités humaines et de la préservation des ressources naturelles. Les enjeux énergétiques Les problématiques énergétiques (gestion des ressources, impacts environnementaux, économie) sont considérées comme les défis les plus importants que devront relever toutes les sociétés dans un avenir proche. Si le Cwatup intègre déjà les aspects concernant les économies d'énergie pour les bâtiments, les besoins sont tels que l'on peut augurer que d'autres aspects devront être régulés dans un futur rapproché: les aspects de mobilité, d'implantation, de préservation ou de création de ressources énergétiques, etc. Les débats tournant autour des éoliennes ou autour de l’implantation de "champs" de panneaux photovoltaïques rappellent, si cela était encore nécessaire, l’intérêt d’anticiper la croissance des nouveaux modes de production d’énergie. Le regroupement d’entreprises, la mise en œuvre de projets de logements autour d’un chauffage collectif; la hausse des prix de l’énergie aura-t-elle comme conséquence de modifier les densités urbanisées? Les enjeux de mobilité Si la mobilité s'affranchit, par essence, des limites administratives communales, par contre, de nombreuses actions en matière de mobilité se concrétisent au niveau local. Au niveau des politiques d'aménagement du territoire, ces actions induisent des effets à des niveaux qui dépassent souvent le territoire communal. Les actions sur la mobilité se traduisent en outils de planification et en dispositifs opérationnels. traduisent en outils de planification et en dispositifs opérationnels. L'interaction entre les problématiques de mobilité et d'accessibilité avec les problématiques d'aménagement du territoire est indéniable. Pour autant, la combinaison des différentes politiques n'est pas toujours aisée. L'augmentation des modes de déplacement, leur modification prévisible en regard de la baisse des ressources énergétiques, imposent une meilleure compréhension des phénomènes et une traduction plus appropriée en termes d'outils. Les enjeux politiques suprarégionaux Les disparités territoriales engendrent à la fois des risques et des opportunités. La manière de gérer les disparités engendre la compétition, la concurrence ou l'émulation. L'évolution politique des Régions et des Etats voisins de la Région wallonne ont un impact direct sur l'aménagement du territoire du point de vue économique et environnemental. Certaines villes, certaines régions utilisent à présent l’aménagement du territoire comme véritable arme économique, comme outil de concurrence qui dépasse les simples effets de marketing. Cette approche, au stade primaire, permet d’attirer des entreprises sur le territoire en leur offrant terrains aménagés et facilités en termes de communications et de mobilité. Mais le différentiel réglementaire ne fait pas tout. Les régions les plus dynamiques ont compris que la concurrence internationale leur imposait d’utiliser leurs outils urbanistiques et environnementaux au service d’un projet de société plus large que le simple accueil d’activités économiques [4]. Cette pression internationale, ou interrégionale, peut être source d’émulation et d’innovation. La question des outils de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme Ô surprise, l’évolution des outils de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme est considéré comme un enjeu en soi [5]. L’inflation législative, la pléthore de réglementations et les modifications incessantes des décrets et autres arrêtés rendent le droit de l’urbanisme incompréhensible, même pour les professionnels. Outre une situation préjudiciable en termes d’efficacité et susceptible d’aggraver le contentieux, la conséquence majeure qui découle de cet état de fait est une mise en exergue excessive de la place du droit dans la pratique de l’urbanisme. Forcés de se concentrer sur les aspects juridiques, voire sur les procédures, les professionnels risquent de se détourner des réflexions de fond. Ce danger n’est pas hypothétique pour les urbanistes, que dire alors pour les citoyens, les élus? La focalisation d’une (trop) grande partie des énergies sur les aspects juridiques risque de stériliser les débats et d’occulter les options à prendre pour répondre aux besoins. En aménagement et en urbanisme, chaque cas, chaque projet est spécifique. La normalisation et la standardisation n’apportent pas de solutions satisfaisantes à long terme comme en témoignent de nombreuses opérations de logement menées dans les années 50-60. Au travers de l’enjeu des outils, se profile également la question de la participation des citoyens à l’aménagement du cadre de vie. Il y a bien évidemment la question de savoir comment bien communiquer pour que les avis soient fondés, soient basés sur une compréhension des projets. Mais au-delà de la simple communication, il faut aussi se poser la question de la réelle co-création, de la participation à l’action par le public, par les habitants. Aujourd’hui, les outils réglementaires sont en décalage avec les moyens mis en œuvre dans d’autres secteurs. C’est également la question de la conception, qui se pose au travers du questionnement sur les outils. L’outil, que ce soit le crayon sur la table à dessin, ou l’informatique facilitant le dessin en trois dimensions, influence la conception et la planification [6]. Faut-il systématiquement utiliser des outils réglementaires, par essence normalisés, pour proposer des projets qui doivent prendre en compte des paramètres dont l’importance n’était pas nécessairement celle imaginée dans le cadre de la réglementation? En d’autres termes, faut-il systématiser l’usage du PCA ou faut-il encourager le recours à d’autres formes de planification? Le retour en force des schémas directeurs, non normalisés, semble témoigner de la nécessité de se tourner vers des outils souples et prospectifs. Des enjeux, un défi, une opportunité? Cet aperçu d’une sélection de problématiques qui concernent le territoire de la Wallonie pourrait donner à penser que nous sommes face à une montagne de problèmes tous plus cruciaux et complexes les uns que les autres. Faire face à l'ensemble de ces enjeux pour la mise en œuvre d'un développement durable, le défi est de taille pour l’ensemble des acteurs territoriaux. Mais ce défi est également une formidable opportunité à saisir pour redonner du souffle et stimuler une nouvelle dynamique territoriale. L’ensemble des enjeux nécessite une réflexion approfondie pour pouvoir établir à moyen terme les bases des positions à prendre quant à l'évolution à donner aux politiques d'aménagement du territoire mais le fait même de choisir de relever le défi peut être source d’émulation et peut agir comme un puissant levier de motivation. A chacun, à chacune à son niveau de s’inscrire en tant qu’acteur de cette évolution que nous espérons "durable". ---------1. [Remonter] Article de T. Ceder 2. [Remonter] La loi organique de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme du 29.3.1962 est à la base de la structure de la réglementation des trois régions du pays. 3. [Remonter] Augmentation due à la conjonction des facteurs relatifs à la croissance démographique, à la migration des populations et à la diminution de la taille des ménages. 4. [Remonter] V. e.a. le développement de Barcelone ou l’approche Finlandaise. 5. [Remonter] Ceci ressort d’une rencontre organisée par l’UVCW avec des urbanistes provenant de secteurs variés. 6. [Remonter] Il n’est que de voir les discussions sans fin sur les limites des zones du plan de secteur. Ce document, imprimé le 19-04-2017, provient du site de l'Union des Villes et Communes de Wallonie (www.uvcw.be). Les textes, illustrations, données, bases de données, logiciels, noms, appellations commerciales et noms de domaines, marques et logos sont protégés par des droits de propriété intellectuelles. 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