Affaire ICC Services : gouverner, c`est prévoir

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Affaire ICC Services : gouverner, c’est prévoir
par Albert Gandonou
Depuis l’éclatement de la bulle ICC-Services, à quel spectacle avons-nous eu droit de la part de nos
dirigeants ? Nous avons vu des gens saisis de panique, qui posent des actes hasardeux et tiennent des
propos irrationnels. Une des sociétés de placements d’argent est en faillite, on ordonne la fermeture de
toutes et le gel des comptes de l’ensemble des structures de placements. On se met ainsi tous les
clients à dos, au lieu de se concentrer sur les seuls qui sont pour le moment en difficultés, et, dans le
même temps, de clarifier, d’endiguer la situation des autres. Gouverner, c’est prévoir, dira-t-on, et on a
pris des mesures conservatoires. Ce n’est pas maintenant qu’il faut prévoir, et faire semblant de
protéger les citoyens. C’était il y a quatre ans, quand tout a commencé au vu et au su de tous. Et qu’on
ne vienne pas nous dire qu’on n’était au courant de rien. Les marcheurs de Suram Angel ont eu raison
d’exiger, ce jeudi 8 juillet 2010, que soient débloqués les comptes de cette société qui se dit capable de
continuer à payer ses clients.
Pour ma part, j’ai du mal à reconnaître les personnalités qui nous gouvernent et qui sont un certain
nombre à venir du monde des finances. Si on devait les citer, on commencerait par le chef de l’Etat
lui-même, M. Thomas Boni Yayi, docteur en économie, directeur de la BOAD pendant dix ans. Les
ministres du plan et des finances, MM. Irénée Pascal Koukpaki et Idriss Daouda, qui sortent tout droit
de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Ne parlons pas du « grand »
professeur agrégé d’économie, en charge de la cellule d'analyse macro-économique à la Présidence de
la République, M. Géro Amoussouga, dont les interventions sont les plus calamiteuses.
Le ministre des finances susnommé a centré toute sa communication, lors de l’interview accordée à la
télévision nationale, le dimanche 4 juillet 2010, sur l’idée que les sociétés de placements ne sont
qu’une affaire de vaste escroquerie et d’abus de confiance. Le président, lui, pleurnichera sur
l'immoralisme et le manque de scrupules des présumés coupables, et sur la perte des valeurs qui doit
conduire à une refondation de la République ! Pas moins ! C’était d’abord le lundi 5 juillet 2010 à
Adjarra, puis le mardi 6 au palais de la Présidence. Sur la base de ces prémisses démagogiques, on
ordonne hâtivement la fermeture des sociétés de placements et le gel de leurs comptes bancaires. On
veut donner le change à bon compte et faire accroire qu'on se situe au-dessus de la mêlée. Et chacun
d’y aller de son sermon à la petite semaine sur l’appât du gain facile et le prétendu goût des béninois à
avoir beaucoup d’argent sans rien faire.
Mais ce dont personne ne nous parle et qui pourtant crève les yeux, c’est que le capitalisme est devenu
cela, essentiellement et partout en ce monde « globalisé et mondialisé ». Que c’est même d’abord cela
que permettent la globalisation et la mondialisation : les placements transfrontaliers, incontrôlés et
incontrôlables, grâce à l’hyper-développement des technologies de l’information et de la
communication. Le capitalisme est devenu total et spéculatif. Notre monde se trouve entre les mains
des boursicoteurs et des traders qui, au service d'une poignée d'actionnaires, reçoivent bonus sur bonus
quand, en un clin d’œil, ils démultiplient, comme Jérôme Kerviel, les capitaux au moyen de quelque
bon placement, depuis leur bureau ou leur maison, sur le marché financier international à Singapour,
Londres, Hong-Kong, Pékin ou New-York. En effet, quelque trois cents millions d’actionnaires, dans
l’anonymat le plus total, ont accaparé la richesse du monde. Parmi eux, à n’en pas douter, plusieurs de
nos dirigeants africains, prédateurs bien connus, de deniers publics. Ce sont eux qui contrôlent « la
quasi-totalité de la capitalisation boursière mondiale1 ». « A la fin de l’année 2003, la capitalisation
boursière mondiale était égale à 31 000 milliards de dollars, soit 86% du PIB annuel de la planète qui
1
Jean Peyrelevade, Le capitalisme total, Paris, Seuil / La République des Idées, 2005, p. 8.
s’élevait alors à 36 000 milliards de dollars2. » C’est assurément le pire du capitalisme. Plus besoin de
s’intéresser à l’économie réelle, de créer des entreprises et de générer des emplois. Plus besoin de
vanter les vertus du travail et de l’effort. .« Pour la première fois dans l'Histoire, l'ensemble des êtres
humains est de moins en moins nécessaire au petit nombre qui façonne l'économie et détient le
pouvoir3. » L’argent tout seul - entendez bien : sans travail - génère de l’argent, et beaucoup d’argent.
Bien sûr qu’il y a des risques. Mais où n’y en a-t-il pas ? On tombe aussi en faillite dans l'économie
réelle et c'est encore nous qui en savons quelque chose en ces temps de mévente. Les affaires Bernard
Madoff existent et vont exister. Les effondrements de systèmes bancaires aussi, vite renfloués par les
Etats qui vont chercher des crédits, au besoin, jusqu'en Chine communiste et dont on se dépêche de se
débarrasser en les remboursant en un éclair. Mais tout ne se réduit pas au système Ponzi, à l’ « épargne
pyramidale», qui consiste à payer les intérêts des anciens épargnants avec l’argent des nouveaux
arrivants. Manifestement, ICC Services reposait sur un tel système avec l’appui et la complicité de nos
dirigeants, qui se trouvent pourtant être des banquiers, et cela au plus haut niveau de l’Etat. On
apprend qu’Armand Zinzindohoué, le ministre de l’intérieur qui vient d’être limogé, « recevrait
chaque vendredi la somme de vingt millions (20 000 000) de francs CFA. Des proches à lui avancent
que cette somme ne constitue pas un pot-de-vin mais plutôt les ristournes de ses actions. En effet, ces
derniers expliquent que le ministre Zinzindohoué est actionnaire dans ICC-Services. Un acte dont la
gravité dépasse l’entendement humain4. » Si l’acte du ministre dépasse l’entendement humain, ce n’est
pas du fait des grosses ristournes raflées hebdomadairement ; c’est parce qu’il s’agit d’ICC-Services,
de système Ponzi-Madoff, d’épargne pyramidale5, et que l’ex ministre était bien placé pour le savoir.
Encore une fois, le capitalisme est devenu total, financier, spéculatif, le pire du capitalisme. Mais nous
y sommes. Notre idéologie depuis la Conférence des forces vives en 1990, c’est bien le libéralisme
économique, non ? Le libéralisme sauvage, avec ses douceurs pour quelques uns et ses grincements de
dents pour le plus grand nombre. N’est-ce pas pour cette raison que nous avons choisi le banquier
Nicéphore Soglo pour diriger la transition et pour conduire le premier régime du renouveau dit
démocratique, conformément aux diktats du capital financier ? N’est-ce pas pour cette même raison
que nous avons donné toute notre confiance - du moins à 75% -, sur les conseils diligents de la société
civile si bien éclairée et si neutre, au banquier Thomas Boni Yayi qui est venu changer le renouveau et
qui veut maintenant refonder la république? La vérité, dans cette situation, pour nous autres d'en-bas,
c'est que le système nous laisse pour compte, se passe de plus en plus de nous. Nous devenons
superflus, inutiles ! Nous découvrons, effarés, « qu'au-delà de l'exploitation des hommes, il y a pire :
l'absence de toute exploitation6 » ! Pris d'angoisse et de désespoir, nous nous sommes livrés, en
hypothéquant ceci et cela, aux sociétés de placements descendues comme par enchantement jusqu'à
nous. Dans ces conditions, ce que nous étions en droit d’attendre de nos dirigeants qui, Dieu merci,
sont avertis des choses de la finance internationale, ce n’est pas de pleurnicher. Mais de nous dire qui
est qui, qui est effectivement dans le système Ponzi-Madoff et qui est effectivement dans l’e-business
mondialisé, qui est trader international et qui ne l’est pas, et de nous protéger des escrocs tout en nous
laissant prendre à notre petit tour, à notre petit niveau comme eux à très grande échelle, les risques que
nous impose le pire du capitalisme. Celui-ci nous garantit au pire des cas de nous rembourser notre
capital augmenté de 2%. Trêve d’hypocrisie et de fausse vertu ! Et qu’on cesse de nous prendre à ce
point pour des gogos !
2
3
4
5
6
Jean Peyrelevade, Ibidem, p.39.
Viviane Forrester, L'horreur économique,Paris, Fayard, 1996, 2e de couverture.
Quotidien La Nouvelle Tribune, n°1919 du jeudi 8 juillet 2010, p.3.
« Déclaration du PCB » in le Quotidien La Nouvelle Tribune, n°1919 du jeudi 8 juillet 2010, p.10.
Viviane Forrester, Op. Cit., p. 22.
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