« LE CLONE-AGE HUMAIN OFFENSE-T-IL LA DIGNITE HUMAINE » INTRODUCTION Lorsqu’Aldous Huxley écrivit "Le Meilleur des Mondes" en 1932, il n’imaginait certainement pas que quelques décennies plus tard, les progrès de la médecine et de la biologie permettraient de dépasser la fiction. La médecine a fait plus de progrès ces cinquante dernières années qu’en cinq siècles d’histoire. La naissance de la petite Louise Brown en Grande-Bretagne en 1978 et celle d’Amandine en France, en 1982, ont ouvert la voie d’une ère nouvelle où la technicité médicale l’emporte dans certains pays sur l’éthique. Au cours des dix dernières années, les techniques d’assistance médicale à la procréation – AMP — se sont considérablement développées et diversifiées : de l’insémination artificielle à la fécondation in vitro, les techniques permettant de créer la vie procèdent de méthodes révolutionnaires telles que l’ICSI (Intra Cytoplasmic Sperm Injection) consistant en la fécondation d’un ovocyte avec un spermatozoïde introduit au moyen d’une pipette microscopique, à l’intérieur de l’œuf, forçant ainsi la barrière de la membrane ovocytaire et la zone pellucide, si bien que dans un article du Monde, J. Testart faisait état du "viol de l’ovocyte"... Régulièrement depuis quelques années, l’annonce d’animaux nés des techniques de clonage défraie la chronique, car bien sûr tout le monde voir suivre l’annonce du premier clone humain. Ce terme de clonage recouvre des techniques très différentes qui seront présentées. Je préciserai les possibles indications du clonage appliqué à l’espèce humaine. Les industries pharmaceutiques et agroalimentaires se jettent dans la course aux brevets, le besoin de légiférer se fait de plus en plus pressant. Les comités d’éthique multiplient leurs recommandations (les « guidelines »). Car de technique, le problème est bel et bien devenu éthique. Toutes ces applications seront-elles rapidement possibles ? Quoi qu’il en soit, la machine est lancée et s’il serait vain de tenter de l’arrêter, peut-être pouvons-nous tout au moins lui trouver des limites. DEFINITION DU CLONAGE Le mot « clone » signifie « la jeune pousse » en grec a été forgé au début des années 1960 par le Biologiste anglais John Haldane. La définition la plus simple consiste à comparer le clonage à une « photocopie » ou plus scientifiquement à une « réplication » ; il désigne un individu (ou un lignée cellulaire) génétiquement identique à son ancêtre. La nature produit spontanément des clones sous la forme de jumeaux dit monozygotes (ce que l’on appelle en langage courant les « vrais jumeaux »), c’est-à-dire issus d’un même œuf et possédant donc le même patrimoine génétique. De même, certains microorganismes comme les bactéries se reproduisent en se clonant : elles se scindent et donnent ainsi naissance à deux organismes parfaitement identiques. Le clonage est également très répandu dans le règne végétal. La plupart des espèces de plantes ont une reproduction asexuée : toutes leurs cellules sont dites « totipotents » c’est-à-dire qu’elles ont chacune la capacité de reproduire l’intégralité de l’organisme. La prolifération des mauvaises herbes ou le bouturage opéré par les jardiniers représente ainsi une forme courante de clonage végétal. 1 LE CLONAGE ANIMAL Les TECHNIQUES Le développement des techniques de clonage sur l’animal va permettre une application plus rapide et efficace sur l’humain. Il est important de mettre au point les procédures sur l’animal avant son application sur l’homme dans un souci d’éthique scientifique. Le clonage des animaux peut se faire par plusieurs techniques. 1- La plus simple est le clivage embryonnaire, qui reproduit artificiellement le mécanisme naturel de la gémellarité : l’opération consiste à scinder un embryon âgé de quelques jours en deux embryons distincts qui sont ensuite implantés dans l’utérus d’une mère porteuse. 2- Au delà de la scission d’embryon c’est le clonage par transfert de noyau qui a surtout motivé la recherche scientifique. Les premières expériences ont commencé dans les années trente par le biologiste et Prix Nobel de la paix Hans Spemann qui propose une « expérience fantastique » pour l’époque consistant a transférer le noyau de cellules embryonnaires dans le cytoplasme de cellules sexuelles féminines (ovocytes) dont on aura préalablement retiré le noyau maternel. Speeman élabore ainsi le principe du clonage qui restera inchangé jusqu’à Dolly. Pour schématiser, l’organisme donneur offre le noyau cellulaire qui contient l’essentiel de l’information génétique (ADN Nucléaire) tandis que l’organisme receveur offre la membrane de développement (cytoplasme) dont l’information génétique est limitée (ADN mitochondrial – rôle mal connu) 3 – Pour contourner le problème éthique que poserait l’utilisation de cellules embryonnaires chez l’homme, deux chercheurs du désormais célèbre Roslin Institute en Ecosse Dr Wilmut et Campbell se posent la question à laquelle se heurtaient tous leurs prédécesseurs : le procédé ayant réussi avec des cellules totipotentes peut-il fonctionner avec non plus des cellules embryonnaires mais adultes ? Les scientifiques Ecossais décident de tenter l’expérience avec des noyaux prélevés sur la glande mammaire d’un adulte de 6 ans. Ce clonage ne nécessite aucun acte de procréation, et est un exemple de reproduction asexuée… malgré l’utilisation d’un ovocyte non fécondé. Le 5 juillet 1996 naît 6LL3 plus connue sous le nom de DOLLY– clin d’œil humoristique en référence à une célèbre actrice-chanteuse de country américaine DOLLY PARTON– à la poitrine très opulente. Les tests génétiques sont formels : DOLLY est bien la jumelle de sa mère née 6 ans plus tôt ; c’est le premier animal cloné à partir d’un adulte. L’INTERET DU CLONAGE ANIMAL En quelques mots, l’intérêt du clonage est triple : 1- un intérêt SCIENTIFIQUE S’applique à l’homme et à l’animal. 2 Parce qu’il offre l’explication de ce qui demeure aujourd’hui encore l’un des plus grands mystères de la vie, c’est-à-dire la capacité d’une seule et minuscule cellule, l’œuf fécondé, à se diviser pour former à terme un individu complet. Curieusement une fois différenciées, les cellules perdent leur caractère totipotent alors même qu’elles ont conservé la totalité du patrimoine génétique de l’individu. IL s’agit donc d’un véritable mystère : Qui maîtrise le clonage peut espérer comprendre les secrets de cette merveilleuse machinerie de la vie. L’autre intérêt scientifique du clonage est pratique et concerne avant tout la recherche. Pour analyser le vivant, les scientifiques ont en effet besoin du plus grand nombre possible d’individus homogènes, sur lesquels ils peuvent mener des expériences aisément reproductibles et interprétables. La création d’animaux de laboratoire dont la parfaite identité génétique permet d’évaluer de manière optimale l’efficacité des traitements biomédicaux. La culture de cellules ou de bactéries dans les boîtes de pétri des laboratoires constitue ainsi une forme rudimentaire du clonage. À partir de 1976 les chercheurs sont également parvenus à cloner les gènes eux-mêmes. Ce clonage des gènes permet d’étudier chacun d’entre eux en les décryptant lettre à lettre, en les dupliquant et en analysant leur mode de fonctionnement, c’est l’origine du génie génétique, dont le décryptage du génome humain est le plus médiatisé des aboutissements. 2 – Un intérêt ECONOMIQUE Les intérêts financiers sont multiples, en particulier dans ce nouveau domaine de recherche que les Américains appellent « pharming » (et que nous appelons le « pharmage »). De manière simple, le pharming est une sorte d’hybride entre les recherches pharmaceutiques et agronomiques, il s’agit là de fabriquer à la chaîne des clones d’animaux de ferme (vachesbrebis-chèvres….) génétiquement modifiés (par des techniques de transgénèse) pour produire des protéines ou des médicaments (dans leur lait). Pour exemple, la firme PPL Thérapeutics qui travaille en collaboration avec l’institut Roslin ne s’y est pas trompé : un an après Dolly, l’institut a produit le clone Polly, première brebis transgénique dont le lait contient le facteur IX humain, un facteur de la coagulation utilisé pour le traitement de l’hémophilie. 3 – Un intérêt ECOLOGIQUE Le clonage d ‘animaux permet la préservation des innombrables espèces menacées d’extinctions et dont la reproduction en captivité est incertaine (le Panda de chine fait actuellement l’objet d’un programme de clonage) De manière anecdotique recréation d’animaux disparus comme le mammouth à partir de cellules conservées. 3 Le CLONAGE HUMAIN L’hypothèse du clonage humain a été évoquée dès la naissance de Dolly et a provoqué de nombreux commentaires et prises de position. Le débat s’est malheureusement vite enlisé sous un flot d’arguments péremptoires et définitifs, parfois éloignés de l’objectivité scientifique. À la veille de la révision des lois françaises sur la bioéthique, voici les principales questions que pose ce dossier. L’application du clonage à l’homme a souvent été présentée sous les auspices terrifiants du « Meilleur des mondes », au point de faire perdre parfois de vue les réalités scientifiques du débat. 1- Le Clonage humain est-il techniquement possible ? Oui, le clonage humain est possible puisque le premier a été réalisé voici déjà 6 ans….. (par clivage embryonnaire-les embryons obtenus n’ayant pas été replacés). En 1998 à San Francisco (au congres américain) le Dr Grifo a révélé une première dans l’histoire de l’AMP, celle du transfert d’un noyau de l’ovocyte d’une femme stérile dans l’ovocyte énuclée d’une femme fertile. Le nouvel ovocyte a ensuite été fécondé et replace dans l’utérus de la femme stérile. La reproduction humaine ne différant pas essentiellement de celles des autres mammifères les différentes techniques de clonage peuvent donc s’appliquer à notre espèce. L’argument de la complexité technique du clonage n’a qu’une validité transitoire : toute technologie a été balbutiante avant de se perfectionner. 2 – Quelles sont les formes aujourd’hui envisageables de clonage humain ? On se représente souvent le clonage comme la reproduction d’un même modèle en grande série. Il n’en sera évidemment rien, et le clonage humain prendra d’abord des formes nettement moins spectaculaires. Comme le souligne Axel Kahn : « la majorité des scientifiques est favorable à ce que l’on appelle désormais le « clonage thérapeutique » par opposition au « clonage reproductif ». Dans les 2 cas, la technique est la même mais les objectifs différents. Le clonage thérapeutique a pour objectif de créer des clones de lignées cellulaires humaines permettant de soigner l’adulte. Le clonage reproductif vise à produire des clones viables de l’adulte. Dans un cas, on aboutit à la conception d’une personne, dans l’autre non. On peut diviser le clonage humain en trois grands domaines : Le clonage EXPERIMENTAL. Il pourrait servir à mieux connaître les phénomènes qui déterminent la mise en fonction du génome embryonnaire, recherche d’une importance capitale en biologie du développement. Également ce type de clonage peut aider à accélérer la recherche fondamentale sur les rapports entre cytoplasme et noyau, sur l’importance de l’ADN mitochondrial dans le développement de l’individu. Le clonage THERAPEUTIQUE. 4 Il s’agit de proposer un traitement curatif à des patients atteints de maladies graves neurodégénératives ou génétiques. Imaginons que l’on sache faire un embryon humain avec une cellule d’un individu malade, au lieu de le mettre dans le ventre d’une femme pour faire un bébé on pourrait le cultiver dans les conditions du laboratoire. À ce moment-là, l’embryon à la forme d’une cavité creuse au fond de laquelle on trouve un petit monticule de cellules appelées « bouton embryonnaire ». Il s’agit ensuite de détruire l’embryon et d’effectuer la « correction » de ses cellules par transgénèse avant leur réintroduction dans l’organe malade. Les tissus lésés peuvent ainsi être régénérés ou réparés. On pourrait ainsi greffer des cellules saines de son propre pancréas à un diabétique. C’est ce que l’on appelle de la thérapie génique. Mais si on procède avec des cellules d’un embryon quelconque qui n’est pas génétiquement et immunologiquement identique au patient, il va développer contre lui une réaction de rejet. D’où l’idée de fabriquer un embryon jumeau de l’individu. Le clonage REPRODUCTIF. Quels seraient les intérêts du clonage reproductif sachant que le débat actuel favorable à l’autorisation du clonage thérapeutique est principalement bloqué par la peur du législateur de l’application du clonage à des fins reproductifs ? Jean Dausset le disait : « une technique n’est ni bonne ni mauvaise en soi, c’est de l’utilisation qui en sera faite que dépend sa valeur éthique » Je considère que le clonage reproductif doit être strictement encadré par des lois, cependant certains le considèrent comme légitime dans certaines situations : Dans le domaine de la reproduction : - Augmentation des chances de grossesse lorsqu’un seul embryon a pu être obtenu « in vitro ». En scindant l’embryon, l’idée est de transférer plusieurs embryons « clonés » pour augmenter le taux de grossesse par transfert. - Un couple totalement stérile préférera plutôt que de recourir au don d’embryon ou au don de gamète utiliser la technique du clonage qui lui permettra d’avoir un enfant qui sera son choix, comme un jumeau du père ou de la mère. Ainsi l’enfant sera biologiquement celui du couple. - Quand un des parents est atteint d’une grave maladie génétique, le couple peut avoir une descendance sans crainte de transmettre cette maladie et sans avoir recours à un tiers donneur. A terme le clonage reproductif pourrait être considéré comme une technique de d’assistance médicale à la procréation parmi d’autres, et le débat portera dès lors, non sur la technique ellemême, mais sur les circonstances qui l’entourent. LES RESULTATS Cependant le clonage d’un être humain exigerait de disposer d’un grand nombre d’ovocytes et une répétition importante des tentatives. Après 25 ans de fécondation in vitro, les taux d’implantation n’ont pratiquement pas progressé et sont approximativement de 15% par embryon transféré. 5 Si on se réfère aux expériences effectuées chez la brebis, il faudrait disposer de centaines voir de milliers d’ovocytes pour escompter pouvoir aboutir à une naissance. Ce type ne résultat n’encourage pas pour l’instant l’application en routine d’AMP. Le clonage humain REPRODUCTIF offense-t-il « la dignité humaine » ? C’est un argument souvent avancé qui sous-tend d’ailleurs une partie des textes législatifs français sur la bioéthique. La démarche du Comité Consultatif National d’Ethique a mis au centre de sa réflexion la notion de dignité de la personne. Le clonage reproductif aboutissant à la naissance d’êtres humains doit être bien distingué du clonage non reproductif, qui ne conduit pas à la naissance d’un enfant, mais favorise la création d’embryons dans le seul but d’obtenir des cellules immuno-compatibles à des fins de thérapie cellulaire. En préambule même s’il faut interdire le clonage reproductif car il dérivera inéluctablement sur des indications farfelues, le terme « d’offense de la dignité humaine » employé par le CCNE paraît exagéré. Parmi les arguments hostiles au clonage humain, certains sont bons, mais sont tellement évidents qu’il ne semble pas nécessaire de construire un cadre juridique excessif allant jusqu’à proscrire toute recherche sur l’embryon. Quels sont ces arguments recevables : 1- Un des argument fort contre le clonage c’est le risque de confusion des générations. Que la cellule clonée soit prélevée sur un organisme développé (adulte) ou sur un embryon en cours de développement, dans les deux cas on assiste à une reproduction que l’on appelle asexuée, avec des copies identiques entre elles et avec l’organisme d’origine quant à leur génome nucléaire. Un enfant mis au monde par sa mère biologique pourrait en effet être à l’image de son père ou de mère. C’est une difficulté qui pose le problème du respect de l’écoulement du temps. Je ne juge pas souhaitable qu’il existe des jumeaux artificiels avec vingt, trente ou quarante d’écart. Faire en sorte de contrôler ce risque, notamment juridiquement, en fixant des limites, ne doit pas cependant interdire à priori toute recherche et toute utilisation du clonage humain. 2-Asexué dans son principe, c’est à dire sans fusion de gamètes, le clonage reproductif inaugurait un nouveau mode de filiation. L’individu né de son clone serait à la fois le descendant d’un adulte et son jumeau. L’idée de filiation serait ainsi vidée de son sens. A la différence des enfants nés par fécondation in vitro et comme on peut le rencontrer à degré moindre dans les enfants nés de tiers, la coexistence au sein d’une même population de personnes nées par procréation de 2 parents et d’autres chromosomiquement issues d’un individu unique par reproduction asexuée, pourrait susciter d’inextricables problèmes d’identité civile. 3- Le fait d’avoir le même génome n’entraîne pas que 2 personnes aient aussi le même psychisme. 6 Par contre le caractère unique de chaque être humain, un des supports de la dignité humaine, est exprimé de façon immédiate par l’unicité d’apparence d’un corps et d’un visage, laquelle résulte du caractère unique du génome. Il est exact que les vrais jumeaux font exception, mais c’est une exception rare, fortuite et limitée le plus souvent à 2 personnes. Il serait absurde de penser qu’un des deux serait une copie de l’autre. Mais différents sur le plan psychique, le ou les clones seraient vus comme des répliques à l’identique les uns des autres et de l’individu cloné. Ainsi disparaîtrait la valeur symbolique du corps et du visage comme support de la personne dans son unicité. Ceci peut apparaître pour certains comme une atteinte à la dignité humaine en considérant le clone « comme une chose », car à la différence de Dolly, le clone humain sait qu’il est un clone et il se saurait aussi reconnu comme un clone par autrui. 4- Mais ce qui semble l’argument le plus important en faveur d’une interdiction du clonage reproductif et d’une atteinte à la dignité humaine c’est de contourner la loterie génétique qui, à chaque conception, crée le nouveau et l’unique. Le clonage est une façon de tuer la diversité, moteur de l’évolution. L’homme naît au hasard et tire toute sa richesse de sa diversité. Le clonage reproductif quel qu’il soit (cellules adultes ou embryonnaires) entraînerait la production (car tel est le mot que l’on peut employer) d’un individu qui servirait de moyen d’expression à un génome choisi par un tiers. Là on porte atteinte à la dignité humaine… Quels sont les Arguments avancés hostiles au clonage reproductif qui eux ne portent pas atteinte à la dignité humaine. 1-A côté de ces arguments tout à fait recevables cités précédemment, on en trouve de parfaitement infondé : celui du respect de la diversité humaine. L’enfant cloné naîtrait dans une structure familiale stable, il aurait un père et une mère, il serait choyé aimé…, cet enfant n’aura ni le même passé, ni le même avenir que ses parents. Une génération séparera l’enfant cloné que son géniteur. Il sera physiquement proche d’un de ses parents mais tellement différent du fait de l’environnement affectif et social dans lequel il vivra. La société ne doit pas s’autoriser à porter un jugement sur les motivations de désir d’enfants d’un couple. On en arrive vite a judiciariser le désir d’enfant et, par voie de conséquence, à établir une hiérarchie entre les bons et les mauvais désirs. Sur l’idée selon laquelle la diversité humaine serait menacée par le clonage, il faut garder raison. Il est totalement absurde de penser que les quelques cas d’éventuels clones humains pourraient menacer une diversité humaine forte de bientôt 10 milliards d’individus. 2- Quant à l’argument de la menace qui pèserait sur la singularité de l’individu, il faut le relativiser. J’ai parlé précédemment de la singularité de l’individu au niveau de son aspect physique, j’aborderai ici le coté psychique. L’étude de jumeaux monozygotes a montré que s’ils sont morphologiquement à peu près semblables ; sur le plan cérébral, ils seraient très différents compte-tenu de l’infinité des facteurs qui interviennent dans le développement du cerveau au cours de la vie intra-utérine. 7 Dans le cas des clones, « jumeaux à distance », la variabilité serait plus grande encore : l’ADN mitochondrial du géniteur n’est pas le même que celui du clone et leur environnement pré et post natal diffère totalement. Mais c’est surtout le rôle joué par l’Epigenese dans le développement qui fait qu’une parfaite similitude génétique entraîne une différence psychique. Un adulte et son double clonal (né par conséquent bien après lui) ayant vécu une histoire individuelle propre, ne peuvent être assimilés à une seule et même personne en double exemplaire. Les « prétendues indications médicales » qui présentent le clonage reproductif comme le moyen de pallier la mort, sont de nature à abuser des personnes de bonne foi, et portent discrédit sur l’éthique de la discipline toute entière. Il est vain de croire reproduire par clonage des êtres décédés ou promis à une mort précoce, de se croire immortel en s’auto-clonant…. Je défends une éthique de responsabilité qui s’inspire de ma pratique quotidienne mais qui se nourrit aussi de quelques convictions fondamentales. J’espère que l’homme sur commande restera à jamais du domaine de la science-fiction. Il faut bien expliquer les techniques et les enjeux du clonage car aux yeux du profane notre spécialité semble devenir folle et incontrôlable. Pour une réglementation à l’échelle mondiale. Afin de garantir l’humanité contre les dérives possibles du clonage,l’UNESCO a adopté le 11 novembre 1997 « la déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme », qui stipule que le clonage humain « est une offense à la dignité humaine ». Cette position a été confirmée le 28 mai 2001 par la commission européenne de Bruxelles. En France, la loi de juillet 1994 portant notamment sur la PMA et sur le statut de l’embryon suffisait implicitement pour interdire le clonage humain. Pour mémoire je vous rappelle que la création d’embryons en dehors d’un projet parental et aux seules fins de recherche à été interdite par la loi de bioéthique. La perspective du clonage et notamment du clonage humain a montré le grand vide juridique national et international sur cette question. Au cours de l’année 2002 et après 3 ans de retard (puisque la loi de 1994 devait faire l’objet d’un réexamen 5 ans après) devait débuter la révision parlementaire des lois de 1994. Malheureusement, le rythme des réflexions s’accommodant mal des calendriers électoraux, il est peu probable que l’adoption de la nouvelle loi intervienne la même année. Cela risque d’ailleurs d’accentuer les décalages grandissant entre une réglementation souvent inadaptée, les évolutions des connaissances et des possibilités médicales et scientifiques, les aspirations de la société et celles des couples. L’avis 53 du comité national d’éthique à propos des cellules ES est favorable à une modification de la loi dite de bioéthique pour autoriser le clonage thérapeutique. POURQUOI ? Tout simplement parce que l’on sait qu’à relativement court terme ces cellules ES seront utilisables dans la thérapie d’un certain nombre de désordres hématologiques, hépatiques…. Et que si l’on ne fait pas ces recherches nous-mêmes, nous serons, un jour ou l’autre obligés d’acheter des lignées cellulaires aux USA ou ailleurs. 8 Une lutte féroce est engagée depuis le mois d’août. USA Georges Bush a toujours affirmé son opposition au clonage humain. Le président américain a apporté tout son soutien à un projet de loi voté en Août par la chambre des représentants pour interdire tout clonage humain. La décision du Président des USA est un habile compromis éthique, il donne le feu vert à un financement fédéral des recherches sur les cellules souches embryonnaires existantes, sans remettre en cause ses engagements électoraux de s’opposer aux recherches impliquant la destruction d’embryons. Cependant il n’a pas interdit la recherche dans les structures privées, aboutissant il y a quelques jours au premier clonage d’embryon humain à partir de cellule de la peau par la société Advanced Cell Technology. GRANDE BRETAGNE : La Grande-Bretagne s’est dotée d’une législation sur le clonage thérapeutique moins restrictive que celle des USA. En accueillant dans ses universités des chercheurs prestigieux américains à la pointe de ces travaux, le Royaume Uni espère attirer dans leur sillage les industries nord-américaines utilisant les cellules souches. À l’origine de cet engouement le vote en janvier par le parlement d’une loi permettant de financer le clonage thérapeutique humain par des fonds publics. La législation interdit toutefois le clonage à but reproductif. Depuis Mardi 4 décembre 2001, toute personne ayant implanté un embryon cloné chez une femme est désormais passible d’une peine maximale de 10 ans de prison et d’une amende. Les Anglais par l’intermédiaire du Médical Research Council étudient la création de la première banque de cellules souches embryonnaires. Cette banque serait copiée sur le Projet du génome Humain, consortium de 18 pays. FRANCE L’avis du CCNE se range du côté des anglais, cela signifie que dans des circonstances particulières et pour un objectif précis, on admet une instrumentalisation de l’embryon (pour le DPI) alors qu’on la refuse dans le cadre d’une recherche sur l’embryon humain au nom du tabou du clonage. On nage dans la contradiction. En juin 2001, le Conseil d’Etat a tranché. Le président de la république avait violemment contesté le clonage thérapeutique alors que Lionel Jospin avait inscrit, en novembre 2000 cette éventualité dans un texte révisant la loi de 1994. Depuis novembre 2000 le projet de clonage thérapeutique avait été soumis à différentes instances. La Commission Consultative des Droits de l’Homme s’y est opposée, le Comité Consultatif National d’Ethique l’à adopté à 2 voix de majorité… Au Conseil d’Etat, le rapporteur a jugé le projet en contradiction avec la loi de 1994 qui pose pour principe l’interdiction de créer des embryons pour la recherche. Je finirai ce chapitre législatif et en ouverture de la discussion par les raisons qui me poussent à militer en faveur de la recherche sur l’embryon. Je reconnais bien évidemment qu’il existe une continuité entre l’embryon et l’individu mais je pense que cette continuité est très relative. Je considère l’embryon certes comme un être qui doit être respecté et avec lequel in n’est pas question de faire n’importe quoi, mais comme une entité distincte d’un être humain « achevé ». N’oublions tout de même pas que, sans recherches sur l’embryon, il n’y aurait jamais eu de fécondation in vitro. Et c’est la poursuite de ces recherches qui nous permettra, un jour, de 9 comprendre les mécanismes complexes des relations noyau-cytoplasme susceptibles de comporter des applications en médecine humaine. On ne peut pas faire autrement que de poursuivre la recherche sur l’embryon. La réception de l’idée de clonage aurait été toute différente si l’on avait mis l’accent sur l’idée que les techniques de clonage pouvaient être utilisées à des fins thérapeutiques plutôt que de faire de la naissance de la brebis Dolly un évènement médiatique mondial, insistant ainsi sur les possibilités de clonage reproductif. Un article est sorti dans « The Observer » avant même la publication de l’article princeps dans la prestigieuse revue scientifique « Nature », ce qui va à l’encontre de l’éthique de l’information scientifique. Les progrès en biologie cellulaire sont si rapides que l’on va probablement dans les années qui viennent, parvenir à spécialiser les cellules selon les besoins. On passera ainsi de cellules de la peau à des cellules nerveuses ou peut être même reproductives sans qu’il soit nécessaire d’utiliser le clonage. Le clonage thérapeutique pourra permettre de grouper des lignées cellulaires de manière à assembler des tissus afin d’obtenir des organes artificiels. C’est à ce type d’application que le législateur doit penser quand il légifère sur la recherche sur l’embryon ou sur le clonage. C’est la première étape du principe de précaution. Nous sommes en effet les obligés des générations futures. C’est pourquoi je dis OUI à une recherche sur l’embryon encadrée par des comités d’experts qui permettra un jour par exemple d’éviter à des êtres humains de faire commerce de leurs organes afin de survivre. (comme exemple des dons d’ovocytes ou de cornée voire d’autres organes comme le rein..) Pour revenir au titre, là, il y a bien atteinte réelle à la dignité humaine Les limites qui doivent s’imposer sur les questions relatives au clonage humain et à la recherche sur l’embryon relèvent du bons sens. CONCLUSION L’homme a toujours transformé son milieu pour mieux y survivre. Les biotechnologies sont un aboutissement parmi d’autres de cette stratégie adaptative particulière. Touchant à l’intimité de la procréation humaine, elles soulèvent évidemment des résistances et des critiques souvent vives, ce qui est d’ailleurs parfaitement normal et sain. Mais souvenons nous que dans les années 40, l’insémination artificielle était décriée comme un procédé « immoral ». Elle est désormais acceptée sans guère de réticence. Dans les années 70-80, la Fiv était dénoncée comme une « folie digne de Frankenstein » appelée à produire des « enfants psychologiques instables ». La FIV a depuis donné des naissances à des centaines de milliers d’enfants. N’oublions pas non plus que « l’ordre naturel » produit chaque année des milliers de clones : les jumeaux monozygotes que personne ne considère comme des monstres ou des êtres dénués d’identité propre. Notons enfin que la procréation assistée n’est pas une commodité et encore moins une partie de plaisir. L’expérience montre que les couples n’y ont recours qu’en dernière instance et dans une situation de grande souffrance psychologique. Il s’agit en outre de techniques que l’on ne peut généraliser, ne serait-ce qu’en raison de leur coût élevé. 14/12/2001 10