2013-2014, S1 Université Paris 1 L1 - Histoire de l’art et archéologie Art et archéologie de Rome et de l’Italie E. Letellier [email protected] Les habitations urbaines L’organisation des domus Vitruve, De Architectura, VI, 5 traduit du latin par A. Dalmas (In Les dix livres d’architecture. Paris : Balland, 1979) Vitruve a achevé son traité d’architecture, le seul qui nous soit parvenu de l’Antiquité, au début du règne d’Auguste. Il s’agit d’un ouvrage qui rassemble le savoir théorique accumulé jusqu’à son époque par les Anciens sur les techniques de construction et sur les différents types d’édifices. Il s’agit donc d’un texte plus normatif que descriptif, et s’il est une source essentielle sur l’architecture romaine (par exemple pour le vocabulaire), il ne faut pas y voir le modèle sur lequel furent construits les bâtiments retrouvés par les archéologues, mais plutôt une vision théorique idéalisée. Ici, le passage sur les maisons. « Après avoir donné l’exposition la plus favorable à chaque partie du bâtiment, il faut observer, dans la disposition d’une maison particulière, de quelle manière on doit construire les pièces qui sont seulement pour loger le maître de la maison, et celles qui doivent être communes aux étrangers ; car, dans les appartements particuliers, tels que sont les chambres à coucher, les salles à manger, les bains et autres lieux de cette nature, il n’entre que les personnes qui sont invitées, tandis que tout le monde a le droit d’entrer sans être invité dans les lieux qui sont publics, tels que sont les vestibules, les cava aedium, les péristyles et les autres parties qui sont destinées à des usages communs. Or les gens qui ne sont pas d’une condition élevée n’ont pas besoin de vestibule, d’atria, ni de tablinum grands, parce qu’ils vont ordinairement faire la cour aux autres, et que l’on ne la leur vient point faire chez eux. Ceux qui font commerce des fruits de la terre doivent avoir à l’entrée de leur maison des étables, des boutiques, et au-dedans des caves, des greniers, des celliers et d’autres pièces de ce genre, qui leurs servent plus particulièrement à serrer leur marchandise que pour faire l’ornement et la beauté de leur maison. Les banquiers et les agents du fisc ont besoin d’appartements un peu plus beaux et plus commodes, mais qui soient bien fermés, afin d’être en sûreté contre les voleurs. Les avocats et les lettrés veulent avoir leurs maisons encore plus élégantes et plus spacieuses, à cause de la multitude de monde qu’ils sont obligés de recevoir. Enfin les personnes de plus haute condition, qui occupent les plus grandes charges de la magistrature et les plus grands emplois dans les affaires, doivent, pour recevoir le public, avoir des vestibules magnifiques, de grandes salles, des péristyles spacieux, des jardins avec de longues allées d’arbres, et il faut que chez elles tout soit beau et majestueux. Elles doivent avoir en plus des bibliothèques, des galeries de tableaux et des basiliques, qui rivalisent de magnificence avec celles qui font partie des édifices publics, parce que dans ces maisons il se fait souvent des assemblées, soit pour les affaires de l’Etat, soit pour rendre des jugements, arbitrages, pour terminer les différends des particuliers. Les édifices étant ainsi disposés selon les différentes conditions des personnes, on peut dire que l’on aura satisfait aux règles de la convenance dont il a été parlé dans le premier livre, et l’on n’y trouvera rien à critiquer, puisque chaque maison réunira, comme il convient, tout ce qui peut lui être commode et approprié. Ces règles de disposition ne doivent pas servir seulement pour ordonner et distribuer les maisons de ville, mais aussi celles de la campagne, qui ne sont différentes les unes des autres qu’en ce qu’aux maisons de la ville les atria sont proches de la porte, et à celles de la campagne, qui ne sont pas des simples métairies, la partie affectée au logement du maître a d’abord un péristyle, et ensuite un atrium entouré de portiques pavés qui ont vue sur les palestres et sur les promenades. » La maison d’Auguste Suétone, Vie d’Auguste, LXXII traduit du latin par H. Ailloud (Paris : Belles-Lettres, 1931) Suétone (75 – 160 ap. J.-C.) était un Romain curieux et érudit, qui fut un temps secrétaire d’Hadrien. Nous avons conservé de ses nombreux textes les Vies des Douze Césars, en huit livres (César, Auguste et les empereurs suivants, jusqu’à Domitien). Ces biographies (dans la lignée de celle de son contemporain Plutarque) sont à la fois très documentées, étayées sur des sources qu’il cite, mais ne constituent pas une histoire des débuts de l’Empire au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Elles présentent plutôt des portraits mêlant traits physiques et moraux, et s’attachant surtout aux détails des personnalités et anecdotes, plutôt qu’aux événements historiques. Certains passages sont des sources tout de même intéressantes, comme ici sur le « palais » d’Auguste. « Il habita d’abord près du Forum romain, au-dessus des escaliers des orfèvres, dans l’ancienne maison de l’orateur Calvus ; ensuite sur le Palatin, mais dans la maison également modeste d’Hortensius, qui ne distinguait ni par son ampleur, ni par son luxe, car les colonnes de ses portiques, d’ailleurs peu développés, étaient en pierre du mont Albain, et dans les appartements ne se voyait ni marbre ni précieuse mosaïque. Pendant plus de quarante ans, il coucha dans la même chambre, hiver comme été, quoiqu’il constatât qu’en hiver le climat de Rome était contraire à sa santé, et bien qu’il y passât régulièrement cette saison. Pour les cas où il voulait travailler dans la solitude ou sans être dérangé, il possédait à l’étage supérieur un cabinet spécial qu’il appelait son « Syracuse » et son « atelier » : c’est là qu’il se retirait, ou encore dans la maison de banlieue d’un de ses affranchis ; quand il était malade, il couchait dans la maison de Mécène. » La Domus Flavia Stace, Silves, IV, 2, 20-32 traduit du latin par H. J. Izaac (Paris : Belles Lettres, 1961) Stace (40? - 96 ap. J.-C.) est un poète latin d'époque flavienne, originaire de Campanie. Il nous a laissé des épopées (une Thébaïde et une Achilléide), ainsi qu'un recueil de pièces en vers intitulé Silves (ou « impromptus ») qui prennent à chaque fois pour sujet des événements de tout type, publics comme privés, importants comme anodins ; ici la domus Flavia la partie officielle du palais des empereurs sur le Palatin (la domus Augustana est réservée à la vie privée) est exaltée par la langue poétique, elle égale par sa splendeur les temples des dieux. « Un édifice auguste, immense, qui se signale non point par une centaine, mais par un nombre tel de colonnes qu’elles pourraient supporter les dieux et le ciel, si Atlas prenait du repos. La résidence voisine du dieu Tonnant en est émerveillée, et les divinités se réjouissent que tu possèdes une demeure pareille à la sienne. Ne te presse donc pas de dépasser les hauteurs du ciel : si loin s’étendent et la masse des constructions, et l’élan, que rien n’arrête, du palais spacieux, embrassant sous son toit tant de sol et tant d’air, et ne le cédant qu’au Maître : c’est le Maître qui emplit la maison et la réjouit de son puissant génie. A l’envi brillent là les roches de Libye et de Phrygie ; et ici, prodigués, les marbres de Syène et de Chios, et celui qui le dispute à la glauque Doris, et la pierre de Luna employée seulement pour servir de base aux colonnes. La vue s’étend au loin vers le haut : les yeux s’épuisent à atteindre le faîte et vous le prendriez pour le plafond doré du ciel. » Le Septizonium (ou Septizodium) Histoire Auguste, Vie de Sévère, XXIV traduit du latin par É. Letellier, d’après l’édition du texte par A. Chastagnol, Paris : Laffont, 1994 L’Histoire Auguste est un recueil de biographies d’empereurs qui commence avec Hadrien ; elle a été écrite par un anonyme à la fin du IVe siècle. On y décrit ici le monument (il s’agissait d’un nymphée, décoré de niches et de statues à la manière d’un front de scène de théâtre) que l’empereur Septime Sévère fit construire en 203 à l’angle sud-est du Palatin, au pied de la colline, face à la via Appia, comme une façade monumentale pour les édifices du palais. « Quand il [Septime Sévère] construisit le Septizonium, il n’avait qu’une chose en tête : que son monument accueillît les voyageurs qui arrivaient d’Afrique. On rapporte que si le préfet de la ville n’avait pas fait placer en son absence une statue de l’empereur au milieu du monument, il aurait voulu installer à partir de cet endroit un accès au palais du Palatin, c'est-à-dire à l’atrium royal. Et lorsqu’ensuite Alexandre [Sévère] voulut mettre en œuvre cette idée, les haruspices lui dirent que c’était interdit, puisqu’il n’avait pas obtenu de bons présages suite aux consultations qu’il avait faites pour ce projet. » Hypothèse de restitution du Septizonium d’après C. Hülsen (1886)