De la nature en ville à l`écologie urbaine

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Écosystème
De la nature en ville
à l’écologie urbaine
La compréhension de l’écosystème urbain
peut-elle nous aider à concevoir des villes plus vertes
et plus riches en biodiversité ?
es villes, où vit la moitié de la population mondiale et 80 % de la
population française, sont un
écosystème à part entière. La présentation
de ce dernier va nous montrer que cet
écosystème est aussi complexe que les
écosystèmes considérés comme « naturels », et nous amener vers des notions
d’écologie urbaine.
L
La ville, un biotope ?
Tout d’abord rappelons-le : un écosystème,
c’est un biotope (un milieu qui permet la
vie) dans lequel se développent des biocœnoses (des communautés animales et
végétales) et un ensemble de relations et
d’échanges entre le biotope et les biocœnoses, ainsi qu’entre les différentes
biocœnoses présentes. Le biotope urbain
présente divers caractères particuliers que
nous allons découvrir.
Dans la ville, le minéral est l’élément dominant. Les sols sont majoritairement
artificialisés (enrobés, macadam, béton). La
production primaire y est quasi absente.
Les cycles naturels sont rendus difficiles…
L’absence de continuités « atmosphère végétal - sol et sous-sol » provoque de
profondes modifications du climat urbain.
Les cycles de l’eau et de la matière orga-
nique y sont fortement perturbés. Les
feuilles, branches, fèces et cadavres d’animaux ne peuvent être recyclés sur place et
retrouver leur place dans le cycle de la
matière et des sols. Chaque goutte de pluie
qui tombe a une très forte probabilité de
rencontrer un substrat imperméabilisé et
de disparaître très rapidement dans une
bouche d’égout. La ville n’aime pas l’eau.
L’absence d’arbres ou de surfaces boisées
de forte importance prive la ville du rôle
Texte :
Guillaume LEMOINE
Dessins :
Julie KERVENNIC (p. 19 et 20)
Michel FELIX (p. 21,22 et 23)
Mahault LEMOINE (p. 24)
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écosystème
que jouent les masses végétales dans le
maintien de l’humidité atmosphérique
(évapotranspiration, ralentissement du
cycle de l’eau, infiltration de l’eau dans les
sols). En ville, le climat est plus sec que
dans la campagne voisine. Le manque d’arbres en nombre fait également que l’air des
villes est plus chargé en aérosols (poussières, pollution).
Les structures bâties contribuent également à caractériser l’écosystème urbain.
Les réseaux de chaleurs, chaufferies et
nombreux bâtiments (et même espaces
extérieurs !) chauffés et l’émission de gaz à
effet de serre donnent aux villes un climat
plus chaud de quelques degrés (0,5 à
1,5 °C.). La bulle de chaleur au-dessus des
villes modifierait également les vents et
réduirait la quantité de précipitations. Les
bâtiments, de plus en plus grands (les villes
se densifient), les structures urbaines (rues,
avenues), la nature des matériaux utilisés,
etc. modifient la circulation de l’air et favorisent réverbération et concentration de la
chaleur. Cette différence de températures
ville-campagne se ressent plus fortement
lors des épisodes climatiques extrêmes (très
grand froid et forte chaleur) et peut aller
jusqu’à 4 ou 5 °C.
L’éclairage public a également une
influence sur les organismes vivant en ville.
La photopériode des arbres augmente
(sortie plus précoce des feuilles ainsi
qu’une chute des feuilles plus tardive). Les
oiseaux, comme les merles, nichent également plus tôt.
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En ville :
des biocœnoses simplifiées
La faune, la flore et la fonge n’ont pas pour
autant disparu des villes. Nous ne parlerons
pas ici des chouettes hulottes qui fréquentent quelques grands arbres des cimetières,
ni des canards colverts sur les plans d’eau,
car il ne s’agit pas d’espèces caractéristiques
des villes.
Quelles sont donc les espèces que l’on pourrait qualifier d’urbaines ? Pour ce qui est de
la faune, la première en nombre, poids
(biomasse) et influence est sans conteste
l’Homme ! Les villes ont simplifié les
communautés animales et ont éliminé les
grands prédateurs. Chiens et chats domestiques les remplacent et les renards
viennent y faire ponctuellement quelques
razzias dans nos poubelles. Souris et rats
tirent avantage de la ville notamment les
rats surmulots, efficaces recycleurs de nos
déchets. Les communautés d’oiseaux des
centres-villes denses sont, elles aussi, extrêmement réduites. L’espèce la plus
abondante est sans conteste le pigeon,
descendant des pigeons biset nichant sur
nos falaises. La verticalité des villes attire les
martinets noirs qui chassent dans les
« canyons » que forment les alignements
d’immeubles. Aujourd’hui, le faucon pèlerin
est un hôte prestigieux de certaines villes.
De retour dans les espaces urbains, il profite
surtout de la manne alimentaire que constituent pour lui les pigeons domestiques. Le
moineau domestique est encore présent,
écosystème
mais
en
fort
déclin. Apparu avec
les véhicules hippomobiles,
leurs insectes et leur crottin, ses
effectifs continuent de se réduire sans que
les raisons actuelles en soient clairement
identifiées. Hirondelle des fenêtres et
rouge-queue noir sont deux autres espèces
aviaires de la ville. Une espèce exotique s’y
développe également : la perruche à collier.
Les insectes caractéristiques de l’urbain
sont peu nombreux. Les blattes exotiques
correspondent probablement au groupe
d’espèces le plus spécifique de nos
constructions. Le métro de Paris accueille,
quant à lui, une population de grillon
domestique, espèce initialement présente
dans les boulangeries.
Y a-t-il une flore
spécifiquement urbaine ?
Il n’est pas facile de répondre à cette question bien qu’elle soit le thème central de
notre Garance voyageuse. Issus des milieux
voisins ou de lointaines contrées, les végétaux, avec leurs capacités d’adaptation et
leur opiniâtreté à coloniser même les
milieux les plus difficiles, sont omniprésents. Il n’est pas simple de les caractériser.
Une partie d’entre eux sont muricoles et
colonisent les murs et parois verticales de
Morelle noire
(Solanum nigrum nigrum)
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écosystème
Les mots pour le dire
- Production primaire :
production de matière
organique réalisée par les
plantes, à partir de la matière
minérale et l’énergie solaire.
Il s’agit du premier maillon
des chaînes alimentaires.
- Rudéral : adj., se dit d’une
plante qui pousse dans les
décombres, à proximité de
lieux habités par l’homme.
- Xérothermophile : adj.,
qui aime la sécheresse et
la chaleur.
- Anthropogénique : adj.,
créé par l’homme
Galinsoga cilié
(Galinsoga quadriradiata)
nos édifices comme la corydale jaune, le
polypode vulgaire et la doradille rue-demuraille. Dans le nord de l’Europe
nord-occidentale qui n’a ni reliefs montagneux ni régions karstiques, les vieilles
maisons, bâtiments anciens et remparts
historiques aux joints disjoints présentent
ainsi des opportunités pour les espèces
cavernicoles ou rupicoles. Les autres
espèces de la ville qui présente une très
forte hétérogénéité de milieux, sont souvent
des taxons résistants et ubiquistes qui tolèrent ou supportent le piétinement, les
maigres ressources présentes dans les
anfractuosités des trottoirs ou au pied des
murs, la pollution ou les traitements herbi-
cides répétés. On rencontre ainsi en abondance les capselle bourse à pasteur,
pissenlit, céraiste commun, sagine couchée,
véronique de Perse, séneçon commun,
cardamine hérissée, plantains divers,
renouée des oiseaux… De nombreuses
démarches d’inventaire et de suivi sont
entreprises pour mieux connaître cette flore
et cette « nature urbaine ». Elle est en partie
constituée d’espèces rudérales caractéristiques des espaces abandonnés et riches en
éléments fertilisants (déjections animales et
humaines, déchets organiques, dépôts
divers, chaux et ciments) comme les ortie
dioïque, mercuriale annuelle, armoise
commune, morelle noire, laiteron rude,
amarante livide, matricaire commune…
La friche, un espace de liberté
La ville présente des cortèges botaniques
particuliers liés à certains milieux. Ainsi, les
friches et délaissés urbains sont des
espaces fortement minéralisés (remblais,
pavés, gravats, ballasts, zones remblayées
de cailloux). Dans ces espaces où l’activité
a cessé, la nature reprend rapidement ses
droits. Les dynamiques de (re)conquête y
sont remarquables. Les plantes pionnières
herbacées souvent xéro-thermophiles s’y
installent dans un premier temps
( molènes, millepertuis, vipérine, diplotaxis,
saxifrage tridactyle, centranthe rouge, laitue
scariole, picrides, pourpier potager, laitue
des murs, linaire commune, etc. ). avant
l’arrivée progressive des espèces ligneuses.
Espaces de spontanéité et de liberté, c’est
probablement ici, et de façon paradoxale,
sur ces espaces très anthropogéniques,
que la « nature en ville » prend toute sa
dimension.
Les grandes villes, lieux cosmopolites par
excellence, accueillent aussi une quantité
d’espèces exotiques. Renouée du Japon et
renouée de Sakhaline, ambroisie, solidage
du Canada, séneçon du Cap, séneçon
luisant, matricaire discoïde, amarante réfléchie, galinsogas cilié et à petites fleurs,
onagres, passerages, herbe de la pampa,
etc. ne sont que les débuts d’une très
longue liste de xénophytes qui colonisent
nos espaces perturbés et principalement
urbains. Après la flore herbacée, les
espèces ligneuses ne sont pas en reste.
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écosystème
Ailante, arbre à papillons, paulownia et
robinier faux-acacia forment, avec quelques
espèces indigènes (saules, bouleaux et
érables sycomores), les fourrés des friches
urbaines et des bords de voies ferrées à
proximité des gares. Ici et là des platanes
arrivent également à germer dans les
anfractuosités des villes. Quelques lianes
exotiques complètent les structures végétales en place, comme les vignes-vierges
commune et à cinq feuilles et la vrillée de
Chine, auxquelles s’ajoute la clématite
sauvage, elle bien autochtone et très
présente.
Une ville : un écosystème ?
dans diverses communes correspondent
plus souvent à une absence de gestion par
manque de moyens financiers et humains,
qu’à une réelle volonté de conserver des
îlots de nature. Les friches urbaines, qui
peuvent couvrir de grandes surfaces, sont
aussi, souvent, le résultat d’un « non-choix »
ou de l’absence de moyens financiers. Il
s’agit d’espaces perçus comme vides ou
abandonnés.
De l’écosystème urbain
à l’écologie urbaine
L’écosystème urbain apparaît plus
complexe qu’un « simple » écosystème
naturel. Il s’agit de la somme de différents
Clématite des haies
(Clematis vitalba)
L’ensemble des végétaux et des animaux (y
compris les humains) entretiennent au sein
de la ville des relations diverses. L’homme,
espèce dominante, ne tolère souvent les
autres espèces que de façon réduite sur ce
territoire. Il en chasse les rongeurs et limite
la reproduction des pigeons et des goélands.
Les structures végétales sont limitées à des
espaces bien identifiés (parcs et jardins,
bordures d’infrastructures, alignements sur
les boulevards). Les arbres d’alignement ont
de faibles espaces pour leur développement,
espaces qui présentent souvent une
« surface de contact avec le sol » très
réduite. Ils forment des îles perdues au
milieu des surfaces d’enrobés. Les ramures
de ces mêmes arbres sont souvent martyrisées par des tailles drastiques et leurs
développements racinaires contraints par de
nombreux réseaux. Les herbacées sont,
quant à elles, traquées et confinées dans des
portions congrues du territoire urbain où les
pratiques de jardinage ne vont sélectionner
que les espèces ayant un caractère ornemental. Ce constat pourra être considéré
comme caricatural, tant se multiplient les
efforts de certaines villes (Nantes, GrandeSynthe, Lille, Montpellier, Paris, Lyon…)
pour préserver et développer cette nature en
ville. La taille respectueuse des arbres tend
à se généraliser tout comme la gestion différenciée des espaces verts et l’introduction
progressive d’espèces plus régionales.
Toutefois le maintien de la flore sauvage sur
les trottoirs n’est pas encore au goût du jour
et de tous, et les nombreux petits espaces de
flore sauvage qui se rencontrent ici et là
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écosystème
écosystèmes qui vont des centres-villes très denses et très
minéralisés vers des quartiers beaucoup plus verts de la
périphérie, en passant par des parcs et squares, voire des
forêts urbaines. Il s’agit surtout d’un écosystème extrêmement dépendant des autres systèmes. La ville, pour
nourrir les citadins, importe de l’alimentation. Ses habitants utilisent une quantité d’énergie (fossile) pour se
chauffer et pour se déplacer. Ils sont également consommateurs de pierres, acier, ciment, bois, eau… La ville
utilise ainsi à son profit quantité de ressources qu’elle ne
produit pas et génère par la même occasion des quantités
non moins importantes de déchets (ordures, excréments,
eaux usées, gravats…) qu’elle évacue. Nous retrouvons ici
la notion élargie du fonctionnement d’un écosystème.
Paul Duvigneaud dans La
synthèse écologique montrait,
il y a plus de 40 ans, qu’en
plus d’un biotope et d’une
biocœnose, nous avons des
quantités de flux qui circulent tant à l’intérieur que de
et vers l’extérieur de la ville.
Aux flux de matières organiques, déchets, matériaux,
énergie, eaux, et travailleurs,
s’ajoutent les flux d’informations (TV, téléphone, ondes
hertziennes, Web…) qui ont
chacun leurs réseaux ou
capteurs.
Le
concept
d’écologie
urbaine va se rapprocher de
celui de l’écologie industrielle
lorsque les déchets produits
par l’une de ses composantes
deviendront
l’une
des
matières premières d’une
autre de ses composantes.
Dans ce sens, on a tous en
tête l‘exemple des biogaz
issus de la fermentation des
ordures de la ville utilisés
pour le chauffage urbain.
Inventer la ville-nature
Toute une forme urbaine est à inventer pour concilier ville
et nature.
Les écoquartiers sont l’un des exemples de réponse. Ces
nouveaux quartiers se veulent écologiques dans leur
conception, construction, vie et déconstruction.
Malheureusement dans ceux-ci la biodiversité n’est pas
toujours au rendez-vous. Elle y sera lorsque les bâtiments,
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en plus d’être HQE (haute qualité environnementale),
seront HQB (haute qualité biodiversité) et qu’ils seront
supports de vie sauvage et permettront en leur sein la
reproduction et/ou l’hivernage des chauves-souris, et l’installation de colonies d’hirondelles de fenêtre, de
martinets, et de nombreuses autres espèces. Le développement de toitures-terrasses végétalisées (qui ne seront
pas la simple installation de deux espèces d’orpins !), des
noues d’infiltration, des bassins naturels de tamponnement des eaux et la gestion patrimoniale des espaces verts
(qui ne seront pas des arboretum et collections d’espèces
horticoles) en feront progressivement de vraies zones de
nature et les maillons efficaces d’une trame verte urbaine
qui visera à ne plus considérer
la ville comme un obstacle
entre deux espaces de nature.
La ville du futur devra également concilier les extrêmes.
D’un côté les villes gagnent et
gagneront en hauteur tant les
projets
audacieux
de
construction de tours de plus
en plus hautes se multiplient.
Les habitants, de leur côté,
réclament de plus en plus
d’espaces verts, de jardins
potagers (et communautaires)
et
de
forêts.
Aujourd’hui, pas un projet
n’est conçu sans que soit
proposé un espace boisé ou
un corridor écologique. Les
immeubles tendront également à s’habiller de vert avec
des lianes accrochées aux
murs, des balconnières
débordantes de végétation, ou
des toitures ultra-végétalisées. Le mur végétal du quai
Branly, l’un des rares exemples connus, pourrait faire de
nombreux petits… Espérons
toutefois que la place du végétal en ville (et ailleurs) ne soit pas confiée aux seuls
paysagistes, artistes et plasticiens, et que des naturalistes
et écologues soient associés aux différents projets pour
que soit développée un peu plus de naturalité dans la ville
de demain, et éviter par la même occasion que le brun du
pélargonium Cacyreus marshalli (petit papillon sud-africain inféodé aux « géraniums de balcon »), d’installation
récente dans nos villes du sud et en cours de colonisation
sur le reste de l’hexagone, ne soit à terme le seul papillon
des espaces urbains !
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