Lettre N°4

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Georges Goma-Gakissa1
L’HYPOTHESE D’UN PACTE DE NON-PROGRES DE L’AFRIQUE
UNE PENSEE CRITIQUE
Le progrès social est consubstantiel de la dynamique économique qui elle
même dépend de la clarté de l’agenda politique et surtout de la volonté politique. La
globalisation de l’économie, fait marquant de l’entre-siècle, n’est que la cristallisation
d’un paradigme préexistant à savoir une économie mondiale dominée par la primauté
des superpuissances occidentales. La nécessaire régulation de l’ordre mondial par le
truchement des institutions internationales majeures pour la plupart nés au lendemain
de la Dernière Grande Guerre et ayant vocation à répandre le progrès social ne cesse de
montrer ses limites. Les vagues de démocratisation en Afrique, consécutives à la fin de
la guerre froide symbolisée par la chute du mur de Berlin, sont sujet à questionnement.
Cette présentation se propose d’esquisser une critique radicale de l’idée d’une Afrique
qui refuse le progrès économique, social et démocratique et puis la démocratie partant
n’est absolument pas « un luxe pour l’africain » [dixit Jacques Chirac, Président de la
France de 1995 a 2007]. Elle s’efforcera de montrer combien les anciennes théories du
centre et de la périphérie restent d’actualité en dépit, toutefois, des oripeaux d’une
dynamique internationale soit disant branchée sur et préoccupée par le développement
de l’Afrique. Pour comprendre en profondeur, cette présentation s’efforcera de montrer
et de faire saisir les fondamentaux de ce qui se trouve au creux de la dynamique du
commerce transactionnel entre l’Afrique et le reste du monde pour travailler
l’hypothèse d’un pacte de non progrès en Afrique : le progrès de l’occident parait ainsi
être inversement proportionnel au progrès de l’Afrique Subsaharienne. Tel est mon
postulat de départ.
1
Docteur en sociologie (Paris 5-René Descartes-Sorbonne), Professeur de Sociologie et du
Travail Social à l’université d’Etat de Californie Baie Est, Membre du GEPECS (Paris 5),
Membre du CEMS (EHESS), Membre du Réseau « Vieillesse, vieillissement et parcours de
vie ».
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ASSUMPTION OF AN EXISTING HIDDEN PACT OF NONPROGRESS IN AFRICA
Critical Perspective upon International Relations
Social progress is consubstantial to the economic dynamic which, by itself,
depends on the clarity of the political agenda and, above all, the political will. The
globalization of the economy, turning point at the onset of the 21 st century, is nothing
else than the crystallization of a preexisting paradigm that is the world economy set up
to be dominated by the primacy of westerner nations. The necessary regulation of the
world order through international major institutions, most of them born after the
Second World War to “spread out the social progress”, has shown its limits. Waves of
African democratization movements following the fall of the Berlin wall in 1989 ask to
be questioned. This paper aims to sketching a radical critical thinking of the statement
according to which Africa does refuse social, economic, and democratic evolution.
Democracy, in particular, isn’t a “luxury to African peoples” as misleadingly and
inappropriately stated by former French president Jacques Chirac. The paper will
reconsider the relevance of well-known core-hinterland theories stressing on how these
perspectives still remain accurate in spite of the flashy cloak of so-called international
dynamic aimed to develop the continent. For the sake of an in-depth understanding,
this presentation will endeavor to demonstrate and let people know the foundations of
what is nestled into the complex relationships between Africa and the rest of the world
by figuring out the assumption of an existing hidden pact of non-progress for subSaharan African countries; thus, the progress in the West seems to be conversely
proportional of the progress in Africa. Such is my departure point of thinking.
LA DEMARCHE DE REFLEXION
Ce texte écrit dans la perspective d’une pensée libre, se voudrait d’abord et
avant tout essentiellement une ébauche de réflexion. Une réflexion en profondeur et
une réflexion décomplexée sur le continent noir ; notamment sur son droit supposé ou
réel au progrès social, économique et démocratique. Ce texte se propose aussi, dans sa
structuration progressive et son élan d’achèvement, un projet articulé à une ambition de
caractère théorisant. Non pas une théorisation spécifique mais plutôt une théorisation,
disons-le, ouverte fondée sur des concepts susceptibles de rendre pertinemment compte
de la complexité même des déterminants majeurs qui constituent le substrat réel du
continent noir aussi bien dans son éthos que dans sa praxis.
2
L’ethos c’est le caractère intrinsèque de l’homme africain ; ce qu’il fut, ce qu’il
est devenu et certainement aussi ce qu’il préfigure dans un contexte fluctuant de
changement de mentalité. Il y aurait-il une mentalité africaine ou des mentalités
africaines ; et d’ailleurs, ces mots ont-ils réellement un sens ? Je voudrais d’emblée par
ces mots, réaffirmer la démarche critique qui caractérise cet essai. Et donc, le caractère
de l’africain, cet ethos existentiel, tiendra bien aussi de la culture africaine ou des
cultures africaines. La culture est certainement l’une des dimensions fondamentales qui
impact la reconnaissance tangible ou non du continent noir dans ses relations
internationales. La praxis, quant à elle, c’est l’Afrique en pratique. L’Afrique pratiquée
par les africains eux-mêmes dans leur géographie propre mais aussi l’Afrique pratiquée
par des africains hors de l’Afrique dans une mesure mais encore et surtout aussi
l’Afrique pratiquée par les non-africains en Afrique et l’Afrique pratiquée par ces nonafricains dans les périmètres de leurs propres sphères géographiques. Conceptualiser le
progrès social en Afrique suppose, dans cette perspective, de bien articuler les corrélats
de l’ethos et de la praxis. Mais mon ambition d’une théorisation pertinente demeurera
partielle et partant non-opératoire sans prendre en compte une troisième dimension de
l’être africain ou de l’être tout court : l’éthique. Toute pensée et toute pratique de et/ou
sur l’être devrait s’articuler à des principes éthiques, à une culture de l’éthique qui
protège l’être africains plutôt que de le détruire. Ces principes éthiques ont un impact
sur les fondamentaux de l’économie – et la globalisation nous offre aujourd’hui un
modèle presqu’achevé de l’interdépendance des économies au niveau supra national –
et sur les enjeux politiques qui, en dernière instance, ont vocation à maintenir, soutenir
et entretenir les enjeux économiques.
Après ces quelques préalables sur la filiation de ma pensée, commençons donc
cette ébauche de réflexion par des questions très simples. Qu’est-ce que le progrès
social2 aussi bien à l’échelle des nations dites souveraines qu’à l’échelle des grands
ensembles étatiques ? Et quels sont les facteurs explicatifs des états perçus comme en
situation de réel progrès et d’autres définis comme en absence de progrès voire même
en situation de régression3 ? La notion même de progrès social, est-ce un fait de culture
ou un trait universel ? Qu’est ce qui est à l’entrelacs des liens transactionnels entre les
peuples, les nations et les états au fondé de ce même principe du progrès social ? La
première question est de nature définitionnelle quand la deuxième est d’ordre
conceptuel et la troisième d’ordre interactionnel.
Dans la suite de cet exposé, j’utiliserai progrès social dans un sens plus global englobant aussi bien le
progrès démocratique que le progrès démocratique. Je soulignerai les spécificités liées aussi bien au
progrès social, au progrès économique et au progrès démocratique si nécessaire.
3 Certaines comparaisons historiques montrent le recul dans beaucoup de domaines depuis la fin de l’ère
coloniale.
2
3
INSTABILITE SOCIOPOLITIQUE ET POTENTIALITES ECONOMIQUES DE LA
REGION.
L’instabilité sociopolitique est assurément un construit social. Les forces qui
construisent l’instabilité sont bidimensionnelles. Elles sont endogènes et exogènes. Peu
d’instabilité sous les ordres esclavagiste et colonial. Les vagues d’instabilité
apparaissent comme étant des construits sociopolitiques tirant leur sève d’un travail
structurel sur le clivage interethnique voir même intra ethnique. Les forces exogènes
sont structurées et structurantes. Elles sont jalonnées sur une vision et un champ
historiques eux aussi structurés. Les premiers contacts avec l’Afrique au quinzième
siècle, la mise en œuvre des traites négrières, les conquêtes et les exploitations
coloniales, la gestion des ères postcoloniales obéissent à un principe rationnel de
domination et son corrélat le plus puissant qui est l’exploitation des matières premières
incontournables au progrès social du monde occidental. Cette vision des choses, sous
l’œil occidental, s’érige à la dimension d’un paradigme qui traverse les siècles et les
générations. Le progrès de l’humanité dont il se réclame peine aujourd’hui à dissimuler
son vrai visage. Certains peuples semblent, aujourd’hui, plus humains que d’autres
quand ces autres se sont, à l’ origine, ingénieusement vus se denier la qualité d’êtres
humains. Cette question tarauda longtemps la philosophie, la théologie et la biologie
européennes des siècles fondateurs.
LA GLOBALISATION DE L’ECONOMIE
La globalisation de l’économie reste le grand enjeu du vingt et unième siècle.
Disons-le une fois de plus, c’est juste la cristallisation d’un paradigme ancien. L’idée
du progrès est au cœur de la pensée occidentale depuis plus de deux siècles. Toute
l’histoire des rapports entre peuples différents puis, par la suite, entre états différents
s’était fondée sur le paradigme originel du progrès du monde occidental. Mais cette
vision, si elle a été travaillée et pratiquée tout au long de l’histoire, n’est guère absolue
par détermination. Le maintien et la survivance d’une telle perspective n’a été possible
que par l’exercice d’un rapport de force qui, jusque là, ne s’est établi qu’au profit de
l’occident conquérant. Ceci s’est historiquement fait et continue à se faire par le
truchement d’une avance prise par ce monde occidental dans la maitrise d’un certain
nombre de marqueurs de temporalités cristallisantes, des idées fondatrices et des
environnements matériels définis. Les outils concrets de cette maitrise ayant permis la
consolidation de la suprématie occidentale sur le reste du monde et l’Afrique en
particulier sont de quatre ordres principaux. Le pouvoir scientifique, le pouvoir
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économique, le pouvoir socioculturel, le pouvoir théologique et religieux ; le tout
encadré et couronné par le pouvoir militaire. Ce sont là les ingrédients qui rentrent
dans l’ordonnancement et le maintien de la suprématie de l’occident. La question de
fond dans cette élaboration devient : quid du monde africain dès lors que l’on connait
désormais les fondamentaux qui constituèrent et qui continuent à faire, de nos jours, le
progrès social du monde occidental mutatis mutandis.
L’Afrique est-elle capable de mutation sociétale dans le sens du progrès
social ? Est-elle capable, elle aussi, de puissance hégémonique ? Une négative à cette
question fondamentale est assurément une impertinence bien que d’apparence
irréaliste. L’histoire de l’humanité regorge pourtant d’exemples qui montrent combien
des modèles de suprématie attribués à des temps précis à certains ensembles politiques
organisés tels que les royaumes, les empires et les états modernes dans le cours de
l’histoire n’ont guère jamais été que des formations relatives. Elles ont eu leurs
conditions d’émergence, ont eu leur temps d’apogée et finalement ont soit péri soit se
sont transformées. C’est la logique même du changement social. Il en fut de l’empire
romain et de l’ancienne Grèce aux temps antiques ; du puissant empire Byzantin au
temps de Justinien au 6e siècle ; du puissant empire du Mali en pays mandingue au 13e
siècle avec des personnages légendaires tel que Soundiata Keïta; des puissances
ibériques espagnole et portugaise autour aux 15e et 16e siècles ; des empires coloniaux
britannique et français des 19e et 20e siècles ; de la montée en puissance des Etats Unis
au lendemain de la dernière Grande Guerre ; de l’essor des puissances asiatiques entre
le Japon d’abord ; la Chine et l’Inde aujourd’hui sans oublier la marche forcenée de
l’Iran vers la puissance nucléaire pour ne retenir que ces cas. Ici et là sont mises en
exergue les velléités de puissance et de domination. Et ces attentions velléitaires pour
ces nations qui osent ont en commun la grandeur de la nation concernée et donc son
progrès d’une manière générale. Et, je garde le concept de progrès social fortement
corrélé à l’amélioration des conditions existentielles des personnes pour lesquelles la
nation tire son essence c'est-à-dire les populations. Les états modernes du continent
noir d’une manière globale semblent bien, partant d’un regard synoptique, s’inscrire en
étrangers à ces patterns de dynamique sociétale. Ici est donc une invite à recontextualiser pour ainsi re-conceptualiser le continent noir dans la dynamique de la
globalisation devenu substrat de la pratique du monde au vingt et unième siècle. Cette
re-conceptualisation qui se voudra critique devra se vouloir tout aussi décomplexée.
Décomplexée face à l’occident et aux institutions internationales majeures que je pose,
par hypothèse, être au profit structurel des nations occidentales ; mais décomplexée
également face à une certaine élite politique africaine et pas des moindres responsable
et coupable d’apostasie du progrès social qui, sous d’autres cieux, constitue la valeur
centrale de l’engagement politique.
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LES DETERMINANTS CONCRETS DU NON-PROGRES.
Les Déterminants Politiques.
Je poserai comme centrale la réflexion sur la démocratie en tant que valeur
philosophique préfigurant un certain mode de vie, une culture mais aussi la démocratie
comme attribut concret du progrès social de par sa pratique principielle. Sans chercher
à définir de façon pédante le concept de démocratie, je vais simplement rappeler deux
de ses principes très essentiels à mon entendement : les deux libertés d’expression et
d’entreprise. Le premier principe consacre au citoyen souverain la libération de la
parole : dire sa vision du monde par l’observation de la pratique politique de ceux à qui
ledit souverain premier aura consacré une légitimité d’action politique à servir ses
intérêts. Je dis ce que je vois et dans ce que je vois, je conserve ma liberté de critiquer
ce qui, à mon entendement, relève de l’imposture car c’est parce que je pense que je
crois pouvoir exister en tant que Etre pensant ; un petit clin d’œil au Cogito Ergo Sum
de Descartes et ses Méditations métaphysiques. Bien entendu, ici on n’est pas dans la
sphère métaphysique mais bien dans la réalité sociopolitique. Le second principe de la
démocratie est au fondement de l’essor économique qui consacre le bien-être
individuel et aussi collectif. Il est organiquement corrélé au principe d’expression de la
parole. Etre libre d’entreprendre c’est être libre de créer de la richesse en termes de
produits financiers et de produits matériels. Ces deux principes sont plus ou moins
problématiques selon le degré d’acceptation du jeu démocratique stricto sensu.
Cependant et d’emblée, il sied aussi de reconnaitre le péril et la souffrance de
l’enjeu démocratique dans le monde tout entier y compris d’ailleurs dans les nations
qui proclament l’avoir jamais engendrée. Le recule de la démocratie n’est, cependant,
pas imputable à son contenu mais plutôt à la perspective des attendus spécifiques de sa
pratique réelle ou supposée réelle. Les enjeux économiques beaucoup plus que les
enjeux socioculturels dictent l’emphase ou la rhétorique démocratique. La pratique de
la démocratie semble être en péril en Amérique jadis plébiscitée par Alexis de
Tocqueville comme elle l’est dans beaucoup de contrées européennes en dépit des
apparences et de l’apparat qui entourent ses réalisations. Elle se cherche ou se trouve
imposée dans les anciens états du Pacte de Varsovie aujourd’hui divisés entre
l’occidentalisation et le maintien dans le système de la démocratie dite sociale modelée
sur ces anciens pays de l’Est européen. Elle semble incompatible à l’Orientalisme qui
la pratique cependant d’une certaine manière. La Grande Murail de Chine s’y frotte
sans s’y imprégner et pourtant s’engage dans un big-bang économique sans précédent
déjouant les calculs géostratégiques des anciens maitres de l’économie capitaliste
classique et moderne. L’Afrique quant à elle, joue de la controverse et de l’intrigue.
Elle la veut sans la vouloir en vérité. En tout cas une certaine Afrique disons-le. Les
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années quatre vingt dix la consacre à la faveur des changements sociétaux rendus
possible par la chute du mur de Berlin et l’imprudent désormais discours de la Baule.
Discours imprudent pour le système politique et socioéconomique qui le proclamât
bien évidemment et pas imprudent pour le continent noir. Pour le continent noir, ce fut
pourtant l’instant critique précis, le moment opportun, le kaïros. L’opportunité d’une
gouvernance rectifiée, jalonnée sur les principes d’un progrès politique, économique et
social débarrassé des apories d’un mode de gouvernement encore solidement enraciné
dans le paternalisme occidental. Les débuts des années quatre vingt dix constituèrent
donc un puissant marqueur de temporalité cristallisante dans leur vertu à cristalliser
l’attention sur l’Afrique et le monde ; à cristalliser la réflexion politique sur l’avenir du
continent noir ; à cristalliser les énergies de jeunes africains surtout instruits ou
diplômés à penser affaires et management ; bref à cristalliser tous les espoirs permis
d’un renouveau continental marqué dans certains pays par des conférences nationales
plus ou moins réussies.
Mais cette effervescence, ce mouvement social historique, ce momentum s’est
vite vu constituer en un puissant facteur structurel de changement sociétal risquant de
bouleverser de façon inattendu tout le dispositif du système postcolonial institué pour
pérenniser le rapport d’exploitation originel dûment hérité des ères esclavagiste et
coloniale toujours au grand profit de l’occident. Ainsi, à cette forte détermination du
changement s’est vue opposer une féroce résistance au changement drainée de
l’intérieur par des forces politiques au pouvoir et de l’extérieur par des puissances
politiques et diplomatiques et par des lobbies économiques et maçonniques
accommodés aux systèmes dictatoriaux en réalité encensés par eux-mêmes. Les
lectures de Franz Fanon sont particulièrement éclairantes pour comprendre la
complexité des liens quasi organiques entre les anciennes puissances coloniales et les
élites politiques africaines accommodantes des intérêts occidentaux unidimensionnels.
Le cas des anciennes colonies françaises est à cet égard parfaitement illustrant
dans sa faculté à annihiler le progrès social du continent noir. Non seulement la
démocratie y est perçue au plus haut sommet de l’Etat français comme un luxe pour les
africains, elle est, plus grave encore, établie et consacrée par certains africains euxmêmes comme une occurrence, une irruption prématurée. On n’est pas prêt pour la
démocratie s’est-on souvent laisser entendre. Mais prématurée par rapport à quoi ? Là
est une question importante qui laisse un champ à débat dans la mesure où certains
pays comme le Sénégal, le Benin et le Ghana pour ne citer que ces trois modèles
prennent le contre-pied des deux postulats impliqués. Un autre aspect illustrant le pacte
de non progrès de l’Afrique et renforçant par conséquent le trait analytique du maintien
transfiguré du lien colonial est l’incroyable et éternelle attente de la politique française
de l’Afrique. Vue l’importance et la fluctuation des liens entre la France et l’Afrique, il
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est marquant de constater l’inertie des politiques africaines attentistes et quasiment
incapables d’élaborer selon les principes d’intérêts mutuels une valeureuse politique
africaine de la France et par extension de l’Occident et autre. Cette espèce d’apostasie
est tout particulièrement préjudiciable à l’idée du progrès social de l’Afrique. Tout
aussi dommageable est l’absence d’une géopolitique et d’une géostratégie au profit des
états africains. Dans un contexte marqué par une idéologie d’obédience ultralibérale
portée par une globalisation arborant un visage moins humain, une réplique toute aussi
défensive qu’offensive est nécessaire pour exister sur les plans culturel, économique et
politique. Une vision qui réduirait pour ensuite la faire disparaitre toute la rhétorique
autour de la notion d’aide au développement en Afrique. Une aide définie comme telle,
impliquant uniquement les concepts de philanthropie ou de charité et ignorant l’apport
réel de l’Afrique au progrès de l’occident depuis le quinzième siècle est une imposture,
un simulacre et donc un scandale. Car, il apparaitra incongru que la notion d’aide, très
marginale dans l’ethos même de ceux auprès de qui l’africain est sensé quémander
apparaisse comme substantielle dans leur rapport aux africains. Ces contradictions de
base constituent la source essentielle des maux qui gangrènent le substrat existentiel de
l’Etre africain. Et ces contradictions sont dans une large mesure suscitées et nourries
par des élites politiques disqualifiées par leur incapacité structurelle à inspirer et
déclencher le progrès socioéconomique. L’éradication pure et simple de la notion
d’aide est donc une alternative sérieuse et vitale dans la mesure où l’Afrique en tant
qu’ensemble capable d’organisation détient naturellement les ingrédients nécessaires
d’une autodétermination dans le cadre strict des coopérations entre nations situées à
des degrés différents de développement.
Les Déterminants Economiques du Progrès Social.
L’économie est la pièce maitresse du progrès social et reste essentiellement
assujettie à la volonté politique qui, elle-même, devrait tenir compte de l’instance
culturelle authentique du pays ou du continent pour espérer un progrès cohérent.
Déroger ou escamoter cette assertion c’est s’exposer à l’impertinence des réflexions et
des pratiques inhérentes à l’état et au devenir du continent. Une question lancinante est
alors de chercher à comprendre les fondements d’un paradoxe insoutenable: le
contraste entre les notions de Richesse et de Pauvreté. La richesse réellement vécue est
le sentiment de prospérité résultant de la transformation de la richesse potentielle liée
aux ressources naturelles en denrées directement utilisables dans la vie concrète. Ces
denrées prennent des formes diverses. Elles sont monétaires, résultat des transactions
marchandes aussi bien à l’échelle locale qu’internationale. Elles sont matérielles,
résultat de la transformation des ressources brutes en produits nets prêts à la
consommation. Elles sont culturelles, résultat de deux phénomènes connexes que sont
l’affirmation identitaire et l’acculturation ; sans toutefois confondre ce dernier terme à
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l’assimilation qui marqua sur une longue période de l’histoire africaine la politique
coloniale de la France et à la différence de la logique du protectorat britannique.
L’Afrique serait alors le continent le plus pauvre cependant avec d’énormes ressources
humaines, naturelles, monétaires, culturelles et climatiques. Telles sont les données du
paradoxe insoutenable mais pourtant historiquement soutenu par les stratèges de
l’économie globale avec l’appui de leurs agents locaux encouragés à bâtir des
politiques de gestion et de gouvernance susceptibles de leur faire accéder aux
initiatives aujourd’hui connues sous les vocables de pays pauvres très endettes en sigle
PPTE. Quels sont les mécanismes de cette endettement, quels sont les circuits de
circulation des produits de l’endettement, quels sont les agents locaux et globaux dudit
endettement, quels sont les vrais bénéficiaires de l’endettement, etc. La réponse
soutenue basée sur des données non dissimulées suffirait à démontrer l’immoralité de
la situation. Des responsables politiques ne cachent même plus leur fierté bien
immorale d’avoir mis toute leur intelligence en branle pour atteindre le fameux point
d’achèvement à l’initiative. C’est au fond, la course vers la pauvreté qui est gagnée.
Tout dans tout, plane le spectre d’une Afrique interdite de progrès social sous
le diktat sournois des anciennes puissances conquérantes à travers un processus vieux
de plus de cinq siècles à nos jours. Et plus proche de nous, l’amplification des vieilles
théories du centre et de la périphérie avec le centre prospère et développé représentant
le monde occidental et la vision de la périphérie archaïque, éternel chantier et sous
développée représentant le tiers monde en référence au tiers état de l’ancien régime en
France. Le centre est jouissant d’un monopole sur trois types de contrôle : (1) le
contrôle du processus d’innovation technologique, ce qui suppose des formes
d’organisation capitaliste dans lesquelles le pouvoir financier se matérialise ; (2) le
contrôle international de la monnaie et de la finance et (3) le pouvoir politico-militaire
et, avec lui, le contrôle des armes. J’y reviendrai plus loin notamment sur la dynamique
des armes et l’ambition de destruction de l’Afrique. Le point nœudal dans une telle
perspective c’est de comprendre comment une stratégie est fondée sur la concentration
sous un même commandement de l’espace industriel, du pouvoir financier et du
pouvoir marchand. Quant à la périphérie sous-développée, elle est le résultat d’une
forme particulière d’expansion du centre capitaliste, c’est-à-dire de la rencontre du
centre avec des sociétés où prédominaient des relations sociales et de production
archaïques. Economiquement, il est possible de caractériser la périphérie sousdéveloppée par trois éléments également : (1) la dynamique de dépendance de son
système productif et administratif hérité de la colonisation ; (2) la dépendance
monétaire et financière externe avec l’exemple de la problématique du franc CFA qui
regagne un intérêt critique ; et enfin (3) la subordination politico-militaire avec les
fameux accords de défense et la saga des évacuations des occidentaux pendant des
crises parfois perfidement provoquées par ces mêmes occidentaux pour des motifs
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bassement économiques et stratégiques. Ces trois éléments caractérisent la périphérie
capitaliste, et pas seulement de la production d’aliments et de matières premières. Cette
production est une forme particulière de subordination, qui correspondait à la division
du travail imposée par l’Angleterre des colonies. Socialement, la périphérie sousdéveloppée est caractérisée par l’hétérogénéité de la société. Une petite partie de cette
société partage la qualité de vie du centre, mais la majeure partie en est complètement
exclue. C’est cette petite partie de la population africaine que nous avons mentionnée
plus haut et tenue, par assomption, coresponsable du pacte de nos progrès de l’Afrique.
Plus concrètement, des faits rapportées par les media occidentaux d’ailleurs ;
media dotés de moyens fiables d’investigation démontrent la pertinence de cette
logique de démontage du continent noir avec la complicité structurante des dirigeants
noirs soutenus et protégés selon des méthodes plus ou moins dissimulées par les
tenants des pouvoirs majeurs au centre. Un soutien ou, à contrario, un dénie de soutien
qui reste différentiel selon le caractère du régime aux aboie. Pour des régimes élus, pas
au sens démocratique, c'est-à-dire des régimes amis protégeant les intérêts des
puissances occidentales, un soutien total à leur pérennité au pouvoir et une cécité
exemplaire sur leurs pratiques répréhensibles de l’économie qu’ils dilapident et
neutralisent, du pouvoir qu’ils poussent dans des cas avérés jusqu’ à l’action
génocidaire. Le cas précis de ce que je pense désigner sous les termes de génocide
économique est non seulement pathétique mais aussi et surtout fondamentalement
déstructurant de l’économie du continent au profit des institutions financières et
politiques de l’Occident et de la France en particulier architecte bien aguerrie à la
pratique. Des ensembles économiques et financiers comme Elf Aquitaine de l’époque
transmutée en Total-Fina-Elf d’abord, puis finalement en juste Total pour extirper à
jamais le vocable Elf un peu trop chargé et encombrant; BNP-Paris Bas, Bolloré,
Bouygues, et bien d’autres encore sont connus et reconnus dans cette impérialisme
économiques à tout crin allant jusqu’ à assujettir l’action politique des ces nations dites
développées et démocratiques. De toute cette dynamique feutrée qui en fin de compte
amoindrit les chances du continent à expérimenter le progrès social dans des conditions
appropriées et optimales, se renforce avec plus d’inclinaison le sens unidimensionnel
de déplacement des biens financiers, matériels, humains et culturels vers ce même
centre.
Les moyens financiers détournés en très grande quantité sont destinés aux
banques et au financement des partis politiques sans distinction de couleur ni
d’idéologie dans certains pays du monde occidental. Ces derniers en retour promettent
protection sans faille quel que soit ce qui pourrait éventuellement arriver. Le pacte est
scellé à moins qu’il y ait donc d’événement contingent. Des pouvoirs africains
incompétents et non crédibles se trouvent ainsi protégés et prolongés sous des formes
monarchiques comme au Togo, en RDC, fraichement au Gabon, et certainement
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demain au Congo-Brazzaville, au Tchad ou ailleurs en Afrique. Au remplacement ou à
la succession des élites en occident s’oppose la vision des élites stabilisées au pouvoir.
C’est la résultante d’une certaine terreur de l’occident à avoir à dealer avec des élites
clairvoyantes soucieuses de rompre la logique dissimulée d’un transfert immoral et
cruellement inégal des échanges entre l’Afrique et le reste du monde. Des cas extrêmes
d’une telle vision sont allés jusqu’ à la réduction physique de ces facteurs clairvoyants
du progrès en Afrique et le modèle le plus raffiné d’une telle réduction restera
l’élimination physique de Thomas Sankara, Président assassiné au Pays des Hommes
Intègres anciennement Haute Volta.
Donc, aux usages des stocks et des flux financiers, le travail sur les institutions
et sur les hommes. Ces attributs monétaires et financiers rentrent dans la circularité de
l’économie du monde occidental travaillant ainsi sa reproduction et sa prospérité. Les
hommes et les institutions sont à pieds d’œuvre pour assurer le bien-être du citoyen. Le
citoyen le leur rend bien en manifestant son agrément ou son mécontentement dans les
différentes sphères du suffrage universel. Ce qui met l’acteur politique en demeure de
démontrer sa moralité politique et ses compétences en termes de meneur d’hommes en
prévision d’un renouvellement de confiance éventuel. Ces mêmes attributs monétaires
et financiers en Afrique semblent avoir une toute autre signification. L’argent difficile
et rare dans la masse citoyenne y est abondant et sans signification dans l’élite au
pouvoir. La rareté crée le sens et le respect quand l’abondance cède le pas à l’ivresse
et à la cécité au monde réel. L’attribut financier ici rentre plutôt dans l’ordre de la
consumérisation, de la carbonisation c'est-à-dire de la jouissance que les classes
sociales au pouvoir font de ces attributs sans qu’ils ne rentrent vraiment dans le cycle
productif concret ayant vocation à développer et épanouir le tissus social à travers
santé, culture, éducation et emplois de qualité. Les moyens financiers sont dédiés aux
actions et aux réalisations fragiles qui disparaissent à jamais comme les propriétés
individuelles indues et les festoiements abusifs parfois outranciers plutôt que l’érection
des ouvrages en béton armé tels que des institutions fortes, crédibles et sacralisées ; des
routes et des ouvrages d’art solides résistant à l’épreuve du temps et de la nature
sauvage guettant l’instant propice pour reprendre ses droits, etc. Les propriétés
individuelles indues restent dans l’ordre du fragiles car elles ne conservent leur solidité
relative que par rapport au temps précis de l’exercice du pouvoir par les titulaires. Hors
de cette bulle du pouvoir et hors d’un contexte politique protégeant, il est souvent
difficile que les biens mal acquis continuent à demeurer propriété de l’impétrant. Les
belles acquisitions de Mobutu à Gbadolite sont ruines après sa chute du pouvoir. Belle
illustration. Sous l’effet de la mémoire collective, ces biens, dans les cas les plus soft et
détendus de la dévolution du pouvoir, peuvent être redéployés dans le domaine public ;
mais dans les cas les plus tendus de la dévolution du pouvoir, ces biens sont
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généralement détruits par ceux qui ont pendant longtemps subi l’oppression de l’élite
dictatoriale.
Les armes qui rentrent dans la circularité de l’économie des grandes
puissances.
La fin du vingtième siècle et le début du vingt unième siècle auront vu se
dérouler en Afrique une douloureuse et tragique expérience de socialisation à la culture
de la guerre. Non pas pour se protéger d’éventuels menaces extérieures dans le cadre
d’une guerre étrangère telle que définie par le théoricien prussien Carl Von Clausewitz,
mais plutôt pour s’entretuer et donc s’auto éliminer en tant qu’africains dans ce qu’on a
souvent établi un peu trop rapidement comme étant des guerres civiles. La qualification
de la guerre en guerre étrangère et en guerre civile a un impact différentiel par rapport
à la conduite de la communauté dite internationale face au fait. Les guerres civiles
préviennent l’implication de cette communauté internationale tandis que les guerres
étrangères sont souvent sujettes à son arbitrage. La question à se poser ici c’est de
savoir si réellement Afrique a-t-elle besoin d’armes quand les problèmes fondamentaux
à règle semblent être ailleurs ? Quels ont été les grands conflits panafricains ?
La seule finalité des armes envoyées en Afrique est, au fond, de détruire
l’Afrique dans ses acquis humains, matériels et culturels. Le déversement des armes
qui s’y effectue est une invite à leur utilisation potentielle. L’économie de l’armement
qui fit la gloire de l’économie occidentale cherche d’autres exutoires pour maintenir à
flot la circulation des capitaux dans ce champ surtout après la fin de la guerre froide.
La guerre devient ainsi un fait impropre aux nations civilisées d’Europe. L’entretien
des foyers de tension en Afrique et ailleurs en jouant de la fibre ethnique aboutit à deux
types de destructions majeures : destruction matérielle et destruction du tissu
socioculturel. Si la destruction matérielle est souvent perçue par les belligérants en
présence et ceux en absence de fait mineur dans le sens d’une reconstruction rapide une
fois la guerre terminée si toutefois elle se terminait, les destructions socioculturelles
quant à elles sont d’une tout autre nature. Elles détruisent l’être africain dans son
caractère intrinsèque en engendrant une adversité profonde entre les protagonistes
surtout quand ils sont de groupes ethniques différents. Développer la belligérance
apparait désormais comme un fait socioéconomique et politique. Les armes des stocks
des grandes puissances militaires sont ventilées insidieusement dans ces zones de
tension construites. Les anciens militaires se reconvertissent dans le mercenariat pour
accompagner les armes vendues dans leur utilisation. Le célèbre français Bob Denard,
les agents de sécurité du Front National en France, les anciens de l’armée ukrainienne
et beaucoup d’autres encore ont trouvé en Afrique un terrain fécond de l’économie de
la destruction et de la négation du progrès social. Ici, pas moins que dans la sphère de
l’économie classique, le sens des capitaux impliqués suit la même tendance décrite
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plus haut : de la périphérie vers le centre. Les groupements belligérants investissent
dans l’achat des armes et des munitions ; Les mercenaires exigent d’être payés avant
d’aller sur les terrains des opérations ; une fois la guerre civile terminée et toutes les
infrastructures touchées et brisées, vient la fatidique période de reconstruction où les
marchés de la reconstruction sont généralement remportés par les mêmes fournisseurs
d’armes. A cette autodestruction de l’Africain par les armes de guerre avec son
corolaire le plus en vue désormais conceptualisé en termes d’enfants soldats, s’ajoute
le spectre de la maladie sexuellement transmissible tel que le SIDA-VIH. Les modes et
les patterns de transmission à grande échelle de la pandémie, l’absence d’éducation à la
santé sexuelle, les médications très limitées, etc. s’ajoutent aux facteurs mentionnés
plus haut pour présenter une image et une perspective problématique du continent noir.
EN GUISE D’OUVERTURE
Comme je l’ai souligné tout au début de cette tentative, ceci n’est qu’une
ébauche d’une problématique qui se propose de jeter les bases d’une pensée renouvelée
sur le continent noir à l’aube du nouveau millénaire. Ce qui veut dire qu’une
conclusion est tout à fait prématurée et inopportune. Les champs mentionnés à savoir le
politique, l’économique, le culturel, le militaire et leur savante articulation constituent
les éléments fondamentaux de la recherche des facteurs essentiels qui expliquent et
justifient l’état actuel du continent noir dans ses différentes manifestations du progrès
ou de l’absence de progrès social. L’attitude ambiguë du monde occidental par rapport
aux principes démocratiques et au développement du continent continuera à constituer
une entrée analytique essentielle pour comprendre en profondeur. A ce niveau
embryonnaire de la réflexion, nous ne savons pas encore les termes de l’hypothétique
pacte du non progrès de l’Afrique, ni les vrais acteurs concepteurs et porteurs du pacte.
Mais nous avons des éléments d’appréciation pertinents pour aboutir à une
modélisation et une parfaite théorisation du concept de pacte de non progrès du
continent noir.
Georges Goma-Gakissa
http://georgesgomag.squarespace.com/
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